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Rapport | Doc. 16092 | 13 janvier 2025

Faire face aux risques que les mercenaires et les entreprises militaires et de sécurité privées font peser sur les droits humains et l'État de droit: un appel en faveur d'une réglementation globale

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Andrea ORLANDO, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15771, Renvoi 4750 du 19 juin 2023. 2025 - Première partie de session

Résumé

L'absence de réglementation internationale suffisante pour régir les activités des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) a des répercussions négatives sur les droits humains et l'État de droit. Après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Fédération de Russie en 2022, des entités telles que le groupe Wagner ont commis de nombreux crimes de guerre et violations des droits humains, pour lesquels la Fédération de Russie devrait avoir à rendre des comptes.

Le recours aux EMSP entraîne souvent l'érosion de l'autorité des États, le recul du contrôle démocratique, ainsi qu'une impunité accrue pour les auteurs de violations des droits humains. Les cadres réglementaires non contraignants en vigueur, comme le Document de Montreux, ne suffisent pas à résoudre le problème et empêchent les victimes de violations des droits humains de demander justice. Bien que les EMSP jouent souvent un rôle important dans les missions humanitaires, leurs activités non réglementées peuvent compromettre la neutralité apparente de ces opérations.

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme appelle à un renforcement de la réglementation internationale afin de garantir la conformité des activités des EMSP avec les principes démocratiques et les droits humains. Elle propose que les États respectent un certain nombre d'exigences minimales lorsqu'ils réglementent les EMSP, notamment la mise en place de mécanismes d'octroi d’autorisations, la formation au respect des droits humains, la transparence des activités et l'indemnisation des victimes. La commission appelle également les États membres et observateurs du Conseil de l’Europeà ratifier les conventions internationales pertinentes et à approuver le Document de Montreux; elle recommande au Comité des Ministres d'élaborer un cadre régional contraignant relatif aux EMSP afin de garantir l'obligation de rendre des comptes et la réparation des préjudices subis par les victimes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 décembre
2024.

(open)
1. On observe, depuis le début du XXIe siècle, en particulier dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, une participation accrue d’acteurs non étatiques – tels que des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP), des mercenaires et des combattants étrangers – à des opérations militaires. Bien que ces entités soient clairement distinctes les unes des autres, et même s’il arrive souvent que le déploiement d’EMSP serve des objectifs légitimes, l’Assemblée parlementaire note avec inquiétude l’insuffisance de la réglementation internationale pour régir leurs activités, ce qui a une incidence négative pour le respect des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit.
2. Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie le 24 février 2022, des entreprises militaires privées russes, dont l’existence même est interdite par le droit russe, comme le groupe Wagner et Redut, ont commis de nombreux actes de torture et exécutions extrajudiciaires, y compris des exécutions de masse, de prisonniers de guerre et de civils ukrainiens et mené des attaques ciblées contre des infrastructures civiles. Dans la droite ligne de ses précédentes résolutions, notamment la Résolution 2556 (2024) «Questions juridiques et violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», l’Assemblée considère que la Fédération de Russie porte l’entière responsabilité internationale de ces actes, compte tenu de ses liens reconnus avec le groupe Wagner et du soutien financier et opérationnel qu’elle lui a apporté pendant sa participation à la guerre, notamment l’utilisation de condamnés graciés comme combattants et la coordination sur le terrain avec les forces régulières. Elle observe en outre qu’il convient de distinguer ces «entreprises militaires privées russes» des EMSP, qui sont enregistrées et agissent dans le cadre juridique de leur État d’origine.
3. L’Assemblée rejette fermement les déclarations de certains hauts représentants de la Fédération de Russie qui qualifient de «mercenaires» les membres de la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine. L’Assemblée estime qu’en vertu du droit international et du droit international humanitaire, les membres de la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine doivent être clairement considérés comme des membres des forces armées de l’Ukraine et bénéficier à ce titre de la pleine protection juridique et humanitaire accordée aux combattants licites. L’Assemblée réaffirme son soutien total en faveur de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues.
4. L’Assemblée réitère sa préoccupation exprimée dans la Recommandation 1858 (2009) «Sociétés privées à vocation militaire ou sécuritaire et érosion du monopole étatique du recours à la force» au sujet de l’érosion de l’autorité des États, du recul du contrôle démocratique et de la dilution des responsabilités, ainsi que de l’impunité des auteurs de violations des droits humains qui résultent du recours croissant à des EMSP. Elle avait également souligné que d’éventuels conflits d’intérêts pourraient apparaître, puisque les EMSP ont tout à gagner à prolonger les conflits pour accroître leurs profits.
5. Malgré l’adoption du Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant les conflits armés, qui résume les obligations juridiques en vertu du droit international en vigueur et décrit les bonnes pratiques relatives aux activités des EMSP, et la création par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies d’un Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d’élaborer un cadre réglementaire international relatif aux EMSP, l’Assemblée note avec inquiétude que le paysage réglementaire en la matière reste limité.
6. En dépit d’allégations répétées de violations graves des droits humains ou du droit humanitaire et de crimes commis par le personnel des EMSP, le vide réglementaire existant empêche souvent les victimes d’obtenir réparation ou de demander justice. Certains États font délibérément appel à des EMSP pour dissimuler leur participation à des conflits. Le déploiement d’EMSP permet aux États de mener des opérations militaires sans se soumettre au droit de regard du public ni au processus d’approbation requis pour le déploiement des forces armées régulières, ce qui supprime l’un des contrôles démocratiques essentiels du recours à la force. Étant donné que les EMSP fonctionnent comme des sociétés privées, leurs activités échappent souvent au contrôle public et ne sont pas soumises à la même chaîne de commandement ni aux mêmes procédures disciplinaires que les forces armées régulières. Les intérêts de ces entreprises risquent donc de l’emporter sur l’intérêt général dans certains domaines politiques sensibles.
7. Dans les États dotés d’institutions fragiles, le déploiement d’EMSP peut saper davantage l’autorité étatique, ce qui contribue à l’érosion de l’État de droit et de la gouvernance démocratique.
8. L’Assemblée partage les préoccupations du Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation de mercenaires, qui constate que les violations commises par les mercenaires et les acteurs liés au mercenariat prennent de l’ampleur et de l’intensité, tandis que l’obligation de rendre des comptes reste pratiquement inexistante.
9. L’Assemblée reconnaît par ailleurs la participation croissante des EMSP aux missions humanitaires pour assurer la sécurité des ONG et des organisations internationales. L’intensification des problèmes de sécurité dans les zones de conflit et la capacité limitée de certains États à fournir une protection adéquate au personnel humanitaire augmentent la demande de prestataires militaires et de sécurité privés, qui offrent à leurs clients un accès à une expertise spécialisée, une certaine flexibilité et un déploiement rapide. Néanmoins, la participation des EMSP aux missions humanitaires brouille la distinction entre les acteurs militaires et humanitaires. Cette confusion peut avoir une incidence négative sur la neutralité et l’indépendance perçues du travail humanitaire et entamer la confiance des communautés locales.
10. L’Assemblée note que les règles existantes du droit international coutumier en matière de responsabilité des États, telles que codifiées dans les articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des États pour des faits internationalement illicites, fixent un seuil élevé pour l’attribution d’actes commis par des acteurs non étatiques aux États eux-mêmes, exigeant l’exercice, par les États, d’un «contrôle effectif» sur les acteurs non étatiques en question.
11. Pour traiter ces questions, il faut des cadres réglementaires internationaux et nationaux solides afin de garantir que les activités des EMSP sont conformes aux principes démocratiques et respectent les droits humains. L’Assemblée réaffirme donc que seul un instrument juridiquement contraignant pourrait permettre aux États de gérer efficacement le secteur des EMSP et atténuer les risques de violations des droits humains et d’érosion de la démocratie que présente le fonctionnement non réglementé de ces entreprises. En attendant l’adoption d’un tel instrument, l’Assemblée rappelle aux États leurs obligations positives existantes en vertu du droit international des droits humains pour l’octroi d’autorisations, la conclusion de contrats, l’utilisation et le déploiement des EMSP.
12. L’Assemblée considère qu’en vertu du droit international des droits humains, les éléments suivants devraient être considérés comme des exigences minimales imposées aux États lorsqu’ils accordent des autorisations, concluent des contrats, utilisent ou déploient des EMSP:
12.1. adopter une législation qui réglemente les EMSP – y compris des critères d’autorisation et d’enregistrement et des dispositifs de contrôle – et met en place des mécanismes spécifiques pour responsabiliser les EMSP et leur personnel en cas de violations des droits humains;
12.2. exiger des EMSP qu’elles respectent les normes internationales applicables aux entreprises et aux droits humains, telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et la norme ISO 26000:2010 (lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale);
12.3. vérifier les antécédents des membres du personnel des EMSP, les former, les instruire et les superviser, en particulier lorsqu’il s’agit de contrats de services qui impliquent le recours à des mesures coercitives, telles que des opérations de combat, la garde ou le transport de prisonniers et la conduite d’interrogatoires;
12.4. exiger qu’une évaluation de l’impact sur les droits humains soit réalisée avant d’autoriser les opérations des EMSP;
12.5. mettre en place un cadre juridique efficace qui permette de mener des enquêtes rapides, transparentes et impartiales sur toute allégation de violation des droits humains commise par des EMSP lorsque celles-ci sont enregistrées dans l’État, opèrent sur son territoire ou sur un territoire relevant de sa juridiction ou sont employées par cet État, et offrir aux victimes des moyens de réparation adéquats;
12.6. prendre les mesures nécessaires pour établir leur compétence à l’égard de crimes commis par leurs ressortissants qui font partie du personnel des EMSP déployées dans d’autres États, indépendamment du fait que ces EMSP soient enregistrées ou employées par l’État en question ou qu’elles opèrent sur un territoire contrôlé par cet État;
12.7. exiger des EMSP qu'elles souscrivent une assurance suffisamment élevée pour permettre aux victimes de violations des droits humains commises par ces entreprises d'être indemnisées de manière adéquate;
12.8. fournir régulièrement une formation et des instructions appropriées au personnel des EMSP sur le respect du droit international des droits humains et du droit international humanitaire;
12.9. exiger des EMSP qu’elles mettent en place des politiques internes de protection des droits humains et des mécanismes de conformité;
12.10. publier des informations sur les marchés publics relatifs aux services des EMSP, ainsi que sur les allégations de violations des droits humains et leurs conséquences afin de faciliter le contrôle externe;
12.11. exiger des EMSP enregistrées ou opérant sur leur territoire qu’elles adhèrent au Code de conduite international des entreprises de sécurité privées et qu’elles approuvent le Document de Montreux.
13. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait:
13.1. à ratifier la Convention internationale des Nations Unies contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires;
13.2. à approuver le Document de Montreux;
13.3. à diriger et coordonner activement le Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée des Nations Unies, en proposant un calendrier concret et des engagements destinés à accélérer l’élaboration et l'adoption d’un cadre réglementaire international relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des EMSP, à promouvoir une approche de la question des EMSP axée sur les droits humains, à préparer un instrument contraignant destiné à réglementer les relations des États avec les EMSP et à définir des normes minimales pour l’activité de ces entreprises, conformément à la présente Résolution.
14. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe:
14.1. à diriger et coordonner activement le Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée des Nations Unies, en proposant un calendrier concret et des engagements destinés à accélérer l’élaboration et l'adoption d’un cadre réglementaire international relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des EMSP;
14.2. à promouvoir une approche de la question des EMSP axée sur les droits humains;
14.3. à préparer un instrument contraignant destiné à réglementer les relations des États avec les EMSP et à définir des normes minimales pour l’activité de ces entreprises, conformément à la présente résolution.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 9 décembre 2024.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2015) «Faire face aux risques que les mercenaires et les entreprises militaires et de sécurité privées font peser sur les droits humains et l'État de droit: un appel en faveur d'une réglementation globale», l’Assemblée parlementaire exprime de nouveau sa préoccupation face à l’érosion de l’autorité des États, au recul du contrôle démocratique et à la dilution des responsabilités ainsi qu’à l’impunité des auteurs de violations des droits humains qui résultent du recours croissant à des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP), y compris celles qui sont enregistrées ou opèrent sur le territoire des États membres du Conseil de l’Europe.
2. L’Assemblée estime que les nombreux rapports qui font état de graves violations des droits humains commises par des EMSP appellent à une réglementation plus stricte de ce secteur. Bien que le déploiement de telles entreprises puisse poursuivre des objectifs légitimes, comme le fait de fournir une expertise aux organisations internationales et au personnel humanitaire et assurer leur sécurité, certains États pourraient vouloir utiliser leurs services simplement pour dissimuler leur implication dans des opérations militaires en invoquant le déni plausible et empêcher les victimes d’abus d’obtenir une indemnisation et de demander justice.
3. Nonobstant le fait que les questions relatives à la défense nationale ne relèvent pas du champ d’action du Conseil de l’Europe, l’Assemblée note que les activités peu réglementées des EMSP font peser de graves risques sur l’État de droit et la protection des droits humains. Par conséquent, en attendant les résultats des travaux du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée des Nations Unies chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des entreprises de services de sécurité et de défense, l'Assemblée invite le Comité des Ministres à examiner la faisabilité de l'élaboration d'une convention du Conseil de l'Europe qui régisse le recours aux EMSP, garantissant l'obligation de rendre des comptes, la réparation des préjudices subis par les victimes et le respect des normes internationales en matière de droits humains.
4. L'Assemblée estime qu’un tel cadre régional juridiquement contraignant devrait traiter, au minimum, des questions liées à l'autorisation, à l'enregistrement et au contrôle des EMSP, exiger la mise en place de recours effectifs pour les victimes d'éventuelles violations des droits humains et le développement de programmes de formation visant à prévenir de tels abus. L'initiative en faveur de la création d'un cadre régional juridiquement contraignant compléterait les actions en cours au sein des Nations Unies en fournissant un cadre régional solide, adapté aux difficultés particulières que rencontrent les États membres. Les EMSP sont en effet susceptibles d’agir dans un cadre flou où les droits humains resteraient lettre morte, en raison du déni plausible de l'État. Comme les EMSP causent déjà des ravages sur le continent européen, le Conseil de l'Europe devrait renforcer la confiance dans sa fonction de défenseur des valeurs démocratiques et des droits humains, tout en donnant l'exemple d'un rôle moteur qui inspire confiance dans les mécanismes multilatéraux et l'État de droit.
5. Enfin, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
5.1. d’approuver, au nom du Conseil de l’Europe, le Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant les conflits armés;
5.2. dans l'attente de l'adoption d'une convention, d'élaborer un projet de recommandation aux États membres, axé sur l’atténuation des risques que les EMSP font peser sur les droits humains, la démocratie et l'État de droit;
5.3. d’intensifier le dialogue politique avec les Nations Unies, conformément à la Déclaration de Reykjavík, en veillant à ce que le Conseil de l’Europe contribue au Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des entreprises de services de sécurité et de défense.

C. Exposé des motifs par M. Andrea Orlando, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 20 juin 2023, le Bureau de l’Assemblée parlementaire a renvoyé à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme une proposition de résolution intitulée «Les sociétés militaires privées, les mercenaires et les combattants étrangers et leur impact sur les droits de l’homme» 
			(3) 
			Doc. 15771., pour rapport. La commission m’a désigné comme rapporteur lors de sa réunion du 10 octobre 2023.
2. Les auteurs de la proposition de résolution ont invité l’Assemblée à examiner les problématiques relatives à l’établissement de la responsabilité des combattants étrangers, des mercenaires et des sociétés militaires et de sécurité privées (EMSP) pour les violations des droits humains, afin qu’elle recommande au Comité des Ministres d’étudier la faisabilité d’élaborer un instrument juridique contraignant. Selon eux, il s’agirait notamment de préciser les conséquences juridiques des actes des EMSP, d’établir une distinction claire entre les comportements juridiquement acceptables et ceux qui ne le sont pas, et de limiter leur capacité à causer des dommages dans le monde.
3. Afin d’aborder les différents aspects de ce sujet complexe, la commission a organisé une audition d’experts. M. Antonios Tzanakopoulos, professeur à l’Université d’Oxford, a fait part de son expertise sur les règles d’attribution du comportement des acteurs non étatiques aux États et a examiné les possibilités de réglementation, en tenant compte du mandat du Conseil de l’Europe. Mme Federica Saini Fasanotti, professeure à l’Italian Institute for International Political Studies, a évoqué les dimensions historiques et politiques des opérations des EMSP, en soulignant le rôle de ces entreprises dans divers conflits et les conséquences possibles de leur déploiement. Enfin, le docteur Matt Pollard, du Comité international de la Croix-Rouge, a abordé le phénomène des EMSP sous l’angle du Document de Montreux 
			(4) 
			Document de Montreux
sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques
pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises
militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés. et a présenté ses réflexions sur les relations entre le personnel des EMSP et le droit international humanitaire. Je tiens à remercier tous les experts pour leur précieuse contribution à la préparation du présent rapport.
4. Ces experts de renom ont confirmé mes premières réflexions, à savoir qu’il existe d’importantes lacunes dans la réglementation internationale relative aux EMSP. La distinction entre le personnel des EMSP, les mercenaires et les combattants étrangers, bien que pertinente du point de vue du droit international humanitaire, n’a que peu d’incidence sur l’attribution de leur comportement aux États. Nonobstant le fait que les questions relatives à la défense nationale ne relèvent pas du champ d’action du Conseil de l’Europe, je souhaite aborder la question des EMSP sous l’angle des risques que leurs activités peuvent présenter pour les droits humains et l’État de droit.
5. Dans le présent rapport, je présenterai le contexte historique des «armes à louer» (section 2), les différences entre EMSP, mercenaires et combattants étrangers (section 3) et le cadre juridique international en vigueur pour ces catégories d’acteurs non étatiques (section 4). J’analyserai ensuite le phénomène des étrangers dans les forces armées de certains États et leur statut juridique (section 5). Enfin, je résumerai certaines des affaires les plus emblématiques de violations des droits humains qui auraient été commises par des EMSP (section 6) et je présenterai des propositions d’action pour le Conseil de l’Europe et ses États membres (section 7).

2. Contexte historique

6. L’engagement de forces extérieures pour participer à des conflits est un phénomène vieux de plusieurs millénaires. Au cinquième siècle av. J.-C., après les guerres du Péloponnèse dans la Grèce antique, la demande de tels services était déjà élevée en raison de l’extrême pauvreté et des guerres prolongées. En Terre sainte, les croisés ont souvent eu recours aux Turcopoles, des cavaliers légers payés pour combattre aux côtés des envahisseurs chrétiens. Pendant la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre (1337-1453), des «compagnies libres» vendaient leurs services au plus offrant. L’Italie a vu apparaître les condottieri, des individus qui combattaient contre rémunération, lorsque la puissance économique des cités-États a été mise à mal par le manque de main-d’œuvre. Au XIXe siècle, les armées privées de la Compagnie des Indes orientales ont engagé des régiments réguliers de l’armée britannique et ont financé leur propre marine, la Bombay Marine. Les ressources considérables de la Compagnie lui ont permis d’employer plus de 250 000 combattants bien entraînés et bien armés. La Révolution française et les victoires ultérieures des armées napoléoniennes composées de conscrits ont mis un terme à l’utilisation courante des mercenaires.
7. Le phénomène des combattants étrangers a pris une importance particulière pendant la guerre civile russe (1917-1923), au cours de laquelle de nombreux vétérans étrangers expérimentés ont rejoint l’Armée rouge. Certains volontaires étaient mus par le désir de renforcer l’autodétermination nationale, mais d’autres, notamment les combattants venus d’Europe, se sont engagés pour défendre la révolution 
			(5) 
			Whitewood,
Peter. «Nationalities in a Class War: “Foreign” Soldiers in the Red Army
during the Russian Civil War». Journal of Modern European History,
vol. 14, no 3, 2016, p. 342 à 358.. Les combattants étrangers ont joué un rôle de premier plan pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), lorsque plus de 35 000 hommes et femmes ont rejoint la lutte contre Francisco Franco et les nationalistes espagnols en formant les Brigades internationales. Au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, de nombreux combattants étrangers ont participé aux conflits en Yougoslavie et en Afghanistan. Entre 2011 et 2016, plus de 40 000 combattants étrangers se seraient rendus en Syrie et en Iraq 
			(6) 
			Institute for Economics
and Peace (2016). pour participer à toutes les parties du conflit avec Daesh. Nombre d’entre eux ont décidé de soutenir le programme terroriste de Daesh en raison des processus de radicalisation dans leur pays d’origine, alimentés par des messages diffusés sur les médias sociaux à une échelle sans précédent. Il ne fait aucun doute que le fondamentalisme islamiste extrémiste a joué un rôle important dans l’émergence du phénomène des combattants (terroristes) étrangers.
8. Le problème du mercenariat a refait surface au début des années 1960, au moment de la décolonisation de l’Afrique, lorsque Moïse Tshombe (président autoproclamé de l’«État du Katanga» sécessionniste) a engagé des mercenaires pour venir en aide à ses gendarmes. Parmi les mercenaires engagés par le régime de Tshombe figurait Robert Denard, un mercenaire français à la tête de son propre groupe appelé «les affreux», connu pour avoir opéré au Biafra (une république reconnue par quelques pays, qui a déclaré son indépendance vis-à-vis du Nigeria) ainsi qu’en Rhodésie, en Iran, au Zimbabwe, en Angola, au Zaïre et aux Comores.
9. À l’époque, Blackwater – une entité américaine fondée en 1997 par deux anciens membres de la Navy SEAL, force spéciale de la marine américaine – était de loin l’EMSP la plus connue. Au début des années 2000, Blackwater s’est engagée aux côtés des forces américaines dans la poursuite d’Oussama ben Laden 
			(7) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2009/aug/20/cia-blackwater-assassination-programme'>www.theguardian.com/world/2009/aug/20/cia-blackwater-assassination-programme</a>.. Selon le New York Times, jusqu’en 2007, Blackwater a obtenu plus d’un milliard de dollars dans le cadre de contrats gouvernementaux 
			(8) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2007/10/03/opinion/03iht-edblack.1.7733227.html'>www.nytimes.com/2007/10/03/opinion/03iht-edblack.1.7733227.html</a>..
10. Depuis 2014, une soi-disant «entreprise militaire privée» en particulier est devenue tristement célèbre pour sa participation à des opérations qui portent atteinte à la souveraineté des États et aux droits humains, à savoir l’entreprise militaire privée russe Wagner (également appelée groupe Wagner, qui aurait été restructurée et rebaptisée «Africa Corps» en Afrique 
			(9) 
			<a href='https://foreignpolicy.com/2024/02/07/africa-corps-wagner-group-russia-africa-burkina-faso/'>https://foreignpolicy.com/2024/02/07/africa-corps-wagner-group-russia-africa-burkina-faso/</a>.). Ses combattants sont apparus pour la première fois en Crimée lors des tentatives illégales de la Fédération de Russie d’annexer cette république autonome ukrainienne. Ils ont combattu les forces ukrainiennes dans l’est de l’Ukraine et ont laissé leurs empreintes sanglantes en Syrie, en Libye, en République centrafricaine, au Mali, au Soudan et dans d’autres États africains. Sa capacité à fournir au régime russe un déni plausible et à l’aider à contourner les sanctions économiques s’est avérée extrêmement utile, notamment pour éviter les conséquences des violations du droit international commises par la Fédération de Russie. Alors que le droit russe interdit expressément l’existence d’entreprises militaires privées, le groupe Wagner s’est livré à de multiples crimes de guerre depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie en 2022. L’Assemblée, à l’instar de plusieurs parlements nationaux, a donc demandé à ce qu’il soit qualifié de groupe terroriste 
			(10) 
			Résolution 2506 (2023) «Les conséquences politiques de la guerre d’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine».. J’ai par conséquent décidé d’axer mon travail sur d’autres EMSP, qui sont légitimes.

3. La différence entre EMSP, mercenaires et combattants étrangers

11. Bien que la compréhension commune des termes «entreprises militaires et de sécurité privées», «mercenaires» et «combattants étrangers» puisse conduire à les utiliser souvent de manière interchangeable, il existe des différences notables entre les trois, qui peuvent être résumées comme suit.
12. S’agissant des EMSP, le Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant les conflits armés est le seul instrument international qui énonce les exigences en vigueur pour réglementer leurs activités 
			(11) 
			Le
Document de Montreux est le résultat d’une initiative lancée par
la Suisse et le Comité international de la Croix-Rouge au début
de l’année 2006. Une première version du Document de Montreux a
été élaborée au cours de quatre réunions intergouvernementales qui
ont eu lieu entre janvier 2006 et septembre 2008. Le document final
a été adopté par consensus par les États participants lors de la
quatrième et dernière réunion, qui s’est tenue à Montreux du 15
au 17 septembre 2008.. Il donne la définition suivante: «[q]uelle que soit la façon dont elles se décrivent, les «EMSP» sont des entités commerciales privées qui fournissent des services militaires et/ou de sécurité. Les services militaires et/ou de sécurité comprennent en particulier la garde armée et la protection de personnes et d’objets tels que les convois, les bâtiments et autres lieux; la maintenance et l’exploitation de systèmes d’armement; la détention de prisonniers; et le conseil ou la formation des forces locales et du personnel de sécurité local» 
			(12) 
			Le Document de Montreux,
p. 9.. Le personnel des EMSP est ensuite décrit comme «les personnes qui sont employées par une EMSP, qu’elles soient employées directement ou par contrat, y compris ses employés et ses gérants» 
			(13) 
			Ibid., p. 10..
13. Le Collins English Dictionary et le Merriam-Webster définissent un mercenaire comme «une personne recrutée pour combattre pour le compte d’une armée étrangère» et «une personne qui sert uniquement en échange d’un salaire, en particulier un soldat engagé au service d’un pays étranger» 
			(14) 
			<a href='https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/mercenary'>www.collinsdictionary.com/dictionary/english/mercenary</a>; <a href='https://www.merriam-webster.com/dictionary/mercenary'>www.merriam-webster.com/dictionary/mercenary</a>.. Ces deux définitions renvoient à une compréhension commune du terme, mais la définition juridique est beaucoup plus stricte. Elle apparaît pour la première fois dans l’article 47, paragraphe 2, du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève 
			(15) 
			Protocole
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à
la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I),
8 juin 1977, article 47,<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and'> www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and</a>. et énonce six critères qui doivent être simultanément satisfaits pour qu’une personne soit considérée comme un mercenaire. Il s’agit d’une personne: «(a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé; (b) qui en fait prend une part directe aux hostilités; (c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie; (d) qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit; (e) qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit; et (f) qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État». Les définitions figurant dans d’autres traités (examinées en détail à la section 4 ci-dessous) sont assez semblables à celle contenue dans le Protocole additionnel I. Il est plutôt surprenant de constater que si le terme «mercenaire» est généralement compris comme désignant essentiellement un «soldat rémunéré», sa définition juridique est en fait beaucoup plus complexe (comme je l’explique plus en détail dans le présent rapport).
14. Le terme «combattant étranger» n’est défini dans aucun instrument juridique international 
			(16) 
			Voir
C. Forcese et L. Sherriff, «Killing Citizens: Core Legal Dilemmas
in the Targeted Killing of Canadian Foreign Terrorist Fighters»
(2017) 54, Canadian Yearbook of International Law p. 134 à 139;
M. Lloydd, «Foreign Fighters under International Law and Beyond»
(2017 18, Melbourne Journal of International Law p. 95 et 96.. Il désigne habituellement les personnes qui quittent leur pays d’origine pour rejoindre et soutenir des groupes militants dans des conflits à l’étranger, y compris par les armes. La participation de nombreux individus originaires de divers pays, y compris d’Europe occidentale, à des conflits à l’étranger, tels que la guerre civile syrienne 
			(17) 
			D. Malet, «Foreign
Fighters: Transnational Identity in Civil Conflicts», (Oxford University
Press 2013)., a suscité un intérêt considérable. Les universitaires définissent le «combattant étranger» comme une personne «qui (1) a rejoint une insurrection et opère en son sein; (2) n’a pas la nationalité de l’État en conflit ni de liens de parenté avec ses factions belligérantes; (3) n’est pas affiliée à une organisation militaire officielle; et (4) n’est pas rémunérée» 
			(18) 
			T. Hegghammer, «The
Rise of Muslim Foreign Fighters: Islam and the Globalization of
Jihad’» (2011), 35, International Security, p. 53 et 57 à 58. ou (plus simplement) «qui rejoint une insurrection au cours d’une guerre civile, mais qui n’est pas ressortissante des États en conflit» 
			(19) 
			D. Malet, «Foreign
Fighters: Transnational Identity in Civil Conflicts», (Oxford University
Press 2013), p. 9.. Le Conseil de sécurité des Nations Unies aborde le phénomène des combattants étrangers en établissant un lien direct avec le terrorisme et en utilisant l’expression «combattant terroriste étranger». La définition est apparue pour la première fois dans la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité pour désigner les «individus qui se rendent dans un État autre que leur État de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l’occasion d’un conflit armé» 
			(20) 
			Résolution 2178 du
Conseil de sécurité des Nations Unies (24 septembre 2014), Document
des Nations Unies, S/RES/2178, préambule.. Le Conseil de l’Europe a réagi en adoptant le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217, 2015) et est ainsi devenu la première organisation internationale à instaurer un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les obligations imposées par les Nations Unies à l’égard des combattants terroristes étrangers. Bien que le Protocole additionnel ne définisse pas le terme de «combattant étranger», il évoque l’action de «se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme», qu’il définit comme le fait de se rendre dans un État, qui n’est pas celui de nationalité ou de résidence du voyageur, afin de commettre, de contribuer ou de participer à une infraction terroriste, ou de dispenser ou de recevoir un entraînement pour le terrorisme 
			(21) 
			Le
Rapport explicatif indique que les personnes qui se rendent à l’étranger
à des fins de terrorisme sont souvent appelées «combattants terroristes
étrangers»..
15. Si le personnel des EMSP et les mercenaires sont généralement censés avoir suivi une formation militaire, les combattants étrangers ressemblent davantage à des insurgés, qui compensent leur manque d’expérience du combat par un élan idéologique. La principale différence entre les combattants étrangers et les mercenaires semble donc être leur motivation. Les mercenaires sont considérés comme étant essentiellement motivés par le désir d’obtenir un avantage financier personnel, tandis que les combattants étrangers se battent généralement pour défendre une cause particulière, qu’elle soit religieuse ou idéologique 
			(22) 
			S. Chesterman, «Dogs
of War or Jackals of Terror? Foreign Fighters and Mercenaries in
International Law» (2016), International Community Law Review (Vol. 18),
p. 389 et 390.. Selon les circonstances, la différence entre mercenaires et EMSP n’est pas facile à établir (dans certains cas, le personnel des EMSP peut même être considéré comme des mercenaires, notamment au regard du droit des conflits armés). En règle générale, les mercenaires n’ont pas d’affiliation officielle et peuvent être considérés comme opérant en dehors des limites des structures militaires et juridiques conventionnelles. À l’inverse, les employés des EMSP légitimes sont souvent associés à des entreprises ou organisations reconnues et peuvent opérer dans le cadre juridique de leur pays d’origine ou du pays où ils sont déployés. En outre, les EMSP peuvent être impliquées dans un large éventail d’activités, comme la logistique, la formation et la sécurité, et leur rôle peut s’étendre au-delà des opérations de combat, contrairement à celui des mercenaires, qui sont principalement engagés pour des tâches liées au combat 
			(23) 
			<a href='https://www.trtworld.com/americas/are-private-military-contractors-any-different-from-mercenaries-20680'>www.trtworld.com/americas/are-private-military-contractors-any-different-from-mercenaries-20680</a>..

4. Le cadre juridique international en vigueur

16. Contrairement aux mercenaires et aux combattants étrangers, les EMSP forment une notion relativement nouvelle et le cadre juridique international qui s’y rapporte est peu développé. La question du mercenariat a été abordée dans plusieurs sources, mais avec des effets pratiques limités. Dans cette section, je résumerai le cadre juridique international en vigueur et les travaux en cours sur de nouveaux instruments juridiques.

4.1. Le droit international humanitaire

17. Comme indiqué au paragraphe 13 ci-dessus, l’article 47, paragraphe 2, du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève 
			(24) 
			Protocole
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à
la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I),
8 juin 1977, article 47, disponible à l’adresse suivante: <a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and'>www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and</a>. exige que six critères cumulatifs soient satisfaits pour qu’une personne soit qualifiée de mercenaire. Conformément à l’article 47, paragraphe 1, du Protocole additionnel I, «[u]n mercenaire n’a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre». Par conséquent, les mercenaires ne sont pas autorisés à participer légalement aux hostilités et ne bénéficient pas de la protection et des privilèges accordés par le droit international humanitaire aux combattants et aux prisonniers de guerre.
18. Le refus du statut de combattant et de prisonnier de guerre en cas de capture a pour effet de priver le mercenaire du traitement de prisonnier de guerre prévu par la Troisième Convention de Genève et de l’exposer à des poursuites pénales. Ces poursuites peuvent être engagées tant pour des actes de violence qui seraient licites s’ils étaient accomplis par un combattant, au sens du Protocole, que pour le seul fait d’avoir participé directement aux hostilités 
			(25) 
			Sandoz et al. (éd.), «Commentary on the
Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of
12 August 1949» (Genève: Martinus Nijhoff, 1987), p. 1796..
19. Il convient de noter que le droit international humanitaire n’interdit pas en soi l’utilisation ou le recrutement de mercenaires. Il n’y a rien d’étonnant à cela, puisque les dispositions pertinentes du Protocole additionnel I portent sur le traitement des prisonniers de guerre. Étant donné que la qualification de mercenaire entraîne essentiellement la perte de la protection accordée aux prisonniers de guerre, il est compréhensible que ses critères constitutifs soient plutôt restrictifs. Malheureusement, comme on le verra plus loin, des critères similaires (de qualification de mercenaire) ont été adoptés dans des traités dont l’objectif est d’éliminer le phénomène du mercenariat, ce qui affaiblit considérablement leur efficacité.

4.2. La Convention de l’Organisation de l’Unité africaine sur l’élimination du mercenariat en Afrique

20. La Convention de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) sur l’élimination du mercenariat en Afrique a été adoptée en juillet 1977 
			(26) 
			Organisation
de l’Unité africaine (OUA), Convention de l’OUA sur l’élimination
du mercenariat en Afrique, CM/817 (XXIX), Annexe II Rev. 1, 3 juillet
1977.. Sa définition du mercenaire est similaire à celle énoncée dans le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, avec toutefois une différence notable: il suffit que l’individu soit motivé par l’obtention «d’un avantage personnel» et il n’est pas nécessaire que cet avantage soit nettement supérieur à celui offert aux membres des forces armées d’un État.
21. Plus précisément, le préambule de la Convention de l’OUA dispose que la pratique des États et des organisations internationales constitue l’expression de règles nouvelles de droit international faisant du mercenariat un crime international. Cette approche se reflète également à l’article 1er, paragraphe 2, de la Convention de l’OUA, qui érige en infraction le fait d’abriter, d’organiser, de financer, d’assister, d’équiper, d’entraîner, de promouvoir, de soutenir ou d’employer de quelque façon que ce soit des bandes de mercenaires; de s’enrôler, de s’engager ou de tenter de s’engager dans ces bandes; de permettre que dans les territoires soumis à la souveraineté de l’entité responsable ou dans tout autre lieu sous son contrôle, se développent les activités de mercenaire ou d’accorder des facilités de transit, transport ou autre opération des bandes susmentionnées.
22. La Convention de l’OUA a été ratifiée par 32 pays africains. Parmi ceux qui ne l’ont toujours pas signée ni ratifiée figurent la République d’Afrique du Sud, le Kenya, la Namibie, le Mozambique, la République centrafricaine et le Botswana 
			(27) 
			<a href='https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/oau-mercenarism-1977/state-parties'>https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/oau-mercenarism-1977/state-parties</a>..
23. Malheureusement, la Convention de l’OUA ne prévoit pas la mise en place d’un mécanisme de contrôle, ce qui limite son efficacité pratique. Cette lacune, associée à l’absence de ratification de la Convention de l’OUA à l’échelle du continent et à une définition encore étroite du terme «mercenaire», a pour conséquence que ce traité n’est pas suffisamment adapté à la réalité 
			(28) 
			Arthur Boutellis, «Are
Mercenaries Friends or Foes of African Governments and the UN?»
IPI Global Observatory (7 février 2019)..

4.3. La Convention internationale des Nations Unies contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires

24. La Convention internationale des Nations Unies contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires a été adoptée en 1989 et elle est entrée en vigueur le 20 octobre 2001 
			(29) 
			Assemblée générale
des Nations Unies, Convention internationale contre le recrutement,
l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires, A/RES/44/34,
4 décembre 1989.. Les États parties reconnaissent en préambule que des mercenaires sont recrutés, utilisés, financés et instruits pour des activités qui violent des principes du droit international tels que ceux de l’égalité souveraine, de l’indépendance politique et de l’intégrité territoriale des États ainsi que l’autodétermination des peuples.
25. La Convention des Nations Unies énonce une série de critères similaires à ceux contenus dans le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève pour qu’une personne soit considérée comme un mercenaire – à l’exception notable qu’elle n’exige pas que cette personne participe directement aux hostilités. Néanmoins, son article 3 érige en infraction le mercenariat, entendu comme le fait de prendre «une part directe à des hostilités ou à un acte concerté de violence». La disposition pénale s’étend aussi au fait de recruter, utiliser, financer ou instruire des mercenaires. Cette définition du mercenaire reprend donc pour l’essentiel celle du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, tout en réduisant considérablement son champ d’application.
26. En novembre 2024, la Convention aura été ratifiée par 37 États et signée par 9 autres États. Aucun membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies ne l’a signée ou ratifiée. Seuls dix États membres du Conseil de l’Europe en sont parties: l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Belgique, Chypre, la Croatie, la Géorgie, l’Italie, la République de Moldova, la Serbie et l’Ukraine. Notons que l’Allemagne, le Monténégro, la Pologne et la Roumanie l’ont signée, mais ne l’ont pas encore ratifiée.

4.4. Le Document de Montreux

27. Le Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant les conflits armés est un document intergouvernemental destiné à promouvoir le respect du droit international humanitaire et des droits humains au sujet des EMSP 
			(30) 
			<a href='https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/droit-international-public/droit-international-humanitaire/entreprises-militaires-securite-prives/document-montreux.html'>www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/droit-international-public/droit-international-humanitaire/entreprises-militaires-securite-prives/document-montreux.html</a>.. Ce texte n’est pas juridiquement contraignant, mais contient une compilation des obligations juridiques internationales pertinentes et des bonnes pratiques. Le Document de Montreux a été adopté par consensus le 17 septembre 2008 par 17 États (dont l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Autriche, le Canada, la Chine, les États-Unis d’Amérique, la France, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et l’Ukraine). Actuellement, il est soutenu par 59 États. Parmi les États membres du Conseil de l’Europe, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Lettonie, la République de Moldova, Saint-Marin, la Serbie et la Türkiye doivent encore approuver le Document de Montreux. Par ailleurs, le Document de Montreux a été approuvé par l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) 
			(31) 
			<a href='https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/droit-international-public/droit-international-humanitaire/entreprises-militaires-securite-prives/etats-participant.html'>www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/droit-international-public/droit-international-humanitaire/entreprises-militaires-securite-prives/etats-participant.html</a>.. La Fédération de Russie reste le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies à ne pas avoir soutenu le Document de Montreux. Le Document de Montreux est ouvert à tous les États et à toutes les organisations internationales.
28. Le Document de Montreux contient quelque 70 déclarations qui rappellent certaines obligations juridiques internationales existantes pour les États, ainsi que des bonnes pratiques liées à la réglementation des EMSP. La première partie définit les obligations pertinentes qui incombent aux États en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits humains, en particulier aux États contractants, aux États territoriaux et aux États d’origine 
			(32) 
			Le Document de Montreux
définit l’État contractant comme l’État qui fait appel aux services
des EMSP, l’État territorial comme l’État sur le territoire duquel
les EMSP interviennent et l’État d’origine comme l’État dans lequel
l’EMSP est basée ou a son siège.. Elle traite également des obligations des EMSP et de leur personnel ainsi que de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques. La seconde partie présente les bonnes pratiques en matière de réglementation des EMSP par les États. Ces bonnes pratiques consistent notamment à instaurer un cadre réglementaire transparent, à fixer des conditions d’octroi des autorisations et à mettre en œuvre des mesures visant à renforcer le contrôle et la responsabilité au niveau national. Des bonnes pratiques sont proposées en matière de formation, de procédures internes appropriées et de contrôle afin de veiller à ce que seules les EMSP qui sont en mesure de respecter les droits humains et le droit international humanitaire soient habilitées à fournir des services dans ce domaine.

4.5. Le Code de conduite international des entreprises de sécurité privée

29. Le Code de conduite international des entreprises de sécurité privée (ICoC) est le résultat d’une initiative multipartite créée en 2013 pour garantir que les prestataires de services de sécurité privée respectent les droits humains et le droit humanitaire. Il exige de ses entreprises membres et affiliées qu’elles adhèrent aux principes du Document de Montreux et s’engagent à fournir des services de sécurité d’une façon responsable, qui respecte l’État de droit et les droits humains de toutes les personnes et qui protège les intérêts de leurs clients. Il vise également à renforcer l’obligation de rendre des comptes du secteur par la mise en place d’un mécanisme de gouvernance et de contrôle externe et indépendant. Depuis 2015, l’Association du Code de Conduite International (ICoCA) n’a reçu que 33 plaintes, dont aucune n’a permis de déterminer que le Code a été enfreint par l’un des membres 
			(33) 
			<a href='https://icoca.ch/fr/enregistrer-une-plainte/'>https://icoca.ch/fr/enregistrer-une-plainte/</a>.. Aucune information n’est disponible sur la nature des plaintes.

4.6. Le Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

30. Ce groupe de travail a été créé en juillet 2005 par la Résolution 2005/2 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies 
			(34) 
			Commission des droits
de l’homme des Nations Unies, Résolution 2005/2: «Utilisation de
mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher
l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination», E/CN.4/RES/2005/2,
7 avril 2005.. Il a succédé au mandat du Rapporteur spécial sur l’utilisation de mercenaires, qui existait depuis 1987. Dans un aperçu de ses activités publié en 2018, le groupe de travail a noté un recul des formes classiques du mercenariat en raison de l’évolution de la nature des conflits armés, mais une hausse constante des activités des combattants étrangers. En ce qui concerne les EMSP, le groupe de travail a observé que les États réglementaient surtout les entreprises de sécurité privées et plus rarement les entreprises militaires privées et que les EMPS participaient souvent directement aux hostilités. Le groupe de travail a conclu que la vérification des antécédents du personnel, les critères d’autorisation et d’enregistrement, les limitations relatives aux fonctions autorisées, l’obligation faite aux auteurs de violations des droits humains de rendre des comptes et les recours exécutoires pour leurs victimes ne pouvaient être garantis que par des mesures réglementaires strictes établies dans le cadre du droit national et international 
			(35) 
			<a href='https://www.ohchr.org/en/documents/tools-and-resources/mercenarism-and-private-military-and-security-companies-2018'>www.ohchr.org/en/documents/tools-and-resources/mercenarism-and-private-military-and-security-companies-2018</a>..
31. Dans son rapport présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2023, le groupe de travail a indiqué que les violations perpétrées par les mercenaires et les acteurs liés au mercenariat (massacres, actes de torture, disparitions forcées, détentions arbitraires, violences sexuelles et fondées sur le genre, pillage, attaques aveugles dirigées contre des civils, harcèlement des défenseurs des droits humains, des journalistes et des victimes) prenaient de l’ampleur et de l’intensité. Dans le même temps, ces agissements demeurent impunis et les victimes n’ont que rarement accès à des voies de recours 
			(36) 
			<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FHRC%2F51%2F25&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>A/HRC/51/25</a>.. Dans l’une de ses dernières recommandations, le groupe de travail invite les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour établir la responsabilité juridique des entreprises qui sont basées sur leur territoire ou gérées depuis celui-ci, lorsque leurs activités menées dans le pays ou à l’étranger, ou les activités de leurs filiales ou de leurs partenaires commerciaux, donnent lieu à des violations des droits humains. Les législations nationales devraient comporter des dispositions extraterritoriales susceptibles de faciliter les poursuites contre les EMSP et leur personnel en cas de violations commises à l’étranger 
			(37) 
			<a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FHRC%2F54%2F29&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>A/HRC/54/29</a>..

4.7. Le Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international sans préjuger de la nature de celui-ci, relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des entreprises et de services de sécurité et de défense

32. Le 28 septembre 2017, le Conseil des droits de l’homme dans sa Résolution 36/11 a décidé de créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée «chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international, sans préjuger de la nature de celui-ci, en vue de protéger les droits humains et de garantir le respect du principe de responsabilité pour les violations et les atteintes liées aux activités des entreprises de services de sécurité et de défense, à la lumière du document de travail sur les éléments d’un cadre réglementaire international relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des activités des entreprises de services de sécurité et de défense établi par la Présidente-Rapporteuse, ainsi que des autres contributions des États membres et des autres parties prenantes» 
			(38) 
			Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies, Résolution A/HRC/RES/36/11: «Mandat
du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée
chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international
relatif à la réglementation, à la supervision et au contrôle des
activités des entreprises de services de sécurité et de défense», 9 octobre
2017..
33. En janvier 2024, le président-rapporteur a publié le troisième projet d’instrument relatif à un cadre réglementaire international pour la réglementation, le suivi et la supervision des activités des entreprises militaires et de sécurité privées 
			(39) 
			<a href='https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/pms-cs/igwg-index/5th-session-igwg-military'>www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/pms-cs/igwg-index/5th-session-igwg-military</a>.. Certaines de ses dispositions s’inspirent manifestement du Document de Montreux, notamment les définitions des EMSP. Le projet d’instrument définit les «services militaires» comme des services spécialisés qui ressemblent ou sont liés à des activités militaires, y compris la planification stratégique, le renseignement, les enquêtes, la reconnaissance, les opérations de vol avec ou sans pilote, la surveillance par satellite, le transfert de technologies militaires et tout type de transfert de connaissances ayant des applications militaires, l’appui matériel et technique aux forces armées et d’autres activités connexes, que ce soit sur terre, sur mer ou dans les airs, ou dans le cyberespace ou l’espace. Il établit en outre des obligations et des restrictions concernant le fonctionnement des EMSP, les mécanismes d’octroi d’autorisations, la vérification des antécédents, et l’accès à la justice pour les victimes de violations des droits humains. Les discussions autour du projet d’instrument sont toujours en cours et, à ce stade, il est difficile de prédire quel sera leur résultat final et s’il prendra la forme d’un traité contraignant.

4.8. Les travaux du Conseil de l’Europe

4.8.1. Recommandation 1858 (2009) de l’Assemblée

34. L’Assemblée, dans sa Recommandation 1858 (2009) (rapporteur: M. Wolfgang Wodarg (Allemagne, SOC)), commission des questions politiques et de la démocratie), a constaté une érosion du monopole étatique du recours à la force, causée par le recours accru aux services des EMSP. En conséquence, l’Assemblée a recommandé au Comité des Ministres d’élaborer un instrument du Conseil de l’Europe visant à réglementer les relations de ses États membres avec les EMSP et énonçant des normes minimales pour l’activité de ces entités privées. L’Assemblée a proposé que cet instrument comprenne au moins 16 éléments et a recommandé au Comité des Ministres de soutenir, au nom du Conseil de l’Europe, le Document de Montreux 
			(40) 
			Recommandation 1858 (2009) «Sociétés privées à vocation militaire ou sécuritaire
et érosion du monopole étatique du recours à la force», 29 janvier
2009.. Dans son avis (rapporteur: M. Kimmo Sasi, Finlande, PPE/DC), la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a pleinement soutenu la proposition d’élaborer un instrument juridique contraignant à ce sujet 
			(41) 
			Avis de la commission, Doc. 11801, 27 janvier 2009..
35. Dans sa réponse à la recommandation, le Comité des Ministres n’a pas pris position sur la question de l’approbation du Document de Montreux. Il a informé l’Assemblée qu’il avait transmis sa recommandation au Comité directeur pour les droits humains (CDDH) et au Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), pour information et observations éventuelles, ainsi qu’à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour information et prise en compte dans ses futurs travaux 
			(42) 
			Le CDDH a adopté un
avis lors de sa 69e réunion qui s’est
tenue du 24 au 27 novembre 2009 (Doc. CCDH(2009)019). S’il partage
les préoccupations exprimées par l’Assemblée, le CDDH a observé
que, d’un point de vue opérationnel, le Conseil de l’Europe n’était
pas l’organe le plus approprié pour traiter de ces questions.. Malheureusement, le Comité des Ministres n’a pas élaboré d’instrument juridique contraignant à propos des EMSP et n’a pas non plus approuvé le Document de Montreux au nom du Conseil de l’Europe.

4.8.2. Le rapport de la Commission de Venise sur les entreprises militaires et de sécurité privées et sur l’érosion du monopole étatique du recours à la force

36. Le rapport de 2009 de la Commission de Venise 
			(43) 
			Rapport <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2009)038-f'>CDL-AD(2009)038</a> sur les entreprises militaires et de sécurité privées
et sur l’érosion du monopole étatique du recours à la force, adopté
par la Commission de Venise lors de sa 79e session
plénière (Venise, 12-13 juin 2009). donne un aperçu détaillé du cadre juridique international applicable à ce moment-là et étudie la faisabilité de l’élaboration d’un traité sous les auspices du Conseil de l’Europe. Dans ce rapport, la Commission de Venise a considéré que l’approbation du Document de Montreux était fortement souhaitable et que trois autres sujets étaient susceptibles de faire l’objet d’une recommandation du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe. Premièrement, il pourrait être recommandé aux États de revoir leur législation nationale sur l’enregistrement et l’octroi d’autorisations aux EMSP afin de déterminer si elle permet de réglementer correctement les activités extraterritoriales des EMSP. Deuxièmement, les États devraient passer en revue leur législation pour savoir s’il existe une compétence juridictionnelle pour les crimes graves commis par le personnel des EMSP, du moins lorsque les membres de ce personnel sont des ressortissants de l’État en question. Enfin, les États devraient entamer un processus de révision de leurs systèmes de droit civil afin de déterminer s’il est possible de faire une demande d’indemnisation pour les irrégularités extraterritoriales commises par les EMSP enregistrées dans l’État, voire par leurs filiales enregistrées à l’étranger, et, si tel n’est pas le cas, d’envisager l’adoption d’une législation pertinente appropriée.

4.8.3. Avis du Comité des conseillers juridiques sur le droit international public sur les propositions formulées dans le rapport de la Commission de Venise

37. Dans un avis adopté lors de sa 40e réunion (Tromsø, 16-17 septembre 2010), le Comité des conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI) a déclaré que l’ouverture, à ce moment-là, d’éventuelles négociations pour l’élaboration d’une convention du Conseil de l’Europe sur les EMSP ne serait pas judicieuse. Le CAHDI a précisé que les dispositions nationales devraient être revues en tenant compte des objectifs clés du droit international humanitaire et, le cas échéant, des conclusions du Document de Montreux 
			(44) 
			Avis du CAHDI sur les
propositions formulées dans le rapport de la Commission de Venise
sur les entreprises militaires et de sécurité privées et sur l’érosion
du monopole étatique du recours à la force, adopté lors de la 40e réunion (Tromsø,
16-17 septembre 2010)..

4.9. L’Union européenne

4.9.1. Résolution du Parlement européen du 25 novembre 2021 sur les violations des droits de l’homme commises par des entreprises militaires et de sécurité privées, en particulier le groupe Wagner

38. Dans sa Résolution (2021/2982(RSP)) du 25 novembre 2021, le Parlement européen observe que le secteur des EMSP est actuellement réglementé par un ensemble de règles incohérentes qui varient considérablement d’un pays à l’autre et qu’en raison de leur hétérogénéité, les législations nationales et les dispositifs d’autorégulation adoptés par certaines EMSP ne suffisent pas à décourager les abus, puisqu’ils ne prévoient pas de sanctions, et ont une incidence importante sur la façon dont ces entreprises opèrent dans le cadre d’interventions multilatérales et les régions en proie à des conflits. La résolution encourage par ailleurs la prise de mesures résolues pour que les EMSP soient plus fortement obligées de rendre des comptes, y compris en ce qui concerne le contrôle et le suivi de leur transparence. Elle souligne par ailleurs la nécessité de garantir des recours judiciaires, y compris des sanctions pénales, pour les violations des droits humains qui découlent des activités des EMSP. Le Parlement européen a également exigé que toutes les victimes de violations aient un accès sans entrave à la justice et à des voies de recours, y compris pour les abus commis par des mercenaires russes en Afrique, au Moyen-Orient et en Ukraine 
			(45) 
			Résolution
du Parlement européen du 25 novembre 2021 sur les violations des
droits de l’homme commises par des entreprises militaires et de
sécurité privées, en particulier le groupe Wagner (2021/2982(RSP))
(2022/C 224/11)..

5. Les étrangers dans les forces armées: la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine, la Légion étrangère française et le Royal Gurkha Rifles britannique

39. Lorsque l’on aborde la question des combattants étrangers, des mercenaires et des EMSP, il est impossible de ne pas évoquer le sujet plus vaste des étrangers dans les forces armées. La Légion étrangère française est de loin l’entité militaire la plus connue à incorporer des soldats étrangers. Créée en 1831 pour permettre aux ressortissants étrangers d’intégrer l’armée française, elle est devenue l’une des premières unités militaires d’élite au monde 
			(46) 
			<a href='https://www.legion-etrangere.com/mdl/page.php?id=81&titre=Un-statut-particulier'>www.legion-etrangere.com/mdl/page.php?id=81&titre=Un-statut-particulier</a>.. Le régiment Royal Gurkha Rifles de l’armée britannique est un autre exemple d’unité militaire composée d’étrangers. Les soldats sont recrutés au Népal, qui n’est ni une dépendance territoriale du Royaume-Uni ni un membre du Commonwealth. Ils ont la réputation d’être parmi les soldats les plus redoutés et les meilleurs au monde 
			(47) 
			<a href='https://www.army.mod.uk/who-we-are/corps-regiments-and-units/infantry/the-royal-gurkha-rifles/'>www.army.mod.uk/who-we-are/corps-regiments-and-units/infantry/the-royal-gurkha-rifles/#:~:text=The%20Gurkhas%20are%20a%20unique,feared%20soldiers%20in%20the%20world</a>.. En ce qui concerne l’Ukraine, le ministre ukrainien des Affaires étrangères a annoncé le 27 février 2022 la création de la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine afin d’aider à lutter contre les envahisseurs russes 
			(48) 
			<a href='https://www.newsweek.com/ukraine-creates-foreign-legion-volunteers-abroad-join-fight-russia-1683024'>www.newsweek.com/ukraine-creates-foreign-legion-volunteers-abroad-join-fight-russia-1683024</a>. Cette création a été rendue possible par le décret présidentiel no 248 du 10 juin 2016 
			(49) 
			<a href='https://zakon.rada.gov.ua/laws/show/248/2016'>https://zakon.rada.gov.ua/laws/show/248/2016#Text</a>., qui autorise les citoyens non ukrainiens à rejoindre les forces armées de l’Ukraine 
			(50) 
			«Le Cadre stratégique
du Conseil de l’Europe et les activités à venir», 131e session
du Comité des Ministres, Hambourg (visioconférence), 21 mai 2021,
section «En ce qui concerne les activités à venir du Conseil de
l’Europe», paragraphe 12..
40. Face à l’émergence d’allégations infondées avancées par des responsables russes de la défense 
			(51) 
			<a href='https://www.newsweek.com/russia-vows-prosecution-foreign-fighters-after-16k-join-ukraine-1684671'>www.newsweek.com/russia-vows-prosecution-foreign-fighters-after-16k-join-ukraine-1684671</a>., je considère qu’il est impératif d’aborder la question de la Légion internationale ukrainienne, ainsi que d’autres formations similaires, et de clarifier leur statut juridique.
41. Les volontaires qui rejoignent la Légion internationale ukrainienne deviennent des militaires à part entière des forces armées ukrainiennes et reçoivent la solde normale d’un soldat ukrainien 
			(52) 
			<a href='https://ildu.com.ua/'>https://ildu.com.ua/#join-us</a>. – de même que les membres de la Légion étrangère en France et des Royal Gurkha Rifles au Royaume-Uni. On ne peut donc pas dire que ces combattants se voient promettre une «rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées». En outre, tous ces combattants deviennent officiellement membres des forces armées de l’État hôte. À partir du moment où il est nécessaire de satisfaire simultanément aux critères énoncés à l’article 47(2) du Protocole additionnel I (voir paragraphe 13 ci-dessus) pour être qualifié de mercenaire, aucun membre de ces unités ne peut être considéré comme relevant de cette définition. Par conséquent, les membres des unités susmentionnées doivent être considérés comme des soldats réguliers et bénéficier de la pleine protection juridique accordée aux combattants légitimes en vertu des principes fondamentaux du droit international humanitaire.

6. Allégations de violations des droits humains par des entreprises militaires privées et de sécurité et leurs conséquences

42. Au cours des trente dernières années, un nombre incalculable d’allégations de violations des droits humains commises par des EMSP ont été formulées. Dans cette section, je présenterai succinctement certains des exemples les plus significatifs et, dans la mesure du possible, je donnerai un aperçu des conséquences auxquelles se sont exposés leurs auteurs, les États d’origine ou les États contractants.
43. Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et tout au long de la guerre contre le terrorisme, les autorités américaines ont passé des contrats avec de nombreuses EMSP pour apporter un soutien logistique aux forces de la coalition et les aider à assurer la formation des forces militaires et policières locales en Iraq et en Afghanistan, la gestion des armes et la sécurité des bases de l’armée américaine. Les agents des EMSP ont représenté jusqu’à 52 % de la main-d’œuvre déployée en Iraq et en Afghanistan 
			(53) 
			Peters, «Department
of Defense Contractor and Troop Levels in Iraq and Afghanistan:
2007-2017»..
44. CACI International Inc. est une entreprise basée aux États-Unis qui fournit une gamme de services, notamment le développement de logiciels, la cybersécurité, le soutien au renseignement, la formation militaire et l’analyse de données. Fin 2003, elle s’est vu confier, au nom du ministère américain de la Défense, onze ordres de mission d’une valeur de plus de 66 millions de dollars. Sur ces onze ordres de mission, six portaient sur des activités d’interrogatoire, de filtrage et d’autres services liés au renseignement, et cinq sur des services de soutien logistique 
			(54) 
			United States Government
Accountability Office (Office de reddition des comptes du Gouvernement
américain), Rapport présenté devant les commissions du Congrès:
«Problems with DOD’s and Interior’s Orders to Support Military Operations»,
avril 2005, GAO-05-201, p. 2.. En 2008, le Center for Constitutional Rights (une ONG américaine) a intenté une action en justice contre la CACI, au nom d’anciens détenus de la prison d’Abu Ghraib en Iraq. Cet établissement est devenu tristement célèbre après qu’une série de photographies horribles a été rendue publique, montrant de graves violations des droits humains, notamment des soldats américains posant tout sourire devant des prisonniers torturés ou morts 
			(55) 
			<a href='https://web.archive.org/web/20080306020142/http://www.salon.com/news/abu_ghraib/2006/03/14/introduction/'>https://web.archive.org/web/20080306020142/http://www.salon.com/news/abu_ghraib/2006/03/14/introduction/</a>.. Au cours du procès, les employés de la CACI qui dirigeaient les interrogatoires et géraient d’autres services à Abu Ghraib ont été accusés d’avoir ordonné ou encouragé la torture, notamment pour «assouplir» les détenus avant leur interrogatoire, tandis que la direction a été accusée d’avoir dissimulé ces actes 
			(56) 
			<a href='https://;www.reuters.com/world/us/us-supreme-court-rebuffs-defense-contractors-abu-ghraib-torture-appeal-2021-06-28/'>www.reuters.com/world/us/us-supreme-court-rebuffs-defense-contractors-abu-ghraib-torture-appeal-2021-06-28/</a>.. Les plaignants ont affirmé avoir subi des violences physiques et sexuelles pendant leur détention, telles que des chocs électriques, des privations sensorielles, alimentaires, médicales et d’oxygène, ainsi que des attaques de chiens. Malgré les arguments avancés par les avocats de la CACI, selon lesquels la CACI ne pouvait être tenue responsable des actes allégués étant donné qu’elle avait agi sur ordre du Gouvernement américain et bénéficiait donc de l’immunité, un juge fédéral a rejeté ces arguments en 2023 
			(57) 
			<a href='https://apnews.com/article/abu-ghraib-lawsuit-caci-torture-virginia-iraq-7ea9c063161d204c2b35e9e05a4f0bf2'>https://apnews.com/article/abu-ghraib-lawsuit-caci-torture-virginia-iraq-7ea9c063161d204c2b35e9e05a4f0bf2</a>.. Le 12 novembre 2024, le jury d’un tribunal fédéral a reconnu la responsabilité de la CACI Premier Technology Inc. dans la torture de trois Irakiens à la prison d’Abu Ghraib en 2003-2004 et l’a condamnée à verser à chacun des trois plaignants une indemnité de 14 millions $US 
			(58) 
			<a href='https://ccrjustice.org/home/press-center/press-releases/abu-ghraib-verdict-iraqi-torture-survivors-win-landmark-case-jury'>https://ccrjustice.org/home/press-center/press-releases/abu-ghraib-verdict-iraqi-torture-survivors-win-landmark-case-jury</a>.. Il s’agit de la première affaire de ce type à aboutir à un procès, débouchant sur une certaine justice pour les victimes d’actes de torture perpétrés par des agents d’entreprises de sécurité privées.
45. Titan, une entreprise de défense spécialisée dans les télécommunications (rachetée par la suite par L-3), est une autre entreprise militaire privée qui a été engagée par le Gouvernement américain pour intervenir en Iraq. Titan/L-3 a également été impliquée dans les abus perpétrés dans la prison d’Abu Ghraib et dans d’autres prisons irakiennes sous contrôle américain. Dans l’affaire Saleh et al c. Titan, plus de 250 anciens détenus ont porté plainte contre Titan pour sa participation à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements. M. Saleh et les autres plaignants ont affirmé avoir été agressés physiquement, privés de sommeil et forcés d’assister à des viols et à des simulacres d’exécution. L’affaire a été rejetée par un tribunal fédéral en 2009 et, en 2011, la Cour suprême a rejeté la demande d’appel, mettant ainsi un terme à cinq années de procédure 
			(59) 
			<a href='https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/saleh-et-al-v-titan-et-al'>https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/saleh-et-al-v-titan-et-al</a>.. Dans l’affaire Al-Quraishi et al. c. Nakhla et L-3 Services, 72 plaignants irakiens ont affirmé avoir été soumis à la torture par des agents de l’EMSP: passages à tabac, chocs électriques, suspension prolongée par les membres, encapuchonnement, nudité forcée. Le contentieux s’est soldé en 2012 par un règlement confidentiel, ce qui a constitué la première résolution positive d’une affaire américaine contestant le traitement de détenus en dehors des États-Unis, dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme» 
			(60) 
			<a href='https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/al-quraishi-et-al-v-nakhla-and-l-3-services'>https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/al-quraishi-et-al-v-nakhla-and-l-3-services</a>..
46. En 2007, une action en justice a été intentée contre Blackwater (devenue Academi) à propos du massacre de la place Nissor, où des employés de Blackwater ont ouvert le feu, tuant 14 civils (dont 2 enfants) et blessant plus de 20 autres 
			(61) 
			<a href='https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/saleh-et-al-v-titan-et-al'></a>www.tidingsmedia.org/blog/nisour-square-massacre. https://ccrjustice.org/home/what-we-do/our-cases/abtan-et-al-v-prince-et-al-and-albazzaz-et-al-v-prince-et-al.. Quatre anciens agents de sécurité de Blackwater ont ensuite été condamnés pour homicide volontaire et tentative d’homicide, mais le président Donald Trump les a graciés en 2020 
			(62) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2020/dec/23/trump-pardons-blackwater-contractors-jailed-for-massacre-of-iraq-civilians'>www.theguardian.com/world/2020/dec/23/trump-pardons-blackwater-contractors-jailed-for-massacre-of-iraq-civilians</a>..
47. DynCorp est une EMSP américaine créée en 1946 qui proposait des services de formation en matière de renseignement et des services de sécurité à l’armée américaine dans plusieurs pays, comme la Bosnie, le Kosovo* 
			(63) 
			*Toute
référence au Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions
ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la
Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans
préjuger du statut du Kosovo., la Colombie, la Somalie, l’Angola et la Bolivie. En 2020, Dyncorp a été rachetée par Amentum, un prestataire de services gouvernementaux et commerciaux créé plus tôt cette même année. Au début des années 2000, DynCorp était décrite comme la plus grande entreprise engagée par le Gouvernement américain pour sous-traiter des services dans le cadre de la «guerre contre la drogue» en Amérique latine. En 2001, Kathryn Bolkovac, une policière américaine, a été engagée par DynCorp pour travailler au sein du Groupe international de police des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine, mis en place à la suite des guerres de Yougoslavie. Mme Bolkovac était censée lutter contre les abus sexuels et la prostitution forcée en Bosnie, mais après quelques mois de collecte d’éléments de preuve, elle a découvert que ses collègues (de DynCorp et des Nations Unies) étaient eux-mêmes impliqués dans des activités de traite des femmes d’Europe de l’Est à des fins d’exploitation sexuelle 
			(64) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2001/jul/29/unitednations'>www.theguardian.com/world/2001/jul/29/unitednations</a>.. Elle a affirmé que les employés de DynCorp falsifiaient les documents d’identité de ces femmes, leur faisaient franchir illégalement les postes de contrôle frontaliers en Bosnie et prévenaient les propriétaires de sex-clubs des descentes de police. Après avoir signalé ces agissements à DynCorp, elle a été licenciée. Son collègue Ben Johnson avait été licencié avant elle, après avoir découvert que des employés de DynCorp étaient impliqués dans l’esclavage sexuel et le trafic d’armes en Bosnie. Mme Bolkovac a poursuivi DynCorp pour licenciement abusif, mais aucun des employés impliqués n’a fait l’objet de poursuites pénales. Par la suite, les Nations Unies et le Gouvernement américain ont continué de faire appel aux services de DynCorp 
			(65) 
			<a href='https://allthatsinteresting.com/kathryn-bolkovac'>https://allthatsinteresting.com/kathryn-bolkovac</a>; <a href='https://www.dw.com/en/bolkovac-un-tries-to-cover-up-peacekeeper-sex-abuse-scandal/a-19082815'>https://www.dw.com/en/bolkovac-un-tries-to-cover-up-peacekeeper-sex-abuse-scandal/a-19082815</a>.. DynCorp a également opéré en Afghanistan, sous contrat avec le Gouvernement américain, pour fournir des services de sécurité à l’ambassade des États-Unis à Kaboul. En 2010, WikiLeaks a révélé que des employés de DynCorp en Afghanistan exploitaient des enfants dans un contexte de prostitution pour divertir des fonctionnaires afghans 
			(66) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2010/dec/02/foreign-contractors-hired-dancing-boys'>www.theguardian.com/world/2010/dec/02/foreign-contractors-hired-dancing-boys</a>.. DynCorp a alors licencié quatre cadres dirigeants et créé un poste de responsable du contrôle de la conformité, chargé de l’éthique, des pratiques professionnelles et de la conformité réglementaire. Son successeur Amentum a mis en place un code de conduite, sur lequel il s’appuie pour appliquer une politique de tolérance zéro en ce qui concerne le recours au travail forcé, au travail des enfants ou à la traite des êtres humains. Amentum affirme faire preuve de diligence raisonnable en procédant à des vérifications auprès de tiers afin de s’assurer que les entités partenaires sont des entreprises légitimes et dignes de confiance, qui respectent les droits humains 
			(67) 
			<a href='https://www.amentum.com/ethics-compliance'>www.amentum.com/ethics-compliance</a>..
48. Aegis Defence Services est une EMSP britannique qui fournit des services de sécurité, de formation et de conseil. Il est établi que l’entreprise est intervenue dans 18 pays africains. Elle est membre fondateur de l’ICoCA ainsi que de la British Association of Private Security Companies (BAPSC) 
			(68) 
			<a href='https://www.devex.com/organizations/british-association-of-private-security-companies-bapsc-23301'>www.devex.com/organizations/british-association-of-private-security-companies-bapsc-23301</a>., un organisme qui milite en faveur de la réglementation du secteur des EMSP au Royaume-Uni. En 2016, l’ancien directeur d’Aegis a admis que l’entreprise avait employé d’anciens enfants soldats de Sierra Leone pour aider les forces américaines en Iraq, parce qu’ils coûtaient moins cher 
			(69) 
			<a href='https://www.aljazeera.com/features/2022/4/28/white-hands-the-rise-of-private-militaries-in-african-conflict'>www.aljazeera.com/features/2022/4/28/white-hands-the-rise-of-private-militaries-in-african-conflict</a>; <a href='https://www.theguardian.com/global-development/2016/apr/17/uk-firm-employed-former-child-soldiers-as-mercenaries-in-iraq'>www.theguardian.com/global-development/2016/apr/17/uk-firm-employed-former-child-soldiers-as-mercenaries-in-iraq</a>.. Aucun processus de diligence raisonnable n’a été mis en place pour déterminer si les nouveaux employés étaient en fait d’anciens enfants soldats. Aegis (rachetée en 2015 par l’entreprise canadienne GardaWorld) a déclaré que les activités de ses agents étaient autorisées par les autorités nationales compétentes des pays où ils recrutaient et que l’entreprise travaillait avec des experts pour élaborer et mettre en œuvre des procédures de gestion des risques de traumatismes.
49. Dyck Advisory Group est une EMSP sud-africaine fondée par un ancien colonel de l’armée zimbabwéenne, Lionel Dyck, qui avait combattu dans la guerre civile mozambicaine au sein des forces d’intervention zimbabwéennes. En 2019, le Dyck Advisory Group a été chargé de soutenir les opérations du Mozambique contre les groupes d’insurgés islamiques à Cabo Delgado, après le départ du groupe Wagner du pays 
			(70) 
			<a href='https://greydynamics.com/dyck-advisory-group-dag-from-south-africa-to-mozambique/'>https://greydynamics.com/dyck-advisory-group-dag-from-south-africa-to-mozambique/</a>.. En 2021, Amnesty International a publié un rapport sur des crimes de guerre qui auraient été commis à Cabo Delgado en 2020. Le rapport affirme que lors des combats contre le groupe djihadiste Al-Shabaab, des employés du Dyck Advisory Group ont mené des attaques aveugles qui ont entraîné la mort de centaines de civils. Selon des témoignages recueillis par Amnesty International, les employés de Dyck ont tiré à la mitrailleuse depuis des hélicoptères et largué des grenades à main sans discernement sur des foules; ils auraient par ailleurs tiré à plusieurs reprises sur des infrastructures civiles, notamment des hôpitaux, des écoles et des habitations 
			(71) 
			<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/03/mozambique-civilians-killed-as-war-crimes-committed-by-armed-group-government-forces-and-private-military-contractors-new-report-2/'>www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/03/mozambique-civilians-killed-as-war-crimes-committed-by-armed-group-government-forces-and-private-military-contractors-new-report-2/</a>.. Dyck Advisory Group a nié ces allégations, arguant du fait que les insurgés utilisaient les civils comme boucliers humains. L’entreprise a également affirmé qu’elle avait engagé un cabinet d’avocats indépendant pour enquêter sur les allégations d’Amnesty International 
			(72) 
			<a href='https://edition.cnn.com/2021/03/30/africa/lionel-dyck-mozambique-insurgents-hold-palma-intl/index.html'>https://edition.cnn.com/2021/03/30/africa/lionel-dyck-mozambique-insurgents-hold-palma-intl/index.html</a>.. Malgré le temps écoulé, je n’ai pu trouver aucune information sur les résultats de cette enquête. Il n’existe aucun document public indiquant qu’un employé du Dyck Advisory Group a été inculpé ou a fait l’objet d’une enquête pour ces violations alléguées du droit international humanitaire.
50. G4S est une entreprise de sécurité privée britannique de renommée mondiale, qui est intervenue dans plus de 85 pays depuis sa création en 2004. En 2011, G4S a adhéré au Pacte mondial des Nations Unies – une initiative volontaire en faveur du développement durable des entreprises qui établit une norme internationale pour promouvoir un comportement socialement responsable des entreprises. G4S fait également partie des membres fondateurs du Code de conduite international des entreprises de sécurité privée évoqué plus haut. Elle s’enorgueillit de mener une politique des droits humains fondée sur les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, et d’appliquer un certain nombre de mesures visant à lutter contre l’esclavage et la traite des êtres humains 
			(73) 
			<a href='https://www.g4s.com/humanrights'>www.g4s.com/humanrights</a>.. Bien que G4S dispose d’une politique en faveur des droits humains et d’un code de conduite renforcé parmi les plus solides du secteur, son histoire est entachée d’allégations de violations des droits humains. Au cours des vingt dernières années, G4S a été impliquée à plusieurs reprises dans des enquêtes concernant des décès et des mauvais traitements dans des prisons pour enfants 
			(74) 
			<a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/nov/03/violence-force4-abuse-childrens-prisons-report-oakhill-dominic-raab'>www.theguardian.com/commentisfree/2021/nov/03/violence-force4-abuse-childrens-prisons-report-oakhill-dominic-raab</a>.. En 2010, une adolescente a affirmé qu’elle avait été laissée enfermée dans sa chambre, seule, alors qu’elle faisait une fausse couche 
			(75) 
			Ibid.. Malgré les nombreux rapports adressés à G4S et aux organes de contrôle compétents, les abus se sont poursuivis. En 2016, l’entreprise a annoncé qu’elle cessait d’opérer dans les prisons pour jeunes. Toutefois, en 2021, un lanceur d’alerte a contacté l’ONG Article 39 pour l’informer d’une série d’allégations relatives à la protection des enfants dans la prison d’Oakhill, gérée par G4S 
			(76) 
			<a href='https://article39.org.uk/2021/11/11/g4s-to-continue-running-child-prison-despite-serious-child-protection-failings/'>«G4S
to continue running child prison despite serious child protection
failings» – Article 39</a>.. L’entreprise a alors publié un plan d’action pour prévenir les abus 
			(77) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/uk-england-beds-bucks-herts-59418245'>www.bbc.com/news/uk-england-beds-bucks-herts-59418245</a>..
51. En 2013, le Gouvernement fédéral australien a confié à G4S la gestion et la sécurité d’un centre de rétention administrative sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce centre a été la cible de critiques d’ONG et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui l’accusaient de ne pas respecter les normes de soins minimales 
			(78) 
			<a href='https://www.unhcr.org/fr/actualites/briefing-notes/situation-humanitaire-des-refugies-et-des-demandeurs-dasile-sur-lile-de'>www.unhcr.org/fr/actualites/briefing-notes/situation-humanitaire-des-refugies-et-des-demandeurs-dasile-sur-lile-de</a>.. Un an plus tard, une émeute a éclaté dans ce centre de rétention et a fait un mort et 77 blessés parmi les demandeurs d’asile 
			(79) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2014/feb/18/manus-island-unrest-one-dead-dozens-injured-and-man-shot-in-buttock'>www.theguardian.com/world/2014/feb/18/manus-island-unrest-one-dead-dozens-injured-and-man-shot-in-buttock</a>.. En 2022, 15 anciens employés de G4S ont été indemnisés par G4S et le Gouvernement australien pour ce qu’ils ont décrit comme des manquements «catastrophiques» en lien avec les émeutes. Ils dénonçaient notamment le manque de formation adéquate du personnel et l’absence d’équipement de protection individuelle 
			(80) 
			<a href='https://www.theguardian.com/australia-news/2022/sep/11/government-and-security-company-reach-multimillion-dollar-settlements-with-manus-island-guards'>www.theguardian.com/australia-news/2022/sep/11/government-and-security-company-reach-multimillion-dollar-settlements-with-manus-island-guards</a>..
52. En 2021, l’entreprise a été éclaboussée par un autre scandale relatif aux droits humains: une enquête sur les pratiques de recrutement de G4S a révélé que des travailleurs migrants d’Asie du Sud et d’Afrique de l’Est étaient contraints de payer une commission aux agents de recrutement employés par G4S aux Émirats arabes unis 
			(81) 
			<a href='https://www.theguardian.com/global-development/2021/jan/18/g4s-migrant-workers-forced-to-pay-millions-in-fees-for-jobs'>www.theguardian.com/global-development/2021/jan/18/g4s-migrant-workers-forced-to-pay-millions-in-fees-for-jobs</a>.. Les travailleurs soutenaient que G4S était au courant de ces pratiques, mais qu’elle fermait les yeux. En réponse à ces allégations, G4S a affirmé que, depuis 2020, ses travailleurs migrants aux Émirats arabes unis ne payaient plus de frais de recrutement.

7. Conclusions et recommandations

53. Il semble évident que le secteur des EMSP est marqué par un vide réglementaire important. Malgré leur capacité à porter gravement atteinte aux droits humains et à la démocratie et à éroder l’État de droit, les EMSP sont uniquement soumises à des instruments juridiques non contraignants ou à l’autorégulation volontaire. Malheureusement, leur fonctionnement débridé semble avoir encouragé des personnes telles que M. Poutine et M. Prigozhin (le fondateur décédé du groupe Wagner) à exploiter cette lacune à des fins purement criminelles.
54. Au cours de son audition devant la commission, le professeur Tzanakopoulos a fait remarquer que, sauf dans les rares cas où, par exemple, le droit national prévoit la sous-traitance de l’autorité gouvernementale et où il est possible de consulter le contrat, l’attribution du comportement d’acteurs privés à des États est un processus extrêmement lourd. Selon lui, il serait plus prudent, en particulier du point de vue du droit relatif aux droits humains, d’aborder la question des EMSP sous l’angle des obligations positives. Le non-respect des obligations positives est facile à attribuer, car l’attribution des omissions est généralement beaucoup plus aisée que celle des actes.
55. Je partage totalement son analyse. Compte tenu de la portée du mandat du Conseil de l’Europe, j’ai décidé de dresser une liste de recommandations que je considère comme fondamentales pour faire face aux risques associés aux activités des EMSP. Il s’agit notamment de vérifier les antécédents du personnel, de proposer des formations régulières, de mettre en place des mécanismes d’octroi d’autorisations et des recours transparents en cas d’abus signalés et d’instaurer l’obligation inévitable de rendre des comptes.
56. Toutefois, il convient de souligner que les EMSP peuvent aussi poursuivre des objectifs importants. Elles apportent une expertise et des ressources indispensables aux organisations humanitaires et internationales qui travaillent dans diverses zones de conflit. Les contraintes budgétaires rencontrées par de nombreux États ont amené ces derniers à réduire les effectifs de leurs forces armées et à faire de plus en plus appel aux services des EMSP. Lors de son audition, Mme Fasanotti a rappelé le rôle crucial que jouent les EMSP en comblant les lacunes de sécurité dans les États dotés d’institutions faibles. Elles peuvent notamment assurer la sécurité alimentaire et lutter contre le terrorisme, même si l’absence d’obligation de rendre des comptes combinée à la commission d’actes de violence aveugle (en particulier contre la population civile) peut conduire à une radicalisation des cellules terroristes. Je suis d’accord avec elle pour dire que la principale conséquence de ces lacunes législatives est l’absence de recours pour les victimes d’abus commis par les EMSP, qui n’ont aucun moyen d’obtenir une quelconque forme de réparation ou de demander justice.
57. Je suis fermement convaincu que l’Assemblée devrait adresser un message politique clair selon lequel l’érosion des fonctions essentielles des États, en particulier dans les activités de combat et les activités militaires, risque de saper les trois piliers du Conseil de l’Europe – les droits humains, la démocratie et l’État de droit. Les EMSP devraient être soumises à une réglementation nationale et internationale stricte, de préférence au moyen d’un instrument international contraignant. À cet égard, je regrette que le Comité des Ministres ait décidé de ne pas donner suite à la Recommandation 1858 (2009) de l’Assemblée. Comme les Nations Unies travaillent actuellement à l’élaboration d’un éventuel instrument consacré à la question des EMSP, il ne me paraît pas judicieux que le Conseil de l’Europe se lance dans des travaux parallèles. Je pense plutôt que le Conseil de l’Europe devrait être représenté dans ces négociations pour promouvoir une approche axée sur les droits humains, conformément à la Déclaration de Reykjavík. En attendant l’adoption de cet instrument, le Comité des Ministres devrait souligner l’urgence de la question en approuvant le Document de Montreux au nom du Conseil de l’Europe en tant qu’organisation et en recommandant aux États membres de faire de même.
58. Les instruments juridiques non contraignants et l’autorégulation ne peuvent pas se substituer à un instrument international contraignant. Les trente dernières années ont très clairement montré qu’il est impératif d’agir au plus vite pour mettre fin aux souffrances humaines et à l’ingérence étrangère causées par le fonctionnement en grande partie incontrôlé des EMSP. Le Conseil de l’Europe devrait rester à l’avant-garde des efforts déployés pour créer un tel cadre et j’espère que le présent rapport ajoutera une nouvelle urgence à cette cause.