1. Introduction
1.1. Origine
et procédure
1. Depuis deux ans, la République
islamique d’Iran est le théâtre de manifestations massives contre
le gouvernement qui se sont propagées dans tout le pays à la suite
de la mort de Jina Mahsa Amini, une jeune femme kurde décédée lors
de sa garde à vue par la «police des mœurs» iranienne le 16 septembre
2022, après avoir été détenue et maltraitée pour avoir porté un
foulard «mal ajusté». Sa mort a donné lieu à un soulèvement révolutionnaire
sans précédent et qui se poursuit contre le régime islamique dans
son ensemble.
2. Ce mouvement de protestation, le plus important depuis la
«révolution islamique» de 1979, est le signe d'une société civile
mature dans ce pays. Du Kurdistan au Sistan et au Baloutchistan,
la société civile est prête à s'exprimer contre l'oppression politique
et les violations des droits humains. Les femmes jouent un rôle
de premier plan dans ce mouvement, ainsi que des minorités ethniques
telles que les Kurdes.
3. La réponse du régime iranien a été d'une extrême brutalité,
marquée par la violence, des tortures, des enlèvements et des condamnations
à mort pour faire taire les revendications légitimes des manifestant·es.
En conséquence, en novembre 2022, le Conseil des droits de l'homme
des Nations Unies a décidé de mettre en place un mécanisme de documentation
permanent sur les violations des droits humains en Iran.
4. Comme tout cela se passe dans un État qui est le voisin direct
de trois États membres du Conseil de l'Europe, l’Assemblée parlementaire
ne peut pas se permettre de rester silencieuse. En janvier 2023,
la commission des questions politiques et de la démocratie a tenu
une audition sur la situation en Iran et a entendu les témoignages
de plusieurs experts iraniens et internationaux. Suite à cette audition,
j'ai initié une proposition de résolution «La situation en Iran»

invitant l'Assemblée, entre autres,
à exprimer son soutien politique aux groupes de la société civile
iranienne et aux individus qui se mobilisent pour promouvoir la démocratie,
les droits humains et l'État de droit en Iran, à les aider à sensibiliser
les parlements nationaux à la situation en Iran, et à examiner le
rôle déstabilisateur de l'Iran dans la région.
5. Une raison supplémentaire de prendre des mesures est liée
au fait qu'il existe une importante diaspora iranienne dans de nombreux
États membres du Conseil de l'Europe. En effet, à la suite de la
«révolution islamique» de 1979 et de la guerre entre l'Iran et l'Irak,
plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ont accordé l'asile
et la citoyenneté à de nombreuses personnes fuyant l'Iran. Par conséquent,
des liens transnationaux étroits existent entre la République islamique
d'Iran et les États membres du Conseil de l'Europe; les développements
en Iran et la politique des autorités iraniennes ont un impact sur
nos pays. En même temps, la plupart des États membres du Conseil
de l'Europe entretiennent des relations avec l'Iran.
6. Il convient de rappeler que des commandos d'assassins liés
au régime iranien sont actifs en Europe depuis de nombreuses années.
Un exemple marquant est «l'incident du Mykonos»: l'assassinat de
quatre responsables politiques kurdes de premier plan dans un restaurant
appelé «Mykonos» à Berlin le 17 septembre 1992. Plus récemment,
en novembre 2022, un incendie criminel a été déclenché dans une synagogue
de la ville allemande de Bochum dont l'origine peut désormais être
attribuée aux autorités de l'État iranien, selon le jugement de
la Cour régionale supérieure.
7. La proposition de résolution «La situation en Iran» a été
renvoyée à la commission des questions politiques et de la démocratie
le 2 mars 2023 et j’ai été désigné rapporteur le 26 avril 2023.
En septembre 2023, la commission a entendu ma communication introductive;
j'ai ensuite présenté un schéma de rapport en octobre 2023, dans
lequel j'ai proposé de changer le titre en «La situation en Iran
et la protection des défenseurs iraniens des droits humains dans
les États membres du Conseil de l'Europe».
8. Le 5 mars 2024, la commission a tenu une audition avec la
participation de deux éminents experts d'origine iranienne vivant
et travaillant actuellement en Europe: Mme Nargess
Eskandari-Grünberg, maire de la ville de Francfort-sur-le-Main et
cheffe du département de la diversité, de la lutte contre les discriminations et
de la cohésion sociale, et M. Ali Fathollah-Nejad, directeur du
Centre pour le Moyen-Orient et l'ordre mondial (CMEG), à Berlin.
Par la suite, j'ai demandé à M. Fathollah-Nejad de fournir une contribution
écrite sur plusieurs questions spécifiques à développer. Je lui
suis sincèrement reconnaissant d’avoir accepté ma demande et d’avoir
fourni une précieuse contribution malgré sa charge de travail très
importante due aux développements récents en Iran et liés à ce pays.
Le présent rapport repose en grande partie sur cette contribution.
9. J'ai effectué une visite d'information à Londres les 21 et
22 mai 2024. À cette occasion, j'ai rencontré M. Fabian Hamilton,
membre de la commission des affaires étrangères de la Chambre des
communes, M. Jonathan Hingston, spécialiste principal de la commission
du développement international de la Chambre des communes, M. Alexander
Pinfield, chef de l'unité Iran du ministère des affaires étrangères,
du Commonwealth et du développement, ainsi que les principaux experts
travaillant sur l'Iran au sein de groupes de recherche et de défense
des droits tels qu'Amnesty International, Article 19 et United Against
Nuclear Iran. Je tiens à remercier la délégation du Royaume-Uni
pour l'organisation de cette visite, ainsi que tous mes interlocuteurs
pour leur précieuse contribution.
10. Dans le cadre de la réunion à Oslo les 30 et 31 mai 2024,
la commission des questions politiques et de la démocratie a tenu
une autre audition avec la participation de deux éminents Norvégiens
d'origine iranienne: M. Mahmoud Farahmand, membre du Parlement norvégien,
et M. Reza Amiry-Moghaddam, militant des droits humains, neuroscientifique,
professeur à l'Université d'Oslo (en ligne). Je remercie nos collègues
norvégiens pour leur contribution utile.
1.2. Portée
et objectif du rapport
11. Conformément à la proposition
initiale, mon rapport traite à la fois de la situation en Iran à
la suite des manifestations de masse qui se poursuivent depuis 2022,
et de l'impact de la politique étrangère iranienne sur la situation
régionale.
12. Les services secrets iraniens continuent de persécuter les
militant·es de la société civile et les opposant·es politiques critiques
qui expriment des points de vue différents de la doctrine et de
la propagande du régime.
13. En même temps, comme je l'ai déclaré lors de la réunion de
la commission des questions politiques et de la démocratie le 12
septembre 2023 à Paris, j'ai aussi l'intention de centrer mon rapport
sur les menaces et les dangers auxquels sont confrontés les Iranien·nes
vivant en exil en Europe et les citoyen·nes européens d'origine
ou d'ascendance iranienne qui critiquent le régime en Iran, en raison
des activités des structures de répression de l'État iranien à l'étranger.
14. Il est largement admis que les services de renseignement iraniens
sont responsables d'assassinats, d'enlèvements et d'activités d'espionnage
à l'étranger, y compris dans les États membres du Conseil de l'Europe.
En fait, la persécution par le régime iranien des voix critiques
de la société civile et des défenseur·es des droits humains à l'étranger
ou en exil constitue un grave problème de droits humains et une
menace pour nos sociétés.
15. En conséquence, le titre du rapport a été modifié comme suit:
«La situation en Iran et la protection des défenseurs iraniens des
droits humains dans les États membres du Conseil de l'Europe».
16. En résumé, j'ai l'intention de présenter une analyse générale
de l'Iran, comprenant les innombrables violations des droits humains
commises par le régime, son rôle déstabilisateur pour la paix et
la liberté dans le monde et les menaces qu'il fait peser sur les
voix dissidentes en exil. Je pense qu’une stratégie commune et cohérente
est nécessaire pour faire face aux menaces posées par l'Iran.
17. Les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe devraient
réorienter leur politique étrangère vis à vis de l’Iran ainsi que
leurs relations avec ce pays. Mon rapport vise à fournir des lignes
directrices pour ces relations, qui incluraient la protection de
l'opposition iranienne dans nos États membres, la condamnation de
la situation des droits humains en Iran et la lutte contre le rôle
déstabilisateur de l'Iran dans la région et dans le monde.
2. Situation en Iran à la suite des manifestations
de masse qui se poursuivent depuis 2022
2.1. Des
manifestations de masse d'une ampleur sans précédent
2.1.1. Une
large base sociale
18. Les manifestations de masse
qui ont débuté à l'automne 2022 sous le slogan «Femme, Vie, Liberté» ont
constitué le point culminant du processus révolutionnaire à long
terme de l'Iran. Elles ont transcendé les frontières sociales et
ethniques. Non seulement les classes inférieures et moyennes y ont
pris part, mais aussi des membres de la classe supérieure (par exemple
des célébrités du sport et personnages de la télévision). En termes
d'appartenance ethnique, on a observé une participation de personnes
d'origines ethniques différentes, persanes comme non persanes, ainsi
qu’une solidarité entre elles. Par exemple, après le début des manifestations
au Kurdistan, les habitant·es de la ville voisine de Tabriz, où
l'on parle l'azéri, se sont joints au mouvement en scandant: «Tabriz
est réveillé et soutient le Kurdistan» (en azéri). La même solidarité
a été observée dans d'autres régions et parmi d’autres ethnies iraniennes.
Selon une note confidentielle du régime qui a fuité, 84 % des Iraniens
sympathisaient avec le soulèvement qui appelait à un changement
de régime.
19. Quatre groupes étaient au premier plan des manifestations:
(i) les femmes; (ii) les jeunes (15-24 ans, la «génération Z» de
l'Iran); (iii) la population étudiante; et (iv) les groupes ethniques
marginalisés. Tous ces groupes souffrent de manière disproportionnée
du chômage et sont également exposés à diverses autres formes de
discrimination de la part de l'État. Des écolier·es, des enseignant·es
et des professeur·es d'université ont également pris part aux manifestations,
les deux derniers groupes s'étant aussi mis en grève pour exiger
la libération de leurs étudiant·es détenus pendant les manifestations.
20. En Iran, les femmes sont confrontées à une discrimination
structurelle, qui se traduit notamment par le fait qu'elles sont
deux fois plus touchées par le chômage que les hommes (en général
et chez les jeunes), tandis que leur taux de participation au marché
du travail n'est qu'un cinquième de celui des hommes – malgré un
niveau d'éducation équivalent. À cela s'ajoutent la discrimination
juridique sexospécifique (ou l'apartheid des sexes), la répression
socioculturelle (par exemple, le hijab obligatoire qui permet à
l'État de contrôler le corps et le mode de vie des femmes) et la
discrimination politique (exclusion de fait des femmes des hautes fonctions
politiques dans le cadre d'un système politique patriarcal).
21. Les jeunes souffrent également de manière disproportionnée
du chômage et des restrictions socioculturelles qui leur sont imposées
par une élite islamiste octogénaire. Au début du mois d'octobre
2022, moins d’un mois après le début du soulèvement, l'âge moyen
de la plupart des manifestant·es détenus n'était que de 15 ans,
selon le commandant adjoint du Corps des gardiens de la révolution
islamique (CGRI), Ali Fadavi.
22. Les étudiant·es ont pris part au soulèvement en manifestant
dans plus de 150 universités dans les 31 provinces, malgré la réaction
brutale des forces de sécurité et la répression des organisations
étudiantes indépendantes qui dure depuis des années. Ils souffrent
également d'un taux de chômage supérieur à la moyenne (deux cinquièmes
des chômeurs sont des diplômés) et de diverses formes de discrimination politique.
Même avant la révolution de 1979, les universités iraniennes étaient
un lieu central de dissidence.
23. Enfin, les groupes ethniques et religieux marginalisés d'Iran,
tels que les Kurdes, les Baloutches, les Bahaïs ou la communauté
juive iranienne encore présente, sont confrontés à une discrimination
socio-économique, confessionnelle et politique disproportionnée.
2.1.2. Un
régime très inquiet
24. Fin novembre 2022, un rapport
secret révélateur de l'agence de presse Fars, affiliée au CGRI,
a fait l'objet d'une fuite. Ce rapport fait état des graves préoccupations
des hauts responsables du régime concernant les manifestations et
les stratégies mises en œuvre par les dirigeants du pays pour les
contrer. Ces révélations montrent clairement que les représentants
du régime estiment à 10 % de la population (soit plus de 8 millions
de personnes) le nombre potentiel de personnes susceptibles de descendre
dans la rue pour protester contre la République islamique. Selon
la seule estimation officielle du ministère de l'intérieur, 45 000 personnes
ont participé à des manifestations dans les rues et 18 000 dans
les universités au plus fort du mouvement, début novembre.
25. Toutefois, des estimations indépendantes basées sur le nombre
de personnes détenues par les autorités dans les différentes villes
ont indiqué un nombre beaucoup plus élevé de 600 000 à 700 000 manifestant·es.
Le célèbre spécialiste des mouvements sociaux, Asef Bayat, a même
évoqué un nombre trois fois supérieur, soit deux millions de manifestant·es.
En revanche, selon le ministère de l'intérieur, 50 000 personnes
ont participé aux manifestations de Dey au
début de l'année 2017/18 et 200 000 aux manifestations d'Âbân en novembre 2019, qui ont sans
doute déclenché le processus révolutionnaire à long terme du pays, car
même les classes inférieures – longtemps considérées comme la base
sociale fidèle au régime – ont exigé la fin de la République islamique.
26. Lors des manifestations de 2022, Hassan Rahimpour-Azghadi,
membre du Conseil suprême de la révolution culturelle, a affirmé
qu'elles devaient être perçues par les autorités comme une «alerte
à la mort».
2.2. Persécution
des opposant·es par les autorités
27. Le peuple iranien est privé
de ses droits fondamentaux depuis l'instauration de la République
islamique en 1979. Les femmes sont particulièrement visées et les
violences sexuelles à leur encontre sont monnaie courante.
28. Il existe des preuves accablantes que, depuis le début des
manifestations de masse dans les rues en septembre 2022, les citoyen·es
ont été exposés à une présence militaire excessive et sans précédent
et à sa violence disproportionnée. Selon les organisations iraniennes
de défense des droits humains, plus de 500 manifestant·es ont été
tués depuis le début des manifestations et plus de 20 000 personnes
ont été arrêtées. On signale également que des jeunes sont systématiquement
et délibérément abattus d'une balle dans l'œil.
29. Lors de l'audition le 5 mars 2024, Mme Nargess
Eskandari-Grünberg a partagé des informations et fourni des preuves
sur la persécution systématique à grande échelle des manifestant·es
par le régime iranien, y compris des meurtres et des exécutions.
Selon son témoignage, un an et demi après le début de la révolution «Femme,
Vie, Liberté» en Iran, il ne s'est pas passé un seul jour sans que
des nouvelles choquantes ne parviennent d'Iran. Le régime utilise
tous les moyens pour se maintenir au pouvoir.
30. Mme Eskandari-Grünberg a évoqué
le cas de Nika Shakarami, une jeune femme qui a protesté après le meurtre
de Jina Mahsa Amini. En conséquence de sa résistance, cette adolescente
a été violée, battue à mort et jetée du haut d'un immeuble. Pejman
Fatehi et Mohammad Faramarzi ont été exécutés en janvier 2024 malgré
les efforts, depuis l’Allemagne, de leurs épouses et de Sabbah,
le fils de Pejman Fatehi âgé de 5 ans pour les sauver. Le régime
n'a pas encore rendu les corps de leurs proches à leurs familles.
Au lieu de cela, ils ont été enterrés dans un lieu inconnu. Les
disparitions font partie de la stratégie du régime.
31. Selon l'Organisation Hengaw pour les droits humains, il y
a eu 823 exécutions en Iran en 2023. Le nombre de cas non signalés
pourrait être bien plus élevé. De nombreux prisonniers en Iran sont
exposés à un risque imminent d'exécution. Les chercheurs d'Amnesty
International ont confirmé la forte augmentation du nombre d'exécutions
depuis 2021 (+ 172 %); ils ont également noté un recours disproportionné
aux condamnations à mort à l'encontre de la minorité baloutche.
32. Lors de l’audition le 31 mai 2024, M. Amiry-Moghaddam a fait
une présentation sur la peine de mort en Iran. Il a confirmé que
834 personnes ont été exécutées en 2023, y compris des femmes, des
enfants délinquant·es et des manifestant·es, alors que les autorités
iraniennes n'ont annoncé que 125 exécutions. Les principaux chefs
d'accusation étaient le blasphème, le meurtre et le viol. Il a souligné
la relation entre le nombre d'exécutions et le calendrier des manifestations
politiques. Ainsi, lorsque les protestations étaient en cours, le nombre
d'exécutions augmentait, le régime cherchant apparemment à instiller
la peur dans la société. Il y a eu une augmentation spectaculaire
en 2022-2023, en raison des manifestations «Femme, Vie, Liberté».
33. Si les pays européens ont réagi vivement à l'exécution de
manifestant·es, il n'en a pas été de même pour les exécutions liées
à la drogue. À la suite de l'amendement de 2017 à la loi antidrogue,
le nombre d'exécutions a diminué, mais il est reparti à la hausse
après la pandémie de covid-19 et le début de nouvelles manifestations.
M. Amiry-Moghaddam a appelé les membres à interroger leurs gouvernements
sur le soutien qu'ils apportent à l'Office des Nations unies contre
la drogue et le crime (ONUDC), car ce dernier coopère avec le régime
iranien, ce qui a conduit à des exécutions.
34. Les exécutions et les meurtres dans les prisons et les centres
de détention ne sont pas les seuls moyens par lesquels la République
islamique cherche à imposer la mort à la société iranienne. Priver
les gens d'espoir en la vie est une autre façon d'éliminer les personnes
actives et de les rendre dépressives et passives. Le fait que le
taux de suicide en Iran ait augmenté de plus de 40 % au cours des
dix dernières années n'est pas une coïncidence. La population iranienne
souffre des effets dévastateurs des crises économique, politique
et sociale, dues à la mauvaise gestion et à la corruption du gouvernement,
ainsi qu'au soutien de l'État au terrorisme mondial.
35. Mme Eskandari-Grünberg a souligné
que tous ceux qui critiquent le régime iranien se retrouvent, eux
et leurs familles, menacés, interrogés et intimidés. Les dissidents
en Europe sont également menacés et soumis à des pressions s'ils
s'expriment contre le régime.
2.3. Société
civile émergente
36. Le mouvement de protestation
sans précédent qui se poursuit en Iran depuis la mort de Jina Mahsa Amini
en septembre 2022 révèle l'existence d'une société civile mature,
prête à manifester son désaccord avec l'oppression politique et
les violations des droits humains, les femmes jouant un rôle de
premier plan. Ce mouvement est désormais appelé «Femme, Vie, Liberté».
Malgré la réponse brutale du régime iranien, qui a recours à la
violence, aux enlèvements, à la torture et à la peine capitale pour
faire taire les demandes légitimes des manifestant·es, la société
iranienne n'a pas cédé et manifeste sa résistance.
37. Selon Ali Fathollah-Nejad, le mouvement de protestation actuel
est une troisième vague des protestations qui ont frappé l'Iran
en 2017-2018 et en novembre 2019. La base sociale du régime se rétrécit en
raison de la corruption des élites. Les causes structurelles de
l'instabilité qui a débuté en 2018 et qui a culminé à l'automne
2022 sont toujours présentes. Les quatre crises importantes auxquelles
l'Iran est confronté sont (i) la détérioration de la situation socio-économique,
(ii) l'incapacité du régime à faire avancer des réformes, (iii)
une crise écologique et (iv) le fossé entre les sexes, qui se traduit
par une discrimination multiforme à l'égard des femmes. Par conséquent,
le processus révolutionnaire à long terme est appelé à se poursuivre.
Le taux de participation de 40 % annoncé officiellement pour les
dernières élections de mars 2024 est un signe du fossé qui se creuse
entre le régime et la société.
38. Dans le cadre des réflexions sur le processus révolutionnaire
et dans la perspective d'un Iran post-République islamique, les
groupes de la société civile iranienne ont commencé à faire entendre
leur voix et à partager leur vision.
39. Tout d'abord, le 11 décembre 2022, la Neighborhood Youth Alliance
of Iran ou United Youth of Iran (UYI) a publié

un
manifeste comprenant 43 articles, dont les revendications peuvent
être considérées comme représentatives des aspirations de la société
iranienne dans son ensemble: le renversement de la République islamique;
la «formation d'un gouvernement démocratique inclusif» qui soit
laïque (c'est-à-dire qui sépare l'État et la religion), qui respecte
la diversité ethnique, sexuelle, politique et religieuse et qui
s'engage à respecter les conventions et chartes internationales,
y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention
des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
à l'égard des femmes (CEDAW) et la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l'enfant; la formation de partis politiques,
la «liberté d'action dans le cadre de la loi, le respect de l'intégrité
territoriale du pays, les droits humains fondamentaux, la transparence
et [...] la démocratie»; un futur gouvernement qui s'engage à assurer le
bien-être de ses citoyens, en particulier de ceux qui ne sont pas
en mesure de se prendre en charge sans l'aide de l'État, qui fournit
une éducation et des soins de santé gratuits pour tous, qui protège
l'environnement et qui veille à ce que les riches paient leurs impôts
proportionnellement à leurs revenus; le droit du peuple iranien
à l'autodétermination, l'égalité des citoyens devant la loi, l'égalité
totale des sexes, la liberté de croyance et de religion, la liberté
d'expression, la liberté de former des syndicats et d'autres associations,
et les libertés personnelles; et enfin, une nouvelle politique étrangère
iranienne fondée sur la sauvegarde des intérêts nationaux, le maintien
de la paix dans le monde et la non-ingérence.
40. Deuxièmement, cinq mois après le début des manifestations
et coïncidant avec le 44e anniversaire
de la révolution de 1979, 20 syndicats iraniens indépendants, groupes
féministes et organisations étudiantes ont publié une charte commune

appelant
à des «réformes économiques, sociales et politiques fondamentales». Dans
leur déclaration, ils définissent le mouvement «Femme, Vie, Liberté»
comme «le début d'une révolution sociale, moderne et humaine pour
libérer le peuple de toutes les formes d'oppression, de discrimination, d'exploitation,
de tyrannie et de dictature». La charte constate d'emblée que la
sortie de la «crise économique, politique et sociale» du pays est
«inimaginable dans le cadre politique existant». Elle énumère ensuite
les «revendications minimales» sur les questions socio-économiques,
politiques et environnementales, qui reflètent également les intérêts
de divers mouvements sociaux, et préconise une «révolution contre
toute forme de tyrannie religieuse et non religieuse imposée au
cours du siècle dernier». Ces deux documents peuvent être considérés
comme des projets de changements socio-économiques, politiques et environnementaux
indispensables, ainsi que de constitution pour l'après-République
islamique et surtout, ces manifestes ont été formulés par des forces
sociales dont le rôle dans le processus révolutionnaire sera décisif.
41. Troisièmement, au printemps 2023, une série de messages de
solidarité avaient été transmis par des militant·es et des groupes
de la société civile en Iran en faveur d'un changement radical.
Huit mois après le début des manifestations, des militant·es de
«Femme, Vie, Liberté» et des mouvements de femmes ont publié une
déclaration exprimant leur solidarité avec les manifestations nationales
de travailleurs qui ont eu lieu à la fin du mois d'avril. Ils ont
décrit les manifestations des travailleurs comme la base possible
d’une grève générale, qu'ils considèrent comme la «clé de la victoire»
contre le «gouvernement criminel». Tout en décrivant les travailleurs
comme la partie la plus opprimée de la société, ils ont poursuivi
en soulignant: «Nous pensons que le mouvement des travailleurs et
le mouvement des femmes sont inextricablement liés et ont encore
un long chemin à parcourir dans la lutte contre la discrimination
et l'inégalité [...]». La déclaration a également été signée par
des enseignants, des syndicalistes, des militants politiques, civils
et syndicaux, ainsi que par d'anciens prisonniers politiques. En
outre, à l'occasion de la Journée internationale des travailleurs
du 1er mai, une Charte de la liberté, de la prospérité et de l'égalité
pour les militant·es de la société civile a été publiée, dans le
but proclamé de rassembler le mouvement syndical et ses revendications
spécifiques sous le drapeau du mouvement «Femme, Vie, Liberté».
42. Pour aller de l'avant, un regard sur les expériences des pays
du «printemps arabe» peut également offrir des leçons importantes
pour la lutte iranienne pour la démocratie. En particulier, le cas
du Soudan avant sa révolution en 2018/2019 pourrait servir de modèle.
La force indispensable du mouvement révolutionnaire soudanais était
l'Association des professionnels soudanais (SPA), un réseau clandestin
de la société civile composé d'associations d'enseignants, de journalistes,
de médecins, d'avocats et d'autres professionnels, ainsi que de
groupes féministes. Dans le contexte iranien, une telle association
devrait idéalement inclure des représentants des trois principales
composantes de la société civile iranienne, à savoir les mouvements
de femmes, de travailleurs et d'étudiant·es, mais aussi la jeunesse
et les groupes ethniques marginalisés, ainsi que des associations
professionnelles (chauffeurs de bus, chauffeurs de camions, avocats,
médecins, etc.).
2.4. Nécessité
d'une solidarité internationale
43. Les défenseurs des droits humains,
les groupes de la société civile et les activistes iraniens font
preuve de courage et de détermination en défendant les valeurs de
la démocratie contre l'oppression. La communauté internationale
devrait soutenir les revendications du peuple iranien et adopter
une stratégie à long terme à l'égard de l'Iran. Les quelques améliorations
obtenues en Iran au cours des 20 dernières années, telles que l'abolition
de la lapidation comme peine de mort, l'ont été sous la pression
internationale.
44. Il est urgent de coordonner l'action européenne de soutien
et de solidarité avec le peuple iranien. Cette action pourrait inclure:
- de prévoir des sanctions ciblées
contre l'élite au pouvoir, c’est-à-dire les personnes physiques
et morales liées au régime. De nombreuses personnes proches du régime
vivent et ont des intérêts financiers en Europe. L'imposition de
sanctions à leur encontre réduirait le nombre d'opérations terroristes
menées par l'Iran sur son territoire et à l'étranger;
- de garantir l’obligation de rendre des comptes en vertu
du droit international, en introduisant des sanctions ciblées à
l’encontre des auteur·es iraniens de violations des droits humains
et en engageant des poursuites judiciaires internationales à leur
encontre. Des observateurs indépendants devraient assister aux procès
des manifestant·es qui ont été détenus, et les ambassades devraient
envoyer du personnel pour assister aux procès;
- d’exercer une pression internationale et de sensibiliser
l'opinion publique afin d'empêcher les condamnations à mort pour
des motifs politiques à l'encontre des sympathisants du mouvement
dans chaque cas individuel;
- de fournir aux citoyen·nes iraniens un accès gratuit à
l'internet pendant les coupures de connexion imposées par le régime
en période de manifestations, par exemple via Starlink. Les réseaux
privés virtuels (VPN) restent essentiels pour les Iranien·nes; il
conviendrait de faciliter l'accès à ces services par un hébergement
des VPN sur un Cloud;
- de favoriser les échanges internationaux avec la société
civile iranienne et les mouvements de femmes, d'étudiant·es et de
travailleurs qui la composent.
3. L'impact
de la politique étrangère iranienne sur la situation régionale
3.1. Relations
de l'Iran avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Türkiye et leurs répercussions
sur ces trois États membres du Conseil de l'Europe
45. La politique étrangère de l'Iran
a des répercussions significatives sur la région du Caucase du Sud,
en particulier sur les relations avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan et
la Türkiye, trois États membres du Conseil de l'Europe. Ces liens
sont façonnés par des connexions historiques, des intérêts géopolitiques
et des dynamiques de sécurité.
46. Relations entre l'Iran et l'Arménie: Téhéran et Erevan entretiennent
traditionnellement des relations amicales, étayées par leur intérêt
commun à contrebalancer l'influence turque et azerbaïdjanaise dans
la région. Dans le conflit l'opposant à l'Azerbaïdjan au sujet du
Haut-Karabakh, l'Arménie a vu en l'Iran un allié. Les deux États
coopèrent également dans le domaine de l'énergie et des projets
d'infrastructure.
47. Les relations entre l'Iran et l'Azerbaïdjan sont complexes
et marquées par des tensions ethniques, religieuses et géopolitiques.
La présence d'une importante population parlant azéri dans le nord-ouest
de l'Iran (principalement dans les provinces d'Azerbaïdjan oriental,
d'Ardabil, de Zanjan et d'Azerbaïdjan occidental), associée au gouvernement
laïc et nationaliste de Bakou, est une source de tensions idéologiques
et géopolitiques. L'Iran considère dans une large mesure les liens
étroits de l'Azerbaïdjan avec Israël comme une menace pour sa sécurité,
notamment en raison de la proximité géographique de ce pays avec
ses propres frontières.
48. Malgré ces tensions, les relations irano-azerbaïdjanaises
ont également été marquées par le pragmatisme, en particulier dans
les domaines de l'énergie et de la sécurité des frontières. Les
deux pays partagent les ressources de la mer Caspienne et coopèrent
sur des projets d'infrastructure tels que les corridors de transport
reliant l'Iran à la Russie. Cependant, les relations de Bakou avec
Israël restent un point de discorde qui pourrait déstabiliser la
région en cas d'escalade des tensions entre l'Iran et Israël.
49. L'Iran et la Türkiye partagent une longue histoire de coopération
et de rivalité, façonnée par leurs rôles de puissances régionales.
Leurs relations sont affectées par le clivage sunnite-chiite et
la rivalité pour représenter le «monde islamique», ainsi que par
la concurrence géopolitique pour l'influence, en particulier dans
les conflits tels que la Syrie et l'Irak. Malgré cette rivalité,
les liens économiques restent forts, Ankara étant l'un des principaux
acheteurs de gaz naturel iranien.
50. La coopération irano-turque s'étend également aux questions
de sécurité, notamment en ce qui concerne les mouvements kurdes
que les deux parties considèrent comme terroristes et donc comme
une menace pour leur intégrité territoriale. Les récents signes
d'ouverture d'Ankara vis-à-vis de Damas peuvent être perçus comme
une possibilité de coopération entre l'Iran et la Türkiye sur la
Syrie, ou au contraire ouvrir la voie à une sorte de rivalité irano-turque
dans le pays.
51. Il est inquiétant de constater que de nombreux dissident·es
iranien·es basés en Türkiye sont toujours persécutés par le régime
iranien et ses agents sur place, tandis qu'Ankara procède par ailleurs
à l'expulsion d'Iranien·es dont la vie pourrait être menacée en
Iran

.
52. Compte tenu de ce qui précède, la politique étrangère de l'Iran
a un rôle important à jouer dans le maintien de l'équilibre des
forces dans le Caucase du Sud. Les relations avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan
et la Türkiye ont un impact significatif sur la stabilité et la
sécurité régionales.
3.2. Politique
de l’Iran au Moyen-Orient
53. Il est évident que le régime
iranien est la partie prenante la plus influente qui décide de la
guerre et de la paix au Moyen-Orient. Le soutien militaire et financier
de l'Iran est crucial pour l'organisation terroriste Hamas qui,
par son attaque terroriste contre Israël le 7 octobre 2023, a tué
le plus grand nombre de Juifs en un jour depuis la fin de la Shoah.
Avec le soutien du Hezbollah au Liban, des Huthis au Yémen et du
régime Assad en Syrie, l'Iran est un facteur majeur de déstabilisation
du Moyen-Orient.
54. L'attaque contre Israël menée par l'Iran le 13 avril 2024
était un acte d'agression directe sur le territoire souverain d'un
autre État, perpétré à l'aide de drones et de missiles balistiques,
et un cas de plus montrant le rôle provocateur et déstabilisateur
de l'Iran dans la région. L’Europe a besoin d’une stratégie cohérente
et conséquente pour contrer l'attitude agressive de l'Iran à l'égard
de ses voisins et de sa propre population.
55. L'«axe de la résistance» est un réseau au Moyen-Orient, largement
dirigé, financé, équipé militairement et soutenu idéologiquement
par la République islamique d’Iran, composé de groupes paramilitaires
semi-étatiques et de la Syrie d'Assad. Il s'agit donc de la matérialisation
de l'objectif de Téhéran d’exporter la «révolution islamique» dans
la région. Celle-ci est dirigée en particulier contre les ennemis
désignés de l'«Oumma islamique» (communauté): Israël et les États-Unis
d’Amérique, qualifiés respectivement de «petit» et de «grand Satan»
dans le jargon du régime iranien.
56. Depuis Téhéran, l'«axe de la résistance» est largement coordonné
par le «Beyt» (quasi-tribunal) du guide suprême Ali Khamenei, une
sorte de gouvernement parallèle. Les politiques régionales de l'Iran
sont mises en œuvre par le bras extérieur du CGRI, la «Brigade Qods»
ou «Brigade de Jérusalem» (ou CGRI-FQ). Pendant des décennies, son
commandant en chef a été le célèbre général Qasem Soleimani, qui
a été tué par des drones américains près de l'aéroport de Bagdad
au début de l'année 2020. L'actuel ministre iranien de l'intérieur,
en poste depuis 2021, était également un brigadier général du CGRI
et le premier commandant de la Brigade Qods.
57. Les partenaires régionaux de l'Iran, outre le régime d'Assad
en Syrie, comprennent surtout le Hezbollah libanais, de loin l'organisation
la plus professionnelle sur le plan militaire au sein de l'«axe».
Le Hezbollah a pu acquérir une expérience de combat importante en
Syrie en soutenant Assad. C'est également l'organisation qui fournit
une formation et un équipement militaires à d'autres parties de
l'«axe», comme les Houthis au Yémen ou le Hamas à Gaza. Les milices
chiites en Irak soutenues par l'Iran, principalement organisées
au sein de l'alliance des Forces de mobilisation populaire (FMP),
le mouvement Ansarallah au Yémen (également connu sous le nom de
Houthis), ainsi que le «Jihad islamique» et le Hamas à Gaza font
également partie de l'«Axe» dirigé par l'Iran.
58. Le guide suprême Khamenei considère cet «axe» comme la «profondeur
stratégique» de l'Iran. Il y voit une sorte de défense avancée,
qui considère la présence offensive de l'Iran et des forces pro-iraniennes comme
indispensable à la défense.
59. En fait, l'«Axe» va au-delà du soi-disant «Croissant chiite»,
un concept popularisé au cours de la guerre d'Irak en 2003. En ce
qui concerne les organisations palestiniennes (sunnites), la base
unificatrice est avant tout le fondamentalisme islamique ainsi qu'une
hostilité radicale à l'égard d'Israël, qui va jusqu'à l'extinction
de l'«État juif».
60. Malgré la rhétorique belliqueuse à l'encontre d'Israël et
des États-Unis, la République islamique d’Iran est bien consciente
qu'elle ne doit pas prendre le risque d'une guerre directe. Une
telle action mettrait gravement en péril la sécurité du régime,
voire sa survie, ce qui constitue une ligne rouge pour Téhéran.
Dans ce contexte, l'Iran préfère agir non pas directement, mais
indirectement contre ses ennemis. Agir par l'intermédiaire de mandataires
régionaux permet d'externaliser sa propre responsabilité et de créer
ainsi une sorte d'ambiguïté stratégique. C'est pourquoi les attaques
de drones ou de roquettes menées par les Houthis contre les infrastructures
énergétiques saoudiennes et émiraties, par le Hezbollah contre Israël
ou par les milices chiites pro-iraniennes en Irak et en Syrie contre
la présence militaire américaine dans ce pays sont difficilement
imputables directement à Téhéran. Pourtant, il est fort probable
qu'elles soient ordonnées, coordonnées ou au moins autorisées par
leur protecteur iranien.
61. L'Iran poursuit une stratégie de déstabilisation de la région
et dans son voisinage immédiat, en ignorant les préoccupations en
matière de droits humains et de droit international. Il est clairement
établi que le régime iranien contribue activement et intentionnellement
à la déstabilisation de la région de Shingal en Irak, empêchant
ainsi le retour en toute sécurité de la minorité yazidie dans cette
région.
62. Cette politique de déstabilisation régionale, de sabotage
et de provocation promue par l'Iran s'est poursuivie sans relâche
parce que les dirigeants de Téhéran ont supposé qu'une réponse vigoureuse,
en particulier de la part des États-Unis, ne se matérialiserait
pas. En raison de la réalité et de la perception d'un retrait relatif
des États-Unis de la région du Moyen-Orient, certaines monarchies
arabes du golfe Persique ont été contraintes de s'entendre avec
Téhéran afin d'être épargnées à l'avenir par les attaques coordonnées
par l'Iran. L'accord de détente saoudo-iranien de mars 2023 en est
le meilleur exemple.
3.3. Implications
mondiales
63. Le régime iranien est une menace
pour le monde entier, car il mène des guerres par procuration au-delà de
ses frontières et soutient des groupes terroristes.
64. En apportant son soutien à la Russie, par exemple pour la
livraison de drones de combat, l'Iran contribue non seulement à
la déstabilisation de sa propre région, mais soutient aussi directement
la Russie dans sa guerre criminelle d'agression contre l'Ukraine,
compromettant ainsi la paix en Europe.
65. Traditionnellement, la «profondeur stratégique» de la République
islamique comprenait principalement la zone géographique de son
«axe de résistance», c'est-à-dire l'Irak, la Syrie, le Liban et
les territoires palestiniens occupés jusqu'au Yémen et au détroit
de Bab al-Mandab. Selon les hauts responsables du CGRI, la Méditerranée
s'y ajouterait désormais. En fait, un rayon de 5 000 kilomètres
inclurait la quasi-totalité de l'Europe continentale et l'ensemble
de la Méditerranée. Jusqu'à présent, les responsables iraniens avaient parlé
d'une limite auto-imposée – ni technique ni permanente – de 2 000
km dans leurs menaces militaires déguisées contre l'Europe, ce qui
permettrait aux missiles balistiques iraniens d'atteindre les États
membres de l’Union européenne en Europe de l'Est (en particulier
la Grèce ou la Bulgarie). Les ogives iraniennes plus légères, d'une
portée de 3 000 km, pourraient toutefois atteindre l'Europe centrale,
y compris Vienne

. Tout cela devrait alerter l'Union
européenne.
66. En outre, le soutien militaire de l'Iran à la guerre d’agression
de la Russie contre l'Ukraine s'est accru, tandis qu'il aide Moscou
à se soustraire illégalement aux sanctions occidentales, notamment
européennes, sur le pétrole et le gaz

.
67. Dans le sillage de la guerre d’agression contre l'Ukraine,
le partenariat entre l'Iran et la Russie s'est encore approfondi,
les deux pays voyant un dénominateur commun dans leur résistance
contre l'Occident. Non seulement l'Iran fournit à la Russie des
drones

, qui sont utilisés à grande échelle
contre l'Ukraine pour occuper les défenses aériennes ukrainiennes,
les épuiser et attaquer les infrastructures civiles ukrainiennes,
mais il a même récemment soutenu Moscou dans la construction d'une
usine au Tatarstan (une république autonome à l'ouest des montagnes
de l'Oural)

, où la Russie peut fabriquer des
drones de manière indépendante et atténuer ainsi certains des effets
des sanctions occidentales sur la fourniture d'armes. En retour,
l'Iran bénéficie également des avantages militaires de la Russie,
puisqu'il a obtenu le système de défense antimissile S-300 ou des
hélicoptères de combat.
68. Grâce à ce partenariat, Téhéran et Moscou bénéficient tous
deux de l'optimisation technique des systèmes d'armes et de leur
utilisation stratégique – après tout, ils ont été largement testés
sur les champs de bataille de la Syrie et maintenant de l'Ukraine.
Cela s'est manifesté, par exemple, dans l'attaque directe sans précédent
de l'Iran contre Israël le 13 avril 2024, qui présentait de nombreux
parallèles avec les attaques russes en Ukraine

. En outre, l'approfondissement de
la coopération militaire entre l'Iran et la Russie souligne leur
orientation stratégique caractérisée, d'une part, par leur hostilité
à l'égard des États-Unis et de leurs alliés (y compris l'Union européenne)
et, d'autre part, par des efforts militaires et politiques coordonnés
visant à renforcer leur influence régionale et mondiale.
4. L'influence
iranienne à l'étranger
4.1. Structures
de l'influence iranienne sur les processus de prise de décision
politique à l'étranger
69. Afin de projeter son influence
sur les pays étrangers, l'Iran utilise un large éventail de moyens.
Outre les missions diplomatiques et commerciales officielles, il
utilise notamment les éléments suivants.
70. Premièrement, il existe un réseau d'agents liés à l'État,
déployés pour surveiller les activités des dissidents et qui se
livrent souvent à des actes d'intimidation et à des agressions physiques,
allant jusqu'à menacer leur vie.
71. Par exemple, depuis les manifestations de 2022 en Iran, les
activités d'espionnage liées à Téhéran en Allemagne, où vivent environ
300 000 Iranien∙nes, sur les Iranien∙nes de la diaspora et les bi-nationaux
se sont multipliées. Selon un rapport parlementaire fourni par le
Gouvernement allemand, les Iranien∙nes dissidents sont considérés
par la République islamique comme une «menace pour la pérennité
du régime». Le rapport ajoute également que, selon les services
de renseignements intérieurs allemands, 160 personnes ayant un lien
avec l'Allemagne sont considérées comme liées au CGRI et se livrant
à des «activités d'espionnage de grande envergure», en particulier
contre des cibles (pro-)israéliennes et (pro-)juives

.
72. Deuxièmement, l'Iran utilise un réseau d'expert∙es et de chercheur∙es
de groupes de réflexion, dont certains sont directement liés à Téhéran,
pour diffuser un récit sur la politique intérieure et la politique
étrangère iraniennes qui soit conforme aux intérêts de la République
islamique plutôt qu'à la réalité sociale de l'Iran ou qui soit sensé,
voire critique, à l'égard de la conduite de l'Iran à l’étranger,
ce qui serait indispensable à l'élaboration de la politique européenne
à l'égard de l'Iran.
73. L'initiative des experts en Iran (IEI) en est un excellent
exemple. Il s'agit d'un réseau d'expert∙es des principaux groupes
de réflexion en Europe et aux États-Unis, qui prône le rapprochement
et les compromis de l'Occident avec Téhéran et qui est très sceptique
quant à l'imposition de sanctions économiques et de pressions diplomatiques
et politiques sur la République islamique. L'IEI était non seulement
en contact étroit et, dans certains cas, travaillait en coordination
avec le groupe de réflexion du ministère iranien des affaires étrangères,
l'Institut d'études politiques et internationales (IPIS), mais c'est
ce dernier qui, en 2014, a lancé l’IEI et a choisi ses principaux
membres. L'IEI a fait l'objet d'une controverse lorsque des rapports
ont suggéré que certains de ses membres avaient des liens avec le
Gouvernement iranien et avaient tenté d'influencer les discussions
politiques occidentales en faveur des intérêts de Téhéran, allant
même jusqu'à proposer de rédiger des articles au nom de l'Iran.
En bref, la mission de l'IEI, «un réseau d'influence formé et guidé
par Téhéran», a été décrite comme étant un moyen de renforcer le
«soft power» iranien en Occident et d'y projeter une image positive
de Téhéran. Cela a suscité des inquiétudes quant au risque de conflits
d'intérêts ou à la diffusion de récits favorables à la République
islamique sous couvert d'une expertise indépendante et axée sur la
diplomatie

.
4.2. Menace
terroriste iranienne à l'étranger
74. Lors de l’audition du 31 mai
2024, M. Farahmand a rappelé que les poursuites contre les dissident∙es en
Iran étaient systématiques et se poursuivaient depuis la révolution
de 1979. La plupart des personnalités révolutionnaires iraniennes,
y compris Khomeini, avaient vécu en exil en Occident avant la révolution
et étaient considérées par les intellectuels et les politiciens
occidentaux comme des sauveurs du peuple iranien. Le régime arrivé
au pouvoir en 1979 a arrêté d'anciennes personnalités politiques
et d'anciens ministres et les a accusés de trahison à l'égard de
l'Iran et de l'Islam; ils ont été exécutés brutalement. Le clergé
iranien semblait avoir une liste de ceux qu'il voulait poursuivre,
y compris les Iranien∙nes en exil. M. Farahmand a ensuite rappelé
plusieurs des assassinats les plus scandaleux commis par les agents
iraniens à l'étranger.
75. Lorsque les pays occidentaux ont commencé à réagir à ces assassinats,
l'Iran a lancé une contre-opération: l'enlèvement et la prise d'otages.
Plusieurs cas d'enlèvements de citoyen∙nes européens et américains
vers l'Iran ont été recensés dans le passé. Mme Eskandari-Grünberg
a évoqué le cas d'Habib Chaab, un militant politique arabe iranien
de nationalité suédoise, enlevé en 2020 lors d'une visite en Türkiye et
transféré clandestinement en Iran où il a été exécuté en mai 2023.
Elle a également rappelé le cas du citoyen allemand Jamshid Sharmahd
qui a été enlevé à Dubaï et pourrait être exécuté à tout moment.
Il s'agit là d'un manquement manifeste de l'Europe à son devoir
de protection des citoyens de l'Union européenne.
76. Après le soulèvement de 2022, le Gouvernement iranien a intensifié
ses opérations en Occident, ciblant les journalistes iraniens et
d'autres personnalités. La diaspora iranienne est régulièrement
menacée de mort. La communauté juive est une autre cible principale
des actions terroristes iraniennes en Europe.
77. Le 29 mars 2024, Pouria Zeraati, journaliste irano-britannique,
a été poignardé devant son domicile à Wimbledon, à Londres

.
M. Zeraati travaille pour Iran International, une chaîne de télévision
d'information en persan basée à Londres et destinée aux téléspectateurs
iraniens. La chaîne a fait l'objet de menaces de la part du Gouvernement
iranien dans le passé, ce qui a conduit à la fermeture et à la délocalisation
des bureaux aux États-Unis au début de l'année 2023.
78. La série d'incidents récents, notamment des agressions à l'arme
blanche et des actes de violence, constitue un grave danger. Nombre
de ces attaques ont été menées par procuration, et l'absence de
réaction de la part des pays européens crée un mauvais précédent
qui encourage l'Iran à poursuivre ses actions.
79. Le niveau de menace est renforcé par la capacité des autorités
iraniennes à nourrir le radicalisme dans les pays européens, avec
des associations d'étudiants accueillant des commandants du CGRI
et des activités se déroulant dans les mosquées, sur les campus
universitaires et dans les écoles. Les gouvernements européens doivent
prendre des mesures concertées pour réduire cette menace.
5. Propositions
d'action
80. Les menaces et les défis sécuritaires
posés par l'Iran exigent un changement de paradigme dans la politique
européenne à l'égard de l'Iran, qui n'a que trop tardé

.
Aujourd'hui, les menaces iraniennes contre la sécurité maritime
en Méditerranée ajoutent une nouvelle urgence. Il s'agirait essentiellement
de contrer la perception iranienne d'une Europe faible et conciliante,
et de modifier ainsi le calcul coûts-avantages du régime, ce qui
amènerait l'Iran à corriger sa trajectoire vis-à-vis de l'Europe
et de ses intérêts. Ce changement de paradigme pourrait comprendre
les éléments suivants.
5.1. Imposer
et appliquer des sanctions qui nuisent à l'élite au pouvoir en Iran
81. Dans le débat européen sur
les sanctions contre l'Iran, l'efficacité des sanctions n'est pas
suffisamment prise en compte. L'Europe devrait concevoir son régime
de sanctions contre l'Iran de manière si solide qu'il nuise significativement
à l'élite du pouvoir de la République islamique. Les sanctions imposées
par l'Union européenne dans le sillage du mouvement révolutionnaire
«Femme, vie, liberté» à l'automne 2022 ont été un succès politique
important, obtenu uniquement grâce à la pression politique exercée
par les différents États membres. Cependant, ces sanctions n'ont
pas suffisamment de poids sur l'élite au pouvoir du régime iranien. L'Union
européenne pourrait également inscrire le CGRI sur la liste des
organisations terroristes. À l'initiative de l'Allemagne, un avis
juridique du Service européen pour l'action extérieure a montré
que l'inscription du CGRI sur la liste des organisations terroristes
était juridiquement possible. Ce qu'il faut maintenant, c'est unir les
efforts au sein de l'Union européenne pour concrétiser cette inscription.
En d'autres termes, les sanctions devraient viser les figures et
les institutions centrales de l'élite au pouvoir, plutôt que les
acteurs de second ou troisième rang, ainsi que les oligarques liés
au régime à l'étranger.
82. La réticence notable de l'Europe à l'égard des sanctions s'explique
par une raison principale: l'obsession de l’Union européenne pour
la question nucléaire iranienne et la crainte que des sanctions
sévères ne découragent les dirigeants iraniens de revenir à la table
des négociations dans le cadre du plan d'action global conjoint
(JCPOA pour Joint Comprehensive Plan
of Action). Cependant, on ne reconnaît pas que la décision en
faveur ou contre la diplomatie nucléaire est largement déterminée
par les intérêts économiques de l'élite du pouvoir de la République
islamique. Lorsqu'un assouplissement des sanctions est nécessaire
pour stabiliser le régime, Téhéran fait part de sa volonté de négocier
– comme on l'a vu lors de la préparation de l'accord nucléaire de
2015 et aujourd'hui avec le nouveau président iranien Masoud Pezeshkian.
C'est précisément pour cette raison que la désignation par les États-Unis,
en 2019, du CGRI comme organisation terroriste étrangère n'a pas
enterré le désir iranien de reprendre la diplomatie nucléaire à
l'avenir.
83. En outre, les E3 (Allemagne, France et Royaume-Uni) pourraient
activer le mécanisme dit de «snap-back» du JCPOA en cas de violation
de l'accord par l'Iran en raison de l'escalade de son programme
nucléaire. Ce mécanisme réintroduirait automatiquement les sanctions
globales des Nations Unies. La simple menace d'une telle mesure
pourrait être efficace, la République islamique la redoutant depuis
des années, car elle porterait également atteinte aux sinécures
économiques de l'élite.
84. Enfin, l’Union européenne pourrait empêcher le pétrole iranien
d'atteindre indirectement l'Europe

. Début juillet 2024, le ministre
iranien du pétrole Javad Owji a déclaré que l'Iran exportait du
pétrole brut vers 17 pays, dont des pays européens (sans les citer)

.
5.2. Mettre
fin à l'obsession de la question nucléaire – l'erreur stratégique
clé de l'Occident
85. La focalisation de l'Europe
sur la question nucléaire comporte d'importants inconvénients stratégiques. Elle
permet à la République islamique de donner le ton grâce à sa stratégie
d'«escalade nucléaire», tandis que l'Europe ou l'Occident sont condamnés
à adopter une attitude «réactive». L'objectif de cette stratégie
iranienne – avant le JCPOA de 2015 comme aujourd'hui – est de susciter
l'alarmisme de l'Occident afin qu'il se précipite le plus rapidement
possible à la table des négociations pour faire des concessions
à l'Iran.
86. En fait, la «peur du nucléaire» constitue un moyen d'intimidation
central pour le régime iranien

qui utilise le spectre d'un «Iran
nucléaire» comme un moyen de pression important sur l'Occident pour
l'empêcher d'adopter une position plus ferme à son égard

.
5.3. Nécessité
d'une diplomatie globale à l'égard de l'Iran
87. Compte tenu de l'erreur stratégique
que constitue l'obsession de la question nucléaire et des menaces plus
larges posées par les politiques de Téhéran, toute négociation avec
la République islamique devrait être menée de manière plus large
et plus complète qu'auparavant. Cela signifie qu'il faut inscrire
à l'ordre du jour diplomatique l'ensemble des défis iraniens décrits
ci-dessus.
5.4. Comprendre
les dommages collatéraux d'un nouvel accord exclusivement nucléaire
88. Un nouvel accord nucléaire
comprendrait l'assouplissement des sanctions contre l'Iran. La question
est de savoir où iraient les dividendes économiques de l'Iran qui
en résulteraient. L'expérience acquise à la suite de la mise en
œuvre du JCPOA en janvier 2016 suggère que ses dividendes économiques
– principalement dérivés de la relance des exportations de pétrole
et du commerce avec l'Europe et ailleurs – (i) profitent principalement
à des entités étatiques et semi-étatiques, c'est-à-dire au régime,
compte tenu de l'économie politique de la République islamique;
et (ii) sont utilisés par les dirigeants iraniens au profit de leurs
propres priorités, par exemple: (a) pour renforcer le régime répressif
de la République islamique d'Iran; (b) contenir le processus révolutionnaire
en cooptant financièrement les employés du vaste appareil d'État
qui pourraient envisager de se ranger du côté du peuple; (c) financer
les programmes iraniens de missiles, de drones et nucléaire, tous
contrôlés par le CGRI; et (d) financer l'«axe de la résistance»,
accélérant ainsi la déstabilisation régionale, avec des conséquences
imprévisibles pour le Moyen-Orient et l'Europe.
5.5. Une
politique plus ferme à l'égard de l'Iran: dissuader et imposer des
coûts
89. Il est essentiel que l'Europe
développe rapidement une dissuasion contre les menaces iraniennes.
Outre la coordination transatlantique, dont les États-Unis constitueraient
l'épine dorsale militaire, les éléments de la dissuasion européenne
incluraient la menace et la mise en œuvre ultérieure d'une dégradation
des relations diplomatiques et économiques avec Téhéran en cas de
défi iranien, l'imposition de sanctions à l'élite au pouvoir et
l'activation du mécanisme de «snap-back» du JCPOA – en d'autres
termes, l'utilisation de tous ses instruments de pouvoir. En bref,
les coûts doivent être clairement communiqués aux dirigeants iraniens,
de même que la volonté politique de les imposer.
90. Il est important de noter que le moyen le plus efficace dont
dispose l'Europe, le mécanisme de «snap-back», expirera très bientôt,
c'est-à-dire en janvier 2026, dix ans après la mise en œuvre du
JCPOA, au moment où la
Résolution
2022 du Conseil de sécurité des Nations unies entérinant
ce dernier prendra également fin

. D'ici là, les États européens signataires
pourraient rétablir les sanctions de l'ONU en cas de «non-respect
important des obligations découlant du JCPOA». En vertu du JCPOA,
tout signataire, c'est-à-dire y compris les E3, a le droit de déposer
une plainte auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies pour
non-respect des dispositions du JCPOA, déclenchant ainsi une procédure
de 30 jours pour rétablir les sanctions multilatérales contre l'Iran
qui ont été suspendues par la
Résolution
S/Res 2231 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans
un tel cas, même les pouvoirs de veto de la Russie et de la Chine
ne peuvent les bloquer. Il existe des motifs suffisants pour conclure
à une violation de la part de l'Iran, comme l'enrichissement d'uranium
à un niveau proche de celui des armes en février 2023

.
5.6. Une
coordination transatlantique est nécessaire pour que l'Europe soit
prise au sérieux par Téhéran
91. Pour exercer une influence
décisive sur le comportement de Téhéran et réduire les menaces qui
pèsent sur sa sécurité, l'Europe n'a finalement pas les moyens de
puissance dont disposent les États-Unis, à savoir la domination
du système bancaire et financier ainsi que de la sphère militaire.
Les dirigeants de la République islamique le savent très bien: c'est
pourquoi ils se permettent une grande arrogance à l'égard de l'Europe,
mais sont beaucoup plus prudents à l'égard de Washington. Cette
étape est particulièrement nécessaire en ce qui concerne la diplomatie
dite des otages. Entre-temps, l'objectif traditionnel de Téhéran
est de diviser l'Occident, en incitant l'Europe à former un contrepoids
aux États-Unis afin d'atténuer la pression exercée sur lui.
92. Bien que l'on parle beaucoup d'une communauté occidentale
de valeurs et d'intérêts, il n'y a eu pratiquement aucun effort
du côté européen pour se coordonner avec Washington en ce qui concerne
la stratégie ou la politique à l'égard de l'Iran. Indépendamment
de la question de savoir qui sera le prochain président américain,
il y aurait suffisamment de dénominateurs communs de part et d'autre
de l'Atlantique concernant les défis iraniens qui pourraient constituer
la base d'une politique transatlantique à l'égard de l'Iran.
5.7. Pas
de diplomatie sur le dos de la société civile: ne pas nuire au processus
révolutionnaire
93. Étant donné la profonde perte
de légitimité populaire de la République islamique, un accord qui
finirait par bénéficier à l'État autoritaire pourrait être considéré
comme un coup de poignard dans le dos du mouvement démocratique
iranien. Dans le même ordre d'idées, le président de la Fondation
de la Conférence sur la sécurité de Munich a affirmé que, face aux
protestations populaires, l’Union européenne ne devrait pas faire
preuve de retenue en imposant des sanctions plus sévères à Téhéran
pour ses graves violations des droits humains, indépendamment de
la perspective d'une reprise de la diplomatie

.
6. Conclusions
94. Le Conseil de l'Europe, en
tant que principale institution européenne de protection et de promotion
de la démocratie, des droits humains et de l'État de droit, devrait
jouer un rôle important en guidant et en soutenant ses États membres
dans l'élaboration d'une approche coordonnée des relations avec
l'Iran.
95. L'instabilité de la situation sécuritaire mondiale et régionale,
qui a un impact particulier sur les défenseurs des droits humains,
appelle à un engagement renouvelé en faveur des valeurs communes
entre tous les États membres afin de renforcer la protection de
l'opposition iranienne à l'étranger.
96. La prise de conscience de la répression transnationale au
sein des gouvernements est en forte baisse et doit être renforcée
pour protéger leurs propres populations. Cela passe par la formation
de tous les fonctionnaires qui s'occupent de populations vulnérables
ou qui peuvent être en contact avec la répression transnationale
dans le cadre de leur travail, notamment les membres des forces
de l'ordre, des bureaux de migration et du ministère des affaires
étrangères, y compris le personnel diplomatique.
97. Le Conseil de l'Europe ne devrait pas seulement améliorer
la sécurité de la nombreuse diaspora iranienne en Europe; il devrait
également s'efforcer de créer, par le biais de ses structures et
institutions, un mécanisme permettant de soutenir en permanence
la société civile et l'opposition iraniennes et de nouer un dialogue.
98. Plus généralement, les États membres du Conseil de l'Europe
devraient élaborer des mesures et des politiques de protection communes
contre les activités iraniennes contraires aux droits humains.
99. Les lois et politiques existantes contre les activités de
renseignement des États étrangers qui se livrent à une répression
transnationale doivent être révisées et harmonisées afin que ces
États puissent être tenus pour responsables.
100. Il faut mettre fin à tout soutien direct ou indirect, mais
surtout à l'exportation de technologies pouvant être utilisées pour
surveiller et réprimer les populations.
101. Le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme
(CDCT) élabore la stratégie antiterroriste du Conseil de l'Europe.
Cette compétence peut être élargie au phénomène de la répression
transnationale afin de fixer des normes de protection des droits
humains des opposant∙es entre les États membres du Conseil de l'Europe.
102. Le Conseil de l'Europe devrait soutenir la mise en réseau
des États membres et observateurs qui sont touchés par les prises
d'otages du régime iranien. Il est nécessaire d'adopter une approche
stratégique commune à cet égard.
103. Les voix démocratiques en Iran doivent s'entendre. Le Conseil
de l'Europe devrait tenter d'amener les différentes voix de l'opposition
démocratique en Iran à dialoguer les unes avec les autres.
104. Compte tenu des développements au Moyen-Orient, en particulier
l'attaque de missiles iraniens contre Israël le 13 avril 2024, il
est absolument nécessaire de mettre en place une stratégie européenne
cohérente et résolue visant, entre autres, à empêcher de nouvelles
attaques de missiles et de drones iraniens contre Israël et le voisinage
immédiat de l'Iran et à perturber la capacité du régime iranien
à renforcer ses mandataires dans la région et à en créer de nouveaux.