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Rapport | Doc. 16032 | 06 septembre 2024

Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : Lord Simon RUSSELL, Royaume-Uni, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15963, Renvoi 4808 du 19 avril 2024. 2024 - Quatrième partie de session

Résumé

Lors du 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, qui s’est tenu à Reykjavík en 2023, les dirigeant·es européen·nes ont réaffirmé l’importance de la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes. Cette criminalité transnationale n’est pas sans rapport avec d’autres activités criminelles graves. La plupart des personnes qui décident de migrer en empruntant des axes de trafic illicite le font parce qu’elles n’ont pas accès aux voies de mobilité légales qui leur permettraient, entre autres, d’échapper aux persécutions et aux conflits. Certains passeurs et certaines passeuses, guidé·es par la recherche du profit sont sans aucune pitié et mettent en danger la vie d’hommes, de femmes et d’enfants. La complexité, l’ampleur et la gravité de ce crime mettent à mal la capacité des États à contrôler leurs frontières et à réguler les flux financiers internationaux tout en exerçant leur responsabilité absolue de protéger les droits des personnes en migration.

Le présent rapport affirme, sur la base d’une analyse minutieuse des politiques et pratiques actuelles dans les États membres, que ces derniers manquent de cohérence dans leur compréhension et leur interprétation du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. L’amalgame est souvent fait entre le franchissement irrégulier des frontières et le trafic illicite de personnes migrantes, aboutissant parfois à sanctionner pénalement l’aide humanitaire, voire les personnes migrantes elles-mêmes, au lieu de renforcer la coopération juridique et judiciaire pour prévenir et combattre les activités criminelles qui sont à l’origine du problème.

Le rapport soutient également qu’une réponse politique alignée sur le cadre normatif du Conseil de l’Europe apportera un complément au cadre des Nations Unies et profitera à tous les États membres, notamment aux États membres de l’Union européenne, en conciliant deux aspects souvent considérés à tort comme s’excluant mutuellement: le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et les droits des personnes en migration.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin
2024.

(open)
1. Se référant à la Déclaration de Reykjavík et à l’engagement renouvelé par les chef·fes d’État et de gouvernement lors du 4e Sommet de lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes, l’Assemblée parlementaire considère que le trafic illicite de personnes migrantes est une activité criminelle transnationale qui compromet le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et accroît la vulnérabilité des personnes en migration.
2. L’Assemblée considère que l’une des clés de la lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes est de faire en sorte que l’activité des passeurs et des passeuses ne soit pas rentable et d’améliorer l’accès effectif à des voies sûres et légales pour la migration de main-d’œuvre, le regroupement familial et celles et ceux qui sont en quête d’une protection internationale. L’approche suivie par les États devrait d’une part viser à réglementer et à protéger la mobilité des personnes, et, d’autre part, renforcer les moyens destinés à enquêter sur les groupes criminels transfrontaliers organisés qui se livrent au trafic illicite de personnes migrantes et à sanctionner ces groupes criminels.
3. L’Assemblée est convaincue que toute stratégie efficace de lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes passe nécessairement par une approche pluridisciplinaire faisant intervenir les administrations compétentes d’un même État membre, mais aussi de différents États. De même, la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination des mouvements migratoires devrait être structurée autour d’une réponse couvrant à la fois les aspects criminels et les aspects humains, et visant, d’une part, à s’attaquer aux facteurs qui favorisent le trafic illicite de personnes migrantes par des campagnes d’information et le développement effectif des voies de migration sûres et légales, et, d’autre part, à protéger les droits fondamentaux des personnes en migration, notamment les personnes migrantes qui font l’objet d’un trafic illicite.
4. L’Assemblée souligne que le trafic illicite de personnes migrantes est une infraction transnationale et que seules la coordination et la coopération internationales permettront aux pays d’origine, de transit et de destination d’apporter à cette infraction une réponse ancrée dans la primauté de l’Etat de droit et enracinée dans les cadres internationaux des droits humains, permettant de défendre à la fois le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et les droits des personnes en migration.
5. L’Assemblée se félicite que la grande majorité des États du monde entier aient approuvé le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (“Protocole de Palerme”), qui prévoit l’harmonisation des législations grâce à une définition internationalement reconnue du trafic illicite de personnes migrantes, à savoir « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État » (article 3).
6. L’Assemblée considère que les initiatives prises par le Conseil de l’Europe, y compris l’adoption d’un instrument régional sur la question du trafic illicite de personnes migrantes, ne devraient pas avoir pour objet de créer de nouvelles infractions, mais plutôt d’apporter un complément au Protocole de Palerme, en facilitant son interprétation cohérente et non ambiguë, compte tenu des défis auxquels le monde est confronté aujourd’hui.
7. L’Assemblée rappelle que l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes n’est pas de même nature que le franchissement irrégulier des frontières. De plus, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, les Etats ne doivent pas appliquer de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux personnes réfugiées qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'elles se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. Le besoin de protection internationale de chaque personne devrait être examiné de manière individualisée et équitablement. Les États ne devraient pas non plus appliquer de sanctions pénales aux individus contraints de commettre un acte illégal, conformément à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197).
8. L’Assemblée souligne que le trafic illicite de personnes migrantes et la traite des êtres humains sont des infractions pénales de nature différente et distincte. Elle met en garde contre le risque d’un amalgame entre ces infractions, car une telle confusion entrave la capacité des États à apporter une réponse efficace à ces activités criminelles et à y mettre fin.
9. L’Assemblée note avec inquiétude les divergences entre les législations des États membres destinées à lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur les droits humains. Elle rappelle que les lois et les mesures relatives au trafic illicite de personnes migrantes ne devraient jamais être utilisées pour intimider ou sanctionner pénalement les personnes migrantes et les défenseur.es de leurs droits. Ces pratiques n’améliorent en rien l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics pour prévenir et combattre l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et mettent en danger, de surcroît, les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), en particulier à l’article 11 et à l’article 3, par exemple lorsqu’elles aboutissent à faire obstruction à l’assistance humanitaire.
10. L’Assemblée réaffirme, comme elle l’a exprimé dans sa Résolution 2323 (2020) et sa Recommandation 2171 (2020), « Action concertée contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants », qu’un instrument du Conseil de l’Europe apporterait un complément utile aux normes internationales énoncées dans le Protocole de Palerme, et recommande qu’une définition rigoureuse soit adoptée et transposée en droit interne par les États membres afin d’assurer la plus grande cohérence possible dans la compréhension et l’interprétation de cette infraction. Cet instrument devrait en particulier:
10.1. être conforme à la définition de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et au champ d’application de l’incrimination tels qu’ils figurent aux articles 3 et 6 du Protocole de Palerme, y compris en ce qui concerne les circonstances aggravantes;
10.2. reconnaître la diversité des profils des personnes impliquées dans la commission ou la facilitation de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes ainsi que la nécessité de poursuivre les trafiquant·es en suivant une approche proportionnée, graduelle et nuancée des sanctions pénales;
10.3. rappeler que le « fait d’assurer » l’entrée illégale n’est pas synonyme de franchissement irrégulier d’une frontière et que l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes implique nécessairement que le passeur ou la passeuse en tire un avantage matériel ou immatériel;
10.4. indiquer expressément que les personnes migrantes ne sont pas celles qui commettent l’infraction de trafic illicite et que la réduction ou l’exonération du droit de passage en échange de l’aide au franchissement non autorisé d’une frontière ne devrait pas être considérée comme un acte délictueux commis par la personne objet du trafic si elle a agi sous la contrainte ou la menace ou s’il est établi qu’elle a besoin d’une forme de protection (personne réfugiée, personne ayant besoin d’une protection humanitaire, personne risquant d’être victime de la traite des êtres humains ou victime de la traite);
10.5. préciser que les personnes ayant besoin d’une protection ne devraient jamais être incriminées pénalement ou sanctionnées administrativement pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains;
10.6. exonérer expressément de toute forme de responsabilité pénale l’assistance humanitaire ainsi que toute aide apportée aux personnes migrantes pour faciliter l’exercice de leurs droits fondamentaux, lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque avantage financier;
10.7. préciser que les États membres sont juridiquement liés par l’obligation de protéger et de sauvegarder le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, conformément à l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 046), et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
11. L’Assemblée reconnaît les défis particulièrement complexes que posent les enquêtes sur les passeurs et passeuses de personnes migrantes et l’application de sanctions à ces personnes, et recommande vivement que les efforts de coopération européenne soient principalement axés sur le renforcement des actions de justice pénale visant à s’attaquer au trafic illicite de personnes migrantes par le démantèlement des organisations criminelles et la suppression des incitations financières à commettre ce crime. À cet égard, l’Assemblée se félicite de la création du Réseau de procureurs du Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants et de la coopération entre ce réseau et le groupe de réflexion de l’Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) sur le trafic de migrants.
12. L’Assemblée prend note du maillage particulièrement dense des initiatives de coopération régionale et internationale qui contribuent déjà à soutenir les États membres et leurs partenaires internationaux dans la lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes. Elle est convaincue qu'une telle coopération gagnerait beaucoup à ce que les États membres du Conseil de l'Europe s'engagent autour d'une définition convenue d'un commun accord. L’Assemblée propose que cette définition soit systématiquement adoptée dans l’utilisation et le suivi de normes telles que la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale et ses protocoles additionnels (STE n° 30, n° 99 et n° 182), les Conventions pénale et civile sur la corruption (STE nos 173 et 174), la Convention sur la cybercriminalité (STE n° 185) et la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et son Protocole d’amendement (STE n° 108 et STCE n° 223, “Convention 108+”).
13. L’Assemblée rappelle que les États membres ont l’obligation de protéger les droits fondamentaux des personnes migrantes qui font l’objet d’un trafic illicite, y compris des enfants, dont la vulnérabilité peut être accrue au cours de leur transit par les filières de trafic.
13.1. La gestion des frontières et les politiques migratoires devraient s’appuyer sans réserve sur les instruments du Conseil de l’Europe, en particulier la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126), la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210), et la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201);
13.2. L’Assemblée rappelle les obligations découlant de la Charte sociale européenne dans sa version d’origine (STE n° 035) et de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE n° 093), laquelle assure la protection des travailleuses et travailleurs migrants ressortissants de l’une des Parties contractantes, en particulier en ses articles 4 et 5. Elle rappelle également la Recommandation CM/Rec(2022)211 du Comité des Ministres aux États membres sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail et l’importance de veiller à ce que des inspections du travail soient effectuées pour s’assurer que toutes les personnes migrantes, y compris les travailleuses et travailleurs migrants, sont traités avec dignité;
13.3. En ce qui concerne la protection des personnes migrantes objets d’un trafic illicite, l’Assemblée rappelle également la pertinence des conventions de l’Organisation internationale du travail, en particulier la Convention n° 143 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) et la Convention n° 105 sur l’abolition du travail forcé, et de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. L’Assemblée encourage vivement les États membres à ratifier ces conventions.
14. L’Assemblée souligne le rôle stratégique important de l’Union européenne. Elle considère que l’harmonisation des normes selon des critères communs en matière de droits humains est essentielle, non seulement dans un souci de cohérence entre les lois en vigueur dans les États membres de l’Union européenne – lesquels sont également membres du Conseil de l’Europe –, mais aussi en raison de l’influence que le droit communautaire exerce sur les États non-membres de l’Union européenne, en particulier dans le domaine des migrations et de la gestion des frontières. De telles normes devraient, de plus, être en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et il est essentiel que le Conseil de l’Europe agisse de manière proactive pour renforcer la coordination avec l’Union européenne dans ce domaine.
15. En ce qui concerne la récente proposition de la Commission européenne visant à réviser le train de mesures relative aux passeurs, l’Assemblée met en garde contre le champ d’application excessivement large des infractions qui relèvent de la définition du trafic illicite de personnes migrantes figurant dans la proposition de directive destinée à remplacer la directive 2002/90/CE. Cette définition augmente en effet le risque que les États européens manquent de cohérence dans leur compréhension et leur interprétation de ce que doit et ne doit pas être l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes.
16. L’Assemblée fait siennes les préoccupations exprimées par le Contrôleur européen de la protection des données sur la proposition de règlement visant à améliorer la coopération policière en ce qui concerne la prévention, la détection et les enquêtes en matière de trafic de migrants et de traite des êtres humains (Avis 4/2024). L’Assemblée estime, comme le contrôleur, qu’il n’est pas établi que la proposition soit conforme aux normes internationales en matière de protection des données et de droits fondamentaux, ce qui pourrait conduire à l’adoption de normes contradictoires dans les États membres de l’Union européenne, liés par les normes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée considère que cette proposition est peut-être prématurée et qu’elle touche à des domaines de l’action publique qui dépassent la seule question du trafic illicite de personnes migrantes. Elle recommande que les discussions sur ce texte législatif soient déconnectées des discussions concernant la révision de la directive 2002/90/CE.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin 2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution... (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes» et à la Déclaration de Reykjavík, adoptée les 16 et 17 mai 2023, lors du 4e Sommet des chef·fes d’État et de gouvernement, et à l’engagement pris par les États membres de lutter contre la traite et le trafic illicite de personnes migrantes au moyen de la coopération internationale, «tout en continuant à protéger les victimes et à respecter les droits de l’homme des migrants et des réfugiés, ainsi qu’à soutenir les États en première ligne, dans les cadres existants du Conseil de l’Europe».
2. L’Assemblée salue la décision du Comité des Ministres de confier au Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) conformément à son mandat, pour 2024-2027, une tâche supplémentaire qui doit être mise en œuvre pour la fin 2024, à savoir: «en s’appuyant sur les cadres existants du Conseil de l’Europe, étudier et rechercher des moyens concrets d’améliorer la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic de migrants, y compris concernant la protection contre les cas aggravés de trafic des migrants, en respectant pleinement leurs droits humains et en tenant compte du cadre juridique pertinent, et préparer un rapport évaluant la nécessité et la faisabilité d’un éventuel instrument dans ce domaine» (CDPC (2023)09).
3. L’Assemblée recommande que le Comité des Ministres élabore et adopte un instrument sur le trafic illicite de personnes migrantes, qui assure la plus grande cohérence possible dans la compréhension et l’interprétation de cette infraction et qui:
3.1. reprenne la définition figurant dans le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, qui restreint explicitement cette définition au «fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État»;
3.2. rappelle que le «fait d’assurer» l’entrée illégale n’est pas synonyme de franchissement irrégulier d’une frontière et que l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes implique nécessairement que le passeur ou la passeuse en tire un avantage matériel ou immatériel ;
3.3. indique expressément que les personnes migrantes ne sont pas celles qui commettent l’infraction de trafic illicite et que la réduction ou l’exonération du droit de passage en échange de l’aide au franchissement non autorisé d’une frontière ne devrait pas être considérée comme un acte délictueux commis par la personne objet du trafic si elle a agi sous la contrainte ou la menace ou qu’il est établi qu’elle a besoin d’une forme de protection (personne réfugiée, personne ayant besoin d’une protection humanitaire, personne risquant d’être victime de la traite des êtres humains ou victime de la traite) ;
3.4. précise que les personnes ayant besoin d’une protection ne devraient pas être incriminées pénalement ou sanctionnées administrativement pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) ;
3.5. exonère expressément de toute forme de responsabilité pénale l’assistance humanitaire ainsi que toute aide apportée aux personnes migrantes pour faciliter l’exercice de leurs droits fondamentaux, lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque avantage financier ou matériel ;
3.6. précise que les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 46), sont juridiquement liés par l’obligation de protéger et de sauvegarder le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien, et que toute restriction de ce doit fondamental doit être prévue par la loi et proportionnée, conformément aux conditions énoncées dans l’article 2 de ce Protocole.
4. L'Assemblée considère que le mandat, l'expertise, les outils, l'expérience et la portée géographique du Conseil de l'Europe justifient que l'Organisation joue un rôle de premier plan dans une approche européenne commune sur le trafic illicite de personnes migrantes, en aidant les États membres européens à définir cette approche. Elle encourage vivement le Comité des Ministres à veiller à ce que tout débat sur un instrument relatif au trafic illicite de personnes migrantes auquel l’Union européenne serait associée renforce la coordination et garantisse la compatibilité de la législation et des politiques avec les normes du Conseil de l’Europe et le droit international des droits humains.

C. Exposé des motifs par Lord Simon Russell, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En 2020, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2323 (2020) «Action concertée contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants», fondée sur le rapport élaboré par notre collègue, M. Vernon Coaker (Royaume-Uni, SOC). Depuis lors, le Comité des Ministres a pris une série d’initiatives afin d’aider les États membres à coordonner leur approche en matière de lutte contre le trafic de personnes migrantes (aussi appelé en français «trafic illicite de personnes migrantes». Ces initiatives sont résumées dans le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur le renforcement de la coopération internationale et des stratégies d’enquête dans la lutte contre le trafic de migrants.
2. Alors que la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) offre un cadre juridique complémentaire aux instruments internationaux existants sur la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, le Conseil de l’Europe n’a, à ce jour, pas encore adopté d’instrument sur le trafic illicite de personnes migrantes qui aborde les différents aspects liés à la nécessaire protection des droits humains et à la lutte contre la criminalité que recouvre la réalité de ce trafic.
3. Les 16 et 17 mai 2023, lors du 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement, les dirigeant·es européens ont renouvelé leur engagement dans la lutte contre la traite et le trafic de personnes migrantes au moyen de la coopération internationale, «tout en continuant à protéger les victimes et à respecter les droits de l’homme des migrants et des réfugiés, ainsi qu’à soutenir les États en première ligne, dans les cadres existants du Conseil de l’Europe» (Déclaration de Reykjavík).
4. En 2023, le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) a été chargé par le Comité des Ministres «en s’appuyant sur les cadres existants du Conseil de l’Europe, [d’]étudier et [de] rechercher des moyens concrets d’améliorer la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic de migrants, y compris concernant la protection contre les cas aggravés de trafic des migrants, en respectant pleinement leurs droits humains et en tenant compte du cadre juridique pertinent, et préparer un rapport évaluant la nécessité et la faisabilité d’un éventuel instrument dans ce domaine» 
			(3) 
			<a href='https://rm.coe.int/cdpc-2023-09-fr-liste-des-decisions-2770-3831-5017-v-1/1680ae0a2b'>CDPC(2023)09</a>..
5. À la lumière des débats menés par les institutions de l’Union européenne concernant la révision du «train de mesures relatives aux passeurs» et avant la publication de l’étude de faisabilité du CDPC prévue d’ici la fin de l’année 2024, j’ai eu l’honneur d’être désigné rapporteur sur cette question. Il s’agit, à travers ce rapport, d’apporter en temps opportun la contribution politique de l’Assemblée aux discussions actuelles sur le trafic illicite de personnes migrantes en Europe.
6. Le présent rapport ne se veut pas exhaustif mais vise à faire la synthèse des principaux éléments à prendre en considération pour définir une réponse politique et juridique rationnelle et pragmatique à ce trafic. Il entend démontrer que préparer une telle réponse en alignement sur l’État de droit et sur le cadre des normes applicables du Conseil de l’Europe applicables profitera à l’ensemble des États membres en conciliant deux aspects souvent considérés, à tort, comme exclusifs l’un de l’autre voire contradictoires: le droit souverain des États à contrôler leurs frontières et les droits des personnes en migration.

2. Conceptualiser le trafic illicite de personnes migrantes: définir la portée d’un acte criminel

2.1. Un crime qui en recoupe beaucoup d’autres: difficultés procédurales et défis de la coopération

7. Une approche transversale s’impose pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes, à la fois pour s’assurer de l’efficacité des mesures préventives à l’égard des principaux moteurs de cette forme de criminalité, mais aussi parce que la commission de cette infraction pénale est rendue possible et est facilitée par la perpétration de nombreuses autres infractions connexes telles que le blanchiment de capitaux, la fraude documentaire, la contrefaçon et les tentatives illégales d’obtention de la citoyenneté d’un État.
8. L’un des enjeux est de faire en sorte que cette activité ne soit plus lucrative. La coopération est indispensable pour permettre de geler, voire de saisir les avoirs dans un contexte où les bénéfices peuvent être financiers ou autres, et sont susceptibles d’être conservés ou investis d’une manière plus ou moins facilement traçable par les autorités de l’État. En effet, le rôle joué par des fonctionnaires corrompus dans la facilitation de cet acte a été malheureusement documenté dans certains cas 
			(4) 
			<a href='https://www.unodc.org/unodc/index.html'>Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime</a> (ONUDC), <a href='http://www.unodc.org/documents/human-trafficking/2013/The_Role_Of_Corruption_in_the_Smuggling_of_Migrants_Issue_Paper_UNODC_2013.pdf'>«Issue
Paper: Corruption and the Smuggling of Migrants</a>», 2013 (anglais uniquement)..
9. Une autre difficulté tient à la confusion souvent faite entre le trafic de personnes migrantes et la traite des êtres humains. Bien qu’ils soient tous deux considérés comme une forme de criminalité transnationale organisée au titre de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et bien que les deux infractions puissent dans certains cas être intimement liées (les personnes migrantes objets d’un trafic illicite risquent d’être victimes de la traite des êtres humains), ces crimes sont distincts par nature. Contrairement à la traite des êtres humains, qui ne suppose pas nécessairement le franchissement d’une frontière internationale et dont les victimes sont des personnes qui ont été soumises à la tromperie, à la violence et à l’exploitation à des fins lucratives, c’est l’État qui est affecté dans le cas du trafic de personnes migrantes.
10. Dans son dernier rapport général, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) regrette que, dans certaines affaires de traite, «les faits sont requalifiés en d’autres infractions punissables de peines plus légères, telles que le proxénétisme, le commerce du sexe, la facilitation de l’immigration illégale ou les violations du droit du travail, soit en raison du manque de preuves, soit parce que les infractions retenues sont plus faciles à prouver» 
			(5) 
			Groupe
d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), <a href='https://rm.coe.int/13e-rapport-general-sur-les-activites-du-greta-couvrant-la-periode-du-/1680af7269'>13ème
Rapport Général</a>, avril 2013..
11. Dans le cadre d’une enquête sur un trafic illicite de personnes migrantes accompagné de circonstances aggravantes, un environnement axé sur la protection peut contribuer à restaurer les droits de la personne migrante victime d’abus et à établir une relation de confiance avec les témoins potentiels au cours de l’enquête et des éventuelles poursuites judiciaires.
12. Le trafic de personnes migrantes est un crime transfrontalier par nature, et toute tentative des États-nations de résoudre ce problème individuellement est de ce fait vouée à l’échec. Une définition clairement définie et juridiquement solide permettant une compréhension et une interprétation communes des éléments constitutifs ou non de cette infraction est par conséquent hautement souhaitable pour faciliter et encourager la coopération transfrontalière sur ce phénomène.

2.2. Normes internationales

13. En 2000, les Nations Unies ont adopté la Convention contre la criminalité transnationale organisée, qui a été complétée par trois protocoles portant sur des domaines et des manifestations spécifiques de la criminalité organisée: le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer (ci-après dénommé le “Protocole de Palerme”) et le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions.
14. Le Protocole de Palerme est entré en vigueur en 2004 afin d’aider les États parties à prévenir le trafic illicite de migrant·es, à enquêter à son sujet et à en poursuivre les auteurs, ce trafic étant considéré comme une forme de criminalité organisée de nature transnationale qui implique des groupes criminels organisés (article 4). Il a constitué la première réponse internationale à «l’accroissement considérable des activités des groupes criminels organisés en matière de trafic illicite de migrants et des autres activités criminelles connexes énoncées dans le présent Protocole, qui portent gravement préjudice aux États concernés» et risquent «de mettre en danger la vie ou la sécurité des migrants» (Préambule du Protocole).
15. Il définit le crime de trafic illicite de migrants comme «le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État» (article 3).
16. Les personnes migrantes ne sont pas considérées comme des victimes du trafic mais comme «l’objet» d’actes criminels qui portent atteinte à la souveraineté des États et dont la sécurité et les droits sont mis en péril lorsque de tels actes sont commis. C’est pourquoi l’article 16 du Protocole met l’accent sur les mesures de protection et d’assistance visant à protéger les droits des personnes qui ont été l’objet des actes incriminés en vertu de l’article 6 du Protocole. C’est également pour cette raison que le Protocole considère que la réponse pénale au trafic illicite de personnes migrantes doive être plus sévère dès lors que la vie, la dignité ou la sécurité des migrant·es sont délibérément mises en danger au cours ou en vue de la commission de l’acte criminel, y compris à des fins d’exploitation. Ces circonstances doivent par conséquent être considérées comme aggravantes (article 6.3).
17. Suivant la même logique, l’article 5 précise que les migrant·es victimes d’un trafic illicite ne doivent pas être «passibles de poursuites pénales en vertu du présent Protocole du fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à son article 6». Les États parties devraient coopérer en vue d’assurer le retour rapide des personnes migrantes concernées sans autorisation légale de séjour, dans le respect du droit international des réfugiés et en particulier après avoir examiné de manière équitable que le retour ne porterait pas atteinte aux droits de la personne renvoyée, conformément au principe de non-refoulement.
18. L’article 17 du Protocole de Palerme encourage les États parties à conclure des accords bilatéraux ou régionaux, des arrangements opérationnels ou des ententes visant à mettre en œuvre ledit Protocole, ainsi qu’à «développer les dispositions du présent Protocole entre eux» s’ils le souhaitent. C’est le cas par exemple du processus de Bali sur le trafic illicite de migrants, la traite des personnes et la criminalité transnationale qui y est associée établi en 2002, qui prévoit une coopération structurée entre 45 pays dans le cadre de groupes de travail, dont l’un dédié notamment au démantèlement des réseaux criminels impliqués dans le trafic illicite de personnes migrantes et la traite des personnes 
			(6) 
			Organisation internationale
pour les migrations, «<a href='https://www.iom.int/bali-process-people-smuggling-trafficking-persons-and-related-transnational-crime'>Bali
Process on People Smuggling, Trafficking in Persons and Related
Transnational Crime»</a>, consulté pour la dernière fois le 13 juin 2024 (anglais
uniquement).. À janvier 2024, 45 États membres du Conseil de l’Europe avaient signé le Protocole de Palerme (tous sauf Andorre) et 43 l’avaient ratifié (l’Islande et l’Irlande n’en étant que signataires) 
			(7) 
			Nations
Unies – Collection des traités, Protocole contre le trafic illicite
de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, <a href='https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XVIII-12-b&chapter=18&clang=_fr'>état
des signatures et ratifications</a> au 13 juin 2024..
19. En ce qui concerne les infractions connexes, mais aussi les normes de protection qui présentent un certain intérêt pour la prévention du trafic illicite de personnes migrantes et la lutte contre ce phénomène, il existe un large éventail d’instruments et d’outils internationaux, tels que la Convention des Nations Unies contre la corruption, à laquelle tous les États membres du Conseil de l’Europe sont parties, et les conventions de l’Organisation internationale du travail protégeant les droits des travailleuses et travailleurs migrants (Conventions n° 143 et n° 105), la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ainsi que la Convention des Nations Unies contre la torture, la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
20. Les États parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ne doivent pas appliquer de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux personnes réfugiées qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’elles se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières (article 31(1))). En effet, le droit de quitter tout pays, y compris le sien, est reconnu par le droit international des droits humains à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et à l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 46) qui a force contraignante pour tous les États Parties.

2.3. Normes du Conseil de l’Europe

21. La Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) impose à tous les États parties des obligations positives et négatives qui, si elles sont satisfaites, devraient garantir que les personnes migrantes objets d’un trafic illicite ne sont pas incriminées pour une infraction qu’elles n’ont pas commise (article 6). Le respect de ces obligations devrait également permettre de prévenir ou de prendre en compte toute situation de vulnérabilité découlant du trafic illicite, de sorte que les personnes migrantes puissent jouir pleinement de leur droit à la liberté (article 5) et être protégées contre l’exploitation par le travail et les traitements inhumains et dégradants (article 3).
22. Une conférence organisée en 2017 
			(8) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://rm.coe.int/conclusions-conference-on-smuggling-of-migrants-final-fr-21-08-2017-pd/168073b37e'>Conférence
sur le trafic de migrants: Remarques finales pour une action supplémentaire
du Conseil de l'Europe sur le trafic de migrants </a>», 23 juin 2017. a jeté les bases de l’adoption, en 2020, du Plan d’action du Conseil de l’Europe sur le renforcement de la coopération internationale et des stratégies d’enquête dans la lutte contre le trafic de migrants (CDPC(2019)9) par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC). Les observations finales publiées à la suite de la conférence précisent clairement qu’«il faut que les mesures de justice pénale destinées à combattre le trafic visent à garantir les droits des migrants qui sont victimes du trafic en toutes occasions quand ils sont présents dans les États membres du Conseil de l’Europe et quand ils rentrent dans leur pays d’origine ou dans un pays de transit conformément aux articles 2, 3, 5, 8 et 13 de la CEDH et de l’article 4 du Protocole n° 4 à la CEDH».
23. À ce jour, deux des activités du plan d’action ont été menées à bien: l’établissement du Réseau de procureurs du Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants en décembre 2021, composé de 26 représentantes et représentants nationaux, et la publication de profils pays présentant le cadre juridique et législatif contre le trafic illicite de migrant·es dans les États membres. Le réseau s’est réuni à deux reprises depuis sa création, offrant principalement aux spécialistes un forum d’échange sur leurs pratiques et les défis auxquels ils et elles sont confrontés. En ce qui concerne les profils pays, 25 États membres ont apporté leurs contributions qui sont disponibles en ligne 
			(9) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/cdpc/country-profiles-on-migrant-smuggling'>Profils-pays
sur le trafic de migrants </a>», consulté pour la dernière fois le 13 juin 2024..
24. Le Plan d’action fait référence aux «instruments d’entraide judiciaire» du Conseil de l’Europe, dont chacun offre des possibilités d’échange et de suivi par des comités d’expert·es. Parmi ces instruments, la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), qui a été ratifiée à ce jour par 39 États membres, occupe une place prépondérante.
25. La Convention civile sur la corruption (STE n° 174) ratifiée pour l’heure par 33 États membres et la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173) ratifiée par 44 États membres, figurent au nombre des autres instruments d’entraide judiciaire.
26. La Charte sociale européenne dans sa version originale (STE n° 35) et la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant (STE n° 93) assurent la protection des travailleuses et travailleurs migrants ressortissants de l’une des Parties contractantes. Cette dernière convention, signée par 11 États membres, prévoit que «[T]out travailleur migrant ayant obtenu un emploi sera muni, avant son départ pour l’État d’accueil, d’un contrat de travail ou d’une offre d’emploi précise» (article 5) et la délivrance de documents d’émigration dans les délais les plus brefs, «à titre gratuit ou contre versement d’une somme ne dépassant pas leur coût administratif» (article 4).
27. La Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126) ratifiée par tous les États membres, et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210) ratifiée à ce jour par 35 États membres, sont à la croisée des outils de prévention et des mécanismes de sanction disponibles en cas de violation des droits humains. La capacité d’action de la Cour européenne des droits de l’homme, en cas de violation alléguée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, renforce la force d’application de ces outils.
28. Enfin, il convient de souligner la récente Recommandation CM/Rec(2022)21 du Comité des Ministres aux États membres sur la prévention et lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail. En effet, le risque d’abus de migrant·es objets d’un trafic illicite, y compris aux fins d’exploitation par le travail, est d’autant plus grand en l’absence de prévention des risques d’exploitation et d’identification des victimes d’exploitation.

2.4. Normes de l’Union européenne

29. En 2002, la directive 2002/90/CE du Conseil définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (la directive de 2002) a été adoptée en vue de «s’attaquer à l’aide apportée à l’immigration clandestine, non seulement lorsqu’elle concerne le franchissement irrégulier de la frontière à proprement parler, mais aussi lorsqu’elle a pour but d’alimenter des réseaux d’exploitation des êtres humains», parallèlement à la Décision-cadre 2002/946/JAI du Conseil visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers.
30. L’article 1 de la directive de 2002 ne limite pas l’infraction au fait pour les passeurs et les passeuses de tirer profit de l’aide à l’entrée ou au séjour de migrant·es; il incrimine également le fait d’aider sciemment une personne «à pénétrer sur le territoire d’un État membre ou à transiter par le territoire d’un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l’entrée ou au transit des étrangers» (article 1(a)).
31. Bien que l’Union européenne ait signé le Protocole de Palerme en 2000 (et l’ait approuvé en 2006), il n’est nullement fait référence au cadre de l’ONU dans ces instruments. Conformément à l’article 1(2), la directive de 2002 laisse aux États membres de l’Union européenne la possibilité d’incriminer ou non l’aide humanitaire.
32. En 2015, la Commission européenne a adopté le premier «Plan d’action de l’UE contre le trafic de migrants (2015 – 2020)» (COM(2015) 285 final). Il a entre autres faits saillants donné lieu à la mise en place au sein d’Europol (l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs) du Centre européen pour la lutte contre le trafic de migrants et de son centre d’échange d’informations, ainsi qu’à la structuration de la coopération inter-institutionnelle entre Europol, Eurojust (l’Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale), le Cepol (l’Agence de l'Union européenne pour la formation des services répressifs), l’OLAF (l’Office européen de lutte antifraude), eu-Lisa (l’Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice) et Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) en matière de grande criminalité internationale organisée, dans le cadre du cycle politique de l’Union européenne. Il a également conduit à la création officielle de la Plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT) devenue, en 2021, un instrument permanent 
			(10) 
			Secrétariat
général du Conseil de l’Union européenne, «Conclusions du Conseil
sur la poursuite permanente du cycle politique de l'UE pour lutter
contre la grande criminalité internationale organisée: EMPACT 2022+
– Conclusions du Conseil (9 mars 2023)» (<a href='https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7100-2023-INIT/fr/pdf'>7100/23</a>)..
33. Un plan d’action renouvelé a été adopté pour la période 2021-2025 (COM(2021)591 final) en réaction à ce que la Commission européenne a qualifié de «rôle croissant d’acteurs étatiques dans la facilitation de la migration irrégulière et l’utilisation d’êtres humains pour exercer une pression aux frontières extérieures de l’UE». Ce plan a pour objectif principal de renforcer les moyens destinés à mettre fin à l’emploi de ressortissant·es de pays tiers en séjour irrégulier et de collecter des informations sur les itinéraires de migration irrégulière grâce à la coopération extérieure.

3. Aperçu de la situation en Europe

3.1. Le trafic illicite de personnes migrantes en Europe

34. L’ampleur du trafic illicite de personnes migrantes en Europe est difficile à évaluer. Pour commencer, il y a généralement confusion entre le nombre de personnes migrantes en situation irrégulière en Europe et le nombre de personnes entrées de manière irrégulière. Les recherches fondées sur des données factuelles ont montré depuis un certain temps déjà que la plupart des personnes migrantes en situation irrégulière sont arrivées légalement en Europe et sont restées dans le pays au-delà de la date d’expiration de leur visa 
			(11) 
			Hellenic
Foundation for European and Foreign Policy et al., «<a href='https://cordis.europa.eu/project/id/44103/reporting'>Clandestino
project: final report. Undocumented Migration: Counting the Uncountable.
Data and Trends Across Europe</a>», 23 Novembre 2009 (anglais uniquement).. Deuxièmement, toutes les personnes entrées de manière irrégulière en Europe n’ont pas fait l’objet d’un trafic illicite.
35. Quant aux statistiques disponibles, le chiffre selon lequel plus de 90 % des personnes migrantes en situation irrégulière et des personnes demandeuses d’asile en situation irrégulière dans l’Union européenne font l’objet d’un trafic illicite est souvent mis en avant. Cependant, ce chiffre est une estimation réalisée sur la base de 1 500 témoignages de personnes migrantes recueillis par Frontex et les États membres de l’Union européenne en 2015 
			(12) 
			Rapport conjoint Europol-INTERPOL,
«<a href='https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/documents/ep-ip_report_executive_summary.pdf'>Les
réseaux de trafiquants de personnes migrantes</a>», résumé
exécutif, mai 2016 (en anglais uniquement)., ce qui est méthodologiquement insuffisant pour dresser une analyse sur toutes les arrivées irrégulières en Europe. En ce qui concerne les tendances, en 2023, Eurojust a enquêté sur 425 dossiers de trafic de personnes migrantes, contre 217 en 2019. Durant ces cinq années, les dossiers traités étaient répartis comme suit: environ 40 % étaient de nouveaux dossiers d’enquête ouverts chaque année et 60 % correspondaient à des dossiers en cours depuis les années précédentes (hormis en 2021 où 58 % des dossiers avaient été ouverts dans l’année) 
			(13) 
			Eurojust, «<a href='https://www.eurojust.europa.eu/crime-types-and-cases/crime-types/migrant-smuggling'>Legal
Definition of Migrant Smuggling and/or Facilitation of Irregular
Migration</a>», 31 janvier 2024 (anglais uniquement).. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue (ONUDC) et le crime, l’Europe est à la fois une destination et un point de passage sur les itinéraires de transit 
			(14) 
			ONUDC, «<a href='https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf'>Global
Study on Smuggling of Migrants</a>», juin 2018 (anglais uniquement)..
36. Le profil des passeurs et des passeuses est très diversifié, allant de réseaux criminels organisés et structurés à de simples individus payés pour faciliter le franchissement irrégulier d’une frontière. Dans le pire des cas, ces personnes n’hésitent pas à réduire autant que possible leurs coûts afin d’engranger un maximum de profits, notamment en fournissant des gilets de sauvetage défectueux sur des embarcations impropres à la navigation, et à mettre ainsi encore plus en danger la vie d’hommes, de femmes et d’enfants. Depuis 2015, l’ONUDC et l’Union européenne conjuguent leurs forces pour lutter contre ce problème 
			(15) 
			Nations
Unies, «<a href='https://www.unodc.org/romena/en/Stories/2024/May/unodc-and-eu-working-together-against-migrant-smuggling.html'>UNODC
and EU working together against migrant smuggling</a>», 16 mai 2024 (anglais uniquement)..
37. Le profil des migrant·es objets d’un trafic illicite est tout aussi diversifié et peut inclure des familles et des enfants non accompagnés. Beaucoup de victimes de ce trafic trouveront du travail dans le secteur informel. C’est pourquoi de nombreux spécialistes et organisations proposant des services aux personnes migrantes sans papiers demandent à ce que toute action visant à lutter contre le trafic illicite soit associée à des mesures qui tiennent compte des besoins de protection 
			(16) 
			Commission
européenne, «Communication au Parlement européen, au Conseil, au
Comité économique et social européen et au Comité des régions: Un
plan d’action renouvelé de l’UE contre le trafic de migrants (2021-2025)» (<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021DC0591'>COM(2021)591
final</a>), 29 septembre 2021..
38. Les profils de pays établis par le CDCP fournissent certaines informations, lesquelles ne sont toutefois pas exhaustives. Il est frappant de constater que beaucoup de personnes objets d’un trafic illicite viennent de pays déchirés par la guerre et sont donc très probablement des réfugié·es, notamment des Afghan·es, des Syrien·nes, ainsi que des Ukrainien·nes bénéficiant d’une protection temporaire 
			(17) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://rm.coe.int/lithuania-2765-4314-3177-v-1/1680aefb8f'>Fiche
pays: trafic de migrants. Informations légales et judiciaires sur le
trafic de migrants – Lituanie</a>» (anglais uniquement); dernière mise à jour le 20 octobre
2023; et «<a href='https://rm.coe.int/serbia-2767-7802-4201-v-1/1680aefb98'>Fiche
pays: trafic de migrants. Informations légales et judiciaires sur
le trafic de migrants – Serbie</a>» (anglais uniquement), dernière mise à jour le 30 octobre
2023..
39. Déterminer le montant des gains réalisés grâce au trafic illicite de migrant·es est une tâche extrêmement complexe, car les flux financiers sont particulièrement difficiles à tracer. De plus, toutes les opérations financières n’impliquent pas des organisations criminelles: il peut s’agir de transferts de fonds, acheminés par l’intermédiaire d’entreprises enregistrées, ou utilisés pour blanchir les produits du crime 
			(18) 
			Cellule de Traitement
des Informations Financières, «<a href='https://www.ctif-cfi.be/index.php/fr/actualites-quick-links/221-le-trafic-de-migrants'>Le
trafic de migrants </a>», 31 mars 2022.. Des recherches fondées sur des données probantes montrent également que les profits générés peuvent être «immédiatement réinjectés dans les communautés des passeurs et passeuses – souvent des hommes, des femmes et des enfants autochtones, issus de la classe ouvrière, des personnes âgées, ou en situation de handicap» 
			(19) 
			Gabriela
Sanchez, «Five Misconceptions About Migrant Smuggling», <a href='https://cadmus.eui.eu/handle/1814/54964'>Policy
Briefs, 2018/07</a>, Migration Policy Centre, European University Institute,
2018 (anglais uniquement)..
40. Selon les estimations basses fournies par l’ONUDC dans le cadre d’une étude réalisée en 2018, au moins 2,5 millions de personnes migrantes ont été l’objet d’un trafic illicite qui a généré jusqu’à 7 milliards US$ de bénéfices en 2016. D’après cette étude, au moins 375 000 personnes migrantes sont entrées illégalement dans l’Union européenne par la Méditerranée, rapportant à l’industrie du trafic illicite de personnes migrantes un profit estimé entre 320 et 550 millions US$ 
			(20) 
			ONUDC, op.
cit..

3.2. Réponses juridiques et judiciaires apportées par les États membres

41. La législation visant à lutter contre le trafic illicite de migrant·es diffère selon les pays 
			(21) 
			ONUDC, «<a href='https://www.unodc.org/documents/e4j/tip-som/Module_1-_E4J_SOM_final_FR_final.pdf'>Trafic
illicite de migrants: Module 1 – le Trafic illicite de migrants,
une infraction spécifique</a>», Éducation pour la justice, série de modules universitaires,
2019.. Dans de nombreux États membres, l'infraction de trafic illicite de personnes migrantes n'est pas considérée comme une infraction spécifique, mais fait partie d'une infraction plus large de droit pénal ou de droit administratif ayant pour finalité de sanctionner toute entrée illégale sur le territoire. Le même problème est sanctionné de différentes manières: certains pays ne font pas de distinction entre le trafic illicite de migrant·es et l'immigration illégale, tandis que d'autres font l'amalgame entre le fait de faciliter l'entrée à des fins d'aide humanitaire et le fait de faciliter l'entrée irrégulière sur le territoire d'un État pour en tirer un bénéfice matériel ou financier. Deux pays illustrent bien ce manque de cohérence. La République slovaque emploie la notion de «trafic inconscient», par exemple lorsque les transporteurs ne savent pas qu'ils transportent des migrant·es irrégulièrement; or ces termes sont contradictoires, le trafic illicite de personnes migrantes consistant à faciliter délibérément l'entrée, le transit ou le séjour dans un pays de manière irrégulière, afin d'en tirer profit. En Irlande, on préfère incriminer l'entrée irrégulière plutôt que le trafic illicite de migrant·es lui-même, parce qu'il est trop difficile d'arrêter les passeuses et les passeurs 
			(22) 
			Eurojust, op.cit. Les
autorités irlandaises ont décidé de retirer le paragraphe 2 de la
Loi sur l’immigration illégale (traite) de 2000 qui nécessitait
la preuve par le fait le trafiquant présumé ait obtenu un gain financier
en assistant à l’entrée sur le territoire. Cette décision a été
motivée parce qu’il était souvent difficile d’apporter cette preuve..
42. Parmi les profils pays disponibles sur le site du CDPC, peu de pays emploient l'expression «trafic illicite de migrant·es» dans leur législation et utilisent plutôt le terme «d’aide à l'entrée ou au séjour illégal». La plupart des États prévoient des sanctions graduelles en fonction de la gravité de l'infraction. Des circonstances aggravantes s'appliquent généralement en cas de violation des droits des personnes migrantes.
43. Dans 18 cas, la définition du trafic illicite de migrant·es fait de la recherche du profit un élément constitutif de l'infraction, conformément à la définition du Protocole de Palerme. Dans au moins six États membres, cette notion est absente de la définition de l'infraction consistant à aider à l'entrée ou au séjour irrégulier, et, dans certains cas, le franchissement d'une frontière sans autorisation est à lui seul érigé en infraction. Dans au moins neuf États membres, la notion de profit fait partie des éléments justifiant que l'aide au franchissement irrégulier d'une frontière ou au séjour irrégulier soit sanctionnée. Toutefois, dans ces 15 législations, aucune référence n'est faite aux exceptions pour assistance humanitaire.
44. L'assistance à des fins humanitaires sans but lucratif n'est protégée et exonérée de responsabilité pénale que dans neuf États membres (Belgique, Croatie, Finlande, France, Grèce, Italie, Malte, Pologne et Espagne). La plupart des pays érigent ainsi en infraction pénale la facilitation de l'entrée irrégulière, même lorsqu'elle n'est pas motivée par le profit.
45. La stratégie générale de lutte contre le trafic illicite de migrant·es relève de la compétence soit du ministère de l'Intérieur, soit du ministère de la Justice, soit des deux. À l'inverse, certains États membres ont mis en place une approche horizontale du trafic illicite de personnes migrantes, en s'appuyant sur les compétences de différentes administrations En Arménie, les cas de personnes migrantes objet d’un trafic illicite sont redirigés vers le ministère des Affaires sociales lorsque cela s'avère nécessaire 
			(23) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://rm.coe.int/cyprus-2764-2570-2665-v-1/1680aefb8a'>Fiche
pays: trafic de migrants. Informations légales et judiciaires sur
le trafic de migrants – Chypre</a>» (anglais uniquement); dernière mise à jour le 3 novembre
2023; et «<a href='https://rm.coe.int/armenia-2763-5859-3801-v-1/1680aefb86'>Fiche
pays: trafic de migrants. Informations légales et judiciaires sur
le trafic de migrants – Arménie</a>» (anglais uniquement), dernière mise à jour le 5 septembre
2023..
46. En ce qui concerne les personnes vulnérables à la frontière, au moins trois pays protègent explicitement les demandeurs et les demandeuses d'asile de toute sanction liée au franchissement irrégulier d'une frontière. Aucune des législations présentées dans les profils-pays communiqués au CDPC n’indique la nécessité de prévoir des garanties particulières concernant l'identification et la non-incrimination des enfants non accompagnés ou des victimes de la traite.
47. Les études menées par l'ONUDC révèlent que ce sont généralement les petits passeurs et passeuses qui sont poursuivis, plutôt que les instigateurs à la tête des réseaux les plus structurés 
			(24) 
			ONUDC, «<a href='https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/observatory_som.html'>Observatoire
sur le trafic illicite de migrants </a>» (anglais uniquement), page consultée pour la dernière
fois le 13 juin 2024.. Il arrive également que des personnes migrantes soient elles-mêmes incriminées pour avoir conduit un véhicule ou un bateau qui transportait des personnes en situation irrégulière en vue de traverser illégalement une frontière. Une approche nuancée est donc nécessaire. Au Royaume-Uni, une cour d'appel a annulé trois des quatre condamnations de demandeurs d'asile accusés d'aide à l'immigration illégale en raison du rôle qu'ils avaient joué dans la conduite de bateaux gonflables transportant des migrant·es depuis la France en 2021. En revanche, dans d'autres affaires, de lourdes sanctions ont été infligées du fait de circonstances aggravantes ayant entraîné la mort 
			(25) 
			Conférence des Parties
à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée, Groupe de travail sur le trafic illicite de migrants,
«Sur quels critères se baser pour accuser quelqu’un de trafic illicite
de personnes migrantes: qui est un passeur et qui n’en est pas un»
(<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=CTOC%2FCOP%2FWG.7%2F2023%2F2&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>CTOC/COP/WG.7/2023/2</a>), 25 juillet 2023.. En 2019, en Belgique, des personnes ont été acquittées en appel après avoir été accusées de trafic illicite de migrant·es pour avoir hébergé gratuitement des personnes migrantes en situation irrégulière 
			(26) 
			A.Se avec Belga, «<a href='https://www.lesoir.be/374359/article/2021-05-26/migration-les-hebergeurs-de-migrants-sont-acquittes'>Migration:
les «hébergeurs» de migrants sont acquittés</a>», Le Soir, 26
mai 2021..

3.3. Des politiques paradoxales et leurs conséquences

48. La mise en œuvre à mauvais escient de la législation visant à lutter contre le trafic de migrant·es a de nombreux effets négatifs. La plupart du temps, les mesures de gestion des frontières conçues pour empêcher ce trafic entraînent des restrictions d'accès au territoire pour toutes les personnes migrantes, y compris les personnes réfugiées. Cette tendance est commune à de nombreux pays européens, si ce n'est à tous, comme le montre le rapport de notre collègue Stephanie Krisper (Autriche, ADLE), «Garantir des procédures d'asile conformes aux droits humains» 
			(27) 
			Doc. 15997..
49. Mettre fin aux activités des passeurs et des passeuses ne saurait consister à rendre impossibles les déplacements de migrant·es. Non seulement ces mesures n'empêchent pas les passeuses et les passeurs de faire du profit (en général, le prix du voyage a été réglé, au moins en partie, avant le départ), mais elles mettent en péril la sécurité des personnes migrantes, voire leur vie. Les mesures prises récemment par les États-nations pour décourager les personnes migrantes de franchir irrégulièrement les frontières et pour ruiner les activités des passeurs n'ont qu'un effet très limité sur la persistance, voire l'augmentation 
			(28) 
			Frontex,
«<a href='https://www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/irregular-border-crossings-into-eu-so-far-this-year-highest-since-2016-hZ9xWZ'>Irregular
border crossings into EU so far this year highest since 2016»</a>, 11 décembre 2023 (anglais uniquement)., des franchissements irréguliers des frontières vers les États membres. Il y a même eu une augmentation du nombre de décès aux points de passage frontaliers où une telle coopération a été déployée (par exemple dans la Manche) 
			(29) 
			Andrew
Harding, «<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-68505521'>Channel
migrant deaths are rising – who's to blame?</a>», BBC, 9 March
2024 (anglais uniquement)..
50. L'absence de moyens pour se déplacer légalement et en toute sécurité à l'échelle internationale, ainsi que certains facteurs économiques, environnementaux et politiques, constituent les principaux moteurs de la migration irrégulière dont les passeurs tirent profit. Selon la communication de la Commission européenne intitulée «Un plan d'action renouvelé de l’UE contre le trafic de migrants (2021-2025)», «de nouveaux éléments indiquent que les passeurs facilitent les mouvements non autorisés de bénéficiaires d’une protection internationale» 
			(30) 
			Commission européenne,
op.cit..
51. La criminalisation abusive des personnes migrantes et de leurs défenseurs et défenseuses 
			(31) 
			Somaya
Aqad, «<a href='https://fr.euronews.com/my-europe/2024/05/21/grece-neufs-egyptiens-acquittes-dans-le-proces-du-naufrage-meurtrier-de-migrants'>Grèce:
neufs égyptiens acquittés dans le procès du naufrage meurtrier de
migrants </a>», Euronews, 21 mai
2024., ou des personnes apportant une aide humanitaire aux personnes migrantes en situation irrégulière a pris une ampleur considérable et est attestée depuis des années. En février 2024, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a adressé un nouveau rappel à l'ordre aux États membres, qui dénonce sans équivoque l'utilisation de la législation contre le trafic de migrant·es pour entraver la liberté de réunion et d'association 
			(32) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, «<a href='https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/europe-must-end-repression-of-human-rights-defenders-assisting-refugees-asylum-seekers-and-migrants'>Recommandation:
l'Europe doit mettre fin à la répression des défenseurs des droits
humains qui aident les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants</a>», 22 février 2024..

3.4. Bonnes pratiques au niveau régional

52. Quelques États membres ont structuré leur approche de la lutte contre le trafic de personnes migrantes en y associant les différents services susceptibles de faciliter les enquêtes concernant cette infraction ainsi que la localisation des trafiquants. Une telle stratégie inter-services peut être observée à Chypre, en Belgique et en Serbie 
			(33) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/cdpc/country-profiles-on-migrant-smuggling'>Profils-pays
sur le trafic de migrants </a>», op. cit.. L'Union européenne facilite également cette approche transversale par le biais de l'initiative EMPACT (plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles).
53. Un réseau complexe de dispositifs de coopération internationale dans le domaine du trafic illicite de migrant·es s'est également développé au fil des ans, afin de faciliter la coopération judiciaire et policière en la matière, compte tenu de la nature intrinsèquement transnationale de cette infraction. Les équipes communes d'enquête et les décisions d'enquête européenne en matière pénale sont particulièrement utiles aux États pour remonter les filières de trafic illicite de migrant·es et identifier les passeurs et les passeuses.
54. Interpol a développé un Réseau opérationnel de spécialistes de la lutte contre le trafic de migrants (ISON). Cette organisation facilite l'échange sécurisé d'informations entre 196 États et donne accès à des bases de données, notamment à celles utilisées pour détecter les documents de voyage volés, perdus ou frauduleux. Elle propose également des ateliers de formation et apporte un soutien opérationnel lors des enquêtes transfrontalières. Un projet pilote a été lancé sur la période 2022-2024 afin de lutter contre l'utilisation criminelle des nouvelles technologies dans le cadre du trafic illicite de migrant·es et de la traite des êtres humains depuis l'Asie vers le Canada 
			(34) 
			Interpol, «<a href='https://www.interpol.int/Crimes/Human-trafficking-and-migrant-smuggling/Project-CCISOM-new-technologies'>Projet
CCISOM: nouvelles technologies. Les défis liés à la cybercriminalité
dans le cadre du trafic de migrants et de la traite d’êtres humains </a>», consulté pour la dernière fois le 13 juin 2024. .
55. Certains États membres ont développé une coopération avec des pays partageant des caractéristiques géographiques, linguistiques ou culturelles communes. C'est le cas, par exemple, du Réseau ibéro-américain de coopération juridique internationale et de la Conférence des ministres de la Justice des pays ibéro-américains, dont sont membres l'Espagne, Andorre et le Portugal. L'année 2021 a été marquée par l'entrée en vigueur du Traité sur la transmission électronique des demandes d'entraide judiciaire internationale entre autorités centrales, applicable dans le cadre de la lutte contre la criminalité transnationale, et notamment du trafic illicite de personnes tel que défini dans le Protocole de Palerme 
			(35) 
			IberRed,
“<a href='D:\Fichiers\Pro\CoE\AS Mig\Reports\My reports\European approach to migrant smuggling\report\For translation\Spain ratifies the Treaty of Medellin allowing its entry into force'>Spain
ratifies the Treaty of Medellin allowing its entry into force</a>”, 2 juin 2021 (anglais uniquement)..
56. Le Centre de maintien de l'ordre de l'Europe du Sud-Est (SELEC) réunit l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie, la République de Moldova, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Roumanie, la Serbie et la Türkiye. Le SELEC coopère en particulier avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'ONUDC et Europol dans le domaine du trafic illicite de migrant·es, et une série d'opérations policières transfrontalières ont été récemment menées à bien grâce à ces efforts conjoints 
			(36) 
			«<a href='https://www.selec.org/selec-support-for-tackling-migrants-smuggling-into-europe-across-balkan-route/'>SELEC
support for tackling migrants’ smuggling into Europe across Balkan
route – Southeast European Law Enforcement Center»</a>, 9 juin 2023 (anglais uniquement)..
57. La création par le Conseil de l'Europe du Réseau de procureurs sur le trafic de migrants 
			(37) 
			Comité
européen sur les problèmes criminels, page du <a href='https://www.coe.int/fr/web/cdpc/network-of-prosecutors-on-migrant-smuggling'>Réseau
de procureurs du Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants</a>, consultée pour la dernière fois le 13 juin 2024. et la mise en place par Eurojust d'un Groupe de réflexion des procureurs sur le trafic de migrants s'inscrivent dans le cadre de ces efforts visant à faciliter l'échange d'informations et à réfléchir aux moyens d'harmoniser plus encore les normes relatives à l'entraide judiciaire.

3.5. Bonnes pratiques au niveau national

58. Comme l'ont souligné les autorités slovaques, «les personnes migrantes ne devraient pas être incriminées pour avoir fait l'objet d'un trafic illicite. Au contraire, les personnes migrantes occupent la position de témoins et ne sont pas des victimes/personnes lésées, à moins que ne surviennent des circonstances spécifiques et qu'elles ne subissent des violences physiques, des menaces ou une forme d'esclavage» 
			(38) 
			Comité
européen pour les problèmes criminels, «<a href='https://rm.coe.int/slovenia-2768-1157-8633-v-1/1680aefb9a'>Fiche
pays: trafic de migrants. Informations légales et judiciaires sur le
trafic de migrants – République slovaque</a>» (anglais uniquement); dernière mise à jour le 21 août
2023.. Aux Pays-Bas, la politique du «free-in, free-out» permet aux personnes migrantes de signaler une infraction à la police sans que leur statut administratif ou pénal ne soit vérifié. Cette pratique vise à encourager le signalement des cas d'exploitation, mais peut également inciter les personnes migrantes à dénoncer les abus commis par les passeurs, y compris les circonstances aggravantes dont ils ont pu faire l'objet.
59. En 2022, le Parlement belge a chargé une commission ad hoc d'examiner la législation et la politique de la Belgique en matière de traite et de trafic d'êtres humains. Ces travaux parlementaires ont abouti à l'adoption, en mai 2023, d'une série de 100 recommandations visant à mieux prévenir et sanctionner les infractions de trafic de migrant·es et de traite des êtres humains 
			(39) 
			Chambre
des Représentants de Belgique, «<a href='https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/2530/55K2530002.pdf'>Commission
spéciale chargée d’évaluer la législation et la politique en matière
de traite et de trafic des êtres humains</a>», 12 juin 2023.. Parmi les six recommandations concernant le trafic de migrant·es, le Parlement a demandé d'évaluer si la notion d'avantage matériel direct ou indirect devait être clarifiée, afin d'éviter tout risque d'incrimination illégitime de personnes migrantes ou de personnes qui leur apportent une aide désintéressée. Le Parlement a également recommandé que les travailleuses et travailleurs humanitaires soient sensibilisés aux formes d'abus dont peuvent faire l'objet les personnes migrantes objet d’un trafic illicite et aux manières de signaler ces abus aux autorités compétentes.
60. La Belgique établit une distinction explicite entre le trafic illicite de migrant·es et «l'aide à l'immigration clandestine». En outre, le droit belge considère qu'il ne peut y avoir d'entrée illégale si une personne migrante provient d'un autre État Schengen, puisqu'il s'agit d'un espace de libre circulation. Toute infraction de trafic illicite de personnes migrantes devrait donc impliquer l'aide au franchissement irrégulier d'une frontière d'un État non-membre de l'Espace Schengen dans un but lucratif. Les autorités belges ont adopté une approche structurée et pluridisciplinaire du trafic illicite de migrant·es et de la traite des êtres humains depuis 2016 
			(40) 
			Service Public
Fédéral Justice, «<a href='https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=17-03-10&numac=2017030090'>Circulaire
du 23/12/2016 relative à la mise en œuvre d'une coopération multidisciplinaire
concernant les victimes de la traite des êtres humains et/ou certaines
formes aggravées de trafic des êtres humains</a>», 10 mars 2017.. Une Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains a été créée sous l'égide du ministère de la Justice 
			(41) 
			Myria, «Rapport annuel
d’évaluation 2022 Traite et trafic des êtres humains»..

4. Évolutions récentes au sein de l'Union européenne

4.1. La portée de la criminalisation en jeu

61. Le fait que la possibilité soit laissée aux États membres de l'Union européenne de criminaliser l'assistance humanitaire, au lieu de les obliger à ne pas le faire, a encouragé davantage une interprétation très large de la directive et de la décision-cadre de 2002, ce qui a conduit à une incrimination abusive et à des formes d'intimidation des personnes migrantes et de leurs soutiens. Cette situation a été reconnue par la Commission européenne qui, dans une étude publiée en 2017 pour évaluer le cadre en vigueur, a admis l’existence de «conséquences imprévues» et a évoqué de manière euphémistique des informations faisant état de «craintes concernant des risques supposés de criminalisation» 
			(42) 
			Commission européenne,
«REFIT Evaluation of the EU legal framework against facilitation
of unauthorised entry, transit and residence: The Facilitators Package»,
(<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/docs_autres_institutions/commission_europeenne/swd/2017/0117/COM_SWD(2017)0117_EN.pdf'>SWD
(2017) 117 final</a>), 22 mars 2017 (anglais uniquement)..
62. En ce qui concerne la distinction devant être établie entre le trafic illicite de migrant·es et la facilitation de la migration irrégulière à des fins d'assistance humanitaire, la même étude a affirmé qu'à cet égard, la valeur ajoutée apportée par le cadre de l'Union européenne en matière de sécurité juridique était limitée, sans autre explication. La Commission européenne n'a pas été en mesure d'évaluer l'efficacité de la législation en place. Toutefois, elle a reconnu la nécessité éventuelle de compenser le risque de conséquences imprévues, et en particulier le risque qu'aucune assistance ne soit fournie aux personnes dans le besoin, en violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe de non-refoulement et des autres engagements internationaux en matière de droits humains.
63. En 2020, alors que la criminalisation de l'aide humanitaire était de plus en plus critiquée, y compris par le Parlement européen 
			(43) 
			Parlement européen,
«Résolution sur les lignes directrices destinées aux États membres
pour empêcher que l’aide humanitaire ne soit érigée en infraction
pénale (<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=fr&reference=2018/2769(RSP)'>2018/2769(RSP)</a>), 5 juillet 2018., un document d'orientation non contraignant a été publié, indiquant que «l’aide humanitaire imposée par la loi ne peut ni ne doit être érigée en infraction pénale» 
			(44) 
			Commission
européenne, «Orientations de la Commission sur la mise en œuvre
des règles de l’Union européenne relatives à la définition et à
la prévention de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers»
(<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020XC1001(01)'>2020/C
323/01</a>), 1er octobre 2020.. Cependant, comme l'a fait observer la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, «les lois les plus fréquemment utilisées dans ces cas pour incriminer les défenseurs et les défenseuses découlent du train de mesures de l'Union européenne relatives aux passeurs» 
			(45) 
			Rapporteuse spéciale
des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses
des droits humains, «<a href='https://srdefenders.org/resource/position-paper-on-the-eu-commissions-proposed-directive-to-update-the-eu-legal-framework-on-people-smuggling/'>Response
to the proposal by the European Commission for a Directive to update
the Facilitators Package</a>», Document de position, février 2024 (anglais uniquement)..
64. En juillet 2023, une demande de décision préjudicielle a été adressée à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) par le Tribunale di Bologna (Italie), lui demandant si l'incrimination instituée par la Directive de 2002 sans obligation juridiquement contraignante d'exclure l'aide humanitaire des sanctions pénales était compatible avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne 
			(46) 
			Journal
Officiel de l’Union européenne, «Demande de décision préjudicielle
présentée par le Tribunale di Bologna (Italie) le 21 juillet 2023 — procédure
pénale contre OB (Affaire C-460/23, Kinshasa)» (<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62023CN0460'>2023/C
338/17</a>), 25 septembre 2023.. L'examen de cette demande est en cours.

4.2. Un nouveau train de mesures relatives aux passeurs: objectifs déclarés de la Commission européenne

65. En novembre 2023, la Commission européenne a présenté une nouvelle proposition de révision du train de mesures relatives aux passeurs (COM(2023)755 final). Cette proposition a pour but de réviser la directive et la décision-cadre de 2002, et de les associer à un nouveau règlement visant à renforcer la coopération policière et le mandat d'Europol pour prévenir et combattre le trafic illicite de migrant·es et la traite des êtres humains en Europe.
66. Les articles 3, 4 et 5 de la directive révisée définissent ce qui constitue le trafic illicite de migrant·es selon le droit de l'Union européenne. Cette définition est plus large que celle qui est énoncée dans le Protocole de Palerme. L'article 3.1 érige en infraction pénale le fait d'aider sciemment à entrer, à transiter ou à séjourner irrégulièrement sur le territoire, associé au fait de demander, de recevoir ou d'accepter directement ou indirectement, un avantage financier ou matériel, ou la promesse d'un tel avantage.
67. L'inclusion de la notion de but lucratif est la bienvenue. Par ailleurs, même si aucun avantage matériel ou financier n'est en jeu, tout facilitateur peut être sanctionné s'il existe une forte probabilité de causer un préjudice grave à la personne dont l'entrée, le transit ou le séjour est facilité ((3.1(b)). Néanmoins, il existe une incertitude sur la question de savoir quels seront les éléments pris en compte par un tribunal pour décider que la personne a agi «en vue d'obtenir un tel avantage» et ce que constitue «une forte probabilité de causer un préjudice grave à une personne».
68. La directive proposée introduit également de nouvelles infractions. Premièrement, «le fait d’inciter publiquement des ressortissants de pays tiers» à entrer, à transiter ou à séjourner de manière irrégulière dans l'Union européenne, par exemple via des outils numériques ou les médias sociaux (article 3.2). Lors d'un échange de vues avec la sous-commission sur le trafic de migrants et la traite des êtres humains de l’Assemblée concernant la nouvelle proposition, Marianna Gkliati, experte en droit de la migration de l'Union européenne, a estimé que cette disposition pouvait être interprétée de manière excessivement large, par exemple contre les personnes qui informeraient les personnes réfugiées sur les itinéraires les plus sûrs. Deuxièmement, l'article 5 érige en infraction pénale le fait d’inciter à commettre l’une des infractions pénales susmentionnées, de s’en rendre complice ou de tenter de commettre l’une de ces infractions.
69. L'article 16 de la proposition de directive révisée prévoit le recours à des «outils d'enquête spéciaux tels que ceux qui sont utilisés dans les affaires de criminalité organisée ou d'autres formes graves de criminalité» pour les enquêtes et les poursuites concernant les infractions pénales définies aux articles 3 à 5.

4.3. Considérations relatives aux droits humains

70. Cette nouvelle définition et la promotion d'«outils d'enquête spéciaux» ont été jugées préoccupantes au regard des principes de nécessité et de proportionnalité par le Contrôleur européen de la protection des données et la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains 
			(47) 
			Rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses
des droits humains, op. cit.; et Contrôleur européen de la protection
des données, «<a href='https://www.edps.europa.eu/data-protection/our-work/publications/avis-du-cepd/2024-01-23-edps-opinion-42024-regulation-enhancing-police-cooperation-relation-prevention-detection-and-investigation-migrant-smuggling-and_fr'>Avis
4/2024 du CEPD sur le renforcement de la coopération policière et
le soutien d'Europol à la prévention du trafic de migrants et de
la traite des êtres humains et à la lutte contre ces phénomènes,
et modifiant le règlement (UE) 2016/794</a>», 23 janvier 2024..
71. Comme l'a indiqué Mme Gkliati, «même avec le champ d'application limité de l'infraction de trafic illicite de migrant·es, les personnes qui contribuent d'une manière ou d'une autre au processus de franchissement des frontières pourraient toujours être tenues pénalement responsables», par exemple si l’on interprète les opérations de recherche et de sauvetage comme présentant une forte probabilité de causer un préjudice grave 
			(48) 
			Mariana Gkliati, professeure
associée au Département de Droit, et au Département de Droit Public
et sur la Gouvernance de l’Université de Tilburg (Pays-Bas), échange
de vues sur «Perspectives sur les développement des politiques de
l’UE dans le domaine de la lutte contre le trafic de personnes migrantes:
le train de mesures relatives aux passeurs» avec la Commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées à Paris, le
20 mars 2024.. L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne a dénoncé des cas de ce type 
			(49) 
			Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, «<a href='https://fra.europa.eu/en/publication/2023/2023-update-ngo-ships-sar-activities?page=4'>Search
and rescue operations in the Mediterranean and fundamental rights»</a>, juin 2023 (anglais uniquement)..
72. En effet, si l'article 4 précise ce que constitue une infraction pénale aggravée de trafic illicite de personnes migrantes, cet article inclut parmi les circonstances aggravantes le fait que «les ressortissants de pays tiers qui ont été l’objet de l’infraction pénale étaient particulièrement vulnérables, y compris des mineurs non accompagnés» (article 4.d): en théorie, toute personne payant un passeur peut entrer dans le cadre de cette définition, ce qui contribue une nouvelle fois à donner un sens équivalent aux notions de franchissement irrégulier des frontières et de trafic illicite de migrant·es.
73. En outre, le considérant 8 du règlement visant à modifier le mandat d'Europol prévoit la possibilité de transférer des données à caractère personnel à des pays tiers même si ces derniers n'offrent pas de garanties adéquates ou appropriées en matière de protection des données, y compris des données biométriques, comme indiqué à l'article 9 du projet de règlement proposé 
			(50) 
			«Proposition de règlement
du PE et du Conseil visant à améliorer la coopération policière
en ce qui concerne la prévention, la détection et les enquêtes en
matière de trafic de migrants et de traite des êtres humains, et
à renforcer le soutien apporté par Europol pour prévenir et combattre
ces formes de criminalité, et modifiant le règlement (UE) 2016/794»
(<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A52023PC0754'>COM(2023)754
final</a>), 28 novembre 2023.. Le cadre du projet de règlement tel qu'il est proposé peut, selon le Contrôleur européen de la protection des données, aller à l'encontre des obligations prévues par le règlement Europol existant qui, en particulier, impose que le traitement des données biométriques s’effectue «sous réserve des garanties appropriées prévues dans le règlement [Europol] concernant les droits et libertés de la personne concernée».

5. Droits humains et État de droit: deux facettes d'une approche cohérente

5.1. Mettre fin à une activité lucrative

74. Le trafic illicite de personnes migrantes est une forme de criminalité transfrontalière qui trouve en partie son origine dans l'attrait que représentent les voies irrégulières de mobilité et de séjour pour les ressortissant·es étrangers. Il s'agit donc essentiellement, pour lutter contre ce trafic, de faire en sorte que l'activité des passeurs et des passeuses ne soit plus rentable.
75. Offrir d'autres solutions que la migration irrégulière: le fait de refuser l'accès au territoire européen au moyen de divers mécanismes et politiques ne s'est pas avéré efficace et a diversifié les itinéraires de migration irrégulière, les rendant parfois plus risqués. De même, l'efficacité des campagnes d'information visant à mettre en garde contre les risques de la mobilité irrégulière n'est pas concluante 
			(51) 
			Flore
Gubert et Sandrine Mesplé-Somps, «<a href='https://dauphine.psl.eu/eclairages/article/migrations-subsahariennes-avertir-des-dangers-du-periple-fait-il-renoncer-au-projet-de-depart'>Migrations
subsahariennes: avertir des dangers du périple fait-il renoncer au
projet de départ?»</a>, <a href='https://dauphine.psl.eu/eclairages/geopolitique-droit-societe'>Géopolitique,
Droit, Société</a>, Université Paris Dauphine, 14 mai 2024.. L'une des solutions proposées pourrait être de détourner les migrant·es des passeurs en les dirigeant vers les voies de mobilité officielles 
			(52) 
			Hellenic Foundation
for European and Foreign Policy et al, op. cit.. Il convient également de garder à l'esprit que de nombreuses personnes migrantes ayant fait l'objet d'un trafic ont besoin d'une protection internationale et qu'elles n'ont pas d'autre solution efficace pour se mettre en sûreté que de payer un passeur.
76. Axer la coopération transnationale sur les menaces à l'ordre public international: pour mettre fin aux activités des passeurs, les autorités doivent s'attacher davantage à remonter la piste de l'argent envoyé par les personnes migrantes afin d'identifier et d'arrêter les instigateurs de ces infractions. Le faible risque de détection est considéré comme l'une des raisons pour lesquelles les réseaux criminels tirent des profits croissants du trafic de migrant·es 
			(53) 
			Le
Groupe d'action financière, «<a href='https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/methodesettendances/Trafic-illicite-migrants.html'>Risques
de BC/FT associés au trafic illicite de migrants </a>», mars 2022.. Comme indiqué précédemment, le profil des passeurs peut varier considérablement et tous n'agissent pas en vue d’exploiter les personnes migrantes, y compris financièrement, pour faire du profit.
77. Néanmoins, la menace que représentent les organisations criminelles pour les autorités étatiques est réelle, en ce qu'elles génèrent des profits illégaux en dehors de tout cadre de réglementation financière, ce qui constitue une menace pour le système financier international lui-même et aussi parce que les profits sont réinjectés dans d'autres formes d'activités criminelles illégales telles que la traite des êtres humains, la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu et de stupéfiants et, potentiellement, le financement du terrorisme. L'objectif des États parties à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée est de renforcer la coopération judiciaire et policière au niveau transnational afin de traduire en justice les auteur·es d'infractions pénales graves relevant de la criminalité transnationale organisée 
			(54) 
			ONUDC,
«<a href='https://www.unodc.org/unodc/en/treaties/CTOC/legislative-guide.html'>Guide
législatif pour l’application de la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée. Troisième partie:
guide législatif pour l’application du Protocole contre le trafic
illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention
des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisé</a>e», 2005..
78. Qui plus est, les organisations criminelles risquent fort d'abuser des personnes migrantes, de leur extorquer de l'argent supplémentaire en cours de route, voire de mettre des vies humaines en danger pour minimiser les risques de détection ou pour réduire les coûts de fonctionnement de leur activité. Contrairement aux passeurs et aux passeuses de faible envergure, ces organisations sont bien structurées et il est extrêmement difficile d'en remonter la piste et de les arrêter. Ce sont ces organisations que la coopération transnationale devrait cibler en vue de mettre fin à leur impunité. Les études menées par l'ONUDC révèlent que ce sont généralement les petits passeurs qui sont poursuivis, plutôt que les instigateurs à la tête des réseaux les plus structurés 
			(55) 
			ONUDC, «<a href='https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf'>Global
Study on Smuggling of Migrants</a>», op. cit..
79. La coopération judiciaire et policière devrait concentrer ses efforts sur ce que l'on appelle communément l'approche «Follow the money» («Suivez l'argent») pour appréhender les instigateurs, tout en facilitant l'intervention des organismes de réglementation financière pour s'assurer que les services de transferts de fonds respectent les normes internationales en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent 
			(56) 
			Le Groupe d'action
financière, op. cit.. Le Conseil de l'Europe est équipé pour aider les États membres à relever ces défis dans le domaine du droit pénal, en leur fournissant des instruments conçus pour lutter contre les formes contemporaines de la grande criminalité organisée, par exemple la cybercriminalité.

5.2. La nécessité d’harmoniser les normes

80. La coopération policière et judiciaire peut être facilitée par un tissu dense d'organisations régionales et internationales, parmi lesquelles figure le Conseil de l'Europe, ce qui est positif. Cependant, des écarts très importants sont constatés dans la manière dont le trafic illicite de migrant·es est incriminé dans les États membres. Comme l'a souligné le CDPC, il n’y a aucune cohérence dans les éléments matériel et moral de l’infraction, les circonstances aggravantes et les sanctions 
			(57) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «Législations nationales relatives au trafic
de migrants dans les États membres du Conseil de l’Europe» (<a href='http://rm.coe.int/168070f27b'>CDPC(2016)3</a>).. En conséquence, les expert·es considèrent que «le fait qu’il n’existe pas de système harmonisé est en faveur des passeurs, qui peuvent exploiter les failles existantes pour éviter d’être poursuivis» 
			(58) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «<a href='https://rm.coe.int/conclusions-conference-on-smuggling-of-migrants-final-fr-21-08-2017-pd/168073b37e'>Conférence
sur le trafic de migrants: Remarques finales pour une action supplémentaire
du Conseil de l'Europe sur le trafic de migrants</a>», op. cit..
81. Il est donc essentiel que les États membres adoptent une définition claire et commune de l'infraction pénale de trafic illicite de migrant·es qui soit inspirée de la définition énoncée dans le Protocole de Palerme et qui exonère explicitement de toute forme de responsabilité pénale l'assistance humanitaire et l’aide apportée aux personnes migrantes aux fins de l’exercice de leurs droits fondamentaux, lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque avantage financier ou matériel.
82. Une définition globale au moyen d’une approche pluridisciplinaire du trafic illicite de migrant·es compléterait la définition axée sur la criminalité organisée proposée dans le Protocole de Palerme. En effet, il convient de préciser que tous les passeurs et les passeuses n'appartiennent pas à des groupes criminels organisés: des réponses ciblées et proportionnées, y compris non pénales, pourraient être envisagées concernant ces derniers, éventuellement en coopération avec les pays d'origine et de transit. Cela pourrait aider à mieux comprendre les spécificités de certaines causes profondes du trafic de migrant·es et de réfléchir aux moyens de mettre un terme à ce phénomène, notamment en envisageant des sanctions ne relevant pas du droit pénal et en appliquant une approche nuancée des sanctions pénales.
83. Il importe également d'établir une distinction explicite entre l'entrée non autorisée dans un pays et l'infraction pénale de trafic de personnes migrantes. Le fait que la conduite d’un véhicule lors du passage irrégulier d’une frontière soit effectué par une personne migrante, membre d’un groupe faisant l’objet d’un trafic illicite, peut faire partie des circonstances permettant à des personnes réfugiées et qui recherchent une protection de franchir la frontière, mais ne devrait jamais être sanctionné pour entrée irrégulière dans un pays (Convention sur les réfugiés). En outre, les actes illégaux commis du fait d'avoir été l'objet d'un trafic, y compris les infractions liées à l'immigration, ne devraient pas être incriminés, conformément à la Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains, et comme l'a récemment rappelé la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants 
			(59) 
			Rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur la traite des êtres humains, en particulier
les femmes et les enfants, «Traite des êtres humains, mouvements
migratoires mixtes et protection en mer» (<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FHRC%2F56%2F60&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>A/HRC/56/60</a>), 25 avril 2024.. Cela ne signifie pas que les personnes migrantes ayant fait l'objet d'un trafic doivent être à l'abri de sanctions pénales si elles sont reconnues coupables d'avoir commis une infraction: lorsqu'une personne est arrêtée à la suite d'un franchissement irrégulier des frontières et que l'enquête révèle qu'elle est l'auteure de traitements inhumains ou dégradants ayant parfois entraîné la mort, cette dernière doit être poursuivie pour avoir commis des actes criminels distincts du trafic de migrant·es.

5.3. Compléter l'approche par des mesures non pénales

84. Certains États membres ont opté pour une approche transversale du trafic illicite de personnes migrantes. La vulnérabilité dans laquelle peuvent se trouver les migrant·es ayant fait l'objet d'un trafic illicite exige en effet que les pouvoirs publics soient vigilants face aux risques d'exploitation et d'abus pouvant survenir sur leur territoire.
85. La protection des travailleuses et travailleurs migrants et l'augmentation des ressources des services d'inspection du travail revêtent une importance particulière. L'Assemblée a formulé des recommandations spécifiques visant à mieux protéger les travailleurs migrants, y compris les travailleurs sans papiers, dans la Résolution 2536 (2024) «Les situations de travail précaire et irrégulier des travailleurs saisonniers et domestiques migrants» et la Résolution 2504 (2023) «Protection sanitaire et sociale des travailleuses et des travailleurs sans papiers ou en situation irrégulière».
86. Le fait de donner la possibilité aux personnes migrantes de signaler en toute sécurité toute forme d'abus et, le cas échéant, de partager des informations sur les groupes criminels organisés qui tirent profit du trafic illicite de personnes migrantes, sans craindre un contrôle de leur statut administratif, devrait être considéré comme une bonne pratique. Cela peut, en effet, non seulement contribuer aux enquêtes, mais aussi inciter les personnes migrantes à signaler les situations d'abus et de vulnérabilité auxquelles elles-mêmes ou d'autres personnes migrantes peuvent être confrontées.

5.4. L’expertise du Conseil de l’Europe

87. Pour qu'une approche concertée du trafic illicite de migrant·es s'impose en Europe, il doit y avoir une même compréhension et interprétation de sa définition juridique, et une même interprétation de cette définition par les tribunaux. Cela pourrait avoir un effet positif sur la manière actuelle dont la notion de trafic illicite de migrant·es est utilisée dans le discours politique, qui l'emploie de manière assez approximative et tend à l'instrumentaliser.
88. Les cadres internationaux d'entraide judiciaire conçus pour promouvoir la coopération judiciaire et policière ont démontré leur capacité à préserver la souveraineté des États tout en garantissant que la nature transnationale de la question soit effectivement prise en compte. Il est risqué pour des États-nations de coopérer s’ils ne disposent pas de définition contraignante et rigoureuse ni de mécanisme de suivi, et s'ils ne définissent et ne façonnent pas leur coopération sur la base d'un modèle éprouvé, tel que le Protocole de Palerme. Le fait de vouloir faire cavalier seul peut conduire à une confusion juridique et à des contestations devant les tribunaux internationaux, ce qui peut avoir pour conséquence involontaire de détourner les politiques publiques (et les ressources) des efforts internationaux qui auraient été nécessaires pour lutter contre les grandes organisations criminelles transnationales.
89. Le Conseil de l'Europe a l'habitude de travailler avec les États membres et à les aider dans les domaines où la législation et son interprétation diffèrent. On peut citer pour exemple les longues discussions menées autour de la notion de «contrefaçon» de produits médicaux: certains États membres étaient réticents à accepter des termes qui auraient pu entraver la fabrication de médicaments génériques à un coût abordable dans certains États membres 
			(60) 
			Comité ad hoc sur la contrefaçon des produits
médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique, «Questions
clés liées au projet de Convention du Conseil de l’Europe sur la
contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires
menaçant la santé publique», (<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806ab301'>PC-ISP
(2009) 01</a>), 13 mai 2009.. Finalement, il a été convenu que l'instrument juridique devait se concentrer sur les enjeux de santé publique sans référence aux droits de propriété intellectuelle en relation avec la fourniture ou l'approvisionnement de produits médicaux 
			(61) 
			Projet
de rapport explicatif sur la Convention du Conseil de l’Europe sur
la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires
menaçant la santé publique (<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806ab321'>PC-
ISP (2009) 5</a>), 27 août 2009.. L'accord qui en a résulté a fourni aux États européens, en 2011, le premier traité international contre la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique: la Convention du Conseil de l'Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (STCE n° 211). On peut également citer l'exemple de l'adoption de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains en 2005, qui a largement démontré depuis qu’outre le fait de poursuivre les auteurs de l’infraction commise, l'adjonction d'une approche axée sur les victimes avait rendu la coopération plus facile et plus efficace entre les États pour lutter contre la traite des êtres humains, mais aussi la prévenir, comme l'indiquent les rapports du GRETA 
			(62) 
			«<a href='https://rm.coe.int/booklet-practical-impact-of-greta-s-monitoring-work-in-improving-the-i/1680aef8ef'>Impact
pratique des travaux de suivi du GRETA</a>», 2024 (anglais uniquement, traduction française en
cours au 13 juin 2024)..
90. Le Conseil de l'Europe pourrait offrir un espace approprié pour examiner et définir les éléments d'une définition commune du trafic illicite de migrant·es. Plusieurs conventions et normes sont déjà en place pour accompagner les États membres vers un alignement et une coopération accrue sur les questions judiciaires directement liées à l'infraction de trafic illicite de personnes migrantes ou se recoupant avec cette infraction.
91. Ces conventions et normes comprennent: la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale et ses protocoles additionnels (STE n° 30, 99 et 182) ainsi que les conventions pénale et civile sur la corruption (STE n° 173 et 174). La Convention sur la cybercriminalité (STE n° 185, «Convention de Budapest») présente également un intérêt particulier: elle fournit un cadre juridique pour la coopération internationale non seulement en matière de cybercriminalité (infractions contre les ordinateurs et au moyen de ceux-ci) mais aussi concernant toute infraction dans laquelle les preuves se présentent sous forme électronique. Avec 93 États parties ou observateurs au comité de cette convention, la Convention de Budapest est ouverte à la ratification de tous les États et est considérée comme l'accord international le plus complet et le plus cohérent à ce jour en matière de cybercriminalité et de preuves électroniques.
92. En outre, les différents outils disponibles pour identifier les personnes vulnérables et les protéger peuvent être opportuns lors de l'interception des personnes migrantes ayant fait l'objet d'un trafic illicite, à savoir: la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126), la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210), et la Convention sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201).
93. Enfin, la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et son Protocole d’amendement (STE n° 108 et STCE n° 223, “Convention 108+”) sont particulièrement appropriés pour garantir une sécurité optimale, ainsi qu'une fluidité et une efficacité dans les échanges de données à caractère personnel, y compris de données biométriques. La Convention 108+ fixe des normes reconnues au niveau international, y compris par Interpol. Il importe de noter que des modules sont à disposition des États qui ne sont pas Parties à la Convention 108+ pour renforcer l'harmonisation de l'approche normative de la protection des données, jetant les bases de cadres de coopération plus sûrs dans ce domaine extrêmement sensible: les Clauses Contractuelles Types pour le Transfert de Données à Caractère Personnel de responsable de traitement à responsable de traitement et les Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel de responsable de traitement à sous-traitant.

5.5. Coopération avec l'Union européenne: le besoin pressant de cohérence politique

94. L'Union européenne est un partenaire stratégique qui, à la différence du Conseil de l'Europe, légifère dans le domaine du droit des migrations et de l'asile. Les efforts déployés par les institutions de l'Union européenne pour rechercher des voies politiques concrètes qui permettraient d'améliorer l'accès régulier à son territoire, que ce soit à des fins de protection internationale ou de migration de main-d'œuvre, sont les bienvenus et devraient être encouragés.
95. Les cadres de coopération déjà en place pour favoriser les synergies entre les autorités judiciaires devraient être encouragés et l'on peut se réjouir de la prochaine réunion avec le Réseau de procureurs du Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants et le Groupe de réflexion sur le trafic de migrants d'Eurojust 
			(63) 
			Comité européen pour
les problèmes criminels, «2ème réunion du Réseau de procureurs du
Conseil de l’Europe sur le trafic de migrants (CDPC-NPMS)» (<a href='https://rm.coe.int/cdpc-npms-2023-01-rapport-2eme-reunion-3-4-avril-2758-7758-6183-v-1/1680ab075f'>DPC-NPMS(2023)01</a>), 14 avril 2023..
96. L'harmonisation, voire la mise en conformité, des normes avec les normes communes en matière de droits humains est essentielle, non seulement dans un souci de cohérence entre les lois qui s'appliquent dans les États membres de l'Union européenne qui sont également membres du Conseil de l'Europe, mais aussi en raison de l'influence que le droit de l'Union exerce sur les États non membres de l'Union européenne, en particulier dans le domaine des migrations et de la gestion des frontières, et qui sont, pour la plupart, liés par les normes du Conseil de l'Europe.
97. Dans le contexte de la récente proposition de la Commission européenne, une attention particulière devrait être accordée aux droits procéduraux garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La sévérité des sanctions envisagées à l’égard des personnes reconnues coupables de trafic illicite de personnes migrantes devrait s'accompagner des garanties juridiques et procédurales appropriées prévues par la Convention. Une définition commune des infractions pénales, reconnue dans l'ensemble des États membres, y compris dans les États membres de l'Union européenne, permettrait de faire en sorte que les principes garantis par l'article 6 de la Convention s'appliquent pleinement et que les affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme puissent être jugées recevables.
98. Selon la jurisprudence de la Cour, l’examen de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention repose sur trois critères 
			(64) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, «<a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/all-case-law-guides'>Guide
sur l’article 6 pénal </a>» (actualisé le 29 février 2024).: la classification en droit interne, la nature de l'infraction et la sévérité de la peine que la personne concernée risque d'encourir. Concernant ces trois critères, les législations des États membres du Conseil de l'Europe diffèrent considérablement. L'actuelle définition de l'infraction pénale consistant à faciliter l'entrée, le transit et le séjour irréguliers figurant dans la directive de 2002 pourrait ne pas offrir de garanties suffisantes contre une criminalisation injustifiée et ne saurait donc être considérée comme adaptée à son objet, du moins tant que la CJUE ne s'est pas prononcée sur l'affaire Kinshasa.
99. En outre, en l'état actuel des choses, toute adoption du projet de règlement de l'Union européenne qui ne ferait pas préalablement l'objet d'une évaluation approfondie de son impact sur les droits fondamentaux et qui confirmerait sa conformité avec les normes internationales applicables en matière de protection des données et de droits fondamentaux pourrait conduire à l’adoption de normes contradictoires dans les États membres de l'Union européenne liés par les normes du Conseil de l'Europe, en particulier la Convention 108+.
100. Bien que la coopération transfrontalière puisse être valable, les conditions à respecter pour que cette coopération soit conforme aux normes internationales et pour qu’elle n'ait pas de conséquences négatives sur les droits humains des personnes migrantes et sur la sécurité des États (échange de données) mériteraient que l'on y accorde toute l'attention nécessaire et pourraient peut-être faire l'objet d'un texte législatif distinct, auquel il faudrait consacrer suffisamment de temps et de réflexion.
101. L'approche consistant à adopter un «train de mesures» pourrait être source de confusion et favoriser un programme politique global dans un domaine où il existe des incohérences avec d’autres instruments régionaux et par conséquent un risque pour les garanties en matière de droits humains.

6. Conclusion

102. Les profits générés par les passeurs de personnes migrantes constituent un défi pour les États à trois égards: l'essor d'une activité commerciale liée à d'autres activités criminelles telles que la contrefaçon, le blanchiment d'argent et la traite des êtres humains; la gestion et le contrôle des frontières; et la nécessité de protéger les droits fondamentaux de personnes dont la vulnérabilité peut être accrue en raison de leur mobilité dans un cadre non officiel.
103. La réponse au trafic illicite de migrant·es suppose de créer les conditions d'une coopération transnationale entre les forces de police et les autorités judiciaires des États affectés par cette forme de criminalité, notamment par le biais de définitions, de pratiques et de normes procédurales harmonisées permettant le partage d'informations policières et judiciaires dans le respect des exigences en matière de protection des données.
104. Une telle coopération nécessite des normes harmonisées et, surtout, une définition et une compréhension communes de ce qu’est l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et ce qu’elle recouvre. La tendance, dans les législations nationales et régionales, à aborder la réponse institutionnelle au trafic illicite de migrant·es à travers le seul prisme du droit légitime des États à contrôler leurs frontières risque de reléguer au second plan d'autres éléments constitutifs de l'infraction de trafic illicite de personnes migrantes, et de la criminaliser exagérément. En réalité, le droit pénal n'est pas le seul angle sous lequel la question du trafic illicite de personnes migrantes devrait être abordée, et c'est là que le Conseil de l'Europe peut apporter une contribution significative pour soutenir la coopération interétatique et la coopération politique, même au-delà de ses propres membres.
105. Dans cet effort, le Conseil de l'Europe peut apporter une expertise précieuse par le biais de ses instruments et outils et en initiant une réflexion sur le besoin de normes ou de lignes directrices spécifiques qui pourraient aider les États membres à lutter contre les véritables auteurs du crime et contre les facteurs qui le favorisent, plutôt que contre les personnes migrantes elles-mêmes.