1. Introduction
1. En novembre 2022, la Commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a été saisie
pour rapport sur la base d’une proposition de résolution déposée
par M. Pierre-Alain Fridez (Suisse, SOC), intitulée «L’immigration,
l’une des réponses au vieillissement démographique de l’Europe».
J’ai été désignée rapporteure le 15 mars 2023. Afin d’enrichir le
débat sur l’immigration en tant que l’une des réponses au vieillissement
démographique en Europe, j’ai mené des consultations auprès de plusieurs
organisations à l’œuvre sur le terrain dans les États membres du
Conseil de l’Europe afin de recueillir de précieux enseignements
et des bonnes pratiques appliquées dans différents États membres
du Conseil de l’Europe

. Par ailleurs,
le 19 mars 2024, la commission des migrations, des réfugiés des
personnes déplacées a eu un échange de vues avec M. Zakaria Ibrahim,
médiateur culturel d’EUROCOOP Servizi Jungi Mundu, Italie (en ligne),
Mme Dragana Curovic, cheffe du projet
SällBo, en Suède, et Mme Giulia Cortellesi,
codirectrice chez International Child Development Initiatives (ICDI),
aux Pays-Bas.
2. La pression migratoire est devenue un enjeu majeur pour notre
continent. Confrontée à un afflux sans précédent de migrants depuis
2015, l’Europe a beaucoup de mal à faire face à ce défi de manière
unie et responsable. La solidarité européenne a montré ses limites
et de nombreux pays ont refusé de contribuer à l’effort commun en
la matière. La définition même du droit d’asile est remise en question
par certains pays. Certains parlent de la «forteresse Europe». Et
nous n’avons peut-être encore rien vu, comme le laissent augurer
les conséquences de la crise climatique qui se profilent à l’horizon.
3. Pourtant, l’immigration pourrait bien être une chance pour
l’Europe, continent vieillissant dont plusieurs pays se dépeuplent.
L’allongement de l’espérance de vie rendu possible par les progrès
de la médecine et l’amélioration des conditions de vie, associé
à une réduction globale de la natalité sur le continent, explique
ce phénomène.
4. Dans plusieurs pays, la pyramide des âges montre une réduction
inquiétante des cohortes de jeunes et d'actifs, alors que le nombre
de retraités augmente de manière exponentielle, beaucoup d’entre
eux atteignant aujourd’hui le quatrième âge, souvent associé à la
dépendance

.
5. Comme l’illustrent les statistiques publiées par Eurostat,
en Europe la proportion de la population âgée de 65 ans et plus
ne cesse d’augmenter, tandis que la proportion de la population
âgée de 15 à 24 ans et de 25 à 64 ans diminue

. Le vieillissement
démographique entraînera des répercussions profondes, non seulement
pour les individus, mais aussi pour les services publics, les entreprises
et la société civile, qui toucheront, entre autres les systèmes
de protection sociale et de santé, les marchés du travail, les finances publiques
et les droits à pension. Les indicateurs démographiques qui décrivent
les évolutions les plus récentes dans une Europe vieillissante montrent
que, sur une période de cinquante ans, le taux de dépendance des
personnes âgées devrait plus que doubler.
6. Le taux de dépendance des personnes âgées peut être utilisé
pour étudier le niveau de soutien pouvant potentiellement être apporté
aux personnes âgées par la population en âge de travailler (personnes
âgées de 20 à 64 ans). Ce taux exprime la part relative des personnes
âgées dans la population par rapport à la population en âge de travailler.
Le taux de dépendance des personnes âgées pour l’Union européenne
des 27 était de 25,9 % en 2001. À ce titre, il y avait un peu moins
de quatre personnes en âge de travailler pour chaque personne âgée
de 65 ans ou plus. En 2019, ce taux de dépendance des personnes
âgées était de 34,1 %, soit moins de trois personnes en âge de travailler
pour chaque personne âgée. Les projections démographiques suggèrent
que le taux de dépendance des personnes âgées de l’Union européenne
des 27 va continuer à augmenter pour atteindre 56,7 % d’ici à 2050,
où il y aura un peu moins de deux personnes en âge de travailler pour
chaque personne âgée

.
7. Dès 2012, l’Assemblée parlementaire relevait dans la
Résolution 1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les
défis en opportunités» que d’ici à 2050, les personnes de plus de 60
ans devraient représenter un tiers de la population européenne.
Le rapport soulignait que l’Europe connaîtrait un phénomène de «double
effet du vieillissement», puisque la proportion de la population
âgée de 75 ans et plus augmenterait elle aussi considérablement

.
8. Cette tendance au vieillissement démographique a pour corollaire
une hausse du taux de dépendance et entraîne des conséquences sur
l’économie, la structure sociale et le bien-être des sociétés vieillissantes

. Elle
induit un ralentissement important de la croissance économique et
suscite des inquiétudes quant au financement des systèmes de sécurité
sociale et de retraite

. Elle est susceptible d’avoir un impact
sur l’investissement et les budgets publics, d’exacerber les pénuries
de main-d’œuvre et d’affecter la productivité et l’activité entrepreneuriale.
En outre, cela a des implications pour les politiques à mener en
matière de soins de santé, d’urbanisme, de logement et de transports.
Des aménagements adaptés sont requis pour que les personnes de tous
âges puissent vivre en bonne santé et de manière pleinement satisfaisante
![(9)
«<a href='https://www.who.int/europe/health-topics/ageing'>Ageing
Europe</a>», site internet de l’Organisation mondiale de la Santé
(OMS) [anglais seulement].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
9. Comme l’a souligné le rapporteur Domagoj Hajduković (Croatie,
SOC) dans son rapport de 2021 intitulé «Intégration des migrants
et des réfugiés: des avantages pour toutes les parties prenantes»

, l’augmentation de l’immigration
pourrait représenter une occasion de s’attaquer à ces défis structurels.
En outre, l’immigration peut également être perçue comme une solution
saine et durable répondant aux besoins concrets et pratiques induits
par le vieillissement démographique. Les États devraient donc prendre
des mesures concrètes pour mettre en œuvre la
Résolution 2502 (2023) de l’Assemblée «Intégration des migrants et des réfugiés:
des avantages pour toutes les parties prenantes».
10. Quel sera l’avenir démographique de l’Europe? Qui s'occupera
de nos aînés? Qui assurera le fonctionnement de la société? Que
peuvent faire les États pour pallier les pénuries de main-d’œuvre
dans différents secteurs? Un élément de réponse pourrait être le
recours à des travailleurs venus d’ailleurs.
11. Le présent rapport a pour but de dresser un état des lieux
de la démographie en Europe, globalement, mais aussi par régions,
ainsi que d’explorer des solutions innovantes en vue d’ouvrir des
voies légales et sûres favorisant la mobilité, articulées autour
des politiques d’accueil et du respect des normes et valeurs communes qui
unissent les États membres du Conseil de l’Europe.
2. Les défis pratiques du vieillissement
démographique en termes économiques et sociaux
2.1. Données
démographiques
12. Pour commencer, voici un bref
aperçu des dynamiques démographiques actuelles. Selon l’Organisation mondiale
de la Santé (OMS), l’Europe compte l’une des proportions les plus
élevées au monde de personnes âgées de 60 ans et plus, et cette
population devrait continuer à augmenter rapidement dans les décennies
à venir

. Plus concrètement,
selon un rapport publié par la Commission européenne en octobre
2023, la population de l’Union européenne devrait atteindre son
maximum vers 2026, puis diminuer progressivement, avec un taux de
dépendance qui devrait passer de 33 % aujourd’hui à 60 % d’ici à
la fin du siècle

.
13. En particulier, l’Europe est sur le point de connaître un
tournant historique: d’ici à 2024, les personnes de plus de 65 ans
seront plus nombreuses que les moins de 15 ans dans les 53 pays
de la Région européenne de l’OMS, selon les projections de cette
organisation

.
14. Le déclin de la population est plus prononcé dans certains
pays. À titre d’exemple, selon les prévisions des Nations Unies,
la population de l’Allemagne devrait diminuer de 84 millions d’habitants
à 74 millions à l’horizon 2050, tandis que celle de l’Italie devrait
passer de 60 millions à 51 millions

.
La Grèce est l’État membre de l’Union européenne dont la population
vieillit le plus rapidement. À l’instar de l’Italie, du Portugal
et de l’Espagne, elle va connaître des changements démographiques
majeurs, avec plus de sept personnes âgées de 65 ans ou plus pour
dix personnes âgées de 20 à 64 ans d’ici à 2050

.
15. Ces évolutions reflètent une tendance de fond à l’échelle
mondiale. Même si le vieillissement de la population a commencé
dans les pays à revenu élevé, il est à noter que ce sont maintenant
les pays à revenu faible ou intermédiaire qui connaissent les plus
grands changements. D’ici à 2050, la population mondiale de personnes
âgées de 60 ans ou plus devrait doubler et celle des personnes âgées
de 80 ans ou plus devrait tripler; les deux tiers des personnes
âgées de plus de 60 ans vivront dans ces pays

.
16. Ces données montrent que les progrès socio-économiques considérables
accomplis au cours des dernières décennies sont devenus le vecteur
de nouveaux défis en raison de la baisse généralisée des taux de
mortalité et de fécondité. Les implications économiques et sociales
sont énormes.
2.2. Défis
structurels macro-économiques et sociaux
17. Une population vieillissante
se traduit par un déclin des cohortes d’actifs. Les pénuries de
main-d’œuvre atteignent déjà des niveaux sans précédent dans l’Union
européenne. Comme le souligne une communication de la Commission
européenne de 2023, 30 % environ de l’ensemble des entreprises de
l’Union européenne – et 74 % des PME – déclarent faire face à des
pénuries de main-d’œuvre

.
Ce manque de main-d’œuvre touche différents secteurs et concerne
tous les niveaux de qualification. Il y a une forte demande de compétences
dans les domaines des STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques),
des TIC (technologies de l’information et de la communication),
de la construction, des soins et des transports (conductrices/conducteurs
de camions et d’autocars notamment) dans de nombreuses régions et
États membres.

18. La diminution des naissances signifie aussi moins de main-d’œuvre
pour demain, ce qui laisse entrevoir des effets à long terme sur
la croissance économique et sa viabilité. Selon de récentes projections
de la Commission européenne, l’Union européenne va perdre 57,4 millions
de personnes en âge de travailler d’ici à 2100

,
avec tout ce que cela implique. La baisse de la population en âge
de travailler exerce notamment une pression à la baisse sur les
recettes provenant de l’impôt sur le revenu des personnes physiques
et des cotisations de sécurité sociale

.
19. Une population vieillissante entraîne une hausse des cohortes
de personnes âgées. Dans la mesure où ces dernières requièrent davantage
de ressources en matière de santé, la demande de services médicaux augmente
avec l’allongement de l’espérance de vie. Il en résulte un accroissement
des dépenses consacrées aux soins de santé – en particulier de longue
durée – et aux retraites. Les projections prévoient que ces dépenses
vont augmenter dans l’Union européenne, passant de 24,6 % du PIB
en 2019 à près de 27 % en 2040

.
20. Les deux tendances se conjuguent: moins de personnes en âge
de travailler subviennent aux besoins d’une population âgée grandissante,
ce qui a pour effet de mettre à rude épreuve les systèmes de protection sociale
et de retraite. Globalement, cela fait peser une pression accrue
sur les budgets publics.
21. Les effets de ces dynamiques se chevauchent également au niveau
régional. La nécessité de combler les pénuries de main-d’œuvre dans
certains pays peut favoriser une fuite des cerveaux dans d’autres, exacerbant
ainsi la pénurie dans les pays d’origine. L’Albanie offre un exemple
de ces conséquences négatives. Ce pays, qui a déjà le plus faible
nombre de médecins et d’infirmières et infirmiers par habitant en Europe,
a tenté d’empêcher les médecins et le personnel infirmier de partir
vers d’autres pays ayant besoin de main-d’œuvre, comme l’Allemagne

.
Le cas de la Pologne en fournit un nouvel exemple. Ce pays est confronté
à l’une des plus graves pénuries de prestataires de services à la
personne dans l’Union européenne. En raison du vieillissement de
sa population et du développement insuffisant de ses dispositifs
de prise en charge, la Pologne, traditionnellement pays d’origine
des travailleurs du secteur des services à la personne, est devenue
un pays qui dépend de travailleurs migrants, majoritairement ukrainiens,
pour assurer ces prestations

.
22. Si l’on examine de plus près le secteur de la santé et la
pénurie de personnel médical et soignant, on constate que ces métiers
figurent déjà parmi ceux qui connaissent les tensions les plus criantes
en Europe

. L’Irlande,
la Tchéquie et l’Italie se situent déjà en deçà du seuil fixé par
l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour l’adéquation
de la prestation de services

. Le ratio personnes
âgées/soignants est déjà trop élevé et risque d’augmenter encore
à l’avenir en l’absence de changement

.
La situation est encore plus inquiétante pour les personnes âgées
vivant en zone rurale, où l’accès aux services de soins est déjà
généralement insuffisant

.
23. Au cours des prochaines décennies, la demande de soins de
longue durée devrait augmenter, mais l’offre formelle ou informelle
de soins de longue durée devrait aussi diminuer en parallèle. Pour
maintenir le ratio actuel dans l’ensemble des pays membres de l’OCDE,
il faudrait recruter 13,5 millions de soignants supplémentaires
d’ici à 2040

. En Europe, notamment, des pays comme
le Luxembourg, l’Irlande et la France auraient besoin d’une augmentation
des effectifs d’au moins 80 % par rapport aux niveaux de 2016

.
24. Outre les besoins économiques et sociaux structurels liés
au vieillissement de la population, il est primordial de prendre
également en compte les besoins spécifiques d’un groupe social toujours
plus nombreux – celui des aînés –, tant au niveau individuel que
collectif, afin de garantir leurs droits à la dignité et au vieillissement
en bonne santé

.
2.3. Enjeux
spécifiques liés aux soins
25. Avec l’âge, le risque de souffrir
d’une maladie chronique ou de développer certaines pathologies augmente.
La fragilité accrue chez la personne âgée induit aussi un risque
plus élevé de dépendance. À ces problèmes de santé physique peuvent
aussi s’ajouter des troubles cognitifs, comme une atteinte globale
des fonctions cognitives, la démence, la maladie d’Alzheimer, etc.
26. Ces problèmes de santé compliquent beaucoup le quotidien des
personnes âgées, car ils peuvent les empêcher d’effectuer des activités
de la vie quotidienne. Par conséquent, outre l’augmentation des
besoins en soins découlant du vieillissement, un accompagnement
au quotidien pourra être nécessaire pour s’assurer que leurs besoins
fondamentaux sont couverts

.
27. Les déficiences physiques et cognitives réduisent également
la mobilité, ce qui augmente la vulnérabilité et, souvent, l’isolement
social. L’aide des travailleurs sociaux peut être d’une importance
vitale pour permettre aux personnes âgées dépendantes d’effectuer
leurs déplacements quotidiens et d’entretenir un minimum de relations.
Ajoutée aux soins de santé, cette socialisation améliore le bien-être
émotionnel.
28. De nombreuses études qui appartiennent désormais à une discipline
scientifique particulière, à savoir l’économie du bonheur, montrent
que les relations sociales améliorent le bien-être physique et cognitif
des personnes. La solitude et l’isolement social sont au contraire
associés à des risques accrus de démence et de décès prématuré

.
29. Pour faire face à ces difficultés liées à l’âge, en matière
de santé ou sur le plan social, les personnes âgées peuvent avoir
besoin d’une assistance spécifique; elles peuvent envisager de déménager
dans une maison de retraite médicalisée ou de faire appel à des
auxiliaires de vie à domicile. Demander l’aide d’un parent ou d’un
proche peut être une solution, mais l’aide familiale a ses limites.
Cela peut en effet entraîner des répercussions négatives sur la
vie personnelle des aidants, du fait de la réduction du temps pouvant
être consacré à d’autres activités. De plus, l’état de santé de
la personne âgée dépendante requiert parfois une prise en charge
adaptée qui nécessite l’intervention de professionnels. En outre,
les personnes âgées isolées peuvent ne pas avoir de proches susceptibles
de leur apporter le soutien dont elles ont besoin. Il est donc essentiel,
pour favoriser le bien-être et le vieillissement en bonne santé
de la population âgée, d’assurer l’accès à des services de soins
adéquats.
2.4. Enjeux
spécifiques de la dichotomie urbain-rural
30. Le cadre de vie est également
un facteur clé pour bien vieillir, en sécurité et en bonne santé. Si
les zones urbaines sont généralement attrayantes pour toutes les
catégories d’âge et offrent de nombreuses possibilités de socialisation
aux aînés, elles sont aussi une source de problèmes, notamment d’ordre
sanitaire (liés à des niveaux de pollution élevés par exemple) et
financier (il faut avoir les moyens de vivre en ville)

.
31. De leur côté, les zones rurales présentent d’autres inconvénients,
y compris d’importantes difficultés d’accès aux services de base.
Les habitants sont obligés d’effectuer de longs trajets pour rejoindre
les pôles de services, y compris de santé, ce qui contribue également
à accroître l’isolement social et la solitude

.
Pour les personnes âgées, l’accès aux services est encore plus compliqué,
en raison de leurs troubles psychomoteurs et de leurs conditions
de logement. Par rapport au reste de la population, les ménages
âgés doivent en effet parcourir en moyenne des distances légèrement
plus élevées

.
32. Du fait du vieillissement de la population, les zones rurales
sont celles qui connaissent le déclin démographique le plus prononcé,
avec des pénuries aiguës de main-d’œuvre. Cela peut aboutir à l’abandon de
villages entiers. Les habitants – souvent les jeunes et les personnes
en âge de travailler – ont tendance à migrer vers les centres urbains
et industrialisés en quête de meilleures opportunités d’emploi,
d’éducation et de formation. Ce mouvement de dépopulation est particulièrement
sévère dans certains pays d’Europe de l’Est membres de l’Union européenne

. Globalement, dans l’Union européenne,
les zones rurales ont perdu plus de 5 millions d’habitants depuis
les années 1960, et cette tendance devrait encore s’accentuer à
l’avenir. Parallèlement, le taux de dépendance des personnes âgées
ira croissant dans les régions reculées. La Bulgarie, l’Espagne,
la Roumanie, Chypre et l’Autriche devraient connaître le pire scénario
de dépeuplement d’ici à 2050

. Le
Gouvernement serbe a tiré la sonnette d’alarme en alertant de l’ampleur
du phénomène: chaque année, les Balkans perdent une ville

.
33. À l’inverse, les seniors quittent les villes à l’approche
de la retraite, afin de s’installer dans des endroits calmes et
à taille humaine. Au Royaume-Uni, une grande proportion de personnes
âgées a tendance à déménager dans des communes rurales ou semi-rurales
ou en zone côtière à la périphérie. Étant donné que dans bien des
cas ces régions manquent de services et d’infrastructures de santé
et de transport, et même de logements, les personnes qui s’y sont
installées sur le tard n’ont souvent pas les réseaux de soutien
social dont elles auraient besoin

.
34. En raison de la conjugaison de ces deux phénomènes, le vieillissement
dans les zones rurales est encore plus rapide que dans les centres
urbains.
3. Contribution
des communautés de réfugiés et de migrants à la satisfaction des
besoins sociaux des personnes âgées
3.1. L’impact
économique de l’intégration des migrants
35. Pour faire face aux défis démographiques,
il faudrait mettre en place des politiques ciblées à la fois au niveau
des ménages, pour promouvoir l’équilibre entre vie privée et vie
professionnelle, et aux niveaux territorial et sociétal, pour permettre
aux jeunes de contribuer pleinement à la société et à l’économie
d’une manière digne et pour favoriser un vieillissement actif et
en bonne santé. L’Union européenne a déjà créé une boîte à outils
pour gérer l’évolution démographique et ses conséquences

.
36. En complément de ces efforts, la mobilité de la main-d’œuvre
apparaît comme un instrument efficace pour faire face à la crise
démographique, allant au-delà des politiques impopulaires telles
que le relèvement de l’âge de la retraite ou de la taxation du travail.
Promouvoir la migration légale et assurer l’intégration effective des
ressortissants de pays tiers pourrait contribuer à atténuer les
pressions qui s’exercent sur le marché du travail, tout en favorisant
l’innovation et le bien-être.
37. Alors que les pays riches vieillissent et peinent à pourvoir
les postes vacants dans des secteurs clés de l’économie, d’autres
pays ont du mal à offrir des opportunités économiques à leurs citoyens.
Par exemple, selon les projections la population en âge de travailler
en Afrique subsaharienne devrait encore augmenter de 2 milliards
de personnes.
38. La migration est source de coûts et de bénéfices pour les
pays d’origine et de destination. Cependant, comme le souligne le
rapport 2023 de la Banque mondiale, lorsque les compétences des
migrants sont en forte adéquation avec les besoins des pays de destination,
les gains sont importants pour ces derniers, tout particulièrement
lorsque les migrants travaillent sur le marché formel à hauteur
de leur niveau de qualification
![(41)
Banque mondiale, <a href='https://www.worldbank.org/en/publication/wdr2023'>«World
Development Report 2023: Migrants, Refugees, and Societies</a>» [Rapport sur le développement dans le monde 2023: Migrants,
réfugiés et sociétés (abrégé en français)],
2023.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Cependant, ce n’est pas toujours le cas,
car les migrants, notamment sur le marché informel, occupent souvent
des emplois sous-qualifiés. Les coûts associés à l’accueil des migrants,
liés à l’utilisation des services publics, au soutien fourni aux
nationaux qui subissent les retombées négatives de l’immigration et
à l’intégration sociale, sont largement inférieurs aux bénéfices.

39. Regardons les chiffres. En 2022, l’Union européenne a accueilli
3 millions de travailleurs migrants arrivés par des voies légales
– ce qui représente une augmentation significative de sa main-d’œuvre
–, contre 300 000 migrants arrivés de manière irrégulière
![(43)
«<a href='https://fr.euronews.com/my-europe/2023/10/11/recommandations-de-la-commission-europeenne-face-au-vieillissement-de-la-population'>Recommandations
de la Commission européenne face au vieillissement de la population</a>» [Bruxelles tire la sonnette d’alarme sur le vieillissement
rapide de la population de l’UE et recommande la migration pour
pourvoir les postes vacants], Euronews,
2023.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. En participant au marché du travail régulier,
les migrants paient des impôts et des cotisations sociales qui contribuent
aux recettes de l’État. Les migrants qui cotisent aux régimes de
sécurité sociale pendant leur vie active bénéficieront d’une pension.
Mais dans l’intervalle, leurs cotisations alimentent aussi les caisses
de retraite au profit de l’ensemble des retraités, et tout particulièrement
des nationaux. En outre, comme le taux de dépendance des personnes
âgées constaté en moyenne pour les immigrés est inférieur à celui
des nationaux, leur participation contribue également à atténuer
les défis auxquels est confronté le système de retraite.
3.2. L’impact
multidimensionnel de l’intégration des migrants dans le secteur
des soins à la personne
40. L’immigration peut être un
moyen pour l’Europe de combler ses pénuries actuelles et futures
de main-d’œuvre dans le secteur de l’aide et des soins à la personne,
réduisant ainsi le ratio aidants/aidés. Selon l’OCDE, les personnes
nées à l’étranger représentent déjà environ 20 % des effectifs actuels
de soignants. Cependant, compte tenu de l’existence d’une offre
importante de soins informels à domicile, ces chiffres sont probablement
sous-estimés

. D’une
manière générale, la plupart des personnes dispensant des soins
de longue durée nées à l’étranger ne sont pas des migrants économiques:
ces personnes sont arrivées par d’autres voies d’admission légales,
comme le regroupement familial, les visas d’études, les voies d’accès générales
pour les travailleurs non spécialisés et la protection internationale.

41. La pandémie de covid-19 a montré à quel point de nombreux
pays dépendent de travailleurs précaires en situation irrégulière,
notamment dans le secteur des soins aux personnes âgées. De fait,
dans les pays où les personnes migrantes constituent la majorité
des aidants, des politiques spéciales ont dû être mises en place
pour garantir la continuité des soins

. Par exemple,
l’Autriche a organisé des transferts spécifiques pour les travailleurs
migrants du secteur des soins, tandis que l’Italie a accordé un
statut légal temporaire aux travailleurs domestiques et aux travailleurs
du secteur des soins à la personne.

42. Dans le secteur des soins, des schémas migratoires distincts
ainsi que des chaînes migratoires spécifiques sont apparus en Europe

.
Les pays à revenu élevé de l’Union européenne ont tendance à compter
sur des travailleurs provenant de pays à revenu faible d’Europe
de l’Est, comme la Roumanie, la Pologne et la Bulgarie. Les travailleurs
ukrainiens et bélarussiens sont entrés dans l’économie informelle
en Pologne pour combler le vide laissé par les soignants polonais
partis en Allemagne ou au Royaume-Uni pour travailler dans l’économie
formelle

. Par ailleurs,
certains pays d’origine, notamment les Philippines, ont choisi de
se spécialiser dans l’envoi de professionnels de santé vers les
destinations d’outre-mer. En fait, de nombreuses personnes migrantes
qui arrivent en Europe ont reçu une formation en matière de soins
de santé ou de soins à domicile

.
43. En augmentant la taille des effectifs et en apportant des
compétences et des méthodes potentiellement nouvelles, l’immigration
contribue à garantir une plus grande sécurité aux personnes âgées
dépendantes (grâce à la réduction du ratio patients/soignants) et
à améliorer la qualité des services de soins fournis en établissement
ou par des aidants «à domicile»

. Plusieurs
études de cas suggèrent que la main-d’œuvre immigrée est associée
à une incidence positive sur l’évolution des patients. On constate
notamment moins de chutes, un moindre recours à la contention, moins
de blessures, etc

. En outre, grâce à l’immigration,
les personnes âgées et les personnes en situation de handicap ont
davantage de possibilités de conserver leur indépendance, car dans
les secteurs qui comptent les plus fortes proportions de personnes
immigrées, les résidents natifs sont plus susceptibles de vieillir
chez eux plutôt que de devoir vivre dans des établissements tels
que les maisons de retraite médicalisées

.
44. D’autres études ont mis en évidence un effet positif de l’immigration
sur la santé mentale des personnes âgées des populations locales,
grâce aux relations sociales qui se créent, ainsi que sur le bien-être
subjectif et la dépression

.
L’intégration sociale en bénéficie également, en favorisant un renforcement
des liens institutionnels et une participation sociale accrue. D’autre
part, leur insertion professionnelle dans le tissu local aide les
migrants à nouer des relations et à se sentir valorisés.
3.3. Avantages
sociaux et culturels de la migration de main-d’œuvre: la perspective
de genre
45. La migration de main-d’œuvre
peut également être source d’une multitude d’avantages sur le plan
social et culturel. Par exemple, la migration peut renforcer la
position des femmes en augmentant leur capacité d’agir, leur autonomie
et leur résilience et conduire à une reformulation des rôles dévolus
aux deux sexes dans les pays de destination comme dans les pays
d’origine, favorisant ainsi la cohésion sociale de façon générale
et contribuant à construire des sociétés plus inclusives où chacun
a sa place

.
46. Les dernières décennies ont vu une féminisation de la migration
de main-d’œuvre et il y a maintenant des femmes qui migrent seules
à la recherche d’opportunités

. Les travailleuses
migrantes représentent environ 20 % de la main-d’œuvre féminine
en Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest. En outre, la participation des
femmes au marché du travail est plus élevée chez les migrantes que
chez les non-migrantes. Selon les chiffres de l’OIT, la région de
l’Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest est celle qui compte le plus
grand nombre de femmes migrantes, avec un taux d’activité de 68,8 %
en 2019. La même année, la proportion de femmes parmi les travailleurs
migrants a dépassé celle des hommes dans cette région
![(57)
Bureau international
du travail, «<a href='https://www.ilo.org/global/topics/labour-migration/publications/WCMS_808935/lang--en/index.htm'>ILO
Global Estimates on International Migrant Workers – Results and Methodology»</a>, troisième édition, 2021 [Estimations mondiales de l’OIT
concernant les travailleurs migrants. Résultats et méthodologie (résumé en français)].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
47. La migration de main-d’œuvre féminine a tendance à être concentrée
dans le secteur des services, en particulier dans les activités
de services à la personne, y compris la prestation de soins et le
travail domestique (soins infirmiers, prise en charge de personnes
âgées, garde d’enfants, entretien de la maison et autres travaux
ménagers, etc.). Ce type de tâches, qualifié de travail «reproductif»,
est réalisé par une main-d’œuvre à prédominance féminine. Il est
en effet associé à des rôles traditionnellement féminins. Ce travail
est généralement sous-évalué et mal payé. Qui plus est, la protection
sociale est très limitée

.
48. Les travailleuses migrantes présentent plusieurs vulnérabilités
intersectionnelles. Outre les obstacles économiques et non économiques
auxquels elles se heurtent en tant que migrantes, elles sont en
effet aussi exposées à la discrimination fondée sur le sexe sur
le marché du travail. Cela pourrait les pousser vers le secteur
informel et il importe donc de mettre en place des politiques tenant
compte de la dimension de genre. En reconnaissant la migration comme
une composante essentielle du développement, le Programme de développement
durable à l’horizon 2030 des Nations Unies exhorte les gouvernements
à «défendre les droits des travailleurs, promouvoir la sécurité
sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs,
y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont
un emploi précaire» (cible 8.8).
3.4. L’impact
des contributions des migrants en milieu rural et en milieu urbain
49. En particulier en zone rurale,
l’immigration pourrait être un puissant moteur de développement
durable, parfois essentiel pour assurer la survie même des communes
rurales, compte tenu du processus de dépeuplement en cours. L’immigration
dans des régions isolées contribue à couvrir la demande de main-d’œuvre,
à préserver les services de base (tels que l’éducation, la santé
et les commerces alimentaires) et à maintenir le niveau de population.
En bref, elle contribue essentiellement à dynamiser la vie économique
et sociale des petites communes.
50. En milieu urbain, les jeunes et les personnes âgées sont souvent
confrontés à un isolement social, caractérisé par un manque généralisé
de relations sociales et de réseaux d’entraide, formels et informels,
y compris pour la garde des enfants, et par l’exclusion du marché
du travail. Cet isolement peut nuire à leur bien-être global et
à leur qualité de vie. Repenser l’organisation de la ville, y compris
l’intégration des migrants, est fondamental pour surmonter ces problèmes.
4. Créer
des liens sociaux entre les migrants et les sociétés vieillissantes:
bonnes pratiques
51. Les gouvernements peuvent adopter
un large éventail de mesures et de politiques aux niveaux international,
national et local pour faire face au vieillissement démographique.
Les pays doivent construire une «société de la longévité» qui vise
à promouvoir le vieillissement en bonne santé et à exploiter les
avantages d’une vie plus longue et de qualité

. Cela requiert un changement culturel,
des investissements dans la recherche et l’élaboration de politiques
sociales qui donnent aux citoyens âgés les moyens de prendre en
main leur destin pour aller vers une société plus inclusive, en
bonne santé et prospère pour toutes les générations.
52. Ce faisant, il importe de concentrer les efforts sur la promotion
de l’intégration des migrants, notamment au regard du rôle toujours
plus grand que l’immigration régulière est appelée à jouer dans
les sociétés vieillissantes de demain

.
En effet, les retombées positives de l’immigration sur les marchés
du travail locaux et nationaux et sur la vie sociale des sociétés
vieillissantes dépendent fortement des politiques mises en œuvre pour
faciliter la bonne intégration des migrants dans les pays d’accueil
(formation linguistique, accès à l’éducation, possibilités d’emploi,
logement d’un niveau suffisant, aide sociale, etc.). Des politiques
appropriées doivent également être mises en œuvre pour garantir
des voies de migration régulière. Par exemple, des politiques visant
à attirer des migrants hautement qualifiés devraient être développées
afin de renforcer la capacité de l’Europe à répondre aux enjeux
futurs. La mise en œuvre de la carte bleue européenne – qui constitue
un permis de séjour et de travail pour les ressortissants de pays
non membres de l’UE/EEE et leur offre des droits socio-économiques
complets et une voie vers la résidence permanente et la citoyenneté
de l’Union – devrait être soutenue

. Ne pas répondre aux besoins d’intégration
des migrants pourrait finir par avoir des répercussions négatives
et être à l’origine de tensions sociales, de chocs culturels et
de disparités économiques, avec pour corollaire une réduction du
niveau de bien-être général pour tous.
53. Les pays d’accueil peuvent mettre en œuvre des politiques
visant à lutter contre les préjugés et la discrimination à l’égard
des personnes migrantes et à promouvoir la cohésion sociale

.
En ce qui concerne la création de passerelles et de liens entre
les personnes migrantes et les personnes âgées à l’échelon local, certains
pays européens ont déjà mis en place des initiatives de proximité,
comme des programmes intergénérationnels qui réunissent des jeunes
migrants et des habitants du quartier, tout particulièrement des personnes
âgées, afin de promouvoir les interactions entre les générations
et les échanges culturels. Par exemple, le projet Migrantour repose
sur une collaboration avec des partenaires locaux, encourage le
dialogue et permet de découvrir de nouvelles cultures et d’autres
manières de voir, à la faveur de promenades urbaines organisées
par des personnes immigrées qui servent de guides

.
54. Outre les politiques gouvernementales, les initiatives de
la société civile jouent également un rôle de premier plan dans
la mise en relation des personnes migrantes et des populations locales,
y compris les personnes âgées. Par exemple, le programme Neighbours
for Newcomers, lancé par l’organisation caritative RESET, met en
relation des bénévoles britanniques avec des professionnels de santé
étrangers qui viennent de s’installer au Royaume-Uni. De telles
initiatives mériteraient d’être encouragées et soutenues, y compris
au moyen de fonds publics, afin de renforcer encore les échanges
intergénérationnels et interculturels. Ce serait bénéfique aussi
bien pour les personnes âgées (socialisation accrue) que pour les
nouveaux arrivants (meilleure insertion et intégration des personnes
d’origine étrangère dans le tissu local).
4.1. Transformation
rurale: recourir à l’immigration pour combattre le vieillissement
et l’isolement socio-économique
55. Les entretiens avec les organisations
de la société civile ont mis en lumière, en premier lieu, l’importante contribution
de l’immigration aux efforts déployés pour relever le défi du dépeuplement
des territoires ruraux. Cela est particulièrement manifeste dans
des villages du centre de l’Espagne et du sud de l’Italie, ou situés
en milieu rural ou semi-rural et en zone côtière au Royaume-Uni,
qui dépérissaient sous l’effet du vieillissement, de l’isolement
et du dépeuplement.
56. Aujourd’hui, beaucoup de ces communes reprennent vie après
s’être mobilisées pour réussir l’accueil et l’intégration de personnes
migrantes. Certaines organisations ont expliqué que sans l’immigration,
elles étaient vouées à la disparition. L’arrivée de personnes migrantes
les a revitalisées et a constitué un levier important de développement
social et de croissance économique. Les bourgades rurales fournissent
travail et logement à des familles dans le besoin qui contribuent,
en retour, à couvrir la demande de main-d’œuvre, à conserver les
services et à maintenir les niveaux de population dans ces secteurs.
57. En Espagne, pour faire face au dépeuplement continu qui affecte
depuis des décennies la région connue sous le nom de «La España
vaciada» – «L’Espagne du vide» –, l’ONG Asociación Pueblos con Futuro
met activement en relation des villages de moins de 500 habitants
avec des familles dans le besoin, dont beaucoup sont des personnes
migrantes ou réfugiées à la recherche d’une nouvelle vie

. Ces familles jouent un rôle crucial pour
assurer la pérennité de ces communes et maintenir ouverts les bars
locaux, les centres sociaux et d’autres équipements municipaux,
en apportant une main-d’œuvre essentielle et en comblant les postes vacants
dans le secteur des soins aux personnes âgées, à domicile ou en
établissement.
58. Le projet Jungi Mundu a évité la disparition du village italien
vieillissant, Camini

.
Un programme réussi d’accueil et d’intégration des personnes réfugiées
bénéficiant de la protection internationale a été mis en œuvre par
la société coopérative à finalité sociale EUROCOOP, en collaboration
avec la municipalité et les pouvoirs locaux. Cette initiative novatrice
a entraîné une transformation positive de l’ensemble du village
en revitalisant la communauté locale avec de nouveaux habitants
venus d’autres régions du monde.
59. À Camini, les jeunes émigraient vers le Nord plus industrialisé
– un phénomène historique en Italie –, laissant derrière eux leurs
parents. Cette population âgée, qui possédait généralement des commerces
et des terres, ne pouvait donc plus trouver d’employés. Tout était
voué à la ruine, mais depuis la mise en place progressive d’un dispositif
d’accueil de personnes réfugiées, la majeure partie de la population
est maintenant composée de jeunes et de travailleurs. Il y a davantage
de services éducatifs et de transport, et de nouvelles activités
économiques et sociales ont vu le jour en s’appuyant sur le modèle
de l’économie circulaire, dont des boutiques, des laboratoires d’idées
associatifs et des ateliers pour apprendre de nouveaux métiers.
Toutes ces initiatives s’adressent à la fois aux réfugiés et aux
habitants locaux, ce qui favorise la pérennité du programme.
60. Le 19 mars 2024, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a eu un échange de vues avec M. Zakaria
Ibrahim, un ancien réfugié syrien, qui vivait dans le village de
Camini et a servi de médiateur culturel à EUROCOOP Servizi Jungi
Mundu. Cet homme a constaté que de 1991 à 2011, la population de
Camini avait diminué de façon spectaculaire de près de 27 %, passant
de 620 à 450 personnes. Les jeunes étaient partis vers les grandes
villes, laissant les personnes âgées au village. La fourniture de
services avait été interrompue, la population en âge de travailler
ayant quitté le village. Les autorités ont accepté de commencer
à accueillir des migrants, qui sont arrivés par petits groupes de
10 à 15 personnes, atteignant environ 120 personnes au total. La
prestation de services a commencé à s’améliorer avec l’arrivée de
familles avec enfants. Le village, qui risquait de devoir fermer
son école (avec seulement sept enfants à l’école primaire), a connu
un changement considérable, plus de 80 enfants allant à l’école
au cours des deux dernières années. L’école compte actuellement
une vingtaine d’enseignants et fonctionne à plein régime. Les habitants
de Camini avaient également constaté le manque de main-d’œuvre dans
les communes agricoles locales. De nombreux agriculteurs vieillissaient,
et le village avait besoin de davantage de personnes pour travailler
dans les fermes. Un autre exemple de changement positif est celui
des différents ateliers qui ont été créés, comme l’atelier de poterie
et l’atelier d’instruments de musique, où l’expérience et la contribution
des migrants sont très appréciées.
61. La coopération entre les migrants et la communauté d’accueil
fonctionne bien. La coopérative Jungi Mundu compte actuellement
une soixantaine d’ateliers et de petites entreprises. Les commerces
qui étaient sur le point de fermer ont été relancés et le village
tout entier a repris vie et il est devenu plus dynamique. Il y a
également des occasions de se rencontrer et de discuter dans les
petits restaurants locaux, ainsi que dans toute une série de petits
marchés ou lors d’événements culturels dans la région. Enfin, étant
donné que le village est plus dynamique et offre désormais de nouvelles
possibilités d’emploi, les jeunes Italiens qui étaient autrefois
partis à la recherche d’une vie meilleure dans les villes sont revenus
à Camini et dans les villages environnants, ce qui est très apprécié
des habitants. Les jeunes migrants qui sont arrivés étudient l’italien
et cela leur permet de mieux communiquer, notamment avec les Italiens
plus âgés qui ne communiquent pas en anglais, langue souvent parlée
par les migrants et les réfugiés qui arrivent. La renaissance du
village se manifeste aussi dans la restauration de maisons autrefois
abandonnées. Près de 40 % des maisons de Camini devaient être restaurées,
ce travail a été pris en charge par la collectivité locale, avec
la participation des migrants. L’un des projets consistait à rénover
des logements sociaux, et éventuellement des hôtels pour les touristes.
Le village et ses environs ont été transformés en une commune multiculturelle.
M. Ibrahim a conclu en soulignant que les immigrés ne sont pas un
problème, qu’ils peuvent être une solution à de nombreux problèmes
auxquels la population vieillissante de l’Europe est confrontée.
62. Autre exemple de bonnes pratiques: l’initiative d’un réseau
de petites communes rurales du sud de l’Italie (Piccoli Comuni del
Welcome), qui a choisi de dédier les fonds octroyés par le ministère
de l’Intérieur à l’accueil et à l’intégration des demandeurs d’asile,
en se donnant pour mission de mettre en adéquation les besoins de
la population locale avec ceux des migrants

.
63. Dans ces petites communes, les personnes de plus de 70 ans
constituaient le groupe d’âge le plus important. Face au manque
généralisé de services sociaux, des coopératives communautaires
ont été créées pour répondre aux besoins, en particulier à ceux
des personnes âgées. Cela représente un véritable changement de
modèle et une transformation de l’État-providence. Ces communes
deviennent des terres d’accueil pour assurer la prestation de services
sociaux aux citoyens. Plusieurs petites et moyennes entreprises
ont été créées, dirigées à la fois par des migrants et des habitants
locaux. L’une des premières conséquences est la réduction du départ
des jeunes ruraux vers les pôles urbains. De nouvelles activités
ont été mises en œuvre dans différents secteurs tels que l’agriculture,
les métiers spécialisés, le tourisme et l’hôtellerie, améliorant
ainsi la vie de toutes et tous. Cela a également favorisé la création
de circuits d’entraide entre les personnes âgées et les personnes
migrantes, constituant un bel exemple de cohésion sociale. Les personnes
âgées ont notamment apporté leur aide en s’occupant des enfants
des migrants.
64. La vocation de Community Catalysts, une entreprise sociale
opérant au Royaume-Uni, est de faciliter l’engagement des individus
dans des services d’entraide et de soutien qui contribuent à bâtir
des communautés fortes et plurielles. Les initiatives portées par
cette organisation ont été particulièrement bénéfiques pour les
personnes migrantes à la recherche d’un emploi sur le marché du
travail traditionnel. En effet, ces dernières avaient souvent l’impression
que leur candidature n’était pas prise en considération ou se sentaient
discriminées. L'organisation vise à donner aux individus les moyens
d’utiliser leurs talents pour créer des entreprises communautaires.
65. À cet égard, le projet piloté par Community Catalysts dans
le Borough de Wrexham (nord du pays de Galles) est un exemple de
réussite. Les autorités locales lui avaient demandé d’aider à trouver
des solutions pour répondre à la demande croissante de services
de soins à domicile et combler les lacunes en la matière. Cette
région, qui a connu une augmentation du nombre de personnes âgées
de plus de 65 ans au cours de la dernière décennie, comporte des
villages isolés, et la seule agence proposant des services d’aide
et d’accompagnement avait cessé son activité, celle-ci n’étant pas
financièrement viable. Des dizaines de micro-entreprises ont été
créées, fournissant des soins à de nombreuses personnes et créant
des emplois locaux. 10% de ces structures sont dirigées par des
réfugiés ou des migrants, dont un couple ukrainien qui a créé une entreprise
de nettoyage, gagnant ainsi sa vie tout en contribuant à l’économie
locale et offrant aux personnes âgées un service dont le besoin
se faisait vraiment sentir.
66. Au regard de ces expériences, on peut souligner que les réfugiés
peuvent véritablement constituer un atout, même si, par rapport
à d’autres catégories de migrants, ils peuvent initialement représenter
un coût pour le pays d’accueil, comme le relève le rapport 2023
de la Banque mondiale. En effet, les réfugiés se déplacent en quête
de sécurité et ne sont donc pas toujours en mesure d’atteindre des
destinations où leurs compétences sont recherchées; lorsque la situation
se prolonge, l’accueil des réfugiés peut en outre faire peser un
fardeau financier et social sur les pays d’accueil, qui requiert
une gestion durable

.
Les pays d’accueil peuvent réduire leurs dépenses en mettant en
œuvre des politiques favorisant la mobilité interne, l’autonomie
et l’intégration dans les services nationaux. La coopération internationale
basée sur la responsabilité partagée est essentielle pour gérer
ces coûts, et ces efforts internationaux doivent être complétés
par des initiatives régionales.
67. Les initiatives d’intégration s’efforcent activement de résoudre
les enjeux cruciaux auxquels sont confrontées les régions rurales
et isolées en raison du vieillissement de leur population, notamment
l’isolement social, la solitude et les inégalités, comme le soulignent
les études mentionnées précédemment. Elles visent à renforcer les
capacités de soins, à faciliter la création d’opportunités d’emploi
au niveau local et à soutenir le système de santé dans la gestion
des demandes découlant du vieillissement de la population. L’une
des retombées significatives de l’accueil et de l’intégration de
ressortissants de pays tiers, y compris des réfugiés réinstallés,
est le rétablissement des services essentiels. Des équipements supplémentaires
ont été mis en place, améliorant considérablement la qualité de
vie des habitants. L’arrivée des migrants a eu un effet positif sur
la taille de la population, bénéficiant aux entreprises locales
et aux structures qui dépendent d’une fréquentation régulière, telles
que les cabinets médicaux, les épiceries, les écoles et les lignes
de transport.
68. En termes d’emploi, dans le nord du Pays de Galles, un autre
aspect mérite d’être pris en considération. Les immigrés occupent
souvent des métiers devenus moins courants pour les locaux, comme
celui de berger. Cette tendance résulte d’un problème plus large,
dû en partie au manque d’intérêt des habitants pour ce type d’emploi,
perçu comme étant indigne et de statut inférieur. Une plus grande
attention doit être accordée à l’amélioration des conditions de
travail de ces professions précieuses, afin de transformer ces possibilités d’emploi
en options dignes et souhaitables, susceptibles de susciter l’intérêt
de la main-d’œuvre locale.
69. Le succès de ces initiatives dépend en grande partie de l’intégration
effective des nouveaux arrivants. Des programmes d’échanges linguistiques
et culturels peuvent être mis en œuvre pour favoriser l’apprentissage
mutuel et le soutien entre les différents groupes culturels et générationnels.
Les services de soutien adaptés fournis dans la plupart de ces programmes
ont permis aux migrants d’apprendre la langue. L’aide informelle
émanant de la communauté locale, comme l’accompagnement dans les
démarches administratives, a également été essentielle. Pour préparer
les communautés d’accueil, en particulier dans des territoires peu
habitués à recevoir des populations étrangères, les communes peuvent
organiser des réunions pour fournir des informations détaillées
sur les arrivants.
70. Plusieurs mesures peuvent être prises pour faire en sorte
que les bénéficiaires acceptent les travailleurs immigrés. Par exemple,
des programmes de formation et de coaching pourraient être proposés
aux migrants qui assurent des prestations de soins à la personne
afin d’améliorer leurs compétences globales en communication. Une
politique d’éducation de la clientèle et des collègues pourrait
être mise en œuvre pour appeler à la tolérance zéro à l’égard du
racisme, et une formation sur l’environnement culturel local et
la prestation de soins pourrait être dispensée

.
Des séances d’orientation pourraient également être organisées pour
le personnel communal et les parties prenantes locales qui seront
en contact avec les migrants accueillis, comme les travailleurs
sociaux et les enseignants.
71. Promouvoir l’engagement au sein des infrastructures sociales
existantes, notamment l’adhésion à des associations sportives ou
la participation aux fêtes et manifestations locales, peut également
conduire à une intégration plus durable

.
Par exemple, en Italie, les autorités locales et leurs partenaires
de la société civile ont associé les réfugiés à des événements traditionnels,
tels que les festivités religieuses et les festivals mettant à l’honneur
les produits du terroir.
72. L’adéquation entre les offres d’emploi disponibles dans les
villages avec les demandes d’emploi des familles qui arrivent est
cruciale. Comprendre les besoins, les qualifications et les aspirations
des familles est fondamental pour assurer une intégration réussie.
La connaissance du terrain, acquise en visitant les communautés
locales et en évaluant les opportunités d’emploi ainsi que les solutions
de logement possible et la proximité des établissements d’enseignement
et des pôles de santé, est également essentielle. Enfin, pour assurer
la pérennité des efforts d’intégration, il importe d’assurer le
suivi des familles pendant plusieurs mois et de les accompagner
jusqu’à ce qu’elles se soient complètement adaptées au milieu rural.
73. L’intégration des migrants est à la fois une chance et un
défi. Dans certains cas, comme pour le projet mené en Espagne, l’intégration
des familles étrangères se fait naturellement. La réussite de l’intégration
peut être attribuée à des facteurs externes qui facilitent l’assimilation
immédiate du groupe de migrants, tels qu’une plus grande affinité
culturelle. En Espagne, la plupart des immigrés sont originaires
d’Amérique du Sud: outre le fait qu’ils partagent une culture et
des modes de vie similaires, ils parlent également la même langue.
Les représentants du projet de coopération espagnol ont ainsi souligné,
lors de l’entretien, que leur initiative n’incluait pas les migrants
ayant une culture d’origine différente (personnes arabes ou musulmanes
par exemple), étant donné leurs difficultés à partager la vie de
la collectivité. Par exemple, on pourrait difficilement les convaincre
de gérer un bar ou un café associatif servant des boissons alcoolisées
(ce qui était un trait d’identité culturelle dans un village spécifique).
Cette difficulté est amplifiée dans les villes, où les familles étrangères
ont tendance à se concentrer dans certains quartiers, maintenant
ainsi leur mode de vie religieux et culturel, mais les isolant,
d’un autre côté, du reste de la ville. Une approche plus équilibrée
et cosmopolite du développement urbain pourrait permettre d’éviter
la ghettoïsation de certaines communautés migrantes. La promotion
de la diversité culturelle et de la cohésion sociale sur l’ensemble
du territoire communal pourrait contribuer à renforcer les liens
entre la population locale et les nouveaux arrivants.
74. Dans une optique d’intégration, les communautés rurales peuvent
offrir des avantages par rapport aux centres urbains, dans la mesure
où elles fournissent des institutions informelles qui facilitent
l’échange d’informations, la mobilisation des ressources, un accompagnement
personnalisé et, dans l’ensemble, une dimension humaine plus forte

.
En revanche, étant donné leur plus petite taille, tout se sait toujours
dans le moindre détail à propos des familles accueillies, et cela
exerce une influence sur les perceptions que l’ensemble du voisinage
développe à l’égard de la migration. Dans certains cas, une famille
qui ne se sera pas bien intégrée pourra devoir être relogée ailleurs.
4.2. Transformation urbaine: vers des villes
plus inclusives, multiculturelles et intergénérationnelles
75. Le vieillissement démographique
pose d’importants défis en milieu urbain et impose de réviser les processus
d’aménagement urbain en donnant la priorité à la participation des
citoyens pour transformer la ville. Dans un monde en mutation rapide,
marqué par des changements sociaux et environnementaux, de nouvelles approches
devraient être adoptées pour construire des villes plus résilientes,
inclusives, multiculturelles et intergénérationnelles. L’urbanisme
devrait s’articuler autour des principes d’équité et des besoins
humains. Supprimer les barrières qui isolent, en particulier pour
les générations les plus jeunes et les plus âgées qui ont tendance
à rester enfermées dans des espaces privés, peut contribuer à améliorer
les possibilités de socialisation et d’interactions avec diverses
communautés.
76. La planification participative vise à surmonter les stéréotypes
de classe sociale ainsi que les préjugés raciaux, sexistes, ethniques
et idéologiques. La coopérative suédoise Egnahemsfabriken illustre
comment les démarches d’habitat participatif et de gestion collective
peuvent remédier à la pénurie de logements, à l’exclusion et aux
difficultés d’accès au marché du travail rencontrées par les nouveaux
arrivants. En créant un lieu de rencontre qui favorise l’intégration,
la collaboration et la créativité, le projet soutient toute personne souhaitant
construire son propre logement ou aider d’autres personnes à construire
le leur, grâce à des méthodes telles que le co-design,
qui reposent sur la collaboration créative pour faire émerger des
idées et des solutions aux problèmes de logement. Cela contribue
particulièrement à l’autonomisation de trois groupes vulnérables
sur le marché du logement ou du travail: les jeunes, les personnes
âgées et les réfugiés.
77. Les jeunes migrants sont embauchés de manière à obtenir un
permis de travail tout en contribuant à la société. Des femmes âgées
isolées, souvent aux moyens financiers limités, peuvent ainsi continuer
à vivre chez elles; elles conservent leur indépendance tout en évitant
la solitude. Le projet soutient des femmes retraitées vivant en
communauté, luttant ainsi contre la dépression et l’isolement social.
78. Un logement décent est un facteur clé de la réussite de l’intégration
des personnes migrantes et réfugiées dans la communauté locale,
car il leur permet d’avoir des contacts sociaux, ainsi que d’accéder
aux services et à l’emploi. Les nouveaux types d’habitat qui ont
vu le jour dans toute l’Europe contrastent avec le logement social
traditionnel. Ces formules mettent davantage l’accent sur la collaboration,
la participation et le soutien social entre les résidents.
79. Le projet Homefull, géré par l’association Programma integra
en collaboration avec la coopérative sociale Meta onlus et soutenu
par l’autorité régionale de Rome (Italie), promeut la cohabitation intergénérationnelle
![(71)
«<a href='https://www.redattoresociale.it/article/notiziario/accoglienza_alternativa_anziani_soli_convivono_con_giovani_migranti'>Accoglienza
alternativa: anziani soli convivono con giovani migranti</a>», Redattore sociale,
2015 [italien seulement].<a href=''></a> Voir aussi le site internet de l’association <a href='https://www.programmaintegra.it/wp/programma-integra/progetti/homefull/'>Homefull</a> [italien seulement].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Ce modèle innovant est un tremplin vers l’autonomie pour les migrants
et un moyen d’échapper au sentiment d’isolement pour les personnes
âgées. À noter que le programme de cohabitation a parfois suscité
des réticences au départ, car certaines familles hésitaient à adopter
ce mode de vie inhabituel.
80. En Suède, le projet de cohabitation SällBo rassemble des jeunes
de 18 à 25 ans, y compris des réfugiés, et des personnes de plus
de 70 ans
![(72)
«<a href='https://cooperativecity.org/2023/07/06/multigenerational-and-multicultural-co-housing-in-sweden/'>Overcoming
isolation: multigenerational and multicultural co-housing in Sweden</a>», Cooperative City Magazine, 2023;
voir aussi le site internet de <a href='https://www.helsingborgshem.se/sok-ledigt/boendeformer/sallbo'>SällBo</a> [suédois seulement].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
L'objectif est de favoriser les interactions sociales de personnes
qui peuvent facilement se sentir exclues, isolées et seules. Cette
initiative vise à lutter contre la solitude non voulue et le sentiment
d’insécurité, tout en favorisant l’inclusion sociale de l’ensemble
des résidents – personnes âgées, jeunes adultes et jeunes réfugiés
arrivés en tant que mineurs non accompagnés demandeurs d’asile dans
le pays. Les responsables du projet ont aménagé et adapté un bâtiment
existant en créant de petits appartements et des espaces communs.
Ils ont en outre mis en place un processus de sélection des candidatures
pour l’attribution des logements, exigeant que les résidents partagent
des moments de rencontre pour favoriser une cohabitation harmonieuse.
81. Le 19 mars 2024, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a eu un échange de vues avec Mme Dragana
Curovic, qui a présenté le projet SällBo. Ce projet a commencé par
une décision de la municipalité de construire un foyer pour personnes
âgées de plus de 70 ans. La plupart d’entre elles étaient des personnes
âgées d’origine suédoise. Tout comme en Italie, les jeunes avaient
quitté la région et les personnes âgées étaient restées. La crise
des réfugiés en Syrie a fait venir un grand nombre de réfugiés. Les
pouvoirs publics ont décidé de trouver les moyens de les héberger.
En octobre 2015, environ 459 personnes étaient censées être placées
à Helsingborg. Les logements sociaux où vivaient des personnes âgées
ont permis d’héberger des réfugiés au rez-de-chaussée, 51 appartements
devenant des foyers pour jeunes migrants. La cohabitation n’a pas
toujours été facile, en particulier au début, car les jeunes qui
fumaient la nuit déclenchaient les alarmes incendie. Tisser des
liens sociaux entre les deux groupes a pris du temps. Beaucoup d’efforts
ont dû être déployés pour la médiation sociale, afin de rapprocher
les deux groupes – les personnes âgées et les jeunes migrants.
82. La direction du projet SällBo a organisé des réunions pour
faciliter le dialogue entre les différents locataires. Il en est
ressorti clairement que les personnes âgées se sentaient solitaires
et socialement exclues, ce qui a été une grande surprise étant donné
qu’un grand nombre d’entre elles avaient des enfants. L’argument invoqué
était que leurs enfants étaient adultes, autour de la cinquantaine,
travaillaient et devaient s’occuper de leurs propres enfants. Les
jeunes migrants étaient également solitaires, leurs familles étant
très loin. Sans médiation, ces deux groupes n’auraient pas naturellement
communiqué entre eux. Ce projet de logement social a permis de créer
un foyer pour des personnes d’origines diverses, favorisant ainsi
la diversité sous toutes ses formes. En outre, la démocratie directe
qui régit ce projet n’a pas empêché de mettre l’accent sur la diversité,
bien au contraire. Lorsque des places se libèrent, un vote est organisé
pour décider qui inviter à vivre dans ce projet de cohabitation.
La dynamique du groupe évolue au fil des ans mais cela demeure une bonne
pratique forte de cohabitation interculturelle et intergénérationnelle
dont on pourrait beaucoup apprendre.
83. Le succès du projet peut être attribué tout spécialement à
cet élément de socialisation, qui profite aux deux parties. Il s’est
en effet avéré que le réseau social dont disposaient les personnes
âgées dans la ville pouvait aider les jeunes à trouver un emploi,
favoriser l’assiduité scolaire, améliorer leurs compétences linguistiques
ou offrir un accompagnement. Autrement dit, cela favorise leur intégration
globale. Pour leur part, les personnes âgées se sentent en meilleure
santé en étant tenues au courant du monde qui les entoure. Pendant
le confinement imposé par la pandémie de covid-19, les avantages
d’une telle collaboration intergénérationnelle sont devenus particulièrement
apparents; les jeunes se chargeaient notamment de faire les courses
pour leurs aînés isolés et vulnérables. Les jeunes migrants ont
aidé les personnes âgées dans de nombreuses tâches quotidiennes.
En outre, étant donné que les personnes âgées ne pouvaient pas physiquement
rencontrer leur propre famille en raison des exigences du confinement,
la présence de jeunes qui vivaient dans le même bâtiment, en particulier
les réfugiés, les a aidées à surmonter les difficultés liées à la
pandémie.
84. En ce qui concerne les échanges intergénérationnels, le projet
TOY for Inclusion encourage l’inclusion sociale, l’apprentissage
intergénérationnel, l’intégration des services et l’éducation et
l’accueil de la petite enfance dans la collectivité dans 10 pays

. Cette initiative permet la création
de Play Hubs (espaces de jeux) inclusifs de qualité où les enfants
de tous les milieux et les personnes qui s’en occupent peuvent se
retrouver, jouer, emprunter des jouets, participer à des ateliers
et accéder à des services de proximité.
85. Le 19 mars 2024, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a également eu un échange de vues avec
Mme Giulia Cortellesi, co-directrice
chez International Child Development Initiatives (ICDI), qui a son
siège aux Pays-Bas. Cette dernière a présenté le projet «TOY for
Inclusion» qui travaille sur le thème du développement du bien-être
des enfants et des adolescents grandissant dans des circonstances
difficiles. En 2012, ils ont débuté un programme intergénérations
rassemblant des personnes âgées et des jeunes. Ce projet a commencé
en tant que projet de recherche subventionné par la Commission européenne
dans sept pays d’Europe.
86. Afin de bien comprendre les bénéfices de l’apprentissage intergénérationnel
entre les jeunes et les personnes âgées, ils se sont concentrés
sur les jeunes enfants. Ils ont remarqué que les jeunes enfants passaient
la plupart de leur temps dans des structures d’accueil de la petite
enfance ou des jardins d’enfants de 8h à 16h, voire 18h ou 19h.
Les personnes âgées, et en particulier les plus vulnérables, passaient
leur temps dans des maisons de retraite et rencontraient rarement
de jeunes enfants, en particulier en milieu urbain. Les maisons
de retraite disposaient de très beaux bâtiments et jardins, ce qui
n’était pas le cas des jardins d’enfants et des écoles. Une décision
a été prise de mettre en place des activités intergénérationnelles. Cela
permettrait non seulement d’utiliser les magnifiques bâtiments des
maisons de retraite, mais aussi de créer des liens entre ces différents
groupes.
87. De nombreuses familles de migrants ont été impliquées dans
ce projet. Elles avaient rencontré des problèmes d’intégration dès
lors qu’elles ne parlaient pas la langue du pays d’accueil. Il est
apparu clairement que cette pratique intergénérationnelle pouvait
répondre à trois préoccupations sociétales: la ségrégation par l’âge,
le vieillissement général de la population et le besoin de cohésion
sociale et de solidarité dans des sociétés de plus en plus partiales
d’un point de vue culturel. Les membres du projet ont élaboré du
matériel de formation et mis en place un réseau de professionnels
et d’animateurs intergénérationnels.
88. Ils ont commencé par créer des espaces intergénérationnels
en utilisant le prétexte du jeu pour rassembler de jeunes enfants
et des personnes âgées comme facteur déclencheur de l’inclusion
sociale. Ces lieux ont été appelés «Playhouses». Ce sont des centres
de jeux inclusifs où des familles de tous horizons peuvent se réunir.
Ils ont été conçus pour promouvoir ce que l’on appelle l’«universalisme
progressif», ce qui veut dire qu’ils sont ouverts à tous mais qu’ils
adoptent des stratégies spéciales afin d’atteindre les groupes les
plus vulnérables pour garantir la participation de ces derniers.
Ils peuvent aussi promouvoir certains projets particuliers pour
couvrir les besoins spécifiques de groupes précis (enfants migrants
ou roms). Il y a des bibliothèques de jouets, où les familles peuvent
emprunter des jouets, ainsi que des activités en groupe et des ateliers.
89. La plupart des activités sont organisées par des bénévoles
et par le personnel des différents services. Les personnels des
services dédiés aux jeunes enfants ou ceux dédiés aux réfugiés peuvent
travailler en collaboration entre eux et non en vase clos. Cela
inclut l’éducation, les soins de santé et les services sociaux pour
qu’ils développent une vision commune et des projets communs visant
à promouvoir le bien-être de la population dans ces groupes. Lorsque
les réfugiés ukrainiens sont arrivés, les plus âgés d’entre eux
ont fait des efforts pour proposer leur aide et leur expérience,
notamment pour enseigner dans un environnement d’apprentissage non
formel. Il y avait surtout des femmes, des mères et leurs enfants,
et beaucoup de personnes âgées. On leur a donné un espace où elles
se sentiraient utiles et appréciées. Les personnes âgées ukrainiennes
ont également organisé des ateliers pour des enfants slovaques et
hongrois.
90. Le programme européen de soutien à l’éducation non formelle
a ouvert la voie à l’apprentissage interculturel. Ce travail nécessite
une reconnaissance et des ressources adéquates. Dans de nombreuses communes
où ces projets ont été mis en œuvre, les familles se sentent les
bienvenues: elles se font des amis et sont mieux outillées pour
résoudre d’autres problèmes qu’elles rencontrent au quotidien, elles
peuvent trouver des emplois, socialiser, apprendre la langue, avoir
accès à des cours et à une variété de services ou de soutien informel.
Créer des espaces de rencontres informelles où les contacts intergénérationnels
et interculturels sont possibles devrait être un élément clé dans
l’élaboration de politiques aux niveaux local, national et international.
L’apprentissage intergénérationnel pour les enfants leur apporte
une plus grande estime de soi et les aide à nouer de nouvelles amitiés.
De leur côté, les personnes âgées se sentent valorisées, leur santé
et leur bien-être s’améliorent et elles se sentent moins isolées.
Enfin, leur bien-être physique général s’améliore. Les sociétés
bénéficient globalement de tout cela, grâce à l’inclusion sociale
qu’apporte la solidarité intergénérationnelle.
91. Le contact intergénérationnel favorise les liens interculturels
et l’apprentissage social. En impliquant les grands-parents et les
personnes âgées de la collectivité locale, y compris les migrants,
les réfugiés et les groupes minoritaires tels que les Roms et les
Sintis, l’apprentissage intergénérationnel encourage l’intégration sociale
dans nos sociétés plurielles

. En particulier, les populations
immigrées, souvent composées de familles avec de nombreux enfants,
ne bénéficient pas toujours du soutien social des grands-parents.
Dans ce contexte, le contact intergénérationnel joue le rôle de
passerelle avec les locaux. Grâce aux liens créés, les migrants
apprennent à connaître le système de services, se font des amis,
commencent à avoir confiance dans les institutions et à sortir de
leur communauté; ainsi, leurs relations dépassent le cercle des
personnes migrantes qui leur sont relativement proches. D’un autre
côté, la participation des personnes âgées aux activités des Play
Hubs leur permet de rester actives et de combattre l’isolement social.
5. Conclusions
92. J’ai voulu, grâce à ce rapport,
mettre en lumière des exemples concrets des contributions que les personnes
migrantes peuvent apporter face aux défis posés par le vieillissement
démographique en Europe. Notre continent vieillit rapidement et
il est crucial de prendre des mesures pour atténuer les graves implications macro-économiques
et sociales de ce phénomène, dans l’intérêt général. En effet, une
société vieillissante présente des difficultés non seulement pour
les personnes âgées, qui nécessitent un soutien accru pour répondre
à leurs besoins, mais aussi et surtout pour les générations futures,
qui devront supporter les coûts d’une société âgée avec une sécurité
sociale réduite et un système public de protection sociale affaibli.
93. Pour faire face à cette évolution démographique, les États
membres devraient envisager d’élaborer des politiques et des initiatives
efficaces pour assurer le bien-être et la qualité de vie de la population
âgée, ainsi que de mettre en œuvre des stratégies visant à promouvoir
des taux de fécondité plus élevés. Parallèlement à cela, il faudrait
promouvoir les filières de migration régulière pour combler les
pénuries de main-d’œuvre, dès à présent.
94. La contribution des personnes migrantes a des conséquences
sur les générations anciennes comme sur les nouvelles. Qu’il s’agisse
de l’ouverture de nouvelles classes et de nouvelles structures éducatives,
de l’amélioration de la fréquence des lignes de transport public
entre communes voisines, ou de la prise en charge des personnes
âgées à domicile grâce à leur travail, l’impact de l’immigration
sur la société est considérable et a de multiples facettes.
95. Afin de promouvoir l’intégration globale des personnes migrantes
et la cohésion sociale, des politiques complètes d’intégration multidimensionnelles
sensibles au genre doivent être mises en œuvre. Cela va de la régularisation
des travailleurs et travailleuses migrants informels et sans papiers
à la promotion d’une aide directe et ciblée dans les collectivités
locales et à la formation professionnelle. Un effort supplémentaire s’impose
pour revaloriser les métiers essentiels dans notre société. L’urbanisme
doit aussi être repensé pour évoluer vers une coopération multiculturelle
et intergénérationnelle. Des politiques visant à renforcer le secteur non
formel sont également nécessaires. Les États doivent favoriser une
communication et une information positives au sein des populations
locales et lutter contre les discours de haine dans le discours
public, y compris pendant les campagnes électorales. En conclusion,
l’heure n’est plus aux mesures d’urgence face à l’immigration: privilégier
des approches structurelles et durables est désormais crucial.