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Rapport | Doc. 16031 | 05 septembre 2024

Risques et opportunités du métavers

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Andi-Lucian CRISTEA, Roumanie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15636, Renvoi 4699 du 23 janvier 2023. 2024 - Quatrième partie de session

Résumé

Les technologies immersives, telles que le métavers, sont utilisées avec beaucoup de succès dans de nombreux secteurs, notamment l'éducation, les soins de santé, l'art, la culture, le sport, le design, l'ingénierie, les médias et la communication et, de plus en plus, dans le contexte de la démocratie participative. Alors que la gouvernance et la législation peinent à suivre le rythme de l'innovation technologique, les questions de responsabilité pour les comportements criminels dans le métavers persistent, tels que le harcèlement, les violences, les agressions, la fraude et les vols, ainsi que d'autres violations graves de droits humains. En l'absence de mesures correctives, les inégalités d'accès au métavers peuvent susciter de nouvelles formes de discrimination et creuser les fossés sociaux.

Le rapport analyse les menaces que fait peser le métavers sur la démocratie, les droits humains et l'État de droit, mais aussi les nombreuses avancées décisives qu'il rend possibles. Il formule des recommandations pertinentes à l'intention des gouvernements, afin qu'ils prennent des mesures éclairées et responsables pour maximiser l’utilité du métavers tout en prévenant d’éventuels détournements qui fragiliseraient la société.

Le rapport appelle également à une coopération internationale accrue entre les gouvernements, ainsi qu'à leur collaboration avec le secteur privé et les chercheurs, ce qui est essentiel pour relever les défis que suscitent les complexités de la technologie du métavers, promouvoir une concurrence saine et favoriser le développement d'écosystèmes immersifs créatifs sécurisés et l’élaboration de normes éthiques applicables au métavers.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 26 juin
2024.

(open)
1. Le métavers ouvre de nouveaux horizons à la technologie numérique ; il transforme radicalement les modes d’interaction avec les autres, la société et l’information. Les médias immersifs, telles la réalité virtuelle totalement immersive et la réalité augmentée portable, sont ressentis comme simulant un environnement immersif psychologiquement vraisemblable, où l’on peut interagir avec d’autres par le truchement d’avatars, dans un mélange parfaitement convaincant d’expériences numériques et physiques.
2. L’Assemblée parlementaire constate que les technologies immersives sont déjà utilisées avec beaucoup de succès dans de nombreux domaines: l’éducation, les soins de santé, l’art, la culture, le sport, le design, l’ingénierie, les médias et la communication, et de plus en plus aussi dans le contexte de la démocratie participative. Le métavers persistant, interconnecté et par nature social peut avoir une utilité sociale et sociétale, notamment en permettant, sans nécessité de déplacement physique, des rencontres dans des communautés partageant ou non les mêmes idées. Les progrès des réunions virtuelles de travail et sociales à distance offrent de nouvelles possibilités aux personnes actuellement isolées géographiquement ou pour des raisons de mobilité réduite et de santé, voire faute de moyens financiers.
3. L’Assemblée s’inquiète toutefois de ce que la gouvernance et la législation peinent à suivre le rythme de l’innovation technologique et que les questions de responsabilité pour les comportements criminels dans le métavers persistent tels que le harcèlement, les violences, les agressions, la fraude et les vols, et d’autres violations graves de droits humains. Le métavers peut aussi être utilisé à mauvais escient pour attiser les haines et manipuler l’opinion publique, ce qui distord les processus démocratiques, ou peut aider des régimes autoritaires à exercer un contrôle étatique orwellien sur les opinions et comportements sociaux au sein d’une population. En outre, en l’absence de mesures correctives, les inégalités qu’engendrent les coûts d’accès au métavers peuvent susciter de nouvelles formes de discrimination et creuser les fossés sociaux.
4. Les décideurs devraient analyser, comprendre et évaluer soigneusement les menaces que fait peser le métavers sur la démocratie, les droits humains et l’État de droit, mais aussi les nombreuses possibilités d’avancées majeures qu’il rend possibles, et prendre des mesures éclairées et responsables pour maximiser l’utilité de cette technologie tout en prévenant d’éventuels détournements qui fragiliseraient nos sociétés.
5. L’autorégulation pourrait ne pas suffire, et l’Assemblée souligne la nécessité d’aborder les droits et obligations des entreprises privées qui fournissent des services et des infrastructures de métavers en ce qui concerne notamment la gestion des données, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA), le contrôle du respect des conditions d’utilisation et le signalement des comportements criminels. Les entreprises, y compris celles qui produisent le matériel, gèrent des plateformes de publication et conçoivent des contenus devraient avoir des obligations de protection claires, et leur responsabilité devrait être engagée lorsque des outils et des technologies sont utilisés de manière répétée à des fins illicites et abusives.
6. En parallèle, les pouvoirs publics doivent impérativement s’engager à défendre les principes démocratiques et les libertés fondamentales, et devraient favoriser une culture de la responsabilité et de la redevabilité dans cet espace socio-technique émergent. La conception et le développement de l’architecture du métavers et des systèmes d’IA qui y sont déployés devraient se plier à des principes essentiels comme l’égalité et la non-discrimination, la transparence, le respect de la vie privée et la sécurité de tous les utilisateurs.
7. Une gouvernance responsable peut encourager la créativité, l’innovation et l’esprit d’entreprise tout en soutenant la démocratie, les droits humains et l’État de droit dans et par le métavers. Pour atteindre ces résultats et garder la maîtrise de leur avenir, les pays européens ne sauraient se cantonner à un rôle de régulation en laissant à d’autres le soin de créer les technologies qui façonneront notre monde: ils doivent encourager et guider les processus d’innovation, en les orientant dans la bonne direction et en veillant à ce que nos sociétés bénéficient des progrès technologiques.
8. Les leçons tirées de l’informatique de bureau et portable doivent conduire à procéder à des investissements spécifiques et à de saines incitations qui éviteraient l’émergence de grands monopoles, les effets d’exclusion, les cultures corrosives et les modes de production non durables. Le cadre législatif et réglementaire devrait à cet égard prendre en compte la concurrence et les marchés, notamment pour ce qui est des intérêts des monopoles distribués implantés sur les marchés du matériel, des logiciels, de la production de contenus, de l’édition, de la gestion des données, de la recherche, de la publicité et de la sécurité des utilisateurs.
9. L’Assemblée invite donc les États membres du Conseil de l’Europe à veiller à ce que les cadres législatifs et réglementaires applicables au métavers respectent la démocratie, les droits humains et l’État de droit, et à lutter contre les infractions en prenant les mesures qui s’imposent dans le domaine de la police, de la justice, de la collecte de preuves et en imposant des sanctions dissuasives et en particulier:
9.1. à combattre le harcèlement, la violence et les agressions, avec une attention particulière accordée aux agressions sexuelles et à la maltraitance des enfants, et contre la manipulation et l’exploitation, sachant que les contacts interpersonnels sont psychologiquement plus convaincants dans le métavers que dans d’autres médias diffusés sur écran, et que la législation devrait dûment prendre en compte cette nouvelle dynamique psychosociale;
9.2. à protéger la liberté d’expression et à lutter contre les nouvelles formes de manipulations sociales et politiques, notamment la désinformation, les avatars en hypertrucages (deep fakes), l’idéologie et la propagande radicales qui pourraient prendre pied dans le métavers;
9.3. à promouvoir activement la Recommandation CM/Rec(2018)7 du Comité des Ministres aux États membres sur les Lignes directrices relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique, auprès des personnes, des pouvoirs publics et des entreprises, et à prendre des mesures ciblées en vue de sa mise en œuvre afin que tous les enfants puissent exercer pleinement leurs droits humains et leurs libertés fondamentales dans le contexte du métavers;
9.4. à garantir le droit des utilisateurs à la liberté cognitive et à la vie privée mentale, ainsi que tous les droits consacrés par la Convention modernisée du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et son Protocol d’amendement (STE no 108 et STCE no 223, «Convention 108+»), notamment en ce qui concerne:
9.4.1. l’interdiction faite aux entreprises ou entités publiques de collecter, d’analyser, d’exploiter ou de commercialiser, sans leur consentement libre et explicite, les données des utilisateurs générées dans le métavers ;
9.4.2. l’interdiction de l’exploitation des informations biométriques sur des actes inconscients (comme les mouvements involontaires des yeux et la dilatation des pupilles) à des fins de profilage comportemental, social ou politique ;
9.4.3. l’interdiction du traitement de données sensibles (comme les données génétiques ou biométriques, mais aussi sur l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les croyances, la santé ou la vie sexuelle) si cela n’est justifié par un objectif légitime explicite, dans le respect des garanties prévues par la loi;
9.4.4. la protection des données recueillies, avec renforcement de leur sécurisation;
9.5. à définir des exigences de transparence du fonctionnement des systèmes d’IA conformes aux normes du Conseil de l’Europe.
10. L’Assemblée estime que les États membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir les impératifs d’inclusivité de l’accès au métavers et d’utilisation éclairée, et y encourager la mobilisation démocratique. Elle appelle donc les États membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à donner, à différents niveaux de gouvernance, priorité aux politiques d’élargissement de l’accès aux technologies émergentes et à prévoir des investissements spécifiques visant à réduire la fracture numérique en supprimant les obstacles existants et possibles, notamment financiers;
10.2. à encourager les élus, les autorités judiciaires, les services de police et les agents publics travaillant dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture et autres domaines importants, à se former au métavers afin de leur faire acquérir une meilleure compréhension des outils de réalité virtuelle et augmentée et de leurs possibilités;
10.3. à mener des campagnes de sensibilisation du public, notamment dans les médias de service public et sur leurs plateformes numériques, pour aider les populations à accéder équitablement aux possibilités offertes par le métavers et à en tirer parti, tout en en comprenant les risques, en particulier pour les enfants;
10.4. à envisager d’héberger dans le métavers des actions gouvernementales et citoyennes, pour développer des modèles de bonnes pratiques donnant la priorité à l’inclusion et encourageant la participation et la mobilisation de nombreux groupes issus de communautés diverses, en particulier des jeunes, et en s’assurant activement de la contribution des groupes minoritaires.
11. L’Assemblée est convaincue qu’il est essentiel que les gouvernements coopèrent entre eux et avec le secteur privé et les chercheurs pour relever les défis que suscitent les complexités de la technologie du métavers, promouvoir une saine concurrence et favoriser le développement d’écosystèmes immersifs créatifs sécurisés et l’élaboration de normes éthiques applicables au métavers. Elle exhorte donc les États membres à intensifier le dialogue et la collaboration avec les parties prenantes commerciales et industrielles, ainsi qu’avec les organisations de la société civile, dans le but:
11.1. de barrer la route aux monopoles et aux pratiques anticoncurrentielles, de limiter l’influence qu’un État ou une entreprise peuvent être admis à exercer au sein d’un métavers, et de faire en sorte que de nouveaux intervenants puissent prendre pied dans l’ensemble des technologies qui sous-tendent le métavers;
11.2. d’adopter des codes de déontologie pour les projets de métavers à financement public, de sorte qu’ils respectent les droits humains et les valeurs démocratiques;
11.3. de nouer des partenariats avec des opérateurs actuels et potentiels de métavers, afin de soutenir la recherche et les investissements stratégiques dans des plateformes immersives qui proposent des modèles de structures sociales et communautaires positives, reprenant l’approche du secteur public en matière d’urbanisme; 
11.4. de réglementer fermement les contenus, comme pour la radiodiffusion-télévision et le cinéma, et de mettre à profit les enseignements tirés de la réglementation des médias sociaux pour éviter l’apparition dans le métavers de dispositifs permettant à un État ou à des intervenants privés de manipuler les comportements des utilisateurs;
11.5. de faire en sorte que les chaînes d’approvisionnement et les écosystèmes des technologies immersives satisfassent aux impératifs du développement durable en promouvant et en contrôlant le respect des objectifs climatiques internationaux et des Objectifs de développement durable des Nations Unies; dans ce contexte, d’envisager par exemple des codes ou des réglementations sur l’évaluation du cycle de vie des technologies immersives visant à encourager les pratiques responsables (comme la réparation et la réutilisation des appareils, le recyclage de l’or et des terres rares, la réduction des transports, etc.) et de créer les installations nécessaires;
11.6. d’adopter une approche participative et dynamique de l’élaboration des politiques et de la législation, en soumettant les politiques à des révisions régulières garantissant une protection complète et actualisée des personnes, à mesure qu’évoluent les technologies;
11.7. de renforcer les accords de coopération internationaux, en particulier pour améliorer la prévention et les réponses inter-juridictionnelles aux infractions commises au sein du métavers, et d’encourager l’apprentissage et les échanges de bonnes pratiques entre pays, en tirant le meilleur parti possible du potentiel du Conseil de l’Europe;
11.8. de signer et de ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit (STCE no 225), qui a été ouverte à la signature le 5 septembre 2024 à Vilnius, et de choisir d’appliquer pleinement ses dispositions aux activités des acteurs privés, et de restreindre, voire d’interdire, certains usages de l’IA jugés incompatibles avec les droits humains, notamment en matière de santé et d’environnement.
12. Pour sa part, l’Assemblée continuera à suivre les faits nouveaux qui interviendront dans ce domaine et décide de renforcer son partenariat avec le réseau parlementaire européen d’évaluation technologique (réseau EPTA), en vue d’aider les responsables politiques à orienter l’évolution technologique et à assurer la gouvernance démocratique et le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

B. Exposé des motifs par M. Andi-Lucian Cristea, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le passage au numérique a creusé un retard notable entre un public bien familiarisé avec cette technologie et des structures institutionnelles qui, conçues à l’ère industrielle pour un monde moins interconnecté, s’essoufflent à suivre la rapide diffusion de l’information et les nouveaux modes d’interaction des personnes entre elles et avec les autorités. Alors que les flux d’informations étaient jusque-là étroitement contrôlés d’en haut par des médias comme la télévision, la radio et la presse, les plateformes numériques d’aujourd’hui permettent de communiquer directement «en duplex», ce qui bouleverse la manière dont on reçoit l’information et y répond.
2. Le processus démocratique et la recherche du consensus, essentiels à l’ère industrielle, sont remodelés par les technologies numériques. Les outils et plateformes électroniques modernes offrent d’extraordinaires possibilités de former des consensus et facilitent des modes plus inclusifs de prise des décisions. Cette transformation n’est pas sans problèmes, car l’innovation technologique dépasse souvent la capacité d’adaptation humaine. Cela peut ouvrir des failles entre le fonctionnement des institutions et les attentes de populations nourries d’expériences de l’environnement numérique.
3. Historiquement, la vie et l’identité d’une personne étaient façonnées dans une large mesure par les institutions de son temps, elles-mêmes issues de la pensée de l’ère industrielle. Ces institutions n’étaient pas seulement des structures physiques, elles englobaient aussi des normes, des valeurs et des attentes qui régissaient la vie publique. Les plateformes numériques d’aujourd’hui dominent en revanche les interactions culturelles et sociales ; elles évincent fréquemment les sentinelles institutionnelles traditionnelles, armant l’individu de plus d’autonomie et d’influence que jamais. Cette profonde mutation nous fait passer d’une culture et d’une information parachutées à une forme d’engagement plus démocratisée et participative, qui donne à chacun le pouvoir de remettre en question et de redéfinir des normes en temps réel.
4. Le métavers dissocie la présence cognitive de la présence physique de l’être humain, en lui offrant une expérience profondément immersive et intensément subjective. Cet engagement intense facilite la participation active, et permet aux utilisateurs d’interagir d’une manière auparavant de l’ordre de l’imaginaire. Dans le système adaptatif complexe que constitue notre société, même des variations infimes de fréquence, de densité ou d’intensité des interactions peuvent impulser de grands changements à long terme. Le métavers amplifie ces interactions, et peut remodeler plus profondément que jamais les structures et les dynamiques de nos sociétés. Cela aura sans doute des effets sur la démocratie, les droits humains et l’État de droit.
5. Mon rapport donne un aperçu des possibilités et risques qu’offrent ces technologies émergentes, et formule des recommandations favorisant la prise de décisions positives atténuant en même temps les menaces. Il convient de veiller à la répartition équitable au sein de la société des bénéfices des avancées technologiques et à l’atténuation de leurs effets négatifs, en particulier pour les groupes les plus vulnérables. À cette fin, il est essentiel d’adopter une approche multipartite associant les gouvernements, les organisations de la société civile, le secteur privé et les organisations internationales.
6. Le présent rapport s’appuie sur le rapport d’expertes élaborée par Mme Verity McIntosh, professeure agrégée en réalités virtuelles et étendues à l’Université de l’Ouest de l’Angleterre (Royaume-Uni), et par Mme Catherine Allen, PDG, Limina Immersive, Royaume-Uni. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude aux deux expertes, ainsi qu’aux nombreux autres spécialistes qui ont contribué aux travaux de la Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias 
			(2) 
			La commission a tenu
des auditions: le 23 mars 2023, avec la participation de M. Patrick
Penninckx, chef du Service de la Société de l’Information du Conseil
de l’Europe, et de Mme Verity McIntosh,
chercheure et maître de conférences en réalités virtuelles et étendues,
University of the West of England, Bristol, membre du Centre de
recherche sur les cultures numériques, Royaume-Uni; le 1 juin 2023,
avec la participation de Mme Irene Kitsara,
directrice, European Standardization Initiatives, Institute of Electrical
and Electronics Engineers (IEEE), Autriche; et M. Edward Lewin,
vice-président des affaires gouvernementales et publiques, le Groupe
LEGO, Royaume-Uni; le 5 décembre 2023, avec la participation de Mme McIntosh
et Mme Cristina Voinea, chercheuse invitée,
Centre Uehiro d’éthique pratique d’Oxford, Faculté de philosophie,
Université d’Oxford, Royaume-Uni; le 21 mars 2024, avec la participation
de M. Martin Signoux, responsable des politiques publiques, Technologies
immersives, Métavers et politique IA, META, Paris; et M. Patrick
Penninckx, dans ses nouvelles fonctions de chef du Service «Développement
et gouvernance numérique», Direction générale Droits de l’Homme
et État de droit, Conseil de l’Europe; le 27 mai 2024, avec la participation
de M. Mikael Bomholt, chef de la Division des affaires internationales,
ministère du numérique et de l’égalité de genre, Danemark, M. Bjørn
Bedsted, Démocratie X (anciennement Conseil danois de la technologie
– DBT) et représentant du Réseau parlementaire européen d’évaluation
technologique (réseau EPTA), Danemark, et Mme Molly
Lesher, cheffe de l’Unité politique numérique, économie et mesures,
Direction de la science, de la technologie et de l’innovation, Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE). J’ai également
eu des échanges avec les délégués des ministres, des entreprises
technologiques et des spécialistes lors de la <a href='https://vodmanager.coe.int/coe/webcast/coe/2023-09-14-1/lang'>réunion
informelle du Comité des Ministres de septembre 2023</a> et j’ai assisté à la Journée de l’innovation en Europe
centrale et orientale, organisée par META le 12 décembre 2023 (la
vidéo est disponible <a href='https://vodmanager.coe.int/coe/webcast/coe/2023-09-14-1/lang'>ici</a>)..

2. Définition du métavers et portée du rapport

7. Il n’existe pas encore de définition cohérente unique de la notion de «métavers». Le présent rapport reprend la définition formulée par l’Extended Reality Safety Initiative (XRSI), pour laquelle un métavers est un réseau de mondes virtuels interconnectés surtout caractérisé par la présence, la persistance, l’immersion et l’interopérabilité. La plupart des définitions font de la réalité immersive un élément central, ce qui témoigne de son rôle essentiel dans la création d’environnements stimulants et interactifs.
8. Si l’on voit l’Internet comme un espace d’interactions entre utilisateurs, contenus numériques et traitements informatisés, on peut dire que le métavers en est un stade plus avancé encore. Les utilisateurs y interviennent par le truchement d’avatars, d’agents d’intelligence artificielle (IA) et autres incarnations numériques, ce qui intensifie l’impression de présence et d’interactivité.
9. Les contenus du métavers, enrichis par des technologies comme la réalité immersive, la réalité augmentée (RA), la réalité virtuelle (RV) et la réalité étendue (RE), suscitent des expériences immersives et multisensorielles. Le métavers étant principalement animé par l’IA, les interactions y sont plus dynamiques, plus réactives et plus personnalisées que dans l’internet traditionnel. Les termes étroitement liés incluent «Web3», «Web 3.0» et «informatique spatiale».
10. Le présent rapport traite surtout de l’expérience des utilisateurs actuels et potentiels qui accèdent au métavers au moyen de technologies immersives telles que des dispositifs portables de réalité virtuelle et augmentée. Il aborde trois grands thèmes: métavers et processus démocratiques ; développement humain et qualité de vie ; les grands défis à relever. Il ne prétend pas couvrir tous les domaines de déploiement de la réalité immersive ni tous les problèmes liés à son utilisation.
11. D’autres commissions de l’Assemblée parlementaire pourront ensuite, si elles le jugent approprié, se pencher sur d’autres aspects spécifiques du métavers les concernant, comme la territorialité, la juridiction, la police et la justice numériques, la participation politique et les libertés fondamentales, les problèmes de sécurité, les agressions et le harcèlement sexuels, la non-discrimination, les droits de l’enfant, le crime organisé, le blanchiment d’argent, la fraude, la protection des données et la cybersécurité, etc.

3. Métavers et processus démocratiques

3.1. Communautés, libertés fondamentales et participation démocratique

12. Les technologies émergentes telle la réalité virtuelle ou augmentée réinventent les interactions humaines en intégrant un élément de présence dans la communication en ligne et en reliant les communautés. Les utilisateurs de ces technologies ont souvent une forte sensation de «présence» d’habitude réservée à une expérience de contact physique direct 
			(3) 
			Bailenson, J. (2018).
«Experience on demand: what virtual reality is, how it works, and
what it can do» (First edit). W.W. Norton & Company..
13. Contrairement à la communication numérique traditionnelle, les médias immersifs permettent aux individus de se rencontrer par le truchement d’avatars, de former des communautés liées par un intérêt commun et d’entreprendre des activités de groupe depuis le monde entier. Ils peuvent ainsi étendre les libertés d’association et de réunion dans des mondes numériques. Mais le sentiment d’appartenance à une communauté n’apparaît pas de lui-même, il naît d’un but et d’un contexte; la liberté d’expression et d’action collective dépendent dans une large mesure de l’approche adoptée par les entreprises et les gouvernements.
14. Les outils du métavers ouvrent aussi de nouvelles possibilités de télétravail; ils pourraient conduire à la démocratisation de l’accès à des emplois offerts à l’échelle mondiale et créer de nouveaux canaux internationaux de collaboration, de recherche et d’entrepreneuriat. L’accès reste malheureusement coûteux et difficile 
			(4) 
			Bennett, J., Dalton,
P., Goriunova, O., Preece, C., Whittaker, L., Verhulst, I., &
Woods, A. (2021). «Audience Insight Report: The story of immersive
users.» StoryFutures.., notamment pour les personnes âgées et d’autres groupes vulnérables, ce qui risque de creuser les failles numériques.
15. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient donc soutenir des investissements stratégiques dans des plateformes immersives proposant des modèles de structures sociales et communautaires positives, et reflétant les approches du secteur public en matière d’urbanisme et de démocratie sociale, par opposition à l’expansion urbaine et au libertarianisme.
16. Ils pourraient également envisager d’établir un code de déontologie des projets de métavers à financement public afin de diversifier la participation des communautés, de sorte que les utilisateurs puissent raisonnablement s’attendre que les droits humains, les libertés fondamentales et l’État de droit seront respectés 
			(5) 
			L’application d’un
tel code pourrait être obligatoire, ou rendue attrayante par des
labels de qualité et des dispositifs incitatifs ou dissuasifs commerciaux., tout en veillant à ce que la législation sur la liberté d’expression, d’association et de réunion couvre explicitement le métavers.

3.2. Autonomiser les jeunes pour une démocratie numérique équitable

17. Comme la révolution de l’Internet avant lui, le métavers 3D ouvre des possibilités d’élargissement de l’accès individuel à l’information, à de nouvelles tribunes d’expression et à la participation démocratique active.
18. Bien des jeunes grandissent actuellement dans des environnements de jeu proto-métavers (comme Fortnite, Roblox et Minecraft) ; ils développent un haut degré de culture et de compétences numériques, et recherchent probablement de nouvelles formes d’engagement au sein de ces espaces. Les gouvernements et les institutions publiques prévoyants pourraient encourager la participation des jeunes en intégrant le métavers dans les possibilités qu’ils leur offrent de se mobiliser et dans les actions de développement social, pour leur permettre de jouer un plus grand rôle dans la définition des politiques et de participer plus activement à la vie démocratique.
19. Toutefois, l’accès à cette technologie est très concentré dans les pays du Nord et autour des centres privilégiés par une connectivité à l’internet fiable et à haut débit ; des efforts structurels sont donc nécessaires pour combler ce «fossé numérique» 
			(6) 
			Kopp, I. (2017), «Who
Is VR For?» Immerse News (online). <a href='https://immerse.news/who-is-vr-for-20b3f077a912'>https://immerse.news/who-is-vr-for-20b3f077a912</a>., 
			(7) 
			Sinclair, K., Clark,
J. (2020), «Making New Reality: A toolkit for inclusive media futures»
(online) <a href='https://makinganewreality.org/'>https://makinganewreality.org/</a>..
20. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient donc insérer des possibilités de mobilisation publique et de citoyenneté active dans du métavers, en associant des jeunes à leur conception pour ne pas se laisser distancer par les rapides changements techno-culturels et encourager une citoyenneté démocratique assumée.
21. Ils pourraient lancer des actions visant en priorité l’inclusion, rechercher activement la contribution de groupes autrement minoritaires, et procéder à des investissements qui favorisent l’interconnexion des personnes freinées par des handicaps géographiques, de mobilité, de santé ou économiques.

4. Métavers, développement humain et qualité de vie

4.1. Éducation et culture

4.1.1. Environnements d’apprentissage et de jeu virtuels

22. La réalité virtuelle ou augmentée est déjà utilisée en classe: les élèves partent en «excursions» virtuelles, voyagent dans l’espace et le temps, et accèdent à des histoires cachées ou rebâtissent des ruines. Les «métaversités», répliques numériques d’universités, se développent ; un étudiant de l’université de Turin a été en juillet 2022 le premier à obtenir son diplôme dans un métavers 
			(8) 
			La
Repubblica, <a href='https://www.repubblica.it/tecnologia/2022/08/29/news/edoardo_di_pietro_primo_laureato_nel_metaverso_vorrei_un_mondo_virtuale_che_sia_soprattutto_bello_da_vivere-361420229/?ref=RHVS-VS-I302503236-P7-S4-T1'>«Edoardo
Di Pietro, primo laureato nel metaverso: Vorrei un mondo virtuale
che sia bello da vivere»</a>, 19 septembre 2022.. L’interaction, l’incarnation et la dimension spatiale des environnements d’apprentissage virtuels se sont révélés efficaces dans un grand nombre de contextes éducatifs, notamment dans les domaines du design, de l’architecture, de l’ingénierie et des sciences 
			(9) 
			Hamilton, D., McKechnie,
J., Edgerton, E., & Wilson, C. (2021). «Immersive virtual reality
as a pedagogical tool in education: a systematic literature review
of quantitative learning outcomes and experimental design». Journal
of Computers in Education, 8(1), 1–32. <a href='https://doi.org/10.1007/s40692-020-00169-2'>https://doi.org/10.1007/s40692-020-00169-2</a>., et peuvent favoriser le développement de connaissances et de compétences 
			(10) 
			Wu, B., Yu, X., &
Gu, X. (2020). «Effectiveness of immersive virtual reality using
head-mounted displays on learning performance: A meta-analysis».
British Journal of Educational Technology, 51(6). <a href='https://doi.org/10.1111/bjet.13023'>https://doi.org/10.1111/bjet.13023</a>..
23. Le volet social du métavers offre également aux enfants de nouvelles possibilités pour jouer ensemble, développe leurs compétences interpersonnelles et encourage le jeu à caractère créatif, coopératif et compétitif.

4.1.2. Seuils d’âge

24. Les seuils d’âge pour enfants varient ; ils tendent à se situer entre 10 et 13 ans, mais nombre d’entreprises proposent des formules d’apprentissage immersif pour enfants à partir de 4 ans ou ne spécifient pas de limite d’âge inférieure. Les comportements peuvent être volatiles et imprévisibles dans des environnements où interagissent des utilisateurs multiples; il est donc difficile de fixer par avance des seuils d’âge. L’organisation PEGI (Pan-European Game Information) a choisi de recommander le contrôle parental pour ce type d’applications.
25. De récentes études donnent à penser que l’absence de modération d’un métavers se traduit par un afflux d’utilisateurs d’un âge apparemment bien inférieur au seuil recommandé, ainsi exposés à l’exploitation et aux abus 
			(11) 
			Allen,
C., & McIntosh, V. (2023). «Child Safeguarding and Immersive
Technologies: An Outline of the Risks». <a href='https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies'>https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies</a>..

4.1.3. Neuroplasticité

26. Des recherches suggèrent que les enfants dont la vision, le système vestibulaire et le système nerveux sont encore en évolution peuvent être particulièrement sensibles à un «brouillage» de la distinction entre l’imaginaire et la réalité, ce qui engendre de faux souvenirs à l’âge préscolaire 
			(12) 
			Segovia, K. Y., &
Bailenson, J. N. (2009). «Virtually True: Children’s Acquisition
of False Memories in Virtual Reality». Media Psychology, 12(4),
371–393. <a href='https://doi.org/10.1080/15213260903287267'>https://doi.org/10.1080/15213260903287267</a>., ou un impact disproportionné des messages reçus sur les médias 
			(13) 
			Bailey,
J. O., Bailenson, J. N., Obradović, J., & Aguiar, N. R. (2019).
«Virtual reality’s effect on children’s inhibitory control, social
compliance, and sharing». Journal of Applied Developmental Psychology,
64, 101052. <a href='https://doi.org/10.1016/j.appdev.2019.101052'>https://doi.org/10.1016/j.appdev.2019.101052</a>..

4.1.4. Dangers et agressions

27. Une récente étude a montré que les technologies immersives sont mises à profit pour rencontrer, solliciter à des fins sexuelles (grooming), exploiter des enfants et en abuser, et pour produire des avatars ultraréalistes de vrais enfants afin de simuler des scènes d’agressions sexuelles d’enfants avec d’autres agresseurs 
			(14) 
			McIntosh, V., &
Allen, C. (2023). «Child Safeguarding and Immersive Technologies:
Key Concepts». <a href='https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies'>https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies</a>.. Des personnes utilisent aussi à des fins criminelles les espaces de réalité virtuelle pour échanger des outils et des techniques d’agressions sexuelles, ainsi que des artifices leur permettant d’échapper à la surveillance. Les services de renseignement de la police pensent que ces personnes estiment n’avoir guère de chances d’être découvertes et poursuivies par insuffisance de la surveillance et des compétences techniques des services de police.

4.1.5. Précautions prises par la branche

28. Au-delà de la surveillance parentale, le contrôle revêt souvent la forme de vérifications d’accès et d’informations sur l’accès aux applications mais pas sur les personnes que les enfants peuvent rencontrer dans les espaces virtuels ni sur les expériences qu’ils peuvent y faire. Certaines sociétés ont des politiques de «sécurisation dès la conception» ; LEGO et Epic Games, par exemple, ont dit pendant une audition à Londres donner la priorité à la sécurité, au bien-être et à la vie privée des enfants, et les équiper d’outils leur permettant de conserver la maîtrise de leur expérience numérique, comme le demandent l’Organisation des Nations Unies (ONU) 
			(15) 
			La
Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant mentionne
la protection contre les préjudices, la fourniture d’un contenu
adapté à l’âge et le droit de participer à la culture dont ils font
eux-mêmes partie. et l’initiative de l’UNICEF Responsible Innovation in Technology for Children (Innovation responsable dans les technologies destinées aux enfants) 
			(16) 
			UNICEF. (2022). «Responsible
innovation in technology for children digital technology, play and
child well-being». <a href='https://www.unicef-irc.org/ritec'>www.unicef-irc.org/ritec</a>..
29. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient envisager de lancer un programme de sensibilisation du public pour informer les parents et les responsables de mineurs des risques et des avantages potentiels liés à l’utilisation de la réalité virtuelle chez les enfants. Des ressources devraient être affectées, au sein des services de police et des autorités judiciaires, à la formation d’un personnel spécialisé capable de se charger spécifiquement des infractions commises dans la réalité virtuelle.
30. Il faudrait aussi améliorer les fonctionnalités de colocation permettant l’utilisation simultanée de deux dispositifs interconnectés ou davantage depuis un même lieu physique, pour faciliter le partage parent-enfant dans le monde virtuel.

4.2. Culture, créativité et médias

4.2.1. Nouvelles formes d’art et sports accessibles à de nouveaux publics

31. Dans toutes les formes d’art, les artistes et industries créatives d’Europe intègrent des médias immersifs dans leur travail, suscitant des réactions physiologiques chez les spectateurs et influant sur leur humeur, leurs idées ou leurs comportements. Divers espaces artistiques exclusivement immersifs ont ouvert en Europe et dans le monde, et les institutions culturelles existantes font revivre des moments historiques en les transformant en voyages sensoriels captivants et en organisant des expositions immersives d’art ou de nature, ainsi que des festivals de films et de jeux. Des expériences artistiques sont téléchargeables dans des boutiques d’applications et accessibles depuis chez soi à un large public.
32. Le sport, qu’il soit activité ou spectacle, peut être amplifié dans un métavers, notamment par diffusion en 3D de rencontres sportives; cela nécessite toutefois un matériel coûteux. Et des violences, des émeutes, des jeux d’argent et du dopage peuvent aussi survenir dans la réalité virtuelle.

4.2.2. Transformation des paysages médiatiques

33. Les médias traditionnels reculent, et la majorité des médias immersifs sont désormais créés par des sociétés de production indépendantes, qui bénéficient d’aides publiques et d’investissements privés. Les consommateurs accèdent en général directement, par les boutiques d’applications, aux médias des entreprises technologiques, avec des formes variables de sélection, de gestion et de modération des contenus.
34. Les politiques adoptées devraient empêcher les médias numériques, y compris les environnements immersifs, de priver la sphère publique de son pouvoir 
			(17) 
			<a href='https://www.noemamag.com/approaching-the-infopocalypse/'>«Approaching
The Infopocalypse» (noemamag.com)</a>, 23 June 2023. et de nourrir la méfiance du public à l’égard des institutions démocratiques, dont les parlements et les assemblées régionales ou locales.

4.2.3. Médias de service public

35. Le déclin des médias traditionnels se poursuit, et le métavers pourra constituer de nouvelles plateformes de diffusion d’actualités et d’informations, et d’accès à des services publics. Des campagnes de sensibilisation permettraient au public de s’y connecter avec confiance et d’apprendre à distinguer les sources authentiques de celles qui ne le sont pas. D’autres sources d’informations équivalentes (et non implantées dans le métavers) devront probablement être maintenues afin d’éviter la discrimination à l’égard des personnes qui n’ont pas accès aux outils immersifs.
36. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient produire des écosystèmes créatifs et immersifs florissants ainsi que des canaux de distribution financièrement viables, et encourager les organisations de l’industrie créative. Les approches adoptées à l’égard des médias de service public devraient tenir compte du déclin des médias traditionnels au profit des canaux d’information en ligne, dont les métavers.

4.3. Santé et bien-être

37. Il est recouru aux technologies immersives à de nombreuses fins cliniques et thérapeutiques, pour le bien-être physique et mental des patients et pour la gestion des douleurs aiguës et chroniques 
			(18) 
			Pourmand, A., Davis,
S., Marchak, A., Whiteside, T., & Sikka, N. (2018). «Virtual
Reality as a Clinical Tool for Pain Management. Current Pain and
Headache Reports», 22(8), 53. <a href='https://doi.org/10.1007/s11916-018-0708-2'>https://doi.org/10.1007/s11916-018-0708-2</a>. (traitement des phobies par thérapie d’exposition 
			(19) 
			Carl,
E., Stein, A. T., Levihn-Coon, A., Pogue, J. R., Rothbaum, B., Emmelkamp,
P., Asmundson, G. J. G., Carlbring, P., & Powers, M. B. (2019).
«Virtual reality exposure therapy for anxiety and related disorders:
A meta-analysis of randomized controlled trials. Journal of Anxiety
Disorders», 61, 27–36. <a href='https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2018.08.003'>https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2018.08.003</a>., familiarisation des autistes avec des scénarios sociaux 
			(20) 
			Bradley,
R., & Newbutt, N. (2018). «Autism and virtual reality head-mounted
displays: a state of the art systematic review. Journal of Enabling
Technologies», 12(3), 101–113. <a href='https://doi.org/10.1108/JET-01-2018-0004'>https://doi.org/10.1108/JET-01-2018-0004</a>., traitement du syndrome de stress post-traumatique 
			(21) 
			Rizzo,
A., Parsons, T. D., Lange, B., Kenny, P., Buckwalter, J. G., Rothbaum,
B., Difede, J., Frazier, J., Newman, B., Williams, J., & Reger,
G. (2011). «Virtual Reality Goes to War: A Brief Review of the Future
of Military Behavioral Healthcare. Journal of Clinical Psychology
in Medical Settings», 18(2), 176–187. <a href='https://doi.org/10.1007/s10880-011-9247-2'>https://doi.org/10.1007/s10880-011-9247-2</a>., thérapies physiques et rééducation post-AVC, soutien psychologique, etc.). Moyennant un apport de recherches et d’investissements, il serait possible d’améliorer l’indépendance des patients, de recourir à des consultations en espaces virtuels et à des séances de groupe, et de pallier les problèmes d’engorgement des hôpitaux. Les dispositifs portables de réalité augmentée sont utilisés en chirurgie, ou aident à enseigner l’administration de soins complexes, ce qui réduit la nécessité de recourir aux sujets vivants et aux cadavres 
			(22) 
			Barsom,
E. Z., Graafland, M., & Schijven, M. P. (2016). «Systematic
review on the effectiveness of augmented reality applications in
medical training. Surgical Endoscopy», 30(10), 4174–4183. <a href='https://doi.org/10.1007/s00464-016-4800-6'>https://doi.org/10.1007/s00464-016-4800-6</a>., 
			(23) 
			Palumbo, A. (2022).
«Microsoft HoloLens 2 in Medical and Healthcare Context: State of
the Art and Future Prospects». Sensors, 22(20), 7709. <a href='https://doi.org/10.3390/s22207709'>https://doi.org/10.3390/s22207709</a>.. Cependant, les nombreux prestataires possèdent leurs propres normes et dispositifs de freins et contrepoids.
38. Les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient encourager le partage de connaissances entre prestataires de soins de santé et définir des normes professionnelles internationales (sur la stérilisation et l’hygiène, la protection de la vie privée des patients et la sécurisation des données, l’accessibilité et l’inclusivité, la formation du personnel clinique, l’assistance aux patients et l’utilisation sécurisée des nouvelles technologies) pour aider les cliniciens à recourir aux technologies émergentes.

4.4. Climat et développement durable

39. La connectivité sociale, spatiale et productive des technologies du métavers a des coûts financiers et environnementaux bien inférieurs à ceux des transports routiers et aériens, surtout pour les voyages d’affaires. Elles peuvent aussi venir en aide aux personnes privées de nature par une hospitalisation, une incarcération, un confinement, une mobilité restreinte ou le manque d’accès à des espaces non construits (promenades simulées dans la nature ou «bains de forêt» virtuels, par exemple) 
			(24) 
			Reese, G., Stahlberg,
J., Menzel, C. (2022) «Digital shinrin-yoku», Journal of Virtual
Reality, 26(3) <a href='https://doi.org/10.1007/s10055-022-00631-9'>https://doi.org/10.1007/s10055-022-00631-9</a>.. La fabrication du matériel nécessaire au métavers accroîtra toutefois les rejets de déchets et la pollution à l’échelle mondiale (ponctions dans des ressources rares, distribution mondiale et traitement des données) 
			(25) 
			Andrea, A. (2017) «Life
Cycle Assessment of a Virtual Reality Device». Challenges. 8(2). <a href='https://www.mdpi.com/2078-1547/8/2/15'>https://doi.10.3390/challe8020015</a>..
40. Pour concourir aux objectifs climatiques internationaux et aux Objectifs de développement durable des Nations Unies tout au long de la chaîne d’approvisionnement, les gouvernements et les opérateurs de métavers pourraient essayer d’offrir des locaux virtuels pour des conférences, des rencontres et des projets, ce qui réduirait les voyages internationaux. Ils pourraient définir des codes de conduite ou des réglementations prévoyant l’évaluation du cycle de vie des technologies immersives, encourageant les pratiques responsables (comme le recyclage de l’or et des terres rares, la réduction des transports, etc.), faisant mieux connaître au public l’existence des centres de réparation et de récupération, ainsi que des installations de recyclage du matériel électronique grand public et améliorant leur accès.

4.5. Accès aux services publics

41. Certains gouvernements, villes et institutions mettent à profit les possibilités que leur offre le métavers dans divers domaines, ce qui pourrait se traduire par des gains de transparence et d’efficience et des réductions de coûts et de complexité. Il faudrait cependant étudier de près les effets que cela aurait sur les populations, en particulier les membres des groupes les plus marginalisés incapables d’accéder à ces services.

4.6. Concurrence et standardisation

42. En phase d’émergence d’un secteur, les monopoles peuvent passer inaperçus ou paraître dynamiser la croissance d’un marché au volume réduit; un nombre relativement faible d’acteurs peuvent alors dicter les modèles d’affaires, les attentes des usagers et les impératifs commerciaux de la branche. Les nouveaux arrivants sont alors exclus de fait en raison des écarts d’échelle et de la dominance des acteurs présents.
43. Il n’existe pas à l’heure actuelle de normes universellement applicables au métavers. Plusieurs organismes ont été créés par l’industrie pour définir collectivement des normes de compatibilité et d’interopérabilité des produits et services correspondants.
44. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient étudier soigneusement le degré de concentration de la branche et ouvrir aux nouveaux intervenants des possibilités pour y prendre pied. La définition de normes pratiques et éthiques applicables au métavers appellerait une collaboration plus étroite entre l’industrie, les responsables des politiques et la société civile.

5. Les grands défis

5.1. Manipulation sociale et politique

45. La manipulation politique antidémocratique et la radicalisation à grande échelle, la mésinformation et la coercition sont des risques à étudier soigneusement, en particulier chez les jeunes 
			(26) 
			Slater,
M. (2009). «Place illusion and plausibility can lead to realistic
behaviour in immersive virtual environments». Philosophical Transactions.
Biological Sciences, 364(1535), 3549–3557. <a href='https://doi.org/10.1098/rstb.2009.0138'>https://doi.org/10.1098/rstb.2009.0138</a>., car elles peuvent par exemple influer sur les comportements électoraux ou encourager la non-participation de certains groupes. Parmi les autres risques figurent: l’utilisation d’avatars robotisés (sans opérateur humain) conçus pour orienter les rencontres sociales vers tel ou tel programme politique ; les avatars en hypertrucage (deep fake), créés pour usurper l’identité d’une personne physique afin de gagner la confiance des utilisateurs ou à des fins frauduleuses ; le nudge, outil psychologique qui guide les utilisateurs vers un choix particulier, y compris une idéologie radicale ; la propagande et la publicité ciblée, tirant parti d’un profilage social basé sur des données pour diffuser de la propagande sur mesure.
46. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient envisager une régulation des contenus comparable ce qui a été fait dans la radiodiffusion-télévision et le cinéma, et appliquer les enseignements tirés ces dix dernières années de la réglementation des médias sociaux pour intervenir sur les dispositifs grâce auxquels les acteurs publics et privés parviennent à manipuler le comportement des utilisateurs. Il faudrait aussi limiter les investissements et l’influence qu’un organisme d’État ou une société privée peut accumuler dans des écosystèmes de métavers.

5.2. Harcèlement, agression, discours de haine, violence

47. Les plateformes de métavers présentent des risques avérés de harcèlement et d’agression 
			(27) 
			Eccles, L. (2022, January
22). «My journey into the metaverse - already a home to sex predators». The Sunday Times., surtout si elles ne sont pas surveillées; les femmes et les minorités sont les cibles les plus courantes 
			(28) 
			Limina Immersive. (2018).
«Immersive Content Formats for Future Audiences». <a href='http://www.digicatapult.org.uk/'>www.digicatapult.org.uk</a>.. Les menaces physiques, la violence simulée, les attouchements non consentis ou l’intrusion dans l’espace personnel peuvent entraîner une détresse psychologique sévère. Le phénomène de «toucher fantôme» peut augmenter l’impact traumatique ressenti par les victimes, et se démarque ainsi du cyberharcèlement traditionnel 
			(29) 
			McIntosh,
V., & Allen, C. (2023). «Child Safeguarding and Immersive Technologies:
Key Concepts». <a href='https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies'>https://learning.nspcc.org.uk/research-resources/2023/child-safeguarding-immersive-technologies</a>.. Une déconnexion rapide de la réalité virtuelle, en particulier en situation de stress ou d’anxiété, n’est pas une solution simple et peut provoquer des crises de panique ou de dissociation 
			(30) 
			Allen,
C., & McIntosh, V. (2022). «Safeguarding the metaverse». <a href='https://www.theiet.org/media/9836/safeguarding-the-metaverse.pdf'>www.theiet.org/media/9836/safeguarding-the-metaverse.pdf</a>..
48. Une personne représentant META qui s’est exprimée devant la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a décrit des fonctionnalités importantes qui existent déjà sur les réseaux sociaux: par exemple, la possibilité de bloquer et de signaler des contenus ou de désactiver le son d’autres utilisateurs. En outre, une «zone de sécurité», indiquée par l’image d’un bouclier, permet à un utilisateur de se tenir à distance d’autres utilisateurs, et des «limites personnelles» définissent un espace infranchissable de deux mètres autour de l’utilisateur. Je me demande si c’est suffisant.
49. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient reconnaître que le métavers est un espace public et que la sécurité, les droits humains et les libertés fondamentales ont droit de cité dans la réalité virtuelle ou augmentée. Les développeurs extérieurs de plateformes doivent respecter scrupuleusement les conditions générales fixées par les magasins d’applications pour lutter contre le harcèlement et les agressions, et assurer une surveillance constante et la répression des abus de confiance. Les liens devraient être plus étroits entre le métavers et les services de police nationaux, et les lois sur la violence sexuelle être étendues aux violences commises dans un métavers (définition juridique de l’attouchement et autres lacunes et vides juridiques).

5.3. Vie privée et protection des données

50. Les protections existantes en matière de gestion des données à caractère personnel telles que le nom et les caractéristiques protégées pourraient ne plus être suffisantes du fait que les données comportementales 
			(31) 
			Miller, M. R., Herrera,
F., Jun, H., Landay, J. A., & Bailenson, J. N. (2020). «Personal
identifiability of user tracking data during observation of 360-degree
VR video». Scientific Reports, 10(1), 17404. <a href='https://doi.org/10.1038/s41598-020-74486-y'>https://doi.org/10.1038/s41598-020-74486</a>. peuvent être exploitées pour établir précisément l’identité et le profil d’une personne par d’autres moyens 
			(32) 
			Kröger,
J. L., Lutz, O. H.-M., & Müller, F. (2020). «What Does Your
Gaze Reveal About You? On the Privacy Implications of Eye Tracking»
(pp. 226-241). <a href='https://doi.org/10.1007/978-3-030-42504-3_15'>https://doi.org/10.1007/978-3-030-42504-3_15</a>.. Les données neurologiques telles que l’EEG (les signaux cérébraux) et l’EMG (les micromouvements musculaires) feront bientôt partie de l’interface quotidienne des consommateurs avec des technologies portables comme les écouteurs intra-auriculaires 
			(33) 
			Apple
Inc. (2023). «Biosignal sensing device using dynamic selection of
electrodes» (Patent US-20230225659-A1). <a href='https://image-ppubs.uspto.gov/dirsearch-public/print/downloadPdf/20230225659'>https://image-ppubs.uspto.gov/dirsearch-public/print/downloadPdf/20230225659</a>. et les bracelets connectés 
			(34) 
			Facebook Reality Labs
(now Meta). (2021). «Inside Facebook Reality Labs_ Wrist-based interaction
for the next computing platform». Tech at Facebook. <a href='https://tech.facebook.com/reality-labs/2021/3/inside-facebook-reality-labs-wrist-based-interaction-for-the-next-computing-platform/'>https://tech.facebook.com/reality-labs/2021/3/inside-facebook-reality-labs-wrist-based-interaction-for-the-next-computing-platform/</a>., ce qui affine encore les informations biométriques (psychographie biométrique) 
			(35) 
			Heller, B. (2020).
«Watching Androids Dream of Electric Sheep: Immersive Watching Androids
Dream of Electric Sheep: Immersive Technology, Biometric Psychography,
and the Law». Technology Law Vanderbilt Journal of Entertainment
& Technology Law, 23(1). <a href='https://scholarship.law.vanderbilt.edu/jetlaw/vol23/iss1/1'>https://scholarship.law.vanderbilt.edu/jetlaw/vol23/iss1/1</a>. dont peuvent disposer les opérateurs; chaque entreprise décide à sa façon de l’exploitation de ses données, de leur traitement, de leur stockage, etc. 
			(36) 
			Meta. (2023). «Supplemental
Meta Platforms Technologies Privacy Policy». <a href='https://www.meta.com/gb/legal/privacy-policy/'>www.meta.com/gb/legal/privacy-policy/</a>..
51. Selon les Perspectives de l’économie numérique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 2024, des recherches montrent que 20 minutes dans la réalité virtuelle créent 2 millions d’enregistrements uniques du langage corporel et que 95% des utilisateurs peuvent être identifiés avec moins de 5 minutes de suivi des données. Les dispositions juridiques centrées sur le consentement sont moins pertinentes pour la réalité virtuelle car, dans la réalité virtuelle, il est impossible de «se retirer» ou de «passer incognito»; les définitions figurant dans la réglementation sur la protection de la vie privée doivent évoluer avec la technologie.
52. Cela présente de graves risques d’atteinte à la vie privée des utilisateurs et de non-respect de la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108, «Convention 108»), ainsi que du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne.
53. Les gouvernements et opérateurs de métavers devraient analyser comment la législation existante sur la protection des données s’applique au métavers et évaluer les points de compatibilité et d’incompatibilité actuels et futurs des plateformes et contenus. Le droit à la vie privée mentale devrait aussi y être protégé, y compris pour ce qui est des nouveaux neurodroits.

5.4. Convergence avec l’intelligence artificielle

54. L’évolution des technologies du métavers est susceptible d’accompagner celle de l’IA dans trois grands domaines: l’IA générative ; la modération dans les espaces sociaux (vérifications d’âge, filtrage des contenus illicites, etc.) ; et la modélisation des comportements (agrégation à grande échelle des données sur les utilisateurs).
55. La loi du Parlement européen sur l’IA pose une série de règles en fonction du niveau de risque ; le plus élevé est déclaré inacceptable (manipulation comportementale cognitive de personnes ou de groupes vulnérables spécifiques, notation sociale et systèmes d’identification biométrique à distance en temps réel 
			(37) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240308IPR19015/intelligence-artificielle-les-deputes-adoptent-une-legislation-historique'>«Intelligence
artificielle: les députés adoptent une loi historique» | Actualités
| Parlement européen (europa.eu).</a>. Certaines architectures de métavers présentent un risque structurel d’infraction sur tous ces critères.
56. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient chercher à assurer la transparence de l’IA pour les utilisateurs d’environnements immersifs (par exemple par de claires indications lisibles permettant de distinguer les avatars conduits par une personne physique et les avatars robotisés pilotés par IA). Les systèmes de surveillance et de modération par IA devraient se limiter à l’analyse in situ du comportement des utilisateurs, dans le respect des droits de l’utilisateur et de l’État de droit. Les utilisateurs devraient les comprendre et les données produites être exploitées conformément à des conditions générales explicites. Enfin, des dispositifs de signalement devraient permettre d’identifier les comportements potentiellement illicites et de les transmettre à l’autorité compétente, qui aura besoin de ressources supplémentaires (formation aux technologies immersives, à la criminalité virtuelle et au rôle, aux limites et aux biais des systèmes de signalement par IA).

5.5. Cybercriminalité et justice

57. Les infractions peuvent être commises dans un métavers sur une plateforme gérée par une entreprise relevant d’une juridiction mais recourant à des serveurs domiciliés dans une autre juridiction; de plus, les auteurs et victimes s’y connectent depuis le monde entier. La détection des infractions, la collecte des preuves et les poursuites pouvant se révéler difficiles, des cadres de coopération internationale sont nécessaires pour décourager la criminalité et s’en protéger. Le Laboratoire d’innovation d’Europol a recommandé en 2022 d’aider les services de police à acquérir une expérience directe des technologies immersives, à identifier les lacunes et à concevoir de nouvelles mesures 
			(38) 
			Europol. (2022). «Policing
in the metaverse: what law enforcement needs to know, an observatory
report from the Europol Innovation Lab». <a href='https://doi.org/10.2813/81062'>https://doi.org/10.2813/81062</a>..
58. Les gouvernements et les opérateurs de métavers devraient encourager au sein des administrations gouvernementales l’acquisition stratégique de compétences en matière de technologies immersives, et revoir et actualiser régulièrement la législation afin d’assurer en permanence une ample protection de la population, en particulier les groupes vulnérables, en coopération avec des agences internationales comme Interpol et Europol. Les accords de coopération internationale devraient soutenir la prévention et la répression interjuridictionnelles des infractions commises dans le métavers.

5.6. Géopolitique et cyberguerres

59. Le métavers est par nature décentralisé, ce qui pose des problèmes globaux de gouvernance et de souveraineté. Les pays chercheront probablement à y affirmer leur influence et leur contrôle, ce qui pourrait engendrer des frictions et des conflits en matière de souveraineté numérique 
			(39) 
			<a href='https://www.wired.com/story/china-threatens-splinter-metaverse/'>«How
China Threatens to Splinter the Metaverse» | WIRED.</a>. Les spécialistes de la sécurité pensent qu’une sorte de darknet pourrait s’implanter dans les environnements de réalité virtuelle, avec des marchés souterrains inaccessibles à la police 
			(40) 
			<a href='https://osinter.dk/article/161dd07f266c8c9f72cd1100a665b7da'>«Researchers
warn of darkverse emerging from the metaverse» | OSINTer.</a>.
60. La surveillance du métavers nécessite des interventions proactives et réactives. La collaboration et le dialogue sont essentiels, et offrent aux gouvernements la possibilité de rendre cette technologie du futur inclusive, équitable et durable pour tous.

5.7. Liberté et autonomie individuelles

61. Comme cela est ressorti des auditions de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias de décembre 2023, les développeurs de métavers cherchent à maximiser leurs bénéfices et considèrent souvent les utilisateurs comme une marchandise. La relation symbiotique entre l’attention, la mobilisation de l’utilisateur et les recettes publicitaires conduit au perfectionnement et à l’optimisation continus des algorithmes afin de maximiser les bénéfices. Des entreprises de technologie puissantes auront encore plus de contrôle sur les systèmes, ce qui pourrait se traduire en comportements d’achat compulsifs, en dépendances ou en utilisation excessive de la technologie et en publicités invasives. Il n’en va pas seulement de la protection des données, mais aussi de la liberté et de l’autonomie.
62. Les gouvernements devraient envisager d’adopter des réglementations barrant la route aux monopoles et aux pratiques anticoncurrentielles, et de rendre le pouvoir aux utilisateurs, avec possibilité de bloquer des contenus. Il s’agirait surtout de modération appropriée des contenus (procédures de détection et de signalement), de responsabilité algorithmique (par audits réguliers garantissant l’équité et la transparence), de programmes d’éducation et de familiarisation avec le numérique, ainsi que d’une gouvernance participative garantissant que le métavers est utilisé pour le bien public.

6. Travaux du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne

63. Le Conseil de l’Europe a publié avec l’institut de normalisation de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE) un rapport préliminaire sur le métavers et son impact sur les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie, dont les conclusions ont été présentées à la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias. Le rapport complet a été présenté le 17 juin 2024, à l’occasion d’EuroDIG, à Vilnius.
64. Le 17 mai 2024, la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit a été adoptée par le Comité des Ministres, et elle est ouverte aux pays non européens. Le cadre juridique couvre la totalité du cycle de vie des systèmes d’IA et traite des risques que ces systèmes peuvent créer, tout en encourageant l’innovation responsable. La Convention-cadre (STCE n° 225) a été ouverte à la signature le 5 septembre 2024 à Vilnius, lors d’une conférence des ministres de la Justice.
65. L’avis de l’Assemblée du 18 avril 2024, a appelé tous les États membres du Conseil de l’Europe, lorsqu’ils ratifieront la convention, à reconnaître la pleine applicabilité de ses dispositions aux activités des acteurs privés, et à restreindre, voire interdire, certains usages de l’IA jugés incompatibles avec les droits humains, notamment en matière de santé et d’environnement.
66. Les travaux sur la réalité virtuelle, liés à la mise en œuvre de la Convention-cadre, se poursuivront dans divers secteurs de l’Organisation à partir de 2025, y compris au sein de l’Assemblée et de sa commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, ainsi que de la sous-commission sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme.
67. Le Conseil de l’Europe devrait poursuivre ses analyses afin de déterminer si les instruments et les cadres juridiques en vigueur sont assez étendus pour couvrir les réalités immersives ou si des outils supplémentaires sont nécessaires. Le Comité des Ministres a déjà chargé le Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI) de mener une étude de faisabilité sur la question, qui constituera une première étape sur la voie de l’élaboration d’orientations en la matière. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être amenée à examiner des affaires concernant des atteintes aux droits dans les réalités virtuelles.
68. En ce qui concerne l’utilisation de l’IA, les réalités immersives et la protection des données, les services du Conseil de l’Europe chargés de la protection des données et des droits de l’enfant travaillent aussi sur les neurotechnologies, la sécurité et la protection des données en tant que questions clés pour le développement futur de la réalité virtuelle. Il est indispensable de sensibiliser les jeunes à ces questions, compte tenu de la rapidité de la numérisation. Comme l’a précisé le Comité des Parties à la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201, «Convention de Lanzarote»), la Convention de Lanzarote s’applique quels que soient les moyens utilisés par les délinquants sexuels pour commettre les infractions, y compris facilitées par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) 
			(41) 
			<a href='https://rm.coe.int/t-es-2017-03-fr-final-avis-interpretatif/168071cb5e'>Avis
interprétatif sur l’applicabilité de la Convention de Lanzarote
aux infractions sexuelles commises à l’encontre des enfants et facilitées
par l’utilisation des technologies de l’information et de la communication,
adopté par le Comité de Lanzarote le 12 mai 2017</a>; voir aussi: <a href='https://rm.coe.int/rapport-de-mise-en-uvre-la-protection-des-enfants-contre-l-exploitatio/1680a619c5'>rapport
de mise en œuvre: «La protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels facilités par les technologies de l’information
et de la communication (TIC): répondre aux défis soulevés par les
images et/ou vidéos à caractère sexuel autogénérées par les enfants»,
adopté par le Comité de Lanzarote le 10 mars 2022.</a>.
69. Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne a adopté en juillet 2023 une nouvelle stratégie sur le Web 4.0 et les mondes virtuels, afin d’accompagner la prochaine transition technologique et de garantir un environnement numérique ouvert, sécurisé, digne de confiance, équitable et inclusif pour les particuliers, les entreprises et les administrations publiques de l’Union européenne 
			(42) 
			Un <a href='https://citizens.ec.europa.eu/virtual-worlds-panel_fr'>panel
de citoyens européens sur les mondes virtuels</a> organisé en 2023 a mis en évidence huit valeurs et principes:
la liberté de choix, la durabilité, le centrage sur l’être humain,
la santé, l’éducation et la maîtrise des mondes virtuels, la sûreté
et la sécurité, la transparence et l’inclusion. Les 23 recommandations
formulées portent sur divers sujets: par exemple, le contrôle et
la supervision par les pouvoirs publics, la préservation et l’harmonisation
des lois relatives au marché du travail pour le travail dans les
mondes virtuels, l’accès pour les groupes vulnérables, la nécessité de
l’éducation et de la formation, la durabilité, les équipements recyclables
et les énergies renouvelables, la nécessité de poursuivre les recherches
sur les effets préjudiciables à la santé, et celle pour les utilisateurs,
de pouvoir sélectionner une utilisation particulière de leurs données.
Tous ces aspects ont été dûment pris en compte lors de l’élaboration
de ce rapport.. Le Parlement européen a adopté en janvier 2024 un rapport sur les mondes virtuels – perspectives, risques et implications politiques pour le marché unique, où il évoque la nécessité de fonder cette technologie sur les valeurs de l’Union européenne, d’une manière durable et centrée sur l’humain. Il y prie la Commission européenne de préparer des lignes directrices clarifiant les obligations juridiques et les responsabilités de toutes les parties prenantes dans les mondes virtuels, et mentionne la nécessité de sensibiliser le public, d’améliorer les compétences numériques et l’accès aux technologies.
70. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient harmoniser leurs approches et assurer une collaboration plus étroite entre le secteur privé, les responsables politiques et les organisations de la société civile autour de la définition de normes pratiques et éthiques en matière de métavers, et renforcer chaque fois que possible les accords de coopération internationaux.

7. Observations finales et résumé des recommandations

71. L’un des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui est de maintenir la stabilité de la société face aux changements technologiques rapides et de faire évoluer les outils juridiques et institutionnels existants pour contribuer à protéger et à promouvoir la démocratie, les droits humains et l’État de droit.
72. Le métavers partage la nature non déterministe des technologies: ni bon, ni mauvais, ni même neutre, il amplifie les comportements humains et est à canaliser de manière responsable et éthique. Cette technologie suscite des problèmes de définitions notionnelles et juridiques, et il est ainsi bien difficile de lui tracer des limites nettes ; elle continue d’évoluer dans la dynamique des systèmes interconnectés.
73. Le métavers est une création essentiellement sociale et fondée sur l’informatique, bien représentative des processus émergents que produisent les systèmes adaptatifs complexes. La difficulté qu’il y a à le définir, sur le plan conceptuel comme juridique, reflète sa nature complexe. On ne peut que conjecturer son évolution, et cette incertitude pose de délicats problèmes au législateur désireux de ne pas se laisser distancer par les rapides avancées de la science et de la technologie.
74. De nouvelles structures de gouvernance fondées sur une solide information, ouvertes et solides, un débat public et des dispositifs législatifs innovants doivent de toute urgence venir canaliser le développement de cette technologie émergente. Le métavers possède l’extraordinaire capacité de modifier les flux fondamentaux d’interactions, ce qui pourrait transformer profondément les structures et les dynamiques au sein de nos sociétés. L’évolution de ces dernières accompagne celle de ces flux, ce qui révèle le pouvoir transformateur du métavers sur notre avenir collectif.
75. Les sentiments de présence, d’immersion et d’incarnation créent l’illusion de se trouver dans un environnement réel ; les utilisateurs s’associent ainsi activement à la création de mondes virtuels. Ils se choisissent des personnages numériques (avatars) qui ne correspondent pas forcément à leur véritable identité, ce qui remet en question le cadre traditionnel et centralisé de l’identité tel que défini par les États-nations et les institutions. Il sera indispensable de comprendre globalement ces dynamiques pour élaborer des stratégies adaptatives capables d’accompagner la rapide évolution du paysage des interactions humaines et de l’identité à l’ère du numérique.
76. Le Web3 et le métavers sont façonnés par l’IA, qui permet à la machine de prendre des décisions et améliore le traitement des langues, la reconnaissance faciale et l’efficacité globale du système. L’essor rapide de l’IA générative ouvre de nouvelles possibilités d’interactions entre les utilisateurs et le système lui-même.
77. Le métavers pourra améliorer considérablement la vie humaine, mais une culture toxique semble se faire jour dans les espaces immersifs: harcèlement et agressions, discours de haine, propos racistes, homophobes et transphobes, violences simulées, désinformation, propagande, manipulations sociales et politiques, etc. L’opacité des procédures de signalement et de la répression du non-respect des conditions d’utilisation rend la protection par seuils d’âge inefficace.
78. La manière dont les données sont collectées, interprétées et exploitées (psychographie biométrique: données obtenues par analyse des mouvements oculaires et corporels permettant de détecter l’identité ainsi que l’état de santé physique et mental de la personne) pose problème, et il faudrait que soit dûment respecté le droit à la vie privée mentale et à la liberté cognitive.
79. Une perception faussée des risques, des avantages et des implications de ces technologies nouvelles pourrait déboucher sur des politiques et des réglementations ne répondant pas vraiment à la complexité du domaine. Les responsables politiques doivent trouver un équilibre délicat entre la promotion de l’innovation et la protection des utilisateurs et de la société dans son ensemble.
80. Les leçons tirées de l’expérience des médias sociaux peuvent aider à façonner le métavers et à promouvoir les mêmes valeurs que celles que défendent et promeuvent activement les sociétés démocratiques, voire à aller plus loin compte tenu de la capacité de cette nouvelle technologie de favoriser la participation citoyenne. Les responsables politiques doivent mettre à jour leurs compétences pour faire en sorte que les exigences de sécurité publique, de sûreté, d’accessibilité et d’inclusion concourent à ce que ces technologies bénéficient d’emblée au plus grand nombre 
			(43) 
			Voir
également «Metaverse for UN SDGs – An Exploratory Study, Science-Policy
Brief for the Multistakeholder Forum on Science, Technology and
Innovation for the SDGs», mai 2022..
81. Le métavers doit impérativement intégrer dès le départ les droits humains et les libertés fondamentales. Il doit constituer une infrastructure numérique inclusive, et ne déploiera pleinement son potentiel que si, débarrassé des obstacles existants et potentiels, y compris financiers, il est ouvert à tout le monde.
82. L’autorégulation pourrait ne pas suffire; le dialogue et la coopération entre les gouvernements, la recherche et le secteur privé sont essentiels, dès lors que l’on cherche à favoriser une culture de la transparence et à concevoir des politiques mieux à même de faire face aux complexités de cette technologie.
83. L’idée que la réglementation ferait obstacle à l’innovation pose une fausse dichotomie: une gouvernance responsable peut encourager la créativité, l’innovation et l’esprit d’entreprise tout en défendant dans le métavers la démocratie, les droits humains et l’État de droit. Il s’agira de mieux appréhender les problèmes de harcèlement, de corruption, de fraude, de violence et autres atteintes aux droits humains et menaces pour la démocratie que suscite le métavers, pour adapter et actualiser la législation en conséquence de façon à s’en protéger, et de repenser la protection de la vie privée et des données dans le monde virtuel.
84. Le projet de résolution formule des recommandations détaillées sur les actions positives suggérées au fil du présent rapport et issues des débats intenses menés au sein de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, avec la précieuse contribution de plusieurs spécialistes et parties prenantes, dont des entreprises technologiques, à qui je suis très reconnaissant.
85. La dernière audition, qui s’est tenue le 27 mai 2024 à Copenhague, a également mis en évidence la nécessité, pour l’évaluation technologique, d’étudier les rapports entre science, technologie et société, et de contribuer à la formation de l’opinion publique et politique sur les aspects sociétaux de la science et des technologies en essor rapide. L’Assemblée devrait continuer à renforcer ses activités en tant que partenaire du réseau parlementaire européen d’évaluation technologique (réseau EPTA), et aider les responsables politiques à orienter l’évolution technologique et à assurer la gouvernance démocratique et le respect des droits humains et des libertés fondamentales.