Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 16126 | 07 mars 2025

Aspects juridiques de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Titus CORLĂŢEAN, Roumanie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.15014, Renvoi 4488 du 16 décembre 2019. 2025 - Deuxième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 janvier
2025.

(open)
1. La Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), qui célèbre son 75e anniversaire en 2025, peut être considérée comme la réalisation la plus remarquable du Conseil de l’Europe et la pierre angulaire de toutes ses activités. Bien que sa ratification soit une condition préalable à l’adhésion à l’Union européenne et que les droits fondamentaux garantis par la Convention fassent partie des principes généraux du droit de l’Union, l’Union européenne n’est pas encore partie à la Convention et ses institutions ne sont pas directement liées par cet instrument. Cela signifie que les États membres de l’Union européenne – tous États membres du Conseil de l’Europe et parties à la Convention – peuvent être tenus responsables de violations des droits de la Convention devant la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), même lorsqu’ils mettent en œuvre ou appliquent le droit de l’Union européenne, alors que les actes des institutions de l’Union européenne elles-mêmes ne sont pas soumis au même contrôle juridictionnel externe. Cette situation est d’autant plus problématique que des compétences de plus en plus larges sont transférées à l’Union européenne. Il est donc plus difficile d’accepter que les institutions de l’Union européenne soient les seules autorités publiques et le seul «espace juridique» opérant dans les États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas soumis à un contrôle externe de la Cour. Ce déséquilibre peut entraîner une confusion et une protection juridique disparate, réelle ou supposée, au détriment des citoyens de l’Union européenne et de la protection des droits humains en Europe.
2. Se référant à ses précédentes résolutions et recommandations qui, sur plus d’une quarantaine d’années, ont appelé les Communautés européennes de l’époque puis plus tard l’Union européenne à adhérer à la Convention, y compris à ses récentes Résolution 2430 (2022) «Au-delà du Traité de Lisbonne: renforcer le partenariat stratégique entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne» et Recommandation 2245 (2023) «Le Sommet de Reykjavík du Conseil de l’Europe – Unis autour de valeurs face à des défis hors du commun», l’Assemblée parlementaire considère que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention:
2.1. renforcera la protection des droits humains en Europe en donnant aux citoyennes et citoyens de l’Union européenne et aux personnes qui relèvent de sa juridiction le droit de saisir la Cour lorsqu’ils estiment que leurs droits fondamentaux ont été violés par une institution de l’Union européenne. Ces personnes bénéficieront ainsi de la même protection vis-à-vis des actes de l’Union que celle dont elles jouissent actuellement vis-à-vis de tous les États membres de l’Union européenne;
2.2. sera l’outil idéal pour assurer le développement harmonieux de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droits humains, ce qui garantira la mise en place d’un système cohérent de protection des droits humains dans toute l’Europe, fondé sur des normes minimales communes, dans l'intérêt des pouvoirs publics, en particulier des tribunaux, dans tous les États membres;
2.3. confirmera la nature de l’Union européenne en tant qu’une Union fondée sur l’État de droit, et renforcera le principe de sécurité juridique, dans la mesure où les institutions de l’Union européenne seront soumises au même contrôle juridictionnel externe en matière de droits humains que les États membres;
2.4. résoudra les problèmes qui découlent du fait qu’à l’heure actuelle l’Union européenne ne peut pas être partie à une procédure devant la Cour dans les affaires qui mettent en jeu la mise en œuvre ou l’application du droit de l’Union européenne par les États membres, et facilitera l’exécution des arrêts de la Cour qui exigent une modification du droit de l’Union européenne;
2.5. transmettra un message politique fort d’engagement clair en faveur de la protection des droits humains et du droit international, non seulement à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, mais aussi à l’échelle européenne et mondiale, à un moment où la guerre est revenue en Europe et où les valeurs communes partagées par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont menacées. L’adhésion renforcera donc la crédibilité de l’Union européenne, de ses politiques de voisinage et de ses relations extérieures;
2.6. renforcera la synergie, la complémentarité et la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, qui est le principal partenaire institutionnel du Conseil de l’Europe, conformément à la Déclaration de Reykjavík.
3. L’Assemblée rappelle que le Traité de Lisbonne, qui est entré en vigueur le 1er décembre 2009, impose à l’Union européenne l’obligation légale d’adhérer à la Convention. Du côté du Conseil de l’Europe, le Protocole no 14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales (STCE no 194) qui est entré en vigueur en 2010, a modifié l’article 59 de la Convention pour permettre à l’Union européenne d’y adhérer. En conséquence, les négociations d’adhésion se sont ouvertes en 2010 et un projet d’accord d’adhésion a été approuvé en avril 2013. Toutefois, en décembre 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a conclu, dans son avis 2/13, que le projet d’accord d’adhésion était incompatible avec les traités de l’Union européenne, ce qui a suscité une déception et donné lieu à certaines critiques. Les négociations d’adhésion n’ont repris qu’en 2020, dans le but de surmonter les objections émises par la Cour de justice de l'Union européenne dans son avis et de réviser les projets d’instruments d’adhésion dans la mesure nécessaire.
4. L’Assemblée se réjouit vivement que le groupe de négociation ad hoc «46+1» établi sous l’égide du Comité directeur pour les droits humains (CDDH) du Conseil de l’Europe se soit provisoirement entendu, à l’unanimité, sur des projets d’instruments d’adhésion révisés en mars 2023. Il s’agit d’une réalisation collective qui témoigne d’un sens considérable du compromis de la part de toutes les parties concernées, y compris les États non membres de l’Union européenne, pour surmonter les nombreux obstacles juridiques constatés par la Cour de justice de l'Union européenne. L’Assemblée considère que l’accord provisoire conclu sur la plupart des questions (mécanisme de codéfendeur, procédure de consultation préalable, requêtes entre Parties, principe de la confiance mutuelle, avis consultatifs en vertu du Protocole no 16 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales (STCE no 214)) tient compte de la position de la Cour de justice sur les spécificités et l’autonomie du droit de l’Union européenne, tout en préservant l’intégrité et l’efficacité du système de la Convention, le rôle de la Cour dans la maîtrise ultime de ses procédures et la position des requérants individuels devant la Cour. En outre, la nouvelle règle sur les exigences de majorité au sein du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de la surveillance de l’exécution des arrêts rendus dans les affaires contre l’Union européenne protège dûment les intérêts des États non membres de l’Union européenne.
5. En ce qui concerne la disposition révisée sur l’élection des juges à la Cour (nouvel article 7 du projet d’accord d’adhésion), l’Assemblée note que les changements apportés à la version 2013 du projet d’accord ne modifient pas la substance ni l’objet de la disposition initiale, qui était de fournir un fondement à la participation du Parlement européen aux séances de l’Assemblée et aux réunions de ses organes compétents lorsque ces derniers exercent leurs fonctions en vertu de l’article 22 de la Convention. Toutefois, l’accord sur les modalités de cette participation conclu en juin 2011 entre les représentants de l’Assemblée et ceux du Parlement européen au sein d’un organe informel joint devra être mis à jour pour tenir compte des évolutions intervenues depuis, en particulier le fait que l’ancienne sous-commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme (de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme) est désormais une commission à part entière de l’Assemblée. L’accord mis à jour devra ensuite être approuvé par l’Assemblée et le Parlement européen en temps voulu, conformément à leurs propres procédures internes. L’Assemblée note également que les Lignes directrices du Comité des Ministres concernant la sélection des candidats pour le poste de juge à la Cour européenne des droits de l’homme et ses propres résolutions et pratiques sur l’élection des juges s’appliqueront à la procédure interne de l’Union européenne pour la sélection des candidats à présenter au titre de l’Union européenne. A cet égard, elle attend également de l’Union européenne qu’elle consulte dûment le Panel consultatif d’experts avant de soumettre sa liste de candidats à l’Assemblée, comme le font toutes les Parties à la Convention.
6. L’Assemblée note avec satisfaction qu’en ce qui concerne le problème du «panier 4» (actes liés à la politique étrangère et de sécurité commune), la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt rendu le 10 septembre 2024, a clarifié l’étendue de sa compétence pour ces actes. La Cour de Justice a estimé que la limitation de sa compétence dans ce domaine pouvait être conciliée tant avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial) qu’avec les articles 6 et 13 de la Convention. Cet arrêt a généralement été perçu comme une avancée positive susceptible de régler le problème de la limitation de compétence de la Cour de justice de l'Union européenne dans ce domaine et d’aider à surmonter ce qui semble être le dernier obstacle à l’adhésion. Le CDDH a salué l’arrêt comme «une voie prometteuse à explorer pour résoudre la question en suspens» et a encouragé l’Union européenne à prendre les décisions nécessaires dans les meilleurs délais. En fait, la seule façon de s’assurer que cet arrêt règle entièrement la question serait de demander à la Cour de justice de l'Union européenne un avis sur le nouveau projet d’accord d’adhésion.
7. Compte tenu de ces considérations et pour préserver la dynamique instaurée après l’accord provisoire sur des projets d’instruments d’adhésion révisés, l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de 2024, et l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, l’Assemblée:
7.1. invite les institutions de l’Union européenne, en particulier la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne, à prendre les décisions nécessaires pour faciliter la poursuite de l’avancée du processus d’adhésion de l’Union européenne, notamment en adressant sans tarder à la Cour de justice de l'Union européenne une demande d’avis sur la compatibilité des projets d’instruments d’adhésion révisés avec les traités de l’Union européenne et, en cas d’avis positif, à procéder à la conclusion de l’accord dès que possible conformément à leurs procédures internes;
7.2. invite le Parlement européen à soutenir le projet d’accord d’adhésion et à entamer les consultations avec l’Assemblée en vue de mettre à jour l’accord de 2011 sur les dispositions relatives à la participation des représentants du Parlement européen aux séances de l’Assemblée et aux réunions de ses organes compétents lorsque l’Assemblée exerce ses fonctions liées à l’élection des juges à la Cour;
7.3. appelle les États membres du Conseil de l’Europe qui sont également membres de l’Union européenne à exercer leur influence au sein des institutions de l’Union européenne pour permettre la conclusion rapide de l’accord d’adhésion et son entrée en vigueur, notamment en soumettant à la Cour de justice de l'Union européenne des observations en faveur de l’actuel projet d’accord d’adhésion dans le cadre d’une demande d’avis;
7.4. invite instamment les parlements et les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe à prendre, dans leurs domaines de compétence, toutes les mesures nécessaires pour faciliter la conclusion de l’accord d’adhésion et son entrée en vigueur, notamment en le signant et en le ratifiant conformément à leurs procédures nationales en temps voulu;
7.5. appelle les parlements et les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe, en particulier ceux qui sont également membres de l’Union européenne, ainsi que toutes les institutions de l’Union européenne, à sensibiliser les citoyennes et citoyens à la protection renforcée de leurs droits fondamentaux qui découlerait de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention;
7.6. dans cette attente, invite la Cour et la Cour de justice de l'Union européenne à entretenir et approfondir leur dialogue judiciaire bien établi afin d’éviter toute incohérence dans l’interprétation de la Convention qui porterait atteinte à la protection des droits fondamentaux, en faisant preuve de respect mutuel, en renvoyant à leurs jurisprudences réciproques et en harmonisant leurs positions dans la mesure du possible.

B. Exposé des motifs par M. Titus Corlăţean, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport repose sur une proposition de résolution déposée par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme le 16 décembre 2019, puis renvoyée par l’Assemblée parlementaire devant cette commission le 27 janvier 2020, pour rapport 
			(2) 
			Doc. 15014.. Lors de sa réunion du 29 juin 2020, la commission m’a désigné rapporteur.
2. La proposition de résolution rappelait que, en 2013, la Commission européenne, au nom de l’Union européenne (UE), et les négociateurs des 47 États membres du Conseil de l’Europe avaient conclu un projet d’accord d’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»; «l’accord d’adhésion»). En 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé dans son avis 2/13 que certains éléments du projet d’accord n’étaient pas compatibles avec le droit de l’UE. En 2019, le Président et le Vice-Président de la Commission européenne ont écrit à la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe pour l’informer que l’UE était prête à reprendre les négociations.
3. La proposition de résolution précisait par ailleurs que l’adhésion de l’UE à la Convention nécessiterait d’apporter des modifications techniques au mécanisme de contrôle de la Convention (procédures devant la Cour européenne des droits de l'homme («la Cour») et le Comité des Ministres) et aurait des implications pour l’Assemblée, notamment dans son rôle d’élection des juges à la Cour. En conséquence, la proposition de résolution appelait l’Assemblée à «suivre la reprise des négociations et préparer un rapport sur leurs aspects juridiques, en vue de prendre les décisions nécessaires conformément aux compétences que lui confèrent le Statut du Conseil de l’Europe et la Convention».
4. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a organisé une audition en novembre 2021 à laquelle ont participé Mme Tonje Meinich, présidente du groupe de négociation ad hoc du Comité directeur pour les droits humains (CDDH) sur l’adhésion («47+1»), M. Juan Fernando Lopez Aguilar, président de la commission des libertés civiles du Parlement européen, et M. Giuliano Pisapia, vice-président de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen. En mars 2023, elle a tenu un échange de vues avec Mme Meinich, qui l’a informée des négociations et de l’accord provisoire sur les projets d’instruments d’adhésion conclu au sein du groupe «46+1».

2. Origines et historique de la proposition

5. On peut considérer que l’idée que l’UE devrait adhérer à la Convention trouve son origine dans l’arrêt de 1970 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE – devenue la Cour de justice de l’Union européenne), selon laquelle «le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect. La sauvegarde de ces droits, tout en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres, doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la Communauté» 
			(3) 
			Internationale
Handelsgesellschaft mbH v. Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide
und Futtermittel, Affaire 11/70, Arrêt de la CJCE du
17 décembre 1970.. Dans un arrêt de 1974, la CJCE a réaffirmé que «les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont [elle] assure le respect» et s’est inspirée des «traditions constitutionnelles communes aux États membres» et des «instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré» – dont la Convention est probablement le plus important – pour définir le contenu de ces droits 
			(4) 
			J. Nold, Kohlen- und Baustoffgroßhandlung c. Commission
des Communautés européennes, Affaire 4-73, Arrêt de la CJCE
du 14 mai 1974. L’«importance particulière» de la Convention à cet
égard a été expressément reconnue par la CJCE dans son arrêt du
18 juin 1991, rendu dans l’affaire C-260/89, Elliniki
Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou
c. Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos
Avdellas et autres..
6. Sur le plan politique, on estime que le processus d’adhésion a pour point de départ le mémorandum de la Commission européenne de 1979 
			(5) 
			Voir «L’adhésion
de l’Union européenne/la Communauté européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme», commentaires de Pieter van Dijk pour la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme, 20 août
2007.. Ce mémorandum découlait de la crise juridictionnelle provoquée au sein des Communautés européennes (CE) par l’insistance de la Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht) à conserver le droit de contrôler la compatibilité du droit communautaire avec les droits fondamentaux garantis par la Constitution allemande, puisque le droit communautaire ne contenait aucune liste codifiée de droits 
			(6) 
			Arrêt
«Solange I» du Bundesverfassungsgericht, BVerfGE 37, 271 2 BvL 52/71,
29 mai 1974. Dans son arrêt «Solange II» de 1986, le Bundesverfassungsgericht
a estimé que le droit communautaire garantissait désormais une protection
effective des droits qui pouvait être considérée comme «substantiellement
comparable» à celle qu’exige la Constitution allemande, et qu’il
n’était donc plus tenu de contrôler lui-même la compatibilité du
droit communautaire avec les droits fondamentaux: BVerfGE 73, 339,
22 octobre 1986..
7. Dans son mémorandum de 1979, la Commission européenne a implicitement reconnu la force de l’argument du Bundesverfassungsgericht, observant que «la Communauté européenne a, de plus en plus, des relations juridiques directes avec les particuliers. Son activité ne concerne plus seulement un certain nombre de catégories économiques […] mais encore chaque citoyen. Il n’est dès lors pas étonnant de voir s’exprimer aujourd’hui l’exigence que les compétences reconnues à la Communauté soient contrebalancées par son assujettissement formel à des droits fondamentaux clairs et bien définis. La Commission est d’avis que la meilleure façon de répondre à la nécessité du renforcement de la protection des droits fondamentaux au niveau communautaire consiste, au stade actuel, à ce que la Communauté adhère formellement à [la Convention]. […] [Cela] semble souhaitable pour toute une série de raisons. Aucune des difficultés qui sont apparues dans ce contexte ne paraît insurmontable.» 
			(7) 
			«Adhésion des Communautés
européennes à la Convention européenne des droits de l’homme», Mémorandum
de la Commission, Bulletin des Communautés européennes, Supplément 2/79. Toutefois, en raison de l’opposition de certains États membres des CE, dont la France et le Royaume-Uni, le mémorandum de la Commission n’a pas été «sérieusement examiné» 
			(8) 
			«L’avis 2/13 de la
Cour de justice sur l’adhésion de l’Union à la CEDH et après?»,
Jean-Paul Jacqué, étude réalisée pour le Parlement européen, 2016..
8. Malgré cela, l’importance des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire n’a cessé de croître au cours des années qui ont suivi. La mention du respect des droits humains a commencé à apparaître dans les traités applicables, à commencer par le préambule de l’Acte unique européen de 1986. Le Traité sur l’Union européenne (TUE) de 1992 est même allé plus loin, puisqu’il énonce dans son article F(2) que «[l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire». Ces avancées n’ont cependant pas établi la Convention comme un instrument qui faisait partie intégrante du droit de l’UE, liant les institutions européennes et appliquée par la CJUE.
9. En 1994, le Conseil de l’Union européenne a demandé à la CJCE si l’adhésion de la CE à la Convention serait compatible avec le Traité instituant la Communauté européenne (TCE). Cette demande faisait suite à la publication d’autres documents de la Commission qui plaidaient en faveur de l’adhésion 
			(9) 
			Cette demande a également
coïncidé avec la finalisation par le Conseil de l’Europe du Protocole
no 11 à la Convention de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (STE no 155),
qui a établi la Cour unique et permanente à compétence obligatoire –
une étape clé dans le développement du système de la Convention.. La CJCE est toutefois parvenue à la conclusion que les implications institutionnelles de l’adhésion seraient telles qu’elles dépasseraient le champ d’application des dispositions du TCE, qui aurait pu fournir un fondement juridique à l’adhésion, et qu’elle «ne pourrait [donc] être opérée qu’après modification du traité» 
			(10) 
			«Adhésion de la Communauté
à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales», avis 2/94 de la CJCE, 28 mars 1996..
10. Une modification du traité n’étant pas envisagée dans l’immédiat, une autre approche a été adoptée pour renforcer le respect des droits humains par l’UE, à savoir l’élaboration d’un catalogue interne des droits protégés. Cette décision a donné lieu à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne («la Charte»), qui a été proclamée solennellement par le Parlement européen, le Conseil des ministres de l’UE et la Commission européenne le 7 décembre 2000. La Charte était initialement dépourvue de caractère juridique contraignant, mais sa valeur politique a progressivement amené la CJCE à la considérer comme une autre source «d’inspiration» pour les droits fondamentaux exécutoires en vertu du droit de l’UE.
11. Il convient de noter que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte indique que lorsque les droits reconnus par la Charte correspondent à des droits garantis par la Convention, leur sens et leur portée doivent être les mêmes que ceux des droits de la Convention. L’article 53 de la Charte précise en outre qu’aucune disposition de la Charte ne saurait limiter ou porter atteinte aux droits et aux libertés reconnus, entre autres, par la Convention. Toutefois, cela ne signifie pas que les différents organes sont toujours d’accord sur leur interprétation des dispositions correspondantes des deux instruments: la Cour peut interpréter d’une manière un droit consacré par la Convention, tandis que la CJUE peut interpréter d’une autre manière la disposition correspondante de la Charte, même si le contenu des deux dispositions devrait être identique.

3. Les arguments pour l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme

12. Au fil des ans, plusieurs arguments pour et contre l’adhésion de l’UE à la Convention ont été avancés. Leur pertinence a changé avec le temps, notamment en raison de l’évolution des compétences de l’UE et des systèmes nationaux de protection des droits humains.
13. Parmi les principaux éléments en faveur de l’adhésion de l’UE à la Convention figurent les arguments suivants 
			(11) 
			Je ne cite pas ici
l’argument invoqué par la Commission européenne dans son mémorandum
de 1979, selon lequel l’adhésion à la Convention doterait les CE
d’un catalogue de droits contraignants, puisque cette question a
été résolue lorsque le traité de Lisbonne a rendu la Charte des
droits fondamentaux de l’UE contraignante en 2009. Comme l’a écrit Johan
Callewaert à propos de l’adhésion de l’UE à la Convention, «d’alternative
qu’elle était à un catalogue des droits fondamentaux de l’Union
européenne, l’adhésion en est devenue le complément. En cela, la
situation de l’Union européenne se rapproche de celle des États,
dont la plupart ont leur propre catalogue de droits fondamentaux, généralement
inscrits dans la Constitution, en plus d’être Parties contractantes
à la Convention» (Callewaert, «L’adhésion de l’Union européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme», Conseil de l’Europe,
2014).:
  • la Convention est contraignante pour tous les États membres de l’UE, puisqu’ils sont également membres du Conseil de l’Europe, mais pas pour les institutions de l’UE auxquelles ils ont transféré des compétences importantes qui étaient auparavant exercées par les autorités nationales. L’exercice de ces compétences par les institutions de l’UE peut avoir une incidence sur la jouissance des droits individuels par les personnes relevant de la juridiction des États membres de l’UE. Le transfert de ces compétences à l’UE complique l’attribution de la responsabilité des violations des droits résultant de leur exercice et vient ainsi restreindre la compétence ratione materiae de la Cour et la disponibilité des recours pour ces violations. L’adhésion de l’UE à la Convention permettrait de combler cette lacune;
  • la CJUE affirme le respect des droits humains dans sa jurisprudence, en se fondant désormais sur la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Toutefois, la CJUE étant la dernière instance de l’ordre juridique de l’UE, il n’existe aucun mécanisme permettant de garantir que son interprétation des droits fondamentaux ne diverge pas de celle de la Cour. L’adhésion donnerait à la Cour cette autorité d’interprétation définitive;
  • l’adhésion de l’UE à la Convention garantirait ainsi une interprétation et une application cohérentes des normes communes en matière de droits humains par tous les organismes publics exerçant une autorité au niveau national dans les États membres du Conseil de l’Europe;
  • l’UE exige depuis longtemps que ses États membres, y compris ceux qui ont adhéré en 2004, 2007 et 2013, soient parties à la Convention. Elle plaide aussi fortement en faveur des droits humains dans les pays tiers, qu’il s’agisse d’États membres du Conseil de l’Europe situés en dehors de l’UE ou d’autres, partout dans le monde. Sa crédibilité et son influence en tant que défenseure des droits humains seraient renforcées si elle soumettait ses propres actes à l’égard des particuliers à un contrôle juridictionnel externe.
14. De nombreux arguments contre l’adhésion de l’UE tiennent au fait que la Convention a été conçue pour être appliquée par des États, or la CE/l’UE n’est pas un État et n’a pas le même statut en vertu du droit international, pas les mêmes pouvoirs ni le même dispositif institutionnel. D’aucuns ont fait valoir que, la CE/l’UE n’étant pas un État, la pertinence de nombreux droits de la Convention serait, au mieux, limitée. D’autres ont rappelé que la Convention ne protégeait pas directement les droits socio-économiques, ce qui, compte tenu de la nature des activités de la CE/l’UE, était un point très important. Ces arguments ont beaucoup perdu de leur force avec l’élargissement progressif des compétences de l’UE. Par exemple, dans les années 1970 et 1980, l’idée que la CE puisse être tenue responsable de violations de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants aurait pu sembler fantaisiste. Pourtant, depuis 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants surveille les vols opérés par l’agence de l’UE Frontex, qui renvoient les migrants dans leurs pays d’origine. L’UE a également participé à de nombreuses opérations militaires et de sécurité en dehors du territoire de ses États membres, dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune. Certes, l’UE n’est pas un État, mais elle exerce tout un éventail d’attributions qui lui ont été transférées par ses États membres, dont beaucoup peuvent avoir une incidence sur la jouissance des droits et libertés individuels. En lien avec le fait que la CE/UE n’est pas un État, la question de sa capacité à adhérer à un traité tel que la Convention a été réglée par le traité de Lisbonne de 2007, qui a modifié le traité sur l’Union européenne pour y inclure une disposition stipulant que «[l’]Union a la personnalité juridique».
15. L’Assemblée est convaincue depuis longtemps de l’importance de l’adhésion de l’UE à la Convention et elle a adopté des textes répondant à la plupart, sinon à la totalité, des arguments pour et contre cette adhésion. Dans sa Résolution 745 (1981) «Adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des droits de l’homme», l’Assemblée a estimé que «la convention, quoique en vigueur dans tous les États membres des Communautés européennes, ne s’applique pas institutionnellement aux organes des Communautés européennes et à leurs actes juridiques», considérant que «cette situation est contraire aux intentions des promoteurs et de [la Convention] et des traités créant les Communautés européennes». Elle a noté que l’adhésion «éliminerait le risque d’interprétations divergentes de [la Convention]», tout en créant «un lien important entre les Communautés européennes et les États membres du Conseil de l’Europe dans le domaine particulier des droits de l’homme et des libertés fondamentales». Sur ces fondements, elle a appelé les Communautés européennes de l’époque à présenter dans un avenir proche une demande officielle d’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme. Depuis, l’Assemblée a réitéré son appel à l’adhésion de l’UE à de nombreuses reprises 
			(12) 
			Voir entre autres la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=24212'>Recommandation 2114 (2017)</a> «Défendre l’acquis du Conseil de l’Europe: préserver
le succès de 65 ans de coopération intergouvernementale», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=21592'>Résolution 2041
(2015)</a> «Les institutions européennes et les droits de l’homme
en Europe», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=21500'>Résolution 2029
(2015)</a> «La mise en œuvre du Mémorandum d’accord entre le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=18031'>Résolution 1836
(2011)</a> «L’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de l’Europe», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=17641'>Recommandation 1834
(2008)</a> «Adhésion de l’Union européenne/Communauté européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=17129'>Résolution 1339
(2003)</a> «Le Conseil de l’Europe et la Convention sur l’avenir
de l’Europe», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=16841'>Résolution 1228
(2000)</a> «Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne»,
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=17191'>Recommandation 1365
(1998)</a> «Relations avec l’Union européenne» (suite du Sommet
d’Amsterdam de l’Union européenne), la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=16479'>Résolution 1068
(1995)</a> «Adhésion de la Communauté européenne à la Convention
européenne des droits de l’homme» et la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=15051'>Recommandation 1017
(1985)</a> «Avenir de la coopération européenne – Premier rapport
de la Commission d’éminentes personnalités européennes (Commission
Colombo)». Dans la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=27606'>Résolution 2273
(2019)</a> «Création d’un mécanisme de l’Union européenne pour
la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux», l’Assemblée
a appelé l’UE à «reprendre le processus de négociation en vue de
son adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme afin
d’assurer la convergence des normes relatives aux droits de l’homme
dans l’ensemble de l’Europe»; et dans la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=27662'>Résolution 2277
(2019)</a> «Rôle et mission de l’Assemblée parlementaire: principaux
défis pour l’avenir», elle a estimé que la «promotion de l’adhésion
de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
devrait rester au premier plan de son dialogue politique avec les
différentes institutions de l’Union européenne, car elle aboutira
à un espace juridique commun pour la protection des droits humains
sur l’ensemble du continent, dans l’intérêt de tous les Européens».
Plus récemment, dans sa Résolution 2430
(2022) «Au-delà du Traité de Lisbonne: renforcer le partenariat
stratégique entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne»,
l’Assemblée s’est félicitée de la reprise, en 2020, des négociations
sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme et a noté avec satisfaction que la poursuite
de ce processus était une priorité pour l’Union européenne et le Conseil
de l’Europe. L’Assemblée a réaffirmé sa conviction que «l’adhésion
contribuera à garantir l’homogénéité et la cohérence entre le droit
de l’Union européenne et le système de la Convention, et qu’elle
conduira à un espace juridique unique dans lequel l’Union européenne
sera également soumise à la Convention européenne des droits de
l’homme». Dans sa Recommandation 2245 (2023) «Le Sommet de Reykjavík du Conseil de l’Europe – Unis
autour de valeurs face à des défis hors du commun», l’Assemblée
a appelé le 4e Sommet à donner «une impulsion
décisive à la finalisation des négociations d’adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme». De
l’avis de l’Assemblée, l’Union européenne devrait également être
invitée «à devenir partie à d’autres instruments du Conseil de l’Europe,
notamment la Charte sociale européenne révisée (STE no 163),
la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»)
et l’accord partiel et élargi établissant le Groupe d’États contre
la corruption»..

4. Le fondement juridique de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme

16. Deux obstacles ont dû être levés pour rendre possible l’adhésion de l’UE à la Convention. Conformément à l’avis de la CJCE de 1996, la révision nécessaire du TUE a été entreprise par le biais du Traité de Lisbonne de 2007. La modification de la Convention s’imposait également, puisque seuls pouvaient y adhérer les États membres du Conseil de l’Europe – ce que l’UE n’était pas et n’avait pas l’intention de devenir 
			(13) 
			Cela dit, en 2006,
le Premier ministre du Luxembourg (qui allait devenir président
de la Commission européenne) Jean-Claude Juncker avait plaidé en
faveur de l’adhésion de l’UE au Conseil de l’Europe. Juncker, «Conseil
de l’Europe – Union européenne: une même ambition pour le continent
européen», Rapport à l’attention des chefs d’État et de gouvernement
des États membres du Conseil de l’Europe, 11 avril 2006.. Le Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention (STCE n° 194) a donc modifié l’article 59 de la Convention, en y ajoutant une disposition qui précise simplement que «[l]’Union européenne peut adhérer à la présente Convention».
17. En ce qui concerne le TUE, la situation est plus complexe. L’article 6(2) dispose que «[l]’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les Traités». Cette disposition est complétée par le Protocole no 8, dont l’article 1 indique que tout accord d’adhésion «doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union, notamment en ce qui concerne: a) les modalités particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la Convention européenne; b) les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l’Union, selon le cas». En outre, l’article 2 du Protocole no 8 précise que tout accord d’adhésion «doit garantir que l’adhésion de l’Union n’affecte ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions» et qu’«aucune de ses dispositions n’affecte la situation particulière des États membres à l’égard de la Convention européenne, et notamment de ses protocoles, des mesures prises par les États membres par dérogation à la Convention européenne, conformément à son article 15, et des réserves à la Convention européenne formulées par les États membres conformément à son article 57». Il convient de noter que l’article 6, paragraphe 2, établit l’obligation juridique de l’UE d’adhérer à la Convention («l’Union adhère»).
18. Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009 et le Protocole no 14 à la Convention le 1er juin 2010 (après sa ratification par le dernier État partie en février 2010).

5. Les négociations de 2010-2013 sur l’adhésion

19. Le 26 mai 2010, le Comité des Ministres a chargé le Comité directeur pour les droits humains (CDDH) d’élaborer, en coopération avec la Commission européenne, un accord d’adhésion de l’UE à la Convention. Le 4 juin 2010, les ministres de la justice de l’UE ont donné à la Commission européenne mandat de mener les négociations au nom de l’UE. Le CDDH a d’abord créé le CDDH-UE, un groupe de travail ad hoc composé de représentants de 7 États membres de l’UE, de 7 États non membres, et 1 représentant de la Commission européenne. Ce groupe s’est réuni à huit reprises entre juillet 2010 et juin 2011. En octobre 2011, le CDDH a soumis au Comité des Ministres le rapport élaboré par le CDDH-UE.
20. Après avoir étudié les implications de ce rapport, le Comité des Ministres a chargé le CDDH de poursuivre ses travaux dans un cadre «47+1», avec des représentants de tous les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’un représentant de la Commission européenne. Le groupe 47+1 s’est réuni à cinq reprises avant de finaliser un ensemble d’instruments juridiques établissant les modalités d’adhésion de l’UE à la Convention 
			(14) 
			Voir
doc. 47+1(2013)008rev2, 10 juin 2013. Voir aussi la <a href='https://www.coe.int/fr/web/human-rights-intergovernmental-cooperation/accession-of-the-european-union-to-the-european-convention-on-human-rights'>page
web du groupe «46+1»</a>.. Cet ensemble de textes contenait un projet d’accord d’adhésion, un projet de déclaration de l’Union européenne sur le mécanisme de codéfendeur (voir ci-dessous), un projet de règle à ajouter aux Règles du Comité des Ministres pour la surveillance de l’exécution des arrêts et des termes des règlements amiables dans les affaires auxquelles l’Union européenne est partie, un projet de mémorandum d’accord entre l’Union européenne et x [État non-membre de l’Union européenne] et un projet de rapport explicatif à l’Accord d’adhésion. Dans son rapport final, le groupe 47+1 a précisé que tous ces textes étaient «également nécessaires pour l’adhésion de l’UE à la Convention».
21. Cet ensemble de textes relatifs à l’adhésion était particulièrement attentifs aux dispositions du Protocole no 8 relatives à l’article 6, paragraphe 2, du TUE. Il contenait les principales propositions suivantes:
  • diverses modifications de la Convention (certaines terminologiques, d’autres sur le fond) visant à intégrer le fait que l’UE n’est pas un État doté d’un territoire souverain;
  • le mécanisme de codéfendeur, en vertu duquel l’UE pourrait participer à égalité aux procédures engagées contre un ou plusieurs de ses États membres, et vice versa. Conformément au rapport explicatif, «[c]e mécanisme est considéré comme nécessaire pour tenir compte de la situation spécifique de l’UE, en tant qu’entité non étatique avec un ordre juridique autonome, qui adhère à la Convention aux côtés de ses États membres. […] Avec l’adhésion de l’UE, une situation unique pour le système de la Convention pourrait se créer, dans laquelle un acte juridique est adopté par une Haute Partie contractante et mis en œuvre par une autre.» Cette disposition respecte l’article 1 du Protocole no 8, qui entend «garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l’Union, selon le cas»;
  • parallèlement au mécanisme de codéfendeur, la mise en place d’une «procédure de consultation préalable» pour les situations dans lesquelles une affaire impliquant le droit de l’UE serait soumise à la Cour sans qu’aucune juridiction nationale n’ait demandé de décision préjudicielle à la CJUE 
			(15) 
			On supposait que ce
type d’affaires surviendraient rarement, puisque les tribunaux nationaux
sont obligés de demander une décision préjudicielle en vertu de
l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).. Cela permettrait à la CJUE d’examiner la compatibilité des dispositions pertinentes du droit de l’UE avec les droits en cause, et donc de fournir une interprétation de ce droit sur laquelle la Cour pourrait se fonder ultérieurement. Cette disposition respecte l’article 2 du Protocole no 8, qui exige que «l’adhésion de l’Union n’affecte ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions»;
  • l’exclusion de la CJUE du champ d’application de l’article 35, paragraphe 2(b), de la Convention, qui interdit à la Cour d’examiner des affaires précédemment soumises à d’autres instances internationales, et de celui de l’article 55, qui interdit aux Hautes Parties contractantes de soumettre les affaires concernant l’interprétation ou l’application de la Convention à d’autres modes de règlement internationaux;
  • l’habilitation d’une délégation du Parlement européen à participer à l’élection des juges à la Cour par l’Assemblée, selon des modalités à définir par l’Assemblée en coopération avec le Parlement européen 
			(16) 
			L’«organe informel
joint» de l’Assemblée et du Parlement européen est parvenu à un
accord provisoire sur ces modalités lors de sa réunion du 15 juin
2011. Voir doc. AS/Bur/AH(2011)04, 17 juin 2011. Cet accord devra
être approuvé par l’Assemblée et le Parlement européen avant son
entrée en vigueur.;
  • une disposition spéciale relative à la surveillance par le Comité des Ministres de l’exécution des arrêts de la Cour, pour écarter l’éventualité d’un effet de distorsion qui verrait les États membres contraints, en vertu du droit de l’UE, de coordonner leurs votes dans les affaires où l’UE est défenderesse ou co-défenderesse.
22. En outre, l’UE elle-même devrait définir les dispositions internes supplémentaires pour appliquer certaines des procédures établies, et ne serait pas en mesure de signer l’accord d’adhésion tant que ces règles ne seraient pas adoptées. La signature de l’UE nécessiterait également la ratification préalable des États membres de l’UE et l’approbation du Parlement européen. Le Comité des ministres devrait demander l’avis de l’Assemblée sur le projet d’accord d’adhésion avant son adoption, après quoi celui-ci devrait être ratifié par tous les États parties à la Convention. Toutefois, avant d’entamer ce processus, la Commission européenne s’est engagée à demander d’abord l’avis de la CJUE sur l’ensemble de textes relatifs à l’adhésion au titre de l’article 218(11) du TFUE.

6. L’avis de la Cour de justice de l’Union européenne

23. En décembre 2014, la CJUE a publié son avis sur le projet d’accord d’adhésion. Elle concluait que «[l]’accord portant adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas compatible avec l’article 6, paragraphe 2, TUE ni avec le protocole (no 8) relatif à l’article 6, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne. La CJUE s’est montrée critique au point d’y être hostile. Cette position était tout à fait inattendue, sachant que la CJUE avait été indirectement impliquée dans le processus de négociation et que l’avocate générale, dont le point de vue est très souvent suivi par la CJUE, avait estimé que l’accord, sous réserve de certaines clarifications et interprétations, était compatible avec les traités de l’UE 
			(17) 
			«Procédure
d’avis 2/13, prise de position de l’avocate générale Mme Juliane
Kokott», 13 juin 2014..
24. Dans un document présenté au groupe 47+1, la Commission européenne a regroupé les objections de la CJUE dans quatre «paniers» 
			(18) 
			Voir le rapport de
la réunion en ligne du groupe 47+1 du 22 juin 2020, doc. 47+1(2020)Rinf,
Annexe VI.:
  • les questions relatives aux mécanismes spécifiques à l’UE de la procédure devant la Cour, où la CJUE a considéré que la Cour pourrait être amenée à interpréter de manière accessoire des dispositions du droit de l’UE. Plus précisément, le mécanisme de codéfendeur exigerait de la Cour qu’elle détermine si une violation alléguée met effectivement en cause la compatibilité d’une disposition du droit de l’UE avec les droits de la Convention, ce qui impliquerait une interprétation du droit de l’UE, et éventuellement qu’elle se prononce sur la répartition interne des compétences entre les institutions de l’UE et ses États membres; et la procédure de consultation préalable imposerait à la Cour d’évaluer si la CJEU a examiné cette compatibilité, ce qui nécessiterait une interprétation de la jurisprudence de la CJUE ;
  • les questions relatives aux requêtes entre Parties (actuellement requêtes «interétatiques»), en vertu de l’article 33 de la Convention, et les demandes d’avis consultatif adressées à la Cour par les tribunaux nationaux, en vertu du Protocole no 16 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE no 214). Selon le droit de l’UE, la CJUE a compétence exclusive pour statuer sur le respect des droits fondamentaux dans les litiges entre les institutions de l’UE et les États membres, ou entre les États membres de l’UE, lorsque ces litiges portent sur des actes des institutions ou des situations dans lesquelles les États membres de l’UE mettent en œuvre le droit de l’UE. Les tribunaux des États membres de l’UE sont également tenus d’effectuer des renvois préjudiciels à la CJUE lorsque l’interprétation d’une disposition du droit de l’UE est requise pour statuer dans une affaire. Les procédures entre Parties et d’avis consultatif pourraient permettre à de tels litiges ou questions d’être portés devant la Cour sans que la CJUE ne les ait examinés ;
  • la question liée au principe de «confiance mutuelle» entre les États membres de l’UE, qui est décrit comme revêtant «une importance constitutionnelle pour l’UE, dans la mesure où il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures». Ce principe repose sur l’existence d’une présomption de la part de chaque État membre de l’UE que tous les autres États membres de l’UE respectent les droits fondamentaux 
			(19) 
			La
jurisprudence de la Cour et celle de la CJUE ont connu une certaine
divergence sur la question de savoir si et comment cette présomption
pouvait être levée. Bien que cette divergence ait eu tendance à
se réduire au fil des arrêts successifs, elle révèle une différence
d’approche importante: la Cour assure la protection des droits individuels
en vertu de la Convention, tandis que la CJUE assure également l’application
d’autres principes du droit de l’UE. ;
  • la question relative à la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. La plupart des mesures prises dans le cadre de cette politique relèvent de la compétence des seules juridictions internes des États membres de l’UE et échappent à la compétence de la CJUE. La CJUE a considéré que la Cour, en sa qualité de juridiction internationale, ne pouvait être compétente en la matière, puisque la CJUE elle-même était encore en train de préciser la portée de sa propre compétence.
25. En outre, la CJUE était préoccupée par le fait que les États membres de l’UE pourraient s’appuyer sur l’article 53 de la Convention – qui permet aux Hautes Parties contractantes d’établir en droit interne des normes plus exigeantes que celles prévues par la Convention – pour contourner sa propre jurisprudence selon laquelle les États membres de l’UE ne peuvent pas établir de normes en matière de droits humains plus exigeantes que celles de la Charte (cette restriction étant nécessaire pour assurer l’uniformité du droit de l’UE entre ses États membres). La CJUE a également estimé que le mécanisme de codéfendeur ne garantissait pas suffisamment le respect des réserves émises par les États membres de l’UE à l’égard de la Convention, ce qui est contraire à l’article 2 du Protocole no 8 
			(20) 
			Il est intéressant
de noter que la Commission européenne n’a pas soulevé ces questions
dans sa présentation au groupe 47+1, mais il est possible qu’elle
les ait abordées dans le document (confidentiel) qu’elle a soumis
au groupe (doc. 47+1(2020)1)..
26. L’avis 2/13 a immédiatement fait l’objet de critiques souvent sévères. Un expert a même affirmé que «loin de renforcer la protection des droits de l’homme dans l’ordre juridique de l’UE, l’adhésion de l’UE à la CEDH, aux conditions sur lesquelles la CJUE insiste, la diminuerait de manière significative, car l’UE serait contrainte de veiller à se prémunir contre de nombreux recours relatifs aux droits de l’homme qui pourraient être déposés à son encontre. […] Nous avons désormais le devoir moral de rejeter l’adhésion de l’UE à la CEDH» 
			(21) 
			«The
CJEU and the EU’s accession to the ECHR: a clear and present danger
to human rights protection», Steve Peers, blog EU Law Analysis,
18 décembre 2014.. De façon moins dramatique, le Conseiller juridique du Conseil de l’Europe a affirmé que «[s]i vous prenez toutes les objections de la CJCE au pied de la lettre et que vous essayez de les surmonter une à une par des amendements formels au projet d’accord d’adhésion, il existe un risque réel que, par conséquent, la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme sur les actes juridiques de l’UE soit plus restreinte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Une telle solution non seulement saperait l’objectif global de l’adhésion, mais serait également inacceptable pour les États non membres de l’UE (ENMU)» 
			(22) 
			«Adhésion de l’UE à
la CEDH: comment réussir la quadrature du cercle?», Jörg Polakiewicz,
présentation au comité de l’UE FREMPO/COHOM, 9 mars 2020.. Le président de la Cour européenne de l’époque, Dean Spielmann, a également réagi quelques semaines après le prononcé de l’avis: «Disons-le clairement: la déception qui a été la nôtre à la lecture de cet avis est à la mesure de l’attente que nous en avions. Une espérance très largement partagée en Europe. […] L’adhésion de l’Union à la Convention est d’abord un projet politique et il appartiendra à l’Union européenne et à ses États membres d’apporter la réponse que l’avis de la Cour de justice rend nécessaire» 
			(23) 
			Audience solennelle
de rentrée de la Cour européenne des droits de l’homme, Discourt
du Président Spielmann, 2015..

7. La reprise des négociations et les projets d’instruments d’adhésion révisés (2020-2023)

27. En octobre 2019, le Président et le Premier Vice-Président de la Commission européenne ont écrit à la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe pour l’informer que l’UE était prête à reprendre les négociations sur son adhésion à la Convention. Leur lettre précisait que l’objectif de l’UE dans ces négociations était de réviser l’ensemble de textes relatifs à l’adhésion, uniquement dans la mesure strictement nécessaire pour aborder les questions soulevées dans l’avis 2/13 de la CJUE. En janvier 2020, le Comité des Ministres a demandé au CDDH, par l’intermédiaire du groupe 47+1, de reprendre les négociations avec la Commission européenne et de finaliser de manière prioritaire les instruments de l’adhésion, sur la base des travaux déjà menés.
28. Il est regrettable que le Comité des Ministres, lorsqu’il a adopté le mandat ad hoc du groupe 47+1 en 2010, n’ait pas jugé bon d’associer l’Assemblée à ses travaux, malgré le rôle important qu’elle a joué dans la rédaction même de la Convention, ainsi que sa participation au comité d’origine du groupe 47+1, le CDDH, et sa contribution constructive à la rédaction de nombreux autres traités et instruments du Conseil de l’Europe. Je sais cependant que le secrétariat de l’Assemblée a été consulté sur la nouvelle formulation de l’article 7 du projet d’accord d’adhésion, qui régit l’élection des juges par l’Assemblée.
29. Les négociations ont repris lors d’une réunion informelle du groupe 46+1 qui s’est déroulée en ligne en juin 2020 et qui a été suivie de 13 autres réunions 
			(24) 
			46+1 (au lieu de 47+1)
suite à l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe
en mars 2022.. Le groupe a examiné les questions soulevées par l’avis 2/13 et regroupées dans les quatre paniers mentionnés ci-dessus (voir paragraphe 24). Il a également examiné la question du lien entre l’article 53 de la Convention et l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ainsi que les questions relatives aux différentes dispositions du projet d’accord d’adhésion.
30. Lors de la réunion qu’il a tenue en mars 2023, le groupe 46+1 est parvenu à un accord provisoire unanime sur les solutions à apporter aux questions soulevées par les paniers 1, 2 et 3, en lien avec les articles 6, 7 et 8 du projet d’accord d’adhésion de 2013, et en lien avec l’article 53 de la Convention. Le groupe a estimé que cet accord satisfaisait aux principes généraux sur lesquels il s’était mis d’accord, à savoir la préservation de l’égalité des droits de tous les individus en vertu de la Convention, les droits des requérants dans les procédures de la Convention et l’égalité de toutes les Hautes Parties contractantes. Il a estimé également que le mécanisme de contrôle actuel de la Convention serait préservé et, dans la mesure du possible, appliqué à l’UE de la même manière qu’aux autres Hautes Parties contractantes. Le représentant de l’UE a informé le groupe de l’intention de l’UE de résoudre le problème concernant le panier 4 (l’exclusion de la compétence de la CJUE pour les actes de l’UE relevant de la politique étrangère et de la sécurité commune en interne. Le groupe a noté qu’il serait nécessaire que toutes les parties aux négociations soient informées de la manière dont cette question a été résolue et l’examinent avant de pouvoir donner leur accord final à l’ensemble des accords d’adhésion 
			(25) 
			Groupe de négociation ad hoc du CDDH («46+1») sur l’adhésion
de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme,
rapport au CDDH, 30 mars 2023, <a href='https://rm.coe.int/report-to-the-cddh/1680aa9816'>46+1(2023)35FINAL</a>..
31. En avril 2023, le CDDH a transmis les instruments d’adhésion révisés et le rapport du groupe 46+1 au Comité des Ministres pour information. Dans le même temps, l’UE a déclaré qu’elle tiendrait le CDDH informé de tout progrès accompli dans la résolution du problème posé par le panier 4. En mai 2023, les Délégués ont pris note du rapport intérimaire soumis par le CDDH sur les négociations relatives à l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme 
			(26) 
			Voir <a href='https://search.coe.int/cm'>CM/Del/Dec(2023)1465/4.1 (coe.int)</a>.. Ni le CDDH ni le Comité des Ministres n’ont encore formellement approuvé l’ensemble d’instruments d’adhésion révisé. Lors du sommet de Reykjavík qui s’est tenu les 16 et 17 mai 2023, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe se sont félicités de l’accord provisoire unanime sur les projets d’instruments d’adhésion révisés, «qui constitue une avancée importante dans le processus d’adhésion de l’Union européenne à la Convention» et ont exprimé leur engagement en faveur de son adoption dans les meilleurs délais.
32. Les modifications/ajouts les plus pertinents et substantiels au projet d’accord d’adhésion de 2013 peuvent être résumés comme suit 
			(27) 
			<a href='https://rm.coe.int/version-consolidee-finale-des-projets-d-instruments-d-adhesion/1680aaaece'>Doc.
46+1(2023)36</a> (toutes les modifications par rapport à 2013 sont en
caractères gras ou barrés).:
  • l’ajout d’une disposition qui précise que l’article 53 de la Convention ne doit pas être interprété comme empêchant les Hautes Parties contractantes d’appliquer conjointement un niveau commun juridiquement contraignant de protection des droits humains et des libertés fondamentales, à condition qu’il ne soit pas inférieur au niveau de protection garanti par la Convention (et, le cas échéant, ses protocoles), selon l’interprétation retenue par la Cour (nouvel article 1, paragraphe 9);
  • en ce qui concerne le mécanisme de codéfendeur, l’évaluation de la question de savoir si les conditions matérielles requises pour l’application de ce mécanisme sont réunies sera assurée par l’Union européenne elle-même, par le biais d’une déclaration motivée qui sera fournie par écrit à la Cour européenne des droits de l’homme. Selon le projet de rapport explicatif, «[l]es conclusions de l’évaluation par l’UE seront considérées comme déterminantes et faisant autorité». Il faut en effet, pour déterminer l’applicabilité du mécanisme, procéder à une évaluation des dispositions pertinentes du droit de l’UE régissant la répartition des compétences entre l’UE et ses États membres. Cette procédure s’applique tant à l’admission d’un codéfendeur qu’à la cessation du mécanisme de codéfendeur en cours de procédure. Dans son arrêt sur le fond, la Cour tiendra le défendeur et le codéfendeur conjointement responsables de toute violation constatée (voir tous les ajouts à l’article 3);
  • parallèlement au mécanisme de codéfendeur, il est possible d’engager une «procédure d’implication préalable» avec la CJUE comme dans le paquet de 2013, dans les cas où l’UE est codéfenderesse et où la CJUE n’a pas encore évalué la compatibilité de la disposition du droit de l’UE avec les droits en cause (voir article 3, paragraphe 7). Le projet de rapport explicatif ajoute que la question de savoir s’il est nécessaire d’engager la procédure d’implication préalable de la CJUE sera tranchée par l’UE elle-même, dont les conclusions seront considérées comme déterminantes et faisant autorité;
  • en ce qui concerne les requêtes entre Parties (actuellement requêtes interétatiques) déposées en vertu de l’article 33 de la Convention, une nouvelle disposition (article 4, paragraphe 3) prévoit que l’UE et ses États membres ne peuvent se prévaloir de l’article 33 de la Convention dans leurs relations mutuelles. Elle s’applique aux litiges entre les États membres de l’UE et l’UE, ainsi qu’aux litiges entre les États membres de l’UE, dans la mesure où le litige concerne l’interprétation ou l’application du droit de l’UE. L’article 4, paragraphe 4, contient une clause de sauvegarde qui donne à l’UE la possibilité de demander un délai suffisant pour évaluer si ce litige concerne l’interprétation ou l’application du droit de l’UE;
  • une nouvelle clause (nouvel article 5) exclut le recours à la procédure d’avis consultatif devant la Cour au titre du protocole no 16 lorsque le droit de l’UE exige qu’une juridiction d’un État membre de l’UE soumette une demande de décision préjudicielle à la CJUE en vertu de l’article 267 du TFUE. La clause ne s’applique que si la question soulevée relève du domaine d’application du droit de l’UE;
  • une nouvelle clause (nouvel article 6) dispose que «l’adhésion de l’UE à la Convention n’affecte pas l’application du principe de confiance mutuelle au sein de l’UE», tout en ajoutant que «[d]ans ce contexte, la protection des droits humains garantis par la Convention doit être assurée». Cette clause montre que la jurisprudence de la Cour et celle de la CJUE convergent de plus en plus au sujet de l’importance des mécanismes de reconnaissance mutuelle au sein de l’UE et leurs limites, une tendance qui est rappelée dans le projet de rapport explicatif.
33. La plupart de ces changements ont été apportés pour surmonter les obstacles soulevés par la CJUE dans son avis 2/13. J’estime que l’Assemblée devrait souscrire à ces amendements, car ils sont une solution et un compromis appropriés, qui visent à préserver tant les caractéristiques spécifiques du droit de l’UE que celles de l’UE en sa qualité d’organisation supranationale, ainsi que l’intégrité et l’efficacité du système de la Convention 
			(28) 
			Voir aussi Jörg Polakiewicz
et Irene Suominen-Picht, «<a href='https://www.europeanpapers.eu/en/system/files/pdf_version/EP_eJ_2024_2_14_SS2_7_Jörg_Polakiewicz_Irene_Suominen-Picht_00780.pdf'>A
Council of Europe perspective on the European Union’s accession
to the European Convention on Human Rights»</a>, European Papers, Vol.
9, 2024, no 2; voir, pour une vue d’ensemble
du projet d’accord d’adhésion révisé et du processus de négociation,
Tonje Meinich, <a href='https://www.europeanpapers.eu/en/e-journal/from-opinion-2-13-to-2023-draft-accession-agreement-chair-perspective'>«From
Opinion 2/2013 to the 2023 Draft Accession Agreement: the Chair’s
Perspective»</a> et Felix Ronkes Agerbeek, «<a href='https://www.europeanpapers.eu/en/e-journal/eu-accession-european-convention-human-rights-new-hope'>EU
Accession to the European Convention on Human Rights: A New Hope</a>», European Papers, Vol.
9, 2024, no 2.. Cela ne préjuge évidemment pas de la position que l’Assemblée exprimera dans son futur avis sur le texte final du projet d’accord d’adhésion (lorsqu’elle sera saisie par le Comité des Ministres), même s’il serait souhaitable que l’Assemblée soutienne également le texte final par souci de cohérence.
34. Deux autres questions importantes ont été abordées dans le projet d’accord d’adhésion révisé. L’une concerne la participation de l’UE aux réunions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (article 8). La seconde concerne l’élection des juges par l’Assemblée (article 7). En ce qui concerne la première question, le nouvel article 8 précise que les règles de majorité prévues par le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) et l’article 46 de la Convention ne s’appliquent pas dans les cas où le Comité des Ministres surveille le respect des obligations par l’UE ou par l’UE et un ou plusieurs de ses États membres. Dans de tels cas, les règles de majorité applicables sont énoncées dans un nouvel article à ajouter aux Règles du Comité des Ministres (article 18), qui fait partie du paquet relatif à l’adhésion. Il s’agit de donner effet au principe selon lequel le vote coordonné de l’UE et de ses États membres ne peut porter atteinte à l’exercice effectif par le Comité des Ministres de ses fonctions de surveillance au titre de l’article 46 de la Convention. Selon Jörg Polakiewicz et Irene Suominen-Picht, les dispositions plutôt complexes du projet d’accord d’adhésion révisé sur cette question particulière «établissent un juste équilibre entre les exigences de sécurité juridique, d’efficacité et de protection des intérêts des États non membres de l’UE» 
			(29) 
			Jörg Polakiewicz et
Irene Suominen-Picht, ibid.,
p. 742..
35. La question de l’élection des juges, qui est la plus pertinente pour l’Assemblée, est régie par le nouvel article 7 du projet d’accord d’adhésion. La disposition de 2013 se lisait comme suit:
«1. Une délégation du Parlement européen a le droit de participer, avec droit de vote, aux séances de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe lorsque l’Assemblée exerce ses fonctions relatives à l’élection des juges conformément à l’article 22 de la Convention. La délégation du Parlement européen a le même nombre de représentants que la délégation de l’État qui a le nombre le plus élevé de représentants conformément à l’article 26 du Statut du Conseil de l’Europe.
2. Les modalités de participation des représentants du Parlement européen aux séances de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et de ses organes pertinents sont définies par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en coopération avec le Parlement européen.»
36. Le nouvel article 7 convenu se lit comme suit (modifications en caractères gras):
«1. Lorsque l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe exerce ses fonctions conformément à l’article 22 de la Convention, qui sont limitées à l’élection des juges, une délégation du Parlement européen a le droit de participer, avec droit de vote, aux séances de l’Assemblée. La délégation du Parlement européen a le même nombre de représentants que la délégation de l’État qui a le nombre le plus élevé de représentants conformément à l’article 26 du Statut du Conseil de l’Europe.
2. Les modalités de participation des représentants du Parlement européen aux séances de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et de ses organes pertinents sont définies par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en coopération avec le Parlement européen, conformément aux dispositions du présent Accord
37. On constate que les changements sont plutôt minimes et ne modifient pas la substance et l’objet de la disposition initiale. Le Secrétariat de l’Assemblée a confirmé au groupe 46+1 que cette formulation était acceptable (sans préjudice des pouvoirs décisionnels de l’Assemblée elle-même) et permettrait à l’Assemblée et au Parlement européen de poursuivre une coopération normale sur d’autres questions. Elle fournirait également une base pour réviser et mettre à jour l’accord sur les modalités de la participation du Parlement européen à l’élection des juges qui a été conclu entre les deux organes en 2011 (au sein de l’organe informel joint établi par les deux organes) 
			(30) 
			Le groupe avait précédemment
examiné d’autres formulations («chaque fois que» ou «uniquement
lorsque») pour décrire le droit d’une délégation du Parlement européen
de participer aux séances de l’Assemblée. Tous les participants avaient
convenu que cette disposition ne devait pas empêcher une éventuelle
participation future du Parlement européen aux activités de l’Assemblée
au-delà de l’élection des juges de la Cour, qui était la seule question
visée par le projet d’accord d’adhésion.. Cet accord prévoit que le Parlement européen sera habilité à participer à l’Assemblée avec le même nombre de représentants que les États ayant le nombre le plus élevé de représentants, soit 18 actuellement. Le Parlement européen aura droit, «le cas échéant», à quatre sièges lorsqu’il participera à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Un représentant du Parlement européen ayant le droit de vote pourra participer aux réunions pertinentes du Bureau de l’Assemblée, «chaque fois qu’une élection de juges est à l’ordre du jour». Le Parlement européen disposera également d’un siège avec droit de vote au sein de l’ancienne sous-commission sur l’élection des juges de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme «lorsque la sous-commission [...] soumet des recommandations confidentielles à l’Assemblée plénière pour que celle-ci fasse un choix éclairé lorsqu’elle élit des juges». Cet accord informel nécessiterait désormais au moins deux mises à jour: premièrement, la sous-commission est désormais une commission à part entière de l’Assemblée et, deuxièmement, ses recommandations à l’Assemblée plénière ne sont plus confidentielles. La question se pose également de savoir si le Parlement européen devrait continuer à être représenté au sein de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, puisque la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme est désormais totalement indépendante de cette commission. Il existe cependant des situations dans lesquelles sa présence pourrait être nécessaire, par exemple lorsque la commission des questions juridiques et des droits de l'homme traite de l’exécution des arrêts de la Cour dans des cas où l’UE est partie défenderesse ou codéfenderesse (par exemple dans le cadre des rapports biennaux sur la mise en œuvre des arrêts que la commission prépare pour l’Assemblée). Cette configuration dépasse toutefois le cadre strict de l’article 7 du projet d’accord d’adhésion, car elle ne concerne pas l’élection des juges par l’Assemblée en vertu de l’article 22 de la Convention. Toutes les modalités de participation devront être renégociées avec le Parlement européen et insérées dans le Règlement de l’Assemblée. Elles devront également être prises en compte dans les dispositions internes du Parlement européen conformément à ses procédures.
38. Un autre aspect de l’élection des juges mérite d’être pris en compte: la procédure interne de sélection des candidats à soumettre à l’Assemblée au titre de l’UE. Si l’article 7 n’aborde pas cette question, le projet de rapport explicatif précise que les règles internes de l’UE définiront les modalités de sélection de la liste des candidats et que ces règles internes seront en conformité avec les modalités définies par les instruments pertinents adoptés au sein du Conseil de l’Europe, en particulier la résolution du Comité des Ministres sur la création d’un panel consultatif d’experts et ses Lignes directrices sur la sélection des candidats au poste de juge à la Cour. La Direction du Conseil juridique et du Droit international public (DLAPIL) du Conseil de l’Europe a signalé à juste titre au groupe «46+1» que les lignes directrices sont suffisamment larges pour que toutes les exigences particulières éventuelles de l’UE soient satisfaites et que la consultation avec le panel devrait également être acceptable pour l’UE 
			(31) 
			<a href='https://rm.coe.int/cddh-46-1-2022-24-en/1680a7bf8a'>https://rm.coe.int/cddh-46-1-2022-24-fr/1680a7c580</a>.. Jörg Polakiewicz et Irene Suominen-Picht sont d'avis que le principe d'égalité des parties aurait pu être davantage renforcé en ajoutant dans le projet d'accord d'adhésion une clause disposant d'une manière générale que ces instruments du Conseil de l'Europe (adressés en principe uniquement aux États membres) seront contraignants pour l'UE. Il importe par conséquent de rappeler et d’indiquer expressément (dans la future résolution de l’Assemblée associée au présent rapport comme dans le futur avis sur le projet d’accord d’adhésion, sous forme d’éventuelle proposition de modification) que les règles internes de l’UE relatives à la sélection des candidats doivent être conformes à tout futur instrument adopté par le Comité des Ministres sur ce sujet, ainsi qu’aux résolutions et pratiques de l’Assemblée en matière d’élection des juges. Si le projet d’accord d’adhésion (article 8, paragraphe 3) prévoit expressément l’obligation pour le Comité des Ministres de consulter l’UE avant l’adoption de tout nouvel instrument de ce type, l’Assemblée pourrait également mettre en place une procédure de consultation préalable similaire avec le Parlement européen pour l’adoption de nouvelles règles et résolutions sur l’élection des juges à la Cour ou les procédures de sélection nationales. En tout état de cause, la présence d’un membre du PE avec droit de vote au sein de la commission sur l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme, non seulement lors de la formulation des recommandations relatives aux listes spécifiques de candidates et candidats, mais aussi lors de l’examen des rapports généraux sur l’élection des juges (qui peuvent contenir des propositions de modification de la procédure et des dispositions), pourrait également être considérée comme suffisante pour prendre dûment en compte la position de l’UE.

8. Le problème à résoudre concernant le panier 4: les actes de l’Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune

39. Le problème du panier 4 tient à la compétence limitée de la CJEU sur les actes de l’UE en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sur la base des traités de l’UE 
			(32) 
			Voir article
24, paragraphe 1, du TUE et article 275 du TFUE. Voir aussi <a href='https://rm.coe.int/non-paper-basket-4-003-/1680a170ab'>https://rm.coe.int/non-paper-basket-4-003-/1680a170ab</a> (en anglais).. Dans son avis 2/13, la CJUE a déclaré que «la Cour EDH serait habilitée à se prononcer sur la conformité avec la CEDH de certains actes, actions ou omissions intervenus dans le cadre de la PESC et, notamment, de ceux pour lesquels la Cour n’est pas compétente pour contrôler leur légalité au regard des droits fondamentaux»; elle a rappelé que «la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d’actes, d’actions ou d’omissions de l’Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union» (paragraphes 254 et 256).
40. Au cours des négociations, l’UE a proposé un système assorti d’une clause dite de réattribution qui permettrait à l’UE d’attribuer la responsabilité d’un acte PESC de l’UE à un ou plusieurs États membres si un tel acte était exclu de la compétence de la CJUE 
			(33) 
			<a href='https://rm.coe.int/cddh-47-1-2021-r9-en/1680a1f302'>https://rm.coe.int/cddh-47-1-2021-r9-en/1680a1f302.</a>. La proposition a été critiquée. La Commission européenne avait également proposé de résoudre cette question par une déclaration interprétative du Traité de Lisbonne étendant la compétence de la CJUE au domaine de la PESC. Or en mars 2023, le Sénat français a adopté une résolution contre cette proposition et a invité le Gouvernement français à respecter cette position dans les négociations internes de l’UE 
			(34) 
			<a href='https://www.senat.fr/leg/tas22-067.html'>Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (senat.fr)</a>, 7 mars 2023: «Relève qu’une telle déclaration serait
contraire aux traités qui ont été ratifiés par les États membres
conformément à leurs règles constitutionnelles respectives et qu’elle
s’apparenterait de fait à une révision des traités, soustraite au
contrôle des parlements nationaux, selon des modalités qui ne sont
pas prévues à l’article 48 du traité sur l’Union européenne, ce
qui constituerait une violation des règles de l’État de droit;».. Il a estimé qu’une telle déclaration interprétative modifierait les traités de l’UE, violerait l’État de droit et créerait un dangereux précédent. Certains sénateurs français ont également estimé que l’attribution à la CJUE d’une compétence en matière de PESC ne serait pas politiquement souhaitable, car elle pourrait entraver la liberté d’action de l’exécutif de l’UE dans ce domaine et avoir des conséquences opérationnelles sur le choix des États membres de participer à certaines opérations menées au titre de la PESC 
			(35) 
			Voir <a href='https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221017/europ.html'>Commission
des affaires européennes: compte rendu du 17 octobre 2022 (senat.fr)</a>..
41. En juin 2024, le CDDH a été informé par le représentant de l’UE de l’évolution des travaux de l’UE sur le problème du panier 4. Les États membres de l’UE et la Commission européenne attendaient que la CJUE rende son jugement dans deux affaires sur les droits fondamentaux et la PESC (KS et KD c. Conseil et autres et Commission c. KS et autres (affaires jointes C-29/22 P et C-44/22 P)). Dans ces affaires, l’avocate générale Tamara Capeta avait rendu un avis (le 23 novembre 2023) susceptible de faciliter la résolution du problème. Dans son avis, l’avocate générale a estimé que les dispositions pertinentes des traités de l’UE «devraient être interprété[e]s en ce sens qu’[elles] ne limitent pas la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’une action en indemnité intentée par des particuliers sur le fondement d’une prétendue violation des droits fondamentaux par tout type de mesure relevant de la PESC. Une telle interprétation ressort des principes constitutionnels de l’ordre juridique de l’Union, principalement l’État de droit, qui comprend le droit à une protection juridictionnelle effective, et le principe imposant le respect des droits fondamentaux dans toutes les politiques de l’Union. Le rôle constitutionnel des juridictions de l’Union qui découle de ces principes ne peut être limité qu’à titre exceptionnel. [...] En effet, la violation des droits fondamentaux ne peut être un choix politique au sein de l’Union, et les juridictions de l’Union doivent être compétentes pour veiller à ce que les décisions de la PESC ne franchissent pas les ‘lignes rouges’ imposées par les droits fondamentaux» 
			(36) 
			<a href='https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=280078&doclang=EN'>CURIA –
Documents (europa.eu)</a>, paragraphes 154-155. Ces affaires concernent une action
en dommages-intérêts intentée par deux personnes qui reprochaient
à Eulex Kosovo de ne pas avoir mené une enquête en bonne et due
forme sur les meurtres et les disparitions de leurs proches à la
suite du conflit du Kosovo*. [*Toute référence au Kosovo, que ce soit
le territoire, les institutions ou la population, doit se comprendre
en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité
des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo]. Voir également
ses conclusions rendues dans l’affaire C-351/22 (<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/TXT/?uri=CELEX:62022CC0351'>EUR-Lex –
62022CC0351 – EN – EUR-Lex (europa.eu)</a>), Neves 77, qui
concerne une demande de décision préjudicielle dans le cadre de
mesures restrictives adoptées en raison des actions de la Fédération
de Russie en Ukraine: et l’arrêt rendu dans cette affaire le 10 septembre
2024 (<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A62022CJ0351'>EUR-Lex –
62022CJ0351– EN – EUR-Lex</a>).. L’avocate générale a explicitement inscrit ces questions dans le contexte plus large de la reprise des négociations sur l’adhésion de l’UE à la CEDH. Il convient de noter que l’avis de l’avocate générale coïncide en partie avec la position exprimée par la Commission européenne devant la CJUE, soutenue par les Gouvernements autrichien, belge, finlandais, luxembourgeois, néerlandais, roumain et suédois, tandis que la position opposée (incompétence) est défendue par le Conseil et le Gouvernement français.
42. Lors de la réunion du CDDH de juin 2024, le représentant de l’UE a indiqué que si la CJUE suivait intégralement l’avis de son avocate générale, l’UE discuterait d’abord du résultat au sein du Conseil de l’UE et avec les États non-membres de l’UE, et pourrait ensuite demander l’avis de la CJUE sur le paquet d’instruments d’adhésion révisé. Si la CJUE ne suivait pas entièrement l’avis de l’avocate générale, l’UE s’efforcerait de poursuivre ses travaux avec ce résultat. Dans l’hypothèse où elle se montrerait très négative dans ses arrêts et qu’un changement de traité semblerait nécessaire pour résoudre le problème du panier 4, la situation serait très différente.
43. Le 10 septembre 2024, la CJUE a rendu son arrêt très attendu dans les affaires jointes KS et KD c. Conseil et autres et Commission c. KS et autres (Mission «État de droit» menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo). La Grande chambre a clarifié l’étendue de la limitation de compétence des juridictions de l’UE en matière de PESC sur la base des traités. Elle a estimé que cette limitation de compétence peut être conciliée tant avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (droit à un recours effectif et à un procès équitable) qu’avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon cette interprétation, fondée notamment sur le droit à un recours effectif et les principes de l’État de droit, les juridictions de l’UE sont compétentes pour apprécier la légalité des actes ou omissions qui relèvent de la PESC et ne sont pas directement liés à des choix politiques ou stratégiques, ou pour les interpréter. En revanche, la CJUE n’est pas compétente pour apprécier la légalité ou interpréter des actes ou des omissions directement rattachés à la conduite, à la définition ou à la mise en œuvre de la PESC, et notamment de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), à savoir, en particulier, l’identification des intérêts stratégiques de l’UE ainsi que la définition tant des actions à mener et des positions à prendre par l’UE que des orientations générales de la PESC. Appliquant cette distinction aux affaires en cause, la CJUE a considéré que les juridictions de l’UE étaient compétentes pour connaître des décisions prises par «Eulex Kosovo» quant au choix du personnel adéquat ou à la mise en place de mesures de contrôle ou de voies de recours (qualifiées de «gestion quotidienne» ou «administrative» de la mission), ainsi que sur l’absence alléguée d’adoption de mesures correctives ou de contrôle effectives dans les affaires en question, mais pas sur des questions telles que les ressources mises à la disposition de la mission et la décision de révoquer son mandat exécutif, dont la CJUE a considéré qu’elles étaient directement liées à des choix politiques ou stratégiques 
			(37) 
			<a href='https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=289924&pageIndex=0&doclang=en&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=148718'>CURIA
– Documents.</a>.
44. Dans son raisonnement, la CJUE a cité la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et rappelé que les articles 6 et 13 de la Convention ne sont pas absolus et permettent certaines limitations. En particulier, elle a observé que la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé qu’il ne lui appartenait pas de s’immiscer dans l’équilibre institutionnel entre le pouvoir exécutif et les juridictions nationales, par exemple dans le cadre d’une limitation de compétence des juridictions nationales à l’égard d’actes non détachables de la conduite des relations internationales d’un État 
			(38) 
			Cour européenne
des droits de l’homme, H.F. et autres
c. France, 14 septembre 2022, paragraphe 281.. Il convient par ailleurs de noter que la CJUE a rejeté les arguments (certains avancés par la Commission) selon lesquels les juridictions de l’UE devraient être compétentes au seul motif que les actes ou omissions en question portent atteinte aux droits fondamentaux d’un particulier, ou sur la base d’une interprétation à la lumière de la première phrase de l’article 6, paragraphe 2, du TUE (obligation pour l’UE d’adhérer à la CEDH) 
			(39) 
			Voir les paragraphes 73
et 82 de l’arrêt. La CJUE a rappelé que l’adhésion de l’UE à la
CEDH n’affecte ni les compétences de l’Union ni les attributions
de ses institutions; dès lors, l’interprétation de l’article 6,
paragraphe 2, du TUE ne saurait avoir pour effet d’étendre la compétence
de la CJUE en matière de PESC..
45. Bien que l’arrêt de la CJUE ne suive pas entièrement la position adoptée par l’avocate générale et la Commission 
			(40) 
			Voir <a href='https://www.europeanlawblog.eu/pub/edrqzitg/release/2'>«The
Final Episode of a (Never-Ending) Series? CFSP Damages Claims and
the ECHR Accession», European Law Blog</a>; <a href='https://www.europeanlawblog.eu/pub/kwd8041a/release/2'>«An
EU external relations political question doctrine that suffers no
human rights exception: Joined cases C-29/22 P and C-44/22 P KS
and KD on the Court’s jurisdiction in CFSP matters», European Law
Blog</a>, où Areg Navasartian Havani soutient que l’arrêt ne
garantira pas la sécurité juridique, car il donne peu d’indications
sur les critères permettant de déterminer ce qui constitue un «choix
politique ou stratégique». L’auteur considère par ailleurs que l’arrêt
ne répond pas à la question fondamentale soulevée par les requérants,
les États membres intervenants et l’avocate générale de savoir si
une violation des droits humains peut constituer un choix politique
ou stratégique et donc être exclue de la compétence de la CJUE., il a généralement été perçu comme une avancée positive susceptible de régler le problème du panier 4 et de permettre à l’adhésion de l’UE à la Convention de suivre son cours 
			(41) 
			Voir «EU Accession
to the European Convention on Human Rights. An EU Law Scholars’
Perspective», coordonné par Federico Casolari, Weekend Edition Nº211
by Eu Law Live, 13 décembre 2024. Voir aussi Felix Ronkes Agerbeek, «<a href='https://www.europeanpapers.eu/en/e-journal/eu-accession-european-convention-human-rights-new-hope'>EU
Accession to the European Convention on Human Rights: A New Hope</a>», European Papers, Vol.
9, 2024, no 2.. Lors de la dernière réunion du CDDH qui s’est tenue du 25 au 29 novembre 2024, le représentant de la Commission européenne a, au nom de l’UE, informé le Comité du prononcé de l’arrêt et de ses conséquences possibles. Il a expliqué que la seule façon de s’assurer que cet arrêt règle entièrement le problème posé par le panier 4 consisterait à demander à la CJUE d’émettre un avis sur le projet d’accord d’adhésion révisé. La Commission européenne est disposée à franchir cette étape, sous réserve de la décision du nouveau collège des commissaires, et travaille également sur les règles internes qui seront nécessaires à la mise en œuvre de l’accord d’adhésion, une fois qu’il sera entré en vigueur 
			(42) 
			Dans
la lettre de mission adressée au nouveau commissaire chargé de la
démocratie, de la justice, de l’État de droit et de la protection
des consommateurs, Michael McGrath, la présidente Von der Leyen
confie au nouveau commissaire le soin de faire avancer et de conclure
l’adhésion de l’UE à la Convention, dans le cadre du renforcement
de l’État de droit: <a href='https://commission.europa.eu/about/organisation/college-commissioners/michael-mcgrath_en'>Michael
McGrath – European Commission</a>.. Ces dispositions régiront probablement la question de la participation de l’UE aux procédures devant la Cour et au Comité des Ministres lorsqu’il surveille l’exécution des arrêts de la Cour. Le représentant de la Commission a présenté une éventuelle séquence d’événements qui pourrait comprendre, comme première étape, la soumission en temps opportun d’une proposition au nouveau collège des commissaires, suivie d’une demande d’avis à la CJUE, puis d’un processus permettant à tous les États membres de l’UE de soumettre des observations à la CJUE, et s’achèverait par le rendu de l’avis entre 18 et 24 mois après la demande. Il a rappelé que toute institution de l’UE ou tout État membre était habilité à soumettre une demande d’avis à la CJUE, mais qu’il était entendu que la Commission européenne le ferait pour le projet d’accord d’adhésion révisé. Il a ajouté que «la Commission européenne ne souhaite pas se précipiter, mais se dit être plutôt confiante du résultat». Le CDDH a répondu en qualifiant l’arrêt rendu par la CJUE de «voie prometteuse à explorer pour résoudre la question en suspens». Sur cette base, il a encouragé l’UE «à prendre les décisions nécessaires dans les meilleurs délais, rappelant l’engagement de tous les États membres du Conseil de l’Europe en faveur de l’adoption rapide de l’accord d’adhésion, tel qu’il a été exprimé dans la Déclaration de Reykjavík» 
			(43) 
			<a href='https://rm.coe.int/steering-committee-for-human-rights-cddh-meeting-report-101st-meeting-/1680b2cb4d'>https://rm.coe.int/steering-committee-for-human-rights-cddh-meeting-report-101st-meeting-/1680b2cb4d</a>..

9. Conclusions

46. Il a fallu bien plus de 40 ans pour que l’idée d’une adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme progresse jusqu’à son niveau actuel de concrétisation. Si certains des arguments initiaux en faveur de l’adhésion ne sont plus valables, d’autres le sont toujours, et certains des arguments contre l’adhésion ont été renversés à la lumière des évolutions. Pour résumer la situation actuelle, force est de constater que, contrairement aux États membres de l’UE, les institutions de cette dernière ne sont soumises à aucun contrôle juridictionnel externe de leur respect des droits fondamentaux. Dans le même temps, la portée et l’incidence potentielle de leurs activités se sont étendues à des domaines extrêmement sensibles des droits humains, ce qui n’a fait qu’accroître le risque de voir la CJUE élaborer une jurisprudence incompatible avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme. L’accord conclu en 2013 sur un ensemble d’instruments destinés à permettre l’adhésion de l’UE à la Convention a donc été reçu très favorablement.
47. L’avis 2/13 de la Cour de justice de l'Union européenne a surpris et déçu les partisans de l’adhésion de l’UE à la Convention. Il est néanmoins encourageant de constater que les négociations ont fini par reprendre et que toutes les parties – les États membres du Conseil de l’Europe d’une part, et l’UE et la Commission européenne d’autre part – sont parvenues à un accord provisoire unanime sur presque toutes les questions soulevées par l’avis 2/13. Cela montre que toutes les parties concernées ont été suffisamment créatives pour trouver un compromis acceptable et qu’elles restent déterminées à faire de l’adhésion de l’UE à la Convention, qui est une obligation en vertu du TUE, une réalité. Il reste néanmoins une question à résoudre au sein de l’UE, celle de l’étendue de la compétence des juridictions de l’UE dans le domaine de la PESC. J’ai tendance à penser que l’arrêt «Eulex Kosovo» du 10 septembre 2024 clarifie cette question en ce sens que la CJUE définit les affaires de PESC qui relèvent de sa compétence et, ce faisant, considère que le système de protection juridictionnelle de l’UE dans ce domaine est conforme aux normes de la Convention, en particulier à ses articles 6 et 13. Cette décision peut donc être interprétée comme indiquant que la compétence limitée dans le domaine de la PESC ne constitue plus, aux yeux de la CJUE, un obstacle à l’adhésion.
48. Pour préserver la dynamique actuelle après l’arrêt Eulex Kosovo et le début du mandat de la nouvelle Commission européenne, l’Assemblée devrait inviter la Commission et l’ensemble des institutions de l’UE à prendre les décisions nécessaires, notamment en adressant sans délai à la CJUE une demande d’avis sur la compatibilité de l’instrument d’adhésion révisé avec les Traités de l’UE en vertu de l’article 218(11) du TFUE. Même si, comme l’a indiqué le représentant de l’UE auprès du CDDH, il pourrait s’écouler entre 18 et 24 mois en moyenne avant que la CJUE ne rende son avis, cette première étape permettrait de déclencher les procédures pertinentes au sein de l’UE et du Conseil de l’Europe en vue de l’approbation finale, de l’adoption et de la signature de l’accord d’adhésion. Conformément à l’article 218, paragraphe 6, du TFUE, le Parlement européen doit approuver l’accord d’adhésion (à la majorité des deux tiers) avant que le Conseil de l’UE puisse adopter la décision de conclusion de l’accord. Cette décision du Conseil doit être prise à l’unanimité et elle n’entrera en vigueur qu’après que les États membres de l’UE l’auront approuvée conformément à leurs dispositions constitutionnelles respectives (article 218(8) du TFUE). Au sein du Conseil de l’Europe, une fois l’avis de la CJUE rendu et une fois l’accord final soumis, le Comité des ministres devra à son tour saisir l’Assemblée d’une demande d’avis statutaire sur le projet d’accord d’adhésion avant son adoption et son ouverture à la signature. Bien qu’à un certain moment des négociations il ait été évoqué l’idée que le Comité des Ministres utilise aussi l’article 47 de la Convention pour demander à la Cour européenne des droits de l’homme elle-même de donner son avis sur le projet d’accord d’adhésion, je doute que l’article 47 fournisse le fondement juridique adéquat pour un tel avis. L’article 47 de la Convention n’a pas été conçu pour conférer à la Cour une compétence consultative sur les propositions d’amendements à la Convention, mais sur «des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses protocoles» (article 47, paragraphe 1) 
			(44) 
			Par exemple, sur des
points de procédure relatifs à l’élection des juges et à la procédure
suivie par le Comité des Ministres lors du contrôle de l’exécution
des arrêts, et à l’exclusion des questions qui pourraient découler
d’une procédure contentieuse devant la Cour (voir Avis consultatif
sur certaines questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées
en vue de l’élection des juges de la Cour européenne des droits
de l’homme (no 2), 22 janvier 2010, paragraphe 29).. En tout état de cause, l’ensemble du processus risque de prendre encore quelques années avant l’entrée en vigueur, car il nécessitera également la ratification de l’accord par tous les États membres du Conseil de l’Europe et les États parties à la Convention.
49. La Convention européenne des droits de l’homme a été décrite à juste titre comme un «instrument constitutionnel de l’ordre public européen», fondamental pour la protection des droits humains et essentiel pour la coopération juridique dans de nombreux domaines. L’Assemblée n’a pas seulement été le moteur de la rédaction initiale de la Convention, elle a aussi été un défenseur convaincu du système au fil des décennies, contribuant de façon essentielle à son bon fonctionnement (y compris, mais pas seulement, en élisant les juges à la Cour) sans jamais cesser de plaider en faveur de l’adhésion de l’UE. Le moment est venu pour l’Assemblée d’adresser à nouveau un message politique fort à toutes les parties prenantes concernées et d’appeler à l’action, afin de maintenir la dynamique de l’adhésion de l’UE instaurée après le sommet de Reykjavík et les élections européennes de 2024 et d’éviter tout retard supplémentaire. L’Assemblée devrait également appeler tous les États membres qui sont aussi membres de l’UE à soutenir l’accord d’adhésion devant la CJUE et au sein des institutions de l’UE; et tous les États membres à soutenir l’accord au sein du Comité des Ministres et à le ratifier en temps voulu conformément à leurs procédures nationales. Entre-temps, elle devrait inviter la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l'Union européenne à entretenir et à approfondir leur dialogue judiciaire bien établi afin d’éviter tout conflit dans l’interprétation de la Convention et la protection des droits fondamentaux.