1. Introduction
1. Le passage au numérique a creusé
un retard notable entre un public bien familiarisé avec cette technologie
et des structures institutionnelles qui, conçues à l’ère industrielle
pour un monde moins interconnecté, s’essoufflent à suivre la rapide
diffusion de l’information et les nouveaux modes d’interaction des
personnes entre elles et avec les autorités. Alors que les flux
d’informations étaient jusque-là étroitement contrôlés d’en haut
par des médias comme la télévision, la radio et la presse, les plateformes
numériques d’aujourd’hui permettent de communiquer directement «en
duplex», ce qui bouleverse la manière dont on reçoit l’information
et y répond.
2. Le processus démocratique et la recherche du consensus, essentiels
à l’ère industrielle, sont remodelés par les technologies numériques.
Les outils et plateformes électroniques modernes offrent d’extraordinaires possibilités
de former des consensus et facilitent des modes plus inclusifs de
prise des décisions. Cette transformation n’est pas sans problèmes,
car l’innovation technologique dépasse souvent la capacité d’adaptation
humaine. Cela peut ouvrir des failles entre le fonctionnement des
institutions et les attentes de populations nourries d’expériences
de l’environnement numérique.
3. Historiquement, la vie et l’identité d’une personne étaient
façonnées dans une large mesure par les institutions de son temps,
elles-mêmes issues de la pensée de l’ère industrielle. Ces institutions
n’étaient pas seulement des structures physiques, elles englobaient
aussi des normes, des valeurs et des attentes qui régissaient la
vie publique. Les plateformes numériques d’aujourd’hui dominent
en revanche les interactions culturelles et sociales ; elles évincent
fréquemment les sentinelles institutionnelles traditionnelles, armant l’individu
de plus d’autonomie et d’influence que jamais. Cette profonde mutation
nous fait passer d’une culture et d’une information parachutées
à une forme d’engagement plus démocratisée et participative, qui
donne à chacun le pouvoir de remettre en question et de redéfinir
des normes en temps réel.
4. Le métavers dissocie la présence cognitive de la présence
physique de l’être humain, en lui offrant une expérience profondément
immersive et intensément subjective. Cet engagement intense facilite
la participation active, et permet aux utilisateurs d’interagir
d’une manière auparavant de l’ordre de l’imaginaire. Dans le système
adaptatif complexe que constitue notre société, même des variations
infimes de fréquence, de densité ou d’intensité des interactions
peuvent impulser de grands changements à long terme. Le métavers amplifie
ces interactions, et peut remodeler plus profondément que jamais
les structures et les dynamiques de nos sociétés. Cela aura sans
doute des effets sur la démocratie, les droits humains et l’État
de droit.
5. Mon rapport donne un aperçu des possibilités et risques qu’offrent
ces technologies émergentes, et formule des recommandations favorisant
la prise de décisions positives atténuant en même temps les menaces.
Il convient de veiller à la répartition équitable au sein de la
société des bénéfices des avancées technologiques et à l’atténuation
de leurs effets négatifs, en particulier pour les groupes les plus
vulnérables. À cette fin, il est essentiel d’adopter une approche
multipartite associant les gouvernements, les organisations de la
société civile, le secteur privé et les organisations internationales.
6. Le présent rapport s’appuie sur le
rapport
d’expertes élaborée par Mme Verity McIntosh,
professeure agrégée en réalités virtuelles et étendues à l’Université
de l’Ouest de l’Angleterre (Royaume-Uni), et par Mme Catherine
Allen, PDG, Limina Immersive, Royaume-Uni. Je tiens à exprimer ma
profonde gratitude aux deux expertes, ainsi qu’aux nombreux autres
spécialistes qui ont contribué aux travaux de la Commission de la
culture, de la science, de l'éducation et des médias
.
2. Définition du métavers et portée du
rapport
7. Il n’existe pas encore de définition
cohérente unique de la notion de «métavers». Le présent rapport reprend
la définition formulée par l’
Extended Reality Safety Initiative (XRSI), pour laquelle un métavers est un réseau de mondes
virtuels interconnectés surtout caractérisé par la présence, la
persistance, l’immersion et l’interopérabilité. La plupart des définitions
font de la réalité immersive un élément central, ce qui témoigne
de son rôle essentiel dans la création d’environnements stimulants
et interactifs.
8. Si l’on voit l’Internet comme un espace d’interactions entre
utilisateurs, contenus numériques et traitements informatisés, on
peut dire que le métavers en est un stade plus avancé encore. Les
utilisateurs y interviennent par le truchement d’avatars, d’agents
d’intelligence artificielle (IA) et autres incarnations numériques,
ce qui intensifie l’impression de présence et d’interactivité.
9. Les contenus du métavers, enrichis par des technologies comme
la réalité immersive, la réalité augmentée (RA), la réalité virtuelle
(RV) et la réalité étendue (RE), suscitent des expériences immersives
et multisensorielles. Le métavers étant principalement animé par
l’IA, les interactions y sont plus dynamiques, plus réactives et
plus personnalisées que dans l’internet traditionnel. Les termes
étroitement liés incluent «Web3», «Web 3.0» et «informatique spatiale».
10. Le présent rapport traite surtout de l’expérience des utilisateurs
actuels et potentiels qui accèdent au métavers au moyen de technologies
immersives telles que des dispositifs portables de réalité virtuelle
et augmentée. Il aborde trois grands thèmes: métavers et processus
démocratiques ; développement humain et qualité de vie ; les grands
défis à relever. Il ne prétend pas couvrir tous les domaines de
déploiement de la réalité immersive ni tous les problèmes liés à
son utilisation.
11. D’autres commissions de l’Assemblée parlementaire pourront
ensuite, si elles le jugent approprié, se pencher sur d’autres aspects
spécifiques du métavers les concernant, comme la territorialité,
la juridiction, la police et la justice numériques, la participation
politique et les libertés fondamentales, les problèmes de sécurité,
les agressions et le harcèlement sexuels, la non-discrimination,
les droits de l’enfant, le crime organisé, le blanchiment d’argent,
la fraude, la protection des données et la cybersécurité, etc.
3. Métavers et processus démocratiques
3.1. Communautés,
libertés fondamentales et participation démocratique
12. Les technologies émergentes
telle la réalité virtuelle ou augmentée réinventent les interactions humaines
en intégrant un élément de présence dans la communication en ligne
et en reliant les communautés. Les utilisateurs de ces technologies
ont souvent une forte sensation de «présence» d’habitude réservée
à une expérience de contact physique direct
.
13. Contrairement à la communication numérique traditionnelle,
les médias immersifs permettent aux individus de se rencontrer par
le truchement d’avatars, de former des communautés liées par un
intérêt commun et d’entreprendre des activités de groupe depuis
le monde entier. Ils peuvent ainsi étendre les libertés d’association
et de réunion dans des mondes numériques. Mais le sentiment d’appartenance
à une communauté n’apparaît pas de lui-même, il naît d’un but et
d’un contexte; la liberté d’expression et d’action collective dépendent
dans une large mesure de l’approche adoptée par les entreprises
et les gouvernements.
14. Les outils du métavers ouvrent aussi de nouvelles possibilités
de télétravail; ils pourraient conduire à la démocratisation de
l’accès à des emplois offerts à l’échelle mondiale et créer de nouveaux
canaux internationaux de collaboration, de recherche et d’entrepreneuriat.
L’accès reste malheureusement coûteux et difficile
, notamment pour les personnes
âgées et d’autres groupes vulnérables, ce qui risque de creuser
les failles numériques.
15. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient
donc soutenir des investissements stratégiques dans des plateformes
immersives proposant des modèles de structures sociales et communautaires
positives, et reflétant les approches du secteur public en matière
d’urbanisme et de démocratie sociale, par opposition à l’expansion
urbaine et au libertarianisme.
16. Ils pourraient également envisager d’établir un code de déontologie
des projets de métavers à financement public afin de diversifier
la participation des communautés, de sorte que les utilisateurs
puissent raisonnablement s’attendre que les droits humains, les
libertés fondamentales et l’État de droit seront respectés
,
tout en veillant à ce que la législation sur la liberté d’expression,
d’association et de réunion couvre explicitement le métavers.
3.2. Autonomiser
les jeunes pour une démocratie numérique équitable
17. Comme la révolution de l’Internet
avant lui, le métavers 3D ouvre des possibilités d’élargissement
de l’accès individuel à l’information, à de nouvelles tribunes d’expression
et à la participation démocratique active.
18. Bien des jeunes grandissent actuellement dans des environnements
de jeu proto-métavers (comme Fortnite, Roblox et Minecraft) ; ils
développent un haut degré de culture et de compétences numériques,
et recherchent probablement de nouvelles formes d’engagement au
sein de ces espaces. Les gouvernements et les institutions publiques
prévoyants pourraient encourager la participation des jeunes en
intégrant le métavers dans les possibilités qu’ils leur offrent
de se mobiliser et dans les actions de développement social, pour
leur permettre de jouer un plus grand rôle dans la définition des
politiques et de participer plus activement à la vie démocratique.
19. Toutefois, l’accès à cette technologie est très concentré
dans les pays du Nord et autour des centres privilégiés par une
connectivité à l’internet fiable et à haut débit ; des efforts structurels
sont donc nécessaires pour combler ce «fossé numérique»
,
.
20. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient
donc insérer des possibilités de mobilisation publique et de citoyenneté
active dans du métavers, en associant des jeunes à leur conception pour
ne pas se laisser distancer par les rapides changements techno-culturels
et encourager une citoyenneté démocratique assumée.
21. Ils pourraient lancer des actions visant en priorité l’inclusion,
rechercher activement la contribution de groupes autrement minoritaires,
et procéder à des investissements qui favorisent l’interconnexion
des personnes freinées par des handicaps géographiques, de mobilité,
de santé ou économiques.
4. Métavers,
développement humain et qualité de vie
4.1. Éducation
et culture
4.1.1. Environnements
d’apprentissage et de jeu virtuels
22. La réalité virtuelle ou augmentée
est déjà utilisée en classe: les élèves partent en «excursions» virtuelles,
voyagent dans l’espace et le temps, et accèdent à des histoires
cachées ou rebâtissent des ruines. Les «métaversités», répliques
numériques d’universités, se développent ; un étudiant de l’université
de Turin a été en juillet 2022 le premier à obtenir son diplôme
dans un métavers
. L’interaction,
l’incarnation et la dimension spatiale des environnements d’apprentissage
virtuels se sont révélés efficaces dans un grand nombre de contextes
éducatifs, notamment dans les domaines du design, de l’architecture,
de l’ingénierie et des sciences
, et peuvent favoriser le développement
de connaissances et de compétences
.
23. Le volet social du métavers offre également aux enfants de
nouvelles possibilités pour jouer ensemble, développe leurs compétences
interpersonnelles et encourage le jeu à caractère créatif, coopératif
et compétitif.
4.1.2. Seuils
d’âge
24. Les seuils d’âge pour enfants
varient ; ils tendent à se situer entre 10 et 13 ans, mais nombre d’entreprises
proposent des formules d’apprentissage immersif pour enfants à partir
de 4 ans ou ne spécifient pas de limite d’âge inférieure. Les comportements
peuvent être volatiles et imprévisibles dans des environnements
où interagissent des utilisateurs multiples; il est donc difficile
de fixer par avance des seuils d’âge. L’organisation PEGI (Pan-European
Game Information) a choisi de recommander le contrôle parental pour
ce type d’applications.
25. De récentes études donnent à penser que l’absence de modération
d’un métavers se traduit par un afflux d’utilisateurs d’un âge apparemment
bien inférieur au seuil recommandé, ainsi exposés à l’exploitation et
aux abus
.
4.1.3. Neuroplasticité
26. Des recherches suggèrent que
les enfants dont la vision, le système vestibulaire et le système
nerveux sont encore en évolution peuvent être particulièrement sensibles
à un «brouillage» de la distinction entre l’imaginaire et la réalité,
ce qui engendre de faux souvenirs à l’âge préscolaire
, ou un impact disproportionné des
messages reçus sur les médias
.
4.1.4. Dangers
et agressions
27. Une récente étude a montré
que les technologies immersives sont mises à profit pour rencontrer, solliciter
à des fins sexuelles (
grooming),
exploiter des enfants et en abuser, et pour produire des avatars ultraréalistes
de vrais enfants afin de simuler des scènes d’agressions sexuelles
d’enfants avec d’autres agresseurs
. Des personnes utilisent aussi à
des fins criminelles les espaces de réalité virtuelle pour échanger
des outils et des techniques d’agressions sexuelles, ainsi que des
artifices leur permettant d’échapper à la surveillance. Les services
de renseignement de la police pensent que ces personnes estiment n’avoir
guère de chances d’être découvertes et poursuivies par insuffisance
de la surveillance et des compétences techniques des services de
police.
4.1.5. Précautions
prises par la branche
28. Au-delà de la surveillance
parentale, le contrôle revêt souvent la forme de vérifications d’accès
et d’informations sur l’accès aux applications mais pas sur les
personnes que les enfants peuvent rencontrer dans les espaces virtuels
ni sur les expériences qu’ils peuvent y faire. Certaines sociétés
ont des politiques de «sécurisation dès la conception» ; LEGO et
Epic Games, par exemple, ont dit pendant une audition à Londres donner
la priorité à la sécurité, au bien-être et à la vie privée des enfants,
et les équiper d’outils leur permettant de conserver la maîtrise
de leur expérience numérique, comme le demandent l’Organisation
des Nations Unies (ONU)
et l’initiative de l’UNICEF
Responsible Innovation in Technology for Children (Innovation
responsable dans les technologies destinées aux enfants)
.
29. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient
envisager de lancer un programme de sensibilisation du public pour
informer les parents et les responsables de mineurs des risques
et des avantages potentiels liés à l’utilisation de la réalité virtuelle
chez les enfants. Des ressources devraient être affectées, au sein
des services de police et des autorités judiciaires, à la formation
d’un personnel spécialisé capable de se charger spécifiquement des
infractions commises dans la réalité virtuelle.
30. Il faudrait aussi améliorer les fonctionnalités de colocation
permettant l’utilisation simultanée de deux dispositifs interconnectés
ou davantage depuis un même lieu physique, pour faciliter le partage
parent-enfant dans le monde virtuel.
4.2. Culture,
créativité et médias
4.2.1. Nouvelles
formes d’art et sports accessibles à de nouveaux publics
31. Dans toutes les formes d’art,
les artistes et industries créatives d’Europe intègrent des médias
immersifs dans leur travail, suscitant des réactions physiologiques
chez les spectateurs et influant sur leur humeur, leurs idées ou
leurs comportements. Divers espaces artistiques exclusivement immersifs
ont ouvert en Europe et dans le monde, et les institutions culturelles
existantes font revivre des moments historiques en les transformant
en voyages sensoriels captivants et en organisant des expositions
immersives d’art ou de nature, ainsi que des festivals de films
et de jeux. Des expériences artistiques sont téléchargeables dans
des boutiques d’applications et accessibles depuis chez soi à un
large public.
32. Le sport, qu’il soit activité ou spectacle, peut être amplifié
dans un métavers, notamment par diffusion en 3D de rencontres sportives;
cela nécessite toutefois un matériel coûteux. Et des violences,
des émeutes, des jeux d’argent et du dopage peuvent aussi survenir
dans la réalité virtuelle.
4.2.2. Transformation
des paysages médiatiques
33. Les médias traditionnels reculent,
et la majorité des médias immersifs sont désormais créés par des sociétés
de production indépendantes, qui bénéficient d’aides publiques et
d’investissements privés. Les consommateurs accèdent en général
directement, par les boutiques d’applications, aux médias des entreprises
technologiques, avec des formes variables de sélection, de gestion
et de modération des contenus.
34. Les politiques adoptées devraient empêcher les médias numériques,
y compris les environnements immersifs, de priver la sphère publique
de son pouvoir
et de nourrir la méfiance
du public à l’égard des institutions démocratiques, dont les parlements
et les assemblées régionales ou locales.
4.2.3. Médias
de service public
35. Le déclin des médias traditionnels
se poursuit, et le métavers pourra constituer de nouvelles plateformes de
diffusion d’actualités et d’informations, et d’accès à des services
publics. Des campagnes de sensibilisation permettraient au public
de s’y connecter avec confiance et d’apprendre à distinguer les
sources authentiques de celles qui ne le sont pas. D’autres sources
d’informations équivalentes (et non implantées dans le métavers) devront
probablement être maintenues afin d’éviter la discrimination à l’égard
des personnes qui n’ont pas accès aux outils immersifs.
36. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient
produire des écosystèmes créatifs et immersifs florissants ainsi
que des canaux de distribution financièrement viables, et encourager
les organisations de l’industrie créative. Les approches adoptées
à l’égard des médias de service public devraient tenir compte du
déclin des médias traditionnels au profit des canaux d’information
en ligne, dont les métavers.
4.3. Santé
et bien-être
37. Il est recouru aux technologies
immersives à de nombreuses fins cliniques et thérapeutiques, pour
le bien-être physique et mental des patients et pour la gestion
des douleurs aiguës et chroniques
(traitement des phobies par thérapie
d’exposition
, familiarisation des autistes avec
des scénarios sociaux
, traitement du syndrome de stress
post-traumatique
, thérapies physiques et rééducation
post-AVC, soutien psychologique, etc.). Moyennant un apport de recherches
et d’investissements, il serait possible d’améliorer l’indépendance
des patients, de recourir à des consultations en espaces virtuels
et à des séances de groupe, et de pallier les problèmes d’engorgement
des hôpitaux. Les dispositifs portables de réalité augmentée sont utilisés
en chirurgie, ou aident à enseigner l’administration de soins complexes,
ce qui réduit la nécessité de recourir aux sujets vivants et aux
cadavres
,
. Cependant, les nombreux prestataires
possèdent leurs propres normes et dispositifs de freins et contrepoids.
38. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient
encourager le partage de connaissances entre prestataires de soins
de santé et définir des normes professionnelles internationales
(sur la stérilisation et l’hygiène, la protection de la vie privée
des patients et la sécurisation des données, l’accessibilité et l’inclusivité,
la formation du personnel clinique, l’assistance aux patients et
l’utilisation sécurisée des nouvelles technologies) pour aider les
cliniciens à recourir aux technologies émergentes.
4.4. Climat
et développement durable
39. La connectivité sociale, spatiale
et productive des technologies du métavers a des coûts financiers
et environnementaux bien inférieurs à ceux des transports routiers
et aériens, surtout pour les voyages d’affaires. Elles peuvent aussi
venir en aide aux personnes privées de nature par une hospitalisation,
une incarcération, un confinement, une mobilité restreinte ou le
manque d’accès à des espaces non construits (promenades simulées
dans la nature ou «bains de forêt» virtuels, par exemple)
. La fabrication du matériel nécessaire
au métavers accroîtra toutefois les rejets de déchets et la pollution
à l’échelle mondiale (ponctions dans des ressources rares, distribution
mondiale et traitement des données)
.
40. Pour concourir aux objectifs climatiques internationaux et
aux Objectifs de développement durable des Nations Unies tout au
long de la chaîne d’approvisionnement, les gouvernements et les
opérateurs de métavers pourraient essayer d’offrir des locaux virtuels
pour des conférences, des rencontres et des projets, ce qui réduirait
les voyages internationaux. Ils pourraient définir des codes de
conduite ou des réglementations prévoyant l’évaluation du cycle
de vie des technologies immersives, encourageant les pratiques responsables (comme
le recyclage de l’or et des terres rares, la réduction des transports,
etc.), faisant mieux connaître au public l’existence des centres
de réparation et de récupération, ainsi que des installations de
recyclage du matériel électronique grand public et améliorant leur
accès.
4.5. Accès
aux services publics
41. Certains gouvernements, villes
et institutions mettent à profit les possibilités que leur offre
le métavers dans divers domaines, ce qui pourrait se traduire par
des gains de transparence et d’efficience et des réductions de coûts
et de complexité. Il faudrait cependant étudier de près les effets
que cela aurait sur les populations, en particulier les membres
des groupes les plus marginalisés incapables d’accéder à ces services.
4.6. Concurrence
et standardisation
42. En phase d’émergence d’un secteur,
les monopoles peuvent passer inaperçus ou paraître dynamiser la croissance
d’un marché au volume réduit; un nombre relativement faible d’acteurs
peuvent alors dicter les modèles d’affaires, les attentes des usagers
et les impératifs commerciaux de la branche. Les nouveaux arrivants
sont alors exclus de fait en raison des écarts d’échelle et de la
dominance des acteurs présents.
43. Il n’existe pas à l’heure actuelle de normes universellement
applicables au métavers. Plusieurs organismes ont été créés par
l’industrie pour définir collectivement des normes de compatibilité
et d’interopérabilité des produits et services correspondants.
44. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient
étudier soigneusement le degré de concentration de la branche et
ouvrir aux nouveaux intervenants des possibilités pour y prendre
pied. La définition de normes pratiques et éthiques applicables
au métavers appellerait une collaboration plus étroite entre l’industrie,
les responsables des politiques et la société civile.
5. Les
grands défis
5.1. Manipulation
sociale et politique
45. La manipulation politique antidémocratique
et la radicalisation à grande échelle, la mésinformation et la coercition
sont des risques à étudier soigneusement, en particulier chez les
jeunes
, car elles peuvent par exemple influer
sur les comportements électoraux ou encourager la non-participation
de certains groupes. Parmi les autres risques figurent: l’utilisation
d’avatars robotisés (sans opérateur humain) conçus pour orienter les
rencontres sociales vers tel ou tel programme politique ; les avatars
en hypertrucage
(deep fake),
créés pour usurper l’identité d’une personne physique afin de gagner
la confiance des utilisateurs ou à des fins frauduleuses ; le
nudge, outil psychologique qui guide
les utilisateurs vers un choix particulier, y compris une idéologie
radicale ; la propagande et la publicité ciblée, tirant parti d’un
profilage social basé sur des données pour diffuser de la propagande
sur mesure.
46. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient
envisager une régulation des contenus comparable ce qui a été fait
dans la radiodiffusion-télévision et le cinéma, et appliquer les
enseignements tirés ces dix dernières années de la réglementation
des médias sociaux pour intervenir sur les dispositifs grâce auxquels
les acteurs publics et privés parviennent à manipuler le comportement
des utilisateurs. Il faudrait aussi limiter les investissements
et l’influence qu’un organisme d’État ou une société privée peut
accumuler dans des écosystèmes de métavers.
5.2. Harcèlement,
agression, discours de haine, violence
47. Les plateformes de métavers
présentent des risques avérés de harcèlement et d’agression
,
surtout si elles ne sont pas surveillées; les femmes et les minorités
sont les cibles les plus courantes
. Les menaces physiques, la violence
simulée, les attouchements non consentis ou l’intrusion dans l’espace
personnel peuvent entraîner une détresse psychologique sévère. Le
phénomène de «toucher fantôme» peut augmenter l’impact traumatique
ressenti par les victimes, et se démarque ainsi du cyberharcèlement
traditionnel
. Une déconnexion rapide de la réalité
virtuelle, en particulier en situation de stress ou d’anxiété, n’est
pas une solution simple et peut provoquer des crises de panique
ou de dissociation
.
48. Une personne représentant META qui s’est exprimée devant la
commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
a décrit des fonctionnalités importantes qui existent déjà sur les
réseaux sociaux: par exemple, la possibilité de bloquer et de signaler
des contenus ou de désactiver le son d’autres utilisateurs. En outre,
une «zone de sécurité», indiquée par l’image d’un bouclier, permet
à un utilisateur de se tenir à distance d’autres utilisateurs, et
des «limites personnelles» définissent un espace infranchissable
de deux mètres autour de l’utilisateur. Je me demande si c’est suffisant.
49. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient
reconnaître que le métavers est un espace public et que la sécurité,
les droits humains et les libertés fondamentales ont droit de cité
dans la réalité virtuelle ou augmentée. Les développeurs extérieurs
de plateformes doivent respecter scrupuleusement les conditions générales
fixées par les magasins d’applications pour lutter contre le harcèlement
et les agressions, et assurer une surveillance constante et la répression
des abus de confiance. Les liens devraient être plus étroits entre le
métavers et les services de police nationaux, et les lois sur la
violence sexuelle être étendues aux violences commises dans un métavers
(définition juridique de l’attouchement et autres lacunes et vides
juridiques).
5.3. Vie
privée et protection des données
50. Les protections existantes
en matière de gestion des données à caractère personnel telles que
le nom et les caractéristiques protégées pourraient ne plus être
suffisantes du fait que les données comportementales
peuvent être exploitées pour établir
précisément l’identité et le profil d’une personne par d’autres
moyens
. Les données neurologiques telles
que l’EEG (les signaux cérébraux) et l’EMG (les micromouvements
musculaires) feront bientôt partie de l’interface quotidienne des
consommateurs avec des technologies portables comme les écouteurs
intra-auriculaires
et les bracelets connectés
, ce qui affine encore les informations
biométriques (psychographie biométrique)
dont peuvent disposer les opérateurs; chaque
entreprise décide à sa façon de l’exploitation de ses données, de
leur traitement, de leur stockage, etc.
.
51. Selon les Perspectives de l’économie numérique de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) 2024, des
recherches montrent que 20 minutes dans la réalité virtuelle créent
2 millions d’enregistrements uniques du langage corporel et que
95% des utilisateurs peuvent être identifiés avec moins de 5 minutes
de suivi des données. Les dispositions juridiques centrées sur le
consentement sont moins pertinentes pour la réalité virtuelle car,
dans la réalité virtuelle, il est impossible de «se retirer» ou
de «passer incognito»; les définitions figurant dans la réglementation
sur la protection de la vie privée doivent évoluer avec la technologie.
52. Cela présente de graves risques d’atteinte à la vie privée
des utilisateurs et de non-respect de la Convention du Conseil de
l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement
automatisé des données à caractère personnel (STE no 108,
«Convention 108»), ainsi que du Règlement général sur la protection
des données (RGPD) de l’Union européenne.
53. Les gouvernements et opérateurs de métavers devraient analyser
comment la législation existante sur la protection des données s’applique
au métavers et évaluer les points de compatibilité et d’incompatibilité actuels
et futurs des plateformes et contenus. Le droit à la vie privée
mentale devrait aussi y être protégé, y compris pour ce qui est
des nouveaux neurodroits.
5.4. Convergence
avec l’intelligence artificielle
54. L’évolution des technologies
du métavers est susceptible d’accompagner celle de l’IA dans trois
grands domaines: l’IA générative ; la modération dans les espaces
sociaux (vérifications d’âge, filtrage des contenus illicites, etc.) ;
et la modélisation des comportements (agrégation à grande échelle
des données sur les utilisateurs).
55. La loi du Parlement européen sur l’IA pose une série de règles
en fonction du niveau de risque ; le plus élevé est déclaré inacceptable
(manipulation comportementale cognitive de personnes ou de groupes vulnérables
spécifiques, notation sociale et systèmes d’identification biométrique
à distance en temps réel
. Certaines architectures de métavers
présentent un risque structurel d’infraction sur tous ces critères.
56. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient
chercher à assurer la transparence de l’IA pour les utilisateurs
d’environnements immersifs (par exemple par de claires indications
lisibles permettant de distinguer les avatars conduits par une personne
physique et les avatars robotisés pilotés par IA). Les systèmes
de surveillance et de modération par IA devraient se limiter à l’analyse in situ du comportement des utilisateurs,
dans le respect des droits de l’utilisateur et de l’État de droit.
Les utilisateurs devraient les comprendre et les données produites
être exploitées conformément à des conditions générales explicites. Enfin,
des dispositifs de signalement devraient permettre d’identifier
les comportements potentiellement illicites et de les transmettre
à l’autorité compétente, qui aura besoin de ressources supplémentaires
(formation aux technologies immersives, à la criminalité virtuelle
et au rôle, aux limites et aux biais des systèmes de signalement
par IA).
5.5. Cybercriminalité
et justice
57. Les infractions peuvent être
commises dans un métavers sur une plateforme gérée par une entreprise relevant
d’une juridiction mais recourant à des serveurs domiciliés dans
une autre juridiction; de plus, les auteurs et victimes s’y connectent
depuis le monde entier. La détection des infractions, la collecte
des preuves et les poursuites pouvant se révéler difficiles, des
cadres de coopération internationale sont nécessaires pour décourager
la criminalité et s’en protéger. Le Laboratoire d’innovation d’Europol
a recommandé en 2022 d’aider les services de police à acquérir une
expérience directe des technologies immersives, à identifier les lacunes
et à concevoir de nouvelles mesures
.
58. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient
encourager au sein des administrations gouvernementales l’acquisition
stratégique de compétences en matière de technologies immersives,
et revoir et actualiser régulièrement la législation afin d’assurer
en permanence une ample protection de la population, en particulier
les groupes vulnérables, en coopération avec des agences internationales
comme Interpol et Europol. Les accords de coopération internationale
devraient soutenir la prévention et la répression interjuridictionnelles
des infractions commises dans le métavers.
5.6. Géopolitique
et cyberguerres
59. Le métavers est par nature
décentralisé, ce qui pose des problèmes globaux de gouvernance et
de souveraineté. Les pays chercheront probablement à y affirmer
leur influence et leur contrôle, ce qui pourrait engendrer des frictions
et des conflits en matière de souveraineté numérique
. Les spécialistes de la sécurité pensent
qu’une sorte de
darknet pourrait
s’implanter dans les environnements de réalité virtuelle, avec des marchés
souterrains inaccessibles à la police
.
60. La
surveillance
du métavers nécessite des interventions proactives et réactives.
La collaboration et le dialogue sont essentiels, et offrent aux
gouvernements la possibilité de rendre cette technologie du futur inclusive,
équitable et durable pour tous.
5.7. Liberté
et autonomie individuelles
61. Comme cela est ressorti des
auditions de la commission de la culture, de la science, de l'éducation
et des médias de décembre 2023, les développeurs de métavers cherchent
à maximiser leurs bénéfices et considèrent souvent les utilisateurs
comme une marchandise. La relation symbiotique entre l’attention,
la mobilisation de l’utilisateur et les recettes publicitaires conduit
au perfectionnement et à l’optimisation continus des algorithmes
afin de maximiser les bénéfices. Des entreprises de technologie
puissantes auront encore plus de contrôle sur les systèmes, ce qui
pourrait se traduire en comportements d’achat compulsifs, en dépendances
ou en utilisation excessive de la technologie et en publicités invasives.
Il n’en va pas seulement de la protection des données, mais aussi
de la liberté et de l’autonomie.
62. Les gouvernements devraient envisager d’adopter des réglementations
barrant la route aux monopoles et aux pratiques anticoncurrentielles,
et de rendre le pouvoir aux utilisateurs, avec possibilité de bloquer
des contenus. Il s’agirait surtout de modération appropriée des
contenus (procédures de détection et de signalement), de responsabilité
algorithmique (par audits réguliers garantissant l’équité et la
transparence), de programmes d’éducation et de familiarisation avec
le numérique, ainsi que d’une gouvernance participative garantissant
que le métavers est utilisé pour le bien public.
6. Travaux
du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
63. Le Conseil de l’Europe a publié
avec l’institut de normalisation de l’Institut des ingénieurs électriciens
et électroniciens (IEEE) un
rapport préliminaire sur le métavers et son impact sur les droits
de l’homme, l’État de droit et la démocratie, dont les conclusions
ont été présentées à la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias. Le rapport complet a été présenté
le 17 juin 2024, à l’occasion d’EuroDIG, à Vilnius.
65. L’avis
de l’Assemblée du 18 avril 2024, a appelé tous les États membres du
Conseil de l’Europe, lorsqu’ils ratifieront la convention, à reconnaître
la pleine applicabilité de ses dispositions aux activités des acteurs
privés, et à restreindre, voire interdire, certains usages de l’IA
jugés incompatibles avec les droits humains, notamment en matière
de santé et d’environnement.
66. Les travaux sur la réalité virtuelle, liés à la mise en œuvre
de la Convention-cadre, se poursuivront dans divers secteurs de
l’Organisation à partir de 2025, y compris au sein de l’Assemblée
et de sa commission de la culture, de la science, de l’éducation
et des médias, ainsi que de la sous-commission sur l’intelligence artificielle
et les droits de l’homme de la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme.
67. Le Conseil de l’Europe devrait poursuivre ses analyses afin
de déterminer si les instruments et les cadres juridiques en vigueur
sont assez étendus pour couvrir les réalités immersives ou si des
outils supplémentaires sont nécessaires. Le Comité des Ministres
a déjà chargé le Comité directeur sur les médias et la société de
l’information (CDMSI) de mener une étude de faisabilité sur la question,
qui constituera une première étape sur la voie de l’élaboration
d’orientations en la matière. En outre, la Cour européenne des droits de
l’homme pourrait être amenée à examiner des affaires concernant
des atteintes aux droits dans les réalités virtuelles.
68. En ce qui concerne l’utilisation de l’IA, les réalités immersives
et la protection des données, les services du Conseil de l’Europe
chargés de la protection des données et des droits de l’enfant travaillent
aussi sur les neurotechnologies, la sécurité et la protection des
données en tant que questions clés pour le développement futur de
la réalité virtuelle. Il est indispensable de sensibiliser les jeunes
à ces questions, compte tenu de la rapidité de la numérisation.
Comme l’a précisé le Comité des Parties à la Convention sur la protection
des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201,
«Convention de Lanzarote»), la
Convention de Lanzarote s’applique quels que soient les moyens utilisés par
les délinquants sexuels pour commettre les infractions, y compris
facilitées par l’utilisation des technologies de l’information et
de la communication (TIC)
.
69. Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne a
adopté en juillet 2023 une nouvelle stratégie sur le
Web
4.0 et les mondes virtuels, afin d’accompagner la prochaine transition technologique
et de garantir un environnement numérique ouvert, sécurisé, digne
de confiance, équitable et inclusif pour les particuliers, les entreprises
et les administrations publiques de l’Union européenne
. Le Parlement européen a adopté
en janvier 2024 un
rapport
sur les mondes virtuels – perspectives, risques et implications
politiques pour le marché unique, où il évoque la nécessité de fonder cette technologie
sur les valeurs de l’Union européenne, d’une manière durable et
centrée sur l’humain. Il y prie la Commission européenne de préparer des
lignes directrices clarifiant les obligations juridiques et les
responsabilités de toutes les parties prenantes dans les mondes
virtuels, et mentionne la nécessité de sensibiliser le public, d’améliorer
les compétences numériques et l’accès aux technologies.
70. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient harmoniser
leurs approches et assurer une collaboration plus étroite entre
le secteur privé, les responsables politiques et les organisations
de la société civile autour de la définition de normes pratiques
et éthiques en matière de métavers, et renforcer chaque fois que
possible les accords de coopération internationaux.
7. Observations
finales et résumé des recommandations
71. L’un des défis auxquels nous
sommes confrontés aujourd’hui est de maintenir la stabilité de la
société face aux changements technologiques rapides et de faire
évoluer les outils juridiques et institutionnels existants pour
contribuer à protéger et à promouvoir la démocratie, les droits
humains et l’État de droit.
72. Le métavers partage la nature non déterministe des technologies:
ni bon, ni mauvais, ni même neutre, il amplifie les comportements
humains et est à canaliser de manière responsable et éthique. Cette
technologie suscite des problèmes de définitions notionnelles et
juridiques, et il est ainsi bien difficile de lui tracer des limites nettes ;
elle continue d’évoluer dans la dynamique des systèmes interconnectés.
73. Le métavers est une création essentiellement sociale et fondée
sur l’informatique, bien représentative des processus émergents
que produisent les systèmes adaptatifs complexes. La difficulté
qu’il y a à le définir, sur le plan conceptuel comme juridique,
reflète sa nature complexe. On ne peut que conjecturer son évolution, et
cette incertitude pose de délicats problèmes au législateur désireux
de ne pas se laisser distancer par les rapides avancées de la science
et de la technologie.
74. De nouvelles structures de gouvernance fondées sur une solide
information, ouvertes et solides, un débat public et des dispositifs
législatifs innovants doivent de toute urgence venir canaliser le
développement de cette technologie émergente. Le métavers possède
l’extraordinaire capacité de modifier les flux fondamentaux d’interactions,
ce qui pourrait transformer profondément les structures et les dynamiques
au sein de nos sociétés. L’évolution de ces dernières accompagne
celle de ces flux, ce qui révèle le pouvoir transformateur du métavers
sur notre avenir collectif.
75. Les sentiments de présence, d’immersion et d’incarnation créent
l’illusion de se trouver dans un environnement réel ; les utilisateurs
s’associent ainsi activement à la création de mondes virtuels. Ils
se choisissent des personnages numériques (avatars) qui ne correspondent
pas forcément à leur véritable identité, ce qui remet en question
le cadre traditionnel et centralisé de l’identité tel que défini
par les États-nations et les institutions. Il sera indispensable
de comprendre globalement ces dynamiques pour élaborer des stratégies
adaptatives capables d’accompagner la rapide évolution du paysage
des interactions humaines et de l’identité à l’ère du numérique.
76. Le Web3 et le métavers sont façonnés par l’IA, qui permet
à la machine de prendre des décisions et améliore le traitement
des langues, la reconnaissance faciale et l’efficacité globale du
système. L’essor rapide de l’IA générative ouvre de nouvelles possibilités
d’interactions entre les utilisateurs et le système lui-même.
77. Le métavers pourra améliorer considérablement la vie humaine,
mais une culture toxique semble se faire jour dans les espaces immersifs:
harcèlement et agressions, discours de haine, propos racistes, homophobes
et transphobes, violences simulées, désinformation, propagande,
manipulations sociales et politiques, etc. L’opacité des procédures
de signalement et de la répression du non-respect des conditions d’utilisation
rend la protection par seuils d’âge inefficace.
78. La manière dont les données sont collectées, interprétées
et exploitées (psychographie biométrique: données obtenues par analyse
des mouvements oculaires et corporels permettant de détecter l’identité
ainsi que l’état de santé physique et mental de la personne) pose
problème, et il faudrait que soit dûment respecté le droit à la
vie privée mentale et à la liberté cognitive.
79. Une perception faussée des risques, des avantages et des implications
de ces technologies nouvelles pourrait déboucher sur des politiques
et des réglementations ne répondant pas vraiment à la complexité
du domaine. Les responsables politiques doivent trouver un équilibre
délicat entre la promotion de l’innovation et la protection des
utilisateurs et de la société dans son ensemble.
80. Les leçons tirées de l’expérience des médias sociaux peuvent
aider à façonner le métavers et à promouvoir les mêmes valeurs que
celles que défendent et promeuvent activement les sociétés démocratiques,
voire à aller plus loin compte tenu de la capacité de cette nouvelle
technologie de favoriser la participation citoyenne. Les responsables
politiques doivent mettre à jour leurs compétences pour faire en sorte
que les exigences de sécurité publique, de sûreté, d’accessibilité
et d’inclusion concourent à ce que ces technologies bénéficient
d’emblée au plus grand nombre
.
81. Le métavers doit impérativement intégrer dès le départ les
droits humains et les libertés fondamentales. Il doit constituer
une infrastructure numérique inclusive, et ne déploiera pleinement
son potentiel que si, débarrassé des obstacles existants et potentiels,
y compris financiers, il est ouvert à tout le monde.
82. L’autorégulation pourrait ne pas suffire; le dialogue et la
coopération entre les gouvernements, la recherche et le secteur
privé sont essentiels, dès lors que l’on cherche à favoriser une
culture de la transparence et à concevoir des politiques mieux à
même de faire face aux complexités de cette technologie.
83. L’idée que la réglementation ferait obstacle à l’innovation
pose une fausse dichotomie: une gouvernance responsable peut encourager
la créativité, l’innovation et l’esprit d’entreprise tout en défendant
dans le métavers la démocratie, les droits humains et l’État de
droit. Il s’agira de mieux appréhender les problèmes de harcèlement,
de corruption, de fraude, de violence et autres atteintes aux droits
humains et menaces pour la démocratie que suscite le métavers, pour
adapter et actualiser la législation en conséquence de façon à s’en protéger,
et de repenser la protection de la vie privée et des données dans
le monde virtuel.
84. Le projet de résolution formule des recommandations détaillées
sur les actions positives suggérées au fil du présent rapport et
issues des débats intenses menés au sein de la commission de la
culture, de la science, de l'éducation et des médias, avec la précieuse
contribution de plusieurs spécialistes et parties prenantes, dont
des entreprises technologiques, à qui je suis très reconnaissant.
85. La dernière audition, qui s’est tenue le 27 mai 2024 à Copenhague,
a également mis en évidence la nécessité, pour l’évaluation technologique,
d’étudier les rapports entre science, technologie et société, et
de contribuer à la formation de l’opinion publique et politique
sur les aspects sociétaux de la science et des technologies en essor
rapide. L’Assemblée devrait continuer à renforcer ses activités
en tant que partenaire du
réseau parlementaire
européen d’évaluation technologique (réseau EPTA), et aider les responsables politiques
à orienter l’évolution technologique et à assurer la gouvernance
démocratique et le respect des droits humains et des libertés fondamentales.