1. Introduction
1. Un rapport de 2023 de la Banque
mondiale intitulé «Les Femmes, l’Entreprise et le Droit»

indique que les
femmes ne jouissent en moyenne que d’à peine 77 % des droits juridiques
reconnus aux hommes. Près de 2,4 milliards de femmes dans le monde
ne bénéficient pas des mêmes droits économiques que les hommes,
une situation exacerbée dans le contexte actuel de difficultés économiques
croissantes, où les tensions géopolitiques et la fragmentation du
commerce mondial menacent d’anéantir des décennies de progrès pour
l’empouvoirement économique des femmes

.
2. Comme beaucoup d’autres spécialistes des questions économiques,
la Banque européenne d’investissement a clairement souligné les
occasions manquées pour l’ensemble de la société face à cette incapacité
de longue date à mettre pleinement à profit les aptitudes et les
capacités des femmes, par exemple dans le domaine crucial du changement
climatique: «L’influence économique des femmes, qui contrôlent ou orientent
de manière significative 85 % des dépenses de consommation, souligne
le vaste potentiel de croissance que recèle l’adoption de stratégies
tenant compte de la dimension de genre. Les femmes possèdent également
des connaissances uniques et des approches novatrices qui peuvent
fortement contribuer aux efforts de résilience face aux changements
climatiques et d’atténuation de leurs effets»

.
3. Malgré tous les avis et conclusions d’expert·es et les constats
les plus évidents, les retombées et les impacts négatifs encore
persistants des crises récentes, notamment la pandémie mondiale
de covid-19 et les conséquences économiques des conflits en Europe
et hors d’Europe, ont montré la fragilité des progrès vers l’égalité
entre les femmes et les hommes, et que beaucoup reste à faire. Cela
est particulièrement criant en ce qui concerne le déséquilibre qui
perdure dans le partage des responsabilités en matière de soins,
encore assumées principalement par les femmes, tant au foyer qu’en
institution, et le manque de reconnaissance financière pour ce type
de travail. Ainsi, outre la lenteur des progrès, il existe un risque
réel de retour en arrière, surtout dans le contexte actuel. Les
femmes sont confrontées à des discriminations tout au long de leur
vie, où qu’elles vivent et quelle que soit leur position sociale.
Dans l’économie, cette discrimination se traduit par des écarts
persistants de rémunération et de retraite. Le temps consacré aux
rôles liés aux soins implique des carrières plus courtes et les
emplois dans le domaine des soins ne sont absolument pas reconnus
à leur juste valeur.
2. Travaux de l’Assemblée parlementaire
sur l’empouvoirement économique des femmes et portée du rapport
4. L’Assemblée a abordé pour la
dernière fois le sujet de la place des femmes dans l’économie en
2018, avec un rapport intitulé «L’autonomisation des femmes dans
l’économie» qui a donné lieu à la Résolution 2235 (2018). La rapporteure,
Mme Elena Centemero (Italie, PPE/DC),
avait identifié les principaux domaines nécessitant une action (écarts
de rémunération entre les femmes et les hommes avec pour conséquence
des écarts de retraite, difficultés dans l’accès à l’emploi, progression
de carrière plus lente, segmentation en fonction du genre, plafonds
de verre) et avait souligné le fait que «l’égalité entre les femmes et
les hommes dans l’économie conditionne les progrès dans d’autres
domaines, dont la vie publique et politique», affirmation avec laquelle
je suis entièrement d’accord.
5. En 2022, un questionnaire a été adressé aux parlements nationaux
via le Centre européen de recherche et de documentation parlementaire
(CERDP) sur la législation et les politiques nationales soutenant l’empouvoirement
économique des femmes, en mettant l’accent sur les femmes dans leurs
différents rôles dans l’économie, en tant qu’employées ou travailleuses
indépendantes, entrepreneuses ou dirigeantes. L’objectif principal
de l’enquête était d’avoir un aperçu des mesures existantes qui
se sont avérées efficaces ou qui ont un impact positif sur l’empouvoirement
économique des femmes, dans un contexte où les niveaux d’égalité
entre les femmes et les hommes varient considérablement selon les
États membres du Conseil de l’Europe

.
6. Les plus de 30 réponses reçues rendent compte d’un grand nombre
de politiques et de pratiques. Une première conclusion à en tirer
est que si toutes les mesures mises en évidence avaient été mises
en œuvre, les femmes seraient sur un pied d’égalité économique depuis
de nombreuses années! Il en ressort également que de nombreux pays
ont introduit une forme de budgétisation sensible au genre dans
leurs processus, et pour certains, depuis longtemps déjà. Une autre
évolution récente et très positive a été l’extension du congé parental
pour les deux parents, permettant aux femmes d’assurer une meilleure
continuité dans l’emploi. Les réponses détaillées contiennent également
des informations précieuses sur les mécanismes conçus pour introduire
l’égalité salariale et la transparence des rémunérations, ainsi
que sur la manière dont les femmes issues de milieux intersectionnels,
en particulier les minorités nationales ou autres, sont prises en
compte. Des financements pour des microprojets et des start-up dirigés
par des femmes, ainsi que des incitations pour la participation
des femmes aux conseils d’administration font également partie des
mesures fréquemment signalées.
7. Le 15 septembre 2023, la commission sur l'égalité et la non-discrimination
a tenu un échange de vues avec Mme Valérie Frey,
économiste principale à la Division de la politique sociale de la
Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a fourni
un aperçu très utile de la situation dans les États membres de l’OCDE
– largement reflétée dans ceux du Conseil de l’Europe.
8. J’ai fait partie de la sous-commission ad
hoc de la Commission sur l’égalité et la non-discrimination
qui a participé à la session annuelle de la Commission de la condition
de la femme de l’ONU Femmes à New York du 11 au 13 mars 2024 (CSW68).
Le thème, «Accélérer la réalisation de l’égalité entre les hommes
et les femmes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles
en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et
le financement dans une perspective d’égalité entre les hommes et
les femmes» était très pertinent pour ce rapport: j’ai eu l’occasion
de prendre la parole lors de l’événement parallèle intitulé «Les parlementaires,
moteurs de l’empouvoirement des femmes».
9. Les 14 et 15 mai 2024, j’ai effectué une visite d’information
à Londres, où j’ai rencontré des parlementaires, des responsables
gouvernementaux chargés des questions d’égalité, des universitaires
et des représentant·es de la société civile travaillant pour la
participation des femmes dans l’économie. Je saisis cette occasion
pour remercier le secrétariat de la délégation du Royaume-Uni pour
son assistance précieuse dans l’organisation de ces réunions hautement
pertinentes: les informations que j’ai réunies pendant cette visite figurent
en tant qu’étude de cas au chapitre 5 du présent rapport.
10. Enfin, la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a tenu un échange de vues lors d’une réunion organisée à Tirana
le 5 juin 2024, à laquelle ont participé Mme Delina Ibrahimaj,
ministre d’État albanaise chargée de l’Entrepreneuriat, Mme Milva Ekonomi,
membre de la Commission de l’économie et des finances du Parlement albanais,
Mme Emiriana Sako, maire de Durrës, Mme Jonida Halili,
maire adjointe de Tirana, et M. Emanuel Salinas, responsable de
la Banque mondiale pour l’Albanie. Les intervenant·es ont donné
un éclairage intéressant sur la situation dans un pays où les femmes
sont parvenues à un niveau élevé d’égalité politique.
3. Les
inégalités économiques existantes entre les femmes et les hommes
et la nécessité urgente d’y remédier
11. Il est évident que l’égalité
de genre implique des droits égaux pour les femmes et les hommes
et l’égalité dans la répartition des ressources est une dimension
importante de ces droits. Les questions économiques ne font pas
partie directement de la vocation du Conseil de l’Europe, mais il
y a une conscience aigüe de l’importance de l’empouvoirement économique
des femmes, notamment dans le contexte actuel. Pour prendre un exemple,
la Stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité de genre 2024-2029
adoptée par le Comité des Ministres en mars 2024 précise dans son
introduction que «Dans un contexte de difficultés économiques croissantes
qui font suite à la pandémie de Covid-19, à la guerre d’agression
de la Russie contre l’Ukraine, à la triple crise planétaire, engendrée
par la pollution, le changement climatique et la perte de biodiversité,
à certains effets négatifs du développement technologique et numérique,
aux plans et mesures d’austérité, aux incertitudes politiques et
au creusement des inégalités à tous les niveaux de la société, il
est fondamental de s’attaquer aux aspects humains, sociaux et économiques
des inégalités de genre». Le texte poursuit en rappelant qu’«il
convient également d’accorder toute l’attention nécessaire à la
garantie ou à l’amélioration de l’indépendance économique des femmes,
y compris, en réduisant les écarts de rémunération, et de chercher à
atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne
le travail domestique et de soins non rémunéré»

.
3.1. Participation
moindre des femmes au marché du travail
12. Par conséquent, il est plus
que jamais nécessaire de lutter maintenant contre les inégalités
de genre dans l’économie et de reconnaître le potentiel significativement
plus important de la contribution des femmes, ce qui permettrait
à la fois d’arriver à une présence plus équilibrée de toute la société
dans l’économie, et d’améliorer les résultats en termes de croissance
économique en général. Un rapport de la Banque mondiale déclare
qu’«en comblant l’écart entre les sexes en matière d’emploi, le
PIB par habitant pourrait augmenter à long terme de près de 20 %
en moyenne. En outre, des études estiment entre 5 000 et 6 000 milliards
de dollars les gains économiques mondiaux qui pourraient être obtenus
si les femmes créaient et développaient de nouvelles entreprises
au même rythme que les hommes»

, ce qui illustre clairement
le fait que le plein empouvoirement économique des femmes aurait
un impact positif pour toute la société.
13. Lors de l’audition du 15 septembre 2023, Mme Valérie Frey
a confirmé que l’empouvoirement économique est d’autant plus difficile
pour les femmes dans le contexte actuel. Le dernier rapport de l’OCDE: «Agir
ensemble pour l’égalité des genres» est une analyse des progrès
accomplis dans la mise en œuvre des recommandations de l’OCDE sur
l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation, l’emploi
et l’entrepreneuriat et sur l’égalité dans la vie publique. L’étude
se veut innovante dans la mesure où elle rassemble de nombreux secteurs
de l’organisation qui n’avaient pas pour l’heure été associés au
processus. Le rapport comprend également les résultats d’enquêtes
menées auprès des pays, concernant notamment les principales entraves
à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les États membres estiment
que l’éradication des violences faites aux femmes est le principal
obstacle à lever, sans pour autant que cela ne semble conduire à
l’élaboration de politiques, vu l’absence de politique coordonnée
à leur niveau concernant notamment les soins de santé, la justice
et le logement.
14. Selon l’étude, le pourcentage de femmes actives dans les États
membres est de 58 %, contre 73 % pour les hommes. Les femmes sont
donc moins susceptibles de participer à la vie active et moins à
même de pouvoir effectuer les heures de travail standards, sachant
que leur durée de travail hebdomadaire est inférieure de cinq heures
à celle des hommes (en raison des tâches domestiques et des responsabilités
familiales). Le creusement de l’écart pendant les années consacrées
aux jeunes enfants en est la preuve évidente. Seul un tiers des
postes de direction sont occupés par des femmes.
3.2. L’impact
négatif de l’intersectionnalité
15. En 2015, les Nations Unies
ont adopté leur Programme de développement durable à l’horizon 2030,
qui comporte 17 objectifs de développement durable (ODD), dans lesquels
elles s’engagent à garantir que «personne ne sera laissé pour compte»
et à «s’efforcer d’atteindre en premier les plus défavorisés». L’ODD n°8
concerne le travail décent et la croissance économique, et les femmes
sont désignées comme cibles de discrimination sur le lieu de travail.
Malgré les lois anti-discrimination, les individus issus de groupes
divers continuent d'être confrontés à des discriminations structurelles
et à des obstacles pour accéder et rester sur le marché du travail,
et les femmes sont proportionnellement plus touchées. Certaines
femmes sont structurellement sous-représentées sur le marché du
travail, souvent en raison de l’interaction du genre et des conditions
supplémentaires de vulnérabilité ou de marginalisation, telles que
l’appartenance à une minorité ethnique ou religieuse ou le fait
d’être issu de l’immigration

.
16. Les femmes constituent un groupe hétérogène et peuvent être
confrontées à des discriminations intersectionnelles et multiples
fondées sur plusieurs caractéristiques personnelles. Par exemple,
le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) aborde
la question souvent négligée de la discrimination à l’égard des
femmes musulmanes sur le marché du travail, en documentant l’impact
disproportionné du racisme antimusulman sur les femmes musulmanes

. Des recherches mentionnées
par le CDH ont révélé que les femmes musulmanes ont trois fois plus
de risques d’être au chômage que les femmes en général en Europe, en
raison d’une «triple pénalité» qui affecte leurs perspectives d’emploi:
être une femme, appartenir à un groupe ethnique minoritaire et être
musulmane

.
Ces conclusions sont renforcées par des témoignages de femmes musulmanes
licenciées de leur emploi parce qu’elles refusaient d’enlever leur
foulard.
17. Il est donc essentiel que les États membres du Conseil de
l’Europe élaborent et mettent en œuvre des lois et des politiques
pour lutter contre les diverses formes de discrimination et d’inégalité
qui recoupent et aggravent les inégalités entre les genres dans
l’économie. Les politiques d’égalité de genre sur le marché du travail
devraient répondre aux besoins spécifiques et aux défis uniques
des femmes et des filles issues de groupes divers et de milieux
défavorisés, notamment les mères célibataires, les femmes enceintes,
les femmes handicapées, les femmes issues de groupes minoritaires
et les femmes des zones rurales, afin de garantir leur égalité d’accès
aux opportunités économiques. Des mesures fortes et efficaces sont
nécessaires pour réformer et renforcer l’application des lois anti-discrimination
et sanctionner le racisme et toutes les formes d’intolérance et
de discrimination qui affectent la participation économique des
femmes.
18. L’intersectionnalité peut également être à l’origine de nouvelles
formes de discrimination, comme l’a examiné la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dans une étude intitulée «Discrimination,
intelligence artificielle et décisions algorithmiques». Selon les
auteurs, «Dans le secteur public, l’IA [intelligence artificielle]
peut par exemple être utilisée dans la prévention policière (police
prédictive) ou dans les décisions de versement de pensions, d’aides
au logement ou d’allocations de chômage. Dans le privé, elle peut
servir par exemple à sélectionner des candidats à un emploi. Les
banques peuvent l’utiliser pour accorder ou non un crédit à un consommateur
et fixer le taux d’intérêt correspondant»

.
L'étude formule des recommandations sur la manière de lutter contre
la discrimination causée par l'IA et les systèmes de prise de décision
automatisée grâce à des outils tels que la protection des données
et la réglementation sectorielle dans le droit du travail.
3.3. Écarts
salariaux et progression de carrière inégale
19. Les écarts salariaux entre
les femmes et les hommes persistent également dans les pays de l’OCDE: les
femmes qui travaillent à temps plein gagnent 12 % de moins que les
hommes contre 19 % en 1995 (l’écart est encore plus important pour
le travail à temps partiel). Quatre raisons principales expliquent
ces écarts: le travail non rémunéré, la discrimination, la ségrégation
verticale et la ségrégation horizontale liée au genre (secteurs
d’emploi). Bien que les filles obtiennent de meilleurs résultats
que les garçons en mathématiques à l’école, elles restent minoritaires
dans les emplois liés aux mathématiques. Et les garçons sont encore
moins nombreux à occuper des emplois «féminins».
20. L’entreprise de recherche américaine McInsey a publié en 2023
une étude intéressante sur les tendances actuelles en matière de
progression économique des femmes

,
qui contredit certaines idées reçues telles que le «plafond de verre»
qui empêcherait les femmes d’accéder à des postes de direction.
Selon cette étude, ce phénomène a pu être une réalité dans le passé,
mais d’après les expériences partagées notamment lors d’entretiens,
l’obstacle le plus difficile à franchir est le premier pas – ce
que les auteurs appellent «l’échelon brisé», c’est-à-dire le tout
premier échelon à gravir vers un poste de direction. Ce
constat est d’autant plus manifeste lorsque les femmes sont issues
de milieux intersectionnels.
21. L’Indice d’égalité de genre de l’Institut européen pour l’égalité
entre les hommes et les femmes (EIGE) identifie les marqueurs de
l’égalité pour lesquels les progrès les plus importants ont été
observés, et d’autres pour lesquels il y a eu peu ou pas d’amélioration,
voire une régression. Selon l’Indice pour 2023, les inégalités entre
les femmes et les hommes sont les plus prononcées dans le domaine
du «pouvoir», malgré des améliorations récentes, avec des reculs
constatés dans huit pays par rapport à la dernière enquête. La prise de
décision économique, l’une des subdivisions de cette catégorie,
arrive au deuxième niveau le plus bas de l’Union européenne, bien
qu’avec une légère amélioration depuis 2020. Le domaine de «l’argent»
(ressources financières et situation économique des femmes et des
hommes) se classe en deuxième place en termes d’égalité dans l’indice,
mais un recul des situations économiques est observé depuis 2020
en raison de la pandémie de covid-19, indiquant également des conséquences
potentiellement durables sur les inégalités de genre en termes de
revenus, dans la mesure où les ressources financières des femmes
n’ont pas augmenté.
3.4. Liens
entre la violence fondée sur le genre et la participation égale
des femmes à l’économie
22. L’étude McInsey précitée met
en évidence la présence sur le lieu de travail d’une violence fondée
sur le genre et dirigée contre les femmes sous la forme de «microagressions».
Bien souvent, ces microagressions n’ont pas été prises en compte
dans les politiques et les mesures visant à garantir l’égalité.
Pourtant, elles contribuent à dissuader les femmes de progresser
professionnellement ou les inciter à changer d’attitude au travail
afin de se conformer davantage aux normes perçues ou de reproduire
le même mode d’interaction. Elles ont, ainsi, un impact considérable
sur leur carrière.
23. Selon l’étude McInsey, les femmes sont 1,5 à 2 fois plus susceptibles
de subir une microagression que les hommes. Ces microagressions
peuvent se manifester sous diverses formes: le fait d’être confondues
avec quelqu’un d’autre – de la même race ou de la même couleur,
ou similaire, voire du même sexe, ou ayant le même type de cheveux,
par exemple – ou encore des responsables qui ne soutiennent pas
ou ne défendent pas le travail d’un membre féminin de l’équipe.
Prises individuellement, ces petites humiliations peuvent passer «sous
le radar» et ne pas être considérées comme des comportements qualifiés
de violents ou agressifs. Mais lorsqu’elles se traduisent par une
multiplication de microagressions au quotidien, les femmes sont
3,3 fois plus susceptibles d’envisager de quitter leur emploi et
4,2 fois plus de souffrir d’épuisement professionnel.
24. Les préjugés de genre inconscients constituent un autre obstacle
pour les femmes, notamment en termes de recrutement, et peuvent
également être considérés comme une forme d’agression ou de violence à
leur égard. La formulation des descriptions de poste, l’évaluation
des candidat·es et les sélections finales sont encore sujettes à
ces préjugés, qui entraînent chez les femmes des idées préconçues,
conscientes ou inconscientes, selon lesquelles elles seraient moins
compétentes pour occuper des postes techniques ou de direction.
Les termes masculins employés dans les annonces d’emploi, tels que
«assertif» et «dominant», peuvent également dissuader les femmes
de postuler, par exemple.
25. L’article 1 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (STCE No. 210) stipule que celle-ci a pour
buts, entre autres, «de protéger les femmes contre toutes les formes
de violence», et «de contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité réelle entre les
femmes et les hommes, y compris par l’autonomisation des femmes».
La législation et les politiques visant à prévenir la violence et
à protéger les femmes contre ce phénomène devraient davantage tenir
compte de ses manifestations sur le lieu de travail et reconnaître
la nécessité d’en surveiller attentivement les effets.
4. La
budgétisation sensible au genre: un outil efficace pour promouvoir
l’égalité de genre et encourager un développement et une croissance
économiques inclusifs
26. Les budgets sont l’un des instruments
politiques les plus puissants dont dispose un gouvernement; ils déterminent
tous les niveaux de revenus et d’emploi d’un pays tout en révélant
ses priorités politiques. Bien que les chiffres figurant dans les
documents budgétaires puissent sembler neutres en termes de genre,
les recherches montrent que les modèles de dépenses et la génération
de revenus affectent les femmes et les filles différemment des hommes
et des garçons, désavantageant souvent les premières. Cette disparité
résulte des rôles socialement définis des femmes et des hommes,
de la division du travail selon le genre, des responsabilités et
des capacités variables et des défis spécifiques auxquels chaque
groupe est confronté. En conséquence, les femmes se retrouvent souvent
dans une position moins favorable que les hommes, avec un pouvoir
économique, social et politique réduit.
27. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus
budgétaire, également appelée budgétisation sensible au genre

,
est un outil utile pour promouvoir le changement social, l’égalité
de genre et l’empouvoirement des femmes. Mise au point à l’origine
en Australie dans les années 1980

,
cette approche de la budgétisation a depuis lors été reproduite
dans plus de 100 pays à travers le monde

.
Elle a ensuite pris un nouvel élan dans les années 1990, grâce au
«Programme d’action de Beijing» de 1995 des Nations Unies, qui recommandait
que les besoins des femmes soient plus sérieusement pris en compte
dans l’élaboration des programmes et des politiques économiques

.
4.1. Qu’est
ce que la budgétisation sensible au genre?
28. La budgétisation sensible au
genre est une approche politique qui vise à intégrer une perspective
de genre dans le processus d’élaboration des politiques, garantissant
ainsi que les budgets, les politiques et les programmes gouvernementaux
accordent une attention particulière aux besoins et aux priorités
des femmes. En d’autres termes, comme le Conseil de l’Europe l’a
souligné dès 2005

, la BSG est une application
de l’approche intégrée de l’égalité de genre dans le processus budgétaire.
Cela implique une évaluation des budgets existants avec une perspective
de genre et l’intégration d’une telle perspective à tous les niveaux
du processus de budgétisation et de planification.
29. L’EIGE définit la BSG comme une stratégie visant à atteindre
l’égalité entre les femmes et les hommes par la collecte et l’affectation
appropriées des ressources publiques et souligne qu’elle a un triple
objectif: promouvoir la responsabilité et la transparence dans la
planification financière; accroître la participation sensible au
genre dans le processus budgétaire, par exemple en prenant des mesures
pour associer les femmes et les hommes sur un pied d’égalité à la
préparation du budget; et faire progresser l’égalité de genre et
les droits de la femme. D’après une autre définition d’ONU Femmes,
la BSG aide à promouvoir des politiques sensibles au genre et à
mieux répartir les ressources publiques, en veillant à ce que leur
allocation soit effectuée de manière efficace et contribue à faire
progresser l’égalité de genre et l’empouvoirement des femmes.
30. La BSG cherche à intégrer les considérations de genre dans
les processus financiers publics. Cette approche aboutit à la création
de budgets sensibles au genre. Il ne s’agit pas de budgets spécifiques
pour les femmes, mais plutôt de budgets inclusifs qui sont conçus,
approuvés, mis en œuvre, suivis et audités en tenant compte des
différences entre les femmes et les hommes.
31. Une approche de la BSG devrait être adoptée au niveau de l’administration
centrale, mais aussi aux niveaux régional et local. En effet, non
seulement les collectivités locales et régionales contribuent à
la mise en œuvre des priorités fixées par le niveau central, mais
elles ont également une connaissance directe de la situation des
femmes et des hommes au niveau local et ont la capacité de déceler
et de corriger les inégalités.
32. La conception et la mise en œuvre des politiques de la BSG
doivent respecter certains principes

,
le premier étant la responsabilité des gouvernements. En tant que
mécanisme permettant de savoir si les engagements d’un gouvernement
en matière d’égalité de genre se traduisent par des engagements budgétaires

,
la BSG tend à rendre les gouvernements responsables de leurs engagements
en matière de politique d’égalité entre les femmes et les hommes.
Le deuxième principe critique est celui de la transparence, obtenue
en augmentant la participation des femmes et des hommes au processus
budgétaire.
33. L’approche de la BSG repose aussi sur la performance et l’orientation
des résultats, ainsi que sur l’efficacité. Cette approche de la
budgétisation permet de mieux évaluer les effets redistributifs
et l’incidence des dépenses sur les femmes et les hommes. Elle livre
ainsi des données précieuses et offre une base solide pour un processus
décisionnel fondé sur des données probantes. Si certains objectifs
peuvent nécessiter des ressources supplémentaires, dans certains
cas, il ne s’agit pas simplement d’augmenter les fonds, mais de réaffecter
les ressources à des activités différentes ou d’améliorer la coordination
entre les secteurs. La mise en œuvre de la BSG permet donc d’améliorer
l’efficacité des dépenses publiques grâce à l’analyse de genre.
34. La BSG est un outil de suivi pertinent car elle permet de
suivre l’affectation des ressources, d’identifier les problèmes
de mise en œuvre et d’évaluer l’efficacité des politiques dans la
lutte contre les inégalités fondées sur le genre. En outre, elle
offre un cadre permettant d’associer d’autres parties prenantes
et la société civile au processus d’élaboration de nouvelles politiques
et d’adoption de nouvelles mesures visant à améliorer la prise en
compte du genre dans la planification budgétaire.
35. En outre, la BSG prend explicitement en compte le travail
de soins non rémunéré qui, partout dans le monde, est effectué principalement
par des femmes. Sinon, l’économie des soins resterait invisible
malgré son importance pour le fonctionnement de l’économie de marché.
36. La prise en compte du genre joue aujourd’hui un rôle important
dans le processus d’élaboration du budget au niveau national en
Europe

bien que son potentiel n’ait
pas encore été pleinement exploité. Certains États membres ont déjà
intégré la BSG dans leur processus d’élaboration des politiques,
que ce soit dans des domaines spécifiques ou de manière plus générale.
4.2. Des
exemples de budgétisation sensible au genre à des stades différents
de mise en œuvre
37. Un certain nombre de pays ont
inscrit le principe d’égalité, dont l’égalité de genre, dans leur
constitution. La Constitution autrichienne va plus loin, puisque
son article 13 fait spécifiquement référence à la BSG, en déclarant
que la Fédération, les États et les communes doivent s’efforcer
d’assurer l’égalité effective des femmes et des hommes dans leur
gestion budgétaire. L’article 51 mentionne aussi la réalisation
de l’égalité réelle des femmes et des hommes parmi les objectifs
de la gestion budgétaire de la Fédération. La BSG a été introduite
dans le pays dans le cadre d’une réforme budgétaire plus globale
à partir de 2007, et son inclusion dans la constitution en a fait
un principe budgétaire à tous les niveaux de l’administration. L’objectif
de l’égalité de genre figure dans tous les chapitres du budget.
Selon une étude de l'OCDE du système BSG en Autriche, l'approche
systémique globale de la BSG, conçue pour exiger que tous les ministères
prennent en compte l'égalité de genre dans la définition d'objectifs
de haut niveau et dans la spécification plus détaillée des résultats et
des objectifs, constitue une pratique internationale de premier
plan.
38. En Belgique, le parlement national a adopté en 2007 la «loi
gender mainstreaming»

,
qui exige l’intégration d’une dimension de genre dans l’ensemble
des politiques définies au niveau fédéral, y compris les politiques
budgétaires. Cette loi oblige les ministères de chaque gouvernement
à relier objectifs de genre et programmes budgétaires. Elle dispose
aussi que le budget doit être examiné au parlement aux fins d’une meilleure
intégration des mesures et des actions en faveur de l’égalité de
genre. La loi belge comporte également des dispositions relatives
à la collecte de données ventilées par genre et à l’utilisation
de ces données pour mieux évaluer l’impact différentiel des politiques
sur les femmes et les hommes par un «test genre»

.
39. L’approche de la Suède en matière de BSG s’est également révélée
constructive. Depuis 2014, le gouvernement s’est engagé à mettre
en œuvre efficacement la BSG dans le pays, conformément aux efforts déployés
précédemment pour intégrer une perspective de genre dans ses processus
et politiques budgétaires. Le «Plan pour l’intégration de la dimension
de genre 2004-2009» a introduit le principe selon lequel la BSG devait
s’inscrire dans l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes
et les hommes. Ce plan avait pour objectif d’intégrer une analyse
fondée sur le genre dans les deux principaux processus décisionnels (processus
législatif et processus budgétaire). En outre, depuis 2016, les
lignes directrices budgétaires annuelles comprennent des instructions
sur la manière d’appliquer la BSG tout au long du processus budgétaire.
En Suède aussi, la collecte de données ventilées par genre est largement
utilisée depuis 2006, ce qui a permis de définir de nouveaux indicateurs
d’égalité de genre.
40. La BSG a été introduite en Espagne en 2008 et il existe une
obligation légale de procéder à des évaluations
ex ante en matière de genre dans
toutes les réglementations gouvernementales. En outre, la région
autonome d'Andalousie pratique une mise en œuvre intéressante et
avancée de la BSG depuis 2003. Le budget régional présenté au parlement
doit contenir un rapport sur l'impact sur le genre, et la Commission sur
l'impact sur le genre (un organe de coordination interministériel
composé à parts égales de femmes et d'hommes), qui a été créée au
sein du ministère des Finances, supervise l’exécution et l’approbation
du rapport sur l’impact sur le genre

.
Le gouvernement a réalisé des progrès significatifs dans la collecte
et la gestion de données ventilées par sexe et pertinentes au genre,
au point qu'en 2015, 50 % des responsables des budgets ont été formés
à l'utilisation des données ventilées par sexe.
41. La Türkiye a réalisé des progrès significatifs en matière
de BSG ces dernières années. La commission sur l’égalité des chances
pour les femmes et les hommes du Parlement turc a créé une sous-commission
sur la BSG en 2012, qui a abouti à l’inclusion de la BSG dans tous
les programmes de développement du gouvernement central depuis 2014.
Le 12e Plan de développement de la Türkiye
(2024-2028) souligne explicitement l'importance d'intégrer une BSG
dans les pratiques de gestion des finances publiques. Les documents
d’orientation en matière de budgétisation centrale et locale soulignent
également la nécessité d’adopter des approches BSG dans les processus
de planification et de budgétisation. La BSG est l'un des critères
d'évaluation des investissements proposés dans les secteurs de l'éducation,
de la santé, de l'emploi et de l'inclusion sociale. En conséquence,
le nombre d'indicateurs sur l’empouvoirement des femmes dans les programmes
budgétaires du gouvernement central a augmenté d'année en année.
La Türkiye s'efforce de maintenir ces progrès par le «Projet sur
la mise en œuvre d'une planification et d'une budgétisation sensibles au
genre en Türkiye», gérée par ONU Femmes Türkiye en coopération avec
le ministère de la Famille et des Services sociaux et la Présidence
de la Stratégie et du Budget depuis 2020, avec l’objectif global
de renforcer davantage l’égalité de genre grâce à l’intégration
de la perspective de genre à toutes les étapes des processus d’élaboration
des politiques et de budgétisation aux niveaux national et local

.
4.3. Les
piliers de la budgétisation sensible au genre
42. Pour une conception et une
mise en œuvre efficaces et durables, les organisations internationales
telles que l'OCDE et le Conseil de l'Europe recommandent que l'approche
de la BSG repose sur les piliers suivants: dispositifs institutionnels
et stratégiques, méthodes et outils, environnement propice, redevabilité
et transparence, et impact

.
43. Les efforts de BSG nécessitent un engagement politique, un
leadership fort et une clarté des rôles et des responsabilités des
différents acteurs au sein du gouvernement pour assurer la mise
en place d’une approche pangouvernementale bien coordonnée. La BSG
est plus efficace lorsqu'elle est intégrée dans le cadre juridique,
le processus budgétaire et les documents budgétaires pertinents,
mise en oeuvre aux niveaux national, régional et local, et guidée
par une stratégie nationale d'égalité entre les femmes et les hommes
qui définit les objectifs globaux en matière de genre. L’institutionnalisation
de la BSG au moyen d’un cadre juridique solide et de dispositifs
institutionnels clairs garantit que sa pratique perdure en cas de
changements de priorités politiques et économiques.
44. Pour mettre en œuvre avec succès la BSG, il convient d’appliquer
divers outils d’analyse tout au long du processus budgétaire. La
typologie de l’OCDE classe ces outils en fonction de l’étape du
processus budgétaire à laquelle ils peuvent être utilisés et distingue
les approches de BSG en trois catégories:
ex
ante, simultanée, et
ex post 
.
45. L'approche
ex ante consiste
à analyser les nouvelles mesures budgétaires avant que le projet
de budget ne soit soumis au Parlement. Cette analyse, ainsi qu'une
évaluation des principaux écarts entre les femmes et les hommes
dans les domaines d’action politique, garantit une perspective de
genre dans l'allocation des ressources et conduit à des propositions
budgétaires conçues pour combler les écarts en matière d'égalité
de genre qui sont prioritaires. L'approche simultanée fixe des objectifs
de performance liés au genre et prend des décisions d'allocation
financière pendant la phase d'approbation du budget. Enfin, l'approche
ex post, appliquée après que le
budget a été dépensé, effectue un audit des dépenses après affectation
pour évaluer si les mesures budgétaires ont atteint leurs objectifs
prévus en matière d'amélioration de l'égalité de genre

.
46. Une approche avancée de la BSG intègre une perspective de
genre à chaque étape du cycle budgétaire de la planification et
de l’approbation à l’évaluation, en veillant à ce que divers outils
et approches de BSG soient appliqués ensemble pour restructurer
les recettes et les dépenses conformément aux conclusions des analyses,
améliorant ainsi l’efficacité de la politique budgétaire dans la
réalisation des objectifs d’égalité de genre. Recommandée pour tous
les États membres du Conseil de l’Europe, des exigences telles que
des évaluations d’impact sur le genre et d’autres outils de BSG,
la transparence des résultats et la responsabilisation permettent
de surmonter les obstacles habituels à une mise en œuvre réussie,
comme le manque de soutien politique, l’absence d’expertise technique
et de données, et les difficultés à faire participer les parties
prenantes

.
47. La BSG sera plus efficace si elle est mise en place dans un
environnement favorable. Cela comprend la formation et le développement
des capacités du personnel gouvernemental, un engagement structuré
avec la société civile et les syndicats, l’audit par des institutions
de contrôle telles que le parlement et l'institution supérieure
de contrôle des finances publiques, ainsi que la coopération et
l'échange de bonnes pratiques avec les organisations et institutions
internationales.
48. En 2022, ONU Femmes a publié le «Kit d’action – Impliquer
les parlements dans la budgétisation sensible au genre»

, ciblant les
«aux acteurs qui souhaitent construire un système efficace pour
intégrer la BSG dans le processus budgétaire annuel de l’État. Cela
comprendra les membres du Parlement, le personnel et des commissions
parlementaires, les groupes parlementaires de femmes, ainsi que
d’autres acteurs [...] qui pourraient vouloir initier et soutenir
un rôle plus important pour le Parlement et les parlementaires dans
la BSG»

. Le kit
d’action porte sur le renforcement de la capacité des parlements
de «réaliser des analyses budgétaires avec une approche sexospécifique,
ainsi que sur la participation publique et l’analyse factuelle de comités
de supervision, et l’établissement de partenariats entre les parlements
et d’autres acteurs de supervision»

. Il inclut des exemples de pays où la BSG
a été mise en œuvre avec succès, une description des processus fondamentaux
nécessaires à la mise en place d’un système de gestion des finances
publiques sensible au genre, ainsi que des conseils rapides et des
points d’entrée pour la participation parlementaire.
49. En outre, les pouvoirs publics devraient utiliser des instruments
de suivi pour mesurer les progrès réalisés grâce aux politiques
de BSG. À cette fin, des données spécifiques au genre devraient
être régulièrement collectées et mises à jour pour relever les inégalités
de genre et identifier les échecs dans la mise en œuvre de politiques
sensibles au genre.
4.4. Analyse
globale des pratiques de budgétisation sensible au genre dans les
États membres du Conseil de l'Europe
50. Il existe un large consensus
sur le rôle important que joue la BSG dans la réduction des écarts
entre les femmes et les hommes et la promotion de l’égalité de genre.
Toutefois, la BSG est moins utilisée dans les États membres du Conseil
de l’Europe qu’on pourrait le penser et ses avantages potentiels
sont sous-exploités

. Dans l'Union
européenne, seuls 12 pays mettent activement en œuvre la BSG. Neuf
pays ne pratiquent pas la BSG et n’envisagent pas de l’introduire
car ils considèrent leur politique d’égalité de genre comme suffisante. Les
trois pays restants discutent actuellement de son introduction ou
la testent

.
La BSG est de plus en plus pratiquée dans les pays membres de l’OCDE
et constitue désormais un outil budgétaire utilisé pour contribuer à
réduire les écarts entre les femmes et les hommes dans 61 % des
pays membres

.
51. Les États membres du Conseil de l’Europe qui ont introduit
la BSG se trouvent à différents stades de sa mise en œuvre. Certains
utilisent des projets pilotes pour suivre les effets de la BSG,
tandis que d’autres l’ont déjà intégrée dans leur procédure budgétaire
annuelle depuis une période plus longue. Les exigences juridiques,
les structures institutionnelles, les approches méthodologiques,
les outils d’analyse, le niveau de gouvernement impliqué et la structure
de responsabilité en matière de BSG varient considérablement

.
Les pays à des stades plus avancés tentent désormais d’améliorer
la mise en œuvre, la collecte de données et la documentation, d’augmenter
le nombre d’outils de BSG et envisagent d’introduire la budgétisation
axée sur les performances dans d’autres domaines liés aux politiques
sociales ou environnementales

.
52. Les États membres du Conseil de l’Europe ont adopté divers
outils et approches de BSG, mais nombre d’entre eux n’appliquent
que quelques-uns d’entre eux à une seule étape du processus budgétaire,
ce qui limite les avantages potentiels de la BSG. Il est recommandé
à tous les États membres d’accroître le nombre d’outils et d’approches
qu’ils appliquent et d’adopter une approche plus avancée, comme
l’Autriche et la Suède, en mettant en œuvre plusieurs outils de
BSG à chaque étape du cycle budgétaire et en intégrant pleinement
une perspective de genre tout au long du processus.
53. Les défis empêchant la mise en œuvre des mesures BSG dans
les États membres du Conseil de l'Europe varient. Les principaux
défis comprennent la faible disponibilité de données ventilées,
un cadre juridique et institutionnel inadéquat, une volonté politique
insuffisante, le manque de ressources, de connaissances ou d'expérience
technique et un manque d'impact sur les décisions budgétaires

.
54. Alors que la majorité des États membres du Conseil de l’Europe
pratiquant la BSG exigent que des informations sur le genre accompagnent
les propositions budgétaires, seulement 9 % des pays membres de l’OCDE
ont indiqué que ces informations sont toujours ou souvent utilisées
dans la prise de décision, 59 % ont déclaré qu’elles sont parfois
utilisées et 32 % les utilisent rarement

.
Il est donc important que les pays du Conseil de l’Europe s’efforcent
d’accroître l’impact de la BSG sur les décisions en matière de budget, d’élaboration
des politiques et d’allocation des ressources.
55. Il est important de mentionner que plusieurs États membres
du Conseil de l'Europe ont présenté leurs projets visant à développer
davantage leurs pratiques de BSG. La Finlande a indiqué son intention d'entreprendre
une évaluation de l'impact de la politique économique du gouvernement
sur l'égalité de genre au cours de la législature. L’Islande élargit
la portée de la BSG pour une plus grande inclusion de l’analyse intersectionnelle.
L'Irlande discute du développement d'un système de marquage pour
relier les postes budgétaires aux dimensions de l'égalité, de l'environnement,
du bien-être et de la budgétisation des ODD. La Türkiye a l'intention
d'établir un système de signalement qui suivra et évaluera les indicateurs
d'égalité de genre liés aux mesures budgétaires et contribuera à
mieux orienter les processus de prise de décision

.
56. Dans l’ensemble, si certains États membres du Conseil de l’Europe
ont mis en place la BSG, les progrès restent lents, les pratiques
étant souvent limitées dans leur portée et confrontées à des difficultés
de mise en œuvre. Les États membres sont instamment priés de faire
progresser la BSG en établissant des cadres juridiques solides et
des dispositifs institutionnels clairs, en améliorant la collecte
de données et en intégrant l’analyse de genre dans l’ensemble du
processus budgétaire, afin d’assurer une application plus large
à tous les niveaux de gouvernement. Il est essentiel de suivre les
recommandations du présent rapport, ainsi que celles des organisations
internationales, pour créer des budgets garantissant l’égalité de
genre en restructurant les recettes et les dépenses afin de combler
les écarts entre les femmes et les hommes et de promouvoir l’égalité
de genre.
5. Le
Royaume-Uni à l’instant «T»
57. Ma visite à Londres les 14
et 15 mai 2024 a confirmé les conclusions des Nations Unies sur
la lenteur des progrès dans tous les domaines de la participation
égale des femmes à l’économie: l’idée de «salaire égal pour un travail
égal» fait partie des revendications des travailleurs et des travailleuses
depuis les années 1970 au Royaume-Uni, ce qui a conduit à l’introduction
précoce de rapports réguliers obligatoires sur l’écart salarial entre
les femmes et les hommes, mais même avec un demi-siècle de législation
et de politiques, l’objectif de l’égalité économique est toujours
loin d’être atteint.
58. La législation est fondée sur la loi sur l’égalité de 2010,
qui couvre tous les domaines, y compris l’origine ethnique, le handicap
ainsi que l’égalité de genre. Il existe une obligation légale de
réaliser des évaluations d’impact sur l’égalité des projets de loi
(mécanisme qui est l’un des principes fondamentaux de la BSG), mais les
échanges que j’ai eus ont clairement montré qu’une analyse plus
systématique et plus approfondie, ainsi qu’une responsabilisation
ultérieure, étaient nécessaires. Les représentant·es du pôle Égalité
(Equality Hub) du Gouvernement britannique m’ont informé que «dénoncer
publiquement» les entreprises qui ne promeuvent pas l’égalité est
plus efficace pour faire progresser l’égalité salariale que des
sanctions financières.
59. Parmi les mesures récemment adoptées par le gouvernement figure
le doublement du droit à la garde d’enfants gratuite pour les parents,
de 15 à 30 heures par semaine. Même si cela témoigne de la reconnaissance
de l’un des obstacles majeurs à la participation des femmes, la
nouvelle mesure n’a pas, pour l’instant, été suivie d’une mise à
disposition d’infrastructures et de personnel de garderie suffisants
pour être fonctionnelle. En outre, encourager les femmes à travailler
moins d’heures (parce qu’elles restent les principales aidantes)
est considéré comme constituant un risque pour leur carrière. Une
campagne visant à encourager un meilleur partage du congé parental
dans le pays a donné des résultats positifs.
60. La santé des femmes est un autre domaine clé dans lequel les
questions de santé différenciées selon le genre font actuellement
l’objet d’une attention beaucoup plus grande au Royaume-Uni, par
exemple en ce qui concerne une meilleure compréhension des problèmes
de la ménopause sur le lieu de travail et des moyens d’en atténuer
les conséquences. La mortalité maternelle est un problème grave
parmi les minorités ethniques du Royaume-Uni – le taux est 4 à 5
fois plus élevé que dans le reste de la population. Comme dans de
nombreux autres pays, la pandémie de covid-19 a eu un impact sur
l’égalité: au Royaume-Uni, les situations défavorisées et l’hésitation
à la vaccination au sein des minorités ethniques ont conduit à de
grandes disparités en matière de morbidité.
61. Les représentant·es du gouvernement que j’ai rencontrés n’ont
pas considéré que le Brexit était un obstacle à la mise en œuvre
des politiques – la plupart des dispositions pertinentes du droit
de l’Union européenne ont été incorporées dans le droit national,
et le droit de l’Union européenne s’était inspiré dans une certaine
mesure de la législation britannique. L’Equality Hub se concentre
sur les entreprises en tant que vecteur d’une plus grande égalité.
La participation des filles et des femmes aux études scientifiques, technologiques,
d’ingénierie et mathématiques (STIM) a augmenté au Royaume-Uni jusqu’à
l’âge du lycée, mais il existe encore une très grande différence
dans les professions connexes, où les niveaux d’entrée sont beaucoup
plus faibles et les taux d’abandon plus élevés que chez les hommes
(principalement en raison des responsabilités en matière de soins).
62. Une commission restreinte du Parlement britannique, la commission
des femmes et de l’égalité, créée par David Cameron en 2015, supervise
les nouveaux projets de lois et leur impact sur l’égalité. Caroline Nokes,
présidente de la commission, a souligné son caractère transversal,
qui examine l’égalité au sein du gouvernement, travaillant sur le
handicap, l’ethnicité et l’intersectionnalité ainsi que sur les
grandes questions d’égalité des femmes. Cette supervision s’est
avérée utile, mais les recommandations formulées sont souvent rejetées
par le gouvernement.
63. Mme Nokes m’a informée que les
rapports réguliers sur l’écart salarial entre femmes et hommes qui
ont cessé devraient reprendre, et que les évaluations de l’impact
des nouvelles lois sur l’égalité entre les femmes et les hommes
devraient être une obligation légale et devraient être rendues publiques.
Elle recommande que des commissions «femmes et égalité» existent
dans tous les parlements. Les campagnes publiques (sur la ménopause,
la race et le genre, la misogynie, etc.) sont un bon outil pour
changer les mentalités, et il faudrait faire davantage contre le
harcèlement, en particulier dans les services publics, dans la police,
les forces armées et dans les hôpitaux où le harcèlement sexuel
est «répandu et occulté».
64. Un autre mécanisme intéressant qui existe au Royaume-Uni pour
un contrôle indépendant de la législation sur l’égalité est le Women’s
Budget Group (WBG), fondé en 1989 par des femmes économistes qui, constatant
que les hommes décidaient de la plupart, sinon de la totalité, des
politiques, ont décidé d’examiner et d’analyser les déclarations
et débats budgétaires du printemps et de l’automne et d’en faire
le commentaire. Le WBG propose une analyse approfondie des budgets
dans la semaine qui suit leur publication, en se concentrant sur
les aspects relatifs au genre, en invitant des expert·es à apporter
des contributions selon les sujets. Mme Samah Krichah
a expliqué, lors de notre rencontre, que ces rapports sont de plus
en plus appréciés et que le WBG reçoit désormais des subventions
pour mener à bien son travail. Le WBG propose aujourd’hui également
des formations sur la manière d’utiliser les données des recensements
à des fins de plaidoyer, actuellement en partenariat avec le Kings College
de Londres, mais en passe d’être mises en place dans tout le pays.
65. Le groupe s’efforce également d’aider les femmes à surmonter
leurs réticences et leur manque de confiance pour la manipulation
des données et l’emploi des mathématiques. Mme Krichah
a répété que les différents effets des politiques sur les femmes
et les hommes ne sont pas suffisamment pris en compte – les fluctuations
du coût de la vie affectent plus les femmes que les hommes, par
exemple, et les prestations dont elles dépendent souvent n’augmentent
pas avec l’inflation.
66. Les recommandations ici étaient de combler les lacunes dans
les données ventilées par genre et de «remettre en question les
anciennes façons de penser le budget» en impliquant davantage le
monde universitaire et la société civile dans le travail budgétaire
des gouvernements. Le WBG propose un modèle unique qui pourrait
être reproduit dans d’autres pays.
67. Lors de ma visite à Londres, j’ai également rencontré le Women’s Resource Centre,
une organisation qui regroupe un grand nombre de petites associations
de terrain, dont beaucoup travaillent avec des femmes noires et
d’autres femmes minoritaires, groupes identifiés comme ayant le
plus besoin de soutien. La PDG Mme Vivienne Hayes
nous a expliqué que de nombreux organismes ne prennent pas en compte
les questions de race ou de handicap. Les procédures de passation
des marchés sont trop compliquées pour de nombreuses femmes et sont
appliquées même là où la loi ne l’exige pas.
68. Mme Hayes a formulé quatre recommandations
claires pour promouvoir l’empouvoirement économique des femmes.
Le premier est la garde d’enfants gratuite et universelle: les services
de garde d’enfants au Royaume-Uni sont apparemment parmi les plus
chers au monde et dissuadent les mères en particulier de retourner
au travail, ce qui entraîne un renforcement des rôles de genre et
limite les opportunités des femmes. Elle nous a également informé
que seuls les enfants dont les parents gagnent au moins l’équivalent
de 16 heures par semaine du salaire minimum national ou du salaire
minimum vital ont droit aux nouvelles 15 et 30 heures de garde d’enfants
gratuites, ce qui est encore une fois discriminatoire à l’égard
des parents sans travail et renforce l’inégalité.
69. La deuxième recommandation est de lever les restrictions au
droit de travailler pendant les procédures de demande d’asile, et
la troisième est de créer un fonds national indépendant pour les
femmes. L’expérience du centre montre que les organisations de femmes
sont constamment sous-financées et sous-évaluées et, bien qu’elles
fournissent des services vitaux, ne sont pas considérées comme un
service statutaire et sont confrontées à davantage de coupes budgétaires
du fait que les autorités locales sont confrontées à la faillite et
à des budgets plus serrés. La quatrième recommandation, connexe,
est de créer un mécanisme national indépendant pour promouvoir les
droits des femmes et un financement adéquat pour le secteur des
femmes. Le centre souscrit à la recommandation du Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies en faveur
de mécanismes nationaux visant à améliorer l’égalité des femmes,
mais considère qu’il est important d’inclure les organisations de
femmes marginalisées dans ces mécanismes.
6. Bonnes
pratiques
70. Selon l’étude de l’OCDE précitée,
des progrès notables ont été enregistrés dans deux domaines: le congé
parental pour les pères (au Luxembourg, en Islande, en Suède, au
Danemark et au Portugal, où 40 % des hommes prennent désormais un
congé parental) même si les périodes prises sont systématiquement
plus courtes. La transparence salariale pour l’égalité de rémunération
s’est également améliorée, et 55 % des pays exigent désormais des
rapports sur l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans
les entreprises privées.
71. Au cours de l’échange de vues du 15 septembre 2023, Mme Sabina
Ćudić (Bosnie-Herzégovine, ADLE) a expliqué aux membres comment
les interventions ciblées à Sarajevo avaient obtenu de bons résultats.
Par exemple, en subventionnant les jardins d’enfants privés afin
qu’ils puissent offrir les mêmes prix que les structures publiques,
on a pu éliminer les listes d’attente pour les jardins d’enfants.
L’allocation familiale est passée de 90 à 500 euros, en partant
du principe que cet argent serait ensuite réinjecté dans l’économie. L’indépendance
financière constitue un bouclier contre certains niveaux de violence
domestique. Il ne s’agit pas nécessairement de grandes mesures législatives,
mais elles ont fait une différence sur le terrain, tout comme le
subventionnement des soins aux personnes âgées.
72. Malgré ses nombreuses conséquences tragiques, la guerre d’agression
contre l’Ukraine a accéléré le développement du rôle des femmes
dans l’économie du pays. La moitié des petites entreprises créées
depuis l’invasion ont été lancées par des femmes, et 30 % des grandes
entreprises sont dirigées par des femmes. Depuis 2014, l’écart salarial
entre les femmes et les hommes a été réduit à 6-7 %. Une stratégie
à l’horizon 2030 pour l’égalité en matière d’emploi est en place.
Depuis novembre 2021, Yulia Svyrydenko est à la fois la première
vice-Première ministre de l’Ukraine et ministre de l’Économie. Il
est évident que les femmes joueront également un rôle majeur dans
la reconstruction, et le pays et ses partenaires devraient donner
la priorité à la garde d’enfants (jardins d’enfants) dans les investissements
consacrés à la reconstruction.
73. L’indice d’égalité de genre d’EIGE révèle d’une part que les
pays de l’Union européenne affichent de bonnes performances en matière
d’égalité d’accès à la santé, mais que d’autre part, la santé est
le seul marqueur en baisse depuis l’édition précédente et le domaine
où les progrès sont les plus faibles depuis 2010. Depuis 2020, c’est
le domaine du «temps» (mesure des inégalités entre les femmes et
les hommes en ce qui concerne le temps consacré aux soins et aux
travaux domestiques et à la participation à des activités sociales telles
que les loisirs et le sport) qui a connu la plus forte progression
au sein de l’Union européenne. La réduction du temps consacré aux
activités de soins a joué un rôle déterminant dans ce changement,
mais elle est visiblement due à la moindre participation des femmes
aux soins et aux tâches ménagères non rémunérés sur un plan général,
plutôt qu’à une participation plus élevée des hommes à ces activités.
6.1. Le
besoin de championnes de l’empouvoirement économique
74. J’ai eu l’occasion de rencontrer
une femme vraiment inspirante lors de ma mission à Londres en mai 2024.
Son histoire montre à quel point il est important que les femmes
partagent leurs expériences avec d’autres et témoigne du pouvoir
que cela génère. Je la relate largement ici pour illustrer la force d’empouvoirement
que ces femmes peuvent incarner.
75. Fondatrice d’une association caritative enregistrée au Royaume-Uni
nommée SHEWISE

et issue d’une
famille d’Asie du Sud, Mme Sayeeda Ashraf a grandi dans le centre
de Londres où le foyer et ses traditions contrastaient fortement
avec l’école, ses habitudes et ses élèves à prédominance blanche.
Après avoir eu des enfants dans le cadre d’un mariage arrangé et
subi des violences conjugales, Mme Ashraf
a lancé une petite entreprise de restauration avec sa sœur, qui
est finalement devenue le plus grand fournisseur de produits alimentaires
asiatiques du secteur. Mais les difficultés rencontrées pour concilier
famille et entreprise et le manque de soutien ont entraîné la perte
de l’entreprise en 2008 et une forte baisse de sa confiance en elle
et de son estime personnelle.
76. Forte de cette expérience, elle a commencé le coaching en
entrepreneuriat qui s’est rapidement étendu au coaching de vie et
aux conseils en matière de services de lutte contre la violence
domestique, réalisant qu’une approche globale était essentielle.
Le principe de SHEWISE est d’accompagner des femmes (principalement
asiatiques) dans un «voyage» au cours duquel leurs besoins fondamentaux
sont d’abord satisfaits, avant de passer à un coaching individuel
destiné à renforcer leur propre confiance, à changer la perception
qu’elles ont d’elles-mêmes en tant que «citoyennes de seconde zone»,
à les aider à reconnaître la violence et à y réagir, ainsi qu’à
se soucier avant tout d’elle-même, tout en apprenant à communiquer efficacement.
77. Mme Ashraf s’efforce désormais également de former le personnel
du Service national de santé et la police à l’identification et
à l’assistance des victimes de violence domestique, ainsi que d’aider
les femmes sud-asiatiques à surmonter leur méfiance à l’égard de
la police et leur réticence à porter plainte par peur d’être rejetées
par leur famille ou de perdre leurs enfants. Impliquer davantage
d’hommes est également un objectif poursuivi, par exemple en travaillant
avec des centres de loisirs, où les jeunes sont encouragés à parler
de relations saines.
78. Mme Ashraf nous a informé que le
financement gouvernemental répondait à des critères assez stricts qui
excluent certains acteurs importants, et les organisations ethniques
ne parviennent pas toujours à comprendre le fonctionnement des services
gouvernementaux. L’une des recommandations de Mme Ashraf est
que les parties prenantes de taille, telles que les banques et l’industrie,
travaillent à un niveau plus local, en se concentrant sur le parrainage
des communautés locales et davantage de recrutement à ce niveau.
6.2. L’expérience
de l’Albanie
79. La table ronde organisée à
Tirana le 5 juin 2024 a permis de découvrir une autre situation
nationale intéressante, où des politiques actives contribuent à
améliorer la présence des femmes dans l’économie et à des postes
décisionnels. Le ministre Ibrahimaj a fait savoir aux participant·es
que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes s’établit
à 6,8 % en Albanie et que des investissements importants sont consacrés à
la promotion de l’emploi des femmes. Selon les estimations, la BSG
ne concerne que 10 % du budget national, ce qui marque toutefois
une augmentation par rapport aux 7 % enregistrés en 2017. Cependant,
les «transferts sociaux» représentent 50 % du budget total de l’État,
de sorte que la BSG est dans les faits plus élevée car les femmes
bénéficient de davantage d’allocations que les hommes.
80. L’État a pris des mesures en matière de formation professionnelle,
d’aide au retour à l’emploi des mères et d’incitations pour les
parents, et l’éducation des femmes et des filles s’améliore, comme
le montre leur présence plus nombreuse aux plus hauts niveaux de
l’enseignement supérieur au sein des universités et dans les domaines
des STIM. En Albanie comme dans d’autres pays, les femmes et les
filles ont les compétences, mais n’ont pas encore atteint les mêmes
taux d’emploi que les hommes. Le numérique facilite une plus grande égalité
dans l’accès à l’emploi en général. L’Albanie a adopté, en 2008,
une loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes et a établi,
en 2014, des mécanismes de BSG. Une nouvelle loi sur les finances
locales a été élaborée dans une perspective de genre. Bien qu’il
reste encore beaucoup à faire, les dispositifs sont en place et
fonctionnent.
81. La maire de Durrës, Mme Emiriana Sako,
a rappelé les défis auxquels sa ville a été confrontée au cours des
quatre dernières années, après les tremblements de terre destructeurs
de 2019 (qui ont fait 50 victimes) et la pandémie de covid-19. Beaucoup
d’énergie et d’argent ont été consacrés aux abris pour les familles
et à la restauration des bâtiments et des infrastructures de santé
primaire et éducatives (47 nouvelles écoles ont été construites).
Les femmes médecins et infirmières ont joué un rôle vital pendant
cette période, et 78 % du financement éducatif a été alloué aux
femmes et aux filles. Des efforts ont été déployés pour rapprocher
les services des citoyen·nes et des progrès ont été enregistrés
sur la voie d’une société fondée sur l’égalité, en proposant par
exemple un meilleur accès à l’éducation pour les filles et une meilleure
intégration sociale. Le tourisme a également été développé en tant
que source de revenus.
82. Il est intéressant de découvrir la manière dont les politiques
aux niveaux local et régional ont été conçues et mises en œuvre.
L’adjointe au maire de Tirana, Mme Halili,
a indiqué que chaque unité administrative de Tirana dispose d’un
coordinateur ou d’une coordinatrice pour l’égalité, ainsi que de
services de lutte contre la violence et de plans d’action élaborés
conformément à la Charte européenne pour l’égalité des femmes et
des hommes dans la vie locale. Les échelons national et local du
gouvernement sont coordonnés et des contributions directes sont
consacrées à l’empouvoirement des femmes. Les femmes sont actives
et influentes en politique: elles représentent 72 % des cadres supérieurs
albanais, 67 % des cadres intermédiaires et 80 % des maires-adjoints.
Des subventions directes sont accordées aux initiatives économiques
des femmes et les groupes marginalisés comme les Roms sont privilégiés,
le travail artisanal et la créativité des jeunes femmes étant plus
particulièrement encouragés. Des consultations ont eu lieu sur la
BSG, y compris avec le grand public. Là encore, comme au Royaume-Uni,
l’utilité des petites subventions et des microcrédits destinés aux start-ups
et aux petites entreprises créées par des femmes a été soulignée.
83. Le directeur de la Banque mondiale pour l’Albanie, M. Salinas,
a insisté sur la nécessité de conserver le capital humain dans un
pays à faible revenu comme l’Albanie, sachant que l’absence de perspectives
crée un mouvement d’émigration. Si l’empouvoirement économique des
femmes n’est pas encouragé dans les Balkans, la région ne pourra
jamais atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire, ce qui
est selon lui plus important que la connectivité, par exemple. L’adhésion
à l’Union européenne est également essentielle. Les lacunes en matière
de santé et d’éducation sont aussi des facteurs de perte de capital
humain. Selon les études, la participation active des femmes au
marché du travail après la maternité permettrait une augmentation
de 12 % du PIB. Par ailleurs, le coût des violences domestiques
devrait également être pris en compte.
84. M. Salinas a ajouté que les actions de communication de la
Banque mondiale visaient, en partie, à rappeler que l’empouvoirement
des femmes n’est pas une question de «bienveillance», mais que leur
pleine participation à l’économie est un préalable au développement
économique, tout particulièrement dans un contexte où la nature
des emplois évolue rapidement, l’économie de subsistance étant progressivement remplacée
par des emplois exigeant davantage de compétences socio-émotionnelles,
dont les femmes ne manquent pas. Il faut rappeler aux hommes que
transition n’est pas synonyme de perte de droits sociaux ou politiques,
et il est nécessaire de multiplier les dispositifs incitatifs. Je
crois qu’il s’agit là d’un des messages clés de mon rapport.
6.3. Le
rôle des femmes dans un «avenir vert et numérique»
85. Les femmes et les filles disposent
d’un énorme potentiel pour contribuer à un avenir vert et numérique qui
ne laisse personne de côté, mais elles se heurtent à de nombreux
obstacles pour participer pleinement et saisir les opportunités
sans précédent que la technologie a à offrir. Dans des secteurs
essentiels comme les STIM, de nombreux obstacles entravent l'accès
des femmes et des filles à l'éducation, aux services publics et à
un large éventail d'opportunités de vie, et les dissuadent de rejoindre
et de rester sur le marché du travail dans ce domaine. Il est essentiel
d’éliminer les stéréotypes de genre qui empêchent les femmes et
les filles de poursuivre des carrières dans les STIM, allant de
l’éducation à l’emploi.
86. Les femmes et les filles doivent également être habilitées
à utiliser la technologie numérique comme un outil pour une participation
égale à la prise de décision sur le lieu de travail. La fracture
numérique mondiale a une forte dimension basée sur le genre, où
les femmes se retrouvent sous-formées et ont un accès plus difficile aux
outils numériques. Les technologies numériques entraînent également
de nouvelles formes de violence et de harcèlement fondés sur le
genre, auparavant principalement centrés sur le lieu de travail
physique, et qui prennent désormais de nouvelles formes. Ces menaces
émergentes contre les femmes et les filles doivent être comprises
et prévenues, afin de garantir un environnement de travail sûr,
juste et égalitaire pour les femmes et un avenir vert et numérique
inclusif.
87. Il existe des solutions à ces défis qui devraient être soutenues
et reproduites. Lors de la CSW67 à New York en 2023, l'Assemblée
a organisé un événement parallèle conjointement avec les Pays-Bas
et l’Estonie, intitulé «Vers un avenir vert et numérique: opportunités
et défis pour les femmes et les filles dans la vie publique et sur
le lieu de travail», où de bons exemples ont été présentés, tels
que le plan de reprise et résilience aux Pays-Bas qui a augmenté
les investissements dans l’éducation et le développement des compétences numériques
afin d’augmenter le nombre de femmes spécialistes des techniques
de l'information et de la communication. En Estonie, l'initiative
Unicorn Squad a proposé des activités de robotique et de technologie aux
filles de 8 à 12 ans afin de briser le mythe selon lequel la technologie
est réservée aux garçons.
88. La recherche révèle des résultats inattendus en matière d’égalité
de genre dans les sphères économiques: par exemple, une plus grande
proportion de femmes dans les conseils d’administration des entreprises
a une influence positive sur la réduction des émissions de CO2.
Selon la Banque européenne d’investissement, «Les femmes détiennent
aujourd’hui 40 % de la richesse mondiale et entendent investir dans
un avenir durable. Environ 74 % d’entre elles manifestent un intérêt
à augmenter la part des investissements répondant à des critères
[environnementaux, sociaux et de gouvernance] ESG dans leurs portefeuilles
actuels, contre 53 % des hommes. Les entreprises qui ne donnent
pas une place aux femmes mettent à mal leurs chances de faire mieux
que leurs concurrents»

.
7. Conclusions
89. L’évolution de la législation
sur les femmes dans l’économie est certes lente, mais elle ouvre
de nouvelles possibilités aux femmes. La BSG, le congé parental
partagé, l’égalité et la transparence des salaires sont autant de
domaines qui ont progressé. Les responsables politiques doivent
considérer la promotion de politiques sensibles au genre comme une
priorité absolue pour égaliser les inégalités, et les politiques
doivent être conçues de manière transversale, en impliquant les
différents secteurs des structures politiques.
90. L’un des plus grands défis consiste à changer les mentalités.
Il doit y avoir une volonté de toutes les parties prenantes de briser
les plafonds de verre et, pour celles qui ont réussi, d’agir en
championnes, en montrant que leurs réalisations sont à la portée
de nombreuses autres filles et femmes. L’égalité doit être défendue
dans la vie quotidienne: les traditions, les identités, les différences
culturelles spécifiques au genre ne sont pas une excuse pour perpétuer
les inégalités. Il faut également adopter une meilleure approche
de la diversité et combattre les stéréotypes. Une approche intersectionnelle
devrait être adoptée pour prévenir les multiples niveaux de discrimination
à l’égard des femmes issues de groupes divers et défavorisés dans l’économie.
91. Cela étant, ces changements ne sont possibles qu’à condition
d’être accompagnés d’investissements adéquats, ce qui suppose que
les décisionnaires et les leaders de l’économie reconnaissent que
l’égalité ne peut que générer des bénéfices sur le long terme. Pour
citer l’indice annuel de genre des objectifs de développement durable
pour 2022, qui s’est longuement penché sur les conséquences de la
pandémie de covid-19, «La transformation sociale nécessaire à l’égalité
des sexes doit être financée, ce qui nécessite des budgets sensibles
au genre, une fiscalité progressive et des investissements importants
dans les services publics et les infrastructures publiques (y compris
les soins)»

.
92. La dimension de genre doit être intégrée dans toutes les politiques
et tous les budgets: les ministères des affaires sociales, de la
famille et de l’égalité doivent éliminer autant que possible les
cloisonnements et veiller également à ce qu’un financement adéquat
soit réservé à l’égalité. Des politiques transversales doivent garantir
la continuité du soutien à la participation égale des femmes dans
tous les domaines.
93. Mes entretiens avec des acteurs de la société civile au Royaume-Uni
m’ont appris que ce n’est pas toujours l’argent qui manque pour
soutenir les femmes entrepreneures. Les subventions sont souvent soumises
à des critères de candidature complexes et à des processus de passation
de marchés qui sont hors de portée des femmes souhaitant créer une
petite entreprise ou une start-up. Il est nécessaire que les petites subventions
soient accordées directement, sans les formalités administratives
qui rendent l’obtention d’un financement trop lente et compliquée
pour la plupart des femmes, en particulier pour les plus défavorisées d’entre
elles.
94. L’Assemblée souligne souvent l’insuffisance de la collecte
de données comme un obstacle à la conception de politiques ciblées:
la question de la participation égale des femmes à l’économie ne
fait pas exception à cette lacune. Des données ventilées et intersectionnelles
sont nécessaires pour identifier les causes profondes des inégalités
et clarifier les orientations à prendre.