1. Introduction
1. Ces dernières années, les femmes
lesbiennes, bisexuelles et queers (LBQ) ont eu une visibilité accrue, notamment
sur les scènes politiques et médiatiques. Les Jeux Olympiques de
Paris 2024 ont aussi été l’occasion de mettre en avant des athlètes
LBQ. Cindy Ngamba, boxeuse de l’équipe olympique des réfugiés, y
a remporté une médaille de bronze. Elle a obtenu le statut de réfugiée
en raison de son orientation sexuelle; il lui est en effet impossible
de retourner au Cameroun en raison de la répression des personnes
LGBTI. La judokate italienne Alice Bellandi a exprimé sa joie après
sa victoire en embrassant sa compagne en tribune, Jasmine Martin,
devant le public et la presse du monde entier. Ces sportives ont
montré qui elles étaient et ont suscité un engouement pour leurs
prouesses sportives. Néanmoins, les attaques, insultes et commentaires lesbophobes,
biphobes et transphobes restent nombreux dans le domaine du sport,
contre les femmes LBQ qui sont des personnalités publiques et dans
la société en général.
2. Les femmes LBQ font face à la violence et à la discrimination
dans leur vie quotidienne. D’une part, elles sont confrontées au
sexisme et à la misogynie, d’autre part elles font face à la stigmatisation
et à la discrimination parce qu’elles sont considérées comme ayant
une orientation sexuelle non conforme à un soi-disant standard.
Elles s’éloigneraient de la norme et s’affranchiraient sans les
hommes. Elles s’opposent au contrôle que la société veut imposer
sur leur vie, leur corps et leur identité.
3. Ces formes de haine, de préjugés et de discrimination se conjuguent
et s’entrecroisent, de sorte que les femmes LBQ sont également confrontées
à des formes de violence et de discrimination fondées sur leur identité
spécifique de femmes LBQ qui ne se conforment pas aux attentes sociétales
à l’égard des femmes, aux rôles liés au genre et aux normes de fémininité

. Il serait inenvisageable, selon
certain·es d’avoir une sexualité ou un épanouissement sans les hommes.
Des préjugés supplémentaires peuvent également interagir, en fonction
par exemple de l’origine raciale ou ethnique, de l’identité de genre,
de l’expression de genre et des caractéristiques sexuelles, du handicap,
de l’âge et de la classe sociale.
4. L’expérience de ces préjugés cumulés a des répercussions négatives
sur la vie des femmes LBQ, augmente le risque de violences et les
expose à des formes spécifiques de violence fondée sur le genre.
La violence physique, sexuelle ou psychologique peut être perpétrée
par des membres de la famille, d’anciens ou d’actuels partenaires
à la maison ou ailleurs, ou par d’autres personnes au travail, dans
la rue et dans d’autres espaces publics, y compris en ligne. La
violence peut également s’exprimer à travers le harcèlement ou d’autres
menaces, directes ou en ligne, qui pèsent sur la sécurité et la
sûreté. Elle prend parfois la forme particulièrement grave de ce
que l’on appelle un viol «correctif», fondé sur l’idée erronée que
les femmes qui n’entretiennent pas de relations sexuelles avec des
hommes sont «malades» ou «anormales» et doivent être «corrigées».
Dans certains cas, la violence lesbophobe dégénère en meurtre

.
5. Les femmes LBQ font également face à la discrimination dans
l’exercice de leurs droits humains. Les préjugés et la stigmatisation
peuvent nuire à leur accès à l’emploi, au logement, aux soins de
santé, aux droits et à la santé sexuels et reproductifs ainsi qu’à
leur vie privée et familiale. Les femmes LBQ connaissent également
des écarts de rémunération et des inégalités de pension liés aux
inégalités des genres, et dont l’impact est doublé dans les ménages
composés de deux femmes.
6. En présentant les résultats de la dernière enquête de l’Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne publiée en mai 2024

, Sirpa Rautio, directrice,
a souligné que toutes les personnes LGBTI devraient se sentir en
sécurité en Europe et pouvoir participer pleinement dans nos sociétés.
Cette enquête, menée auprès de 100 577 personnes dans 30 pays, démontre
que les femmes lesbiennes sont les plus susceptibles parmi les groupes
interrogés d’être ouvertement LGBTI, y compris à l’école. Cependant,
42 % des femmes lesbiennes et 33 % des personnes bisexuelles interrogées
ont été victimes de discriminations dans les 12 mois précédant l’enquête.
42 % des femmes lesbiennes ont répondu avoir caché leur orientation sexuelle
à l’école. 34 % des femmes lesbiennes et 26 % des personnes bisexuelles
interrogées ont été victimes de violences en raison de leur orientation
sexuelle à au moins trois reprises dans les 5 ans ayant précédé
l’enquête. 45 % des femmes lesbiennes ont encore peur de tenir la
main de leur partenaire en public de crainte d’être agressées (54 %
en 2019), et 30 % d’entre elles évitent certains endroits pour la
même raison. Dans l’enquête de 2019, les femmes lesbiennes ont également
fait part d’une confiance moindre dans leur gouvernement en ce qui
concerne l’efficacité de la lutte contre les préjugés et l’intolérance
à l’égard des personnes LGBTI

. Les progrès sont réels mais fragiles.
La protection contre les violences et les discriminations doit être
garantie.
7. Le sens du mot «lesbienne» lui-même a été déformé; il est
trop souvent associé à la honte et au dégoût, à l’objectivation
sexuelle, aux fantasmes masculins et à la pornographie

. Les femmes bisexuelles et les femmes
queer sont aussi encore trop souvent ignorées. Ces dernières années,
la propagation de discours préjudiciables ciblant principalement
les femmes et la communauté LGBTI a encore accentué le risque de marginalisation
des femmes LBQ. Ce phénomène a été aggravé par le recul général
des droits humains et des principes démocratiques dont nous avons
été témoins en Europe, associé à une polarisation croissante des sociétés
européennes, tangible lors des dernières élections au niveau national
et au niveau européen.
8. Les violences envers toutes les personnes LGBTI visent à porter
atteinte à leur dignité et à leurs droits fondamentaux. Elles contribuent
à maintenir en marge de la société les personnes avec des orientations sexuelles
et les identités de genre ne répondant pas à un soi-disant standard
social, tant sur le plan social que politique. Ces minorités restent
souvent invisibles et sont insuffisamment consultées et prises en
compte dans les politiques publiques qui les concernent.
9. Les droits des femmes LBQ, leurs besoins et leurs intérêts
sont rarement pris en considération de manière adéquate dans les
processus d’élaboration des normes et des politiques, passant trop
souvent à travers les mailles à la fois des politiques d’égalité
des genres, qui ne répondent pas aux difficultés spécifiques rencontrées
par les femmes LBQ, et des stratégies visant à promouvoir l’égalité
des personnes LGBTI, qui elles aussi accordent peu ou pas d’attention
à leurs besoins spécifiques.
10. Je souhaite que mon rapport offre à l’Assemblée l’occasion
d’entendre la voix des femmes LBQ, de contribuer à la visibilité
de leur lutte pour l’égalité des droits et de s’attacher à faire
en sorte que les difficultés auxquelles elles font face soient traitées
de manière efficace.
2. Inclusivité et intersectionnalité
11. Comme le souligne la proposition
de résolution à l’origine de ce rapport, les réponses législatives, politiques
et sociétales à la lesbophobie nécessitent une approche globale
qui tient compte des spécificités des femmes LBQ, met fin à leur
invisibilité et permet de mener des actions ciblées pour comprendre
et combattre la lesbophobie.
12. J’estime qu’une approche inclusive est essentielle pour protéger
les droits efficacement. Mon rapport inclut donc toutes les femmes
cis, trans et intersexes qui s’identifient comme lesbiennes, bisexuelles
ou queers, ainsi que les personnes non binaires qui s’identifient
comme LBQ. J’ai adopté une approche intersectionnelle, en m’efforçant
d’accorder de la place et de l’attention aux différentes expériences
et difficultés que les femmes LBQ peuvent vivre en fonction, par
exemple, de leur origine raciale ou ethnique.
3. Méthodes
de travail
13. Dès le début de mes travaux,
j’ai pu échanger avec des représentantes de la EL*C – Eurocentralasian Lesbian*
Community et ILGA-Europe. J’ai tenu des réunions bilatérales virtuelles
avec des représentant·es de la société civile actives sur ces questions,
ainsi qu’avec des représentant·es d’organisations qui accompagnent
et soutiennent les femmes LBQ victimes de violence et de discrimination.
14. À l’occasion de la Journée de la visibilité lesbienne, qui
a lieu chaque année le 26 avril, et de la partie de session d’avril
de l’Assemblée en 2023, la présidence islandaise du Comité des Ministres
a soutenu un événement sur la prévention et la lutte contre la violence
et la discrimination à l’égard des femmes LBQ en Europe. J’ai marrainé
cet événement et y ai participé.
15. J’ai participé à la conférence IDAHOT+ à Reykjavík le 11 mai
2023. Du 25 au 27 octobre 2023, je me suis rendue à la conférence
annuelle d’ILGA-Europe à Ljubljana, pendant laquelle j’ai rencontré
de nombreuses activistes LBQ venant de différentes régions.
16. Le 16 novembre 2023, je me suis entretenue en ligne avec Mathilde
Kiening et Stella Noemi, représentantes du Front d’habitat lesbien.
J’ai aussi pu discuter avec Vera Kurtić, activiste lesbienne serbe,
le 24 novembre 2023 lors d’un échange en ligne.
17. La commission a tenu une audition le 7 décembre 2023, ce qui
nous a permis de mieux comprendre les problèmes rencontrés en matière
de prévention et de lutte contre la violence et la discrimination
à l’égard des femmes LBQ, d’échanger directement avec les personnes
œuvrant dans ce domaine, et de tirer des enseignements des bonnes
pratiques déjà mises en œuvre dans les États membres. Ilaria Todde,
directrice du plaidoyer et de la recherche à EL*C (Eurocentralasian
Lesbian* Community), Yasemin Öz, juriste, co-fondatrice de Kaos
GL (Türkiye), Marame Kane, activiste et artiviste lesbienne (France)
et Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes (France)
ont participé à l’audition.
18. Le 15 mai 2024, je me suis rendue à La Haye, au forum IDAHOT+.
J’y ai tenu une réunion bilatérale avec Graeme Reid, Expert indépendant
des Nations Unies chargé de la question de la protection contre
la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle
et à l’identité de genre. J’ai aussi pu m’entretenir avec des représentant·es
de diverses organisations non gouvernementales.
19. Les 17 et 18 juin 2024, j’ai effectué une visite d’information
en Italie où j’ai pu m’entretenir avec des représentant·es des ministères
de l’intérieur, de la famille et de l’égalité des chances, des parlementaires
de différents partis politiques, des sénateurs et des sénatrices,
et des représentant·es de la société civile. Nous avons pu discuter
de la situation actuelle, des difficultés, des défis et des mesures
prises afin de prévenir et de lutter contre la violence et la discrimination
à l’encontre des femmes LBQ. Je tiens à remercier le secrétariat de
la délégation italienne de son soutien.
20. J’ai aussi accepté de tenir une réunion bilatérale virtuelle
avec des représentantes de la LGB Alliance, auprès desquelles j’ai
exprimé mon désaccord au sujet de leur exclusion des femmes transgenres
lesbiennes du groupe des femmes LBQ. J’ai réitéré que les femmes
transgenres sont des femmes.
21. Le 30 juillet 2024, je me suis entretenue avec Anaïs Berrutti,
cocréatrice de l’association «mon arc-en-ciel» à Monaco.
22. Enfin, j’ai suivi la couverture médiatique des Jeux olympiques
de Paris 2024 y compris celle des athlètes LBQ ainsi que la situation
dans les États européens qui adoptent et mettent en œuvre des lois
sur l’interdiction de la soit-disant «propagande» LGBTI

, ce qui est source d’une grande préoccupation.
4. Violences
et harcèlement
23. La violence fondée sur le genre
à l’encontre des femmes LBQ est souvent sexualisée. Il peut s’agir
de harcèlement de rue ou en ligne, de viols «correctifs», de féminicides
ou encore de crimes dits «d’honneur»

. Les
violences sont commises dans des contextes publics et privés.
24. Les États ne recueillent pas tous des données concernant les
crimes de haine fondés sur l’orientation sexuelle et ceux qui le
font ne ventilent pas toujours les données selon le genre ou l’orientation
sexuelle de la victime. En 2021, le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (BIDDH/OSCE) a par exemple noté que 41 États
participant à l’OSCE lui avaient soumis des informations concernant
les infractions motivées par la haine. Parmi ceux-ci, seuls 23 États avaient
transmis des statistiques ventilées selon les motivations spécifiques.
22 États membres du Conseil de l’Europe avaient fourni des données
relatives aux crimes LGBTIphobes; au total, 979 incidents LGBTIphobes (attaques
violentes contre des personnes, menaces ou attaques contre des biens)
ont été signalés par des sources non-officielles dans 31 États membres,
mais encore une fois sans ventilation plus précise concernant les
incidents lesbophobes

. Les données de 2022 indiquent
que 23 États membres du Conseil de l’Europe ont transmis des informations
sur des violences LGBTIphobes

.
25. Des acteurs de la société civile en France et en Italie ont
signalé un nombre élevé d’infractions lesbophobes au cours des dernières
années. L’ONG française SOS Homophobie a indiqué avoir reçu 365 signalements
de violences lesbophobes en 2019 – une augmentation de 40 % par
rapport à l’année précédente – et 300 en 2020. Elle estimait que
l’augmentation du nombre de signalements reçus pouvait être due
en partie aux mouvements #MeToo et #balancetonporc, qui avaient
contribué à donner plus de visibilité à un phénomène autrefois caché
et qui avait encouragé les victimes à faire part de leur vécu. En
Italie, une vingtaine de cas de violences lesbophobes ont été rapportés
par les médias en 2022. Compte tenu du fait qu’aussi bien les infractions
motivées par la haine que les violences fondées sur le genre ne
sont souvent signalées ni à la police ni aux ONG, et qu’une proportion
encore plus faible de ces incidents est rapportée par les médias,
ces chiffres sont très préoccupants.
26. La sphère familiale peut être un lieu de violence à l'encontre
des femmes LBQ, au lieu d’être un espace protecteur. Selon l'ONG
Counselling for Lesbians, en Serbie, de nombreuses femmes lesbiennes
ont encore des traumatismes psychologiques liés à la violence qu'elles
ont subie dans leur famille

. Selon l’enquête de SOS
Homophobie (2015), 14 % des témoignages d’actes lesbophobes avaient
lieu dans la sphère familiale

. Des adolescent·es sont encore
trop souvent poussé·es à quitter le domicile familial après avoir
fait leur coming out. Il y a aussi des cas de violence dans des
couples de femmes LBQ.
27. Les violences dirigées contre les femmes LBQ visent souvent
à les «punir» parce qu’elles sont considérées comme ayant une orientation
sexuelle non conforme ou parce qu’elles ne se conforment pas aux attentes
sociétales à l’égard des femmes, aux rôles liés au genre et aux
normes de fémininité. Il est souvent signalé que les hommes qui
commettent des violences lesbophobes le font à la suite du rejet
par une femme non-hétérosexuelle de leurs avances sexuelles, ou
lorsqu’une femme a mis fin à une relation hétérosexuelle ou a fait
savoir d’une manière ou d’une autre qu’elle n’est pas disponible
pour répondre aux besoins ou aux désirs d’un homme

.
28. EL*C a relevé en 2021 parmi ces cas le meurtre d’une jeune
lesbienne, Elisa Pomarelli, en Italie en 2019 par un homme avec
qui elle avait refusé de commencer une relation; le meurtre d’un
couple de lesbiennes en Belgique en 2021 par l’ex-mari de l’une
des deux femmes; l’agression d’une femme lesbienne devant une boîte de
nuit en Croatie après qu’elle ait refusé les avances sexuelles d’un
homme, affaire à l’origine d’une constatation de violation de l’aspect
procédural de l’article 3 pris conjointement avec l’article 14 de
la Convention européenne des droits de l’homme (ETS no 5),
dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme,
Sabalić c. Croatie (requête n° 50231/13,
arrêt du 14 janvier 2021); et de cas aux Pays-Bas et au Royaume-Uni
dans lesquels des couples de lesbiennes ont été violemment agressés
après avoir refusé de s’embrasser devant des groupes d’hommes

.
29. La violence peut aussi se manifester à distance, par le harcèlement
et les menaces en ligne. La DJ Barbara Butch a reçu des insultes
lesbophobes et des menaces de mort après sa participation à la cérémonie d’ouverture
des Jeux Olympiques de Paris. Elle a déposé plainte pour cyberharcèlement

.
30. Plus récemment, ILGA-Europe a rapporté en 2022 que parmi 27
cas de violences LGBTIphobes signalés à Pink Armenia, 7 avaient
été signalés par des femmes lesbiennes ou bisexuelles; un couple
de lesbiennes russe demandeuses d’asile a aussi été agressé physiquement
au centre d’asile de Spuz, au Monténégro. En 2021, 14 des 18 cas
de violences domestiques signalés à Pink Armenia concernaient des femmes
lesbiennes ou bisexuelles; un couple de jeunes lesbiennes a été
agressé physiquement par deux hommes en Estonie en août; de jeunes
filles lesbiennes ont été agressées par des adolescents à Rome;
et une jeune lesbienne a été menacée de mort par sa famille après
avoir été chassée de sa maison en Italie

. Ces affaires ne représentent qu’un
tout petit échantillon des violences auxquelles se voient confrontées
les femmes LBQ en Europe aujourd’hui.
31. Cette réalité apparaît aussi à travers les résultats des enquêtes
de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA).
27 % des femmes lesbiennes interrogées ont subi une pratique de conversion

. Cette enquête montre
qu'une femme lesbienne sur deux ne montre pas d'affection pour son partenaire
en public (45 %) et une sur trois évite les lieux publics par peur
de la violence ou du harcèlement (33 %).
32. Les violences et discriminations que subissent les femmes
LBQ régulièrement les obligent à contrôler la visibilité de leur
orientation sexuelle. Selon l’enquête SOS Homophobie de 2015 sur
la lesbophobie en France, les enquêtées les moins visibles vivent
moins d’actes lesbophobes

. Il serait plus simple de
contrôler et donc de réduire leur visibilité que de s’exposer à
d’éventuels risques. Dans l’ensemble, les personnes LGBTI+ ne signalent
les agressions dont elles sont l’objet que dans 11 % des cas et
41 % des personnes n’ayant pas signalé les faits estiment que “ça
n’aurait rien changé”

.
33. La communauté LGBTI et notamment les femmes LBQ ne portent
que rarement plainte auprès de la police pour des violences et discriminations
subies. L’enquête de la FRA indique une sous-déclaration alarmante
des cas de harcèlement ou de violence physique ou sexuelle, à la
police ou à d’autres institutions. Les raisons que ces personnes
citent pour ne faire rapport des incidents est l’idée que «rien
ne changera», ou que «cela arrive tout le temps, ça ne sert à rien
de déposer plainte, ou bien même la peur d’être discriminées par
les forces de l’ordre elles-mêmes.
34. Des cas de soi-disant viols «correctifs» continuent à être
signalés dans les États membres. L’ONG française Les Dégommeuses
a indiqué avoir porté assistance à plusieurs victimes de ces crimes
au cours des dernières années, et en 2021, un tribunal français
a reconnu pour la première fois que le viol d’une jeune lesbienne
commis avec le mobile explicite de «corriger» son orientation sexuelle
était un crime de haine lesbophobe

. ILGA-Europe a rapporté en 2022 qu’une
jeune femme lesbienne avait été victime d’une tentative de viol
en République de Moldova par un collègue qui voulait «corriger son
orientation sexuelle», et qu’un couple de jeunes lesbiennes âgées
de 19 et 16 ans avait été kidnappé pendant plus de six heures et violé
à Lisbonne en 2023

. Là aussi, il est à craindre que
ces cas ne représentent que le sommet de l’iceberg.
35. Les rapports d’évaluation du Groupe d'experts sur la lutte
contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique
(GREVIO), dans leur premier cycle, mentionnent peu les femmes LBQ
et leurs besoins spécifiques, soulignant toutefois le manque de
prise en compte des discriminations multiples par les États et l’importance
d’y remédier. Le GREVIO a encouragé les autorités de plusieurs États
à promouvoir la recherche et la collecte de données concernant la
violence fondée sur le genre affectant notamment les femmes LBTI,
et à soutenir l’élaboration de politiques qui prennent en compte
les discriminations intersectionnelles

.
36. Dans un rapport publié en 2023 portant sur un total de 26
États, dont 9 sont des États membres du Conseil de l’Europe, Human
Rights Watch a souligné que «l’expression de genre est un facteur
critique déterminant comment, pourquoi et dans quelles circonstances
les personnes LBQ+ sont agressées et subissent des violations de
leurs droits», et que de nombreuses personnes LBQ+ identifient la
discrimination fondée sur une expression de genre masculine comme
un catalyseur trop souvent ignoré pour la marginalisation, les discriminations
et les violences subies tout au long de la vie

.
Le rapport contient des descriptions extrêmement dures de ces cas,
que ce soient des actes violents d’individus ou des brutalités policières
contre des personnes queer ayant une expression de genre masculine.
Il souligne par ailleurs que dans ces cas, les violences ne visent
pas seulement à provoquer des blessures physiques mais aussi à remettre
des femmes queer ayant une expression de genre masculine «à leur
place», à prouver qu’elles ne sont pas aussi fortes qu’elles le
souhaiteraient. Le rapport souligne aussi que les violences et discriminations commises
contre des femmes noires LBQ sont susceptibles d’être amplifiées
par des stéréotypes raciaux qui les caractérisent comme plus hostiles,
de plus mauvaise humeur et plus agressives.
37. Le harcèlement et les insultes à l’encontre des femmes LBQ
restent fréquents dans le domaine du sport. Dans son exposé des
motifs du rapport «Pour des règles du jeu équitables – Mettre fin
à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde du sport»

, Mme Edite
Estrela (Portugal, SOC) a souligné que «les femmes LBTI souffrent
de discriminations invisibles et multiples dans le monde du sport.
Leurs familles peuvent s’opposer à la pratique du sport, ou ne pas
les soutenir. Elles peuvent être rejetées à leur arrivée dans une
équipe. Leurs performances sont constamment questionnées. Les médias
véhiculent des stéréotypes négatifs sur les athlètes LBTI, qui peuvent
être la cible de discours haineux, de harcèlement et de violence».
38. Les violences faites aux femmes LBQ ont de lourdes conséquences
sur la santé physique et mentale. L’obligation pour les femmes LBQ
de dissimuler leur identité pour éviter d’être stigmatisées,
et donc d’adopter des personnalités publique et privée distinctes,
peut suffire en elle-même à engendrer des troubles de la santé mentale.
Ce phénomène d’adaptation permanent a été conceptualisé sous
le terme de «stress minoritaire»

. 41 % des femmes lesbiennes
en Europe ont des idées suicidaires et 17 % ont déjà fait une tentative
de suicide. Respectivement, ces chiffres pour les femmes hétérosexuelles
sont de 17 % et 4 %.
39. Dans son rapport de 2023 sur la violence lesbophobe et les
discriminations faites aux lesbiennes (Observatoire de la lesbophobie),
EL*C note que les risques sont importants pour les femmes LBQ engagées en
politique ou visibles dans les médias

. La visibilité est nécessaire
mais peut aussi représenter des risques. Par exemple, Elly Schlein,
présidente du parti démocrate en Italie, est souvent attaquée dans
les médias car elle est bisexuelle et en couple avec une femme.
Il y a eu contre elles un déferlement de haine en ligne. La violence
et les discours de haine lesbophobes ont pour effet de réduire au
silence les personnalités publiques, qu’elles soient politiciennes,
journalistes ou défenseuses des droits humains. Lorsque les femmes
LBQ s’expriment, les réactions à leur encontre sont souvent extrêmement
violentes et se concentrent sur leur apparence, leur expression
de genre ou leur orientation sexuelle. La haine en ligne contre
les femmes LBQ est particulièrement violente car elle cumule discours
de haine intersectionnelle et hypersexualisation.
5. Discriminations
5.1. Mouvement
anti-genre
40. Le mouvement anti-genre cible
avant tout les droits des femmes et des personnes LGBTI. Il vise
à confiner ou à faire retourner les femmes et les personnes LGBTI
aux rôles dits «traditionnels» liés au genre. Situées à l’intersection
de ces groupes, les femmes LBQ sont doublement ciblées et impactées
par les discours hostiles au genre.
41. Les femmes LBQ ont été la cible, ces derniers mois, de discours
de haine dans plusieurs États, dont l’Italie. La reconnaissance
d’un deuxième parent des enfants nés par procréation médicalement
assistée dans un couple lesbien y est remise en question. Il y a
aussi la montée d’un mouvement anti LGBTI en Albanie, qui s’attaque
particulièrement aux femmes LBQ. Il y a eu des campagnes haineuses,
notamment en ligne.
42. Lors de l’audition du 7 décembre 2023, Maud Royer a souligné
qu’une offensive politique contre les personnes transgenres visait
à construire un conflit artificiel entre les femmes trans et les
femmes lesbiennes. La reconnaissance légale du genre reste compliquée
dans de nombreux pays, y compris pour les femmes trans lesbiennes.
Elle a souligné l’importance d’une expression de genre conforme
aux standards de fémininité pour avoir accès à la transition et
a dénoncé l’injonction à l’hétérosexualité faite aux femmes lesbiennes transgenres.
43. Lors des Fora IDAHOT+ en 2023 et 2024, j’ai pu néanmoins entendre
des messages forts porteurs d’espoir. Les représentant·es d’ILGA-Europe
ont souligné qu’il n’existe qu’une seule manière d’éviter de reculer:
continuer à avancer. Et ils ont démontré que malgré les attaques
contre les droits des LGBTI, des avancées continuent à être accomplies
dans de nombreux pays.
5.2. Accès
aux soins
44. Les systèmes de soins de santé
peuvent être misogynes et hétéronormatifs, mettant ainsi à l’écart
les femmes LBQ qui finissent par éviter de demander les soins dont
elles ont besoin. La crainte d’une réaction intolérante peut avoir
des conséquences sur l’état de santé général.
45. Je tiens à mentionner les violences gynécologiques faites
aux femmes LBQ. Dans son exposé des motifs du rapport «Violences
obstétricales et gynécologiques»

, Maryvonne Blondin (France,
SOC) a souligné que «les femmes lesbiennes peuvent être stigmatisées
par certains médecins, voire humiliées lors de consultations, ce
qui peut les faire renoncer à un suivi médical régulier (…) Le suivi
gynécologique devrait constituer un cadre idéal pour la prévention
et le dépistage. Néanmoins, les lesbiennes se retrouvent souvent exclues
et mal conseillées». Le personnel de santé peut avoir une présomption
d’hétérosexualité et ne pas utiliser un langage adapté.
46. Une étude a été menée en Allemagne en 2016 sur le rapport
des femmes lesbiennes au milieu médical. 766 personnes ont été interrogées.
12 % d’entre elles ont signalé des expériences ou des craintes de discrimination.
40 % des femmes n’ont pas divulgué leur orientation sexuelle, dont
12 % ont déclaré que c'était par crainte de conséquences négatives,
bien que jugeant cette information utile pour la planification des
soins médicaux

. Les femmes lesbiennes courent
un risque accru de maladies cardiovasculaires

et de cancer par rapport aux femmes
non lesbiennes, ainsi que de troubles anxieux, et de comportements
d'automutilation ou suicidaire.
47. Selon Santé Publique France (2021), l’invisibilisation de
la sexualité des femmes lesbiennes est également à noter. Étant
considéré «sans risque», 60 % des femmes lesbiennes interrogées
en 2011 n’avaient jamais eu de frottis cervico-utérin et 90 % n’avaient
jamais eu de dépistage de chlamydia

. Les femmes transgenres renoncent
parfois à aller chez le médecin par peur d’être discriminées et
craignent un manque de compréhension et même de compétence à répondre
à leurs besoins médicaux. Selon la même étude, femmes et hommes
transgenres confondu·es, une personne sur quatre déclarait avoir
renoncé à voir un médecin au cours des 12 derniers mois de crainte
d’être discriminé·e

.
48. Poser la question de l'orientation sexuelle peut permettre
de garantir un meilleur accès aux soins. Des études montrent que
lorsque les médecins sont informés de l'orientation sexuelle, ils
et elles fournissent davantage d'informations sur les infections
sexuellement transmissibles et proposent plus souvent des dépistages
et des vaccinations. Il est important que les patient·es se sentent
en sécurité pour partager leur orientation sexuelle, et les professionnel·les
de santé doivent être ouverts à cette discussion. La communication
avec les professionnel·les de santé doit être améliorée. Certains
pays, comme le Royaume-Uni, recommandent de poser systématiquement
la question de l'orientation sexuelle lors des consultations médicales.
D’autres, comme en France, mettent en ligne des listes de soignant·es
dits “LGBTQ friendly”

.
49. J’ai organisé une réunion avec des femmes intersexes LBQ lors
de la conférence ILGA 2023. Elles ont souligné que des interventions
médicales non consenties étaient encore pratiquées sur des mineur·es, supposant
que certaines activités sexuelles seraient souhaitées à l’avenir.
Il s’agissait notamment d’interventions chirurgicales invasives
et irréversibles (par exemple, la vaginoplastie en vue d’un rapport sexuel
hétérosexuel).
50. La prévention et le suivi médical dépendent d’une relation
de confiance entre patient·e et soignant·e. Je vois une urgence
à assurer que le corps médical accueille toutes et tous sans préjugés
et dans un climat de bienveillance.
51. L’accès à la procréation médicalement assisté n’est autorisé
qu’aux couples hétérosexuels dans certains pays, et non aux femmes
seules ou aux couples de femmes. Cette mise à l’écart est une discrimination évidente
faite aux femmes LBQ.
5.3. Accès
au logement
52. Le sans-abrisme est un autre
problème qui touche de manière disproportionnée les communautés LGBTI.
Les femmes LBQ risquent de faire face à des obstacles plus importants
étant donné que leur revenu est souvent inférieur à celui des hommes
et peuvent se retrouver rapidement dans une situation de vulnérabilité.
53. Selon un rapport publié en 2021 par ILGA-Europe, en collaboration
avec d’autres organisations, le sans-abrisme chez les jeunes LGBTI
est prédominant à travers l’Europe avec plus de 60 % des organisations LGBTIQ
interrogées déclarant avoir travaillé avec des jeunes ayant été
sans abris

. Une étude des Nations-Unies

estime que dans le groupe d’âge
18-24 ans, dans l’Union européenne, 24 % des jeunes personnes transgenres,
41 % des jeunes personnes intersexes et 17 % des jeunes personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes ont été
sans domicile fixe. Les femmes LBQ qui vivent dans la rue sont très
exposées aux risques de violences et d’exploitation.
54. Les logements d’urgence sont souvent inadaptés et le personnel
manque de formation afin d’assurer un accueil inclusif de manière
systématique. Les femmes LBQ peuvent ne pas se sentir en sécurité
dans les centres d’hébergement. Elles peuvent y être victimes de
harcèlement, menaces, vols d’affaires et violences physiques et
sexuelles, ou revivre un traumatisme.
55. Des femmes lesbiennes mariées de force dans leur pays d’origine
peuvent se retrouver en situation de risque dans le pays où elles
ont trouvé refuge. Le Front d’Habitat Lesbien recommande de financer
des centres d’hébergement spécifiques pour les personnes LGBTI.
Il met à disposition un appartement à Paris pour des femmes lesbiennes
et transgenres en situation de précarité et propose un accompagnement
psychologique aux personnes qui le souhaitent.
56. Dans un rapport publié en 2023, EL*C a alerté sur le problème
d’accès au logement pour les femmes LBQ âgées

. Le faible niveau des pensions,
l’augmentation des loyers, les conditions socio-économiques précaires
et le rejet de la famille peuvent mettre les femmes LBQ âgées dans
une situation difficile.
5.4. Emploi
57. Les discriminations concernent
l’accès à l’emploi, le niveau de salaire, la progression de carrière
et l’attitude des collègues de travail. L’égalité salariale n’est
pas encore atteinte, les couples lesbiens ont par conséquent moins
de revenus que les couples hétérosexuels, et moins d’opportunités
de les accroître au cours de leur carrière, en raison de discriminations.
58. L’enquête de la FRA révèle que 18 % des femmes lesbiennes
et 14 % des femmes bisexuelles interrogées ont été discriminées
en raison de leur orientation sexuelle dans leur recherche d’emploi
ou sur leur lieu de travail dans les 12 mois précédant l’enquête

. Dans l’Union
européenne, 45 % des personnes LGBTI ont répondu cacher leur orientation
sexuelle sur leur lieu de travail.
59. En France, les actes lesbophobes sur le lieu de travail représentent
11 % des témoignages de l’enquête de SOS Homophobie (2015). Les
moqueries (48 %), l’incompréhension (36 %) et le rejet (36 %) constituent les
principales formes de lesbophobie

. Le harcèlement et l’outing sont aussi très
cités. Les agresseurs et agresseuses sont à 63 % un collègue, à
36 % un supérieur et viennent à 10 % de la direction. Dans 42 %
des cas, les auteurs étaient des hommes agissant seuls. Toutefois,
la proportion de femmes agissant seules est également plus élevée
que dans d'autres contextes.
60. Une étude menée en 2022 par l’Autre cercle montre que plus
d’une femme lesbienne ou bisexuelle sur deux (53 %) a déjà été victime
d’au moins une forme de discrimination ou d’agression en raison
de son orientation sexuelle au cours de sa carrière en France

.
61. L'OCDE a constaté que dans dix pays, les femmes LBQ (et les
hommes GBQ) ont moins de chances d'être convoquées à un entretien
si leur CV mentionne leur orientation sexuelle

. Plus précisément,
en Autriche, en Allemagne, au Canada, en Grèce, en Italie, au Royaume
Uni et aux États Unis, les femmes lesbiennes avaient 1,4 fois moins
de chances que les femmes hétérosexuelles d’être appelées pour un entretien
à la suite de leur candidature

.
62. Plusieurs études estiment le coût économique des discriminations
envers les personnes LGBTI. Par exemple, une étude de 2018 révèle
qu’une diminution de 1 % du niveau d’homophobie est associée à une hausse
de 10 % du PIB par habitant

. En
effet, la stigmatisation et le harcèlement des personnes LGBTI entraînent
une mauvaise santé physique et mentale qui a des répercussions sur
leur productivité tout comme le sous-investissement dans le capital
humain.
5.5. Situation
des femmes LBQ racisées
63. Lors de l’audition du 7 décembre
2023, Marame Kane a souligné que les «femmes LBT racisées subissent,
suivant l’âge et les cultures familiales, des contraintes plus ou
moins fortes à l’hétérosexualité, l’hétéronormativité et à la maternité».
64. ILGA-Europe a publié un rapport détaillé qui analyse les discriminations
intersectionnelles auxquelles font face les migrants et migrantes
LGBTI et les personnes LGBTI de minorités raciales, ethniques et religieuses

.
Ce rapport indique que les femmes trans et migrantes de pays hors
Union européenne, ainsi que les femmes trans de minorités ethniques
ou religieuses subissent davantage de discriminations que les autres groupes
de personnes LGBTI analysés dans l’étude en ce qui concerne le marché
du travail, les secteurs immobilier, médical et éducatif, ainsi
que dans leur vie sociale et administrative.
65. L’enquête FRA a également révélé que 40 % des personnes LGBTI
s’identifiant comme faisant partie d’une minorité ethnique ou d’immigration,
trouvaient que leur origine ethnique ou leur statut d’immigrant·e
était un facteur de discrimination supplémentaire à leur égard

.
15 % de ces personnes indiquaient également que leur couleur de
peau était un facteur de discrimination supplémentaire à la discrimination
qu’elles subissent en tant que personne LGBTI. De la même façon,
36 % des personnes LGBTI s’identifiant comme ayant un handicap trouvaient
que leur handicap était un facteur additionnel de discrimination
à leur égard, et 28 % des personnes LGBTI identifiaient la religion
comme un facteur de discrimination supplémentaire à leur égard.
66. Selon une représentante de l’organisation 1001 Lesbiennes
et Queers, les femmes lesbiennes d’origine arabo-berbère musulmane
sont doublement confrontées à des représentations dégradantes. Les
lesbiennes visibles dans l’espace public sont en majorité blanches
en France. Il peut aussi être difficile de faire son coming out,
l’homosexualité pouvant être illégale dans le pays d’origine. Les
femmes lesbiennes racisées peuvent rencontrer des difficultés d’accès
à la procréation médicalement assistée (PMA) en vue de fonder une
famille. Il y a une pénurie de donneurs non blancs. Par exemple,
la loi française favorise l’appariement phénotypique des gamètes
avec la receveuse. Le manque de gamètes de donneurs racisés complique
l’accès à la PMA pour les femmes LBQ racisées

. Les pratiques relatives
à la PMA varient en Europe: en Suède et en Estonie les professionnel·les
médicaux consultent les parents. En Finlande, les couples peuvent
spécifier s’ils ne veulent pas que le donneur leur ressemble. En
Allemagne, en Bulgarie, ou en Autriche, les parents peuvent faire
part de leurs demandes spécifiques concernant le donneur.
6. Étude
de cas: la situation en Italie
67. Lors de ma visite d’information
en Italie, j’ai pu rencontrer des acteurs et actrices clés de la
lutte contre la haine à l’encontre des personnes LGBTI, dont des
parlementaires, des représentant·es d’institutions gouvernementales
et d’ONG, avec lesquel·les nous avons eu un dialogue constructif.
J’ai notamment rencontré des représentant·es de la Direction centrale
anticriminalité, de l’OSCAD (Observatoire de la sécurité contre
les actes de discrimination) et du Service de la police postale
et de la cybersécurité, tous deux relevant du ministère de l’Intérieur.
En outre, des réunions ont eu lieu avec des représentant·es du CIDU
(Comité interministériel des droits de l’homme), du Département
de l’égalité des chances et de l’UNAR (Bureau national de lutte
contre la discrimination raciale). L’OSCAD a été créé au sein du
Département de la sécurité publique, auquel participent à la fois
la police et la gendarmerie. Un réseau territorial a été créé afin
d’assurer la formation, le suivi, l’analyse et les travaux de prévention.
L’OSCAD a recensé peu d’actes de discriminations à l’encontre des
personnes LGBTI ces dernières années: 34 en 2024, 66 en 2023 et
86 en 2022. Les données fournies par l’OSCAD et l’UNAR n’indiquent
pas d’augmentation des actes criminels liés à l’orientation sexuelle ou
à l’identité de genre. Des formations sont organisées afin de permettre
un accueil approprié des personnes LGBTI dans les bureaux de police
et de renforcer la confiance. À ce jour, 60 570 personnes ont été
formées. Il y aussi un guide sur les personnes LGBTI à l’attention
des forces de police, élaboré en collaboration avec des organisations
non gouvernementales.
68. Une stratégie nationale de lutte contre les discriminations
faites aux personnes LGBTI a été adoptée en 2022, pour la période
2022-2025. Des campagnes sont menées par l’UNAR afin de prévenir
et de lutter contre les discriminations. Il a récemment lancé la
campagne «A+ LOVE»

, à l’occasion de IDAHOT. Il a mis
en place des centres de lutte contre la discrimination pour les
personnes LGBT+ dans 18 régions italiennes. Il existe actuellement
46 centres, où environ 6 500 personnes, dont des mineur·es, ont
été prises en charge. En juillet 2024, un appel à projets doté d’un
budget de 6 millions d’euros a été lancé pour financer de nouvelles initiatives.
Plusieurs projets sont mis en œuvre avec l’Institut supérieur de
la santé, comme le portail infotrans.it.
69. L’homophobie ne figure pas encore dans la loi de lutte contre
le discours de haine comme facteur aggravant. Des initiatives législatives
allant dans ce sens n’ont pas abouti. L’article 3 de la Constitution italienne
prévoit des protections anti-discrimination au niveau constitutionnel
en affirmant que «tou·tes les citoyen·nes ont une dignité sociale
égale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de
race, de langue, de religion, d’opinions politiques ou de conditions
personnelles et sociales». Le décret législatif n° 216/2003 vise
à protéger les individus contre les actes discriminatoires fondés
sur l’orientation sexuelle dans les milieux professionnel, social
et familial. Si une victime de discrimination est considérée comme
vulnérable, elle a droit à un certain nombre de garanties et de
protections supplémentaires. Le code rouge, introduit pour mettre
en œuvre les dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»),
s’applique également aux couples de personnes de même sexe.
70. Il n’y a pas encore de loi sur le mariage pour toutes et tous
en Italie. Il existe une loi régissant l’union civile, garantissant
la parité des droits avec le mariage, à l’exception des droits liés
à la filiation ou à l’adoption. En l’absence de lois, il revient
aux tribunaux de combler le vide juridique. Il n’est pas permis
d’adopter à la naissance ou d’avoir accès à la gestation pour autrui.
Il est seulement possible d’adopter en tant que «beau fils ou belle
fille», en passant par le tribunal et une procédure relativement
longue. Il y a eu dans certaines villes une interprétation de la
loi qui a permis d’enregistrer sur le registre d’état civil le certificat
de naissance obtenu à l’étranger avec le nom des deux parents. Cette
interprétation a été critiquée et le ministère de l’Intérieur a demandé
d’effacer du registre d’état civil le nom de la mère n’ayant pas
porté l’enfant. Les mères n’ayant pas porté l’enfant ont été informées
par courrier que leur nom serait effacé du registre d’état civil.
Il y a des actions en justice contre ces décisions, en vue de protéger
les intérêts de l’enfant et de ne pas le séparer de l’un de ses
parents. En cas de perte de la mère ayant porté l’enfant, celui-ci
ou celle-ci se retrouverait sans parent. Le tribunal de Padoue a
décidé, en mars 2024, que les enfants devaient pouvoir garder un
lien d’ordre juridique avec leurs deux mères. Le Gouvernement italien
a fait appel de cette décision.
71. Les représentant·es des organisations LBQ m’ont dit ne pas
vivre sereinement et qu’un climat de peur s’installait dans le pays.
Il y a une volonté d’invisibilisation des femmes LBQ et comme dans
d’autres pays, le mot «lesbienne» est utilisé comme une insulte.
Les incitations à la haine sont courantes, présentant une peur de
«contagion sociale». Un imaginaire positif de l’identité lesbienne
ne s’est pas encore installé. Les pratiques de conversion ne sont
pas interdites et sont encore pratiquées. Les personnes transgenres
sont aussi la cible d’attaques.
72. L’accès à la santé sexuelle et reproductive est source de
préoccupation. Des femmes LBQ m’ont aussi fait part de l’infantilisation
des patientes LBQ par le personnel médical dans certains établissements.
Il m’a aussi été fait part d’une volonté de contrôler le corps des
femmes LBQ, ce qui mène à des discriminations. Des ONGs ont parlé
de lesbophobie d’État en Italie.
73. Lors de ma visite, j’ai entendu des discours politiques qui
sont source d’inquiétude tels qu’une perplexité concernant l’auto-perception
du genre, les traitements hormonaux pour les personnes transgenres,
l’utilité des quotas, l’absence de nécessité de traitement des femmes
et des personnes LGBTI comme des catégories à part. Il y a une crainte
que l’affirmation des droits des femmes LBQ déstabiliserait la culture
et la tradition italienne. Je suis d’avis que des mesures spécifiques
sont nécessaires afin de mener une lutte efficace contre les discriminations
et la violence à l’encontre des femmes LBQ. En février 2024, le
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
des Nations Unies a demandé aux autorités italiennes de prendre des
mesures pour lutter contre le discours de haine à l’encontre des
femmes LBTI

.
74. Comme dans d’autres États, des actions sont nécessaires afin
de remédier au sous-signalement des actes de discrimination et de
violence, de lutter contre les stéréotypes de genre, de dénoncer
les violences, de poursuivre les auteur·es et de garantir une égalité
en droits aux femmes LBQ.
7. Recommandations
75. Le cadre juridique existant
peut offrir des voies de recours dans les cas de violence et de
discrimination à l’égard des femmes LBQ, ou des pistes à suivre
en matière d’élaboration de politiques publiques dans ce domaine.
Les lois de lutte contre les discours et les crimes de haine devraient
comporter, comme circonstances aggravantes, la haine fondée sur
l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression de genre.
76. L’article 4, paragraphe 3, de la Convention d’Istanbul exige
des États parties qu’ils mettent en œuvre la convention sans discrimination
aucune, fondée notamment sur le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité
de genre, ou toute autre situation. Cela signifie que toutes les
femmes devraient bénéficier d’un accès équitable à la protection
et au soutien garantis par la convention. Les femmes LBQ font face
à des obstacles spécifiques en raison de l’ignorance, de la stigmatisation
et des préjugés, y compris parmi les professionnel·les et les services
de soutien vers qui elles peuvent se tourner. Des formations à l’attention
de ces professionnel·les sur l’accueil de toutes et de tous devraient
être organisées.
77. La Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux
États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre s’applique
aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, et appelle
les États à mettre en œuvre un large éventail de mesures visant
à combattre les discriminations dont elles sont victimes. La mise
en œuvre de cette recommandation devrait être assurée.
78. De nombreuses résolutions de l’Assemblée contiennent également
des recommandations pertinentes. On peut citer, parmi les plus récentes,
la Résolution 2543 (2024) «Liberté d’expression et de réunion des personnes
LGBTI en Europe», la Résolution 2417 (2022) «Lutte contre la recrudescence
de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe» et la Résolution 2239 (2018)
«Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation
sexuelle», ainsi que les parties pertinentes de certaines résolutions
traitant des droits des femmes dans des domaines spécifiques, telles
que la Résolution 2465 (2022) «Pour des règles du jeu équitables
– Mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes dans le monde
du sport» et la Résolution 2395 (2021) «Renforcer la lutte contre
les crimes dits ‘d’honneur’».
79. En novembre 2020, la Commission Européenne a adopté sa première
stratégie pour l’égalité des personnes LGBTIQ. Elle vise à contrer
les discriminations, assurer leur sécurité, construire des sociétés inclusives
et mener le combat sur la scène internationale

. Elle reconnaît que les femmes
de la communauté LGBTI sont victimes de discrimination intersectionnelle.
J’espère que la prochaine Commission européenne poursuivra ces travaux
et pourra adopter une nouvelle stratégie en 2025. Le Conseil de
l’Europe est également en train de préparer sa stratégie sur ce
sujet, avec une adoption prévue en 2027.
80. Les programmes éducatifs qui ne couvrent pas le harcèlement
lesbophobe ou qui présentent les femmes et les filles LBQ sous un
angle négatif ont également des effets très préjudiciables et contribuent
à perpétrer les attitudes lesbophobes dans la société. Les lois
dites anti-propagande qui visent à restreindre l’accès à une éducation
sexuelle inclusive des identités LGBTI dans les établissements scolaires
auront des impacts négatifs à long terme. L’Assemblée devrait appeler
une nouvelle fois les États ayant adopté de telles lois à les abroger.
Garantir un accès à l’information n’est pas une incitation à changer
d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, mais peut permettre
une discussion dans un cadre respectueux.
81. Le manque de données sur les femmes lesbiennes, bisexuelles
et queer, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde, entraine
leur invisibilisation, des inégalités et des carences des politiques
publiques en matière de prévention et de lutte contre les violences
et discriminations à leur encontre. Cela accentue encore davantage
leur invisibilisation au sein des sociétés. Il y a des difficultés
de compréhension de la réalité des femmes LBQ.
82. Lors de notre entretien, Anaïs Berrutti a insisté sur l’importance
de la reconnaissance des mariages de couples de personnes de même
sexe célébrés à l’étranger. À Monaco, il n’y pas encore de législation
sur le mariage pour toutes et tous et les mariages entre personnes
de même sexe célébrés à l’étranger ne sont pas reconnus. Seule la
personne qui a porté l’enfant a des droits et le co-parent dans
un couple de personnes de même sexe n’a aucun droit sur l’enfant.
Reconnaître une égalité en droits permettrait d’assurer une stabilité en
cas de disparition du parent ayant porté l’enfant et une tranquillité
administrative au quotidien. J’espère que ce rapport permettra une
prise de conscience sur les difficultés liées à l’absence de reconnaissance
du mariage et les inégalités qui en sont la conséquence, et sera
une étape vers des changements au niveau législatif.
83. Le mariage pour toutes et pour tous et d’autres formes de
reconnaissance juridique des couples de même sexe ont contribué
à changer les mentalités et à rendre les sociétés européennes plus
ouvertes. Les États membres devraient être appelés à légiférer sur
le mariage pour toutes et tous, en établissant l’égalité des droits
et à reconnaître les mariages, y compris ceux de couples de personnes
de même sexe, célébrés à l’étranger.
84. Les politiques et les stratégies en faveur de l’égalité des
genres répondent rarement aux besoins des femmes LBQ, et les travaux
sur les droits des personnes LGBTI accordent souvent peu d’attention
à la situation des femmes LBQ. Les politiques publiques doivent
inclure toutes les dimensions du genre et des recherches spécifiques
sur la situation des femmes LBQ devraient être financées et menées.
Il est temps de sortir d’une vision hétérosexiste de la société.
85. Des actions de sensibilisation à la nécessité de prévenir
et de lutter contre les violences et discriminations faites aux
femmes LBQ devraient être soutenues, à minima lors de la journée
internationale de la visibilité lesbienne le 26 avril chaque année.
8. Conclusions
86. Les femmes LBQ sont victimes
de discriminations multiples en Europe et les insultes lesbophobes
sont encore courantes. La sanction systématique de ces insultes
et la formation au respect de toutes et de tous doivent être assurées.
87. Une évolution de la représentation des femmes LBQ dans la
culture s’avère nécessaire. Une vision stéréotypée des femmes LBQ
est encore trop souvent utilisée. Elles ont des profils divers qui
devraient être aussi représentés dans les médias, à la télévision
et au cinéma.
88. Le climat de haine engendre une peur d’être soi. En tant que
responsables politiques, nous avons la responsabilité de garantir
à chacune et à chacun la possibilité d’être soi, et de ne pas laisser
de place à la haine et à la discrimination. Nous devons protéger
la liberté d’expression de toutes et tous et soutenir des réformes visant
à atteindre l’égalité en droits.
89. Tous les responsables politiques qui estiment que la diversité
est une force devraient être appelés à s’engager dans cette voie.
Au sein de notre Assemblée, cet engagement peut se matérialiser
par une participation active aux travaux de la Plateforme interparlementaire
pour les droits des personnes LGBTI en Europe.
90. La philosophe Claire Marin parle d’«injonctions à l’effacement»
des personnes LGBTI dans nos sociétés

. Il est temps
de garantir que personne ne ressente l’incitation à s’effacer afin
de prévenir des discriminations ou des violences. Les vagues réactionnaires
visent à l’invisibilisation des femmes LBQ dans nos sociétés, nous
devons répondre avec fermeté et renforcer notre soutien.