1. Introduction
1. Dans son
rapport du 5 janvier 2024 intitulé «Développements récents au Moyen-Orient: l’attaque terroriste
du Hamas contre Israël et la réponse d'Israël»

, le rapporteur de l’Assemblée parlementaire
Piero Fassino a décrit le contexte qu’il convient de rappeler. L’attaque
du Hamas contre Israël lancée le 7 octobre 2023 a été perpétrée
sur plusieurs fronts contre des villes israéliennes, résultant en
d’effroyables scènes de violence. La brutalité et le caractère impitoyable
des actions des terroristes du Hamas ont provoqué le plus grand
nombre de morts en une seule journée dans l'histoire d'Israël. En
réponse à l'attaque du Hamas, les autorités israéliennes ont déclaré
l'état de guerre et rappelé les réservistes militaires. Dans l'après-midi
du 7 octobre, les Forces de défense d’Israël (FDI) ont lancé l'opération
«Épées de fer» avec des frappes aériennes, terrestres et maritimes
sur la bande de Gaza. Cette campagne militaire visait explicitement
à démanteler le Hamas et à assurer la libération des otages. L'ampleur
de cette opération a rendu une grande partie du nord de Gaza inhabitable,
obligé la grande majorité de la population à être déplacée et entraîné, directement
et indirectement, des pertes humaines conséquentes parmi le peuple
palestinien. Le blocus des ressources essentielles telles que la
nourriture, l'eau, le carburant, l'électricité et les médicaments
a créé une catastrophe humanitaire sans précédent.
2. Depuis le rapport de M. Fassino, Israël continue de mener
une offensive militaire, particulièrement dans le nord et au centre
de la bande de Gaza, assiégeant progressivement le camp de réfugiés
de Jabaliya et les zones voisines, et isolant le nord de Gaza, où
Israël affirme que le Hamas a tenté de reconstituer ses capacités.
3. Les FDI ont lancé des attaques sur Gaza presque sans discontinuer
et ont mené des opérations militaires en Cisjordanie. Le conflit
s’est étendu à d’autres zones de la région, notamment au Liban où
les attaques israéliennes ont fait au moins 3 386 morts et entraîné
le déplacement interne de plus de 800 000 personnes

. Ces zones
sont sous une pression militaire intense. Les attaques militaires
menées par les parties au conflit, en particulier l'État d'Israël,
contre des structures humanitaires et des biens civils ont lieu
presque quotidiennement. Cependant, au vu de la situation dans la
bande de Gaza qui ne cesse de s’aggraver et qui appelle à une action
urgente et immédiate, ce rapport se concentrera sur la situation
humanitaire des femmes et des enfants dans la zone géographique
de Gaza. En Israël, des dizaines de milliers de personnes ont dû fuir
ou ont été évacuées vers le nord d'Israël, mais les autorités israéliennes
et les organisations humanitaires ont pu gérer ces déplacements.
En conséquence, bien que l'impact de cette évacuation sur les civils
innocents en Israël soit important, une crise humanitaire en Israël
a été évitée.
4. Les intervenants aux deux auditions des 13 et 30 septembre
2024

de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable n’ont pas évoqué de problèmes
humanitaires graves en Israël et les échanges de la rapporteure
avec les autres organisations humanitaires et la délégation israélienne auprès
de l’Assemblée n’en font pas état non plus.
5. Les nombreux éléments recueillis au cours de ces auditions,
que de nombreux membres de la commission ont décrit comme étant
les plus poignantes auxquelles ils et elles ont assisté, ont servi
de base au présent rapport.
6. Évidemment, les recommandations formulées dans le projet de
résolution, en particulier l’appel à un cessez-le-feu immédiat et
au rétablissement du libre accès des organisations humanitaires,
s’appliquent à l’ensemble du Moyen-Orient, y compris en Israël,
en Cisjordanie et au Liban. Il ne doit plus y avoir de civils tués,
blessés, déplacés, ni de destructions matérielles des infrastructures
vitales dans cette partie du Moyen‑Orient. Il est temps de mettre
un terme définitif à ces souffrances et de penser à la reconstruction. Toutefois,
étant donné l'accent mis sur la crise humanitaire, la rapporteure
propose de modifier le titre du rapport et de se concentrer sur
Gaza, où la situation humanitaire s'est aggravée et doit être améliorée
sans plus tarder.
7. La rapporteure est consciente que les autorités israéliennes
n'acceptent pas un grand nombre ou la plupart des éléments et détails
reflétés dans les rapports concernant la crise humanitaire qui sont
décrits ci‑dessous, ni les raisons qui les motivent. Elle tient
à souligner à cet égard que les rapports, y compris ceux de plusieurs
organismes internationaux ainsi que d'organisations humanitaires
réputées et respectées présentes sur le terrain, convergent dans
une très large mesure et que les appels à une prise en charge immédiate
de la situation afin de limiter toute nouvelle catastrophe humanitaire
ne sauraient être plus clairement exprimés.
2. La situation de crise humanitaire à
Gaza
8. Une crise humanitaire est un
événement, ou une série d'événements, qui constitue une menace sérieuse
à la santé, à la sécurité ou au bien-être d'une communauté ou d'un
groupe de personnes, sur une zone étendue. La mise en œuvre de moyens
extraordinaires, dépassant ceux de l'aide humanitaire classique, est
alors nécessaire pour éviter une catastrophe ou au moins en limiter
les conséquences.
9. Dès le 7 octobre 2023, le Gouvernement israélien a presque
complètement interrompu l'approvisionnement en électricité, en nourriture,
en eau et en carburant vers Gaza, qui, avant le conflit, était déjà
confronté à des conditions de crise économiques et humanitaires

. Les
bombardements et le siège de Gaza ont causé la mort de dizaines
de milliers de Palestiniens, dont 70 % de femmes et d’enfants, et
ont entraîné des destructions massives de logements et d’infrastructures
civiles, ainsi que des déplacements importants et répétés de la
population

,
créant une catastrophe humanitaire sans précédent. Les zones de sécurité
ont été attaquées à de multiples reprises, ce qui a entraîné un
nombre énorme et continu de morts innocentes. De nombreuses organisations
humanitaires constatent qu'il n'y a pas d'espaces sûrs à Gaza où les
civils peuvent se mettre à l'abri des actions militaires des parties
au conflit; Gaza est en effet une enclave assiégée dont les entrées
et sorties sont principalement contrôlées par les pays qui l’entourent,
Israël et l’Égypte, et seulement lorsque ces frontières sont ouvertes.
2.1. Les
civils morts et blessés: une majorité de femmes et d’enfants
10. Les frappes aériennes, terrestres
et maritimes ainsi que les combats terrestres intenses et continus
dans la bande de Gaza depuis octobre 2023 ont fait un nombre considérable
et sans précédent de victimes. Selon le ministère de la Santé de
Gaza, les hostilités à Gaza ont tué au moins 43 391 personnes, 102
347 civils ont été blessés, dont un grand nombre de femmes et d'enfants,
qui représentent 70 % des victimes, sans compter les personnes dont
les corps n’ont pas pu être retirés des décombres

.
De nombreux travailleurs médicaux et humanitaires dont 243 membres
du personnel de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies
pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ont
trouvé la mort. Selon une estimation minimale, 120 000 personnes
sont décédées des suites d'affections et de maladies qui n'ont pas
pu être correctement traitées ou prises en charge en raison des
graves dommages subis par le système de santé à Gaza.
11. La guerre urbaine à Gaza détruit les maisons, les communautés
et le tissu social, comme on a pu le voir sur les images de la région.
Elle a entraîné également des morts et des blessés parmi les civils
à une échelle effroyable même si les images à ce sujet sont moins
accessibles. Le nombre et la proportion de morts et de blessés sont
monstrueux. Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des
Nations Unies

,
ce niveau sans précédent de meurtres et de blessures de civils est
une conséquence directe du non-respect par les FDI des principes
fondamentaux du droit international humanitaire, à savoir les principes
de distinction, de proportionnalité et de précaution dans les conflits
armés. La conduite des hostilités par Israël a également détruit
les infrastructures civiles de Gaza, notamment les hôpitaux et les
écoles, ainsi que les infrastructures d'électricité, d'eau et d'égouts,
laissant les survivants souvent blessés, sans accès à l'eau, à la
nourriture ou aux soins de santé adéquats. La conduite des hostilités
par les groupes armés palestiniens à partir de zones densément peuplées
et l'utilisation de projectiles intrinsèquement aveugles ont selon
toute vraisemblance aussi aggravé le nombre de victimes à Gaza.
2.2. Les
risques spécifiques pour les femmes et les enfants à Gaza
12. Comme l’ont notamment décrit
les intervenants aux deux auditions tenues par la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable, outre les décès
directs d’enfants sous les frappes militaires, la guerre coupe l'accès
aux soins de santé, à l'éducation, à l'électricité et à l'eau potable.
Les effets sont désastreux pour le présent et l’avenir des enfants
de Gaza. Compte tenu de la jeunesse de la population gazaouie (65%
des habitants ont moins de 25 ans), cette situation s'aggrave et
met en péril non seulement l'avenir individuel de chaque Palestinien,
mais aussi celui de la société dans son ensemble. Les enfants représentent
une grande partie des personnes déplacées à l'intérieur de Gaza.
Ils ne doivent pas être considérés simplement comme des adultes
miniatures. Les risques auxquels ils sont confrontés dans les situations
de guerre urbaine sont distincts et doivent être compris dans le
contexte de leur développement social, physique, psychosocial et
cognitif

. En termes
d’hospitalisations, la capacité en lits est insuffisante, avec par
exemple 2 enfants par lit dans l’unité pédiatrique de l’hôpital
Nasser. Dans cet hôpital, on a assisté à une hausse des cas traumatiques,
orthopédiques et de brûlures sévères depuis mi-mai. Environ 70 %
des grands brûlés ont moins de 18 ans. Les cas de brûlures dues
aux explosifs ont énormément augmenté depuis juillet, atteignant
53 % du nombre total de brûlures, en raison des opérations militaires.
13. Les ONG ont dénoncé le fait que les enfants paient le prix
le plus lourd d’une guerre dont ils ne sont absolument pas responsables.
Le manque de nourriture et d’eau potable est particulièrement critique
pour eux. Les restrictions de déplacement pour aller se faire soigner
ailleurs le sont tout autant. Certaines familles ont été déplacées
9 ou 10 fois, certaines jusqu’à 15 fois, ce qui les expose à une
situation extrêmement précaire et sans la moindre garantie de retour
dans leur foyer. Ces déplacements accroissent les risques de violence et
de négligence pour les enfants, et évidemment les risques pour leur
santé mentale. Les enfants souffrent de blessures invalidantes,
subissent des amputations et, après plus d’un an de guerre, ils
montrent des signes de troubles mentaux. Leur santé mentale est
présentée comme étant critique. Ils présentent des symptômes tels
que des niveaux extrêmement élevés d’anxiété persistante, une perte
d’appétit, des insomnies, des crises émotionnelles ou de panique
à chaque fois qu’ils entendent les bombardements. La poliomyélite
(maladie virale qui touche principalement les enfants de moins de
cinq ans) est de retour à Gaza après 2 décennies, suite à la destruction
de toutes les infrastructures, y compris des réseaux d’assainissement.
De nombreux enfants ont perdu leurs parents. Joyce Msuya, Sous-Secrétaire
générale par intérim aux affaires humanitaires et Coordonnatrice
des secours d'urgence de l’ONU, a décrit comment il était devenu
courant que les enfants blessés dans l’enclave aient les mots «enfant
blessé, pas de famille survivante» écrits sur leurs bras.
14. Autant des soins appropriés immédiats pour atténuer la souffrance
des enfants qu’une scolarité minimum sont nécessaires pour que ces
enfants retrouvent un minimum de sécurité, de bien-être et de dignité humaine.
Il est difficile d’imaginer le traumatisme d’enfants, amputés dans
des conditions inimaginables et parfois sans anesthésie, et qui
n’ont même pas accès à un minimum de rééducation et aux prothèses
qui leur permettraient de reprendre un semblant de vie.
15. Concernant les femmes, il est clair que le nombre de naissances
et les interventions dans ce cadre, ainsi que le nombre de grossesses
a baissé. Les produits d’hygiène féminine font défaut. UNICEF travaille
dans des conditions épouvantables pour les soins obstétriques et
néonataux.
16. Compte tenu de la destruction du système de soins de santé,
la possibilité d’une évacuation médicale est d’autant plus importante.
Environ 15 000 personnes répondraient aux critères pour une telle
évacuation. Les femmes et les enfants sont nombreux sur la liste
des personnes nécessitant une évacuation médicale, et il n'existe
plus aucun service hospitalier pratiquant des opérations à cœur
ouvert à Gaza. Depuis le début de la guerre, seules 5 000 personnes
environ ont été évacuées vers l’Égypte ou le Qatar. Depuis la fermeture
de la frontière en mai, les évacuations ont diminué et sont aujourd’hui
presque totalement à l’arrêt, bien que Médecins Sans Frontières
(MSF) travaille avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour
relancer ces évacuations.
17. Les femmes et les enfants sont confrontés à des problèmes
très importants en raison de l’effondrement de l’ordre public. Toute
autorité existante est entre les mains de chefs de famille éparpillés,
de chefs de clan, de chefs du Hamas et de quelques responsables
politiques. En cas de problème ou en cas de violence, ils ne savent
pas vers qui se tourner. Les personnes les plus vulnérables sont
les plus touchées. Les femmes ont plus de mal à trouver à manger
et à boire, à protéger la vie de leurs enfants et à faire face aux
violences et aux mauvais traitements. Le nombre de violences domestiques
et les tentatives de suicide augmentent.
2.3. L’effondrement
du système de santé et des conditions sanitaires catastrophiques
18. Des pans entiers de l'infrastructure
de la société à Gaza – maisons, écoles, hôpitaux et installations médicales
– sont aujourd'hui complètement détruits ou incapables de fonctionner.
Avec l’effondrement du système de santé et la baisse de la vaccination,
la santé de la population va encore se détériorer. La capacité de
l'UNRWA à coordonner la vaccination contre la poliomyélite dans
un environnement hostile était la seule lueur d'espoir, désormais
compromise par la décision du Parlement israélien, dont la mise
en œuvre conduirait à mettre fin aux opérations de l'UNRWA dans
les territoires palestiniens occupés.
19. La rapporteure se réfère en particulier aux ONG réputées et
expérimentées auditionnées par la commission le 13 septembre 2024
– MSF, UK-Med et Save the Children – qui opèrent toutes à Gaza,
et qui étaient représentées à cette audition par des personnels
humanitaires travaillant sur le terrain à Gaza. Toutes ces ONG ont
relevé les difficultés extrêmes d’accès aux soins et services de
santé, le manque crucial de médicaments et de matériels notamment
pour les opérations chirurgicales nécessitées par les blessures
de guerre. La quasi-totalité des structures médicales ont été détruites.
Les hôpitaux de campagne, souvent de simples tentes, sont insuffisants.
Les quelques établissements qui fonctionnent encore comme les hôpitaux Nasser
et Al-Aqsa travaillent au-delà de leur capacité, avec des patients
couchés sur le sol, mais plus aucune autre infrastructure ne fonctionne
normalement. Des hôpitaux de campagne, par essence temporaires,
sont inadéquats pour les soins à apporter à la population. Les opérations
chirurgicales, quand elles peuvent avoir lieu, se font dans des
conditions intolérables. Les médicaments font cruellement défaut;
ainsi, certains enfants sont amputés sans anesthésie. D’autres sont
amputés alors qu’ils auraient pu être soignés sans privation d’un membre
s’ils avaient eu accès aux traitements adéquats. La capacité de
réaction des ONG qui prennent soin des traumatismes psychologiques,
des blessures physiques et tentent également de faire face au manque
de biens de première nécessité comme l’eau et la nourriture est
totalement sous-proportionnée par rapport aux besoins.
20. Les conditions sanitaires sont catastrophiques, en l’absence
de système d’approvisionnement en eau et de gestion des déchets.
L’assainissement et de nombreuses structures de traitement et d’acheminement
de l’eau potable ont été détruits. Outre le manque d’hygiène publique,
ces conditions sanitaires favorisent l’expansion des maladies évitables
telles que les diarrhées.
2.4. Les
restrictions à l’aide alimentaire à Gaza, le siège dans le nord
de Gaza et le risque de famine
21. L’aide alimentaire est bloquée
à l’extérieur des frontières de Gaza. Les camions d’aide alimentaire,
sous contrôle des autorités israéliennes, ne passent que sporadiquement,
dans des proportions tout-à-fait insuffisantes pour nourrir la population.
22. Selon l’UNICEF, déjà en mars 2024, le nombre d’enfants de
moins de 2 ans souffrant de malnutrition aiguë avait augmenté de
manière alarmante dans le nord de la bande de Gaza. À cette date,
un enfant sur trois était concerné, soit 31 %, contre 15,6 % au
mois de janvier

.
23. La rapporteure tient à mettre l’accent sur le siège de Gaza
et plus particulièrement du nord de Gaza et ses conséquences sur
le plan humanitaire, car il s'agit d'une évolution particulièrement
alarmante au cours des derniers mois. Les éléments décrits ci-dessus
y sont exacerbés à l’extrême depuis le début du mois d’octobre 2024
et la décision des autorités israéliennes de ne pas autoriser l’entrée
des biens essentiels en provenance du sud. La
déclaration
du 13 octobre 2024 (anglais uniquement) de Muhannad Hadi, Coordinateur
humanitaire pour le territoire palestinien occupé, intitulée «Civilians
in northern Gaza cut off from supplies and services critical for
survival» est sur ce point éloquente: «Depuis le 1er octobre
2024, les autorités israéliennes ont de plus en plus coupé le nord
de la bande de Gaza des produits de première nécessité. Les points
de passage d'Erez et d'Erez Ouest sont restés fermés et aucun produit
de première nécessité n'a été autorisé en provenance du sud. Trois
nouveaux ordres ont été émis – les 7, 9 et 12 octobre – ordonnant
le déplacement des populations. Parallèlement, les hostilités continuent
de s'intensifier, entraînant une augmentation des souffrances et
des pertes civiles. Au cours des deux dernières semaines, plus de
50 000 personnes ont été déplacées de la région de Jabaliya, qui
est coupée du monde, tandis que d'autres restent bloquées chez elles en
raison de l'intensification des bombardements et des combats. Un siège
militaire qui prive les civils de moyens de survie essentiels est
inacceptable».
24. En fait, depuis le 7 octobre, Israël mène une offensive militaire
dans le nord de la bande de Gaza, assiégeant progressivement le
camp de réfugiés de Jabaliya et les zones voisines, où Israël affirme
que le Hamas a tenté de reconstituer ses capacités

.
La presse indépendante n'étant pas autorisée à pénétrer dans la
bande de Gaza, ces affirmations ne peuvent être vérifiées de manière
indépendante. Les hauts fonctionnaires des Nations Unies et les
organisations humanitaires ont à plusieurs reprises mis en garde
contre les effets dévastateurs de cette offensive. Dans un
communiqué du 25 octobre 2024, Volker Türk, Haut‑Commissaire des
Nations Unies aux droits de l'homme, a appelé le monde à agir face
au moment le plus sombre du conflit à Gaza. Il a déclaré que, dans
le nord de Gaza, l'armée israélienne soumet une population entière
aux bombardements, au siège et au risque de famine, tout en forçant
cette dernière à choisir entre un déplacement massif et être piégée
dans une zone de conflit active. Le 26 octobre 2024, Joyce Msuya
a
déclaré (anglais uniquement) que «ce que les forces israéliennes
font dans la partie nord de Gaza assiégée ne peut être autorisé
à continuer», ajoutant que des hôpitaux ont été touchés, que des
travailleurs de la santé ont été détenus et que des secouristes
ont été «empêchés de sauver des personnes sous les décombres», et concluant
que «toute la population du nord de Gaza est en danger de mort.»
25. Les dernières opérations militaires dans le nord de Gaza ont
entraîné la fermeture de puits d'eau, de boulangeries, de points
médicaux et d'abris, ainsi que la suspension des services de protection,
du traitement de la malnutrition et des espaces d'apprentissage
temporaires. Dans le même temps, les hôpitaux ont enregistré une
augmentation du nombre de traumatismes. Sur la BBC, le 12 novembre
2024, Louise Wateridge, responsable des urgences et chargée de la
communication de l’UNRWA, précisait: «À Jabaliya, la zone assiégée,
huit des puits d’eau de l’UNRWA ont été bombardés et détruits. Les
gens ne reçoivent pas d’eau. Nous ne sommes pas en mesure d’accéder
à cette zone», avant de conclure que la situation dans le nord de
Gaza est «absolument désespérée» avec 500 000 personnes qui dorment
à même le sol et sont exposées au risque d’inondation avec l’hiver
qui arrive et les conditions météorologiques qui vont se détériorer.
26. Les ONG auditionnées par la commission en septembre 2024 ont
aussi alerté sur le risque imminent de famine.
27. En résumé, les ONG et les agences des Nations Unies qui interviennent
à Gaza s’accordent à dire que le nombre infime de camions entrant
à Gaza est bien inférieur aux nécessités sur place et que la famine
peut survenir à très court terme à Gaza. L’acheminement rapide et
sans entrave de l’aide alimentaire est vital, alors que, selon les
dernières évaluations, plus de deux-tiers des terres cultivées et
de l’élevage ont été détruits à Gaza

.
3. Recommandations
3.1. Le
droit international humanitaire doit être respecté
28. Le droit international humanitaire
(DIH) est un ensemble de règles qui, pour des raisons humanitaires, cherchent
à limiter les effets des conflits armés, reposant notamment sur
les quatre Conventions de Genève de 1949 qui ont fait l’objet d’une
adhésion ou d’une ratification universelle et des protocoles additionnels.
Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux combats
et restreint les moyens et méthodes de guerre. Le DIH est également
appelé «droit de la guerre» ou «droit des conflits armés». Les personnes protégées
par le DIH ont droit au respect de leur vie, de leur dignité et
de leur intégrité physique et mentale. Elles bénéficient en outre
d’une série de garanties judiciaires, et doivent être traitées avec
humanité en toutes circonstances, sans aucune discrimination. Il
est, par exemple, interdit de les tuer ou de les soumettre à la torture.
Les blessés et les malades doivent être recueillis et soignés. Pour
mener à bien ces activités médicales, le personnel, les unités et
les moyens de transport sanitaires doivent être respectés et protégés. L’accès
à l’assistance humanitaire de la population civile touchée par un
conflit doit être autorisé et facilité, sous réserve du consentement
des parties concernées et de leur droit de contrôle. En vertu du
DIH, le personnel et les biens humanitaires doivent être respectés
et protégés.
29. Concernant le risque de famine, la rapporteure souligne avec
force que le DIH interdit expressément d’utiliser la famine et la
perfidie comme méthodes de guerre contre les civils.
30. Force est de constater que la situation humanitaire décrite
dans cet exposé des motifs ne correspond à aucune des règles du
DIH.
31. Les civils doivent être protégés et leurs besoins fondamentaux
doivent être satisfaits. Les civils avec une double nationalité
doivent pouvoir partir et ceux qui partent doivent également pouvoir
revenir. De multiples voies d'accès doivent être ouvertes pour que
les fournitures essentielles et l’aide humanitaire puissent être fournis
en toute sécurité aux personnes dans le besoin, où qu'elles se trouvent.
Les civils ne doivent pas être contraints de choisir entre déplacement
et famine. Ils doivent avoir un endroit sûr où aller, avec un abri,
de la nourriture, des médicaments et de l'eau. Toute action contraire
à ce que ces besoins soient satisfaits est une indication forte
que d’éventuelles pratiques d’épuration ethnique ou de génocide
sont en place et doivent être traitée en conséquence par les tierces
parties.
32. La rapporteure répète que le DIH doit toujours être respecté
par toutes les parties et tous les individus impliqués dans un conflit,
en tout temps. Il incombe à tous les dirigeants du monde de veiller
au respect du DIH, tel qu’il est énoncé dans les Conventions de
Genève. Ces normes sont universellement acceptées et contraignantes,
élaborées pour préserver un minimum d’humanité. À l’instar de Volker
Türk dans son communiqué du 25 octobre 2024, la rapporteure estime
que les dirigeants du monde doivent «donner la priorité à la protection
des civils et des droits humains, et de ne pas abandonner ce minimum
d’humanité.»
33. Enfin, il faut préparer l’avenir pour qu’il y ait en quelque
sorte un processus de guérison, même si cela semble lointain aujourd’hui,
avec une action massive à tous les niveaux, que ce soit la santé
physique et mentale, la reconstruction, l’éducation ou le rétablissement
de l’ordre.
3.2. Cessez-le-feu
immédiat
34. Comme l’ont déjà exprimé de
nombreuses organisations internationales, des gouvernements et parlements,
ainsi que Volker Türk lors de son
intervention
devant l’Assemblée le 25 juin 2024, la seule solution est un cessez-le-feu, comme le Conseil
de Sécurité des Nations Unies l’a exigé.
35. Quand bien même les tensions politiques entre Israël et la
Palestine sont extrêmes, il est clair qu’un cessez‑le‑feu immédiat
est la seule et unique solution pour épargner les vies des civils,
y compris des femmes et des enfants de Gaza, et pour permettre aux
survivants de reconstruire leur vie aussi bien que possible, avec espoir
et dignité. Au vu de l’immense crise humanitaire à Gaza, et dans
la suite des appels répétés des organisations internationales et
des ONG, la rapporteure ne voit pas d’autre solution qu’un cessez-le-feu immédiat,
pour éviter des morts et des souffrances supplémentaires. Cette
demande est corrélée avec la nécessité de l’aide humanitaire qui
ne peut être fournie sous les frappes militaires.
3.3. La
protection particulière des enfants
36. En vertu du DIH, les enfants
ont droit à un respect et à une protection particuliers dans les
situations de conflit armé, ce qui signifie qu'ils doivent bénéficier
de soins et d'une assistance appropriés de diverses manières spécifiques

. L'exigence d'une protection spéciale
se retrouve dans les nombreuses dispositions détaillées des Conventions
de Genève et de leurs Protocoles additionnels de 1977 qui énoncent
des mesures spécifiques vis-à-vis des enfants, ainsi que dans la
pratique des États. Ces mesures comprennent l'accès continu à une
éducation, une alimentation et des soins de santé adaptés à leur
âge dans toutes les circonstances qui se présentent en temps de
guerre, y compris lorsqu'ils sont privés de leur liberté; l'évacuation des
zones de combat pour des raisons de sécurité; et des mesures pour
prendre en charge les enfants non accompagnés et séparés et les
réunir avec leur famille

.
37. La raison d'être de cette protection spéciale réside dans
le fait que les effets des conflits armés causent aux enfants un
préjudice particulier. Lors de la rédaction des protocoles additionnels
de 1977, il a été noté que «les traumatismes psychologiques causés
par la guerre laissent souvent des traces indélébiles» sur les enfants
qui ont donc besoin d’un traitement spécial par rapport au reste
de la population civile.
38. La rapporteure rappelle que le droit international accorde
une protection spécifique aux enfants dans les guerres urbaines.
Elle propose l’élaboration d’une série de recommandations juridiques,
politiques et opérationnelles à l'intention des acteurs en mesure
de protéger la vie des enfants dont, dans la situation précise de
Gaza, le cessez‑le‑feu est un préalable incontournable. Personne
ne peut rester silencieux quand des enfants meurent.
3.4. L’UNRWA
doit pouvoir continuer à accomplir sa mission
39. Le 28 octobre 2024, le Parlement
israélien a voté deux lois interdisant à l’UNRWA d’opérer en Israël
et aux officiels israéliens de communiquer avec l’organisation,
empêchant de fait son travail à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Cette législation doit entrer en vigueur dans un délai de trois
mois.
40. Une grande partie de la communauté internationale, les organisations
humanitaires et les Nations Unies ont dénoncé cette décision, rappelant
le rôle clé de l’agence pour la fourniture d’aide aux réfugiés palestiniens, notamment
dans la bande de Gaza, ravagée par la guerre.
41. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a affirmé
que «si elles étaient appliquées, les lois […] empêcheraient probablement
l’UNRWA de poursuivre son travail essentiel dans le Territoire palestinien occupé»

. Un constat
partagé par le Commissaire général de l’UNRWA Philippe Lazzarini,
selon qui «ces lois ne feront qu’aggraver les souffrances des Palestiniens,
en particulier à Gaza, où les gens vivent un véritable enfer depuis
plus d’un an».
42. L’interdiction d’opérer sur le territoire israélien menace
directement le siège de l’UNRWA à Jérusalem‑Est, partie de la ville
occupée par Israël depuis son annexion en 1967, de même que ses
activités dans les camps pour réfugiés. L’interdiction de communiquer
avec l’agence met quant à elle en danger ses opérations en Cisjordanie
et à Gaza, car pour transporter et distribuer de l’aide dans ces
deux zones, l’UNRWA est obligée de collaborer avec les autorités
et l’armée israéliennes, notamment pour sa sécurité. Or, selon la nouvelle
législation, Israël ne fournira plus au personnel de l’agence les
permis de travail ou visas nécessaires.
43. Comme l’a souligné M. Lazzarini dans une
conférence
de presse le 13 novembre 2024 (anglais uniquement), les attaques répétées d’Israël
tendant à décrédibiliser l’UNRWA n’ont aucun fondement. Une enquête
interne

a conduit au
licenciement de neuf membres du personnel en raison de leur possible implication
dans les attaques du 7 octobre. Une autre enquête externe n’a pas
constaté de failles majeures concernant la neutralité de l’organisation

.
L’UNRWA, seule agence expérimentée en matière d’aide, en coopération
avec d’autres mécanismes des Nations Unies et la société civile,
est irremplaçable à Gaza.
44. Par ailleurs, le
rapport
du 20 septembre 2024 du Comité spécial chargé d’enquêter sur les
pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple
palestinien et des autres Arabes des territoires occupés montre comment la vaste campagne de bombardements menée
par Israël à Gaza a décimé les services essentiels et déclenché
une catastrophe environnementale avec des effets durables sur la
santé. Ce rapport souligne que jusqu'en février 2024, les FDI ont
utilisé plus de 25 000 tonnes d'explosifs dans la bande de Gaza, «l'équivalent
de deux bombes nucléaires». Il met en exergue les pertes civiles
massives et les conditions imposées aux Palestiniens sur place mettant
leur vie en danger intentionnellement. Le Comité spécial assure qu’à
travers son siège de Gaza, son obstruction de l'aide humanitaire,
ses attaques ciblées et en tuant des civils et des travailleurs
humanitaires, malgré les appels répétés de l'ONU, les ordonnances
contraignantes de la Cour internationale de justice et les résolutions
du Conseil de sécurité, Israël cause intentionnellement la mort,
la famine et des blessures graves, et ajoute qu’Israël utilise la
famine comme méthode de guerre et inflige une punition collective
à la population palestinienne.
45. Dès le 17 octobre 2023, dans une déclaration commune
«Escalade
de la violence au Moyen-Orient: protéger les enfants», le Président de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable Simon Moutquin et le Président
de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées,
Theodoros Rousopoulos dénonçaient que «le meurtre abject de civils
israéliens – des bébés et des enfants, des jeunes qui s’amusaient
lors d’un festival de musique et des familles entières dans leurs
maisons, ainsi que l'enlèvement de près de deux cents otages – ne
peut être justifié d'aucune manière.» Ils ajoutaient que «la réponse
des autorités israéliennes à l'agression subie doit rester fidèle
à nos valeurs démocratiques, au respect des droits humains et à
l'État de droit.» Leur demande à Israël de «faire en sorte que l'eau,
la nourriture et l'électricité atteignent la population civile désespérée
de Gaza, cesser immédiatement le déluge d'attaques qui tue aveuglément
des civils, endommage des hôpitaux, des écoles, des abris de l'UNWRA
et des infrastructures civiles à Gaza» et de «permettre à la communauté
internationale d'apporter une aide humanitaire à la population de
Gaza, et s'abstenir d'utiliser des bombes au phosphore blanc et
de déplacer par la force des centaines de milliers de civils» est
restée lettre morte.
46. Plus de treize mois après le début de la campagne militaire
d’Israël, des femmes et des enfants palestiniens sont tués et subissent
l’horreur et les souffrances de la guerre, en totale violation du
DIH. Cela doit cesser.
47. La rapporteure appelle donc l’Assemblée à adopter une résolution
axée sur la nécessité de mettre fin sans plus tarder à la crise
humanitaire à Gaza et à suivre de près, dans les semaines et les
mois à venir, les actions des autorités israéliennes à cet égard.
Elle rappelle que le statut d'observateur et celui de partenaire pour
la démocratie auprès de l'Assemblée sont des statuts importants,
qui confèrent un accès à l’Assemblée et à ses précieux travaux,
et par conséquent un devoir et une obligation de respecter les valeurs
du Conseil de l'Europe et du droit international humanitaire.