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Rapport | Doc. 16039 | 13 septembre 2024

Le respect des obligations et engagements de la Bosnie-Herzégovine

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Zsolt NÉMETH, Hongrie, CE/AD

Corapporteur : M. Aleksandar NIKOLOSKI, Macédoine du Nord, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2024 - Quatrième partie de session

Résumé

La Bosnie-Herzégovine doit encore honorer plusieurs engagements pris lors de son accession au Conseil de l’Europe, en 2002. Ceux-ci portent notamment sur la réforme institutionnelle, l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’enseignement, la lutte contre la corruption, la transparence de la propriété des médias. La Bosnie-Herzégovine doit amender sa Constitution afin de la mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Depuis les élections générales de 2022, des progrès tangibles dans la capacité à mener des réformes ont permis l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne, le 21 mars 2024. Les réformes en préparation, avec le soutien des organes du Conseil de l’Europe, devraient permettre de franchir des étapes essentielles.

Toutefois, les progrès constatés sont fragilisés par la défiance et la rancœur entretenues par certains acteurs politiques, les discours de haine et de négation du génocide et les actions délibérées pour empêcher le bon fonctionnement des institutions démocratiques, le renforcement de l’État de droit et la protection des droits humains.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 11 septembre
2024.

(open)
1. La Bosnie-Herzégovine a adhéré au Conseil de l'Europe le 24 avril 2002. De ce fait, le pays a souscrit et convenu d’honorer plusieurs engagements spécifiques énumérés dans l’Avis 234 (2002) de l’Assemblée parlementaire. À ce jour, le pays a signé 94 traités du Conseil de l’Europe, dont 91 ont été ratifiés.
2. L'Assemblée réitère son soutien sans réserve à l'État de Bosnie-Herzégovine et à tous ses citoyens et citoyennes et invite instamment tous les États membres du Conseil de l'Europe à respecter son ordre constitutionnel et juridique, sa souveraineté et son intégrité territoriale.
3. L'Assemblée félicite les autorités de Bosnie-Herzégovine pour le rythme des réformes entreprises depuis 2022, notamment l'adoption d'une loi sur la prévention des conflits d'intérêts, d’amendements à la loi sur le Conseil supérieur des juges et des procureurs, d'une loi sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et d'une loi désignant l’institution du médiateur des droits de l'homme comme mécanisme national de prévention de la torture et des mauvais traitements.
4. L'Assemblée note avec satisfaction qu'à la suite de ces réformes, le Conseil européen a décidé d'ouvrir des négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine en mars 2024.
5. L'Assemblée déplore que les élections de 2022 aient été organisées pour la quatrième fois dans un cadre juridique et constitutionnel en violation de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5), comme l’a clairement indiqué l'arrêt rendu en 2009 par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Sejdić et Finci. L'Assemblée regrette que, comme l'a souligné la Mission internationale d'observation des élections générales de 2022, la fragmentation croissante selon des lignes ethniques et les divergences de vues correspondantes sur l'avenir du pays restent une source de préoccupation pour le fonctionnement des institutions démocratiques. L'Assemblée rappelle que, depuis l'adhésion du pays au Conseil de l'Europe en 2002, elle n'a cessé de plaider en faveur d'une réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine.
6. L’Assemblée note que le Comité des Ministres a déjà adopté cinq résolutions intérimaires appelant les autorités et les responsables politiques à assurer la conformité du cadre constitutionnel et législatif avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle renvoie également à la décision du Comité des Ministres adoptée les 11-13 juin 2024, qui «insist[ait] [...] fermement sur l'importance capitale de relancer immédiatement les travaux de réforme électorale, tout en poursuivant toutes les consultations nécessaires pour éliminer la discrimination fondée sur l'appartenance ethnique ou le fait de ne pas remplir la combinaison de conditions relatives à l'appartenance ethnique et au lieu de résidence pour les élections à la Présidence et à la Chambre des Peuples de Bosnie-Herzégovine.»
7. L'Assemblée se félicite des modifications apportées à la législation électorale en vue de garantir l'intégrité du processus électoral, conformément aux normes européennes et aux recommandations formulées par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE), le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). L'Assemblée est néanmoins préoccupée par le fait que ces changements ont dû être promulgués par le Haut Représentant et n'ont pas pu être adoptés par les autorités de Bosnie-Herzégovine malgré le niveau élevé d’accord des partis politiques sur le contenu de ces réformes.
8. L'Assemblée exprime son inquiétude face au refus délibéré des autorités de la Republika Srpska de mettre en œuvre les décisions finales et contraignantes de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine. Elle est également préoccupée par le fait que la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine ne puisse pas fonctionner à plein régime, ce qui nuit à l'efficacité et à la crédibilité du système judiciaire. L'obstruction délibérée du fonctionnement de la Cour constitutionnelle porte atteinte aux trois principes fondamentaux du Conseil de l'Europe: la démocratie, les droits humains et l'État de droit. L'Assemblée invite donc instamment les autorités compétentes à nommer tous les juges à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine.
9. L'Assemblée se réfère à la résolution A/RES/78/282 de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995, qui rappelle les arrêts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et de la Cour internationale de Justice sur le génocide commis à Srebrenica en 1995. L’Assemblée réaffirme que, en droit international, la responsabilité pénale pour crime de génocide est individuelle et ne peut être attribuée à aucun groupe ethnique, religieux ou autre, ni à aucune communauté dans son ensemble. Elle se rallie à l’appel lancé aux États pour «préserver les faits établis, notamment au moyen de leur système éducatif, en élaborant des programmes appropriés, y compris dans le cadre du devoir de mémoire, afin de prévenir le négationnisme et le révisionnisme, ainsi que la survenue de génocides à l’avenir».
10. En ce qui concerne le renforcement des institutions démocratiques et de l’État de droit, l'Assemblée appelle les autorités de Bosnie-Herzégovine:
10.1. à mettre la législation électorale en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme et à garantir l'égalité et la non-discrimination entre les citoyens et citoyennes;
10.2. à veiller au bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, conformément aux avis de la Commission de Venise sur le mode d'élection des juges à la Cour constitutionnelle et sur certaines questions relatives au fonctionnement de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine;
10.3. à adopter une nouvelle loi sur le Conseil supérieur des juges et des procureurs en tenant compte des recommandations formulées dans l’avis intérimaire de la Commission de Venise sur les suites données aux avis précédents sur le Conseil supérieur des juges et des procureurs;
10.4. à améliorer l'efficacité du cadre institutionnel et adopter les réformes en vue de réaliser les objectifs et les conditions requis avant la fermeture du Bureau du Haut Représentant, tels que définis par le Conseil de mise en œuvre de la paix;
10.5. à intensifier la lutte contre la corruption, à améliorer le cadre juridique de la prévention de la corruption et à mettre en œuvre les recommandations en suspens formulées dans le Deuxième Rapport de Conformité Intérimaire du GRECO sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs;
10.6. à adopter une législation garantissant le financement permanent des trois radiodiffuseurs publics et la transparence de la propriété des médias.
11. Pour ce qui est de la protection des droits humains, l’Assemblée:
11.1. rappelle l’engagement pris par la Bosnie-Herzégovine lors de son adhésion de poursuivre les réformes dans le domaine de l'éducation et demande à nouveau aux autorités de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer tous les aspects de la ségrégation et de la discrimination dans l'éducation, tout en respectant le droit à l’enseignement dans la langue maternelle tel que garanti par les conventions de l’UNESCO. L’apprentissage d’au moins deux langues nationales sera favorisé;
11.2. encourage la mise en place d’un tronc commun d’enseignement de l’histoire permettant à tout un chacun de comprendre la diversité des points de vue;
11.3. exhorte les partis politiques et les médias à lutter contre le discours de haine, en particulier dans le contexte des campagnes électorales, conformément aux recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI).
12. L'Assemblée, tout en se félicitant des évolutions positives constatées dans un certain nombre de domaines, reste préoccupée par l'absence ou l'insuffisance de progrès accomplis dans certains domaines essentiels pour le fonctionnement des institutions démocratiques. Elle décide par conséquent de poursuivre son suivi du respect des obligations et engagements de la Bosnie-Herzégovine.
13. L’Assemblée invite les autorités de Bosnie-Herzégovine à traduire cette résolution et le présent exposé des motifs dans les langues nationales et à rendre ces traductions publiques.

B. Exposé des motifs par M. Zsolt Németh et M. Aleksandar Nikoloski, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1.1. La procédure de suivi

1. En devenant membre du Conseil de l’Europe le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée à honorer les obligations imposées à tous les États membres au titre de l’article 3 du Statut de l’Organisation (STE n° 1), ainsi qu’un certain nombre d’engagements spécifiques mentionnés dans l’Avis 234 (2002) «Demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe. Pour assurer le respect de ces engagements, l’Assemblée parlementaire a décidé, en application de la Résolution 1115 (1997), d’ouvrir une procédure de suivi à l’égard de la Bosnie-Herzégovine dès son adhésion. La dernière résolution adoptée par l’Assemblée concernant le respect des obligations et des engagements de la Bosnie-Herzégovine est la Résolution 2201 (2018).
2. M. Zsolt Németh (Hongrie, CE/AD) et M. Aleksandar Nikoloski (Macédoine du Nord, PPE/DC) ont été désignés corapporteurs par la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) respectivement en septembre 2021 et mars 2023. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, les corapporteurs ont effectué une visite d’information à Sarajevo et Banja Luka en septembre 2023, et à la Commission européenne (DG NEAR) en mars 2024. Lors de sa réunion du 6 mars 2024, la commission de suivi a tenu une audition avec la participation de M. Christian Schmidt, Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine.
3. Le pays a bénéficié de programmes de coopération du Conseil de l’Europe depuis 2003. Des plans d’action successifs couvrant les périodes 2015-2017 et 2018-2021 ont été mis en œuvre et un plan d’action pour la période 2022-2025 a été adopté. Au cours des trois dernières années, les autorités de Bosnie-Herzégovine ont sollicité à plusieurs reprises l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui a adopté cinq avis (sur le projet de loi portant modification de la loi relative au Conseil supérieur des juges et des procureurs, le projet de loi sur la prévention des conflits d’intérêts, le projet de loi sur les tribunaux de Bosnie-Herzégovine, le projet de loi de la Republika Srpska concernant le registre spécial et la publicité du travail des organisations à but non lucratif, et sur certaines questions relatives au fonctionnement de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine) ainsi qu’un Mémoire d’amicus curiae sur l’examen en appel devant la Cour de Bosnie-Herzégovine, demandé par la Cour constitutionnelle du pays.

1.2. Le contexte politique

4. La Bosnie-Herzégovine a proclamé son indépendance à l’égard de la République fédérale de Yougoslavie le 1er mars 1992. La guerre tragique qui a suivi s'est achevée en 1995 par l’«Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine», également connu sous le nom de «Accords de Dayton».
5. Le seul recensement de la population depuis la fin de la guerre a été réalisé en 2013, date à laquelle la population totale s’établissait à près de 3,5 millions d’habitants. Les Bosniens se déclarant «bosniaques» représentaient 50,11 % de la population, les Bosniens «serbes» 30,78 %, les Bosniens «croates» 15,43 % et les «autres», 2,73 %. En Republika Srpska, 81 % de la population se déclarait serbe, 14 % bosniaque et 2,4 % croate. Dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, 70 % de la population se déclarait bosniaque, 22 % croate et 2,5 % serbe. La Bosnie-Herzégovine compte la deuxième diaspora la plus importante au monde (part de la population née en Bosnie-Herzégovine et vivant à l’étranger) 
			(2) 
			Forbes,<a href='https://www.forbes.com/sites/katharinabuchholz/2022/11/11/the-worlds-biggest-diasporas-infographic/?sh=12257494bde4'> «The
World’s Biggest Diasporas</a>».. Quelque deux millions de personnes originaires de Bosnie-Herzégovine résident en dehors du pays, dont des émigrés de deuxième et troisième génération.
6. L’émigration constitue une préoccupation majeure pour la Bosnie-Herzégovine. Selon les estimations, 600 000 à 800 000 personnes ont quitté la Bosnie-Herzégovine entre 2013 et 2023. La population du pays devrait diminuer d'environ 45 000 personnes chaque année, dont plus de 20 000 jeunes qualifiés qui émigrent en raison de l'instabilité politique, du faible niveau de vie et de la corruption. En outre, le taux de fécondité est très bas, soit 1,35 naissance par femme, ce qui se traduit par une baisse démographique pouvant atteindre 20 000 personnes par an 
			(3) 
			65e Rapport
du Haut Représentant pour la mise en œuvre de l’Accord de paix sur
la Bosnie-Herzégovine au Secrétaire général des Nations Unies..
7. La Bosnie-Herzégovine s’est portée candidate à l’Union européenne en février 2016. La Commission européenne a rendu un avis sur cette candidature en mai 2019, identifiant 14 réformes-clé que la Bosnie-Herzégovine devrait appliquer en priorité avant l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne 
			(4) 
			SWD(2019)222 final,
COM(2019)261 final.. La plupart de ces priorités essentielles tient au fonctionnement des institutions démocratiques, à l’État de droit et aux droits humains, et certaines se fondent sur des obligations et des engagements souscrits lors de l’adhésion au Conseil de l’Europe, telle que l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
8. En 2021, l’évaluation de la Commission européenne sur l’application de ces 14 priorités essentielles pour l’ouverture des négociations d’adhésion a souligné de nombreuses insuffisances. Selon la Commission européenne, en raison de la paralysie des institutions de l’État, les réformes n’ont pas été entreprises: «Aucun progrès n’a été réalisé pour améliorer le cadre électoral dans le respect des normes européennes et pour assurer la transparence du financement des partis politiques. La Bosnie-Herzégovine doit encore répondre aux recommandations du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE), de la Commission de Venise et du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Un nombre de décisions de la Cour constitutionnelle doivent encore être exécutées» 
			(5) 
			SWD(2021)291
final/2.. En juin 2022, avant les élections d’octobre, les dirigeants des partis politiques représentés au sein du parlement et les membres de la Présidence de Bosnie-Herzégovine ont convenu d’un accord politique «sur les principes pour assurer une Bosnie-Herzégovine fonctionnelle qui progresse sur la voie européenne» 
			(6) 
			<a href='http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/06/12/political-agreement-on-principles-for-ensuring-a-functional-bosnia-and-herzegovina-that-advances-on-the-european-path/'>www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/06/12/political-agreement-on-principles-for-ensuring-a-functional-bosnia-and-herzegovina-that-advances-on-the-european-path/</a>..
9. À la suite des élections d'octobre 2022, une coalition formée par le SNSD 
			(7) 
			Savez nezavisnih socijaldemokrata,
Alliance des sociaux-démocrates indépendants., le HDZ BiH 
			(8) 
			Hrvatska demokratska zajednica Bosne i Hercegovine, Union
démocratique croate de Bosnie-Herzégovine. et l'alliance «Troïka» est parvenue à un accord sur la formation d'un nouveau gouvernement pour la législature 2022–2026, et a désigné Borjana Krišto (HDZ BiH) nouvelle présidente du Conseil des ministres. Le 25 janvier 2023, la Chambre des représentants a confirmé la nomination du gouvernement Krišto.
10. En décembre 2022, l'Union européenne a rappelé que les 14 priorités essentielles devaient encore être mises en œuvre tout en ouvrant la voie à l'ouverture de négociations d'adhésion, à condition que 8 mesures prioritaires soient adoptées. Cette décision a créé une dynamique et plusieurs réformes importantes qui étaient en attente depuis longtemps ont été adoptées en un temps record. Constatant les progrès accomplis, le Conseil européen a officiellement décidé d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine le 22 mars 2024. La Commission européenne est invitée à préparer le cadre de négociation, qui devrait être adopté lorsque les 8 mesures fixées en 2022 auront été prises.
11. Comme les négociations entre les partis politiques sur la réforme de la loi électorale ne semblaient pas pouvoir aboutir à temps avant les élections locales d'octobre 2024, le Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine a promulgué des amendements à la loi électorale afin de garantir l'intégrité du processus électoral et de le mettre en conformité avec les normes internationales et européennes. L'Assemblée nationale de la Republika Srpska a réagi en approuvant des conclusions 
			(9) 
			<a href='https://www.narodnaskupstinars.net/?q=ci/вијести/окончана-једанаеста-посебна-сједница-народне-скупштине-усвајањем-десет-закључака'>Окончана
Једанаеста посебна сједница Народне скупштине усвајањем десет Закључака
| НСРС (narodnaskupstinars.net)</a>. exigeant, entre autres, l'annulation de toutes les décisions du Haut Représentant, puis elle a adopté une loi électorale 
			(10) 
			<a href='https://www.narodnaskupstinars.net/?q=ci/вијести/народна-скупштина-на-дванаестој-посебној-сједници-усвојила-нацрт-изборног-закона-републике-српске'>Народна
скупштина на Дванаестој посебној сједници усвојила Нацрт изборног
закона Републике Српске | НСРС (narodnaskupstinars.net)</a>. visant à créer un cadre électoral parallèle. Le 24 juillet 2024, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a adopté des mesures provisoires qui suspendaient temporairement l'effet juridique de cette loi dans l'attente d'une décision finale 
			(11) 
			<a href='https://www.ustavnisud.ba/uploads/odluke/_en/U-12-24-1441173.pdf'>www.ustavnisud.ba/uploads/odluke/_en/U-12-24-1441173.pdf</a>..
12. Le 23 mai 2024, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution proclamant le 11 juillet «Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995». Le gouvernement de la Republika Sprska a considéré que l'adoption de cette résolution constituait une violation des Accords de paix de Dayton et a annoncé qu'il préparerait un projet d'accord sur la «dissociation pacifique» entre la Republika Srpska et la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Le 8 juin 2024, une «Assemblée panserbe» s'est réunie à Belgrade à l'instigation du président de la Serbie et du président de la Republika Srpska et a adopté une déclaration concluant que: «L'Assemblée panserbe ne soutient pas la résolution sur Srebrenica» qui, selon le texte, constitue une tentative «de rejeter collectivement la faute sur l'ensemble du peuple serbe». Ces conclusions appelaient notamment à «agir de manière unie et coordonnée» pour «mettre un terme à l'assimilation des Serbes dans les États de la région» et mentionnaient le rôle de l'Église orthodoxe pour préserver le peuple serbe «biologiquement, culturellement et éducativement». Cette déclaration a suscité de vives réactions de la part des responsables politiques de la Fédération, qui ont souligné ses effets déstabilisateurs et noté qu'elle constituait une intervention directe de la Serbie dans les affaires intérieures de la Bosnie.
13. Le 20 juin 2024, le Comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix a fait une déclaration «condamn[ant] fermement les attaques flagrantes lancées par la coalition au pouvoir en Republika Srpska contre l’Accord-cadre général pour la paix, l'ordre constitutionnel et juridique de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que sa souveraineté et son intégrité territoriale.»

2. Le fonctionnement des institutions démocratiques 
			(12) 
			Pour
une description plus détaillée des institutions de la Bosnie-Herzégovine,
voir CDL-AD (2005) 004, Avis sur la situation constitutionnelle
en Bosnie-Herzégovine et les pouvoirs du Haut Représentant.

14. Les principaux textes constitutionnels en vigueur dans le pays ont été adoptés au cours ou à la fin de la guerre. Les Accords de Dayton, signés à Paris le 14 décembre 1995, règlent les conditions de la paix. L'annexe 4 de ces accords, qui traite de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, reconnaît que la Bosnie-Herzégovine doit continuer son existence juridique en droit international, en tant qu'État, avec sa structure interne modifiée et dans ses frontières internationalement reconnues. Elle énonce que la Bosnie-Herzégovine est un État démocratique, régi par la primauté du droit, avec des élections libres et démocratiques. Il est formé de deux Entités: la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska.
15. L'article 2, paragraphe 2, de la Constitution incorpore la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) et ses protocoles, qui sont directement applicables en Bosnie-Herzégovine et ont la primauté sur les autres lois.
16. Le gouvernement au niveau de l’État de Bosnie-Herzégovine est composé d’une présidence collective de trois membres: un Bosniaque et un Croate, chacun directement élu sur le territoire de la Fédération, et un Serbe directement élu sur le territoire de la Republika Srpska. La Présidence est responsable de la politique étrangère ainsi que du respect des lois. La Présidence nomme un président du Conseil des ministres de l'État, sous réserve de l'approbation de la Chambre des représentants. Le président nomme ensuite les autres ministres.
17. L'Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine est bicamérale et comprend une Chambre des représentants élue au suffrage direct et une Chambre des peuples élue au suffrage indirect. La Chambre des représentants comprend 42 membres (pour un mandat de quatre ans), dont les deux tiers sont élus au suffrage direct sur le territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et un tiers sur le territoire de la Republika Srpska. La Chambre des peuples comprend 15 membres, dont cinq Bosniaques et cinq Croates choisis par la Chambre des représentants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, et cinq Serbes choisis par le Conseil des peuples de l'Assemblée nationale de la Republika Srpska.
18. Dans son préambule, la Constitution mentionne: «les Bosniaques, les Croates et les Serbes, en tant que peuples constituants (aux côtés des Autres) et les citoyens de Bosnie-Herzégovine (...)». La notion de «peuple constituant» introduit une différence de traitement, car seuls les peuples constituants peuvent prétendre à des droits collectifs spéciaux, tels que la représentation dans les institutions et le droit de veto dans les processus de prise de décision. Jusqu'en 2000, les peuples constituants étaient associés à certaines entités: les Serbes étaient le seul peuple constituant de la Republika Srpska, et les Bosniaques et les Croates étaient les seuls peuples constituants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Le 1er juillet 2000, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a statué que les membres des trois peuples constituants et les «Autres» devaient avoir des droits égaux dans toute la Bosnie-Herzégovine. En conséquence, des dispositions relatives au partage du pouvoir ont été introduites dans les deux entités, et des règles tendant à répartir les postes les plus importants de manière égale entre les trois peuples constituants ont été incluses dans les constitutions respectives. Désormais, les représentants des trois peuples constituants disposent d’un véritable pouvoir de blocage dans ces différentes unités, même lorsqu’ils ne représentent qu’un très petit nombre de votants.
19. Les Accords de Dayton comportent également une annexe 10 instituant un Haut Représentant de la communauté internationale chargé de superviser la mise en œuvre civile de l'accord de paix. À la suite des négociations des Accords de paix de Dayton, un Conseil de mise en œuvre de la paix a été créé, dont 55 pays et agences sont membres.
20. La nature des institutions en Bosnie-Herzégovine et leur fonctionnement font partie des sujets les plus débattus dans le pays. Le cadre institutionnel doit être réformé pour se conformer à la Convention européenne des droits de l'homme, mais aussi pour améliorer l'efficacité des institutions et permettre la fin de certains mécanismes de supervision exceptionnels institués pour mettre en œuvre les accords de paix en 1995, tels que le Haut Représentant. Mais l'incapacité à mener de telles réformes signifie que la «soupape de sécurité» fournie par le Haut Représentant est toujours nécessaire pour adopter en urgence les textes juridiques nécessaires, tandis que la majorité politique de l'entité Republika Srpska menace de faire sécession.

2.1. La réforme constitutionnelle

21. Lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, la Bosnie-Herzégovine s'est engagée à réformer sa constitution. Dans son Avis 234 (2002) «Demande d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l'Europe», l'Assemblée a considéré que «les institutions d’État devront être renforcées, aux dépens des institutions existant au niveau des entités, le cas échéant par une révision de la Constitution». Le pays s'est également engagé à «adopter et mettre en œuvre, dans un délai d’un an suivant son adhésion, les amendements constitutionnels et législatifs nécessaires pour se conformer à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, relatif aux ‘peuples [constituants] de la Bosnie-Herzégovine’, de juin-juillet 2020, et à «revoir la loi électorale, dans un délai d’un an, avec l’aide de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et à la lumière des principes du Conseil de l’Europe, aux fins d’amendement, le cas échéant» 
			(13) 
			Avis 234 (2002) «Demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil
de l’Europe»..
22. Toujours d’après l’Avis: «L’Assemblée n’ignore pas que certains des engagements formulés ci-dessus relèvent de la compétence des entités (Fédération de Bosnie-Herzégovine et Republika Srpska), dont l’intervention est indispensable à leur exécution. Elle n’en considère pas moins que les autorités de l’État de Bosnie-Herzégovine sont responsables auprès du Conseil de l’Europe pour assurer que les mesures nécessaires seront prises par les entités pour exécuter ces engagements.»
23. Le 23 juin 2004, l'Assemblée a adopté la Résolution 1384 (2004) «Renforcement des institutions démocratiques en Bosnie-Herzégovine» 
			(14) 
			Résolution 1384 (2004)., dans laquelle elle a considéré que «[l]'ordre constitutionnel prévu par les Accords de paix de Dayton, sur lequel les institutions de l'État sont fondées, est extrêmement compliqué et contradictoire. Résultat d’un compromis politique conclu pour mettre fin à la guerre, il ne peut assurer le fonctionnement efficace de l’État à long terme et devrait être réformé lorsque la réconciliation nationale sera irréversible et que la confiance sera pleinement restaurée.» L’Assemblée a demandé à la Commission de Venise «de procéder à une évaluation approfondie de la conformité de la Constitution de Bosnie-Herzégovine avec la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et avec la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122), ainsi que de l’efficacité et de la rationalité des dispositions constitutionnelles et juridiques actuellement en vigueur en Bosnie-Herzégovine».
24. La Commission de Venise a formulé l'avis demandé en mars 2005. En ce qui concerne la répartition des pouvoirs entre les différents niveaux de gouvernement, la Commission de Venise a estimé qu'une révision de la Constitution pour renforcer les responsabilités de l'État était indispensable 
			(15) 
			CDL-AD(2005)004,
paragraphe 28., confirmant la recommandation formulée dans l'Avis 234 (2002).
25. En ce qui concerne le fonctionnement des institutions, la Commission de Venise a constaté que: «les règles constitutionnelles régissant le fonctionnement des organes de l’État n’ont pas été conçues pour produire un gouvernement fort, mais pour empêcher la majorité de prendre des décisions nuisibles pour les autres groupes.» «Il faut bel et bien, en pareil cas, réaliser un équilibre satisfaisant entre la nécessité, d’une part, de protéger les intérêts de tous les peuples constituants et celle, d’autre part, de disposer d’un gouvernement efficace. Toutefois, la Constitution de la B-H contient de nombreuses dispositions garantissant la protection des intérêts des peuples constituants: le veto au nom d'intérêts vitaux à l'Assemblée parlementaire, le système bicaméral et la Présidence collective sur la base de l'appartenance ethnique. L'effet combiné de ces dispositions rend la tâche d'un gouvernement qui se voudrait efficace extrêmement difficile, sinon impossible. Jusqu'à présent, le système a plus ou moins fonctionné en raison du rôle crucial assumé par le Haut Représentant. Or, ce rôle n'est pas inscrit dans la durée.» L'évaluation de la Commission de Venise en 2005 concluait à cet égard qu’une «révision constitutionnelle est indispensable car les dispositions actuelles ne sont ni efficaces, ni rationnelles et sont dépourvues de contenu démocratique».
26. En ce qui concerne la conformité de la Constitution avec la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l'homme a statué dans une série d'affaires que certaines dispositions de la Constitution de Bosnie-Herzégovine devaient être modifiées. Les dispositions en cause concernent la composition et l'élection de la Présidence et de la Chambre des Peuples. La Cour a établi que les règles restreignant la possibilité de se porter candidat à certaines élections selon des critères ethniques constituaient une discrimination contraire à la Convention. La Cour a confirmé et détaillé cette jurisprudence en 2014 dans l'affaire Zornić 
			(16) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-145566'>Affaire
Zornić c. Bosnie-Herzégovine</a>. et en 2016 dans l'affaire Pilav 
			(17) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-163437'>Affaire
Pilav c. Bosnie-Herzégovine</a> (en anglais).. La Bosnie-Herzégovine a donc l'obligation d’amender sa Constitution afin de modifier le droit de vote passif et actif de ses citoyens.
27. En août 2023, la Cour est allée plus loin dans l'affaire Kovačević c. Bosnie-Herzégovine 
			(18) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/?i=001-226386'>Affaire Kovačević
c. Bosnie-Herzégovine</a>. L’arrêt a été renvoyé devant la Grande Chambre et n’était
pas encore définitif en juillet 2024.. D’après l’arrêt rendu, les mécanismes de partage du pouvoir en faveur des peuples constituants équivalaient à des privilèges ethniques, puisque seules les personnes déclarant leur appartenance à l'un des trois peuples constituants étaient autorisées à se présenter comme candidat à la Chambre des Peuples et à la Présidence. En outre, seuls les électeurs résidant dans la Republika Srpska peuvent participer à l’élection des membres serbes de la Chambre des peuples (au suffrage indirect) et de la présidence (au suffrage direct), tandis que seuls les électeurs résidant dans la Fédération peuvent participer à l’élection des membres bosniaques et croates de ces organes. En revanche, aucune condition relative à l’appartenance ethnique ne s’applique à l’élection des membres de la Chambre des représentants (la première chambre du Parlement national). La Cour a observé qu'en raison des mécanismes de partage du pouvoir, la Bosnie-Herzégovine n'était pas une véritable démocratie mais une «ethnocratie» dans laquelle l'ethnicité – et non la citoyenneté – était l’élément-clé de l’accès au pouvoir et aux ressources, et dans laquelle les trois groupes ethniques dominants contrôlaient les institutions étatiques et les mettent au service de leurs intérêts, tandis que tous les personnes n’appartenant pas à l’un de ces groupes s'apparentaient à des citoyens de seconde zone. L’arrêt précisait que «[l]a Cour est consciente de l’histoire de ce pays, et en particulier du fait que les mécanismes électoraux susmentionnés ont été conçus dans le but de faire cesser un conflit violent marqué par des faits de génocide et d’«épuration ethnique». Ce conflit fut d’une nature telle qu’il était nécessaire d’obtenir l’accord des «peuples constituants» pour que la paix puisse être assurée. On peut donc concevoir que l’existence d’une seconde chambre composée uniquement de représentants de ces trois peuples aurait pu être acceptable dans le cas particulier de la Bosnie-Herzégovine si les compétences de cette chambre avaient été limitées à l’exercice par les «peuples constituants» d’un droit de veto au nom d’intérêts nationaux vitaux, précisément, étroitement et strictement définis. (...) Or, la Chambre des peuples est actuellement dotée des pleins pouvoirs législatifs. (…) Dans ces conditions, il est de la plus haute importance que toutes les composantes de la société soient représentées à la Chambre des peuples».
28. Cet arrêt souligne qu'il existe des solutions qui maintiendraient certains mécanismes de partage du pouvoir et la protection des «peuples constituants» sans violer la Convention européenne des droits de l'homme. De telles solutions ont été identifiées par la Commission de Venise 
			(19) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2006)004-f'>CDL-AD(2006)004</a>, Avis sur différentes propositions pour l’élection de
la Présidence de Bosnie-Herzégovine; et <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2006)019-f'>CDL-AD(2006)019</a>, Avis sur le projet d’amendements à la Constitution
de Bosnie-Herzégovine..
29. Les nombreuses tentatives pour amender la Constitution et la loi électorale ont pour l’heure échoué, bien qu’un accord ait parfois été en passe d’être trouvé. Le groupe d’amendements d’avril 2006 a été rejeté à deux voix près à la Chambre des représentants. D’autres tentatives ont eu lieu en 2008, 2009, 2012, 2013 et 2014. En 2019, l’avis de la Commission européenne sur la candidature de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne a fait d’une réforme électorale et constitutionnelle un préalable à l’adhésion. Les discussions menées sous la médiation de l’Union européenne et des États-Unis et avec le soutien technique du secrétariat de la Commission de Venise se sont achevées le 20 mars 2022, faute d’accord politique. Selon le Haut Représentant, les parties étaient proches d’un accord sur plusieurs des points discutés, mais il leur a manqué le courage politique de faire le pas supplémentaire qui s’imposait pour parvenir à un compromis à une encablure des élections 
			(20) 
			61e rapport
du Haut Représentant pour la mise en œuvre de l’Accord de paix sur
la Bosnie-Herzégovine au Secrétaire général des Nations Unies, paragraphe
29..
30. La coalition gouvernementale qui s’est formée à la suite des élections de 2022 s'est engagée à adopter une «réforme constitutionnelle limitée» pour être en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Toute modification de la Constitution ne peut être décidée que par consensus entre les principales forces politiques de Bosnie-Herzégovine, tant au niveau de l'État que des entités, mais il est urgent d'adopter cette réforme essentielle. La décision du Conseil européen de mars 2024 d'engager les négociations d'adhésion a ouvert une nouvelle fenêtre d'opportunité, car la Commission européenne a demandé à la Bosnie-Herzégovine «d’améliorer en profondeur le cadre institutionnel, y compris au niveau constitutionnel (…)» et «d’assurer l’égalité et la non-discrimination entre les citoyens, particulièrement à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdić et Finci».

2.2. Le Bureau du Haut Représentant

31. L'annexe X des accords de Dayton a porté création d’un Haut Représentant de la communauté internationale. Le mandat du Haut Représentant est de faciliter la mise en œuvre de l'accord de paix. À cette fin, lors de la Conférence de mise en œuvre de la paix qui s’est tenue à Bonn le 10 décembre 1997, le Conseil de mise en œuvre de la paix s'est félicité «de ce que le Haut Représentant se propose d’user du pouvoir qui lui est conféré de statuer en dernier ressort sur l’interprétation de l’Accord sur la mise en œuvre civile des Accords de paix afin de faciliter le règlement des difficultés en prenant des décisions ayant force obligatoire (…)». À la suite de cette conférence, le Haut Représentant a commencé à imposer une législation et à démettre de leurs fonctions les fonctionnaires qui ne s'étaient pas acquittés de leur devoir de mettre en œuvre l'accord de paix. C’est ce l’on appelle généralement l’exercice des «pouvoirs de Bonn» par le Haut Représentant.
32. L'exercice des pouvoirs de Bonn a soulevé des controverses. Dans sa Résolution 1384 (2004) susmentionnée, l'Assemblée a demandé à la Commission de Venise de procéder à une évaluation de la conformité des pouvoirs du Haut Représentant avec la Convention européenne des droits de l’homme.
33. En ce qui concerne le pouvoir de légiférer conféré au Haut Représentant, la Commission de Venise a rappelé que: «le processus législatif de la B-H est anormalement difficile à gérer et offre beaucoup trop d’occasions de bloquer l'adoption des lois. (…) Aussi, le pouvoir conféré au Haut Représentant en matière d’adoption de lois constitue-t-il une soupape de sécurité permettant d’adopter des textes législatifs urgents.» Toutefois: «Le principe démocratique de la souveraineté du peuple requiert que la législation soit adoptée par un organe élu par le peuple. L’article 3 du (premier) Protocole à la CEDH dispose que l’assemblée législative doit être élue par le peuple, droit qui est vidé de sa substance si la législation est adoptée par un autre organe.» En conséquence, la Commission de Venise a préconisé que ce pouvoir soit progressivement abandonné et qu'une réforme constitutionnelle soit engagée pour rendre le processus législatif plus efficient.
34. En ce qui concerne le pouvoir de prendre des décisions individuelles de révocation des élus ou des fonctionnaires, la Commission de Venise a considéré que ces décisions devraient faire l’objet d’un contrôle juridictionnel en bonne et due forme et qu’elles incombent aux institutions nationales compétentes.
35. En 2004, les corapporteurs de la commission de suivi ont estimé que «le moment est venu de définir une stratégie claire permettant un transfert des responsabilités du Haut Représentant aux autorités internes» 
			(21) 
			Respect des obligations
et engagements de la Bosnie-Herzégovine, Doc. 10200, 4 juin 2004.. En février 2008, le Conseil de mise en œuvre de la paix a fixé cinq objectifs à atteindre et deux conditions à remplir pour mettre fin au mandat du Haut Représentant, connus sous le nom d’«Agenda 5+2». Le Comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix a régulièrement examiné les progrès accomplis dans la mise en œuvre de cet agenda. Si des améliorations ont bien été apportées dans certains domaines, des désaccords chroniques entre les principaux partis politiques ont néanmoins abouti à une impasse qui a empêché la mise en œuvre intégrale de cet agenda.
36. Depuis 2008, le recours aux «pouvoirs de Bonn» a progressivement décliné. Aucune décision individuelle n'a été rendue depuis 2009. Le pouvoir d’édicter des lois n'a pas été utilisé de 2014 à 2021, mais cette retenue n’a pas coïncidé avec un renforcement des institutions de l’État, et les réformes nécessaires n'ont pas été menées. En raison de l’opposition politique entre les partis représentant les trois peuples constituants, le fonctionnement des institutions de l’État était à l’arrêt durant l’essentiel de la législature 2018-2022.
37. En juillet 2021, la Russie et la Chine ont proposé au Conseil de sécurité des Nations Unies de retirer au Haut Représentant certains des «pouvoirs de Bonn» et de fermer le bureau dans un délai d'un an. Cette proposition a été rejetée 
			(22) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/russia-china-fail-un-bid-shut-down-bosnia-peace-envoy-2021-07-22/'>Reuters</a> [22 juillet 2021]..
38. Dans le même temps, les «pouvoirs de Bonn» ont été utilisés à nouveau pour édicter une loi interdisant la négation du génocide et proscrivant l’apologie des criminels de guerre condamnés. Les tentatives précédentes de légiférer sur ces questions en Bosnie-Herzégovine avaient été bloquées. M. Milorad Dodik, alors membre de la présidence tripartite de la Republika Sprska, a attaqué la décision et déclaré que les Serbes de Bosnie ne pouvaient «pas vivre dans un pays où quelqu'un peut imposer une loi en la publiant simplement sur son site internet». Les partis d'opposition ont exprimé des points de vue similaires et les dirigeants des partis politiques serbes de Bosnie ont décidé de réagir à cette décision en boycottant les institutions de l'État de Bosnie-Herzégovine. En octobre 2021, M. Dodik a annoncé que toutes les lois imposées par le Haut Représentant seraient abrogées 
			(23) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/secessionist-leader-says-serbs-will-undo-bosnia-state-institutions-2021-10-14/'>Reuters</a> [14 octobre 2021].. Le boycott des institutions étatiques a pris fin avec la formation du nouveau gouvernement à la suite des élections d'octobre 2022.
39. En 2022, les «pouvoirs de Bonn» ont été utilisés à huit reprises, six fois en lien avec la tenue des élections et le fonctionnement des institutions, deux fois en lien avec la question de la répartition des biens de l’État. En 2023, les pouvoirs de Bonn ont été utilisés à onze reprises.
40. Certaines de ces interventions se sont avérées essentielles pour permettre la tenue des élections de 2022 
			(24) 
			Après que les élections
ont été convoquées, le Haut Représentant a imposé plusieurs amendements
à la législation et à la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine
relatifs à la tenue des élections. Le 7 juin 2022, des amendements
à la loi électorale et à la loi sur le financement des institutions
ont permis d’allouer les fonds nécessaires à l’organisation des
élections. Les modifications apportées le 27 juillet 2022 à la loi
électorale ont introduit une définition du discours de haine, une
interdiction de l’utilisation abusive des ressources administratives
dans le cadre de la campagne et de l’occupation abusive des sièges
des commissions des bureaux de vote par les candidats. Le jour du
scrutin, juste après la fermeture des bureaux de vote, le Haut Représentant
a imposé des modifications supplémentaires à la loi électorale et
à la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, dans le
but déclaré de débloquer la situation des principales institutions
concernées. car elles ont assuré la mise à disposition des fonds nécessaires et ont introduit dans le processus électoral d’importantes garanties en matière d’intégrité. Des amendements ont été apportés à la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine pour permettre la formation du gouvernement, qui était dans une impasse depuis cinq ans.

2.3. La réforme électorale

41. Les pouvoirs de Bonn ont été utilisés pour la dernière fois le 26 mars 2024 afin de promouvoir un ensemble de réformes concernant l'intégrité des élections. Cette réforme tant attendue ne pouvait plus être reportée car il fallait la mettre en œuvre, au moins en partie, pour les élections locales d'octobre 2024.
42. En devenant membre du Conseil de l'Europe en 2002, la Bosnie-Herzégovine s'est engagée à «revoir la loi électorale dans un délai d’un an, avec l’aide de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et à la lumière des principes du Conseil de l’Europe, aux fins d’amendement, le cas échéant» 
			(25) 
			Avis 234 (2002), paragraphe 15(iv)(b).. L'Assemblée a constamment rappelé à la Bosnie-Herzégovine cette obligation souscrite au moment de l’adhésion et l’a exhortée à adopter une nouvelle Constitution afin de «remplacer le dispositif de représentation ethnique par une représentation fondée sur le principe de citoyenneté, notamment en mettant un terme à la discrimination constitutionnelle envers les «autres» 
			(26) 
			Résolution 1383 (2004); Résolution
1513 (2006) et Résolution
1626 (2008)..
43. La réforme électorale concerne deux séries de questions, les unes de nature constitutionnelle (voir section 2.1 ci-dessus), les autres relatives à la transparence et à l'intégrité du processus électoral.
44. En ce qui concerne l’intégrité des élections, la confiance de la population de Bosnie-Herzégovine dans son système électoral est très faible: une enquête d’opinion réalisée par l’OSCE au mois d’août 2021 révèle que 41,3 % des personnes interrogées estiment que le système électoral ne permet que dans une faible mesure l’expression de la réelle volonté des citoyens. Quelque 42 % des personnes ayant répondu jugent que les élections en Bosnie-Herzégovine sont conduites de façon inéquitable et pour 67,5 % d’entre elles, des fraudes électorales ont «toujours» ou «souvent» lieu. Enfin, 64,6 % des personnes interrogées estiment qu’il est important de modifier la loi électorale.
45. Un premier train de réformes concernant l’intégrité et la transparence a été mis en place juste avant les élections de 2022. Pour des raisons politiques, le ministère des Finances et du Trésor a fait obstacle à la bonne organisation de ce scrutin en s’abstenant de débloquer les fonds nécessaires. Le 6 juin 2022, le Haut Représentant a fait usage des «pouvoirs de Bonn» pour allouer le budget requis et amender la loi électorale ainsi que celle sur le financement des institutions de l’État, et éviter de tels blocages à l’avenir.
46. La mission d’observation électorale menée en octobre 2022 a fait état de préoccupations concernant le secret du scrutin et la présence de personnes non autorisées s’immisçant dans le processus de vote. Le secret du vote a été potentiellement compromis dans plus de 25 % des lieux observés. Les urnes n’étaient pas correctement scellées dans 6 % des cas et d’autres problèmes de procédure ont été relevés dans 6 % des bureaux de vote visités. Le jour du scrutin, les membres de la mission d’observation ont été témoins de graves infractions électorales, notamment des usurpations de vote, des achats de voix ou des intimidations d’électeurs ou de membres de commissions de bureau de vote. En ce qui concerne le dépouillement et la compilation des résultats, les membres de la mission d’observation ont évalué négativement le dépouillement dans 36 des 168 bureaux de vote observés.
47. Au cours de notre visite à Banja Luka et à Sarajevo, il nous a été dit à maintes reprises que l'intégrité des élections était une question essentielle à résoudre en priorité, car elle conditionnait la possibilité de s'attaquer à d'autres problèmes. Le contenu de la réforme envisagée est connu et a été longuement discuté avec les experts du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise. Un projet de loi a été examiné et aurait été approuvé par les partis politiques au parlement. Cependant, en octobre 2023, le Conseil de mise en œuvre de la paix a noté que moins de 12 mois avant les élections locales de 2024, les autorités de B-H avaient jusqu’à présent échoué à modifier la loi électorale vers le respect des normes internationales sur la transparence et l’intégrité des procédures électorales et les bonnes pratiques pour des élections démocratiques. «Ces amendements ont été recommandés de manière claire et répétée par le BIDDH/OSCE, le GRECO et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe.» 
			(27) 
			<a href='http://www.ohr.int/statement-by-the-ambassadors-of-the-peace-implementation-council-steering-board-5/'>www.ohr.int/statement-by-the-ambassadors-of-the-peace-implementation-council-steering-board-5/</a> (en anglais)
48. L'impasse politique a amené le Haut Représentant à promulguer, le 23 mars 2024, des amendements réformant la loi électorale. Ces amendements sont très complets et semblent répondre à la plupart des questions en suspens. Selon le Haut Représentant, ils améliorent l’intégrité et la supervision des opérations de vote et du décompte, notamment la sécurité autour du matériel électoral avant et après le vote et la professionnalisation des commissions de bureau de vote. La composition de ces commissions et la pratique consistant à en échanger les membres entre les partis politiques ont été identifiées comme l’une des principales sources de fraude électorale. La réforme introduit également des mesures pour une plus grande transparence du registre électoral – en particulier s’agissant des votes par procuration et des réfugiés – et la vérification des données du registre électoral; une amélioration de la transparence et de la sécurité tout au long du processus électoral, incluant l’identification électronique des votants, la vidéo surveillance et le décompte électronique des bulletins; et des règles plus claires pour la protection des droits humains et civiques avant, pendant et après les élections; la prévention de la manipulation des votants et une plus grande transparence du financement des campagnes et des médias.
49. En dépit de ses regrets qu'une telle réforme n'ait pas été adoptée par le Parlement de Bosnie-Herzégovine, l'Union européenne a déclaré qu'elle attendait des autorités qu'elles mettent en œuvre les réformes nécessaires pour que les prochaines élections locales se déroulent conformément aux normes européennes 
			(28) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/bosnia-and-herzegovina-statement-spokesperson-high-representatives-amendment-election-law_en'>EEAS</a> [26 mars 2024]..
50. Il faudra du temps pour dispenser la formation nécessaire et mettre pleinement en œuvre les mesures de transparence et d'intégrité qui ont été adoptées. À cet égard, les élections locales d'octobre 2024 fourniront une première évaluation de leur efficacité. Il est cependant troublant de constater que ces réformes très importantes, dont le contenu n'est pas remis en cause et qui ont été approuvées par le parlement, n'auraient jamais été adoptées sans l'utilisation des «pouvoirs de Bonn» par le Haut Représentant. Malheureusement, arguant de l’utilisation de ces pouvoirs, le Parlement de la Republika Srpska a adopté une loi électorale et une loi sur le référendum, ce qui équivaut à une appropriation des compétences de l'État par l'entité. Cette loi électorale a été renvoyée à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine qui a estimé, le 24 juillet 2024, qu’il «existe des motifs raisonnables de soupçonner que la loi contestée porte atteinte à l'ordre constitutionnel et à la stabilité politique de la Bosnie-Herzégovine». La Cour constitutionnelle a donc décidé l'adoption d'une mesure provisoire suspendant temporairement l'effet juridique de la loi électorale de la Republika Srpska dans l'attente d'une décision finale 
			(29) 
			<a href='https://www.ustavnisud.ba/uploads/odluke/_en/U-12-24-1441173.pdf'>www.ustavnisud.ba/uploads/odluke/_en/U-12-24-1441173.pdf</a>..

2.4. Les tendances sécessionnistes

51. Le conflit portant sur les pouvoirs de l'État et des entités, la mise en place de cadres juridiques parallèles et la négation de l'autorité de la Cour constitutionnelle par la Republika Srpska ont des effets déstabilisateurs profonds. En 2016, un référendum a été organisé sur la célébration de la «Journée de la Republika Srpska», qui marque la création de la république sécessionniste au début des guerres en 1992. Le référendum a été organisé au mépris d'un arrêt de la Cour constitutionnelle qui interdisait le vote pour cause de discrimination à l'égard des non-Serbes. En 2020, à la suite d'un désaccord avec les décisions prises par la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale de la Republika Srpska a menacé de se séparer de la Bosnie-Herzégovine et a fait part de sa volonté d’organiser un référendum d'indépendance. L’exécution de ce plan aurait été reportée à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine 
			(30) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/bosnian-serb-leader-dodik-says-ukraine-war-has-delayed-secession-plan-2022-06-06/'>Reuters</a> [6 juin 2024]., mais ce sujet reste au premier plan du débat public et éclipse les progrès réels qui ont été réalisés dans le processus d'intégration européenne.
52. Dans son rapport au Secrétaire général des Nations Unies du 9 mai 2023, le Haut Représentant a déclaré que «les discours et actions sécessionnistes des autorités de la Republika Srpska, notamment M. Milorad Dodik, se sont intensifiés au cours de la période considérée. Ils empoisonnent le climat politique dans l'entité et dans l'ensemble du pays. Les autorités de la Republika Srpska rejettent catégoriquement l'autorité de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et du Bureau du Haut Représentant, et elles adoptent une attitude de confrontation à l'égard des partenaires occidentaux.» Le Haut Représentant a également noté «une nette tendance à l'autoritarisme en Republika Srpska, caractérisée par des initiatives législatives qui réduisent encore l'espace de la société civile et des médias. La Bosnie-Herzégovine risque de devenir un pays divisé entre l'autoritarisme dans une entité et la démocratie dans l'autre.» 
			(31) 
			<a href='https://www.ohr.int/63rd-report-of-the-high-representative-for-implementation-of-the-peace-agreement-on-bosnia-and-herzegovina-to-the-secretary-general-of-the-united-nations/'>63e
rapport du Haut Représentant pour la mise en œuvre de l’Accord de
paix sur la Bosnie-Herzégovine au Secrétaire général des Nations
Unies, paragraphes 4 et 6.</a>
53. En juin 2023, l’Assemblée nationale de la Republika Srpska a adopté une loi qui suspendait les arrêts de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et mettait fin à la publication des décisions du Haut Représentant dans le Journal officiel. Cette loi a été abrogée par le Haut Représentant, mais elle a été promulguée le 7 juillet 2023. Le 11 août 2023, une procédure a été ouverte contre le président de l’entité de Republika Srpska, qui a été accusé de ne pas avoir exécuté les décisions du Haut Représentant. Le procès a débuté le 5 février 2024.
54. Le rapport du Haut Représentant susmentionné indique que la coalition au pouvoir en Republika Srpska a commencé à créer les conditions préalables à une éventuelle sécession de la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine. Cette éventualité est mentionnée dans une déclaration commune signée le 24 avril 2023 par les partis au pouvoir en Republika Srpska. Il s’agit notamment «de la non-application des décisions de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, de la volonté de retirer les représentants de la Republika Srpska des institutions de l'État, du non-remplacement des juges serbes à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, de la non-application des décisions du Haut Représentant, de la volonté de déclarer l'indépendance de la Republika Srpska si le Haut Représentant impose une loi sur les biens de l'État, de la volonté de limiter les compétences de la Commission électorale centrale de Bosnie-Herzégovine, de la volonté de réexaminer toutes les lois et décisions imposées jusqu'à présent par tous les Haut Représentants, et de la cessation de tout contact avec le Bureau du Haut Représentant ainsi qu'avec les ambassades des États-Unis et du Royaume Uni.» 
			(32) 
			<a href='https://www.ohr.int/64th-report-of-the-high-representative-for-implementation-of-the-peace-agreement-on-bih-to-the-secretary-general-of-the-united-nations/'>64e
rapport du Haut Représentant pour la mise en œuvre de l’Accord de
paix sur la Bosnie-Herzégovine au Secrétaire général des Nations
Unies</a>, paragraphe 11.
55. À la suite de l'adoption d'une résolution par l'Assemblée générale des Nations Unies désignant le 11 juillet comme «Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995», le gouvernement de la Republika Srpska a annoncé qu'il préparerait un projet d'accord sur la «dissociation pacifique» entre la Republika Srpska et la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Cependant, la session extraordinaire du parlement de la Republika Srpska prévue le 5 juillet pour examiner ces documents de «dissociation» n'a pas eu lieu.
56. Les ambassadeurs du Comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix ont souligné les conséquences dangereuses et déstabilisantes des attaques contre l'Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine et l'ordre constitutionnel et juridique de la Bosnie-Herzégovine. Ces attaques prennent la forme d’actes législatifs et politiques qui tentent de saper les compétences de l'État. Le Comité directeur a rappelé que la communauté internationale dispose des instruments nécessaires pour répondre à ces actions et qu'elle est pleinement unie sur la nécessité de protéger la souveraineté, l'intégrité territoriale et le caractère multi-ethnique du pays.

3. L’État de droit

57. L’article I (2) de la Constitution dispose que la Bosnie-Herzégovine «est un État démocratique, régi par la primauté du droit». Dans sa résolution la plus récente sur le respect des obligations et engagements de la Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée s’est déclarée «très préoccupée par le non-respect croissant de l’État de droit en Bosnie-Herzégovine» et a demandé «instamment aux autorités compétentes de se conformer aux arrêts de la Cour constitutionnelle et de la Cour d’État, qui ont un caractère définitif et contraignant» 
			(33) 
			Résolution 2201 (2018)..

3.1. La Cour constitutionnelle

58. La Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine est confronté à de graves problèmes dans son fonctionnement, dont les motifs sont principalement politiques. Cette situation remet en cause le respect des droits humains en Bosnie-Herzégovine, elle doit trouver une issue au plus vite.
59. La Cour constitutionnelle se compose de neuf membres. Quatre sont désignés par la Chambre des représentants de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et deux par l'Assemblée nationale de la Republika Srpska. Les trois autres membres sont désignés par le président de la Cour européenne des droits de l'homme après consultation de la Présidence. La Constitution prévoit: «Les juges sont des juristes éminents et de haute moralité. Tout électeur éligible qui réunit ces conditions peut exercer cette fonction. Les juges désignés par le président de la Cour européenne des droits de l'homme ne sont pas des citoyens de la Bosnie-Herzégovine ni d’aucun État voisin de celle-ci» 
			(34) 
			Article VI(1)(a) de
la Constitution..
60. À la suite du départ à la retraite d'un juge en 2022, l'Assemblée nationale de la Republika Srpska n'a pas désigné de remplaçant. En avril 2023, cette assemblée a adopté des conclusions dans lesquelles elle: «appelle les juges de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine issus du peuple serbe à démissionner de leurs fonctions de juges de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine jusqu'à ce que l'Assemblée nationale de la Republika Srpska en décide autrement 
			(35) 
			<a href='https://www.narodnaskupstinars.net/вијести/окончана-шеста-посебна-сједница-народне-скупштине-републике-српске'>Окончана
Шеста посебна сједница Народне скупштине Републике Српске | НСРС
(narodnaskupstinars.net).</a>.» En janvier 2024, le deuxième juge désigné par la Republika Srpska a démissionné. Par conséquent, la Cour constitutionnelle ne compte actuellement que sept juges en exercice: quatre juges nationaux nommés par la Fédération de Bosnie-Herzégovine et trois juges «internationaux». Le manquement à la nomination des juges fait partie d'une politique délibérée visant à imposer la fin de la participation des juges internationaux car, selon les autorités de la Republika Srpska: «La légitimité de la Cour constitutionnelle est sévèrement affaiblie par la présence de juges étrangers, son manque d’indépendance, et l’alliance politique entre les juges étrangers et les juges Bosniaques pour servir le programme du Haut Représentant et du Parti d’action démocratique (SDA).» 
			(36) 
			18e rapport
de la Republika Srpska au Conseil de sécurité des Nations Unies,
octobre 2017, paragraphe 7. Le 27 juin 2023, l’Assemblée nationale de la Republika Srpska a adopté une loi sur la non-application des décisions de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine sur le territoire de la Republika Srpska (et sur la non-publication des décisions du Haut Représentant). Le Haut Représentant a invalidé cette loi.
61. La présence de juges étrangers dans des juridictions nationales n’est pas un cas exceptionnel. En fait, c’est une pratique répandue dans plus de 50 ordres juridiques dans le monde 
			(37) 
			Voir: The Cambridge Handbook of Foreign Judges on
Domestic Courts, Cambridge University Press, 2023; Rosalind Dixon
& Vicki Jackson, «Hybrid Constitutional Courts: Foreign Judges
on National Constitutional Courts», Columbia Journal
of Trans. Law, 2019.. Dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, la présence de juges internationaux a été pensée pour assurer la neutralité de la Cour constitutionnelle dans un contexte où des divisions ethniques profondes au sein de l’État étaient susceptibles de se retrouver au sein de la cour, comme l’indique la disposition excluant les juges d’États voisins. Sous cet angle, le fait de ne pas appartenir à un des peuples constituants peut être considéré comme une façon d’échapper à un conflit d’intérêt apparent. Les propositions tendant à introduire un critère ethnique dans le processus de décision de la Cour constitutionnelle prouve que cette précaution n’était pas superflue 
			(38) 
			CDL-AD(2005)039, Avis
sur une proposition de règles de vote de la Cour constitutionnelle
de Bosnie-Herzégovine, paragraphes 10 et 24..
62. La Constitution dispose également que: «l'Assemblée parlementaire peut prévoir par la loi une méthode différente de sélection des trois juges désignés par la présidence de la Cour européenne des droits de l'homme.» Des tentatives de modification de la loi et de la Constitution visant à écarter les juges internationaux de la Cour constitutionnelle ont été faites, mais elles n'ont pas recueilli la majorité requise.
63. Les deux sièges encore vacants empêchent la Grande Chambre de la Cour de fonctionner et de prendre des décisions. La Grande Chambre devrait être composée de six juges nationaux avec un quorum d'au moins cinq juges pour statuer sur les affaires relevant de la juridiction d'appel (principalement en matière de protection des droits humains). Pour y remédier, des juges internationaux ont accepté de délibérer et de statuer sur les affaires normalement attribuées à la Grande Chambre lors de la séance plénière de la Cour. Or cette situation a entraîné une forte augmentation du nombre de dossiers en attente (environ 9 000 dossiers concernant 10 000 requérants). Cette situation rend l’accès à la justice constitutionnelle excessivement long et risque d’entraîner des violations de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en compromettant l’efficacité et la crédibilité du système judiciaire. En vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, les États sont tenus de prendre rapidement les mesures législatives, structurelles ou autres nécessaires pour éviter des procédures judiciaires excessivement longues.
64. La Présidente de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur les moyens susceptibles de permettre de sortir de l’impasse. Dans son avis rendu public le 18 mars 2024, la Commission de Venise a rappelé que: «[le fait de paralyser] l’efficacité d’une cour constitutionnelle porte atteinte aux trois principes fondamentaux du Conseil de l’Europe: la démocratie – en raison de l’absence d’un élément central de contrôle et d’équilibre; les droits de l’homme – parce que l’accès à la Cour constitutionnelle pourrait être ralenti au point de conduire à un déni de justice; et l’État de droit – parce que la Cour constitutionnelle, qui est un élément central du pouvoir judiciaire en Bosnie-Herzégovine, deviendrait inefficace. Il est indéniable que le manquement des autorités à leurs obligations constitutionnelles de maintenir la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine en état de fonctionnement viole la Constitution» 
			(39) 
			CDL-AD(2024)002..
65. Dans cet avis, la Commission de Venise propose quelques solutions permettant d’assurer le fonctionnement de la Cour constitutionnelle si les parlements des deux entités ne procèdent pas à la nomination des juges. De telles mesures sont nécessaires pour éviter une paralysie complète de la Cour. Cependant, la solution à long terme suppose que les assemblées respectives de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de la Republika Srpska nomment les juges à la Cour, conformément à l’obligation constitutionnelle qui leur est faite.
66. Plusieurs projets de loi sur la composition de la Cour constitutionnelle ont été proposés. Or la composition de cette cour est déterminée par la Constitution, de sorte que sa modification nécessiterait une réforme constitutionnelle et ne peut être adoptée par la loi. En outre, certaines des propositions tendent à imposer que les décisions de la Cour nécessitent un consensus des juges nationaux fondé sur la représentation ethnique. Adopter une telle proposition serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Selon la Commission de Venise: «une règle énonçant qu’une décision de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine ne peut être valable sans l’accord d’au moins un juge de chaque peuple constituant serait contraire aux normes européennes. La situation particulière en Bosnie-Herzégovine ne peut justifier une telle solution, qui irait à l’encontre de plusieurs principes constitutionnels et pourrait entraîner d’importants problèmes d’ordre pratique.» 
			(40) 
			Commission
de Venise, CDL-AD(2005)039, Avis sur une proposition de règles de
vote de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, paragraphe
24. Dans son avis de 2024, la Commission de Venise a réaffirmé que «des exigences ou des quotas ethniques stricts ne sont pas compatibles avec le rôle et la responsabilité spécifiques de la Cour constitutionnelle en tant qu'institution fédérale reflétant et servant l'État de droit.» 
			(41) 
			CDL-AD(2024)015.
67. L'État de Bosnie-Herzégovine ayant pour mandat d’assurer le bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle, donc la protection des droits fondamentaux de la population relevant de sa juridiction, il conviendrait donc de trouver des solutions pour faire en sorte que cette instance revienne à sa pleine capacité dès que possible. L’inaction de l'une ou des deux entités ne devrait pas entraver le fonctionnement de la Cour constitutionnelle au niveau de l'État. En effet, dans son Avis 234 (2002) l’Assemblée a déclaré que: «les autorités de l’État de Bosnie-Herzégovine sont responsables auprès du Conseil de l’Europe pour assurer que les mesures nécessaires seront prises par les entités pour exécuter ces engagements».

3.2. La situation du pouvoir judiciaire

68. La Constitution de Bosnie-Herzégovine n’évoque pas l’organisation du système judiciaire. Chaque entité et le district de Brčko disposant de son propre appareil judiciaire, il existe quatre systèmes judiciaires distincts, sans liens fonctionnels entre eux. La Constitution ne contient pas de dispositions relatives à l’indépendance judiciaire, qui ne figure pas non plus explicitement dans la loi sur les tribunaux de la Bosnie-Herzégovine. Le principe de l’indépendance des tribunaux est consacré par les Constitutions et les lois sur les tribunaux des entités, ainsi que par le cadre statutaire et réglementaire du district de Brčko.
69. En adhérant au Conseil de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée à «poursuivre les réformes permettant la mise en place d’un système judiciaire et d’un ministère public professionnels et indépendants, et continuer à faciliter l’exercice d’un contrôle rapide et équitable des juges et des procureurs en poste, et aider la commission judiciaire indépendante» 
			(42) 
			Avis 234 (2002).. Cependant, la question du respect de l’indépendance de la justice reste un défi considérable. Des lacunes dans l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, notamment en raison de l’ingérence et des pressions politiques au sujet de certaines affaires pénales, ont été signalées. L’organisation du pouvoir judiciaire au niveau des entités expose fortement les magistrats aux pressions de responsables politiques.
70. Selon le Groupe d'États contre la corruption (GRECO), «la complexité des systèmes judiciaires et les menaces à l’égard de l’indépendance des juges nuisent gravement à l’efficacité de la justice en Bosnie-Herzégovine et entretiennent une image négative des magistrats. (…) La diversité actuelle des fonctionnements des tribunaux et leur complexité gâchent inévitablement tous les moyens mis en œuvre: le soutien financier, judiciaire et administratif et le processus d’élaboration des textes de loi ne sont que quelques aspects dont la simplification permettrait de tirer davantage parti des ressources disponibles». Par ailleurs, «[l’]indépendance et l’efficacité de la justice pâtissent du manque de certitude concernant les ressources disponibles et l’inefficacité des processus budgétaires actuels contribuent à cette incertitude. Les sources budgétaires sont morcelées, avec plus de 14 institutions participant à la planification du budget. Cette organisation est au mieux inefficace et ne garantit pas que le budget disponible soit défini de façon adaptée pour répondre équitablement aux besoins dans l’ensemble du système. Au pire elle peut dissimuler la volonté des gouvernements et des Parlements de contrôler de manière inappropriée le processus judiciaire et d’interférer avec celui-ci» 
			(43) 
			Greco
Eval IV Rep (2015) 2F, paragraphes 83 et 84..
71. En 2004, les deux entités sont convenues de consolider l’autorité exercée sur l’appareil judiciaire par la création d’un Conseil supérieur des juges et des procureurs (CSJP) qui aurait la responsabilité première du pouvoir judiciaire à tous les niveaux. La création d’un organe unique chargé de la gestion du système judiciaire a constitué une décision historique. Le CSJP est un organe unique d'autogestion de la justice sur l'ensemble du territoire. Il est composé de 15 membres ayant un mandat de quatre ans (renouvelable une fois), agissant à titre personnel. Onze membres représentent divers organes judiciaires et de poursuite, quatre sont élus par d’autres instances (Conseil des ministres, Parlement et barreaux). Les principales tâches du CSJP sont de protéger le pouvoir judiciaire contre les ingérences politiques, d’assurer son indépendance, de garantir sa professionnalité et de promouvoir les réformes judiciaires. Le CSJP nomme et évalue les juges et les procureurs et exerce des pouvoirs disciplinaires à leur égard. Par son pouvoir réglementaire pour les quatre systèmes judiciaires, il contribue à la défragmentation et à la cohérence de la politique judiciaire.
72. Le fonctionnement du CSJP a suscité des critiques. La Commission de Venise a formulé des recommandations à son sujet en 2012, 2014 et 2021. En 2019, le rapport d’experts sur les questions liées à l’État de droit en Bosnie-Herzégovine, publié par le rapporteur européen pour l’état de la justice, a noté que dans l’ordre judiciaire actuel de la Bosnie-Herzégovine, le CSJP est indispensable. Cependant, le CSJP a besoin d'une réforme sérieuse et d'un changement radical de comportement car: «au cours des dernières années, il est lui-même devenu une partie du problème» 
			(44) 
			Rapport d’experts sur
les questions liées à l’État de droit en Bosnie-Herzégovine (Rapport
Priebe), Bruxelles, 5 décembre 2019.. En 2020, le rapport sur la Bosnie-Herzégovine établi par la Commission européenne note que de nombreuses lacunes sont devenues évidentes en ce qui concerne l’indépendance, la responsabilité et l’efficacité du CSJP, et ont encore considérablement détérioré la confiance dans le système judiciaire 
			(45) 
			SWD(2020)350 final,
document de travail des services de la Commission, Rapport 2020
sur la Bosnie-Herzégovine accompagnant la communication de la Commission
au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen
et au Comité des régions, Bruxelles, 6 octobre 2020, page 17..
73. Face à ces critiques, les autorités de Bosnie-Herzégovine se sont attelées à l’élaboration d’un nouveau cadre juridique. Une première série d'amendements a été adoptée et une réforme complète est en cours de préparation. La Commission de Venise a été saisie du projet de cette réforme et a rendu son avis le 25 juin 2024 
			(46) 
			CDL-AD(2024)009, «Avis
intérimaire sur les suites données aux avis précédents sur le Conseil
supérieur des juges et des procureurs».. Cet avis fournit des indications précieuses sur la composition et le mandat du CSJP, la nomination et l'inamovibilité des juges et des procureurs, ainsi que leur responsabilité disciplinaire.
74. En particulier, le système de nomination et de promotion des juges nécessite une attention particulière. Dans son rapport d’évaluation sur la Bosnie-Herzégovine 
			(47) 
			Greco
Eval IV Rep (2015) 2F, paragraphes 94 et suivants., le GRECO a souligné sa superficialité, son manque de transparence et sa vulnérabilité aux liens personnels et politiques. Le critère de l’appartenance ethnique, qui est pris en compte dans la nomination des candidats à des fonctions judiciaires, complique le processus, et il est largement reconnu qu’il prime sur les compétences professionnelles dans certaines décisions de nomination.
75. La réforme proposée du CSJP contient des dispositions sur la procédure de nomination et les critères d'éligibilité. Le projet prévoit que le mandat du CSJP en matière de nominations judiciaires sera exécuté dans le respect de l'égalité de genre et de la représentation équitable des peuples constituants. Dans la pratique, pour appliquer le critère d’appartenance ethnique, le CSJP choisit de transposer la proportion de personnes appartenant aux différents groupes ethniques dans un district, fondé sur le recensement de 1991, à la représentation de ces groupes au sein d’un tribunal. Cette solution très stricte ne découle pas nécessairement du libellé et de l’objectif de la Constitution et nuit à la qualité du système judiciaire dans la mesure où, trop souvent, ce n’est pas la personne la plus qualifiée qui est choisie. Dans son avis de juin 2024, la Commission de Venise a déclaré que «les tribunaux devraient refléter autant que possible la diversité du pays en termes de critères ethniques, de genre, linguistiques, religieux ou autres, car cette diversité renforcerait la légitimité des tribunaux et la confiance du public à leur égard. Toutefois, par principe, l'accès à la magistrature devrait, avant tout, dépendre de critères de qualification objectifs, clairement définis par la loi. La fonction de juge ne devrait pas dépendre de l'appartenance d'une personne à une communauté ethnique, ce qui conduirait en fait en premier lieu à accorder des droits spéciaux à des peuples constituants à l'exclusion des minorités ou des citoyens de Bosnie-Herzégovine (ainsi qu'à accorder des droits spéciaux à certains peuples constituants sur certaines parties du territoire de Bosnie-Herzégovine à l'exclusion d'autres peuples constituants et d'autres personnes). 
			(48) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2024)009-f'>CDL-AD(2024)009</a>, paragraphe 97.»
76. Nous invitons les autorités à incorporer les améliorations proposées par la Commission de Venise dans le projet de loi et à engager un processus de consultation inclusif, en donnant suffisamment de temps et d'opportunités à toutes les parties prenantes concernées. Ces réformes contribueraient à améliorer la qualité du système judiciaire et le service offert aux citoyens. À ce jour, les procédures judiciaires civiles sont laborieuses, complexes, formalistes et bien trop longues. La justice administrative n’est pas en mesure de protéger efficacement les droits individuels des citoyennes et des citoyens contre les décisions ou l’inaction des autorités publiques. Le système de justice pénale, quant à lui, ne parvient pas à lutter contre les formes graves de criminalité et la corruption. Aucune des quatre juridictions pénales existantes ne fonctionne correctement. La coopération entre les instances de l’État, des entités, du district et des cantons est extrêmement faible. Le manque de coordination et de coopération entre les différentes parties prenantes du système de justice pénale favorise inévitablement les dysfonctionnements graves et nuit à l’efficacité. Les enquêtes pénales sont souvent de piètre qualité. Dans certains cas, les procureurs n’entament pas de poursuites même lorsqu’il y a des preuves suffisantes pour le faire. L’absence de mise en œuvre, sans justification valable, de mesures d’enquête évidentes a été constatée, notamment dans des affaires de criminalité de haut niveau ou impliquant de «personnes de haut rang». Lors de nos entretiens avec les membres du CSJP à Sarajevo, le manque de résultats de la part des procureurs a été évoqué. Il y a trop peu de mises en accusation et celles-ci se soldent trop souvent par des acquittements.
77. Le manque de confiance de la population envers le pouvoir judiciaire est inquiétant. Selon une enquête nationale réalisée en 2023: «les citoyens considèrent encore que le pouvoir judiciaire de Bosnie-Herzégovine est affecté par de hauts niveaux de corruption, et ce sentiment a empiré dans la plupart des domaines [par rapport à 2022]. Plus de deux personnes interrogées sur cinq (42 %) estiment que la justice est extrêmement corrompue. Cette perception s’est accentuée ces dernières années et n’a jamais été aussi élevée.» 63 % des personnes interrogées mettent en doute l’impartialité des juges et des procureurs et seul un quart des sondés pense qu’ils exercent leurs fonctions de manière impartiale et dans le respect de la loi. 70 % sont d’avis que les juges et les procureurs de Bosnie-Herzégovine touchent des pots-de-vin 
			(49) 
			Enquête
nationale sur les perceptions des citoyennes et des citoyens en
Bosnie-Herzégovine 2022, (MEASURE II), rapport final, août 2023..

3.3. La lutte contre la corruption et la criminalité organisée

78. Il existe un sentiment général qu’une corruption de grande ampleur sévit dans le pays. En l'espace de dix ans (2012-2022), l'indice de perception de la corruption publié par Transparency International est passé de 42 à 34. L’avis de la population de Bosnie-Herzégovine vient conforter cette évaluation. La prévalence perçue de la corruption dans le secteur public est très élevée, 66 % de la population jugeant le phénomène «extrêmement présent». Plus de la moitié des personnes interrogées estiment que la passation de marchés publics, le pouvoir judiciaire et les inspections sont entachés d'un niveau de corruption extrêmement important 
			(50) 
			Ibid.. Pour 79 % des personnes ayant répondu, la lutte contre la corruption est inefficace et 87 % pensent que la volonté politique de s’attaquer à ce fléau fait défaut. Enfin, 60 % estiment que les citoyennes et les citoyens ne peuvent pas faire grand-chose pour contribuer à la lutte contre la corruption, quels que soient les efforts déployés.
79. En devenant membre du Conseil de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée à «renforcer la lutte contre la corruption au sein du système judiciaire, du ministère public et de la police, ainsi que dans l’administration». Elle avait adhéré plus tôt encore, en 2000, à l’Accord élargi sur le Groupe d’États contre la corruption. Elle a déjà fait l’objet de quatre cycles d’évaluation sur divers thèmes touchant à la prévention et à la lutte contre la corruption. Dans un premier temps, la Bosnie-Herzégovine a obtenu de bons résultats sur le plan de la mise en œuvre des recommandations du GRECO: lors du Premier Cycle d’Évaluation, 83,3 % des recommandations avaient été pleinement mises en œuvre. 43,7 % seulement des recommandations avaient été pleinement mises en œuvre dans le Deuxième Cycle d’Évaluation et 45,4 % dans le Troisième Cycle, confirmant une tendance à la baisse. Pour ce qui est du Quatrième Cycle d’Évaluation relatif aux parlementaires, aux juges et aux procureurs, aucune des recommandations n’a pour l’heure été pleinement mise en œuvre. Le cycle d’évaluation se poursuit et la Bosnie-Herzégovine fait l’objet d’une procédure de non-conformité depuis septembre 2020.
80. Dans son rapport d'évaluation sur la prévention de la corruption et la promotion de l'intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs, le GRECO a déploré le vide juridique en termes de politiques de prévention de la corruption en Bosnie-Herzégovine 
			(51) 
			<a href='https://rm.coe.int/cinquieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-et-promotion-/1680aa76dd'>GrecoEval5Rep(2022)8</a>.. Selon le rapport 2023 de la Commission européenne, le nombre de condamnations définitives dans des affaires de premier plan reste extrêmement faible. 
			(52) 
			SWD(2023)691, rapport
2023 sur la Bosnie-Herzégovine, page 32.
81. Depuis la formation de la nouvelle coalition gouvernementale, des mesures prometteuses ont été prises pour remédier à la situation. Une légère augmentation des affaires de corruption et de blanchiment de capitaux de premier plan a été observée en 2022 et au premier semestre 2023. Une nouvelle loi sur la prévention des conflits d’intérêts et une loi sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ont été adoptées respectivement le 8 mars 2024 et en février 2024. Un projet de loi sur la protection des données à caractère personnel, nécessaire à l’entrée en vigueur de l’accord de coopération avec Eurojust, devrait être prochainement soumis au Parlement. Une stratégie relative aux marchés publics pour la période 2024-2028 a été finalisée et est en attente d’adoption par le Conseil des ministres. En janvier 2024, la Cour de Bosnie-Herzégovine a confirmé en appel la condamnation prononcée dans l’affaire Novalić et al. pour fraude dans la passation de marchés publics. Le Premier ministre de la Fédération en exercice au moment des faits a été condamné pour abus de pouvoir et falsification de documents. Il s’agit d’une première décision de justice définitive concernant une affaire de corruption à haut niveau. Le 12 juin 2024, l'Assemblée du district de Brcko a adopté en première lecture le projet de loi sur le Bureau de la prévention et de la coordination des activités de lutte contre la corruption. Le 18 juin 2024, le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine a adopté une nouvelle stratégie de lutte contre la corruption et un plan d'action 2024-2028. Une nouvelle commission parlementaire permanente, la Commission de lutte contre la corruption, a été créée à la Chambre des représentants et a fait preuve d’une très grande activité en peu de temps.
82. Des exemples d'autres États membres du Conseil de l'Europe montrent que lorsque la volonté politique est forte et soutenue par la population, la corruption peut être vaincue et extirpée. Les progrès permis par les amendements sur la transparence et l'intégrité des élections sont une première étape nécessaire. Le Plan d'Action 2022-2025 vise à «renforcer le cadre juridique pour la prévention de la corruption, en mettant particulièrement l'accent sur le financement des partis politiques, les déclarations de patrimoine, la vérification des avoirs et des revenus des agents publics, l'éthique, l'intégrité et les conflits d'intérêts». Cette feuille de route prometteuse devrait porter ses fruits, à condition que les conditions politiques soient réunies.

4. Les droits humains

83. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié le 25 juin 2024 son rapport de 6e cycle de monitoring sur la Bosnie-Herzégovine. Tout en soulignant les progrès réalisés dans certains domaines depuis l’adoption de son précédent rapport en 2016, l’ECRI a insisté à nouveau sur la nécessité d’un changement de paradigme fondamental pour surmonter les ressentiments, la méfiance et la haine profondément enracinés qui caractérisent encore trop souvent les relations inter-ethniques dans le pays. Le rapport contient également des recommandations concernant l'égalité des LGBTI et la promotion du dialogue inter-ethnique/interreligieux.
84. Dans son cinquième avis, publié le 24 juin 2024 avec les commentaires des autorités, le Comité consultatif du Conseil de l'Europe sur la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a demandé instamment à la Bosnie-Herzégovine de remédier aux tendances alarmantes et aux difficultés persistantes auxquelles les 17 minorités nationales enregistrées du pays sont confrontées.
85. La taille de ce rapport ne permet pas de procéder à un examen complet de la situation des droits humains dans le pays; nous souhaitons simplement attirer l'attention de l'Assemblée sur certaines questions que nous considérons comme particulièrement pertinentes. Nous nous référons aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sur des cas individuels et aux rapports thématiques d'autres institutions, mécanismes de suivi et comités consultatifs spécialisés du Conseil de l'Europe.

4.1. La mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme

86. Aux termes de la Constitution: «Les droits et les libertés définis dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses Protocoles s'appliquent directement en Bosnie-Herzégovine. Ils priment tout autre droit.» Étant donné que la Cour constitutionnelle est compétente en appel sur les questions concernant la conformité d'une loi avec la Convention européenne des droits de l'homme, il est primordial que son fonctionnement ne soit pas altéré pour des motifs politiques 
			(53) 
			Voir
la section 3.1 sur la Cour constitutionnelle..
87. À l’exception notable du groupe d’affaires Sejdić et Finci, l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme par les autorités de Bosnie-Herzégovine est satisfaisante. Sur les 165 affaires transmises au Comité des Ministres pour surveillance de l’exécution, 81 % ont été closes. En ce qui concerne les affaires pendantes, la situation s’est considérablement améliorée en 2023. Dans deux affaires en attente d’exécution (l’une depuis 13 ans, l’autre depuis huit ans), les autorités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ont élaboré les projets de législation/d’amendements, qui ont été approuvés par le Gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et soumis au Parlement. Les autorités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ont réalisé d’autres avancées majeures dans un autre groupe d’affaires concernant la durée excessive des procédures judiciaires. La coopération avec le Conseil de l’Europe dans le règlement de ces affaires a été saluée. Ces évolutions positives témoignent de la nouvelle dynamique politique existant dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine à la suite des élections de 2022, et la possibilité de mener de réformes.

4.2. Les médias et la liberté d’expression

88. Poursuivre les réformes dans le domaine des médias de façon à garantir la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes est un des engagements spécifiques souscrits par la Bosnie‑Herzégovine lorsqu’elle a adhéré au Conseil de l’Europe. Dans sa Résolution 2201(2018), l’Assemblée a appelé les autorités de Bosnie-Herzégovine à adopter une législation visant à assurer la transparence de la propriété des médias et «à mener à bien la mise en place d’un système unifié de radiodiffusion de service public, géré au niveau de l’État, à créer la société des services publics de radiodiffusion et à adopter une législation garantissant un financement permanent des trois radiodiffuseurs publics».
89. Le marché des médias en Bosnie-Herzégovine est fragmenté, mais il n'y a pas de véritable pluralisme 
			(54) 
			Pour une évaluation
claire et complète de la situation des médias en Bosnie-Herzégovine,
voir le rapport de Media Freedom Rapid Response, «Bosnia and Herzegovina:
Media freedom in survival mode», 25 janvier 2024.. Le pays compte un grand nombre de médias privés, mais leur dépendance excessive à l’égard des financements publics permet des pressions de la part d’intérêts particuliers. La Commissaire aux droits de l’homme a estimé que «le faible niveau de confiance dans les médias, le développement insuffisant de l’éducation aux médias et la présence limitée d’un journalisme critique et indépendant rendent la région particulièrement vulnérable à la désinformation, (…) cette désinformation a pour but de saper la confiance du public dans les institutions démocratiques, d’accentuer la polarisation et les clivages ethniques (…)» 
			(55) 
				Rapport de la Commissaire
aux droits de l’homme, «Confronter le passé pour un avenir meilleur»
(en cours de traduction), «Dealing with the Past for a Better Future
- Resolute efforts on dealing with the violent past are required
in the region of the former Yugoslavia», page 65.. Selon l’ECRI, le discours de haine est devenu monnaie courante dans les médias, ces derniers restant fortement instrumentalisés par les élites politiques qui tiennent ce genre de propos. Dans son rapport final sur les élections de 2022, le BIDDH/OSCE a conclu que la couverture de la campagne avait été considérablement limitée et n'avait fourni aux électeurs que des informations partielles qui avaient réduit leur possibilité de faire un choix éclairé 
			(56) 
			BIDDH/OSCE,
	«<a href='www.osce.org/files/f/documents/0/2/536993_0.pdf'>Bosnia
and Herzegovina general elections</a>», mission d’observation des élections, rapport final, 2 octobre
2022, page 21.. D’après le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2023, les médias opèrent en Bosnie-Herzégovine dans un environnement juridique relativement favorable, mais dans un milieu politique et économique extrêmement défavorable. Les journalistes ne se sentent pas protégés dans l’exercice de leurs activités. Par ailleurs, la liberté des médias et la qualité du journalisme varient considérablement d’une région à l’autre du pays.
90. Dans ce contexte, l’existence d’un radiodiffuseur public digne de confiance et fiable est cruciale. Cependant, le radiodiffuseur public national Radiotelevizija Bosne i Hercegovine (BHRT) connaît une situation de crise sans fin. Si le radiodiffuseur venait à s’effondrer, la Bosnie-Herzégovine serait le seul pays candidat à l’Union européenne à ne pas disposer d’un radiodiffuseur public opérationnel. Les conséquences sur le paysage médiatique et l’accès du public à l’information seraient considérables.
91. Jusqu'à présent, la non-application de la loi de 2005 sur le système de radiodiffusion publique a compromis l'indépendance éditoriale de ce système et érodé davantage la confiance dans sa capacité à fournir des informations impartiales et objectives. Nous prenons note du fait qu'un groupe de travail a été créé pour rédiger une nouvelle loi sur le système de radiodiffusion publique qui, nous l'espérons, apportera une solution à long terme à cette question.
92. La Bosnie-Herzégovine s’était dotée d’un régime juridique avancé en matière de liberté d’expression. Une analyse des procès civils en matière de diffamation a montré que les tribunaux appliquaient les normes établies dans la Convention européenne des droits de l’homme de manière plus cohérente 
			(57) 
			Voir: Dejan Lucka, <a href='https://bhnovinari.ba/wp-content/uploads/2024/03/BHJA-Analysis-of-Specific-Judgments-Relating-to-Defamation-by-Dejan-Lucka.pdf'>Analysis</a> of specific judgments relating to defamation in civil
lawsuits in Bosnia and Herzegovina, with an overview of defamation
criminalization in the Republika Srpska, BH Journalist Association,
2023.. Cependant, les deux entités ont pris récemment des initiatives qui sont une source d’inquiétude.
93. Les pressions politiques, les intimidations et les menaces à l’encontre des journalistes suscitent de sérieuses préoccupations. Le climat politique polarisé, les agressions verbales constantes et la rhétorique nationaliste ont créé un environnement hostile, qui entrave la liberté des médias. En 2022, Safe Journalists, le réseau régional d’organisations de journalistes, a recensé 31 agressions envers des journalistes. Vingt-neuf entraient dans la catégorie des menaces et des pressions exercées sur des journalistes et des médias, et deux dans celle des agressions physiques à l’encontre de journalistes. La tendance observée en 2023 reste inquiétante. En effet, selon l’Association des journalistes de Bosnie-Herzégovine, seuls 25 % de ces affaires ont fait l’objet d’une enquête. Les taux de poursuite sont faibles, ce qui contribue à instaurer un climat d’impunité pour les agressions commises à l’encontre de journalistes. La formation sur le traitement de ce type d’affaires, récemment dispensée aux policiers, constitue une avancée positive, mais elle doit encore se traduire par des enquêtes plus approfondies et des condamnations.
94. Le Conseil de l'Europe soutient les actions qui s’efforcent d’améliorer la capacité des professionnels du droit sur des sujets tels que la diffamation, le discours de haine, la protection des lanceurs d'alerte, et à interpréter et mettre en œuvre l'article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Un soutien a également été fourni pour renforcer le cadre institutionnel et politique de la réglementation, de l'autorégulation et de la corégulation dans le but d'améliorer le fonctionnement des médias et la confiance dans ce secteur. Ces initiatives devraient contribuer à améliorer la mise en œuvre de la législation existante, mais cela passe par le renforcement du cadre juridique lui-même. L’appel lancé par l'Assemblée à adopter une législation pour assurer la transparence de la propriété des médias n'a pas encore été pris en compte.
95. Une loi adoptée en juillet 2023 par l’Assemblée nationale de Republika Srpska a érigé la diffamation en infraction pénale. Au même titre que toutes les autres mesures restrictives, les lois relatives à la diffamation doivent prévoir des sanctions proportionnées au préjudice causé à la réputation. Cette législation peut être brandie comme une menace à l’encontre des journalistes, qui pourraient être entraînés dans des procédures longues et coûteuses, afin d’étouffer les voix indépendantes. En décembre 2023, 30 enquêtes pénales avaient déjà été ouvertes en Republika Srpska dans des affaires de diffamation, dont au moins une à l’encontre d’un blogueur.
96. Dans le canton de Sarajevo, un projet de loi prévoit l’imposition de lourdes amendes pour la diffusion de «fausses nouvelles», qui s’appliqueraient à la fois aux citoyennes et citoyens ordinaires et aux personnes morales, y compris aux médias. S’il venait à être adopté, ce projet de loi accorderait à la police des pouvoirs sans limite lui permettant d’apprécier la véracité des expressions libres, y compris des reportages des médias. La crainte de poursuites judiciaires pourrait inciter les journalistes à pratiquer l’autocensure et restreindre l’espace réservé au débat sur des questions d’intérêt public.
97. La Cour européenne des droits de l’homme a indiqué clairement que l’octroi de dommages-intérêts déraisonnablement élevés peut avoir un effet dissuasif en matière de liberté d’expression. Des garanties adéquates doivent donc être mises en place au niveau national pour éviter que des dommages-intérêts disproportionnés soient accordés. La Cour a aussi souligné que les États sont tenus de créer un environnement favorable à la participation au débat public de toutes les personnes concernées, leur permettant d’exprimer sans crainte leurs opinions et idées. Les États membres ont l’obligation positive de garantir la jouissance des droits consacrés par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme: ils doivent non seulement se garder de toute ingérence dans la liberté d’expression, mais ils ont aussi l’obligation positive de protéger le droit à la liberté d’expression contre toute atteinte, y compris de la part de personnes privées.

4.3. Le discours de haine et la négation de génocide

98. En Bosnie-Herzégovine, les propos discriminatoires et les discours de haine sont très répandus et entraînent des conséquences désastreuses sur les relations interethniques. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a par exemple condamné les provocations incitant à la haine à Srebrenica, Višegrad et Bratunac en 2020, et regretté l’absence de réaction de la part des autorités locales. La mission de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine, dans son infographie «Hate monitor» de mars 2022, a fait état d’une forte augmentation du nombre de crimes de haine fondés sur l’appartenance ethnique ou la religion, avec 60 cas enregistrés rien qu’entre janvier et mars 2022.
99. En 2024, l’ECRI a confirmé que le discours de haine raciste en Bosnie-Herzégovine continuait d’émaner principalement de personnes appartenant aux trois grands groupes ethniques (les peuples constituants) et de cibler ces trois mêmes groupes. En 2017 déjà, l’ECRI estimait que «les propos haineux continuent d’émailler le discours des hommes politiques en campagne, soucieux de s’assurer le ralliement des électeurs de leurs groupes ethniques respectifs autour d’un discours ethno-nationaliste. Ils font souvent des allusions déplacées aux événements survenus pendant la guerre pour raviver les rancœurs entre groupes ethniques» 
			(58) 
			CRI(2017)2,
troisième rapport de l’ECRI sur la Bosnie-Herzégovine (cinquième
cycle de monitoring), février 2017, page 14..
100. L’ECRI a recommandé aux autorités d’élaborer une stratégie globale de lutte contre le discours de haine, qui devrait notamment prévoir: un mécanisme proactif de suivi du discours de haine; une extension du mandat de la Commission électorale centrale de manière à ce qu’elle puisse exercer une surveillance du discours de haine pendant toute la durée des campagnes électorales ainsi qu’une implication accrue des autorités dans le lancement et la conduite de campagnes contre le discours de haine, en vue notamment d’encourager la condamnation publique et les contre-discours par les représentants et responsables politiques.
101. Un aspect particulier des discours de haine est lié à la négation du génocide et des crimes de guerre commis pendant les guerres en Bosnie. En juillet 2021, des amendements au Code pénal de Bosnie-Herzégovine ont introduit des peines d'emprisonnement pour l'incitation à la violence et à la haine et pour: «l'apologie, la négation ou la banalisation grossière des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre ou tenter de les justifier [...] lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe.» Cependant, le Président de la Republika Srpska de cette époque avait peu après décrété que cette loi ne serait pas appliquée dans cette entité. Le Haut Représentant avait ensuite rappelé que la Constitution de Bosnie-Herzégovine ne permettait pas aux autorités des entités de prendre une telle décision.
102. Pour l’heure, personne n’a encore été condamné en application de la nouvelle loi, malgré les nombreux cas de négationnisme survenus depuis son adoption. Dans le rapport 2022 sur le déni du génocide de Srebrenica publié par le Mémorial de Srebrenica-Potočari, il a été constaté que le déni du génocide de Srebrenica et la glorification des crimes et des criminels de guerre restent omniprésents en Bosnie-Herzégovine et dans la région, et que la prévalence de ces pratiques a en fait augmenté par rapport à la période de référence 2020-2021 
			(59) 
			Srebrenica genocide
denial report 2022, Srebrenica Memorial Center, page 6. <a href='http://www.srebrenicamemorial.org/'>www.srebrenicamemorial.org</a>.
103. Le 2 avril 2024, lors d’un événement public à Banja Luka, le président de la Republika Srpska a annoncé que l’assemblée de l’entité allait adopter un rapport selon lequel «il n’y a pas eu de génocide dans la région de Srebrenica». Le 18 avril 2024, l’Assemblée nationale de la Republika Srpska a adopté des conclusions selon lesquelles «[l]e terme génocide pour Srebrenica est incorrect. Cette qualification ne peut être acceptée et l'Assemblée nationale de la Republika Srpska la rejette définitivement» 
			(60) 
			Dans
un discours prononcé le même jour lors d'un rassemblement contre
l'adoption de la résolution de l'ONU sur Srebrenica, le Président
de la Republika Srpska a admis que l’intervention de l'armée de
la Republika Srpska à Srebrenica en juillet 1995 était une erreur
criminelle, et il a exprimé ses condoléances à toutes les victimes
au nom de la Republika Srpska. Il a en même temps ajouté qu’à son
avis, selon la définition du droit international, les actes commis
ne devraient pas être qualifiés de génocide.. Dans une déclaration sur ce sujet, la Commissaire aux droits de l'homme a noté: «Qu'un génocide ait été commis à Srebrenica n'est pas une question d'opinion, c'est un fait historique, légalement établi par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, la Cour internationale de justice et les tribunaux nationaux» 
			(61) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/high-time-to-recognise-11-july-as-an-official-international-day-of-remembrance-of-the-victims-of-the-srebrenica-genocide'>Déclaration</a> de la Commissaire aux droits de l’homme du 10 juillet
2023..
104. Le 23 mai 2024, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution désignant le 11 juillet comme «Journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide commis à Srebrenica en 1995». La résolution rappelle que huit arrêts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie contiennent des verdicts de culpabilité pour le crime de génocide contre les musulmans bosniaques commis à Srebrenica en 1995, ainsi que l'arrêt de la Cour internationale de justice du 26 février 2007 dans lequel la CIJ a déterminé que les actes commis à Srebrenica constituaient des actes de génocide. La résolution réaffirme également que, en droit international, la responsabilité pénale pour crime de génocide est individuelle et ne peut être attribuée à aucun groupe ethnique, religieux ou autre, ni à aucune communauté dans son ensemble. Dans le dispositif, la résolution «condamne sans réserve toute négation de l’historicité du génocide commis à Srebrenica et invite instamment les États Membres à préserver les faits établis, notamment au moyen de leur système éducatif, en élaborant des programmes appropriés, y compris dans le cadre du devoir de mémoire, afin de prévenir le négationnisme et le révisionnisme, ainsi que la survenue de génocides à l’avenir».

4.4. L’enseignement de l'histoire

105. L'instrumentalisation de récits contradictoires montre que la réconciliation nécessite des politiques proactives sur le long terme. À cet égard, le problème de la ségrégation scolaire et de l'enseignement de l'histoire doit faire l'objet d'une attention particulière.
106. Dans son rapport de 2024, l'ECRI écrivait: «Il est évident que l’éducation jouera un rôle essentiel pour aider les générations futures à vaincre les préjugés, la rancœur et la haine, et pour bâtir une société plus tolérante et inclusive. Il semble toutefois que les élites politiques ethniques de Bosnie-Herzégovine restent attachées à des priorités bien différentes en matière d’éducation et souhaitent plutôt s’assurer que celle-ci reste un outil à leur disposition pour perpétuer des identités assez exclusives (fondées sur l’appartenance ethnique, souvent associée à la religion correspondante, à savoir l’islam, le catholicisme ou le christianisme orthodoxe). L’éducation est en l’occurrence employée pour empêcher la formation d’identités civiques plus vastes, communes et partagées, et pour perpétuer une situation dans laquelle les différents groupes ethniques se méfient les uns des autres, sont sur la défensive et leurs membres constamment incités à considérer les dirigeants de leur propre groupe comme des protecteurs et les garants de leur sécurité dans un État dont les structures sont jugées globalement faibles et dans lequel les groupes ethniques continuent d’être rivaux et ennemis.» 
			(62) 
			ECRI, <a href='https://rm.coe.int/quatrieme-rapport-de-l-ecri-sur-la-bosnie-herzegovine/1680b06620'>quatrième
rapport sur la Bosnie-Herzégovine</a> (sixième cycle de monitoring), 25 juin 2024, page 18.
107. Ces observations confirment les conclusions de la mission d'observation électorale de 2022 qui indiquent que «les principaux partis de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la HDZ B-H et le SDA, ont ciblé leur électorat traditionnel principalement selon des considérations ethniques, en défendant le besoin de sécurité et de protection. Au cours de la campagne, les deux partis ont souvent fait référence aux «guerres» passées et actuelles, aux divisions, aux «dangers» et aux «attaques» liés à l’appartenance ethnique» 
			(63) 
			BIDDH/OSCE, «<a href='www.osce.org/files/f/documents/0/2/536993_0.pdf'>Bosnia
and Herzegovina general elections</a>», mission d’observation des élections, rapport final, 2 octobre
2022, page 14..
108. Selon une étude portant sur le contenu des manuels d’histoire, ces derniers ont souvent tendance à interpréter les relations entre les groupes ethniques de Bosnie-Herzégovine comme étant irrémédiablement conflictuelles et à mettre l’accent uniquement sur les guerres en tant qu’événements les plus marquants de la région 
			(64) 
			Torsti, Pilvi, «Divergent
Stories, Converging Attitudes: A Study on the Presence of History,
History Textbooks and the Thinking of Youth in Post-War Bosnia and
Herzegovina», 2003.. D’après un sondage réalisé auprès de la population, les principaux discours clivants concernent aujourd’hui aussi bien le passé (récent ou lointain) que les questions d’actualité. Les sujets relatifs à la guerre des années 1990 sont perçus comme les principales sources de division entre les personnes d’appartenance ethnique différente en Bosnie-Herzégovine. Les questions étaient de savoir quel groupe ethnique est à l’origine du déclenchement de la guerre, quel est son caractère (agressif/libérateur/génocidaire), quel est celui dont les pertes et les souffrances ont été dûment reconnues, et qui a commis des crimes de guerre ou des actes d’héroïsme. Près de la moitié des personnes ayant répondu estiment qu’il est parfois difficile d’appréhender la guerre du point de vue des autres groupes ethniques. Les discours de division portent également sur des faits historiques plus lointains, tels que les désaccords sur la bataille de Kosovo et l’ensemble de la période ottomane, ainsi que sur des questions liées à la première et à la seconde guerre mondiale. Même certaines questions remontant à l’époque médiévale font parfois l’objet de vives controverses 
			(65) 
			Monitoring and evaluation
support Activity (MEASURE II), «Reconciliation assessment in Bosnia
and Herzegovina: Peaceful co-existence through social and behavioral
change», mai 2023..
109. Dans l’intérêt à long terme de la Bosnie-Herzégovine et de la région tout entière, nous estimons qu’il est crucial et urgent de mettre en place un tronc commun d’enseignement de l’histoire, sans gommer les différences de perceptions et d’expériences, mais en les faisant connaître et en permettant à tout un chacun de comprendre la diversité des points de vue. Le Conseil de l’Europe a établi plusieurs normes sur l’enseignement de l’histoire qui revêtent un intérêt particulier dans le contexte de la Bosnie-Herzégovine. La Recommandation CM/Rec(2011)6 du Comité des Ministres aux États membres relative au dialogue interculturel et à l’image de l’autre dans l’enseignement de l’histoire donne des orientations sur l’enseignement de l’histoire dans les situations d’après-conflit en ce qui concerne notamment les méthodes et la pédagogie, les livres d’histoire et le matériel pédagogique, l’éducation aux médias, etc. Dans son document thématique intitulé «Confronter le passé pour un avenir meilleur: vers la justice, la paix et la cohésion sociale dans la région de l’ex-Yougoslavie» 
			(66) 
			<a href='https://rm.coe.int/issue-paper-on-transitional-justice-dealing-with-the-past-for-a-better/1680ad5eb5'>https://rm.coe.int/issue-paper-on-transitional-justice-dealing-with-the-past-for-a-better/1680ad5eb5</a>., la Commissaire aux droits de l’homme propose également de nombreuses réformes envisageables pour améliorer l’enseignement de l’histoire en Bosnie-Herzégovine.
110. L’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe (OHTE) pourrait aussi apporter une aide très précieuse à cet égard. Les travaux du Conseil de l’Europe sur l’enseignement de l’histoire reposent sur la compréhension du passé, essentielle à la construction d’un avenir commun, à la promotion des démocraties européennes et au renforcement d’une citoyenneté démocratique active. L’enseignement de l’histoire basé sur la multiperspectivité, la réflexion historique et les valeurs du Conseil de l’Europe peut renforcer l’esprit critique, les compétences démocratiques et l’empathie des élèves. La mission de l’Observatoire est de promouvoir une éducation de qualité afin d’améliorer la compréhension de la culture démocratique. Il fournit un panorama précis de l’état de l’enseignement de l’histoire dans ses États membres, basé sur des données et des faits fiables sur la façon dont l’histoire est enseignée, par le biais de rapports généraux et thématiques. Nous estimons qu’il serait bénéfique à la Bosnie-Herzégovine d’adhérer à cet accord.

4.5. La ségrégation scolaire

111. En adhérant au Conseil de l’Europe, la Bosnie-Herzégovine s’est engagée à «maintenir et poursuivre la réforme dans le domaine de l’éducation, et éliminer tous les aspects de ségrégation et de discrimination fondées sur l’origine ethnique». Dans son avis concernant la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe, l’Assemblée a déclaré qu’elle considérait l’éducation «comme un des facteurs les plus importants, (...) dans le processus d’instauration de la stabilité démocratique en Bosnie-Herzégovine» 
			(67) 
			Voir l’Avis 234 (2002).. En effet, les politiques éducatives ont souvent été mises à profit pour créer ou renforcer les fractures sociales, l’intolérance et les inégalités, ou pour éliminer les espaces propices au développement d’une citoyenneté critique 
			(68) 
			UNICEF/ICTJ, «Education
and Transitional Justice–Opportunities and Challenges for Peacebuilding»,
2015, page 4.. Dans sa dernière résolution sur le respect des obligations et engagements de la Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée a appelé les autorités «à prendre en priorité toutes les mesures nécessaires pour honorer l’engagement souscrit lors de l’adhésion de mettre fin à la ségrégation et à l’assimilation dans l’éducation».
112. Malgré les obligations légales et les engagements pris dans le passé en faveur d’une éducation intégrée, les écoles publiques de Bosnie-Herzégovine ne sont toujours pas organisées comme des établissements multiculturels, plurilingues, ouverts et inclusifs pour l’intégration de tous les enfants. La ségrégation ethnique, reposant sur une conception politisée de l’éducation en langue maternelle, persiste. En 2024, il reste encore plus d’une cinquantaine d’exemples du système des «deux écoles sous un même toit», dans lequel les enfants font l’objet d’une ségrégation fondée sur leur appartenance ethnique L’exemple du district autonome de Brčko montre qu’il est possible de mettre en place une éducation intégrée.
113. Dans son rapport de 2024, l’ECRI réitère sa recommandation, à titre prioritaire, de mettre un terme à toute forme de ségrégation dans les établissements scolaires, que ce soit le système de «deux écoles sous un toit» dans les cantons de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, ou les environnements scolaires non inclusifs en Republika Srpska.