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Rapport | Doc. 16068 | 07 novembre 2024

Les femmes et l'économie: emploi, entrepreneuriat et budgétisation sensible au genre

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Sena Nur ÇELİK KANAT, Türkiye, NI

Origine - Renvoi en commission : Doc. 15562, Renvoi 4668 du 10 octobre 2022. 2024 - Commission permanente de novembre (Luxembourg)

Résumé

À travers une histoire ponctuée de succès et de revers, les femmes ont parcouru bien du chemin pour affirmer leur valeur économique et prendre leur juste place dans les économies mondiales. Mais malgré les constats d’expert·es, les retombées négatives encore persistantes de la pandémie de covid-19 et les conséquences économiques des conflits ont montré la fragilité des progrès vers l’égalité entre les femmes et les hommes, et que beaucoup reste à faire.

Les femmes sont davantage confrontées à la discrimination que les hommes et les préjugés de genre jouent en leur défaveur: dans les processus de recrutement, les femmes doivent prouver leurs capacités d’engagement et de leadership dans une plus large mesure que leurs homologues masculins, et les responsabilités en matière de soins qu’elles assument encore majoritairement soulèvent souvent des doutes sur la perception de leur capacité à être performantes dans la sphère économique. D plus, malgré l’augmentation du nombre de femmes diplômées de l’enseignement supérieur, les jeunes femmes restent moins enclines que leurs homologues masculins à opter pour des études supérieures dans les sciences, les technologies, l’ingénierie ou les mathématiques (STIM).

Le présent rapport appelle à une meilleure prise en compte des recherches qui démontrent le potentiel des femmes et à davantage d’action, notamment par le biais d'outils de budgétisation sensible au genre intégrés à tous les stades des cycles budgétaires nationaux et dotés de mécanismes de responsabilisation. La technologie et la prise de décision automatisée dans le domaine de l'emploi doivent prendre en compte la diversité et l’intersectionnalité sans générer de discrimination. Les responsables européens devraient relever le défi de changer les mentalités – il doit y avoir une volonté de briser les plafonds de verre et de réparer «les échelons brisés» de l'échelle économique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 octobre
2024.

(open)
1. Les femmes ont toujours eu leur place dans l’économie et ont sans doute une plus longue expérience que les hommes en termes de gestion de la relation entre la production de biens et de services et de maîtrise des ressources disponibles, au quotidien. Pourtant, cette place n’est pas toujours reconnue et a été occultée comme dans d’autres domaines tels que les sciences, les arts et la littérature. À travers une histoire ponctuée de succès et de revers, les femmes ont parcouru bien du chemin pour affirmer leur valeur et leur indépendance économiques. Néanmoins, comme dans toutes les autres dimensions de l’égalité entre les femmes et les hommes, il reste encore un long chemin à parcourir, à l’échelle mondiale.
2. L’Assemblée parlementaire a abordé pour la dernière fois le sujet de la place des femmes dans l’économie en 2018, avec un rapport intitulé «L’autonomisation des femmes dans l’économie» qui a donné lieu à la Résolution 2235 (2018). La rapporteure, Mme Elena Centemero (Italie, PPE/DC), avait identifié les principaux domaines nécessitant des mesures (écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avec pour conséquence des écarts de retraite, difficultés dans l’accès à l’emploi, progression de carrière plus lente, segmentation en fonction du genre, plafonds de verre) et avait souligné le fait que «l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie conditionne les progrès dans d’autres domaines, dont la vie publique et politique».
3. Une étude réalisée en 2023 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) met en évidence des avancées notables dans deux domaines essentiels. Tout d’abord, dans la répartition des responsabilités liées à la garde des enfants où, dans plusieurs pays, environ 40 % des pères prennent désormais un congé parental, bien que pour des périodes systématiquement plus courtes que leurs homologues féminines. Deuxièmement, des progrès ont été observés en matière de transparence, notamment en ce qui concerne les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Dans 55 % des 37 pays membres de l’OCDE, les entreprises privées sont désormais tenues de rendre compte des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.
4. Malgré tous les avis et constats d’expert·es, les retombées et les impacts négatifs encore persistants des crises récentes, notamment la pandémie mondiale de covid-19 et les conséquences économiques des conflits en Europe et hors d’Europe, ont montré la fragilité des progrès vers l’égalité entre les femmes et les hommes, et que beaucoup reste à faire. Cela est particulièrement criant en ce qui concerne le déséquilibre qui perdure dans le partage des responsabilités en matière de soins, encore assumées principalement par les femmes, tant au foyer qu’en institution, et le manque de reconnaissance financière pour ce type de travail. Ainsi, à la lenteur des progrès s’ajoute un risque réel de retour en arrière, surtout dans le contexte actuel. L’Assemblée estime qu’il faudrait davantage tenir compte des recherches qui démontrent le potentiel des femmes et prendre plus de mesures pour accélérer le changement.
5. En raison du manque persistant de reconnaissance de leur juste place dans l’économie, les femmes sont davantage confrontées à la discrimination que les hommes. Les préjugés de genre, conscients ou inconscients, jouent en leur défaveur, notamment dans les processus de recrutement, où les femmes doivent prouver leurs capacités d’engagement, de détermination et de leadership dans une plus large mesure que leurs homologues masculins. De plus, les responsabilités en matière de soins que les femmes assument majoritairement et pour lesquelles elles sont considérées comme indispensables, soulèvent des doutes sur la perception de leur capacité à être performantes dans la sphère économique.
6. Malgré l’augmentation du nombre de femmes diplômées de l’enseignement supérieur, les jeunes femmes restent moins enclines que leurs homologues masculins à opter pour des études supérieures dans les sciences, les technologies, l’ingénierie ou les mathématiques (STIM). Les disparités constatées entre les femmes et les hommes dans l’enseignement tertiaire montrent que, bien souvent, les jeunes femmes ne mettent pas à profit leurs bons résultats scolaires pour suivre des études supérieures dans des domaines qui offrent de meilleures perspectives d’emploi, comme les filières STIM et de l’intelligence artificielle (IA). Selon l’OCDE, cette situation s’explique en partie par le manque de confiance des filles en leurs capacités en mathématiques et en sciences au cours de leur scolarité et par l’absence, pour les filles, de modèles féminins dans les domaines des STIM et l’IA. Les jeunes filles ont donc peu d’éléments pour réfuter l’idée que les mathématiques et les sciences sont des disciplines davantage «masculines».
7. L’Assemblée invite les responsables européens à relever l’un des plus grands défis pour assurer la place des femmes dans l’économie, à savoir changer les mentalités. Toutes les parties prenantes doivent avoir la volonté de briser les plafonds de verre et de réparer «l’échelon brisé», pour permettre aux femmes de franchir le tout premier pas vers des postes de direction. Celles qui ont réussi doivent agir en championnes et servir de modèles, en montrant que leurs réalisations sont à la portée de nombreuses autres filles et femmes.
8. L’égalité doit être défendue dans tous les aspects de la vie quotidienne, en veillant particulièrement à ce que les traditions, les identités et les différences culturelles liées au genre ne servent pas à perpétuer les inégalités existantes. Il faut s’attaquer aux effets négatifs de l’intersectionnalité du genre et d’autres motifs de discrimination et lutter contre le racisme et toutes les formes d’intolérance qui touchent de manière disproportionnée les femmes, notamment celles issues de groupes divers et de milieux défavorisés. Des approches inclusives de la diversité doivent par ailleurs être privilégiées et des efforts concertés devraient être déployés afin de remettre en question et de démanteler les stéréotypes omniprésents.
9. L’Assemblée appelle également à l’intégration de la dimension de genre dans toutes les politiques, tous les budgets et tous les domaines d’action politique et de gouvernance, ainsi qu’à l’affectation de fonds suffisants à l’égalité. Des politiques transversales doivent garantir la continuité du soutien à la participation égale des femmes dans tous les domaines. Davantage de données ventilées sont nécessaires pour identifier les causes profondes des inégalités et clarifier les orientations à prendre, pour permettre une analyse des politiques fondée sur des données factuelles, afin de traiter plus précisément les disparités spécifiques et d’orienter des interventions ciblées pour parvenir à l’égalité de genre.
10. À la lumière des considérations ci-dessus, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que les États observateurs et les États dont les parlements bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée à améliorer leur législation et leurs politiques relatives à la budgétisation sensible au genre. Les gouvernements devraient en particulier:
10.1. veiller à ce que la budgétisation sensible au genre soit prévue dans la loi budgétaire et les documents budgétaires et clairement définie dans les systèmes de gestion des finances publiques aux niveaux national, régional et local, et à ce que les outils de budgétisation sensible au genre soient intégrés à toutes les étapes du cycle budgétaire;
10.2. élaborer et introduire des orientations claires et des outils, associés au renforcement des capacités des fonctionnaires à tous les niveaux, pour identifier les écarts entre les femmes et les hommes grâce à une analyse de genre et prendre des mesures spécifiques pour évaluer et combler ces écarts;
10.3. renforcer la responsabilité de l'exécution du budget en matière d'égalité de genre et suivre les résultats à l'aide d'une évaluation de l'impact sur le genre;
10.4. renforcer la capacité des institutions supérieures d’audit à contrôler les dépenses dans une optique de genre et à évaluer si les résultats escomptés en la matière ont été atteints;
10.5. veiller à ce que les budgets s’appuient sur une analyse des politiques fondée sur des données factuelles et publier régulièrement des rapports sur les dépenses en temps réel qui soient accessibles au public, afin de permettre au parlement, à la société civile et au grand public de voir comment les ressources sont allouées à l'égalité de genre;
10.6. prendre des mesures pour garantir que les femmes participent aux discussions budgétaires et fassent entendre leur voix.
11. En ce qui concerne le domaine de l’emploi, l’Assemblée appelle les États membres à redoubler d’efforts afin:
11.1. d’imposer la transparence salariale afin de mettre en évidence les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et de procéder à des analyses efficaces de ces écarts dans l’ensemble des services publics et des entreprises privées, assorties de sanctions lorsque des différenciations persistent;
11.2. d’élaborer et mettre en œuvre des lois et des politiques visant à identifier, éradiquer et sanctionner le racisme et toutes les formes d’intolérance et de discrimination, y compris la discrimination intersectionnelle à l’égard des femmes issues de groupes divers sur le marché du travail, qui entravent leur empouvoirement économique, et de répondre aux besoins spécifiques des groupes défavorisés;
11.3. de mettre fin aux préjugés de genre conscients dans les processus de recrutement, de formation et de promotion, et d’apprendre à reconnaître et à écarter les préjugés inconscients;
11.4. de faire en sorte, au moyen de mesures juridiques, de campagnes de sensibilisation et d’une visibilité médiatique, que le lieu de travail soit perçu comme un espace sûr pour tous, et en particulier pour les femmes, qui sont souvent la cible de «microagressions» multiples et persistantes ainsi que d’autres formes de harcèlement fondé sur le genre;
11.5. de reconnaître la valeur des emplois majoritairement occupés par des femmes, en premier lieu dans les domaines des soins et de la santé, et de rétribuer ces aptitudes et compétences à leur juste valeur;
11.6. de promouvoir la participation des femmes dans les secteurs traditionnellement dominés par les hommes, tels que les STIM, ainsi que dans les secteurs émergents comme l’économie numérique et verte, en mettant en œuvre des programmes de formation et de mentorat ciblés, afin d’améliorer l’équilibre entre les femmes et les hommes sur le marché du travail et de favoriser un avenir numérique et vert plus inclusif;
11.7. d’élaborer des programmes de subventions spécifiques pour les femmes entrepreneures qui créent des entreprises et des start-up, dotés de critères de sélection accessibles aux femmes de toutes origines, et de fournir des services d’aide et de conseil pour les accompagner dans les procédures de candidature; et de fournir une éducation financière;
11.8. de s’assurer que la technologie utilisée dans la gestion des ressources humaines prend en compte la diversité et l’intersectionnalité, et que la prise de décision automatisée ne génère pas de discrimination;
11.9. d’adopter des mesures pour améliorer l’équilibre entre les femmes et les hommes dans les rôles de direction dans l’ensemble de l’économie, y compris au sein des conseils d’administration des entreprises, aux postes de l’encadrement supérieur et aux postes de décision de la fonction publique.
12. En ce qui concerne les responsabilités familiales et en matière de soins, l’Assemblée invite les États membres:
12.1. à adopter une législation favorisant le congé parental rémunéré pour les deux parents, des modalités de travail flexibles et un congé pour soins pour les personnes qui s'occupent d'enfants, de membres de la famille âgés ou handicapés;
12.2. à fournir des services de garde d'enfants et de soins aux personnes âgées abordables, accessibles et de qualité, réduisant ainsi la charge de soins qui pèse souvent de manière disproportionnée sur les femmes;
12.3. à promouvoir le partage équitable des responsabilités par le biais de campagnes de sensibilisation du public et de politiques telles que le congé de paternité rémunéré, en particulier pour encourager et inciter les hommes à partager les tâches de soins;
12.4. à introduire des allègements fiscaux ou des subventions pour les familles qui emploient des soignants ou qui aident aux soins à domicile;
12.5. à créer des programmes garantissant à tous les enfants l'accès à l'éducation préscolaire universelle afin de permettre aux parents, en particulier les femmes, de s'engager sur le marché du travail;
12.6. à compenser le travail de soins non rémunéré par des transferts sociaux, tels que la rémunération pour la garde d'enfants ou les soins aux personnes âgées, ou par une couverture de sécurité sociale pour les personnes au foyer à temps plein;
12.7. à veiller à ce que le congé pour responsabilités en matière de soins n’affecte pas les droits à pension;
12.8. à inclure le travail non rémunéré dans les statistiques nationales en collectant des données quantitatives et qualitatives, notamment des enquêtes sur l’utilisation du temps.
13. En ce qui concerne l’éducation, l’Assemblée invite les États membres:
13.1. à veiller à ce que, dès le plus jeune âge, les programmes scolaires soient exempts de préjugés et de stéréotypes de genre, qui amènent les enfants à canaliser leur énergie dans des rôles genrés et stéréotypés, et qui en particulier, entraînent une perte de confiance des filles en leurs capacités en sciences et en mathématiques;
13.2. à donner aux filles et aux garçons les mêmes possibilités d’expérimenter un large éventail d’études théoriques et pratiques dans différents domaines, et à renforcer les programmes destinés aux parents et aux élèves, tels que les journées d’information ou les foires aux métiers dans les écoles, et les expériences professionnelles précoces par le biais de programmes éducatifs et d’apprentissage, afin de susciter chez les filles un intérêt pour les matières scientifiques;
13.3. à organiser des activités extrascolaires qui permettent aux filles de découvrir et de pratiquer des compétences technologiques et en informatique, telles que le codage numérique dans un environnement non concurrentiel basé sur le jeu;
13.4. à veiller à apprendre aux enseignant·es, dans le cadre de la formation initiale et continue, à reconnaître leurs propres préjugés de genre, conscients ou inconscients, et à y remédier.
14. Enfin, l’Assemblée invite tous les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que les États observateurs et les États dont les parlements bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée. à se servir des travaux de recherche et des outils à leur disposition pour collecter davantage de données ventilées et intersectionnelles sur la discrimination fondée sur le genre dans l’économie afin de mieux y répondre à tous les niveaux, et à prendre en compte les éléments qui montrent que si le plein potentiel des femmes venait à se réaliser, les revenus nationaux à court et à moyen terme augmenteraient considérablement.

B. Exposé des motifs par Mme Sena Nur Çelik Kanat, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Un rapport de 2023 de la Banque mondiale intitulé «Les Femmes, l’Entreprise et le Droit» 
			(2) 
			Groupe de la Banque
mondiale, «<a href='https://openknowledge.worldbank.org/server/api/core/bitstreams/5f16c4c3-3b5f-4993-8acf-0ca52f7bc007/content?_gl=1*ap2j59*_gcl_au*MTY5NTQwNDMwNi4xNzI3MDg2MzI4'>Les
Femmes, l’Entreprise et le Droit 2023</a>», Washington DC, p. 15. indique que les femmes ne jouissent en moyenne que d’à peine 77 % des droits juridiques reconnus aux hommes. Près de 2,4 milliards de femmes dans le monde ne bénéficient pas des mêmes droits économiques que les hommes, une situation exacerbée dans le contexte actuel de difficultés économiques croissantes, où les tensions géopolitiques et la fragmentation du commerce mondial menacent d’anéantir des décennies de progrès pour l’empouvoirement économique des femmes 
			(3) 
			Banque centrale européenne
(BCE), «<a href='https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2023/html/ecb.sp230308_1~daa5630397.fr.html'>Empowering
women in a changing global economy </a>» (anglais uniquement) – Discours de Christine Lagarde,
Présidente de la BCE lors d’un événement organisé par l’Organisation
mondiale du Commerce (OMC) à l’occasion de la Journée internationale
des femmes, Genève, 8 mars 2023..
2. Comme beaucoup d’autres spécialistes des questions économiques, la Banque européenne d’investissement a clairement souligné les occasions manquées pour l’ensemble de la société face à cette incapacité de longue date à mettre pleinement à profit les aptitudes et les capacités des femmes, par exemple dans le domaine crucial du changement climatique: «L’influence économique des femmes, qui contrôlent ou orientent de manière significative 85 % des dépenses de consommation, souligne le vaste potentiel de croissance que recèle l’adoption de stratégies tenant compte de la dimension de genre. Les femmes possèdent également des connaissances uniques et des approches novatrices qui peuvent fortement contribuer aux efforts de résilience face aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets» 
			(4) 
			Banque européenne d’investissement,
«<a href='https://www.eib.org/fr/stories/gender-climate'>À la croisée
du genre et du climat </a>», 4 décembre 2023..
3. Malgré tous les avis et conclusions d’expert·es et les constats les plus évidents, les retombées et les impacts négatifs encore persistants des crises récentes, notamment la pandémie mondiale de covid-19 et les conséquences économiques des conflits en Europe et hors d’Europe, ont montré la fragilité des progrès vers l’égalité entre les femmes et les hommes, et que beaucoup reste à faire. Cela est particulièrement criant en ce qui concerne le déséquilibre qui perdure dans le partage des responsabilités en matière de soins, encore assumées principalement par les femmes, tant au foyer qu’en institution, et le manque de reconnaissance financière pour ce type de travail. Ainsi, outre la lenteur des progrès, il existe un risque réel de retour en arrière, surtout dans le contexte actuel. Les femmes sont confrontées à des discriminations tout au long de leur vie, où qu’elles vivent et quelle que soit leur position sociale. Dans l’économie, cette discrimination se traduit par des écarts persistants de rémunération et de retraite. Le temps consacré aux rôles liés aux soins implique des carrières plus courtes et les emplois dans le domaine des soins ne sont absolument pas reconnus à leur juste valeur.

2. Travaux de l’Assemblée parlementaire sur l’empouvoirement économique des femmes et portée du rapport

4. L’Assemblée a abordé pour la dernière fois le sujet de la place des femmes dans l’économie en 2018, avec un rapport intitulé «L’autonomisation des femmes dans l’économie» qui a donné lieu à la Résolution 2235 (2018). La rapporteure, Mme Elena Centemero (Italie, PPE/DC), avait identifié les principaux domaines nécessitant une action (écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avec pour conséquence des écarts de retraite, difficultés dans l’accès à l’emploi, progression de carrière plus lente, segmentation en fonction du genre, plafonds de verre) et avait souligné le fait que «l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie conditionne les progrès dans d’autres domaines, dont la vie publique et politique», affirmation avec laquelle je suis entièrement d’accord.
5. En 2022, un questionnaire a été adressé aux parlements nationaux via le Centre européen de recherche et de documentation parlementaire (CERDP) sur la législation et les politiques nationales soutenant l’empouvoirement économique des femmes, en mettant l’accent sur les femmes dans leurs différents rôles dans l’économie, en tant qu’employées ou travailleuses indépendantes, entrepreneuses ou dirigeantes. L’objectif principal de l’enquête était d’avoir un aperçu des mesures existantes qui se sont avérées efficaces ou qui ont un impact positif sur l’empouvoirement économique des femmes, dans un contexte où les niveaux d’égalité entre les femmes et les hommes varient considérablement selon les États membres du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			Une majorité d’États
membres est prise en compte dans <a href='https://eige.europa.eu/gender-equality-index/2023'>l'Indice
d'égalité de genre</a> calculé chaque année par l’Institut européen pour l'égalité
entre les hommes et les femmes (EIGE), qui attribue des notes entre
1 et 100, et où les pays de l’Union européenne étaient placés entre
56,1 pour la Roumanie et 82,2 pour Suède, en 2023. Bien que cet
indice repose sur divers indicateurs, la situation des femmes dans
l'économie en constitue une partie importante..
6. Les plus de 30 réponses reçues rendent compte d’un grand nombre de politiques et de pratiques. Une première conclusion à en tirer est que si toutes les mesures mises en évidence avaient été mises en œuvre, les femmes seraient sur un pied d’égalité économique depuis de nombreuses années! Il en ressort également que de nombreux pays ont introduit une forme de budgétisation sensible au genre dans leurs processus, et pour certains, depuis longtemps déjà. Une autre évolution récente et très positive a été l’extension du congé parental pour les deux parents, permettant aux femmes d’assurer une meilleure continuité dans l’emploi. Les réponses détaillées contiennent également des informations précieuses sur les mécanismes conçus pour introduire l’égalité salariale et la transparence des rémunérations, ainsi que sur la manière dont les femmes issues de milieux intersectionnels, en particulier les minorités nationales ou autres, sont prises en compte. Des financements pour des microprojets et des start-up dirigés par des femmes, ainsi que des incitations pour la participation des femmes aux conseils d’administration font également partie des mesures fréquemment signalées.
7. Le 15 septembre 2023, la commission sur l'égalité et la non-discrimination a tenu un échange de vues avec Mme Valérie Frey, économiste principale à la Division de la politique sociale de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a fourni un aperçu très utile de la situation dans les États membres de l’OCDE – largement reflétée dans ceux du Conseil de l’Europe.
8. J’ai fait partie de la sous-commission ad hoc de la Commission sur l’égalité et la non-discrimination qui a participé à la session annuelle de la Commission de la condition de la femme de l’ONU Femmes à New York du 11 au 13 mars 2024 (CSW68). Le thème, «Accélérer la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective d’égalité entre les hommes et les femmes» était très pertinent pour ce rapport: j’ai eu l’occasion de prendre la parole lors de l’événement parallèle intitulé «Les parlementaires, moteurs de l’empouvoirement des femmes».
9. Les 14 et 15 mai 2024, j’ai effectué une visite d’information à Londres, où j’ai rencontré des parlementaires, des responsables gouvernementaux chargés des questions d’égalité, des universitaires et des représentant·es de la société civile travaillant pour la participation des femmes dans l’économie. Je saisis cette occasion pour remercier le secrétariat de la délégation du Royaume-Uni pour son assistance précieuse dans l’organisation de ces réunions hautement pertinentes: les informations que j’ai réunies pendant cette visite figurent en tant qu’étude de cas au chapitre 5 du présent rapport.
10. Enfin, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu un échange de vues lors d’une réunion organisée à Tirana le 5 juin 2024, à laquelle ont participé Mme Delina Ibrahimaj, ministre d’État albanaise chargée de l’Entrepreneuriat, Mme Milva Ekonomi, membre de la Commission de l’économie et des finances du Parlement albanais, Mme Emiriana Sako, maire de Durrës, Mme Jonida Halili, maire adjointe de Tirana, et M. Emanuel Salinas, responsable de la Banque mondiale pour l’Albanie. Les intervenant·es ont donné un éclairage intéressant sur la situation dans un pays où les femmes sont parvenues à un niveau élevé d’égalité politique.

3. Les inégalités économiques existantes entre les femmes et les hommes et la nécessité urgente d’y remédier

11. Il est évident que l’égalité de genre implique des droits égaux pour les femmes et les hommes et l’égalité dans la répartition des ressources est une dimension importante de ces droits. Les questions économiques ne font pas partie directement de la vocation du Conseil de l’Europe, mais il y a une conscience aigüe de l’importance de l’empouvoirement économique des femmes, notamment dans le contexte actuel. Pour prendre un exemple, la Stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité de genre 2024-2029 adoptée par le Comité des Ministres en mars 2024 précise dans son introduction que «Dans un contexte de difficultés économiques croissantes qui font suite à la pandémie de Covid-19, à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, à la triple crise planétaire, engendrée par la pollution, le changement climatique et la perte de biodiversité, à certains effets négatifs du développement technologique et numérique, aux plans et mesures d’austérité, aux incertitudes politiques et au creusement des inégalités à tous les niveaux de la société, il est fondamental de s’attaquer aux aspects humains, sociaux et économiques des inégalités de genre». Le texte poursuit en rappelant qu’«il convient également d’accorder toute l’attention nécessaire à la garantie ou à l’amélioration de l’indépendance économique des femmes, y compris, en réduisant les écarts de rémunération, et de chercher à atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne le travail domestique et de soins non rémunéré» 
			(6) 
			Conseil de l’Europe,
«<a href='https://www.coe.int/fr/web/genderequality/gender-equality-strategy'>Stratégie
pour l’égalité de genre 2024-2029 </a>»..

3.1. Participation moindre des femmes au marché du travail

12. Par conséquent, il est plus que jamais nécessaire de lutter maintenant contre les inégalités de genre dans l’économie et de reconnaître le potentiel significativement plus important de la contribution des femmes, ce qui permettrait à la fois d’arriver à une présence plus équilibrée de toute la société dans l’économie, et d’améliorer les résultats en termes de croissance économique en général. Un rapport de la Banque mondiale déclare qu’«en comblant l’écart entre les sexes en matière d’emploi, le PIB par habitant pourrait augmenter à long terme de près de 20 % en moyenne. En outre, des études estiment entre 5 000 et 6 000 milliards de dollars les gains économiques mondiaux qui pourraient être obtenus si les femmes créaient et développaient de nouvelles entreprises au même rythme que les hommes» 
			(7) 
			Groupe de la Banque
Mondiale, «<a href='https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2023/03/02/pace-of-reform-toward-equal-rights-for-women-falls-to-20-year-low?_gl=1*6zn97r*_gcl_au*MjQ3MTI0Nzg2LjE3MjY3MzI5MTY.'>Le
rythme des réformes en faveur de l’égalité des droits des femmes
chute à son niveau le plus bas depuis 20 ans</a>», 2 mars 2023., ce qui illustre clairement le fait que le plein empouvoirement économique des femmes aurait un impact positif pour toute la société.
13. Lors de l’audition du 15 septembre 2023, Mme Valérie Frey a confirmé que l’empouvoirement économique est d’autant plus difficile pour les femmes dans le contexte actuel. Le dernier rapport de l’OCDE: «Agir ensemble pour l’égalité des genres» est une analyse des progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations de l’OCDE sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation, l’emploi et l’entrepreneuriat et sur l’égalité dans la vie publique. L’étude se veut innovante dans la mesure où elle rassemble de nombreux secteurs de l’organisation qui n’avaient pas pour l’heure été associés au processus. Le rapport comprend également les résultats d’enquêtes menées auprès des pays, concernant notamment les principales entraves à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les États membres estiment que l’éradication des violences faites aux femmes est le principal obstacle à lever, sans pour autant que cela ne semble conduire à l’élaboration de politiques, vu l’absence de politique coordonnée à leur niveau concernant notamment les soins de santé, la justice et le logement.
14. Selon l’étude, le pourcentage de femmes actives dans les États membres est de 58 %, contre 73 % pour les hommes. Les femmes sont donc moins susceptibles de participer à la vie active et moins à même de pouvoir effectuer les heures de travail standards, sachant que leur durée de travail hebdomadaire est inférieure de cinq heures à celle des hommes (en raison des tâches domestiques et des responsabilités familiales). Le creusement de l’écart pendant les années consacrées aux jeunes enfants en est la preuve évidente. Seul un tiers des postes de direction sont occupés par des femmes.

3.2. L’impact négatif de l’intersectionnalité

15. En 2015, les Nations Unies ont adopté leur Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui comporte 17 objectifs de développement durable (ODD), dans lesquels elles s’engagent à garantir que «personne ne sera laissé pour compte» et à «s’efforcer d’atteindre en premier les plus défavorisés». L’ODD n°8 concerne le travail décent et la croissance économique, et les femmes sont désignées comme cibles de discrimination sur le lieu de travail. Malgré les lois anti-discrimination, les individus issus de groupes divers continuent d'être confrontés à des discriminations structurelles et à des obstacles pour accéder et rester sur le marché du travail, et les femmes sont proportionnellement plus touchées. Certaines femmes sont structurellement sous-représentées sur le marché du travail, souvent en raison de l’interaction du genre et des conditions supplémentaires de vulnérabilité ou de marginalisation, telles que l’appartenance à une minorité ethnique ou religieuse ou le fait d’être issu de l’immigration 
			(8) 
			Commission
européenne, Communication de la Commission au Parlement européen,
au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité
des régions, «<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020DC0152'>Une
Union de l’égalité: stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes
et les femmes 2020-2025</a>», 5 mars 2020..
16. Les femmes constituent un groupe hétérogène et peuvent être confrontées à des discriminations intersectionnelles et multiples fondées sur plusieurs caractéristiques personnelles. Par exemple, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) aborde la question souvent négligée de la discrimination à l’égard des femmes musulmanes sur le marché du travail, en documentant l’impact disproportionné du racisme antimusulman sur les femmes musulmanes 
			(9) 
			Rapport du Rapporteur
spécial sur la liberté de religion ou de conviction, Ahmed Shaheed,
«<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/thematic-reports/ahrc4630-countering-islamophobiaanti-muslim-hatred-eliminate'>Combattre l’islamophobie
et la haine antimusulmane pour éliminer la discrimination et l’intolérance
fondées sur la religion ou la conviction </a>», Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l'homme des
Nations Unies, 2021.. Des recherches mentionnées par le CDH ont révélé que les femmes musulmanes ont trois fois plus de risques d’être au chômage que les femmes en général en Europe, en raison d’une «triple pénalité» qui affecte leurs perspectives d’emploi: être une femme, appartenir à un groupe ethnique minoritaire et être musulmane 
			(10) 
			Ibid.. Ces conclusions sont renforcées par des témoignages de femmes musulmanes licenciées de leur emploi parce qu’elles refusaient d’enlever leur foulard.
17. Il est donc essentiel que les États membres du Conseil de l’Europe élaborent et mettent en œuvre des lois et des politiques pour lutter contre les diverses formes de discrimination et d’inégalité qui recoupent et aggravent les inégalités entre les genres dans l’économie. Les politiques d’égalité de genre sur le marché du travail devraient répondre aux besoins spécifiques et aux défis uniques des femmes et des filles issues de groupes divers et de milieux défavorisés, notamment les mères célibataires, les femmes enceintes, les femmes handicapées, les femmes issues de groupes minoritaires et les femmes des zones rurales, afin de garantir leur égalité d’accès aux opportunités économiques. Des mesures fortes et efficaces sont nécessaires pour réformer et renforcer l’application des lois anti-discrimination et sanctionner le racisme et toutes les formes d’intolérance et de discrimination qui affectent la participation économique des femmes.
18. L’intersectionnalité peut également être à l’origine de nouvelles formes de discrimination, comme l’a examiné la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dans une étude intitulée «Discrimination, intelligence artificielle et décisions algorithmiques». Selon les auteurs, «Dans le secteur public, l’IA [intelligence artificielle] peut par exemple être utilisée dans la prévention policière (police prédictive) ou dans les décisions de versement de pensions, d’aides au logement ou d’allocations de chômage. Dans le privé, elle peut servir par exemple à sélectionner des candidats à un emploi. Les banques peuvent l’utiliser pour accorder ou non un crédit à un consommateur et fixer le taux d’intérêt correspondant» 
			(11) 
			FJ Zuiderveen Borgesius,
«<a href='https://rm.coe.int/etude-sur-discrimination-intelligence-artificielle-et-decisions-algori/1680925d84'>Discrimination,
intelligence artificielle et décisions algorithmiques</a>», Conseil de l’Europe, 2018, p. 7.. L'étude formule des recommandations sur la manière de lutter contre la discrimination causée par l'IA et les systèmes de prise de décision automatisée grâce à des outils tels que la protection des données et la réglementation sectorielle dans le droit du travail.

3.3. Écarts salariaux et progression de carrière inégale

19. Les écarts salariaux entre les femmes et les hommes persistent également dans les pays de l’OCDE: les femmes qui travaillent à temps plein gagnent 12 % de moins que les hommes contre 19 % en 1995 (l’écart est encore plus important pour le travail à temps partiel). Quatre raisons principales expliquent ces écarts: le travail non rémunéré, la discrimination, la ségrégation verticale et la ségrégation horizontale liée au genre (secteurs d’emploi). Bien que les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons en mathématiques à l’école, elles restent minoritaires dans les emplois liés aux mathématiques. Et les garçons sont encore moins nombreux à occuper des emplois «féminins».
20. L’entreprise de recherche américaine McInsey a publié en 2023 une étude intéressante sur les tendances actuelles en matière de progression économique des femmes 
			(12) 
			Emily Field, Alexis
Krivkovich, Sandra Kügele, Nicole Robinson et Lareina Yee, «Women
in the Workplace 2023», McInsey and Company., qui contredit certaines idées reçues telles que le «plafond de verre» qui empêcherait les femmes d’accéder à des postes de direction. Selon cette étude, ce phénomène a pu être une réalité dans le passé, mais d’après les expériences partagées notamment lors d’entretiens, l’obstacle le plus difficile à franchir est le premier pas – ce que les auteurs appellent «l’échelon brisé», c’est-à-dire le tout premier échelon à gravir vers un poste de direction. Ce constat est d’autant plus manifeste lorsque les femmes sont issues de milieux intersectionnels.
21. L’Indice d’égalité de genre de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) identifie les marqueurs de l’égalité pour lesquels les progrès les plus importants ont été observés, et d’autres pour lesquels il y a eu peu ou pas d’amélioration, voire une régression. Selon l’Indice pour 2023, les inégalités entre les femmes et les hommes sont les plus prononcées dans le domaine du «pouvoir», malgré des améliorations récentes, avec des reculs constatés dans huit pays par rapport à la dernière enquête. La prise de décision économique, l’une des subdivisions de cette catégorie, arrive au deuxième niveau le plus bas de l’Union européenne, bien qu’avec une légère amélioration depuis 2020. Le domaine de «l’argent» (ressources financières et situation économique des femmes et des hommes) se classe en deuxième place en termes d’égalité dans l’indice, mais un recul des situations économiques est observé depuis 2020 en raison de la pandémie de covid-19, indiquant également des conséquences potentiellement durables sur les inégalités de genre en termes de revenus, dans la mesure où les ressources financières des femmes n’ont pas augmenté.

3.4. Liens entre la violence fondée sur le genre et la participation égale des femmes à l’économie

22. L’étude McInsey précitée met en évidence la présence sur le lieu de travail d’une violence fondée sur le genre et dirigée contre les femmes sous la forme de «microagressions». Bien souvent, ces microagressions n’ont pas été prises en compte dans les politiques et les mesures visant à garantir l’égalité. Pourtant, elles contribuent à dissuader les femmes de progresser professionnellement ou les inciter à changer d’attitude au travail afin de se conformer davantage aux normes perçues ou de reproduire le même mode d’interaction. Elles ont, ainsi, un impact considérable sur leur carrière.
23. Selon l’étude McInsey, les femmes sont 1,5 à 2 fois plus susceptibles de subir une microagression que les hommes. Ces microagressions peuvent se manifester sous diverses formes: le fait d’être confondues avec quelqu’un d’autre – de la même race ou de la même couleur, ou similaire, voire du même sexe, ou ayant le même type de cheveux, par exemple – ou encore des responsables qui ne soutiennent pas ou ne défendent pas le travail d’un membre féminin de l’équipe. Prises individuellement, ces petites humiliations peuvent passer «sous le radar» et ne pas être considérées comme des comportements qualifiés de violents ou agressifs. Mais lorsqu’elles se traduisent par une multiplication de microagressions au quotidien, les femmes sont 3,3 fois plus susceptibles d’envisager de quitter leur emploi et 4,2 fois plus de souffrir d’épuisement professionnel.
24. Les préjugés de genre inconscients constituent un autre obstacle pour les femmes, notamment en termes de recrutement, et peuvent également être considérés comme une forme d’agression ou de violence à leur égard. La formulation des descriptions de poste, l’évaluation des candidat·es et les sélections finales sont encore sujettes à ces préjugés, qui entraînent chez les femmes des idées préconçues, conscientes ou inconscientes, selon lesquelles elles seraient moins compétentes pour occuper des postes techniques ou de direction. Les termes masculins employés dans les annonces d’emploi, tels que «assertif» et «dominant», peuvent également dissuader les femmes de postuler, par exemple.
25. L’article 1 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE No. 210) stipule que celle-ci a pour buts, entre autres, «de protéger les femmes contre toutes les formes de violence», et «de contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, y compris par l’autonomisation des femmes». La législation et les politiques visant à prévenir la violence et à protéger les femmes contre ce phénomène devraient davantage tenir compte de ses manifestations sur le lieu de travail et reconnaître la nécessité d’en surveiller attentivement les effets.

4. La budgétisation sensible au genre: un outil efficace pour promouvoir l’égalité de genre et encourager un développement et une croissance économiques inclusifs

26. Les budgets sont l’un des instruments politiques les plus puissants dont dispose un gouvernement; ils déterminent tous les niveaux de revenus et d’emploi d’un pays tout en révélant ses priorités politiques. Bien que les chiffres figurant dans les documents budgétaires puissent sembler neutres en termes de genre, les recherches montrent que les modèles de dépenses et la génération de revenus affectent les femmes et les filles différemment des hommes et des garçons, désavantageant souvent les premières. Cette disparité résulte des rôles socialement définis des femmes et des hommes, de la division du travail selon le genre, des responsabilités et des capacités variables et des défis spécifiques auxquels chaque groupe est confronté. En conséquence, les femmes se retrouvent souvent dans une position moins favorable que les hommes, avec un pouvoir économique, social et politique réduit.
27. L’intégration d’une perspective de genre dans le processus budgétaire, également appelée budgétisation sensible au genre 
			(13) 
			Ileana Steccolini,
«<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09540962.2019.1578538'>New
development: Gender (responsive) budgeting – a reflection on critical
issues and future challenges</a>» (anglais uniquement), Public
Money & Management Vol. 39 – n° 5, pp. 379-383, avril 2019., est un outil utile pour promouvoir le changement social, l’égalité de genre et l’empouvoirement des femmes. Mise au point à l’origine en Australie dans les années 1980 
			(14) 
			R. Sharp et R. Broomhill,
«<a href='https://doi.org/10.1080/1354500110110029'>Budgeting
for Equality: the Australian experience</a>» (anglais uniquement), Feminist Economics, Vol.
8 (1), Routledge Taylor & Francis, Abingdon, 2002., cette approche de la budgétisation a depuis lors été reproduite dans plus de 100 pays à travers le monde 
			(15) 
			Tania Sánchez Montaño,
«<a href='https://www.unwomen.org/sites/default/files/2023-06/Strengthening-public-finance-management-systems-for-gender-equality-and-womens-empowerment-en.pdf'>Strengthening
public finance management systems for gender equality and women’s empowerment</a>» (anglais uniquement), ONU Femmes, 2023.. Elle a ensuite pris un nouvel élan dans les années 1990, grâce au «Programme d’action de Beijing» de 1995 des Nations Unies, qui recommandait que les besoins des femmes soient plus sérieusement pris en compte dans l’élaboration des programmes et des politiques économiques 
			(16) 
			Janet G. Stotsky, «<a href='https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2016/wp16149.pdf'>Gender
Budgeting: Fiscal Context and Current Outcomes</a>» (anglais uniquement), Document de travail du Fonds
monétaire international (FMI) WP/16/149, juillet 2016..

4.1. Qu’est ce que la budgétisation sensible au genre?

28. La budgétisation sensible au genre est une approche politique qui vise à intégrer une perspective de genre dans le processus d’élaboration des politiques, garantissant ainsi que les budgets, les politiques et les programmes gouvernementaux accordent une attention particulière aux besoins et aux priorités des femmes. En d’autres termes, comme le Conseil de l’Europe l’a souligné dès 2005 
			(17) 
			Conseil
de l’Europe, Division de l’égalité, Direction générale des droits
de l’homme, <a href='https://rm.coe.int/1680596144'>«L’intégration
d’une perspective de genre dans le processus budgétaire: Rapport
final du Groupe de spécialistes sur l’intégration d’une perspective
de genre dans le processus budgétaire (EG-S-GB)»</a>, 2005., la BSG est une application de l’approche intégrée de l’égalité de genre dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants avec une perspective de genre et l’intégration d’une telle perspective à tous les niveaux du processus de budgétisation et de planification.
29. L’EIGE définit la BSG comme une stratégie visant à atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes par la collecte et l’affectation appropriées des ressources publiques et souligne qu’elle a un triple objectif: promouvoir la responsabilité et la transparence dans la planification financière; accroître la participation sensible au genre dans le processus budgétaire, par exemple en prenant des mesures pour associer les femmes et les hommes sur un pied d’égalité à la préparation du budget; et faire progresser l’égalité de genre et les droits de la femme. D’après une autre définition d’ONU Femmes, la BSG aide à promouvoir des politiques sensibles au genre et à mieux répartir les ressources publiques, en veillant à ce que leur allocation soit effectuée de manière efficace et contribue à faire progresser l’égalité de genre et l’empouvoirement des femmes.
30. La BSG cherche à intégrer les considérations de genre dans les processus financiers publics. Cette approche aboutit à la création de budgets sensibles au genre. Il ne s’agit pas de budgets spécifiques pour les femmes, mais plutôt de budgets inclusifs qui sont conçus, approuvés, mis en œuvre, suivis et audités en tenant compte des différences entre les femmes et les hommes.
31. Une approche de la BSG devrait être adoptée au niveau de l’administration centrale, mais aussi aux niveaux régional et local. En effet, non seulement les collectivités locales et régionales contribuent à la mise en œuvre des priorités fixées par le niveau central, mais elles ont également une connaissance directe de la situation des femmes et des hommes au niveau local et ont la capacité de déceler et de corriger les inégalités.
32. La conception et la mise en œuvre des politiques de la BSG doivent respecter certains principes 
			(18) 
			EIGE, «<a href='https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/tools-methods/gender-budgeting'>Gender
Budgeting Tool/Method</a>», (anglais uniquement), (consulté le 7 juin 2023)., le premier étant la responsabilité des gouvernements. En tant que mécanisme permettant de savoir si les engagements d’un gouvernement en matière d’égalité de genre se traduisent par des engagements budgétaires 
			(19) 
			R. Sharp et R. Broomhill,
«<a href='https://doi.org/10.1080/1354500110110029'>Budgeting
for Equality: the Australian experience</a>» (anglais uniquement), Feminist Economics, Vol.
8 (1), Routledge Taylor & Francis, Abingdon, 2002, p. 26., la BSG tend à rendre les gouvernements responsables de leurs engagements en matière de politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Le deuxième principe critique est celui de la transparence, obtenue en augmentant la participation des femmes et des hommes au processus budgétaire.
33. L’approche de la BSG repose aussi sur la performance et l’orientation des résultats, ainsi que sur l’efficacité. Cette approche de la budgétisation permet de mieux évaluer les effets redistributifs et l’incidence des dépenses sur les femmes et les hommes. Elle livre ainsi des données précieuses et offre une base solide pour un processus décisionnel fondé sur des données probantes. Si certains objectifs peuvent nécessiter des ressources supplémentaires, dans certains cas, il ne s’agit pas simplement d’augmenter les fonds, mais de réaffecter les ressources à des activités différentes ou d’améliorer la coordination entre les secteurs. La mise en œuvre de la BSG permet donc d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques grâce à l’analyse de genre.
34. La BSG est un outil de suivi pertinent car elle permet de suivre l’affectation des ressources, d’identifier les problèmes de mise en œuvre et d’évaluer l’efficacité des politiques dans la lutte contre les inégalités fondées sur le genre. En outre, elle offre un cadre permettant d’associer d’autres parties prenantes et la société civile au processus d’élaboration de nouvelles politiques et d’adoption de nouvelles mesures visant à améliorer la prise en compte du genre dans la planification budgétaire.
35. En outre, la BSG prend explicitement en compte le travail de soins non rémunéré qui, partout dans le monde, est effectué principalement par des femmes. Sinon, l’économie des soins resterait invisible malgré son importance pour le fonctionnement de l’économie de marché.
36. La prise en compte du genre joue aujourd’hui un rôle important dans le processus d’élaboration du budget au niveau national en Europe 
			(20) 
			Sheila
Quinn, «<a href='https://www.imf.org/-/media/Websites/IMF/imported-full-text-pdf/external/pubs/ft/wp/2016/_wp16155.ashx'>A
survey of gender budgeting efforts in Europe </a>» (anglais uniquement), Document de travail du FMI WP/16/155,
FMI, juillet 2016. bien que son potentiel n’ait pas encore été pleinement exploité. Certains États membres ont déjà intégré la BSG dans leur processus d’élaboration des politiques, que ce soit dans des domaines spécifiques ou de manière plus générale.

4.2. Des exemples de budgétisation sensible au genre à des stades différents de mise en œuvre

37. Un certain nombre de pays ont inscrit le principe d’égalité, dont l’égalité de genre, dans leur constitution. La Constitution autrichienne va plus loin, puisque son article 13 fait spécifiquement référence à la BSG, en déclarant que la Fédération, les États et les communes doivent s’efforcer d’assurer l’égalité effective des femmes et des hommes dans leur gestion budgétaire. L’article 51 mentionne aussi la réalisation de l’égalité réelle des femmes et des hommes parmi les objectifs de la gestion budgétaire de la Fédération. La BSG a été introduite dans le pays dans le cadre d’une réforme budgétaire plus globale à partir de 2007, et son inclusion dans la constitution en a fait un principe budgétaire à tous les niveaux de l’administration. L’objectif de l’égalité de genre figure dans tous les chapitres du budget. Selon une étude de l'OCDE du système BSG en Autriche, l'approche systémique globale de la BSG, conçue pour exiger que tous les ministères prennent en compte l'égalité de genre dans la définition d'objectifs de haut niveau et dans la spécification plus détaillée des résultats et des objectifs, constitue une pratique internationale de premier plan.
38. En Belgique, le parlement national a adopté en 2007 la «loi gender mainstreaming» 
			(21) 
			<a href='http://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2007/01/12/2007002011/moniteur'>Loi
visant au contrôle de l’application des résolutions de la conférence
mondiale sur les femmes réunie à Pékin en septembre 1995 et intégrant
la dimension du genre dans l’ensemble des politiques fédérales</a>, Moniteur Belge, 13 février 2007., qui exige l’intégration d’une dimension de genre dans l’ensemble des politiques définies au niveau fédéral, y compris les politiques budgétaires. Cette loi oblige les ministères de chaque gouvernement à relier objectifs de genre et programmes budgétaires. Elle dispose aussi que le budget doit être examiné au parlement aux fins d’une meilleure intégration des mesures et des actions en faveur de l’égalité de genre. La loi belge comporte également des dispositions relatives à la collecte de données ventilées par genre et à l’utilisation de ces données pour mieux évaluer l’impact différentiel des politiques sur les femmes et les hommes par un «test genre» 
			(22) 
			Sheila Quinn, «<a href='https://doi.org/10.1515/admin-2017-0026'>Gender
budgeting in Europe: what can we learn from best practice?</a>», Administration,
Volume 65 (2017) – n° 3, août 2017, p. 104: «gender test: an assessment
of the potential differential impact on women and men of all government
policies, laws and measures perceived to have significant relevance
to gender equality»..
39. L’approche de la Suède en matière de BSG s’est également révélée constructive. Depuis 2014, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre efficacement la BSG dans le pays, conformément aux efforts déployés précédemment pour intégrer une perspective de genre dans ses processus et politiques budgétaires. Le «Plan pour l’intégration de la dimension de genre 2004-2009» a introduit le principe selon lequel la BSG devait s’inscrire dans l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce plan avait pour objectif d’intégrer une analyse fondée sur le genre dans les deux principaux processus décisionnels (processus législatif et processus budgétaire). En outre, depuis 2016, les lignes directrices budgétaires annuelles comprennent des instructions sur la manière d’appliquer la BSG tout au long du processus budgétaire. En Suède aussi, la collecte de données ventilées par genre est largement utilisée depuis 2006, ce qui a permis de définir de nouveaux indicateurs d’égalité de genre.
40. La BSG a été introduite en Espagne en 2008 et il existe une obligation légale de procéder à des évaluations ex ante en matière de genre dans toutes les réglementations gouvernementales. En outre, la région autonome d'Andalousie pratique une mise en œuvre intéressante et avancée de la BSG depuis 2003. Le budget régional présenté au parlement doit contenir un rapport sur l'impact sur le genre, et la Commission sur l'impact sur le genre (un organe de coordination interministériel composé à parts égales de femmes et d'hommes), qui a été créée au sein du ministère des Finances, supervise l’exécution et l’approbation du rapport sur l’impact sur le genre 
			(23) 
			Kolovich, Lisa L. (editor), «Fiscal
Policies and Gender Equality», FMI, Washington DC, 2018.. Le gouvernement a réalisé des progrès significatifs dans la collecte et la gestion de données ventilées par sexe et pertinentes au genre, au point qu'en 2015, 50 % des responsables des budgets ont été formés à l'utilisation des données ventilées par sexe.
41. La Türkiye a réalisé des progrès significatifs en matière de BSG ces dernières années. La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Parlement turc a créé une sous-commission sur la BSG en 2012, qui a abouti à l’inclusion de la BSG dans tous les programmes de développement du gouvernement central depuis 2014. Le 12e Plan de développement de la Türkiye (2024-2028) souligne explicitement l'importance d'intégrer une BSG dans les pratiques de gestion des finances publiques. Les documents d’orientation en matière de budgétisation centrale et locale soulignent également la nécessité d’adopter des approches BSG dans les processus de planification et de budgétisation. La BSG est l'un des critères d'évaluation des investissements proposés dans les secteurs de l'éducation, de la santé, de l'emploi et de l'inclusion sociale. En conséquence, le nombre d'indicateurs sur l’empouvoirement des femmes dans les programmes budgétaires du gouvernement central a augmenté d'année en année. La Türkiye s'efforce de maintenir ces progrès par le «Projet sur la mise en œuvre d'une planification et d'une budgétisation sensibles au genre en Türkiye», gérée par ONU Femmes Türkiye en coopération avec le ministère de la Famille et des Services sociaux et la Présidence de la Stratégie et du Budget depuis 2020, avec l’objectif global de renforcer davantage l’égalité de genre grâce à l’intégration de la perspective de genre à toutes les étapes des processus d’élaboration des politiques et de budgétisation aux niveaux national et local 
			(24) 
			<a href='https://eca.unwomen.org/en/stories/news/2024/03/turkiye-mainstreams-gender-responsive-planning-and-budgeting-with-new-strategy'>ONU
Femmes, «Türkiye mainstreams gender responsive planning and budgeting
with new strategy»</a>, 22 mars 20214, (anglais uniquement)..

4.3. Les piliers de la budgétisation sensible au genre

42. Pour une conception et une mise en œuvre efficaces et durables, les organisations internationales telles que l'OCDE et le Conseil de l'Europe recommandent que l'approche de la BSG repose sur les piliers suivants: dispositifs institutionnels et stratégiques, méthodes et outils, environnement propice, redevabilité et transparence, et impact 
			(25) 
			OCDE
(2023), <a href='https://doi.org/10.1787/ac9ec902-fr'>«La budgétisation
sensible au genre dans les pays de l’OCDE 2023</a>», Éditions OCDE,
Paris..
43. Les efforts de BSG nécessitent un engagement politique, un leadership fort et une clarté des rôles et des responsabilités des différents acteurs au sein du gouvernement pour assurer la mise en place d’une approche pangouvernementale bien coordonnée. La BSG est plus efficace lorsqu'elle est intégrée dans le cadre juridique, le processus budgétaire et les documents budgétaires pertinents, mise en oeuvre aux niveaux national, régional et local, et guidée par une stratégie nationale d'égalité entre les femmes et les hommes qui définit les objectifs globaux en matière de genre. L’institutionnalisation de la BSG au moyen d’un cadre juridique solide et de dispositifs institutionnels clairs garantit que sa pratique perdure en cas de changements de priorités politiques et économiques.
44. Pour mettre en œuvre avec succès la BSG, il convient d’appliquer divers outils d’analyse tout au long du processus budgétaire. La typologie de l’OCDE classe ces outils en fonction de l’étape du processus budgétaire à laquelle ils peuvent être utilisés et distingue les approches de BSG en trois catégories: ex ante, simultanée, et ex post 
			(26) 
			R. Downes, L. von Trapp
et S. Nicol, «<a href='https://www.oecd-ilibrary.org/governance/gender-budgeting-in-oecd-countries_budget-16-5jfq80dq1zbn'>La
budgétisation sensible au genre dans les pays de l’OCDE</a>» (anglais uniquement), OECD
iLibrary, Vol 2016/3, 2017..
45. L'approche ex ante consiste à analyser les nouvelles mesures budgétaires avant que le projet de budget ne soit soumis au Parlement. Cette analyse, ainsi qu'une évaluation des principaux écarts entre les femmes et les hommes dans les domaines d’action politique, garantit une perspective de genre dans l'allocation des ressources et conduit à des propositions budgétaires conçues pour combler les écarts en matière d'égalité de genre qui sont prioritaires. L'approche simultanée fixe des objectifs de performance liés au genre et prend des décisions d'allocation financière pendant la phase d'approbation du budget. Enfin, l'approche ex post, appliquée après que le budget a été dépensé, effectue un audit des dépenses après affectation pour évaluer si les mesures budgétaires ont atteint leurs objectifs prévus en matière d'amélioration de l'égalité de genre 
			(27) 
			R. Downes et S. Nicol,
«<a href='https://www.oecd-ilibrary.org/governance/designing-and-implementing-gender-budgeting-a-path-to-action_689198fa-en'>Designing
and implementing gender budgeting – a path to action</a>» (anglais uniquement), OECD
iLibrary, Vol. 20/2, 2020..
46. Une approche avancée de la BSG intègre une perspective de genre à chaque étape du cycle budgétaire de la planification et de l’approbation à l’évaluation, en veillant à ce que divers outils et approches de BSG soient appliqués ensemble pour restructurer les recettes et les dépenses conformément aux conclusions des analyses, améliorant ainsi l’efficacité de la politique budgétaire dans la réalisation des objectifs d’égalité de genre. Recommandée pour tous les États membres du Conseil de l’Europe, des exigences telles que des évaluations d’impact sur le genre et d’autres outils de BSG, la transparence des résultats et la responsabilisation permettent de surmonter les obstacles habituels à une mise en œuvre réussie, comme le manque de soutien politique, l’absence d’expertise technique et de données, et les difficultés à faire participer les parties prenantes 
			(28) 
			I. Steccolini,
«<a href='https://doi.org/10.1080/09540962.2019.1578538'>New development:
Gender (responsive) budgeting – a reflection on critical issues
and future challenges</a>», Public Money & Management,
Vol. 39 – n° 5, avril 2019, pp. 379-383..
47. La BSG sera plus efficace si elle est mise en place dans un environnement favorable. Cela comprend la formation et le développement des capacités du personnel gouvernemental, un engagement structuré avec la société civile et les syndicats, l’audit par des institutions de contrôle telles que le parlement et l'institution supérieure de contrôle des finances publiques, ainsi que la coopération et l'échange de bonnes pratiques avec les organisations et institutions internationales.
48. En 2022, ONU Femmes a publié le «Kit d’action – Impliquer les parlements dans la budgétisation sensible au genre» 
			(29) 
			K. Deveaux et G. Dubrow,
«<a href='https://www.unwomen.org/fr/digital-library/publications/2022/11/action-kit-engaging-parliaments-in-gender-responsive-budgeting'>Kit
d’action: Impliquer les parlements dans la budgétisation sensible
au genre</a>», ONU Femmes, 2022., ciblant les «aux acteurs qui souhaitent construire un système efficace pour intégrer la BSG dans le processus budgétaire annuel de l’État. Cela comprendra les membres du Parlement, le personnel et des commissions parlementaires, les groupes parlementaires de femmes, ainsi que d’autres acteurs [...] qui pourraient vouloir initier et soutenir un rôle plus important pour le Parlement et les parlementaires dans la BSG» 
			(30) 
			Ibid.. Le kit d’action porte sur le renforcement de la capacité des parlements de «réaliser des analyses budgétaires avec une approche sexospécifique, ainsi que sur la participation publique et l’analyse factuelle de comités de supervision, et l’établissement de partenariats entre les parlements et d’autres acteurs de supervision» 
			(31) 
			Ibid.,
p. 8.. Il inclut des exemples de pays où la BSG a été mise en œuvre avec succès, une description des processus fondamentaux nécessaires à la mise en place d’un système de gestion des finances publiques sensible au genre, ainsi que des conseils rapides et des points d’entrée pour la participation parlementaire.
49. En outre, les pouvoirs publics devraient utiliser des instruments de suivi pour mesurer les progrès réalisés grâce aux politiques de BSG. À cette fin, des données spécifiques au genre devraient être régulièrement collectées et mises à jour pour relever les inégalités de genre et identifier les échecs dans la mise en œuvre de politiques sensibles au genre.

4.4. Analyse globale des pratiques de budgétisation sensible au genre dans les États membres du Conseil de l'Europe

50. Il existe un large consensus sur le rôle important que joue la BSG dans la réduction des écarts entre les femmes et les hommes et la promotion de l’égalité de genre. Toutefois, la BSG est moins utilisée dans les États membres du Conseil de l’Europe qu’on pourrait le penser et ses avantages potentiels sont sous-exploités 
			(32) 
			I.
Steccolini, op. cit., pp. 379-383.. Dans l'Union européenne, seuls 12 pays mettent activement en œuvre la BSG. Neuf pays ne pratiquent pas la BSG et n’envisagent pas de l’introduire car ils considèrent leur politique d’égalité de genre comme suffisante. Les trois pays restants discutent actuellement de son introduction ou la testent 
			(33) 
			European
Parliament Policy Department for Budgetary Affairs, «<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2023/754386/IPOL_BRI(2023)754386_EN.pdf'>Gender
budgeting in the Member States</a>» (anglais uniquement), octobre 2023.. La BSG est de plus en plus pratiquée dans les pays membres de l’OCDE et constitue désormais un outil budgétaire utilisé pour contribuer à réduire les écarts entre les femmes et les hommes dans 61 % des pays membres 
			(34) 
			OCDE
(2023), <a href='https://doi.org/10.1787/ac9ec902-fr'>«La budgétisation
sensible au genre dans les pays de l’OCDE 2023</a>», op. cit..
51. Les États membres du Conseil de l’Europe qui ont introduit la BSG se trouvent à différents stades de sa mise en œuvre. Certains utilisent des projets pilotes pour suivre les effets de la BSG, tandis que d’autres l’ont déjà intégrée dans leur procédure budgétaire annuelle depuis une période plus longue. Les exigences juridiques, les structures institutionnelles, les approches méthodologiques, les outils d’analyse, le niveau de gouvernement impliqué et la structure de responsabilité en matière de BSG varient considérablement 
			(35) 
			E. Bova et J. Jerosch
Herold da Costa Reis, «<a href='https://ideas.repec.org/p/euf/dispap/165.html'>Gender
Budgeting Practices Concepts and Evidence</a>» (anglais uniquement), European Economy – Discussion
Papers165, DG ECFIN, Commission européenne, 2022.. Les pays à des stades plus avancés tentent désormais d’améliorer la mise en œuvre, la collecte de données et la documentation, d’augmenter le nombre d’outils de BSG et envisagent d’introduire la budgétisation axée sur les performances dans d’autres domaines liés aux politiques sociales ou environnementales 
			(36) 
			European
Parliament Policy Department for Budgetary Affairs, «<a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2023/754386/IPOL_BRI(2023)754386_EN.pdf'>Gender
budgeting in the Member States</a>» (anglais uniquement), octobre 2023..
52. Les États membres du Conseil de l’Europe ont adopté divers outils et approches de BSG, mais nombre d’entre eux n’appliquent que quelques-uns d’entre eux à une seule étape du processus budgétaire, ce qui limite les avantages potentiels de la BSG. Il est recommandé à tous les États membres d’accroître le nombre d’outils et d’approches qu’ils appliquent et d’adopter une approche plus avancée, comme l’Autriche et la Suède, en mettant en œuvre plusieurs outils de BSG à chaque étape du cycle budgétaire et en intégrant pleinement une perspective de genre tout au long du processus.
53. Les défis empêchant la mise en œuvre des mesures BSG dans les États membres du Conseil de l'Europe varient. Les principaux défis comprennent la faible disponibilité de données ventilées, un cadre juridique et institutionnel inadéquat, une volonté politique insuffisante, le manque de ressources, de connaissances ou d'expérience technique et un manque d'impact sur les décisions budgétaires 
			(37) 
			OCDE (2023), <a href='https://doi.org/10.1787/ac9ec902-fr'>«La
budgétisation sensible au genre dans les pays de l’OCDE 2023</a>», op. cit..
54. Alors que la majorité des États membres du Conseil de l’Europe pratiquant la BSG exigent que des informations sur le genre accompagnent les propositions budgétaires, seulement 9 % des pays membres de l’OCDE ont indiqué que ces informations sont toujours ou souvent utilisées dans la prise de décision, 59 % ont déclaré qu’elles sont parfois utilisées et 32 % les utilisent rarement 
			(38) 
			Ibid.. Il est donc important que les pays du Conseil de l’Europe s’efforcent d’accroître l’impact de la BSG sur les décisions en matière de budget, d’élaboration des politiques et d’allocation des ressources.
55. Il est important de mentionner que plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ont présenté leurs projets visant à développer davantage leurs pratiques de BSG. La Finlande a indiqué son intention d'entreprendre une évaluation de l'impact de la politique économique du gouvernement sur l'égalité de genre au cours de la législature. L’Islande élargit la portée de la BSG pour une plus grande inclusion de l’analyse intersectionnelle. L'Irlande discute du développement d'un système de marquage pour relier les postes budgétaires aux dimensions de l'égalité, de l'environnement, du bien-être et de la budgétisation des ODD. La Türkiye a l'intention d'établir un système de signalement qui suivra et évaluera les indicateurs d'égalité de genre liés aux mesures budgétaires et contribuera à mieux orienter les processus de prise de décision 
			(39) 
			Ibid..
56. Dans l’ensemble, si certains États membres du Conseil de l’Europe ont mis en place la BSG, les progrès restent lents, les pratiques étant souvent limitées dans leur portée et confrontées à des difficultés de mise en œuvre. Les États membres sont instamment priés de faire progresser la BSG en établissant des cadres juridiques solides et des dispositifs institutionnels clairs, en améliorant la collecte de données et en intégrant l’analyse de genre dans l’ensemble du processus budgétaire, afin d’assurer une application plus large à tous les niveaux de gouvernement. Il est essentiel de suivre les recommandations du présent rapport, ainsi que celles des organisations internationales, pour créer des budgets garantissant l’égalité de genre en restructurant les recettes et les dépenses afin de combler les écarts entre les femmes et les hommes et de promouvoir l’égalité de genre.

5. Le Royaume-Uni à l’instant «T»

57. Ma visite à Londres les 14 et 15 mai 2024 a confirmé les conclusions des Nations Unies sur la lenteur des progrès dans tous les domaines de la participation égale des femmes à l’économie: l’idée de «salaire égal pour un travail égal» fait partie des revendications des travailleurs et des travailleuses depuis les années 1970 au Royaume-Uni, ce qui a conduit à l’introduction précoce de rapports réguliers obligatoires sur l’écart salarial entre les femmes et les hommes, mais même avec un demi-siècle de législation et de politiques, l’objectif de l’égalité économique est toujours loin d’être atteint.
58. La législation est fondée sur la loi sur l’égalité de 2010, qui couvre tous les domaines, y compris l’origine ethnique, le handicap ainsi que l’égalité de genre. Il existe une obligation légale de réaliser des évaluations d’impact sur l’égalité des projets de loi (mécanisme qui est l’un des principes fondamentaux de la BSG), mais les échanges que j’ai eus ont clairement montré qu’une analyse plus systématique et plus approfondie, ainsi qu’une responsabilisation ultérieure, étaient nécessaires. Les représentant·es du pôle Égalité (Equality Hub) du Gouvernement britannique m’ont informé que «dénoncer publiquement» les entreprises qui ne promeuvent pas l’égalité est plus efficace pour faire progresser l’égalité salariale que des sanctions financières.
59. Parmi les mesures récemment adoptées par le gouvernement figure le doublement du droit à la garde d’enfants gratuite pour les parents, de 15 à 30 heures par semaine. Même si cela témoigne de la reconnaissance de l’un des obstacles majeurs à la participation des femmes, la nouvelle mesure n’a pas, pour l’instant, été suivie d’une mise à disposition d’infrastructures et de personnel de garderie suffisants pour être fonctionnelle. En outre, encourager les femmes à travailler moins d’heures (parce qu’elles restent les principales aidantes) est considéré comme constituant un risque pour leur carrière. Une campagne visant à encourager un meilleur partage du congé parental dans le pays a donné des résultats positifs.
60. La santé des femmes est un autre domaine clé dans lequel les questions de santé différenciées selon le genre font actuellement l’objet d’une attention beaucoup plus grande au Royaume-Uni, par exemple en ce qui concerne une meilleure compréhension des problèmes de la ménopause sur le lieu de travail et des moyens d’en atténuer les conséquences. La mortalité maternelle est un problème grave parmi les minorités ethniques du Royaume-Uni – le taux est 4 à 5 fois plus élevé que dans le reste de la population. Comme dans de nombreux autres pays, la pandémie de covid-19 a eu un impact sur l’égalité: au Royaume-Uni, les situations défavorisées et l’hésitation à la vaccination au sein des minorités ethniques ont conduit à de grandes disparités en matière de morbidité.
61. Les représentant·es du gouvernement que j’ai rencontrés n’ont pas considéré que le Brexit était un obstacle à la mise en œuvre des politiques – la plupart des dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne ont été incorporées dans le droit national, et le droit de l’Union européenne s’était inspiré dans une certaine mesure de la législation britannique. L’Equality Hub se concentre sur les entreprises en tant que vecteur d’une plus grande égalité. La participation des filles et des femmes aux études scientifiques, technologiques, d’ingénierie et mathématiques (STIM) a augmenté au Royaume-Uni jusqu’à l’âge du lycée, mais il existe encore une très grande différence dans les professions connexes, où les niveaux d’entrée sont beaucoup plus faibles et les taux d’abandon plus élevés que chez les hommes (principalement en raison des responsabilités en matière de soins).
62. Une commission restreinte du Parlement britannique, la commission des femmes et de l’égalité, créée par David Cameron en 2015, supervise les nouveaux projets de lois et leur impact sur l’égalité. Caroline Nokes, présidente de la commission, a souligné son caractère transversal, qui examine l’égalité au sein du gouvernement, travaillant sur le handicap, l’ethnicité et l’intersectionnalité ainsi que sur les grandes questions d’égalité des femmes. Cette supervision s’est avérée utile, mais les recommandations formulées sont souvent rejetées par le gouvernement.
63. Mme Nokes m’a informée que les rapports réguliers sur l’écart salarial entre femmes et hommes qui ont cessé devraient reprendre, et que les évaluations de l’impact des nouvelles lois sur l’égalité entre les femmes et les hommes devraient être une obligation légale et devraient être rendues publiques. Elle recommande que des commissions «femmes et égalité» existent dans tous les parlements. Les campagnes publiques (sur la ménopause, la race et le genre, la misogynie, etc.) sont un bon outil pour changer les mentalités, et il faudrait faire davantage contre le harcèlement, en particulier dans les services publics, dans la police, les forces armées et dans les hôpitaux où le harcèlement sexuel est «répandu et occulté».
64. Un autre mécanisme intéressant qui existe au Royaume-Uni pour un contrôle indépendant de la législation sur l’égalité est le Women’s Budget Group (WBG), fondé en 1989 par des femmes économistes qui, constatant que les hommes décidaient de la plupart, sinon de la totalité, des politiques, ont décidé d’examiner et d’analyser les déclarations et débats budgétaires du printemps et de l’automne et d’en faire le commentaire. Le WBG propose une analyse approfondie des budgets dans la semaine qui suit leur publication, en se concentrant sur les aspects relatifs au genre, en invitant des expert·es à apporter des contributions selon les sujets. Mme Samah Krichah a expliqué, lors de notre rencontre, que ces rapports sont de plus en plus appréciés et que le WBG reçoit désormais des subventions pour mener à bien son travail. Le WBG propose aujourd’hui également des formations sur la manière d’utiliser les données des recensements à des fins de plaidoyer, actuellement en partenariat avec le Kings College de Londres, mais en passe d’être mises en place dans tout le pays.
65. Le groupe s’efforce également d’aider les femmes à surmonter leurs réticences et leur manque de confiance pour la manipulation des données et l’emploi des mathématiques. Mme Krichah a répété que les différents effets des politiques sur les femmes et les hommes ne sont pas suffisamment pris en compte – les fluctuations du coût de la vie affectent plus les femmes que les hommes, par exemple, et les prestations dont elles dépendent souvent n’augmentent pas avec l’inflation.
66. Les recommandations ici étaient de combler les lacunes dans les données ventilées par genre et de «remettre en question les anciennes façons de penser le budget» en impliquant davantage le monde universitaire et la société civile dans le travail budgétaire des gouvernements. Le WBG propose un modèle unique qui pourrait être reproduit dans d’autres pays.
67. Lors de ma visite à Londres, j’ai également rencontré le Women’s Resource Centre, une organisation qui regroupe un grand nombre de petites associations de terrain, dont beaucoup travaillent avec des femmes noires et d’autres femmes minoritaires, groupes identifiés comme ayant le plus besoin de soutien. La PDG Mme Vivienne Hayes nous a expliqué que de nombreux organismes ne prennent pas en compte les questions de race ou de handicap. Les procédures de passation des marchés sont trop compliquées pour de nombreuses femmes et sont appliquées même là où la loi ne l’exige pas.
68. Mme Hayes a formulé quatre recommandations claires pour promouvoir l’empouvoirement économique des femmes. Le premier est la garde d’enfants gratuite et universelle: les services de garde d’enfants au Royaume-Uni sont apparemment parmi les plus chers au monde et dissuadent les mères en particulier de retourner au travail, ce qui entraîne un renforcement des rôles de genre et limite les opportunités des femmes. Elle nous a également informé que seuls les enfants dont les parents gagnent au moins l’équivalent de 16 heures par semaine du salaire minimum national ou du salaire minimum vital ont droit aux nouvelles 15 et 30 heures de garde d’enfants gratuites, ce qui est encore une fois discriminatoire à l’égard des parents sans travail et renforce l’inégalité.
69. La deuxième recommandation est de lever les restrictions au droit de travailler pendant les procédures de demande d’asile, et la troisième est de créer un fonds national indépendant pour les femmes. L’expérience du centre montre que les organisations de femmes sont constamment sous-financées et sous-évaluées et, bien qu’elles fournissent des services vitaux, ne sont pas considérées comme un service statutaire et sont confrontées à davantage de coupes budgétaires du fait que les autorités locales sont confrontées à la faillite et à des budgets plus serrés. La quatrième recommandation, connexe, est de créer un mécanisme national indépendant pour promouvoir les droits des femmes et un financement adéquat pour le secteur des femmes. Le centre souscrit à la recommandation du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies en faveur de mécanismes nationaux visant à améliorer l’égalité des femmes, mais considère qu’il est important d’inclure les organisations de femmes marginalisées dans ces mécanismes.

6. Bonnes pratiques

70. Selon l’étude de l’OCDE précitée, des progrès notables ont été enregistrés dans deux domaines: le congé parental pour les pères (au Luxembourg, en Islande, en Suède, au Danemark et au Portugal, où 40 % des hommes prennent désormais un congé parental) même si les périodes prises sont systématiquement plus courtes. La transparence salariale pour l’égalité de rémunération s’est également améliorée, et 55 % des pays exigent désormais des rapports sur l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans les entreprises privées.
71. Au cours de l’échange de vues du 15 septembre 2023, Mme Sabina Ćudić (Bosnie-Herzégovine, ADLE) a expliqué aux membres comment les interventions ciblées à Sarajevo avaient obtenu de bons résultats. Par exemple, en subventionnant les jardins d’enfants privés afin qu’ils puissent offrir les mêmes prix que les structures publiques, on a pu éliminer les listes d’attente pour les jardins d’enfants. L’allocation familiale est passée de 90 à 500 euros, en partant du principe que cet argent serait ensuite réinjecté dans l’économie. L’indépendance financière constitue un bouclier contre certains niveaux de violence domestique. Il ne s’agit pas nécessairement de grandes mesures législatives, mais elles ont fait une différence sur le terrain, tout comme le subventionnement des soins aux personnes âgées.
72. Malgré ses nombreuses conséquences tragiques, la guerre d’agression contre l’Ukraine a accéléré le développement du rôle des femmes dans l’économie du pays. La moitié des petites entreprises créées depuis l’invasion ont été lancées par des femmes, et 30 % des grandes entreprises sont dirigées par des femmes. Depuis 2014, l’écart salarial entre les femmes et les hommes a été réduit à 6-7 %. Une stratégie à l’horizon 2030 pour l’égalité en matière d’emploi est en place. Depuis novembre 2021, Yulia Svyrydenko est à la fois la première vice-Première ministre de l’Ukraine et ministre de l’Économie. Il est évident que les femmes joueront également un rôle majeur dans la reconstruction, et le pays et ses partenaires devraient donner la priorité à la garde d’enfants (jardins d’enfants) dans les investissements consacrés à la reconstruction.
73. L’indice d’égalité de genre d’EIGE révèle d’une part que les pays de l’Union européenne affichent de bonnes performances en matière d’égalité d’accès à la santé, mais que d’autre part, la santé est le seul marqueur en baisse depuis l’édition précédente et le domaine où les progrès sont les plus faibles depuis 2010. Depuis 2020, c’est le domaine du «temps» (mesure des inégalités entre les femmes et les hommes en ce qui concerne le temps consacré aux soins et aux travaux domestiques et à la participation à des activités sociales telles que les loisirs et le sport) qui a connu la plus forte progression au sein de l’Union européenne. La réduction du temps consacré aux activités de soins a joué un rôle déterminant dans ce changement, mais elle est visiblement due à la moindre participation des femmes aux soins et aux tâches ménagères non rémunérés sur un plan général, plutôt qu’à une participation plus élevée des hommes à ces activités.

6.1. Le besoin de championnes de l’empouvoirement économique

74. J’ai eu l’occasion de rencontrer une femme vraiment inspirante lors de ma mission à Londres en mai 2024. Son histoire montre à quel point il est important que les femmes partagent leurs expériences avec d’autres et témoigne du pouvoir que cela génère. Je la relate largement ici pour illustrer la force d’empouvoirement que ces femmes peuvent incarner.
75. Fondatrice d’une association caritative enregistrée au Royaume-Uni nommée SHEWISE 
			(40) 
			<a href='https://www.shewise.org/'>www.shewise.org</a> (anglais uniquement). et issue d’une famille d’Asie du Sud, Mme Sayeeda Ashraf a grandi dans le centre de Londres où le foyer et ses traditions contrastaient fortement avec l’école, ses habitudes et ses élèves à prédominance blanche. Après avoir eu des enfants dans le cadre d’un mariage arrangé et subi des violences conjugales, Mme Ashraf a lancé une petite entreprise de restauration avec sa sœur, qui est finalement devenue le plus grand fournisseur de produits alimentaires asiatiques du secteur. Mais les difficultés rencontrées pour concilier famille et entreprise et le manque de soutien ont entraîné la perte de l’entreprise en 2008 et une forte baisse de sa confiance en elle et de son estime personnelle.
76. Forte de cette expérience, elle a commencé le coaching en entrepreneuriat qui s’est rapidement étendu au coaching de vie et aux conseils en matière de services de lutte contre la violence domestique, réalisant qu’une approche globale était essentielle. Le principe de SHEWISE est d’accompagner des femmes (principalement asiatiques) dans un «voyage» au cours duquel leurs besoins fondamentaux sont d’abord satisfaits, avant de passer à un coaching individuel destiné à renforcer leur propre confiance, à changer la perception qu’elles ont d’elles-mêmes en tant que «citoyennes de seconde zone», à les aider à reconnaître la violence et à y réagir, ainsi qu’à se soucier avant tout d’elle-même, tout en apprenant à communiquer efficacement.
77. Mme Ashraf s’efforce désormais également de former le personnel du Service national de santé et la police à l’identification et à l’assistance des victimes de violence domestique, ainsi que d’aider les femmes sud-asiatiques à surmonter leur méfiance à l’égard de la police et leur réticence à porter plainte par peur d’être rejetées par leur famille ou de perdre leurs enfants. Impliquer davantage d’hommes est également un objectif poursuivi, par exemple en travaillant avec des centres de loisirs, où les jeunes sont encouragés à parler de relations saines.
78. Mme Ashraf nous a informé que le financement gouvernemental répondait à des critères assez stricts qui excluent certains acteurs importants, et les organisations ethniques ne parviennent pas toujours à comprendre le fonctionnement des services gouvernementaux. L’une des recommandations de Mme Ashraf est que les parties prenantes de taille, telles que les banques et l’industrie, travaillent à un niveau plus local, en se concentrant sur le parrainage des communautés locales et davantage de recrutement à ce niveau.

6.2. L’expérience de l’Albanie

79. La table ronde organisée à Tirana le 5 juin 2024 a permis de découvrir une autre situation nationale intéressante, où des politiques actives contribuent à améliorer la présence des femmes dans l’économie et à des postes décisionnels. Le ministre Ibrahimaj a fait savoir aux participant·es que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes s’établit à 6,8 % en Albanie et que des investissements importants sont consacrés à la promotion de l’emploi des femmes. Selon les estimations, la BSG ne concerne que 10 % du budget national, ce qui marque toutefois une augmentation par rapport aux 7 % enregistrés en 2017. Cependant, les «transferts sociaux» représentent 50 % du budget total de l’État, de sorte que la BSG est dans les faits plus élevée car les femmes bénéficient de davantage d’allocations que les hommes.
80. L’État a pris des mesures en matière de formation professionnelle, d’aide au retour à l’emploi des mères et d’incitations pour les parents, et l’éducation des femmes et des filles s’améliore, comme le montre leur présence plus nombreuse aux plus hauts niveaux de l’enseignement supérieur au sein des universités et dans les domaines des STIM. En Albanie comme dans d’autres pays, les femmes et les filles ont les compétences, mais n’ont pas encore atteint les mêmes taux d’emploi que les hommes. Le numérique facilite une plus grande égalité dans l’accès à l’emploi en général. L’Albanie a adopté, en 2008, une loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes et a établi, en 2014, des mécanismes de BSG. Une nouvelle loi sur les finances locales a été élaborée dans une perspective de genre. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, les dispositifs sont en place et fonctionnent.
81. La maire de Durrës, Mme Emiriana Sako, a rappelé les défis auxquels sa ville a été confrontée au cours des quatre dernières années, après les tremblements de terre destructeurs de 2019 (qui ont fait 50 victimes) et la pandémie de covid-19. Beaucoup d’énergie et d’argent ont été consacrés aux abris pour les familles et à la restauration des bâtiments et des infrastructures de santé primaire et éducatives (47 nouvelles écoles ont été construites). Les femmes médecins et infirmières ont joué un rôle vital pendant cette période, et 78 % du financement éducatif a été alloué aux femmes et aux filles. Des efforts ont été déployés pour rapprocher les services des citoyen·nes et des progrès ont été enregistrés sur la voie d’une société fondée sur l’égalité, en proposant par exemple un meilleur accès à l’éducation pour les filles et une meilleure intégration sociale. Le tourisme a également été développé en tant que source de revenus.
82. Il est intéressant de découvrir la manière dont les politiques aux niveaux local et régional ont été conçues et mises en œuvre. L’adjointe au maire de Tirana, Mme Halili, a indiqué que chaque unité administrative de Tirana dispose d’un coordinateur ou d’une coordinatrice pour l’égalité, ainsi que de services de lutte contre la violence et de plans d’action élaborés conformément à la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Les échelons national et local du gouvernement sont coordonnés et des contributions directes sont consacrées à l’empouvoirement des femmes. Les femmes sont actives et influentes en politique: elles représentent 72 % des cadres supérieurs albanais, 67 % des cadres intermédiaires et 80 % des maires-adjoints. Des subventions directes sont accordées aux initiatives économiques des femmes et les groupes marginalisés comme les Roms sont privilégiés, le travail artisanal et la créativité des jeunes femmes étant plus particulièrement encouragés. Des consultations ont eu lieu sur la BSG, y compris avec le grand public. Là encore, comme au Royaume-Uni, l’utilité des petites subventions et des microcrédits destinés aux start-ups et aux petites entreprises créées par des femmes a été soulignée.
83. Le directeur de la Banque mondiale pour l’Albanie, M. Salinas, a insisté sur la nécessité de conserver le capital humain dans un pays à faible revenu comme l’Albanie, sachant que l’absence de perspectives crée un mouvement d’émigration. Si l’empouvoirement économique des femmes n’est pas encouragé dans les Balkans, la région ne pourra jamais atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire, ce qui est selon lui plus important que la connectivité, par exemple. L’adhésion à l’Union européenne est également essentielle. Les lacunes en matière de santé et d’éducation sont aussi des facteurs de perte de capital humain. Selon les études, la participation active des femmes au marché du travail après la maternité permettrait une augmentation de 12 % du PIB. Par ailleurs, le coût des violences domestiques devrait également être pris en compte.
84. M. Salinas a ajouté que les actions de communication de la Banque mondiale visaient, en partie, à rappeler que l’empouvoirement des femmes n’est pas une question de «bienveillance», mais que leur pleine participation à l’économie est un préalable au développement économique, tout particulièrement dans un contexte où la nature des emplois évolue rapidement, l’économie de subsistance étant progressivement remplacée par des emplois exigeant davantage de compétences socio-émotionnelles, dont les femmes ne manquent pas. Il faut rappeler aux hommes que transition n’est pas synonyme de perte de droits sociaux ou politiques, et il est nécessaire de multiplier les dispositifs incitatifs. Je crois qu’il s’agit là d’un des messages clés de mon rapport.

6.3. Le rôle des femmes dans un «avenir vert et numérique»

85. Les femmes et les filles disposent d’un énorme potentiel pour contribuer à un avenir vert et numérique qui ne laisse personne de côté, mais elles se heurtent à de nombreux obstacles pour participer pleinement et saisir les opportunités sans précédent que la technologie a à offrir. Dans des secteurs essentiels comme les STIM, de nombreux obstacles entravent l'accès des femmes et des filles à l'éducation, aux services publics et à un large éventail d'opportunités de vie, et les dissuadent de rejoindre et de rester sur le marché du travail dans ce domaine. Il est essentiel d’éliminer les stéréotypes de genre qui empêchent les femmes et les filles de poursuivre des carrières dans les STIM, allant de l’éducation à l’emploi.
86. Les femmes et les filles doivent également être habilitées à utiliser la technologie numérique comme un outil pour une participation égale à la prise de décision sur le lieu de travail. La fracture numérique mondiale a une forte dimension basée sur le genre, où les femmes se retrouvent sous-formées et ont un accès plus difficile aux outils numériques. Les technologies numériques entraînent également de nouvelles formes de violence et de harcèlement fondés sur le genre, auparavant principalement centrés sur le lieu de travail physique, et qui prennent désormais de nouvelles formes. Ces menaces émergentes contre les femmes et les filles doivent être comprises et prévenues, afin de garantir un environnement de travail sûr, juste et égalitaire pour les femmes et un avenir vert et numérique inclusif.
87. Il existe des solutions à ces défis qui devraient être soutenues et reproduites. Lors de la CSW67 à New York en 2023, l'Assemblée a organisé un événement parallèle conjointement avec les Pays-Bas et l’Estonie, intitulé «Vers un avenir vert et numérique: opportunités et défis pour les femmes et les filles dans la vie publique et sur le lieu de travail», où de bons exemples ont été présentés, tels que le plan de reprise et résilience aux Pays-Bas qui a augmenté les investissements dans l’éducation et le développement des compétences numériques afin d’augmenter le nombre de femmes spécialistes des techniques de l'information et de la communication. En Estonie, l'initiative Unicorn Squad a proposé des activités de robotique et de technologie aux filles de 8 à 12 ans afin de briser le mythe selon lequel la technologie est réservée aux garçons.
88. La recherche révèle des résultats inattendus en matière d’égalité de genre dans les sphères économiques: par exemple, une plus grande proportion de femmes dans les conseils d’administration des entreprises a une influence positive sur la réduction des émissions de CO2. Selon la Banque européenne d’investissement, «Les femmes détiennent aujourd’hui 40 % de la richesse mondiale et entendent investir dans un avenir durable. Environ 74 % d’entre elles manifestent un intérêt à augmenter la part des investissements répondant à des critères [environnementaux, sociaux et de gouvernance] ESG dans leurs portefeuilles actuels, contre 53 % des hommes. Les entreprises qui ne donnent pas une place aux femmes mettent à mal leurs chances de faire mieux que leurs concurrents» 
			(41) 
			N.
Calviño, K. Georgieva, et O. Renaud-Basso, «<a href='https://www.eib.org/fr/stories/gender-equality-power'>Plaidoyer
économique pour l’égalité entre les femmes et les hommes</a>», Banque européenne d’investissement, 8 mars 2024..

7. Conclusions

89. L’évolution de la législation sur les femmes dans l’économie est certes lente, mais elle ouvre de nouvelles possibilités aux femmes. La BSG, le congé parental partagé, l’égalité et la transparence des salaires sont autant de domaines qui ont progressé. Les responsables politiques doivent considérer la promotion de politiques sensibles au genre comme une priorité absolue pour égaliser les inégalités, et les politiques doivent être conçues de manière transversale, en impliquant les différents secteurs des structures politiques.
90. L’un des plus grands défis consiste à changer les mentalités. Il doit y avoir une volonté de toutes les parties prenantes de briser les plafonds de verre et, pour celles qui ont réussi, d’agir en championnes, en montrant que leurs réalisations sont à la portée de nombreuses autres filles et femmes. L’égalité doit être défendue dans la vie quotidienne: les traditions, les identités, les différences culturelles spécifiques au genre ne sont pas une excuse pour perpétuer les inégalités. Il faut également adopter une meilleure approche de la diversité et combattre les stéréotypes. Une approche intersectionnelle devrait être adoptée pour prévenir les multiples niveaux de discrimination à l’égard des femmes issues de groupes divers et défavorisés dans l’économie.
91. Cela étant, ces changements ne sont possibles qu’à condition d’être accompagnés d’investissements adéquats, ce qui suppose que les décisionnaires et les leaders de l’économie reconnaissent que l’égalité ne peut que générer des bénéfices sur le long terme. Pour citer l’indice annuel de genre des objectifs de développement durable pour 2022, qui s’est longuement penché sur les conséquences de la pandémie de covid-19, «La transformation sociale nécessaire à l’égalité des sexes doit être financée, ce qui nécessite des budgets sensibles au genre, une fiscalité progressive et des investissements importants dans les services publics et les infrastructures publiques (y compris les soins)» 
			(42) 
			<a href='https://equalmeasures2030.org/fr/publications-fr/lindice-du-genre-dans-les-odd-2022-dem2030/#:~:text=L%27Indice%20du%20genre%20dans%20les%20ODD%202022%20montre%20que,de%20deux%20points%20depuis%202015.'>Indice
de genre dans les ODD 2022 de Equal Measures 2030 (EM2030): «Un
retour à la normale ne suffit pas»</a>..
92. La dimension de genre doit être intégrée dans toutes les politiques et tous les budgets: les ministères des affaires sociales, de la famille et de l’égalité doivent éliminer autant que possible les cloisonnements et veiller également à ce qu’un financement adéquat soit réservé à l’égalité. Des politiques transversales doivent garantir la continuité du soutien à la participation égale des femmes dans tous les domaines.
93. Mes entretiens avec des acteurs de la société civile au Royaume-Uni m’ont appris que ce n’est pas toujours l’argent qui manque pour soutenir les femmes entrepreneures. Les subventions sont souvent soumises à des critères de candidature complexes et à des processus de passation de marchés qui sont hors de portée des femmes souhaitant créer une petite entreprise ou une start-up. Il est nécessaire que les petites subventions soient accordées directement, sans les formalités administratives qui rendent l’obtention d’un financement trop lente et compliquée pour la plupart des femmes, en particulier pour les plus défavorisées d’entre elles.
94. L’Assemblée souligne souvent l’insuffisance de la collecte de données comme un obstacle à la conception de politiques ciblées: la question de la participation égale des femmes à l’économie ne fait pas exception à cette lacune. Des données ventilées et intersectionnelles sont nécessaires pour identifier les causes profondes des inégalités et clarifier les orientations à prendre.