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Rapport | Doc. 16037 | 13 septembre 2024

Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d'asile disparues – Un appel à clarifier leur sort

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Julian PAHLKE, Allemagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.15488, Renvoi 4642 du 25 avril 2022. 2024 - Quatrième partie de session

Résumé

Le phénomène des disparitions de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile est une tragédie largement sous-estimée et négligée en tant que question relevant des droits humains, et à laquelle il s’agit d’apporter des réponses politiques en Europe et dans le monde entier. De nombreuses situations peuvent entraîner la disparition, notamment la disparition forcée, et le décès d’une personne en situation de déplacement. Il en résulte des conséquences et des défis pour les autorités publiques et pour celles et ceux qui sont à la recherche d’une personne disparue.

La nécessité de faire la lumière sur le sort des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues, qu’elles soient mortes ou vivantes, ne se heurte pas à un vide juridique. De la même manière, la disparition de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile n’est pas une fatalité et peut être évitée. Un large éventail de questions qui se situent au carrefour de la protection des données, des considérations humanitaires et des principes de protection, du droit pénal ainsi que de la recherche médico-légale, doivent être abordées dans un contexte international.

La coopération entre acteurs étatiques et non étatiques, fondée sur des politiques publiques conformes aux normes internationales en vigueur dans les différents domaines concernés, est la clé de la protection des droits et de la dignité des vivants et des défunts. Dans cette optique, le présent rapport montre que le Conseil de l’Europe peut soutenir les actions visant à tendre vers une plus grande harmonisation de la législation et des procédures dans les États membres dans le domaine de la prévention, de la protection, de la recherche, des enquêtes et de l’identification des personnes disparues.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin
2024.

(open)
1. Le phénomène des disparitions de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile est une tragédie largement sous-estimée et négligée en tant que question relevant des droits humains, et à laquelle il s’agit d’apporter des réponses politiques en Europe et dans le monde entier, conformément à l’objectif n° 8 approuvé par les États parties au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
2. L’Assemblée parlementaire est convaincue que des initiatives concertées au niveau des politiques publiques sont nécessaires pour soutenir et multiplier les activités déjà en place, dans le cadre d’une vision et d’un plan structurés, dotés de ressources appropriées, et ancrés dans le respect des droits humains internationaux et du droit humanitaire international.
3. L’Assemblée approuve pleinement les recommandations formulées dans l’«Observation générale n° 1 sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations» (CED/C/CG/1) par le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées, et dans le rapport intitulé «Mort illégale de réfugiés et de migrants» (A/72/335) établi par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Elle approuve également les recommandations figurant dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires intitulé «Protection des morts» (A/HRC/56/56), y compris la nécessité d’élaborer des principes directeurs universellement applicables, fondés sur les droits humains, en vue d’une protection globale.
4. L’Assemblée considère que la dignité humaine doit être garantie à toutes les personnes, dans la vie comme dans la mort, et que l’obligation légale de traiter les défunts avec dignité doit s’étendre aux situations où le droit international humanitaire n’est pas applicable.
5. L’Assemblée rappelle que, en application de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), les Etats membres ont un devoir de prévenir les violations du droit à la vie et d’enquêter sur tous les cas de mort non naturelle ou d'homicides illégaux; c’est sur cette base qu’ils doivent définir la manière dont ils traitent la question des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues.
6. L’Assemblée exprime sa sympathie et sa solidarité avec les familles des personnes disparues et considère que leur quête d’informations est légitime. Elle estime que les adultes ont le droit de choisir de ne pas divulguer à leur famille le lieu où ils ou elles se trouvent, mais qu’il est important également pour les familles de savoir si leurs proches sont morts ou vivants.
7. L’Assemblée considère que toute initiative menée par les autorités de l’État pour signaler, rechercher ou identifier une personne ne devrait jamais entraîner le contrôle administratif ou l’incrimination de cette personne ou de toute personne lui apportant un soutien en raison de sa situation irrégulière.
8. En matière de prévention, un accès effectif à des voies de migration sûres et légales, y compris pour le regroupement familial, doit être une priorité, de même que la fourniture d’une assistance humanitaire le long des voies de migration, quel que soit le statut administratif de la personne en situation de déplacement qui a besoin d’aide.
9. Les États membres doivent mener les opérations de recherche et de sauvetage en mer et sur terre conformément au droit international, dans le plein respect de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme. Les refoulements sont des pratiques illégales qui peuvent également conduire à des disparitions et qui doivent cesser immédiatement.
10. Rappelant l’importance de respecter pleinement la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126), la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STE n° 197), la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE n° 210) l’Assemblée souligne la nécessité de protéger les personnes vulnérables en situation de déplacement qui sont ou risquent d’être victimes de la traite, victimes de la torture, victimes de disparitions forcées ou victimes de violences fondées sur le genre et de violences domestiques, et de réduire ainsi le risque qu’elles disparaissent. Toute personne privée de liberté doit être enregistrée et pouvoir communiquer avec le monde extérieur conformément aux normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). La rétention administrative des personnes migrantes ne devrait être qu’une mesure de dernier recours, pour une durée la plus courte possible, décidée dans l’attente de l’exécution d’une procédure de retour où il est démontré qu’une privation de liberté est nécessaire, et confirmée via un contrôle judiciaire approprié. Les personnes réfugiées ne devraient pas être incriminées pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention relative au statut des personnes réfugiées. L’Assemblée invite les organes compétents du Conseil de l’Europe, notamment le CPT, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), à accorder une attention particulière à l’impact que les politiques de gestion des frontières peuvent exercer sur leurs domaines d’expertise en ce qui concerne les personnes migrantes disparues.
11. Rappelant la Recommandation CM/Rec(2019)4 du Comité des Ministres aux États membres sur l’aide aux jeunes réfugiés en transition vers l’âge adulte et sa Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration, l’Assemblée souligne la nécessité d’enregistrer systématiquement les enfants non accompagnés, de déployer des activités de recherche diligents lorsqu’ils sont portés disparus, et de les orienter en toute sécurité et en tenant compte de leurs besoins vers un hébergement approprié, des établissements d’enseignement et, le cas échéant, vers un regroupement familial.
12. En ce qui concerne les mécanismes de signalement et de recherche, l’Assemblée tient à souligner l’importance de veiller à ce que les processus de signalement et de recherche échappent à toute considération portant sur le statut administratif ou le casier judiciaire de la personne recherchée.
13. En cas de catastrophe touchant un grand nombre de personnes, des équipes d’identification des victimes de catastrophes devraient être déployées pour faciliter le processus transfrontalier standardisé d’identification des victimes. L’Assemblée recommande aux États membres de recenser les domaines dans lesquels des ressources peuvent être mutualisées et partagées pour traiter les aspects les plus essentiels d’une telle coopération transfrontalière. L’organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) peut apporter son soutien dans cette entreprise.
14. L’Assemblée met en garde contre les risques que pourrait poser la centralisation des données à caractère personnel et rappelle qu’il est important d’obtenir le consentement éclairé des personnes concernées dans la gestion de leurs informations à caractère personnel et de choisir une base juridique appropriée pour la gestion de ces informations. Toute convergence d’informations de ce type ne devrait être effectuée que si les entités indépendantes chargées de la protection des données dans les États membres, et qui participent à ce regroupement de données, peuvent garantir un contrôle externe.
15. En ce qui concerne l’identification et le traitement des corps des personnes décédées, l’Assemblée souligne qu’il est absolument nécessaire d’allouer des ressources supplémentaires aux services de médecine légale et aux médecins légistes, et qu’il est important de pouvoir disposer d’un espace suffisant dans les morgues en attendant l’autopsie, l’identification, l’inhumation ou le rapatriement.
16. L’Assemblée recommande aux procureurs d’autoriser systématiquement l’ouverture d’une enquête et l’autopsie des corps non identifiés afin de recueillir autant d’informations que possible dans le court laps de temps disponible, notamment les identifiants secondaires, conformément aux normes internationales en matière de description et de conservation des données. Les données doivent être conservées dans un stockage spécialisé auquel les autorités policières peuvent accéder.
17. Dans le cas de décès potentiellement illégaux, l’Assemblée encourage les États membres à utiliser les normes internationales disponibles pour mener des enquêtes fiables, en particulier le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux (2016) – Version révisée du Manuel des Nations Unies sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyens d’enquête sur ces exécutions.
18. Les États membres devraient harmoniser leur législation avec les normes juridiques permettant de décrire précisément les personnes décédées, comme le prévoit la Recommandation N° R(99)3 du Comité des Ministres relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale, et permettre le transfert de données biométriques dans le cadre de la recherche et de l’identification en pleine conformité avec la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe (STE n° 108), telle qu’amendée par le Protocole STCE n° 223 («Convention 108+»). Elle invite les États membres à faciliter l’échange de connaissances et de ressources médico-légales afin de permettre une identification dans un délai de faisabilité très court.
19. L’Assemblée reconnaît qu’INTERPOL peut jouer un rôle de facilitateur dans ce processus d’harmonisation. Elle insiste sur la nécessité cruciale de veiller à ce qu’un contrôle externe soit assuré par des organismes chargés de la protection des données dans chaque pays qui envisage de mettre en place ce type d’harmonisation et de traitement des données à caractère personnel.
20. En ce qui concerne la possibilité de centraliser les données post-mortem et ante-mortem, il est essentiel que les normes les plus élevées de protection des données soient respectées lors de la coordination des ensembles de données déjà disponibles mais de manière fragmentée, conformément à la Convention 108+ et au Protocole du Minnesota. Une distinction claire doit être établie entre les données destinées aux recherches humanitaires et celles utilisées à d’autres fins.
21. L’Assemblée encourage les pays qui ne l’ont pas encore fait à ratifier la Convention 108+ et à utiliser cet instrument dans le contexte des personnes migrantes disparues ou décédées, conformément au paragraphe 30 de son rapport explicatif. Elle attire l’attention sur des instruments tels que les Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel de responsable de traitement à responsable de traitement et les Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel de responsable de traitement à sous-traitant pour transférer des données à caractère personnel vers des pays qui ne sont pas parties à la Convention 108+ et dont la législation en matière de protection des données est soit inexistante, soit n’assure pas un niveau de protection approprié.
22. L’Assemblée appelle les autorités nationales et régionales qui ont des responsabilités dans le domaine de la protection des données, des droits humains et des questions de migration à intensifier leurs échanges afin d’améliorer leur coordination, entre elles et avec les organisations internationales et des Nations Unies qui partagent une expertise reconnue en matière de compilation, d’échange et/ou de comparaison d’informations pertinentes. Ces organisations devraient inclure la Commission internationale des personnes disparues (CIPD), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), INTERPOL, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes migrantes, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, les experts du comité des Nations Unies sur les disparitions forcées et le groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Il faudrait, dans la mesure du possible, que les débats sur ces questions donnent la possibilité de s’exprimer aux personnes migrantes, aux familles des personnes disparues ou décédées et à la société civile.
23. L’Assemblée souhaiterait que le Conseil de l’Europe joue un rôle significatif dans l’établissement de conditions de protection des données favorables à la mise en place de plateformes et de processus normalisés permettant le rapprochement des données provenant de collecteurs et de détenteurs de données approuvés. L’Organisation pourrait également assurer leur interopérabilité. Ces activités peuvent également conduire à la création d’une base de données.
24. L’Assemblée appelle à une coopération régionale entre les procureurs de toute l’Europe sur la meilleure façon d’identifier et de partager les données sur les personnes migrantes disparues et les corps non identifiés.
25. Dans le cadre des actions susmentionnées, l’Assemblée recommande aux États membres:
25.1. d’adopter une définition commune en s’inspirant de la définition standard du CICR selon laquelle «une personne disparue est une personne dont la famille est sans nouvelles, et/ou qui, selon des informations fiables, a été déclarée disparue en raison d’un conflit armé, international ou non international, ou d’une situation de violence, de catastrophes, ou de toute autre situation qui puisse requérir l’intervention d’une autorité étatique compétente, y compris dans le contexte de la migration»;
25.2. de faciliter la délivrance de documents pertinents aux familles de la personne disparue (par exemple un certificat d’absence), leur permettant d’accéder à divers droits ou à des procédures de regroupement ou de réunification;
25.3. de collaborer avec le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de contribuer à la coordination des procédures d’identification des victimes de catastrophes et à l’échange d’informations sur les bases de données d’INTERPOL consacrées à la recherche et à l’identification des personnes disparues;
25.4. de désigner des correspondants nationaux pour les personnes migrantes disparues, qui serviront de point de contact désigné pour les demandes d’autres autorités nationales ou de leurs représentants dans le cadre des activités de coordination transnationale; les États membres qui ont déjà désigné des correspondants nationaux pour les personnes migrantes disparues peuvent partager leur expérience dans le cadre du réseau de correspondants sur les migrations coordonné par le Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés.
25.5. d’accélérer le traitement des demandes de visa de courte durée déposées par les familles des personnes migrantes disparues, réfugiées et demandeuses d’asile, afin de faciliter les processus d’identification et d’apporter un soutien aux familles durant les procédures engagées, y compris les rapatriements;
25.6. de revoir leur législation afin d’améliorer et d’harmoniser les processus nationaux d’enregistrement et de gestion des cas de personnes migrantes disparues et de restes humains non identifiés, notamment en ce qui concerne les lacunes du cadre médico-légal et la question du partage des données européennes et internationales conformément aux normes internationales en matière de protection des données;
25.7. de veiller à ce que les tombes soient individualisées, clairement identifiables et marquées de manière permanente, nominalement ou numériquement, avec des codes uniques, et enregistrées, et de s’assurer que tout est fait pour respecter les croyances religieuses et spirituelles des personnes décédées lorsqu’elles sont connues, conformément au droit à la liberté de religion et de conviction protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme;
25.8. de ratifier et de mettre en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin 2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution... (2024) «Les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile: un appel à clarifier leur sort» et invite le Comité des Ministres à exprimer la volonté du Conseil de l’Europe, conformément aux valeurs et aux normes de l’Organisation, d’unir ses forces à celles de ses partenaires internationaux et d’aider les États membres à poursuivre et à compléter les travaux qui ont été entrepris ces dernières années sur la question des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues.
2. À cet égard, l’Assemblée encourage le Comité des Ministres à renforcer ses voies de coopération avec les organisations les plus pertinentes sur la scène internationale, en particulier le Comité international de la Croix-Rouge, INTERPOL, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les personnes réfugiées, le Fonds international des Nations Unies pour l’enfance et l’Organisation internationale pour les migrations.
3. Elle estime que les progrès en matière d’élaboration de politiques communes et cohérentes dans ce domaine passent également par des discussions spécifiques entre les autorités compétentes des États membres. Elle invite le Comité des Ministres à reconnaître qu’il est temps d’élaborer des normes communes dans les États membres afin d’optimiser les processus de recherche aux niveaux national et transnational, et d’améliorer la gestion et l’identification des personnes migrantes décédées en veillant, en particulier:
3.1. à mettre à jour la Recommandation R(99)3 relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale, à la lumière des défis récents et des nouvelles pratiques en vigueur, notamment en ce qui concerne la documentation post-mortem relative à l’identification, la normalisation des règles en matière d’enquête médico-légale et d’autopsie, ainsi que le contexte particulier de la mobilité transfrontalière;
3.2. à adopter des lignes directrices sur la collecte, la transmission et la centralisation des données post-mortem pour l’identification médico-légale des personnes disparues en Europe, à élaborer une définition standard des personnes disparues et à protéger les droits des membres des familles en tant que personnes concernées protégées par la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108) telle qu’amendée par le Protocole STCE n° 223 («Convention 108+»). Ces lignes directrices devraient également aborder les questions juridiques et pratiques spécifiques pour apprécier la situation des personnes migrantes, réfugiées, et demandeuses d’asile disparues, ainsi que la situation des familles à la recherche de personnes disparues, y compris dans un contexte transfrontalier. Elles pourraient être ouvertes à l’approbation des États non-membres qui sont parties à la Convention 108+;
3.3. à faciliter les discussions entre les procureurs des États membres, notamment en ce qui concerne la possibilité d’examiner les pratiques courantes déjà en place dans un certain nombre d’États membres en matière d’identification et de gestion des cas de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues qui sont décédées, et d’élaborer des lignes directrices pour un protocole standard qui serait utilisé dans tous les États membres.

C. Exposé des motifs par M. Julian Pahlke, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Entre 2014, date à laquelle l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a lancé le Projet Personnes migrantes disparues, et aujourd’hui, «la tragédie des personnes migrantes disparues a atteint une ampleur effroyable» et fait des dizaines de milliers de victimes, comme l’a souligné l’ancienne Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans une déclaration publiée en septembre 2022.
2. En 2018, les États signataires du Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières se sont engagés à «[s]auver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les personnes migrantes disparues» (objectif 8 du Pacte). Après de nombreuses années au cours desquelles les organisations de la société civile et les familles de personnes disparues ont tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité de mener une action coordonnée et d’élaborer des politiques sur cette réalité tragique, les nombreuses initiatives déployées par des organisations internationales telles qu’INTERPOL, l’OIM et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) montrent la prise en compte progressive de la question et l’étendue de la coopération internationale nécessaire pour y faire face.
3. Toutefois, le niveau d’engagement des autorités nationales est resté limité à cet égard, ce qui affaiblit l’impact à la fois la coopération internationale et les actions menées à petite échelle 
			(3) 
			Secrétaire général
des Nations Unies, «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées
et régulières» (<a href='https://migrationnetwork.un.org/sites/g/files/tmzbdl416/files/resources_files/sgs_report_french.pdf'>A/76/642</a>), 21 décembre 2021..
4. Le 28 mars 2022, une proposition de résolution (Doc.15488) a été déposée dans laquelle il est demandé à l’Assemblée d’examiner les moyens d’ «encourager la mise en place d’un processus efficace de recherche des personnes migrantes, demandeurs d’asile et personnes réfugiées disparus, la prise en charge appropriée des dépouilles, le processus d’identification, ainsi que le soutien qui pourrait être apporté à leurs proches».
5. Cette question, qui est sans aucun doute très importante d’un point de vue moral, soulève néanmoins plusieurs défis techniques et politiques. Certains aspects des problèmes et des questions en jeu ont déjà été examinés par l’Assemblée parlementaire dans la Résolution 2324 (2020) et la Recommandation 2172 (2020) «Disparitions d’enfants réfugiés ou migrants en Europe» et dans la Résolution 2425 (2022) «En finir avec les disparitions forcées sur le territoire du Conseil de l’Europe».
6. Le 25 novembre 2022, la Commission permanente de l’Assemblée a renvoyé la proposition de résolution (Doc. 15630) «Protéger les droits humains et sauver des vies en mer du Nord et dans la Manche» à la Commission des migrations, des personnes réfugiées et des personnes déplacées et lui a demandé de prendre en compte cette proposition dans la rédaction de ce rapport. Je remercie notre collègue M. Fourat Ben Chikha (Belgique, SOC) d’avoir attiré l’attention de l’Assemblée sur cette situation particulière dont l’actualité est devenue récemment, et tragiquement, de plus en plus aiguë.
7. Aux fins de ce rapport, j’utiliserai le terme «personnes migrantes disparues» au sens général des personnes disparaissant dans le contexte de la migration, peu importe la catégorie administrative selon laquelle elles sont considérées, à moins que leur statut administratif n’implique un défi ou une procédure particuliers pour répondre à une situation de disparition (personnes en besoin de protection internationale, personnes réfugiées, demandeuses d’asiles, personnes à risque de/victimes de traite d’êtres humains) ou prévenir une telle situation.

2. Vue d’ensemble de la question: définition du champ d’application

2.1. Qui sont les personnes migrantes disparues?

8. Le CICR considère qu’une «personne portée disparue» est une personne «dont la famille ignore le lieu où elle se trouve, ou qui, selon des informations fiables, a été portée disparue au regard de la législation nationale, en rapport avec un conflit armé international ou non international, une situation de violence interne ou de troubles intérieurs, une catastrophe naturelle ou toute autre situation qui pourrait exiger l’intervention d’une instance étatique compétente, y compris dans le contexte de la migration» 
			(4) 
			CICR, «<a href='https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/model-law-missing-300908.htm'>Principes
directeurs / Loi type sur les disparus</a>», 2009..
9. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH), une personne migrante est «toute personne se trouvant à l’extérieur de l’État dont elle possède la nationalité ou la citoyenneté ou, dans le cas des apatrides, de son pays de naissance ou de résidence habituelle» 
			(5) 
			HCDH,
«<a href='https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/OHCHR_Recommended_Principles_Guidelines_FR.pdf'>Principes
et directives recommandés sur les droits de l’homme aux frontières
internationales</a>», 2014.. Les personnes migrantes peuvent donc être des personnes en situation de déplacement ou des personnes d’origine étrangère établies régulièrement ou irrégulièrement dans un pays.
10. Il est important de souligner qu’un grand nombre de personnes migrantes disparues sont des enfants, souvent des mineurs non accompagnés. Missing Children Europe 
			(6) 
			Missing
Children Europe, «<a href='https://missingchildreneurope.eu/annual-reports/'>Annual
Review 2022»</a>, 2022 (anglais seulement)., qui intervient dans 32 pays européens, est préoccupé par le fait que le sort des enfants migrants soit si peu signalé. Pour sa part, Europol note que leur vulnérabilité à l’exploitation et aux abus, notamment par des réseaux criminels ou par leur propre cellule familiale, est extrêmement élevée, d’autant plus que leur enregistrement n’est pas toujours assuré 
			(7) 
			Europol,
«<a href='https://www.europol.europa.eu/publications-events/publications/criminal-networks-involved-in-trafficking-and-exploitation-of-underage-victims-in-eu'>Criminal
networks involved in the trafficking and exploitation of underage
victims in the EU»</a>, 2021 (anglais seulement)..
11. Parmi les hommes, les femmes et les enfants disparus, certains pourraient entrer dans la catégorie des personnes réfugiées, notamment celles qui auraient pu bénéficier d’une forme de protection internationale au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (ci-après la «Convention sur les réfugiés»). En ce qui concerne les personnes disparues, le terme «personnes migrantes» utilisé dans le présent rapport désigne des personnes en situation de déplacement, quelle que soit la catégorie administrative dont elles pourraient relever.
12. Les personnes migrantes peuvent également être victimes de disparition forcée et sont dès lors victimes d’un crime perpétré par des États ou des acteurs non étatiques, tel que défini aux articles 2 et 3 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En 2017, le groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a souligné qu’«un lien direct existe entre disparation forcée et migration, soit parce que les personnes migrent en raison de la menace ou du risque de disparition forcée dans leur pays soit parce qu’elles disparaissent pendant leur trajet ou dans le pays de destination» 
			(8) 
			Groupe de travail des
Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, «Rapport
2017» (<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/reports/ahrc3639-2017-report-working-group-enforced-or-involuntary-disappearances'>A/HRC/36/39</a>), 1er août 2017..

2.2. Pourquoi les personnes migrantes disparaissent?

13. En septembre 2023, le Comité des disparitions forcées a constaté que les personnes migrantes se trouvent en situation de vulnérabilité particulière et sont en butte à des tactiques déshumanisantes de gestion des frontières, ce qui fait que des milliers d’entre elles meurent, disparaissent ou sont portées disparues chaque année 
			(9) 
			Comité des disparitions
forcées de l’ONU, «Observation générale n° 1 sur les disparitions
forcées dans le contexte des migrations» (<a href='https://www.ohchr.org/en/treaty-bodies/ced/general-comment-no-1-enforced-disappearances-context-migration'>CED/C/CG/1</a>), 18 septembre 2023..
14. Les personnes migrantes peuvent être portées disparues parce que leur décès, même s’il est dû à des causes naturelles, n’est pas signalé, parce que leur corps n’est jamais recherché ou retrouvé, ou encore parce qu’il ne peut être identifié 
			(10) 
			UNITED, «<a href='https://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf'>List
of refugee deaths</a>», consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024 (anglais
seulement).. Certaines personnes migrantes peuvent être en vie sans pour autant accéder à des moyens de communication, par exemple dans un lieu de rétention. Si un corps est retrouvé, l’impossibilité de retracer le trajet de la personne et de retrouver les liens familiaux laisse souvent les membres de la famille sans nouvelles de leurs proches. En outre, il peut s’avérer très difficile de contacter les familles même si l’identité de la personne est confirmée.
15. Les exigences financières, administratives et documentaires de plus en plus strictes imposées par les pays de destination et par les pays de transit pour entrer sur leur territoire ou le traverser, y compris pour les personnes ayant besoin d’une protection internationale, devraient être considérées comme un facteur contribuant aux disparitions.
16. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes migrantes (2017-2023) a évoqué en juillet 2022 «les tendances mondiales qui contribuent aux pertes en vies humaines et aux blessures, notamment la militarisation des patrouilles frontalières qui accroît le risque de violations des droits humains, les expulsions collectives de personnes migrantes, les risques accrus de refoulement et de refoulement en chaîne, l’usage de la force utilisée dans certaines opérations de refoulement, l’externalisation des mesures de gestion des frontières, les accords bilatéraux et multilatéraux qui ne respectent pas les obligations en matière de droits humains, et le refus des États de faciliter l’accès au territoire ou à l’asile» 
			(11) 
			HDH, «<a href='https://www.ohchr.org/fr/2021/06/absence-individualized-assessments-pushbacks-are-violation-prohibition-collective-expulsion'>Le
Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes migrantes
appelle les États à respecter l’interdiction des expulsions collectives
et à défendre le principe de non-refoulement</a>», 9 juillet 2021..
17. En Europe, la mise en place de cet accès restreint par des moyens physiques mais aussi juridiques/procéduraux est associée à des pratiques qui peuvent être contraires au droit international des droits de l’homme ainsi qu’aux normes et à la jurisprudence européennes, telles que les refoulements et les pullbacks 
			(12) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>requête
n° 27765/09</a>), 23 février 2012 (arrêt rectifié le 16 novembre 2016);
Comité des disparitions forcées de l’ONU op.cit. p.8. (personnes repoussées vers le territoire de départ), y compris par l’utilisation de sites de détention informels sans tenir compte des procédures d’enregistrement 
			(13) 
			CPT,
«<a href='https://rm.coe.int/1680aabe62'>32e
Rapport général</a>», mars 2023.. Le non-respect des obligations internationales, notamment le principe de non-refoulement, et l’absence d’un processus approprié pour déterminer les besoins de protection de chaque individu contribuent à la disparition des personnes migrantes 
			(14) 
			Echange
de vues avec Mme Kristy MacDonald, coordination
de la protection, CICR France, réunion de la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées, 7 décembre 2022..
18. Le manque de coordination des activités de recherche et de sauvetage entre les États européens 
			(15) 
			Anita Orav, «Briefing
on search and rescue efforts for Mediterranean migrants» (<a href='https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2022)733712'>PE
733/712</a>), Service de recherche du Parlement européen, octobre
2022 (anglais seulement)., la restriction des moyens en la matière et de la capacité des acteurs non étatiques à apporter leur soutien aux personnes migrantes en détresse ont été considérés comme des facteurs aggravants qui favorisent les cas de disparition de personnes migrantes; dans le cas des tragédies en mer, l’OIM parle de «naufrages invisibles» 
			(16) 
			OIM, «<a href='https://www.iom.int/news/1200-missing-migrants-recorded-thus-far-2020-may-well-undercount-totals-covid-19-outbreak'>1,200
Missing Personnes migrantes Recorded Thus Far in 2020 May Well Undercount
Totals Since Covid-19 Outbreak</a>», IOM News, 14
août 2022..
19. Dans ce contexte, la présence toujours plus grande de trafiquant·es et de passeurs et passeuses abusifs le long des routes migratoires, parfois même dès le début du voyage, expose les personnes en situation de déplacement à des risques accrus d’exploitation, ce qui renforce la probabilité qu’elles disparaissent et deviennent victimes de disparitions forcées 
			(17) 
			Comité
des disparitions forcées de l’ONU op.cit. p. 8.. Cette réalité, associée aux accords conclus entre les pays pour freiner les migrations, contribue à «une augmentation de l’exposition des personnes migrantes à [une] litanie d’abus» dont sont responsables les acteurs étatiques et non étatiques 
			(18) 
			OMCT & CACIT, «<a href='https://www.omct.org/site-resources/files/The-Torture-Roads.pdf'>The
torture Roads: The Cycle of Abuse against People on the Move in
Africa</a>», 2021..
20. Les personnes migrantes, qui peuvent être réticentes à enregistrer leur présence sur un territoire donné, sont souvent connues auprès d’entités non officielles, par exemple des centres communautaires ou des organisations non gouvernementales. Cependant, la grande méfiance qui règne entre les autorités officielles et les personnes migrantes ou les organisations non gouvernementales dirigées par des personnes migrantes, est propice à la segmentation des relais d’information, ce qui rend beaucoup plus difficile la recherche d’une personne disparue.
21. La difficulté de reconstituer le voyage ou de localiser des personnes migrantes est principalement due à l’absence d’un canal de communication permettant à la personne de signaler sa présence aux membres de sa famille. Il est possible également que les personnes migrantes aient été privées de leurs moyens de communication au cours de leur voyage, notamment par les autorités de police ou judiciaires, et qu’ils n’aient plus aucun moyen de communiquer avec le monde extérieur.
22. Ces situations peuvent également être aggravées par les mauvaises pratiques de certains acteurs officiels, telles que l’absence d’enregistrement systématique ou d’accès effectif aux moyens de communication pour les étranger.es privés de liberté dans les lieux de rétention formels et informels, ou le blocage administratif qui empêche les personnes de bénéficier d’un lieu de résidence légal lorsqu’elles passent d’un statut administratif à l’autre.

2.3. Pourquoi clarifier leur sort?

23. Pour clarifier le sort d’une personne disparue, il faut avant tout déterminer si cette personne est morte ou vivante et, dans ce dernier cas, si elle a besoin d’aide.
24. Les organisations internationales et les experts universitaires ont livré des témoignages sur l’impact psychologique subi par les familles qui attendent des nouvelles de leurs disparus, parfois pendant des années. Beaucoup souffrent d’une «perte ambiguë», qui est un état d’incertitude dont les graves répercussions psychologiques et psychosociales peuvent entraîner une pathologie, une dépression, l’alcoolisme ou d’autres maladies, et qui devrait être considéré comme un problème de santé publique 
			(19) 
			CICR, «<a href='https://www.icrc.org/en/document/missing-persons-and-their-families-factsheet'>Missing
persons and their families – Legal Factsheet </a>», 2023 (anglais seulement); et D. Mazzarelli, B.Bertoglio,
M.Boscacci, G.Caccia, C.Ruffetta, D.De Angelis, T.Fracasso, JP.Baraybar,
S.Riccio, M. Maria Marzagalia, C.Cattaneo, «<a href='https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666353821000217'>Ambiguous
loss in the current migration crisis:</a>.<a href='https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666353821000217'> A
medico-legal, psychological, and psychiatric perspective</a>», Forensic Science International:
Mind and Law, Volume 2, 2021,
100064, ISSN 2666-3538 (anglais seulement)..
25. Les personnes qui sont restées au pays font également face à des répercussions matérielles et administratives très concrètes. En effet, des certificats de décès peuvent être nécessaires pour obtenir des dommages et intérêts en droit civil, pour les droits de propriété immobilière, pour obtenir la tutelle d’un enfant ou inscrire des enfants à l’école lorsque l’un ou les deux parents sont décédés. En l’absence de certificat de décès parental, l’orphelin est privé d’existence légale et ne peut pas, éventuellement, rejoindre le seul parent qu’il a dans un autre pays, en Europe ou au-delà. Toute personne peut dépendre d’une personne disparue lorsqu’elle sollicite, en tant que membre de la cellule familiale, la délivrance ou le renouvellement d’un permis de séjour, voire le traitement d’une demande de relogement 
			(20) 
			Échange
de vues avec Mme Cristina Cattaneo, professeure
titulaire de médecine légale et d’anthropologie, directrice du LABANOF,
Laboratoire d’anthropologie et d’odontologie légale, Université
de Milan (Italie), réunion de la Commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées, le 19 mars 2024..
26. La clarification du sort d’une personne migrante disparue peut également dépendre de la résolution d’une affaire pénale dans laquelle le décès a été causé par un acte de violence, un abus ou la négligence. À cet égard, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires (2016-2021) a déclaré, dans son rapport thématique sur les morts illégales de personnes réfugiées et de personnes migrantes en 2017, que «[l]’absence fréquente d’enquête sur les morts [de personnes migrantes] est une violation supplémentaire du droit à la vie, d’envergure mondiale, qui contribue à un régime international d’impunité, à l’invisibilité des violations et de leurs victimes et à l’élaboration de politiques relatives aux migrations mal informées, susceptibles d’entraîner de nouveaux cas de privation de la vie» 
			(21) 
			Rapporteuse spéciale
du Conseil des droits de l’homme sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, «Morts illégales de personnes réfugiées
et de personnes migrantes – Note du Secrétaire général» (<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/thematic-reports/a72335-unlawful-death-refugees-and-migrants-note-secretary-general'>A/72/335</a>),15 août 2017..
27. Enfin, la clarification du sort d’une personne disparue est tout simplement une question de dignité humaine 
			(22) 
			CICR, «<a href='https://www.icrc.org/fr/publication/4586-guiding-principles-dignified-management-dead-humanitarian-emergencies-and-prevent'>Principes
directeurs pour une gestion digne des morts dans les situations
d’urgence humanitaire et pour éviter qu’ils ne deviennent des personnes
disparues</a>», 2021.. Cet impératif moral 
			(23) 
			CICR, «<a href='https://www.icrc.org/fr/document/un-traitement-humain-apres-la-vie-respecter-et-proteger-les-morts'>Un
traitement humain après la vie: respecter et protéger les morts,
fiche technique</a>», 2021; et The Last Rights Project, «<a href='https://drive.google.com/file/d/1P7RGtTQw95gFL-o6iBzxmVRsDngxpHHc/view'>Extended
Legal Statement and Commentary: The Dead, the Missing and the Bereaved
at the World’s Borders, Statement of the International Legal Obligations
of States Together with Commentary</a>», 2019 (anglais seulement). peut trouver un fondement juridique dans la notion de dignité humaine ou même dans des considérations relatives à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), comme abordé au point 5.6.

2.4. Cadre juridique

28. Les Principes directeurs concernant la recherche des personnes disparues du Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées reposent sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CIPPED). Son principe n° 1 énonce que «[l]es recherches doivent être fondées sur la présomption que la personne disparue est en vie» 
			(24) 
			Comité
des disparitions forcées et involontaires, «Principes directeurs
pour la recherche des personnes disparues» (<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/legal-standards-and-guidelines/guiding-principles-search-disappeared-persons'>CED/C/7</a>), HCDH, 28 août 2019.. L’article 24 de la Convention reconnaît les familles comme victimes collatérales des disparitions forcées et qu’il incombe aux autorités de l’État de garantir un soutien effectif et des mécanismes de réparation.
29. Selon la CIPPED, les États parties doivent veiller à ce que toute personne alléguant qu’une personne a été victime d’une disparition forcée ait le droit de dénoncer les faits (article 12), à ce que personne ne soit détenu au secret et à ce que toute personne privée de liberté soit autorisée à communiquer avec sa famille (article 17). En 2021, seuls 21 États membres avaient ratifié la CIPPED et y étaient liés 
			(25) 
			Rapport
de l’Assemblée parlementaire: «En finir avec les disparitions forcées
sur le territoire du Conseil de l’Europe» (Doc. 15431), 10 janvier 2022.. La Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille prévoit également que les États doivent prendre toutes les mesures appropriées pour rechercher, localiser et libérer les personnes disparues, enquêter sur les actes de disparition forcée et traduire les responsables en justice.
30. L’article 71 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille exige des États parties qu’ils «facilitent, si besoin est, le rapatriement dans l’État d’origine des corps des travailleurs migrants ou des membres de leur famille décédés». En 2024, sept États membres du Conseil de l’Europe avaient signé la convention, dont quatre l’avaient ratifiée.
31. Le droit international de la mer prévoit également des obligations très précises qui imposent aux États et aux acteurs non étatiques d’assister et de secourir les personnes en détresse en mer (la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer – SOLAS – et la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage – SAR). En outre, en 2022, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a publié une déclaration officielle encourageant les États à «accorder une attention particulière à la récupération des corps ainsi qu’aux actions visant à déterminer leur identité, à fournir à leurs familles des informations sur leur sort et le lieu où ils se trouvent et à empêcher qu’ils ne deviennent des personnes disparues 
			(26) 
			HCDH, HCR, OIM, UNICEF,
ONUDC et Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des
personnes migrantes, «<a href='https://www.unodc.org/unodc/en/press/releases/2022/May/the-concept-of-place-of-safety-under-international-law-and-the-respect-of-the-rights-of-migrants-and-refugees-rescued-at-sea-by-all-states.html'>The
concept of place of safety under international law and the respect
of the rights of personnes migrantes and refugees rescued at sea
by all States</a>», communiqué de presse conjoint, 18 mai 2022 (anglais
seulement).».
32. La Convention européenne des droits de l’homme protège les droits de toutes les personnes qui vivent en Europe et contient des obligations particulières qui, si elles sont dûment respectées, peuvent contribuer à prévenir la disparition des personnes migrantes et à protéger le droit des familles à connaître le sort de leurs proches disparus.
33. L’article 2 de la Convention impose des obligations positives et négatives aux États, qui doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie des personnes relevant de leur juridiction. Ces obligations, qui découlent de tous les instruments du droit international applicables en toutes circonstances, y compris dans les cas de restriction ou de privation de liberté, trouvent leur fondement dans l’article 3 (interdiction de la torture ou des traitements inhumains et dégradants), l’article 5 (légalité de la détention et, en particulier, l’importance de consigner l’heure, la date et le lieu de la détention ainsi que l’identification des détenus 
			(27) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Kurt c. Turquie (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>15/1997/799/1002</a>), 25 mai 1998 (résumé juridique en français); et Anguelova
c. Bulgarie (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête n° 38361/97</a>), 13 septembre 2002.) et les articles 8, 10 et 12 de la Convention (contact avec le monde extérieur en cas de détention 
			(28) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, «<a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/all-case-law-guides'>Guide
sur la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l’homme,
Droits des détenus</a>», consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024.). La jouissance des droits procéduraux consacrés par la Convention (article 13) peut prévenir les situations entraînant la disparition, notamment le risque d’être détenu au secret, ainsi que le droit des membres de la famille d’être informés du sort de leurs membres disparus, considéré à la lumière du droit à la vie privée et familiale (article 8) 
			(29) 
			Selon la Cour,
le manquement persistant d’un État à fournir à une requérante des
informations crédibles sur le sort de son fils nouveau-né – qui
avait disparu d’une maternité gérée par l’État peu après sa naissance
– a constitué une violation continue du droit au respect de sa vie
familiale (par exemple Zorica Jovanović c. Serbie, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête
n° 21794/08</a>, 2013).. On peut également déduire de l’article 8 que le droit à la vie familiale peut englober la possibilité de localiser un membre de la famille décédé et de lui rendre hommage sur une tombe avec une inscription.
34. En ce qui concerne le droit à la dignité du défunt, la Cour a interprété la Convention en tenant compte des proches et de leur droit au respect, conformément à l’article 8 et à l’article 3, dans le cadre d’une affaire de mutilation intentionnelle de corps 
			(30) 
			Sur l’article 8, voir
Genner c. Autriche, (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête
n° 55495/08</a>) (en anglais), 12 janvier 2016; et Akkum et autres c. Turquie
(<a href='https://www.stradalex.eu/fr/se_src_publ_jur_eur_cedh/document/cedh_21894-93'>requête
n° 21894/93</a>), 24 mars 2005. Cas cités dans The Last Rights Project,
op.cit. p. 10.. Certes «[l]a Cour a dit que la qualité d’humain s’éteignait à la mort et que par conséquent l’interdiction des mauvais traitements ne s’appliquait plus aux cadavres», mais elle a constaté que «le traitement infligé aux dépouilles sans vie a emporté la violation de l’article 3 dans le chef des proches des personnes décédées» 
			(31) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/all-case-law-guides'>Guides
sur la jurisprudence</a>, Guide sur la jurisprudence relative à l’interdiction
de la torture..
35. Les cas de décès causés par le recours à la force doivent faire l’objet d’une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient des agents de l’État ou non 
			(32) 
			Cas cités dans The
Last Rights Project, op.cit. p. 10.. La Cour a également déclaré que la connaissance de cas de mort suspecte devrait suffire pour justifier que les autorités compétentes agissent 
			(33) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Finucane c. Royaume-Uni (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête no 29178/95</a>), 1er octobre
2003, et <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Trufin
c. Roumanie</a> (<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête n° 3990/04</a>), 20 janvier 2010..
36. Selon le Last Rights Project, ce raisonnement peut s’appliquer à certains cas de personnes migrantes disparues, lorsqu’on peut considérer que les décès peuvent avoir été causés par l’usage de la force, et lorsque l’absence d’enquête de l’État sur les décès suspects signalés peut être considérée comme une violation de la Convention.
37. En ce qui concerne les données à caractère personnel, toutes les affaires énumérées dans la jurisprudence de la Cour en la matière concernent les données à caractère personnel de personnes vivantes 
			(34) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, «<a href='https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/FS_Data_FRA'>Fiche
d’information sur la protection des données à caractère personnel</a>», mars 2024.. Les données à caractère personnel des personnes vivantes sont protégées en Europe par la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe (STE n° 108), telle qu’amendée par le Protocole STCE n° 223 («Convention 108+») et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette convention comporte un certain nombre de principes garantissant les droits des personnes concernées lors du traitement des «catégories particulières de données» (article 6), y compris les données génétiques et biométriques.
38. Pour les personnes dont le corps ou les restes de corps ont été retrouvés sans perspective immédiate d’identification, la plupart des législations nationales prévoient des cadres juridiques pour la gestion des morts non naturelles ou suspectes, qui peuvent entraîner l’ouverture d’une enquête pénale et l’identification de la personne décédée. Quelques d’États ont adopté une législation qui les oblige à prendre toutes les mesures raisonnables pour identifier les restes humains.

3. Des défis multidimensionnels

3.1. Signalement de la disparition et ouverture d’une enquête

39. Toute personne disparue doit être signalée par sa famille, ses proches ou les personnes qui voyageaient avec elle afin que la police puisse lancer un mandat de recherche. Cependant, les réseaux de soutien et les ressources des familles ou des proches des personnes migrantes disparues sont généralement bien moindres que ceux dont disposent les familles qui signalent la disparition d’une personne dans un contexte national, en particulier si aucune enquête criminelle n’est ouverte. Le contexte international rend le signalement encore plus complexe: si les familles savent où se trouve leur proche disparu ou le supposent, elles ne savent pas nécessairement à qui s’adresser dans le pays concerné, ni ne sont en mesure de communiquer dans une langue que les autorités locales pourraient comprendre. Et même dans le pays d’origine, les familles ou les proches ne savent pas toujours à qui s’adresser ou n’ont pas d’interlocuteur.
40. La plupart des pays disposent de services de police compétents pour enregistrer les cas de personnes disparues et mener des enquêtes à ce sujet dans les États membres. Ils s’appuient si nécessaire sur des outils de coopération internationale tels que les notices jaunes d’INTERPOL. Toutefois, les outils et les bases de données de l’administration ne permettent pas toujours d’identifier les personnes qui n’ont pas de registre d’état civil à jour dans le pays où elles se trouvaient en dernier lieu.
41. Lors de ma visite d’information en Grèce en mars 2024, les organisations communautaires m’ont fait part de leur perception très profonde et de leur expérience très concrète de la marginalisation qui leur est imposée par les autorités officielles. Ceci n’est pas spécifique à la Grèce 
			(35) 
			C.
S. Czymara et J. Mitchell, «<a href='https://doi.org/10.1080/01419870.2022.2060711'>All cops
are trusted? How context and time shape impersonnes migrantes’ trust
in the police in Europe</a>», Ethnic and Racial Studies, 46(1), 2022; and M. D Pass, N.S
Madon, K. Murphy, E. Sargeant, «<a href='https://doi.org/10.1093/bjc/azaa023'>To trust or distrust?:
Unpacking ethnic minority impersonnes migrantes’ trust in police</a>», The British Journal of
Criminology, Volume 60, édition 5, septembre 2020 (anglais
seulement).. Néanmoins, cette réalité a des conséquences directes sur les communautés de personnes migrantes, qui ne font tout simplement pas confiance aux autorités officielles. Les communautés qui recherchent une personne disparue utilisent donc des canaux informels, les réseaux sociaux, le bouche-à-oreille et même des photos imprimées sur des affiches dans la rue: mes interlocuteurs ont reconnu que cela soulevait de graves problèmes concernant la confidentialité, le partage et l’utilisation de données à caractère personnel pouvant mettre en péril la sécurité de la personne.

3.2. Collecte de données sur un itinéraire segmenté

42. Souvent, les informations sur les personnes migrantes disparues existent, mais elles sont dispersées entre divers acteurs et sites publics et non publics.
43. Il est donc essentiel de garantir la protection des données lorsque l’on cherche à retrouver des personnes migrantes disparues. Les difficultés sont en effet nombreuses à cet égard. Il s’agit notamment d’identifier des collecteurs de données de confiance afin d’entrer en contact avec une diversité d’acteurs et d’entités; de déterminer une base juridique adéquate pour utiliser et partager légalement ces données à caractère personnel (parfois biométriques); et de mettre en place des législations permettant le partage de ces données à des fins humanitaires, en toute sécurité, et de manière proportionnée au niveau national, voire international. Ces considérations sont de la plus haute importance dans le contexte de l’appétit croissant des décideurs politiques et des autorités répressives pour l’interopérabilité des bases de données.
44. Dans le cas des entités officielles (par exemple les forces de police, les unités de lutte contre la traite, les lieux de détention, les centres d’accueil, les refuges), les législations nationales sont généralement prudentes en ce qui concerne la possibilité de partager des informations à caractère personnel avec des tiers. En ce qui concerne les entités non officielles et les individus, il convient de noter que les amis, les familles, les voyageurs, voire les survivant·es de naufrages, peuvent fournir des informations importantes qui peuvent aider à localiser et à retrouver une personne disparue. Ces informations peuvent également s’avérer extrêmement précieuses pour fournir des «données sur les personnes disparues», y compris des données ante-mortem. Cependant, le contact, a fortiori en utilisant des normes harmonisées, n’est pas systématiquement établi avec ces personnes, qui d’ailleurs ne le souhaitent pas forcément.
45. Les adultes n’ont peut-être pas l’intention de donner des informations sur le lieu où ils se trouvent ou sur leur situation. L’une des difficultés consiste à fournir des plates-formes fiables qui permettent à ces personnes d’expliquer leur situation afin que les autorités de police soient en mesure d’informer les membres de la famille que les personnes disparues se portent bien et sont en sécurité sans divulguer le lieu exact où elles se trouvent. C’est ce que propose, par exemple, la plate-forme caritative Missing People au Royaume-Uni.
46. Cependant, dans le cas des personnes migrantes de moins de 18 ans, l’un des principaux enjeux en Europe est l’absence d’enregistrement systématique des enfants non accompagnés ou séparés, comme le souligne la Résolution 2324 (2020) «Disparition d’enfants personnes réfugiées ou personnes migrantes en Europe». Ces enfants se révèlent particulièrement vulnérables s’ils ne sont pas systématiquement enregistrés lorsqu’ils deviennent adultes, comme l’a noté notre collègue Mme Rósa Björk Brynjólfsdóttir (Islande, GUE) dans son rapport «Une tutelle efficace pour les enfants personnes migrantes non accompagnés et séparés» (Doc. 15133).

3.3. Gestion, enregistrement et identification des corps

47. Des personnes migrantes peuvent être portées disparus puis retrouvées mortes. Il arrive aussi souvent que des corps soient trouvés et ne soient pas identifiés parce qu’ils ne font l’objet d’aucune recherche 
			(36) 
			Rencontre avec le Pr
Pavlos Pavlidis, hôpital universitaire, Alexandroúpolis, Grèce,
visite d’information, 7 mars 2024. ou parce que les procédures ne sont pas suffisamment standardisées et que les ressources ne sont pas disponibles pour traiter tous les cas de décès.
48. Pour identifier un corps, il faut procéder à un examen médico-légal approfondi pour recueillir les données post-mortem et les caractéristiques spécifiques du corps (cicatrices, tatouages, etc.). Les procédures d’identification, notamment en cas de mort subite et suspecte, sont définies dans la législation nationale. Or les mêmes procédures d’identification ne sont souvent pas appliquées en cas de décès de personnes migrantes disparues.
49. Les décès non signalés de personnes migrantes entrent dans la catégorie des nombreuses personnes invisibles et marginalisées qui sont enterrées sans être identifiées, dans un contexte général de pénurie de ressources judiciaires et médico-légales qui ne permet même pas d’enquêter sur les décès suspects de ressortissants nationaux 
			(37) 
			Conseil de l’Europe,
«<a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/enqu%C3%AAte-%C2%AB-totalement-insuffisante-%C2%BB-sur-une-mort-suspecte-et-r%C3%A9forme-des-enqu%C3%AAtes-criminelles'>Enquête
‘totalement insuffisante’ sur une mort suspecte et réforme des enquêtes
criminelles: Impact de la Convention européenne des droits de l’homme</a>», consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024.. En outre, ces décès ne sont peut-être pas accidentels mais provoqués par des actions indirectes, par négligence ou par acceptation du risque, ce qui peut donner lieu à des crimes tels que les «crimes par négligence» ou les «homicides involontaires». Ces cas doivent faire l’objet d’une enquête menée par les autorités compétentes.
50. Une fois retrouvé, le corps doit être conservé dans une morgue en attendant que les autorités compétentes entament le processus d’identification, si cela a été décidé, ou dans un cimetière, ce qui est coûteux. Au cours de l’élaboration de ce rapport, tous les médecins légistes ont insisté sur le fait que les morgues manquent d’espace pour conserver les corps jusqu’à l’autopsie et jusqu’à ce qu’un membre de la famille se manifeste auprès de la police. À titre d’exemple, le département médico-légal de l’hôpital universitaire d’Alexandroúpolis a reçu deux conteneurs réfrigérés du CICR, pouvant conserver 30 corps au total. Les deux conteneurs réfrigérés étaient pleins lors de la visite que j’ai effectuée au début du mois de mars 2024. Aucun financement public n’est par ailleurs disponible pour payer ces équipements.
51. En outre, les membres du personnel des laboratoires médico-légaux ne sont pas tous formés ou sensibilisés aux examens de corps non identifiés qui peuvent être ceux de personnes migrantes. En Grèce, il existe une douzaine de services de médecine légale, mais seuls quelques-uns (Alexandroúpolis, Lesvos, Rhodes, Samos) sont régulièrement sollicités pour examiner des corps non identifiés qui pourraient être ceux de personnes migrantes ayant traversé l’Evros ou la mer Égée.
52. Un problème se pose également lorsqu’il s’agit de trouver un lieu pour inhumer les personnes migrantes qui ont perdu la vie, notamment celles qui n’ont pas été identifiées. Dans les pays européens, des sections de cimetières sont parfois consacrées à ces personnes pour leur offrir une dernière demeure. Parfois, des terrains spécifiques sont alloués par les autorités locales pour les enterrer, comme à Sidiro, en Grèce.
53. Le manque d’harmonisation des procédures nationales, principalement conçues pour les cas de décès des citoyens enregistrés, rend la recherche d’une personne disparue extrêmement difficile, en particulier si le décès s’est produit lors d’un passage irrégulier d’une frontière; cette situation est exacerbée par les difficultés matérielles et financières auxquelles sont confrontées les autorités ainsi que les familles. 
			(38) 
			S.Grant,
«<a href='https://missingmigrants.iom.int/sites/g/files/tmzbdl601/files/publication/file/Mediterranean-Missing-Legal-Memo-290816.pdf'>Dead
and Missing Migrants: The Obligations of European States under International
Human Rights Law</a>», Mediterranean Missing Project,
IHRL briefing, septembre 2016 (anglais seulement); et
Commission européenne – Migration et affaires intérieures, «<a href='D:\Fichiers\Pro\CoE\AS Mig\Reports\My reports\Missing migrants\report\Navettes avec JP & LR\Last reviewing\EMN inform on separated and missing migrants - European Commission (europa.eu)'>EMN
inform on separated and missing personnes migrantes</a>», 2 juin 2021 (anglais seulement).
54. L’identification par l’ADN n’est pas une panacée dans le cas des personnes migrantes disparues. Premièrement, l’enregistrement de l’ADN n’est pas toujours suffisant ou disponible si la personne n’a pas fait enregistrer ses données biométriques ailleurs, si aucun membre de la famille ne fournit son ADN pour permettre une comparaison et une éventuelle correspondance, ou si la comparaison de l’ADN n’est pas autorisée par une législation spécifique protégeant les droits des détenteurs de données. Deuxièmement, il est aussi possible d’identifier une personne migrante dont le corps a été retrouvé grâce à d’autres informations uniques ou propres à cette personne, telles que des effets personnels ou des indices spécifiques présents sur le corps. Ces indices sont appelés «identifiants secondaires» et font généralement partie des données ante-mortem. Il faut cependant noter que ce type d’information est soit conservé dans l’éventualité où un membre de la famille identifierait le corps et réclamerait ces effets 
			(39) 
			Rencontre
avec la police hellénique, Athènes, Grèce, visite d’information,
6 mars 2024., soit détruit.
55. Les identifiants secondaires ne sont pas automatiquement consignés dans un registre et les survivants ne sont pas non plus systématiquement interrogés à la suite d’une catastrophe. S’ils le sont, l’interrogatoire ne satisfait pas toujours aux mêmes normes (axées sur la protection et la collecte d’informations permettant d’identifier qui étaient les personnes qui voyageaient avec lui ou elle et qui pourraient être les personnes disparues). Pourtant, ces informations peuvent être particulièrement utiles pour identifier un pays d’origine et ensuite utiliser les voies officielles pour entrer éventuellement en contact avec les membres de la famille pour confirmer l’identité d’une personne décédée 
			(40) 
			CICR,
«<a href='https://www.icrc.org/en/publication/4155-ante-mortem-post-mortem-database-information-management-application-forensic-data'>The
Ante-Mortem / Post-Mortem Database: An Information Management Application
for Forensic Data</a>», 2020 (anglais seulement)..

3.4. Associer les communautés et les familles

56. Tous les États ne disposent pas d’une représentation extérieure dans le pays où la personne décédée a été retrouvée (par exemple l’Afghanistan). En outre, les autorités officielles n’ont peut-être pas toujours la possibilité de vérifier que les informations et les documents fournis par les membres présumés des familles sont authentiques. À cet égard, les organisations communautaires peuvent constituer un canal informel utile pour contacter les familles.
57. Lorsqu’ils ont été identifiés, les membres éventuels de la famille doivent recevoir des explications sur la procédure d’identification et être invités à donner leur consentement éclairé concernant le partage de leurs données biométriques. Ces procédures doivent être conformes aux normes reconnues par les États entre lesquels les recoupements d’informations génétiques seront effectués, ce qui suppose bien entendu que chaque État concerné dispose d’un tel cadre juridique, fondé sur les normes pertinentes. Le procureur doit également prendre contact avec l’État où le corps a été trouvé pour lancer une demande d’identification dans le cadre d’une procédure judiciaire officielle.
58. Les familles ne peuvent pas toujours supporter les frais du partage d’un échantillon d’ADN avec les autorités compétentes et le coût d’obtention d’un visa peut également être un obstacle. En outre, il peut être difficile d’obtenir un visa pour se rendre sur place afin d’identifier le membre de la famille disparu, de lui rendre hommage et d’inhumer le corps dans le pays en question si le rapatriement est impossible.
59. Globalement, le coût de toute procédure entreprise, en particulier si une forme de rapatriement est envisagée, est donc très élevé, d’autant qu’il faut également tenir compte des frais de conseil juridique. Dans le cas de la Grèce, par exemple, le Last Rights Project a indiqué que «sans avocat et même s’il s’agit rarement d’un problème juridique, les autorités grecques n’interviendront pas en l’absence d’une représentation officielle des familles» 
			(41) 
			Echange de vues avec
M. Syd Bolton, cofondateur de l’initiative non gouvernementale «The
Last Rights Project», avec la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, 11 mai 2023..

3.5. De nombreux acteurs, de nombreuses pratiques, de nombreux ensembles de données

60. Dans le contexte des migrations internationales, les informations sont dispersées dans de nombreux pays et les familles se trouvent souvent en dehors de la juridiction avec laquelle elles doivent communiquer.
61. Dans certains cas, la personne disparue n’est pas nécessairement décédée. La localisation des personnes migrantes est extrêmement difficile pour de nombreuses raisons. Par exemple, les adultes sont parfois réticents à divulguer l’endroit où ils se trouvent, tandis que les enfants non accompagnés peuvent quitter des centres d’accueil de leur propre chef afin de retrouver des membres de leur famille ou des proches qui ne sont pas pour autant leurs tuteurs légaux.
62. Il n’est pas certain non plus que les informations inscrites sur les tombes des personnes migrantes soient les noms réels et les dates confirmées. Enfin, rien ne prouve que les autorités du pays d’origine présumé aient été informées.
63. Les organisations internationales telles que le HCR ou le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui enregistrent dans le cadre de leur mandat des informations sur les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile à chaque étape de leur parcours migratoire (services fournis, visites de centres de détention, signalement de personnes disparues), sont à juste titre réticentes à partager des informations sur des personnes qui peuvent encore être en vie et qui pourraient pâtir de ces échanges.
64. Les autorités nationales sont également très conscientes du fait qu’il ne faut pas partager indûment les données relatives aux personnes disparues qui sont ou pourraient être en vie, notamment en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants et des groupes particulièrement vulnérables tels que les victimes de la traite des êtres humains et les victimes de violences domestiques et fondées sur le genre.
65. La difficulté réside souvent dans l’absence d’un cadre juridique qui permette aux acteurs étatiques et non étatiques de soumettre les données qu’ils détiennent à la même plateforme afin de trouver d’éventuelles correspondances concernant des corps ou des dépouilles non identifiés. Les experts légistes ont besoin d’une autorité judiciaire pour autoriser le partage d’informations avec un tiers. Des organisations comme INTERPOL sont plus faciles à contacter pour le bureau du procureur car il s’agit d’une organisation internationale de coopération policière qui fonctionne sur la base des normes communes 
			(42) 
			Échange de vues avec
Mme Susan Hitchin, coordinatrice, Unité
ADN, Sous-direction de la criminalistique et de la gestion des données
de police, Secrétariat général d’INTERPOL, réunion de la Commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, 22 mars
2024..

3.6. Faire le lien entre les informations: quelles options?

66. Il est clair que l’un des principaux obstacles à la recherche des personnes disparues, qu’elles soient mortes ou vivantes, est le manque de compatibilité et d’échange d’informations entre les différentes bases de données. En effet, certaines sont gérées par des acteurs officiels, d’autres par des organisations non gouvernementales, sachant que toutes agissent selon des normes différentes, même si une certaine harmonisation est en cours.
67. La difficulté de traiter les données policières et non policières est un autre problème majeur. INTERPOL est régie par des normes strictes en matière de traitement des données, conformément à son Statut et à la Convention 108+ du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel. Ces garanties revêtent une importance particulière pour la question des personnes migrantes disparues, et ce pour au moins deux raisons: premièrement, INTERPOL insiste sur le fait que la disparition n’est pas un crime et veille à ce que les comparaisons visant à rechercher des personnes disparues, ou leur famille, dans les bases de données génétiques soient effectuées strictement par rapport à des données non pénales; deuxièmement, l’article 3 de son Statut (adopté en 1956) interdit à INTERPOL d’entreprendre «toute activité ou intervention dans des questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial».
68. Il s’agit de garanties contre le risque de manipulation ou d’utilisation abusive des données à des fins de discrimination raciale et contre toute incrimination injustifiée. En 2017 déjà, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reprenait à son compte les préoccupations exprimées par le Contrôleur européen de la protection des données, avait mis en garde contre le risque de discrimination et de profilage découlant du concept vague de «risque migratoire» utilisé par les États membres de l’espace Schengen dans le cadre du système européen d’information et d’autorisation de voyage 
			(43) 
			Agence
des droits fondamentaux de l’UE, «<a href='https://fra.europa.eu/en/publication/2017/impact-fundamental-rights-proposed-regulation-european-travel-information-and'>The
impact on fundamental rights of the proposed Regulation on the European
Travel Information and Authorisation System (ETIAS)</a>», 2017 (anglais seulement)..

4. Actions existantes au niveau international et dans toute l’Europe

4.1. Formation d’un consensus politique et établissement de normes: positions internationales et régionales

69. En 2018, les Nations Unies ont adopté le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (GCM) qui a été approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies et appelle spécifiquement les États à «sauver des vies et à mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les personnes migrantes disparues» (Objectif 8). L’objectif 8 du Pacte comprend une série d’ «actions associées», dont la promotion de la coopération internationale pour «retrouver, identifier et rapatrier dans leur pays d’origine les corps des personnes migrantes décédés» dans la dignité.
70. Les Nations Unies ont progressivement pris en compte la vulnérabilité des personnes migrantes à l’égard des disparitions forcées 
			(44) 
			Groupe de travail des
Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, op.cit.
p. 8.; ces efforts ont culminé en septembre 2023 avec l’adoption de la première observation générale sur les disparitions forcées dans le contexte de la migration par le Comité des Nations Unies sur les disparitions forcées 
			(45) 
			Échange
de vues avec Mme Milica Kolaković-Bojović,
experte auprès du Comité des disparitions forcées des Nations Unies,
et chercheuse principale à l’Institut de recherche criminologique
et sociologique de Belgrade (Serbie), réunion de la commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, 8 décembre
2023.. Au fil des ans, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a également souligné l’importance de mettre en œuvre des mesures préventives pour empêcher l’exécution illégale de toute personne, y compris les personnes migrantes, ainsi que l’importance de mener des enquêtes fiables pour identifier les personnes décédées, traduire les auteurs en justice et empêcher que ces crimes ne se reproduisent 
			(46) 
			HCDH,
«Principes des Nations Unies relatifs à la prévention efficace des
exécutions extra-légales, arbitraires et sommaires et aux moyens
d’enquêter efficacement sur ces exécutions»<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/principles-effective-prevention-and-investigation-extra-legal'>,
résolution 1989/65 </a>du Conseil économique et social, 24 mai 1989..
71. En 2016, le rapporteur spécial a soumis au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux. Bien que juridiquement non contraignant, le Protocole du Minnesota est aujourd’hui considéré comme une référence en matière d’enquête médico-légale sur les morts potentiellement illégales, en ce qui concerne les règles d’enquête, de fouille et d’autopsie applicables dans le contexte des exécutions illégales, compte dûment tenu du rôle et des obligations des autorités de l’État ainsi que des droits des familles (sauf si elles ont une quelconque responsabilité dans la cause de la mort).
72. Le CICR a joué un rôle très actif dans la consolidation des connaissances disponibles dans le monde pour faciliter l’harmonisation et la standardisation des procédures dans le cas particulier des personnes migrantes disparues 
			(47) 
			Voir
CICR, «<a href='https://www.icrc.org/fr/publication/4577-guidelines-coordination-and-information-exchange-mechanisms-search-missing-migrants'>Lignes
directrices relatives aux mécanismes de coordination et d’échange
d’informations concernant la recherche de personnes migrantes disparues</a>», «<a href='https://www.icrc.org/fr/publication/4578-guiding-principles-interaction-families-missing-migrants'>Principes
directeurs relatifs à l’interaction avec les familles des personnes
migrantes disparues</a>», et «<a href='https://www.icrc.org/fr/publication/4585-core-dataset-search-missing-migrants'>Ensemble
de données de base à collecter pour la recherche des personnes migrantes
portés disparus</a>», 2021.. En 2023, il a publié une fiche juridique compilant les informations les plus récentes sur les personnes portées disparues et leurs familles. En 2023, il a mis en place la solution «Missing Persons Digital Matching», un nouveau moyen numérique de rechercher des personnes disparues dans les bases de données du CICR, des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et éventuellement dans les futures bases de données de ses partenaires (organisations internationales et bases de données gouvernementales, mais aussi certaines bases de données non gouvernementales approuvées).
73. INTERPOL a élaboré un Guide sur l’identification des victimes de catastrophes qui est régulièrement mis à jour (la dernière version a été publiée en 2023) et qui constitue la seule référence internationale acceptée dans ce domaine. INTERPOL, qui partage depuis longtemps une expertise en matière d’évaluation biométrique des affaires, dispose d’une capacité unique de diffusion et de partage des données de police, fondée sur des garanties solides inscrites dans le Règlement d’INTERPOL sur le traitement des données. L’organisation a également adopté des règles sur le traitement des données qui fixent les conditions de coopération des organisations internationales en matière de traitement des données à caractère personnel, et qui prévoient que l’enregistrement des données des personnes décédées dans les ensembles de données ne peut être effectué que dans des cas spécifiques, y compris à des fins d’identification.
74. Les organisations régionales ont également adopté des résolutions qui viennent à l’appui de l’action politique sur cette question particulière, notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2021 et le Parlement européen en 2023 
			(48) 
			Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples, «Résolution sur les personnes
migrantes et personnes réfugiées disparus en Afrique et l’impact
sur leurs familles» (<a href='https://achpr.au.int/fr/adopted-resolutions/486-resolution-sur-les-migrants-et-refugies-disparus-en-afrique-et-les/'>ACHPR/Res</a>.<a href='https://africanlii.org/akn/aa-au/statement/resolution/achpr/2021/486/fra@2021-07-28'> 486
(EXT.OS/XXXIII)</a>), 28 juillet 2021; et Parlement européen, «Résolution
sur la nécessité d’une action de l’UE en matière de recherche et
de sauvetage en Méditerranée» (<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0293_FR.html'>2023/2787(RSP)</a>), 13 juillet 2023..
75. En 2024, un axe de travail a été établi entre le HCR, l’OIM, le CICR et la FICR en vue de renforcer la volonté et l’action politiques concertées sur la fourniture d’une assistance humanitaire aux personnes migrantes en détresse afin de prévenir les pertes de vies humaines en transit 
			(49) 
			Réseau des Nations
Unies sur les migrations, «<a href='https://migrationnetwork.un.org/actionable-recommendations-missing-migrants-and-providing-humanitarian-assistance-migrants-distress'>Actionable
recommendations on missing personnes migrantes and providing humanitarian
assistance to personnes migrantes in distress</a>», consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024..

4.2. Lenteur de la mise en œuvre des réponses fondées sur des politiques publiques

76. Les appels à des réponses politiques ont trouvé peu d’écho auprès des entités politiques nationales, malgré le nombre d’actions engagées par les acteurs non gouvernementaux 
			(50) 
			CICR, «<a href='https://www.icrc.org/en/document/hellenic-parliament-icrc-address-humanitarian-needs-missing-migrants-families'>Hellenic
Parliament, ICRC address humanitarian needs of missing personnes
migrantes, families</a>», Communiqué de presse du CICR, 10 mai 2019 (anglais
seulement); et CIPM, «<a href='https://www.icmp.int/news/greek-minister-for-migration-hosts-third-icmp-facilitated-discussion-on-missing-migrants-in-the-mediterranean-with-cyprus-italy-and-malta/'>ICMP
Greek Minister for Migration Hosts Third ICMP-Facilitated Discussion
On Missing Personnes migrantes in the Mediterranean with Cyprus,
Italy and Malta</a>», communiqué de presse de la CIPM, 19 novembre 2021
(anglais seulement). pour accompagner l’adoption de réformes juridiques, voire relancer au niveau national l’impulsion donnée à l’échelon international, y compris par les représentants des États et des gouvernements lors de l’approbation du GCM.
77. En septembre 2023, une «réunion thématique sur la séparation des familles et les personnes disparues dans le contexte de la migration» a été organisée dans le cadre du Dialogue euro-africain sur la migration et le développement (processus de Rabat) facilité par le CICR. Lors de la dernière réunion, en février 2024, les fonctionnaires de haut niveau du processus de Rabat ont approuvé la recommandation appelant à nommer un point focal national sur les personnes migrantes disparues dans chaque État membre du processus de Rabat, afin de faciliter la coopération intergouvernementale et les discussions multilatérales. Actuellement, six pays membres du processus ont désigné des points focaux (Suisse, Gambie, Côte d’Ivoire, Malte, Tchad et Sénégal).
78. En mars 2024, les autorités belges ont modifié la loi sur l’identification par analyse de l’ADN dans les procédures pénales: l’utilisation de cette technologie est désormais élargie à l’identification des personnes disparues et des corps non identifiés, notamment dans le cadre du partage d’informations avec les bases de données européennes et internationales 
			(51) 
			 «Loi
modifiant le code d’instruction criminelle, loi du 22 mars 1999
relative à la procédure d’identification par analyse ADN en matière
pénale et loi du 5 août 1992 sur la fonction de police», 7 mars
2024, <a href='https://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2024/03/07/2024002110/moniteur'>Le
Moniteur Belge</a>.. Cette législation a facilité la recherche de profils dans les bases de données ADN et I-Familia d’INTERPOL, ce que l’organisation a considéré comme un message fort envoyé à d’autres pays sur l’utilisation de la coopération policière internationale pour «aider les familles à obtenir des réponses» 
			(52) 
			INTERPOL, «<a href='https://www.interpol.int/fr/News-and-Events/News/2024/INTERPOL-welcomes-new-DNA-legislation-in-Belgium'>INTERPOL
salue la nouvelle loi relative aux profils ADN en Belgique</a>», 11 avril 2024..

4.3. Mission d’information en Grèce

79. En juin 2023, les autorités grecques ont activé le protocole d’identification des victimes de catastrophes (IVC) pour identifier les victimes du naufrage de l’Adriana, qui transportait environ 750 personnes et qui a coulé dans l’un des endroits les plus profonds de la région. La division des sciences médico-légales et le département de l’unité IVC de la police hellénique ont décrit en détail le travail particulièrement technique et psychologiquement exigeant que leurs équipes mènent pour retrouver et identifier les corps des personnes décédées. La dernière mise à jour, qui date de mai 2024, indiquait que 74 personnes avaient été identifiées (31 Égyptiens, 21 Pakistanais et 28 Syriens).
80. L’unité IVC a veillé à ce que des psychologues soient présents pour soutenir les proches et les amis des personnes disparues lors du naufrage. Elle a également coopéré avec les ambassades et a fait parfois appel aux services de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et à la Commission internationale pour les personnes disparues (CIMP) pour jouer le rôle d’intermédiaire avec les autorités lorsque les familles préféraient éviter tout contact trop direct avec les entités officielles (par exemple dans le cas de la Syrie) 
			(53) 
			Amnesty International
et Human Rights Watch, «<a href='https://www.hrw.org/fr/news/2023/12/14/grece-6-mois-apres-le-naufrage-de-pylos-la-justice-na-toujours-pas-ete-rendue'>Grèce:
6 mois après le naufrage de Pylos, la justice n’a toujours pas été
rendue», 2023.</a>. Diverses parties prenantes nationales, du bureau du médecin légiste au secrétaire général de la protection civile, en passant par le ministère des Affaires étrangères, mais aussi d’autres équipes d’identification des victimes de catastrophes dans d’autres pays de l’Union européenne, ont été associées.
81. En ce qui concerne les mécanismes de prévention, j’ai pu échanger avec le Secrétaire général chargé des personnes vulnérables et de la protection institutionnelle au ministère des migrations et de l’asile, qui m’a fourni des informations détaillées sur le mécanisme national de réponse aux urgences depuis 2020 
			(54) 
			Commission européenne
«<a href='https://migrant-integration.ec.europa.eu/library-document/national-emergency-response-mechanism-protection-unaccompanied-children-needs_en'>Greece:
National Emergency Response Mechanism for the protection of unaccompanied children:
from needs assessment to response», 13 avril 2023 (anglais seulement).</a>. Cette initiative, qui vise à assurer une transition en douceur vers l’âge adulte pour les jeunes adultes, devrait être considérée comme une bonne pratique pour éviter que les mineurs qui atteignent l’âge de 18 ans ne soient privés de tout statut administratif.
82. En outre, en septembre 2021, la Commission nationale des droits de l’homme a décidé de mettre en place un mécanisme d’enregistrement des retours forcés informels. Dans son rapport sur l’État de droit de 2023, la Commission européenne a reconnu qu’il s’agissait d’une bonne pratique visant à «renforcer l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains qui auraient été commises et signalées». La Commission a ajouté que cette pratique pouvait être utilisée pour clarifier les cas de personnes migrantes disparues et amener les auteurs de disparitions forcées à rendre des comptes 
			(55) 
			Commission européenne,
«2023 Rule of Law Report – Country Chapter Greece» (<a href='https://commission.europa.eu/publications/2023-rule-law-report-communication-and-country-chapters_en'>SWD(2023)
808 final</a>), p.24 note de bas de page 219 qui fait reference la
Commission nationale des droits humains, «Impact of 2022 ENNHRI
rule of law reporting», 5 juillet 2023<a href=''> (anglais
seulement).</a>.
83. Je me félicite tout particulièrement de mes échanges avec des membres du Parlement grec ainsi qu’avec le ministre grec des migrations et de l’asile, qui ont tous convenu qu’il fallait faciliter l’octroi de visas aux personnes qui souhaitent identifier des membres décédés de leur famille dont le corps a été retrouvé en Grèce. Le ministre s’est engagé à demander aux services consulaires grecs d’accélérer les demandes de visas à court terme déposées par les familles pour se rendre en Grèce.

4.4. Les organisations internationales qui élaborent des outils de coopération transfrontalière

84. Le Réseau des liens familiaux, coordonné par l’Agence centrale de recherches (CTA) du CICR, fournit des services gratuits et confidentiels aux familles et aux personnes qui sont à la recherche de leurs proches et/ou qui souhaitent s’informer de leur sort et rétablir le contact avec leur famille. Les services de Rétablissement des liens familiaux, sous la coordination du CTA, sont équipés d’un ensemble d’outils/plateformes numériques qui permettent de gérer les cas particuliers et de rechercher les personnes portées disparues 
			(56) 
			Voir le <a href='https://tracetheface.familylinks.icrc.org/start-your-search/?page=1&lang=en'>Portail
Trace The Face</a> et la <a href='https://shop.icrc.org/a-comprehensive-web-based-solution-for-managing-information-on-missing-persons-and-human-remains-pdf-en.html'>Plateforme
«Resolve» (outil interne qui peut être fourni aux autorités) (en
anglais seulement), consultés pour la dernière fois le 17 juin 2024.</a>.
85. En 2021, INTERPOL a lancé une base de données innovante et unique appelée «I-Familia», qui permet aux familles de se manifester et de fournir leur ADN en bénéficiant de garanties appropriées. Cette plateforme vient en complément du système Prüm (pour tous les États membres de l’espace Schengen qui en font partie) qui a récemment été étendu aux informations ADN non criminelles sur les personnes disparues et les corps non identifiés. Contrairement au système Prüm, I-Familia peut apporter une aide lorsqu’un profil direct fait défaut et que les familles sont connues.

4.5. Initiatives locales

86. La participation de certains médecins légistes est un exemple frappant de l’humble nécessité pour les professionnels d’honorer les personnes décédées et de répondre aux besoins des familles. À Alexandroúpolis, le Professeur Pavlidis a systématiquement conservé les effets récupérés sur les cadavres dans l’espoir qu’un·e membre de la famille reconnaisse un jour un collier, une écriture sur un morceau de papier ou un porte-clés. A Paris, l’Institut médico-légal a élaboré son propre protocole de coopération avec la justice parisienne afin que les procureurs autorisent l’autopsie systématique des corps non identifiés.
87. Des volontaires se sont également engagés auprès du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. A Catane, les habitants qui participent à l’accueil des personnes migrantes ont commencé, en coordination avec le réseau Family Links dont fait partie la Croix-Rouge italienne, à collecter toutes les informations possibles sur les personnes enterrées dans la partie du cimetière local attribuée aux personnes migrantes 
			(57) 
			C.
Kobelinsky et F. Furri, <a href='https://shs.hal.science/halshs-03038850'>«Hosting the
dead by migration. The treatment of lifeless bodies in Catania (Sicily)</a>», COMPAS – série
de documents de travail sur «comparaison entre les migrations en
Amérique latine et dans la Méditerranée: violence, cruauté d’État
et résistance (non-)institutionnelle» (Migrations in Latin America
and the Mediterranean compared: Violence, state cruelty and (un-)institutional
resistance), 2020 (anglais seulement).. En Espagne, avec le soutien du CICR, la Société nationale a élaboré un programme spécifique visant à recueillir des informations auprès de diverses sources, notamment les survivants des naufrages, afin de reconstituer la liste des passagers et de fournir des réponses partielles aux familles.
88. Partout dans le monde, des collectifs de familles et des ONG ont élaboré diverses réponses. Qu’il s’agisse d’activités psychosociales ou de collectes de fonds pour contribuer à financer la représentation juridique, le rapatriement, l’enterrement ou les frais de voyage, les rassemblements publics pour commémorer la mémoire des personnes disparues ou la publication de brochures dans différentes langues pour aider les familles à trouver l’autorité qui doit être contactée pour signaler une personne disparue dans un pays étranger et régler les questions administratives, les initiatives non gouvernementales offrent un espace unique qui permet à ces familles et ami.es d’exprimer leurs doléances et leur tristesse 
			(58) 
			Asociacion SOS Desaparecidos,
«<a href='https://sosdesaparecidos.es/guias-y-protocolos/'>Guía
de información para familias de desaparecidos </a>», 2018 (espagnol seulement); et Boats4People, «<a href='https://boats4people.org/guide/fr/'>Guide
d’information pour les familles et leurs soutiens </a>», 2017..

5. Recommandations

5.1. Reconnaître que la question est d’intérêt public

89. Il serait bon qu’un budget public approprié soit alloué pour prévenir les cas de disparition de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, et pour répondre aux besoins en matière de recherche, d’enquête, d’identification, d’inhumation ou de rapatriement. Il faudrait également mettre des ressources à la disposition des professionnel·les de tous les secteurs qui participent à la prévention et au traitement des cas de personnes migrantes disparues, tels que le pouvoir judiciaire (en particulier les procureurs), les administrations chargées des affaires sociales, les forces de police, les services de médecine légale et les médecins légistes, les consulats, les agences de garde-côtes et de garde-frontières, les autorités chargées de la protection des données et le bureau du médiateur.
90. Ces différents acteurs devraient être formés aux procédures standard relatives à la prévention et à la recherche des personnes migrantes disparues, ainsi qu’à l’identification des corps ou des restes de corps retrouvés.
91. Toute approche politique devrait tenir compte de l’avis des acteurs non étatiques et des organisations internationales telles que le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, INTERPOL, l’OIM, le HCR, qui mettent leur expertise en commun dans ce domaine et qui peuvent servir d’intermédiaires fiables avec les familles des personnes migrantes disparues ou avec les personnes migrantes désireuses d’informer sur l’endroit où elles se trouvent.
92. La coordination d’une telle approche politique pourrait être assurée par une entité officiellement chargée d’assurer la liaison entre l’ensemble des acteurs officiels et non gouvernementaux au niveau national, et servir d’interface avec des entités extérieures, comme le réseau de correspondants sur les personnes migrantes disparues qui est actuellement mis en place avec le soutien du CICR.
93. Les médecins légistes et les services de médecine légale devraient être formés et bénéficier de conditions de travail appropriées, tant sur le plan matériel qu’en termes de formation et de ressources humaines. De telles ressources sont nécessaires pour enquêter sur les causes de la mort des nombreux corps non identifiés que l’on trouve en grand nombre dans toute l’Europe et les enregistrer, en particulier à ses frontières terrestres et maritimes, ce qui est tragique.

5.2. Un phénomène qui n’est pas inéluctable: les mécanismes de prévention

94. Il est important de mettre en place des mesures préventives et des politiques pour aider les personnes en situation de déplacement, quel que soit leur statut, à accéder à l’aide humanitaire tout au long des routes migratoires, conformément aux recommandations du CICR et à l’«approche fondée sur les routes» promue par le HCR et l’OIM.
95. Il est important également de pouvoir déployer systématiquement et rapidement des mécanismes de recherche et de sauvetage sur terre et en mer chaque fois qu’un groupe de personnes en détresse est signalé aux autorités compétentes.
96. En outre, les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile devraient bénéficier de conditions d’accueil décentes et dignes lorsqu’elles sont enregistrées officiellement par les autorités de l’État, ce qui réduira le risque de vulnérabilité et de disparition. Dans toutes les procédures engagées, une attention particulière devrait être accordée à la vulnérabilité et aux besoins des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, notamment les enfants, en particulier lorsqu’ils ne sont pas accompagnés.
97. En Europe, l’un des principaux problèmes tient à l’absence d’enregistrement systématique des enfants non accompagnés ou séparés. Il convient de rappeler que le GRETA a élaboré, à l’intention des États membres, des lignes directrices sur les politiques d’enregistrement tout en mettant particulièrement en garde contre le risque de disparition d’enfants victimes de la traite 
			(59) 
			GRETA, «<a href='https://edoc.coe.int/fr/traite-des-etres-humains/11662-12e-rapport-general-sur-les-activites-du-greta-couvrant-la-periode-du-1er-janvier-au-31-decembre-2022.html'>12ème
Rapport général</a>», 2023..
98. Des mécanismes effectifs de regroupement familial devraient être mis en place pour toute personne officiellement enregistrée dans un pays, qu’il s’agisse d’un demandeur d’asile dont la demande est en cours ou d’un membre de la famille d’un travailleur migrant.
99. Toutes les personnes privées de liberté dans des lieux de rétention ou dans des lieux de rétention de fait sous la supervision des autorités officielles devraient être systématiquement enregistrées et bénéficier d’un accès effectif à leurs droits procéduraux et à une communication avec le monde extérieur, conformément à la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126) et à la Convention européenne des droits de l’homme.

5.3. Recherche effective des personnes disparues: mécanismes de signalement et d’enquête

100. Les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile ont besoin de plateformes fiables pour faire connaître leur situation afin que les autorités policières puissent informer les membres de leur famille qu’ils vont bien et qu’ils sont en sécurité sans divulguer le lieu exact où ils se trouvent.
101. Toute personne portée disparue doit être recherchée. Chaque personne doit pouvoir signaler la disparition d’un membre de sa famille ou d’une connaissance sans craindre une vérification de son casier judiciaire ou de sa situation administrative. Les mécanismes de signalement devraient être accessibles aux proches ou autre source fiable afin que les décès non naturels qui pourraient être dus à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires fassent l’objet d’une enquête approfondie, rapide et impartiale.
102. Il serait bon que les organisations communautaires, les organisations de défense des droits des personnes migrantes et les organisations internationales qui fournissent des services aux personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile soient considérées comme des intermédiaires de confiance habilitées à signaler aux autorités nationales compétentes les cas de personnes disparues.
103. Il importe également que les entités non gouvernementales soient capables de respecter les normes appropriées lorsqu’elles communiquent avec des groupes vulnérables ou des personnes qui se présentent comme membres de la famille mais dont l’identité n’est pas certaine. Elles doivent également bénéficier de la confiance des autorités.
104. Il serait utile que des entretiens soient menés avec les personnes migrantes qui bénéficient d’une aide humanitaire tout au long de leur voyage afin d’identifier les éventuels cas de personnes disparues en cours de route. Ces entretiens, qui ne devraient être menés que par des interlocuteurs formés, doivent être impérativement conduits sur la base du volontariat, selon une démarche sensible aux besoins de protection, en tenant dûment compte de la grande vulnérabilité des personnes interrogées. Les informations recueillies ne devraient être communiquées qu’avec le consentement de la personne interrogée et n’avoir pour but que d’informer l’autorité compétente que le cas de disparition fait l’objet d’une recherche et d’une enquête éventuelle. Il est recommandé que ce partage d’informations ne soit effectué qu’à des fins humanitaires, directement avec les autorités compétentes ou avec un intermédiaire de confiance qui informera les autorités compétentes.

5.4. Récupération et identification des corps des personnes décédées: la nécessité de disposer de normes harmonisées au niveau international

105. Le déploiement d’unités d’identification des victimes de catastrophes dans le cadre de naufrages de personnes migrantes, à l’exemple du travail effectué par la police grecque, doit être considéré comme une bonne pratique.
106. Il faudrait qu’une coopération en matière de partage de données soit possible entre les autorités nationales et que des autorités nationales indépendantes de protection des données y participent, dans le respect le plus strict des normes de protection des données. Il faudrait également que la recherche d’éventuelles correspondances entre divers ensembles de données dans différents pays ne soit effectuée qu’à des fins humanitaires et en pleine conformité avec la Convention 108+ du Conseil de l’Europe et en coopération avec le CICR et INTERPOL.
107. Les identifiants secondaires doivent être systématiquement collectés et enregistrés dans une base de données disponible pour faciliter l’identification d’une personne décédée ou de restes humains non identifiés. Dans le même esprit, les entretiens avec les personnes qui ont bénéficié d’une assistance humanitaire tout au long de leur parcours migratoire peuvent aider à signaler les cas de personnes décédées et à faciliter leur identification. Des mesures de protection doivent s’appliquer lors des échanges avec les personnes interrogées.
108. Tous les États membres du Conseil de l’Europe devraient adhérer à la version modernisée de la Convention 108 (Convention 108+). L’harmonisation avec la norme mondialement reconnue en matière de protection des données permettra aux acteurs de la coopération transfrontalière en matière de recherche et d’identification des personnes disparues, y compris les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, de respecter pleinement le droit à la vie privée tout en optimisant le partage des données entre les autorités nationales, sous le contrôle d’autorités indépendantes de protection des données dûment établies.
109. Toute mort suspecte ou non naturelle devrait faire l’objet d’une enquête systématique et approfondie, et les familles devraient être informées des résultats de cette enquête et obtenir le rapatriement du corps de leur proche, conformément à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et au Protocole du Minnesota.
110. Toute enquête sur une mort suspecte ou non naturelle doit également comporter l’identification de la cause du décès et des personnes responsables de ce décès. En cas d’identification de ces personnes, les auteurs devraient être traduits en justice et les victimes, y compris les familles, devraient obtenir réparation, sauf si celles-ci ont participé au crime commis. Les mécanismes effectifs de contrôle des droits humains en cas de retour et de surveillance des frontières doivent être considérés comme des instruments qui peuvent contribuer à clarifier les cas de personnes migrantes disparues et à amener les auteurs de disparitions forcées à rendre compte de leurs actes.
111. Des procédures standard devraient être adoptées dans tous les États membres en ce qui concerne les exhumations et l’autopsie, comme indiqué dans les lignes directrices détaillées du Protocole du Minnesota (lignes directrices C et D).
112. Un réseau de procureurs sur la question des personnes migrantes disparues au niveau du Conseil de l’Europe constituerait un forum de discussion très utile pour commencer à débattre très concrètement de cette question. Il peut être utile de réfléchir aux synergies possibles avec les initiatives qui existent au niveau régional, notamment le réseau des correspondants sur les personnes migrantes disparues.
113. Que la mort soit naturelle ou non, il est important que les droits à la protection des données des membres de la famille soient pleinement respectés lors du processus d’identification d’une personne migrante disparue dont le corps a pu être retrouvé, conformément aux normes établies dans la Convention 108+.

5.5. Organismes de gestion

114. Il est essentiel de procéder au marquage des tombes et à une forme d’enregistrement. Comme ce n’est pas systématiquement le cas, les familles qui sont susceptibles de venir des années après le décès pour essayer d’identifier la tombe d’un membre de leur famille peuvent se heurter à de graves difficultés. L’entretien des tombes s’avère également coûteux et est généralement assuré dans le cadre d’initiatives non gouvernementales.
115. Il conviendrait que les États membres reconnaissent que le champ d’application des normes qui sont applicables au traitement des corps et des restes humains et qui sont fixées par le droit international humanitaire aille au-delà des situations dans lesquelles ce droit s’applique.
116. Les personnes ne doivent pas être portées disparues deux fois: toute personne, qu’il s’agisse d’un corps ou de restes humains, ne doit jamais être enterrée sans avoir été identifiée. Cette identification peut prendre la forme d’un numéro en l’absence de tout autre élément d’identification à caractère personnel. Les tombes doivent être individualisées, enregistrées et cartographiées afin de pouvoir être localisées en cas d’identification tardive.
117. Il est important de noter que le Comité des ministres a adopté la Recommandation R(99)3 relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale: ce document, bien que non contraignant, fournit des normes qui sont très utiles, qui sont reconnues à l’échelle européenne et qui peuvent constituer un document politique pertinent pour engager des discussions sur la question particulière des personnes migrantes disparues.

5.6. Réflexion sur la protection et la dignité du défunt

118. «Toute personne a le droit d’être identifiée après sa mort, avec exactitude et de manière respectueuse et digne. Il faut y voir un signe clair de société civilisée.» C’est ainsi que la responsable de l’unité médico-légale de la police grecque a commencé son exposé lors de ma visite en mars 2024. Cette phrase illustre bien l’existence d’un lien qui mérite d’être étudié pour s’interroger sur le fondement juridique possible d’un appel au respect et à la protection des droits des défunts.
119. La décision du rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires de faire un rapport sur «la protection des personnes décédées et de leurs restes humains, y compris les victimes d’exécutions potentiellement illégales» confirme l’actualité de cette question. Le rapporteur spécial observe «un corpus croissant de jurisprudence et de pratiques nationales et internationales fondées sur les droits de l’homme qui visent à protéger les morts et les droits de leur famille endeuillée» et conclut que «la dignité d’une personne et le respect dû à son corps et à ses restes humains ne cessent pas avec la mort». Il observe en outre que «[l]a protection du droit à la vie, les droits de la famille du défunt et le traitement des morts sont donc étroitement liés» 
			(60) 
			Rapporteur
spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires,
«Protection des morts» (<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/thematic-reports/ahrc5656-protection-dead-report-special-rapporteur-extrajudicial-summary'>A/HRC/56/56</a>), 25 avril 2024..
120. En outre, l’exposé des motifs de la Convention 108+ indique que «[l]a Convention (...) n’a pas vocation à être appliquée aux données des personnes décédées. Cela n’empêche pas les Parties d’étendre la protection aux personnes décédées.» (paragraphe 30).
121. La question des obligations légales liées à la dignité du défunt soulève la question des «derniers droits» 
			(61) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/asmiginf-2024-15-contribution-reflexion-sur-la-dignite-des-defunts-278/1680b1a052 '>AS/Mig/Inf(2024)15</a>.. Le Protocole du Minnesota énonce que «[l]a récupération et le traitement des restes humains – qui sont les éléments de preuve les plus importants qu’on puisse trouver sur les lieux d’un crime − sont des tâches qui exigent une attention et des soins particuliers, y compris de respecter la dignité du défunt et de se conformer aux meilleures pratiques de la médecine légale». Le Pr. Catherine Dupré considère que si le droit relatif aux droits humains a été élaboré pour les vivants, le droit des traités ne limite pas la dignité aux personnes vivantes 
			(62) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Affaire Akpinar et Altun c. Turquie, (requête
n° 56760/00), 27 mai 2007: <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-79603%22]}'>opinion
partiellement dissidente du juge Fura-Sandström</a>, paragraphes 2-5; Professeur Catherine Dupré, Professeure Catherine
Dupré, réunion en ligne, 12 avril 2024; C. Dupré (2016), The Age of Dignity: Human Rights and Constitutionalism
in Europe, Bloomsbury (anglais uniquement). www.bloomsbury.com/uk/age-of-dignity-9781509900398/..
122. En faisant référence à l’«humanitarisme médico-légal» 
			(63) 
			C. Moon, «<a href='https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-32926-6_3'>What
Remains? Human Rights After Death</a>» in: Squires, K., Errickson, D., Márquez-Grant, N. (eds)
(2019) Ethical Approaches to Human Remains. Springer, Cham. 27 October
2020 (anglais uniquement). et aux «derniers droits» dans son rapport sur les exécutions sommaires et les fausses communes en 2020, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires (2016-2021) semble d’avis que de tels droits existent 
			(64) 
			Rapporteuse spéciale
des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires
ou arbitraires, «<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2020/10/un-expert-international-community-must-do-more-protect-mass-graves'>La communauté
internationale doit faire plus pour protéger les fosses communes,
selon une experte de l’ONU</a>», 28 octobre 2020..

5.7. Soutenir et protéger les familles

123. Il est essentiel de donner des garanties aux familles et de reconnaître leurs droits non seulement en tant que victimes, mais aussi comme parties prenantes, dans la clarification du sort des personnes migrantes disparues. Les protocoles et les approches axées sur la protection sont primordiaux.
124. L’accès aux visas doit être plus ouvert afin de faciliter les recherches transnationales et de permettre aux personnes de rendre hommage à leurs proches disparus.
125. La possibilité donnée aux autorités nationales de délivrer des certificats d’absence reconnus dans l’ensemble des pays européens peut aider les membres de la famille à continuer d’exister légalement au lieu d’être bloqués dans diverses procédures administratives qui peuvent durer des années.
126. La Convention 108 a été ratifiée par tous les États membres et par neuf États non-membres. Il est important de noter que la Convention a été complétée par un protocole additionnel concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontaliers de données (STE n° 181), ouvert à la signature en novembre 2001. A ce jour, il a été ratifié par 44 États membres et par 8 États non-membres 
			(65) 
			États non-membres ayant
ratifié la Convention STCE n° 108+: Argentine, Cap-Vert, Île Maurice,
Mexique, Maroc, Fédération de Russie, Sénégal, Tunisie et Uruguay.
États non-membres ayant ratifié la STE n° 108: Argentine, Cap-Vert, Île
Maurice, Mexique, Maroc, Fédération de Russie, Tunisie et Uruguay.. Ce cadre juridique est utile dans le contexte international car il protège les droits des membres de la famille présents dans les pays signataires, notamment dans les pays partenaires du Conseil de l’Europe signataires de la Convention.

6. Conclusion

127. La réalité des personnes migrantes disparues dans le cadre des migrations présente de multiples facettes et ne peut pas être traitée dans le cadre d’une politique unique. Les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile peuvent décider de ne pas révéler leur situation ou le lieu où elles se trouvent; d’autres peuvent être dans l’incapacité de communiquer avec leur famille; d’autres encore sont peut-être décédées.
128. La demande d’action publique est réelle. Les familles ne renoncent pas à chercher des informations sur le lieu où se trouvent leurs proches disparus. Le tragique naufrage de l’Adriana au large de Pylos, qui a eu lieu en Grèce en juin 2023, l’a bien montré. Des membres de familles venus du monde entier ont alors afflué en Grèce, cherchant désespérément à obtenir des nouvelles de leurs proches.
129. Des outils existent à différents niveaux pour empêcher les disparitions de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile. Le Conseil de l’Europe lui-même dispose de nombreux instruments qui peuvent accompagner et aider les États à aborder la question des personnes migrantes disparues de manière intégrée. Cela permettra de prévenir les disparitions, d’identifier les personnes qui ont perdu la vie et de faire en sorte que les auteurs de disparitions forcées rendent compte de leurs actes.
130. La voix et le soutien du Conseil de l’Europe sont essentiels pour renforcer la coopération internationale avec les partenaires extérieurs de l’Organisation, aider les États membres à relever certains des défis complexes et harmoniser les normes dans le respect des obligations en matière de protection des données. Cette coopération et cette harmonisation sont particulièrement nécessaires pour localiser et identifier les personnes migrantes qui ont perdu la vie le long des routes migratoires.