1. Introduction
1. En 2018, l’Assemblée parlementaire
a appelé le Comité des Ministres à élaborer et à adopter une convention
sur la profession d’avocat, fondée sur les normes énoncées dans
la Recommandation no R(2000)21 du Comité
des Ministres aux États membres sur la liberté d’exercice de la
profession d’avocat, en tenant compte des instruments juridiques
non contraignants existants et en renforçant les garanties relatives
à des questions fondamentales telles que l’accès à un avocat et
l’accès des avocats à leurs clients, le secret professionnel et
la confidentialité des communications entre un avocat et son client.
En conséquence, le Comité des Ministres a chargé le Comité européen
de coopération juridique (CDCJ), en étroite concertation avec les
autres comités concernés, de préparer une étude de faisabilité pour
déterminer l’éventuelle valeur ajoutée de l’élaboration d’une convention,
en tenant compte de la protection offerte par d’autres instruments du
Conseil de l’Europe, en particulier la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) et la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme.
2. Sur la base de cette étude

,
le Comité des Ministres a mis en place, à partir de janvier 2022,
un Comité d’experts sur la protection des avocats (CJ-AV). Le Comité
a été chargé d’élaborer un instrument juridique visant à renforcer
la protection de la profession d’avocat et le droit de pratiquer
la profession sans préjudice ni retenue, sous l’autorité du Comité
des Ministres et du CDCJ. Le CJ-AV était composé de 15 représentants
des États membres ainsi que de participants et d’observateurs, dont
Avocats sans Frontières, le Conseil des Barreaux européens (CCBE),
la Fédération des Barreaux d’Europe (FBE), l’Association européenne
des avocats (EAL), European Criminal Bar Association (ECBA), l’Association
internationale du Barreau (IBA) et son Institut des droits de l’homme
(IBAHRI), la Commission internationale de juristes (CIJ), l’Union internationale
des avocats (UIA), la Fondation «Lawyers for Lawyers» et l’Observatoire
international des Avocats en Danger (OIAD).
3. Le CDCJ a approuvé le projet de convention pour la protection
de la profession d’avocat («le projet de convention») établi par
le CJ-AV et a adopté son projet de rapport explicatif lors de sa
103e réunion plénière tenue à Strasbourg
du 19 au 21 novembre 2024. Il a transmis les deux textes au Comité
des Ministres. Lors de leur 1515e réunion
tenue le 11 décembre 2024, les Délégués des Ministres ont décidé
de soumettre le projet de convention à l’Assemblée pour avis dès
que possible. L’Assemblée s’est engagée à donner un avis au cours
de sa partie de session de janvier 2025, afin de permettre l’adoption
du projet de convention par le Comité des Ministres en temps utile.
Ces délais impliquent que le projet d’avis soit adopté par la commission des
questions juridiques et des droits de l’homme (une fois saisie par
le Bureau de l’Assemblée) pendant la partie de session et débattu
en plénière dans le cadre de la procédure d’urgence. Lors de sa
réunion à Erevan les 9 et 10 décembre 2024, la commission m’a désigné
rapporteur sous réserve de la finalisation du projet de convention
et de sa transmission à l’Assemblée.
4. Bien que je n’aie pas participé aux négociations sur le projet
de convention, le Secrétariat de l’Assemblée a suivi leur déroulement
et m’a informé de leurs résultats. Lors de sa réunion sus-mentionnée
à Erevan, la commission a organisé une audition d’experts afin de
mieux comprendre la nécessité de cet instrument et ses modalités.
Je tiens à exprimer ma gratitude à M. Christoph Henrichs (président
du CJ-AV), à M. Laurent Pettiti (président de la Délégation du Barreau
français à Bruxelles, représentant du CCBE) et à M. Arnold Vardanyan
(membre de la Chambre des avocats d’Arménie) pour leur contribution
à nos travaux.
5. Dans mon exposé des motifs, je commencerai par présenter quelques
informations factuelles sur les risques encourus par les avocats
en Europe (chapitre 2). Je résumerai ensuite les travaux antérieurs
de l’Assemblée sur la protection des avocats (chapitre 3) et j’examinerai
les principales caractéristiques du projet de convention (chapitre 4).
Je poursuivrai par une synthèse des positions exprimées par les
associations d’avocats sur ce projet d’instrument (chapitre 5).
Enfin, je présenterai ma propre évaluation du projet de texte (chapitre 6).
2. Cas de harcèlement et d’intimidation
d’avocats en Europe
6. À l’automne 2014, Tatiana Akimtseva
et Vitaliy Moiseyev – deux avocats russes de renom – ont été assassinés
à Moscou

. Ils représentaient Sergey Zhurba,
témoin clé dans une affaire très médiatisée impliquant le gang Orekhovskaya,
une organisation criminelle active à Moscou dans les années 1990. M. Moiseyev
a été assassiné quelques heures avant son témoignage prévu devant
le tribunal dans une affaire distincte contre d’autres chefs du
gang Orekhovskaya. Les auteurs de ces crimes n’ont jamais été identifiés.
7. Trois avocats d’Alexeï Navalny – Vadim Kobzev, Igor Sergunin
et Alexei Liptser – ont été arrêtés en Fédération de Russie en octobre
2023 pour participation à une organisation «extrémiste» et, le 17 janvier 2025,
condamnés à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans
et demi

. Ils sont toujours emprisonnés.
Deux autres avocats représentant M. Navalny, Aleksandr Fedulov et
Olga Mikhailova, ont fui la Fédération de Russie après l’arrestation
de leurs collègues et des mandats d’arrêt ont été émis à leur encontre en
février 2024. En novembre 2024, un tribunal russe a condamné Dmitry
Talantov, un célèbre avocat, à sept ans d’emprisonnement pour s’être
exprimé sur les réseaux sociaux contre la guerre russe en Ukraine

.
8. En février 2024, l’IBAHRI et l’Initiative des avocats arrêtés
ont publié un rapport intitulé «A Profession on Trial: The Systematic
Crackdown Against Lawyers in Türkiye». Selon ce rapport, à la suite
de la tentative de coup d’État de 2016, plus de 1 700 avocats ont
été poursuivis sur la base de vagues accusations liées à des activités
terroristes. Au moment de la publication de ce rapport, au moins
553 avocats avaient été reconnus coupables et condamnés à des peines
d’emprisonnement.
9. En Azerbaïdjan, en 2015, Alaif Hasanov, qui représentait Leyla
Yunus, fervente défenseuse des droits humains, a été radié du barreau
après avoir été reconnu coupable de diffamation en raison de commentaires sur
le comportement du compagnon de cellule de Mme Yunus

. La même année, l’avocat Khalid
Bagirov a été radié du barreau pour avoir critiqué le système judiciaire
azerbaïdjanais au cours d’un procès concernant la non-application
par un tribunal national de l’arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme dans l’affaire Ilgar Mammadov, un opposant politique
dont l’arrestation avait été jugée motivée par des considérations politiques
par la Cour. En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a
estimé que la radiation de M. Bagirov violait sa liberté d’expression
et son droit au respect de la vie privée. Un autre cas bien connu
est celui d’Intigam Aliyev, avocat défenseur des droits humains,
directeur de la Legal Education Society et représentant en justice
dans plus de 200 affaires portées devant la Cour européenne des
droits de l’homme, qui a été condamné en avril 2015 à sept ans et
demi d’emprisonnement pour des infractions telles que l’évasion
fiscale et des activités commerciales illégales (jusqu’à ce que
la Cour Suprême ordonne sa libération en mars 2016). En 2022, les
autorités azerbaïdjanaises ont arrêté Elchin Sadigov, un avocat
connu pour avoir défendu de nombreux journalistes, blogueurs et
militants politiques et religieux célèbres. En juillet 2023, le barreau
azerbaïdjanais a suspendu son autorisation d’exercer la profession
d’avocat

.
10. Au Royaume-Uni, pendant les violentes émeutes de l’été 2024,
les avocats spécialisés dans l’immigration ont été invités à prendre
des mesures de sécurité supplémentaires ou à ne pas se rendre à
leur bureau en raison des menaces de l’extrême-droite de s’en prendre
à leurs cabinets. Le président de la Law Society of England and
Wales s’est inquiété pour leur sécurité et a qualifié les attaques
contre la profession juridique d’atteinte directe aux valeurs démocratiques

. Le barreau allemand a fait état
de menaces similaires à l’encontre de certains avocats en raison
de leur implication dans l’affaire dite NSU

et a exprimé
son soutien aux travaux du Conseil de l’Europe sur cette question

. Les exemples
ci-dessus révèlent un phénomène inquiétant qui transcende les frontières
régionales et judiciaires et reflète une menace plus large pour l’indépendance
de la profession juridique à travers l’Europe, quel que soit le
système politique ou juridique national.
11. Face à l’augmentation des cas de violence, de menaces et de
harcèlement à l’encontre des avocats en Europe, le CCBE a effectué
une enquête approfondie auprès de ses membres en 2023-2024. L’enquête, menée
auprès de vingt barreaux dans dix-huit pays, a recueilli les réponses
de 14 559 avocats. Les résultats ont été présentés par M. Pettiti
lors de l’audition de la commission à Erevan. Un nombre non négligeable d’avocats
(57 %) ont déclaré avoir subi des menaces ou des agressions au moins
une fois au cours des deux ou trois dernières années. Les agressions
les plus fréquentes sont l’agression verbale (64 %), suivie du harcèlement
(44 %) et du comportement menaçant (36,5 %). Le nombre des agressions
physiques déclarées est moins important (12 %). Ces menaces ou agressions
ont des incidences considérables sur les avocats et pèsent sur leur
santé mentale (25 %), leur satisfaction au travail (32 %), leur
comportement au travail (16,5 %), leur performance au travail (12 %),
leur vie personnelle (11 %) et leur comportement sur les réseaux
sociaux (4 %). Un nombre important d’avocats (35 %) ont songé à
quitter la profession en raison de ces comportements hostiles et
certains d’entre eux ont indiqué envisager régulièrement cette option.
En outre, une majorité de répondants a constaté une augmentation
des comportements menaçants, des cas de harcèlement et des agressions
au cours des cinq dernières années – seule une petite partie d’entre
eux a observé une diminution de tels actes.
12. D’autres exemples d’avocats ciblés par des représailles pour
leur travail sont décrits dans la dernière note d’information révisée
sur la situation des défenseurs des droits humains et des lanceurs
d’alerte en Europe

.
3. Travaux antérieurs de l’Assemblée
sur la protection des avocats
13. Les travaux antérieurs de l’Assemblée
sur la protection des avocats et, plus largement, des défenseurs des
droits humains témoignent d’une position résolue en faveur d’un
système plus solide pour leur protection. Dans sa
Recommandation 2085 (2016)
«Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l'homme
dans les États membres du Conseil de l'Europe», l’Assemblée a appelé le Comité des Ministres à mettre
en place une plateforme similaire à celle qui avait été créée pour
les journalistes pour la protection des défenseurs des droits humains
(y compris les avocats). L’Assemblée a réitéré cet appel dans sa
Recommandation 2121 (2018) «Pour une convention européenne sur la profession d’avocat»
en demandant la création d’un mécanisme d’alerte précoce pour réagir
aux menaces immédiates qui pèsent sur la sécurité et l’indépendance
des avocats et sur leur capacité à exercer de manière effective
leurs activités professionnelles. Dans sa réponse

, le Comité des Ministres a décidé
de ne pas établir un nouveau dispositif d’alerte précoce destiné
à assurer la protection des différentes professions engagées dans
la défense des droits humains.
14. Depuis l’adoption de la recommandation susmentionnée, l’Assemblée
n’a cessé d’appeler à la mise en place d’un instrument juridique
contraignant. Dans sa
Résolution 2348 (2020) «Les principes et garanties applicables aux avocats»,
l’Assemblée s’est dite préoccupée par les nombreux cas de violations
des droits des avocats, notamment les atteintes à leur sécurité
et à leur indépendance, et a appelé à une mise en œuvre effective
et complète de la Recommandation n° R(2000)21 du Comité des Ministres
aux États membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat,
en attendant qu’elle soit reprise dans un instrument juridique contraignant.
En outre, dans sa
Résolution
2513 (2023) «Le logiciel espion Pegasus et les autres types de logiciels
similaires, et la surveillance secrète opérée par l’État», l’Assemblée
a exprimé sa profonde préoccupation quant à l’utilisation de Pegasus
et de logiciels espions similaires à l’encontre, entre autres, des avocats.
Dans sa recommandation, elle a appelé le Comité des Ministres à
adopter une recommandation aux États membres du Conseil de l’Europe
sur la surveillance secrète et les droits humains et à examiner
la faisabilité d’une convention du Conseil de l’Europe sur l’acquisition,
l’utilisation, la vente et l’exportation de logiciels espions.
4. Principales caractéristiques du projet
de convention
15. Le chapitre I du projet de
convention comprend les dispositions générales sur le but de la
convention (article 1), son champ d’application (article 2) et la
terminologie (article 3). Le but de la convention est de renforcer
la protection de la profession d’avocat et le droit de l’exercer
sans crainte de discrimination, d’obstructions ou d’ingérences indues
et sans être la cible d’agressions, de menaces et d’actes de harcèlement ou
d’intimidation. Aux fins du projet de convention, le terme «avocat»
désigne «toute personne physique qui est qualifiée et autorisée,
conformément au droit national, à exercer la profession d’avocat»
(article 3 (a)). Les dispositions centrales du projet de convention
relatives aux droits professionnels des avocats (article 6), à la liberté
d’expression (article 7) et à certaines mesures de protection (article 9.3)
s’étendent à toute personne qui s’est vu refuser ou retirer définitivement
ou provisoirement le titre d’avocat ou son autorisation d’exercer lorsque
le refus, le retrait ou la suspension sont contraires aux articles 5
(droit d’exercer la profession) et 8 (discipline) de la Convention.
En outre, ces dispositions s’appliquent également à toute personne
habilitée par une juridiction ou une autorité juridictionnelle internationale
ou un organe établi par une organisation internationale (par exemple,
la Cour pénale internationale, la Cour européenne des droits de
l’homme, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies) à conseiller
ou intervenir dans le cadre d’une procédure devant cette juridiction,
cette autorité ou cet organe. Ces personnes, qui ne sont pas des
avocats agréés, peuvent être, par exemple, des universitaires ou
des représentants d’une organisation non gouvernementale qui représentent
une partie devant ces organes, pour autant qu’ils soient reconnus
par la cour, le tribunal ou l’organe en question et qu’ils répondent
aux critères pertinents établis par cet organe.
16. Le projet de convention s’applique aux activités professionnelles
des avocats (définies comme «toute action visant à préparer ou à
dispenser des conseils et à assister ou représenter un client ou
un client potentiel quant à l’interprétation ou à l’application
du droit national, étranger ou international, que ce soit sur le
territoire des Parties dans lesquelles ils sont établis ou en tout
autre lieu où cette action est menée, y compris en relation avec
les procédures et travaux d’une juridiction ou d’une autorité juridictionnelle
internationale ou d’un organe établi par une organisation internationale»)
et de leurs associations professionnelles. Certains droits professionnels
et certaines mesures de protection sont également applicables aux
personnes employées ou engagées par des avocats ou des associations
professionnelles dans la mesure où elles contribuent directement
à l’exercice de leurs activités professionnelles.
17. Le chapitre II comprend les dispositions matérielles du projet
de convention. Il s’agit du statut des associations professionnelles
(article 4), des règles de base relatives au droit des avocats d’exercer
leur profession (article 5), des droits professionnels des avocats
(article 6), de la liberté d’expression (article 7), des procédures
disciplinaires (article 8) et des mesures de protection (article 9).
18. Pour ce qui est des droits professionnels des avocats, l’article 6
du projet de convention garantit qu’ils peuvent exercer les droits
fondamentaux essentiels à leur profession. Certaines restrictions
sont autorisées lorsqu’elles sont prévues par la loi et nécessaires
dans une société démocratique. Les avocats doivent être en mesure
de dispenser des conseils, une assistance et une représentation
juridiques, y compris dans le but de défendre les droits humains
et les libertés fondamentales. Ils ont la liberté de choisir leurs
clients ou de mettre fin à une relation avec un client, sous réserve
d’obligations professionnelles telles que le devoir de fournir des services
juridiques aux clients indigents ou d’adhérer à des règles telles
que la «cab-rank rule» (applicable
aux avocats en Angleterre et au Pays de Galles, en vertu de laquelle
ils sont tenus d’accepter tout dossier pour lequel ils s’estiment
compétents, auprès d’une juridiction devant laquelle ils ont l’habitude
de plaider et à leurs tarifs habituels). L’accès effectif aux clients,
en particulier ceux qui sont privés de liberté, est crucial pour
la préparation de la défense et ne doit pas faire l’objet d’ingérences
ou de retards indus. Les avocats doivent pouvoir se déplacer librement
dans leur pays et à l’étranger pour rencontrer leurs clients. Ce
principe garantit la confidentialité des échanges et l’indépendance
professionnelle des avocats. Les différentes juridictions doivent
reconnaître la compétence des avocats pour représenter leurs clients
et leur accès aux documents pertinents doit être assuré sans retard
injustifié, sauf restriction pour des motifs légitimes tels que
la sûreté nationale. Les avocats doivent pouvoir communiquer librement
avec les organes publics, présenter des demandes ou des requêtes
au cours des procédures et participer de manière effective à toutes
les étapes des procédures judiciaires. Ils ont le droit d’informer
le public de leurs services en vertu des protections relatives à la
liberté d’expression, mais doivent éviter la publicité trompeuse.
L’article 6 protège les avocats contre l’éventualité que leur responsabilité
civile ou pénale soit engagée pour leurs déclarations faites de
bonne foi et avec diligence dans le cadre d’une procédure. A contrario, les avocats qui trompent
intentionnellement les autorités ou qui ont un comportement injurieux
ne peuvent pas se prévaloir de cette immunité. La confidentialité
des communications entre un avocat et son client est primordiale
et ne peut faire l’objet de restrictions que dans des circonstances
exceptionnelles et dans le cadre d’un contrôle juridictionnel adéquat. Les
restrictions à ces droits doivent poursuivre des buts légitimes,
être proportionnées et concilier des intérêts opposés conformément
aux principes démocratiques. L’article 6 rappelle que les avocats
ne doivent pas subir de conséquences négatives du fait d’être assimilés
à leurs clients ou à la cause de ces derniers. Ce type d’assimilation
a déjà conduit par le passé à des actes de harcèlement et d’intimidation.
19. L’article 7 du projet de Convention souligne le droit des
avocats et de leurs associations professionnelles de s’exprimer
sur des questions liées à leur profession, au droit, à son application,
aux droits humains et aux réformes juridiques. Ce faisant, il renforce
la liberté d’expression et la liberté de réunion garanties par les articles 10
et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les avocats
doivent être en mesure de communiquer au public des informations
sur les affaires et de formuler des commentaires critiques, car
cela peut mettre en lumière des préoccupations d’ordre plus général,
telles que des problèmes systémiques dans le système judiciaire
ou des violations des droits humains. L’article 8 du projet de convention
définit les conditions requises pour engager des poursuites disciplinaires
à l’encontre des avocats, y compris les motifs, les procédures et
les sanctions, afin de prévenir les abus et de protéger les activités
professionnelles des avocats. Les motifs des procédures disciplinaires
doivent être prévus par la loi et compatibles avec la Convention
européenne des droits de l’homme. L’organe chargé de statuer sur
les accusations disciplinaires doit être indépendant et impartial.
Il peut prendre la forme d’une commission disciplinaire, d’une autorité indépendante
ou d’une autorité juridictionnelle. Les avocats doivent avoir la
possibilité de contester la sanction disciplinaire devant une juridiction
indépendante et impartiale établie par la loi. Les sanctions prononcées doivent
respecter les principes de légalité, de non-discrimination et de
proportionnalité. Les interdictions d’exercer doivent être réservées
aux cas les plus graves de violation des normes professionnelles.
20. Les mesures de protection prévues à l’article 9 comprennent
le droit des avocats d’avoir accès à un avocat lorsqu’ils sont privés
de liberté; la notification en temps opportun des associations professionnelles dans
de tels cas; et la présence de représentants lorsque leurs locaux
ou leurs données font l’objet d’une perquisition ou d’une saisie.
En outre, les avocats doivent être informés de ces droits et toute
restriction de ceux-ci doit être prévue par la loi et nécessaire
dans une société démocratique aux fins de prévention des infractions,
d’enquête et de poursuite pénales ou pour protéger les droits d’autrui.
L’article 9 traite également des inspections ou d’autres mesures
prises dans le cadre du contrôle de la profession, en garantissant
qu’elles respectent les normes relatives aux droits humains et prévoient
des garanties contre les abus. Les associations professionnelles
se voient accorder le droit d’accéder aux avocats détenus, de recevoir
des informations sur les agressions commises contre des avocats
lorsque celles-ci sont liées à leurs activités professionnelles
et d’assister aux audiences. Les Parties sont en outre tenues de
protéger les avocats contre les menaces et les actes de harcèlement
ou d’intimidation de la part d’acteurs publics ou privés et de veiller
à ce que ces abus donnent lieu à des enquêtes effectives lorsqu’il
existe des raisons de penser qu’ils peuvent constituer des infractions
pénales. En outre, il est interdit aux Parties d’adopter des mesures
ou d’approuver des pratiques qui porteraient atteinte à l’indépendance
ou à l’autonomie des associations professionnelles. Il s’agit ici
de renforcer leur rôle essentiel dans la protection de l’intégrité
de la profession juridique.
21. Le chapitre III établit un mécanisme de suivi. L’article 10
établit le Groupe d’experts sur la protection de la profession d’avocat
(GRAVO) qui contrôle la mise en œuvre de la Convention par les Parties.
Le GRAVO peut recevoir des informations sur la mise en œuvre de
la Convention de la part de la Partie concernée ainsi que de la
part d’organisations de la société civile, d’associations professionnelles
et d’institutions nationales de protection des droits humains. Il
peut également tenir compte des informations provenant d’autres
organes du Conseil de l’Europe et/ou d’autres organisations internationales
(article 12). Les visites de pays ne peuvent être organisées que
lorsque les informations obtenues sont insuffisantes et qu’il n’existe
pas d’autres moyens d’obtenir ces informations de manière fiable
(article 12.3). Une procédure d’urgence est prévue lorsque des informations
fiables font état d’une situation dans laquelle des problèmes requièrent
une attention immédiate pour prévenir ou limiter l’ampleur ou le
nombre de violations graves de la Convention (article 13). L’Assemblée figure
parmi les destinataires des rapports adoptés par le GRAVO sur la
mise en œuvre de la Convention (articles 13.3 et 15).
22. Le chapitre IV régit les relations du projet de convention
avec d’autres instruments internationaux et le chapitre V contient
des clauses finales qui ressemblent à celles que l’on trouve dans
d’autres conventions du Conseil de l’Europe. Il convient toutefois
de noter l’absence de dispositions relatives aux réserves, permettant aux
États de les formuler lors de la signature, de la ratification,
de l'acceptation, de l'approbation ou de l'adhésion.
23. En vertu de l’article 18, après l’entrée en vigueur de la
Convention, le Comité des Ministres pourra inviter tout État non
membre du Conseil de l’Europe à adhérer à la Convention.
5. Positions exprimées par les parties
prenantes
24. Le CCBE est un fervent partisan
de l’initiative d’élaborer la convention et il a été un observateur
des travaux du CJ-AV. Il a toujours plaidé en faveur d’un instrument
juridique contraignant pour protéger les avocats, car il considère
qu’il s’agit d’un élément déterminant pour l’administration de la
justice et la protection des droits fondamentaux. Lors de l’audition
de la commission à Erevan, M. Pettiti a insisté sur le nombre croissant
de cas de violence, de menaces et d’actes de harcèlement à l’encontre
des avocats en Europe, un phénomène qui a incité le CCBE à effectuer
une enquête approfondie (évoquée plus haut). Les résultats de cette
enquête ont mis en évidence les risques graves encourus par les
avocats dans différents domaines et contextes nationaux, qui rendent
encore plus nécessaire la prise de mesures de protection solides.
En conséquence, le CCBE a pleinement approuvé le projet de convention
et a soutenu son adoption.
25. L’Association internationale des jeunes avocats (AIJA) a considéré
le projet de convention comme une étape indispensable pour protéger
les jeunes avocats des interventions étatiques indues et leur permettre d’exercer
librement leur profession. L’AIJA a déclaré que le cadre proposé
ne se contente pas d’être conforme à la norme de protection des
praticiens du droit, mais qu’il est susceptible d’en établir une
nouvelle

.
6. Évaluation, conclusions et proposition
d'amendement
26. Le projet de convention du
Conseil de l’Europe pour la protection de la profession d’avocat
doit être considéré comme une formidable réalisation du CJ-AV et
du Conseil de l’Europe. Une fois adopté, il deviendra le tout premier
instrument international contraignant en la matière et renforcera
le statut du Conseil de l’Europe en tant qu’organisation internationale
de premier plan dans la protection des droits humains, de la démocratie et
de l’État de droit. Sa portée mondiale fait suite à un engagement
pris dans la Déclaration de Reykjavík de mai 2023, dans laquelle
les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe se sont
engagés à renforcer le rôle de l’Organisation dans l’architecture
multilatérale européenne en évolution et dans la gouvernance mondiale
en améliorant sa dimension extérieure.
27. De mon point de vue, le plus grand avantage du projet de convention
est son approche pragmatique des menaces et des défis auxquels sont
confrontés les avocats. Le projet de convention aborde un éventail
plus large de questions que la Recommandation n° R(2000)21 du Comité
des Ministres et prévoit notamment: la liberté de choisir ses clients,
l’interdiction d’assimiler les avocats à leurs clients ou à la cause
de leurs clients, la possibilité de participer au débat public sur
des questions relatives à la promotion et à la protection des droits humains
et de l’État de droit, l’immunité civile et pénale pour les déclarations
faites de bonne foi lors de plaidoiries ou de comparutions professionnelles,
la communication et la publicité et l’obligation faite aux autorités
de protéger de manière adéquate les avocats menacés. Je suis très
heureux de constater que le CJ-AV a rigoureusement mis en œuvre
la
Recommandation 2121 (2018) de l’Assemblée, malgré les difficultés évidentes qui
découlent des différences entre les systèmes juridiques et les modes
d’organisation de la profession d’avocat dans les États membres
du Conseil de l’Europe. Je trouve réconfortant de voir que des associations
de juristes réputées évaluent positivement le projet de convention
et soutiennent son adoption.
28. Néanmoins, je regrette que le projet de convention ne contienne
aucune mention directe de l’utilisation de la surveillance secrète,
notamment les logiciels espions, à l’encontre des avocats. Si l’article 6.3 (b)
protège la confidentialité des communications entre l’avocat et
son client, il me semble que des garanties spécifiques associées
à l’utilisation d’outils modernes de surveillance électronique sont
nécessaires, en particulier si l’on tient compte des conclusions
de l’Assemblée énoncées dans la
Résolution 2513 (2023). J’espère que cette question sera abordée dans une future
convention du Conseil de l’Europe sur l’acquisition, l’utilisation,
la vente et l’exportation de logiciels espions, dont la faisabilité
sera examinée par le Comité des Ministres en temps utile.
29. Une autre question que je souhaite aborder est celle du mécanisme
d’alerte précoce pour réagir aux menaces immédiates qui pèsent sur
la sécurité et l’indépendance des avocats et sur leur capacité à
exercer de manière effective leurs activités professionnelles. Bien
que l’Assemblée ait recommandé par le passé d’établir un tel mécanisme
sur le modèle de la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes, je pense que le projet de convention
dote le GRAVO des outils nécessaires pour atteindre des objectifs
similaires. Je suis particulièrement heureux de la mise en place
d’une procédure d’urgence (article 13) et je me réjouis à l’avance
de coopérer avec cet organe de suivi.
30. Enfin, je note que le CJ-AV, comme indiqué dans son rapport
de la 8e réunion (13-15 mai 2024) (document
CJ-AV(2024)08), a décidé qu'«qu'aucune des dispositions de la convention
ne doit faire l'objet de réserves». Il semble qu'à la suite de cette
décision, un projet d’article sur les réserves ait été supprimée. Conformément
au droit international coutumier (tel que reflété à l'article 19
de la Convention de Vienne sur le droit des traités), le projet
de convention, tel qu'il est actuellement rédigé, pourrait être
soumis à des réserves, ce qui semble contredire l'intention de ses
auteurs, qui souhaitaient interdire les réserves. Par conséquent,
je considère qu'il est impératif de proposer un amendement, dont
le libellé reflète celui contenu dans le modèle de clauses finales
pour les conventions, protocoles additionnels et protocoles d'amendement
conclus au sein du Conseil de l'Europe, que les Délégués des Ministres
ont adopté lors de leur 1291e réunion
en juillet 2017. Je crois fermement que seule la mise en œuvre complète
du projet de convention peut conduire au renforcement de la protection
de la profession d'avocat. En l'absence d'une disposition interdisant
les réserves, la règle coutumière générale s'appliquerait (interdisant
seulement les réserves qui seraient incompatibles avec l'objet et
le but du traité). Un seuil aussi extrêmement élevé pourrait s'avérer
tentant pour certains États et les amener à formuler des réserves
qui limiteraient l'impact global de cet instrument par ailleurs
excellent.