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A. Projet de
résolution
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B. Projet de recommandation
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C. Exposé des motifs
par M. Constantinos Efstathiou, rapporteur
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Rapport | Doc. 16134 | 19 mars 2025
Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
A. Projet de
résolution 
(open)1. L'année 2025 marquera le 75e anniversaire
de l'adoption de la Convention européenne des droits de l'homme
(STE n° 5, «la Convention»). L'Assemblée parlementaire célèbre l'histoire
et l'impact extraordinaire du système établi par cet instrument
unique. La Convention et la Cour européenne des droits de l'homme
(«la Cour») ont contribué à promouvoir la paix sur le continent,
ce qui a valu à la Cour le Prix de la paix de Dresde en janvier
2025. La Convention et la Cour ont également contribué à consolider
la démocratie et l'État de droit sur notre continent et à créer
un vaste espace juridique dans lequel toute personne peut être protégée
contre les violations des droits humains et obtenir réparation en
cas de violation de ces droits. À ce jour, elles représentent le
système supranational le plus avancé au monde en matière de protection
des droits humains.
2. L'Assemblée rappelle l'obligation faite sans équivoque aux
États parties à la Convention d'exécuter les arrêts de la Cour en
temps utile et de manière effective. Elle souligne en outre que
les États parties sont tenus de se conformer aux mesures provisoires
indiquées par la Cour, car elles sont essentielles pour garantir
une mise en œuvre effective des arrêts.
3. Dans la Déclaration de Reykjavík adoptée lors du 4e Sommet
des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe (16-17
mai 2023), les États ont souligné l'importance fondamentale de l'exécution
des arrêts de la Cour. Ils ont réaffirmé leur attachement indéfectible
au système de la Convention, sont convenus de redoubler d'efforts
pour assurer une exécution complète, efficace et rapide des arrêts
de la Cour, et ont défini une série de mesures spécifiques pour
permettre d’y parvenir. Les chefs d'État et de gouvernement, rappelant
qu'il incombe aussi aux parlements nationaux de se conformer aux
arrêts de la Cour, ont invité le Président de l'Assemblée à renforcer
le dialogue politique avec les interlocuteurs nationaux dans ce
domaine.
4. L'Assemblée se félicite des engagements pris lors du Sommet
de Reykjavík, ainsi que du travail considérable accompli à ce jour
pour mettre en œuvre les mesures demandées par les chefs d'État
et de gouvernement.
5. Bien que la grande majorité des arrêts de la Cour soient exécutés,
l'Assemblée s'inquiète du fait que certains États ne remédient pas
aux causes profondes des violations des droits humains relevées
dans certains arrêts, comme en témoignent les affaires en cours
d'exécution qui ont été classées par le Comité des Ministres comme
des «affaires de référence». Les affaires de référence mettent généralement
en lumière un problème plus général de violation des droits humains
qui touche de nombreuses personnes. Si des réformes ne sont pas
mises en œuvre pour exécuter ces arrêts, le problème de fond peut
persister et causer un préjudice à un plus grand nombre de personnes.
La non-exécution de ces arrêts peut également entraîner des requêtes répétitives
devant la Cour, ce qui alourdit sa charge de travail et nuit à l’efficience
et à l'efficacité de l'ensemble du système de la Convention. L’examen
du nombre total d’affaires en attente d’exécution pour un État n’est que
d’une utilité limitée pour appréhender le respect par cet État de
la Convention et de la jurisprudence de la Cour, car le nombre de
ces affaires peut souvent être réduit simplement par le versement
d’une satisfaction équitable. Le nombre et le type d’affaires de
référence en attente d’exécution sont un indicateur important, car ces
derniers ne peuvent souvent être exécutés qu’en prenant les mesures
générales nécessaires pour résoudre les problèmes sous-jacents en
matière de droits humains.
6. Neuf États comptent plus de 40 affaires de référence en attente
d'exécution: l'Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Hongrie, l'Italie, la
République de Moldova, la Pologne, la Roumanie, la Türkiye et l'Ukraine.
Ces États comptent également le plus grand nombre d'affaires de
référence en attente d'exécution depuis plus de cinq ans, ce qui
indique que les questions relatives aux droits humains ne sont pas
réglées dans un délai raisonnable. L'Assemblée exhorte ces pays
en particulier à prendre des mesures d'urgence pour améliorer systématiquement
leur exécution des arrêts de la Cour.
7. L'Assemblée est consciente que la situation en Ukraine est
complexe par rapport à d'autres pays en raison de la guerre d'agression
russe et que l'exécution des arrêts de la Cour se heurte à des difficultés particulières
en raison de cette guerre. L'Assemblée se félicite du fait que,
même dans ces circonstances difficiles, les autorités ukrainiennes,
sont restées fermes, ont confirmé et continuent à démontrer leur engagement
à respecter pleinement la Convention et à prendre un certain nombre
de mesures pour résoudre les problèmes structurels relevés par la
Cour.
8. Les «Principes de Reykjavík pour la démocratie» énoncés à
l'annexe III de la Déclaration de Reykjavík de 2023 réaffirment
que la démocratie est le «seul moyen de garantir que chaque personne
puisse vivre dans une société pacifique, prospère et libre». Les
États membres du Conseil de l'Europe ont décidé d'éviter «le recul
de la démocratie sur [le continent européen] et d'y résister». L'un
des principaux moyens d'y parvenir est l'exécution des arrêts de
la Cour, notamment ceux qui concernent la protection de la liberté
d'expression, de la liberté de réunion, de la liberté d'association,
du droit à des élections libres et équitables et de l'indépendance du
pouvoir judiciaire, ainsi que les arrêts qui mettent en évidence
une restriction abusive des droits et libertés constitutive d'une
violation de l'article 18 de la Convention. L'Assemblée exhorte
les États parties à la Convention à exécuter ces arrêts en priorité.
9. L'Assemblée juge absolument inadmissible que l'affaire Kavala c. Turquie, qui a fait l'objet
d'une procédure en manquement en vertu de l'article 46, paragraphe
4, de la Convention, n'ait pas encore été exécutée et que M. Kavala
soit toujours emprisonné. L'Assemblée rappelle sa Résolution 2518 (2023) «Appel à la libération immédiate d'Osman Kavala», notamment
sa conclusion selon laquelle l'affaire mérite l'ouverture de la
procédure complémentaire conjointe prévue dans la Résolution 2319 (2020) «Procédure complémentaire conjointe entre le Comité
des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave
par un État membre de ses obligations statutaires». Elle réitère
son appel lancé à la Türkiye pour qu'elle libère immédiatement M. Kavala,
conformément à ses obligations au titre de la Convention et du Statut
du Conseil de l'Europe (STE n° 1).
10. L'exécution des affaires interétatiques et des affaires qui
présentent des caractéristiques interétatiques est également un
sujet de préoccupation considérable. L'Assemblée appelle les États
parties actuels et anciens à la Convention qui font l'objet de ces
arrêts à respecter leurs obligations internationales. L'Assemblée appelle
en outre les États membres et les autres parties prenantes du système
de la Convention à faire la démonstration de la volonté politique
et de l’engagement nécessaires pour faire progresser l'exécution
de ces affaires.
11. Afin de renforcer d'urgence l'exécution des arrêts de la Cour,
l'Assemblée appelle les États parties à la Convention à mettre en
œuvre les mesures énoncées au paragraphe 7 de la Résolution 2494(2023).
12. En particulier, l'Assemblée exhorte les États parties à la
Convention à veiller à ce que des mécanismes nationaux de coordination
efficaces soient mis en place et qu'ils disposent d'une autorité
et de ressources suffisantes, ainsi que de la participation de l'ensemble
du gouvernement, pour permettre l'exécution rapide et efficace des
arrêts de la Cour. Le Conseil de l'Europe a mené une étude sur plusieurs
pays afin de recenser les bonnes pratiques qui permettent de disposer
d'une capacité nationale d'exécution rapide des arrêts et décisions
de la Cour (dans le cadre du projet «Soutien à une capacité nationale
efficace pour l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme»). L'Assemblée exhorte les États parties à utiliser les conclusions
de cette étude pour apporter les modifications nécessaires à leurs
propres dispositions nationales, afin de garantir l'exécution complète
et rapide des arrêts de la Cour. L'Assemblée se félicite de la création
du Réseau des coordinateurs de l'exécution en juin 2024, et décide
de mener toute activité conjointe que le Réseau et l'Assemblée jugent
constructive.
13. L'Assemblée invite également les parlements nationaux à jouer
leur rôle dans l'exécution des arrêts de la Cour, en mettant en
œuvre les «Principes fondamentaux du contrôle parlementaire des
normes internationales relatives aux droits de l’homme» énoncés
par l'Assemblée dans la Résolution
1823 (2011) «Les parlements nationaux: garants des droits de l'homme
en Europe». Ceux-ci exigent la mise en place de structures parlementaires
adéquates pour assurer un suivi et un contrôle rigoureux et régulier
du respect des obligations internationales en matière de droits
humains, telles qu'une commission des droits humains spécialisée
ou une structure analogue. Les compétences de ces structures devraient
prévoir l'examen régulier de l'exécution des arrêts de la Cour par
l'État concerné, des initiatives de modification de la législation
afin de garantir le respect de la Convention et l'exécution des
arrêts de la Cour, ainsi que la vérification systématique de la
compatibilité de tous les projets de loi avec les obligations internationales
en matière de droits humains. Il est essentiel que ces structures
parlementaires disposent d'un personnel suffisant et spécialisé
ainsi que des ressources nécessaires pour mener à bien ces missions.
14. L'Assemblée se félicite de la contribution de la Commission
européenne dans ses rapports sur l'État de droit, qui met en lumière
les problèmes liés à l'exécution des arrêts de la Cour. L'Assemblée
invite la Commission européenne à mentionner plus fréquemment l'exécution
des arrêts de la Cour dans ses listes de recommandations énoncées
dans les chapitres par pays du rapport sur l'État de droit, (a)
en recommandant aux États d'exécuter des arrêts précis qui sont
importants pour assurer la protection de l'État de droit, et/ou
(b) en recommandant aux États d'améliorer leur bilan global d'exécution
des arrêts de référence de la Cour, pour les pays où l'exécution
de ces arrêts pose un problème important.
15. L'Assemblée souligne l'obligation continue de la Fédération
de Russie d'exécuter les arrêts de la Cour et se félicite des mesures
prises par le Comité des Ministres pour continuer à surveiller les
affaires relatives à la Fédération de Russie, en particulier par
le biais de ses contacts avec d'autres organisations internationales, notamment
les Nations Unies. L'Assemblée décide d'examiner plus avant si des
mesures supplémentaires pourraient être prises pour assurer le paiement
de la satisfaction équitable accordée par la Cour dans ces affaires,
notamment dans certaines affaires interétatiques.
16. L'Assemblée décide également de poursuivre et de renforcer
son rôle dans la promotion de l'exécution complète, efficace et
rapide des arrêts de la Cour, conformément à la Déclaration de Reykjavík
et aux décisions ultérieures du Comité des Ministres. Les travaux
supplémentaires entrepris depuis la Déclaration de Reykjavík comprennent
un soutien accru au Président de l'Assemblée pour soulever la question
de l'exécution des arrêts de la Cour lors de réunions de haut niveau,
ainsi que des réunions d'information à l'intention des délégations
nationales sur l'exécution des arrêts de la Cour dans leur État.
Sous réserve de disposer de fonds suffisants, l'Assemblée décide
de créer un Réseau de parlementaires pour promouvoir l'exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Les membres
du réseau pourraient échanger les bonnes pratiques en matière d'exécution
des arrêts au sein de l'Assemblée et, dans le même temps, promouvoir l'exécution
des arrêts au niveau national dans leur propre pays, par exemple
en dialoguant avec les interlocuteurs nationaux concernés ou en
encourageant les réformes législatives et structurelles.
17. Compte tenu de la nécessité d'améliorer l'exécution des arrêts
de la Cour, l'Assemblée décide de rester saisie de cette question
et de continuer à lui accorder la priorité.
B. Projet de recommandation 
(open)1. Se référant à sa Résolution
… (2025) «Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits
de l'homme», l'Assemblée parlementaire se félicite des mesures prises
par le Comité des Ministres et l'Organisation dans son ensemble
pour mettre en œuvre les dispositions de la Déclaration de Reykjavík
de 2023 relatives à l'exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour»). Il s'agit notamment des mesures
prises pour accroître les ressources du Service de l'exécution des
arrêts, renforcer la synergie entre le Service de l'exécution des
arrêts et les programmes de coopération du Conseil de l'Europe, accroître
la transparence du processus de surveillance des arrêts, établir
un réseau de coordinateurs nationaux pour l'exécution des arrêts,
renforcer le dialogue institutionnel entre la Cour et le Comité
des Ministres, mener des activités conjointes avec l'Assemblée et
le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, et définir les mesures
prévisibles et progressives que le Comité des Ministres doit prendre
avant d'engager la procédure en manquement en vertu de l'article
46 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5,
«la Convention»).
2. La grande majorité des arrêts de la Cour sont exécutés. Néanmoins,
et malgré le travail accompli pour mettre en œuvre les mesures demandées
par les chefs d'État et de gouvernement dans la Déclaration de Reykjavík,
le nombre d'affaires de référence en attente d'exécution reste élevé.
L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de renforcer
encore son action pour mettre en œuvre les mesures énoncées dans
la Déclaration de Reykjavík en vue d'améliorer l'exécution des arrêts
de la Cour.
3. L'Assemblée rappelle le rôle central que joue l'exécution
des arrêts de la Cour dans le système de la Convention et la charge
de travail de la Cour. Compte tenu de la forte proportion d'affaires
de la Cour classées répétitives, le financement du travail supplémentaire
nécessaire pour promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour, en
particulier pour les affaires de référence, représente un investissement
dans le système qui garantira sa viabilité à long terme. L'Assemblée
demande donc:
3.1. une nouvelle
augmentation des ressources mises à la disposition du Service de
l'exécution des arrêts;
3.2. une augmentation du financement des projets de coopération
technique visant à promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour,
en mettant particulièrement l'accent sur les affaires de référence
qui révèlent des problèmes structurels ou complexes;
3.3. la poursuite du financement et de l'engagement des États
en faveur du projet «Soutien à une capacité nationale efficace pour
l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme» en
particulier, compte tenu de son rôle essentiel dans le renforcement
des capacités nationales d'exécution des arrêts.
4. L'Assemblée note également que la Déclaration de Reykjavík
appelle à un renforcement du dialogue politique en cas de difficultés
dans l'exécution des arrêts et encourage la participation de représentants
à haut niveau des États défendeurs. L'Assemblée appelle le Comité
des Ministres à redoubler d'efforts pour assurer une participation
de haut niveau aux discussions sur l'exécution des arrêts de la
Cour, afin de faciliter le dialogue au niveau politique. L'Assemblée
renforcera ses propres activités pour promouvoir le dialogue politique
dans les affaires difficiles.
5. En ce qui concerne ses propres activités, l'Assemblée se félicite
de la reconnaissance, dans la Déclaration de Reykjavík, de l'importance
de la participation des parlements nationaux à l'exécution des arrêts, ainsi
que de l'invitation faite au Président de l'Assemblée de renforcer
son dialogue politique avec les interlocuteurs nationaux sur l'exécution
des arrêts. L'Assemblée se félicite en outre de la décision prise
par le Comité des Ministres le 7 février 2024 d'inviter «l'Assemblée
parlementaire et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à renforcer
leur dialogue avec leurs interlocuteurs nationaux respectifs sur
l'exécution des arrêts, tant au niveau politique que technique,
et [de charger] le Service de l'exécution des arrêts [de leur] apporter son
assistance».
6. L'Assemblée prend note des mesures qu'elle a prises pour renforcer
le travail des parlementaires en vue de promouvoir l'exécution des
arrêts de la Cour conformément à la Déclaration de Reykjavík, notamment
le renforcement du soutien apporté au Président de l'Assemblée pour
soulever la question de l'exécution des arrêts lors de réunions
de haut niveau, et l'organisation par le Service de l'exécution
des arrêts de réunions d'information à l'intention des délégations
nationales sur l'exécution des arrêts de la Cour dans les États membres.
L'Assemblée fait part de son intention de renforcer encore ses activités
dans ce domaine.
C. Exposé des motifs
par M. Constantinos Efstathiou, rapporteur 
(open)1. Introduction
1. Un de mes clients devant la
Cour européenne des droits de l’homme («la Cour» ou «la Cour européenne»)
n’était encore qu’un enfant. Il avait 17 ans lorsqu’il a été accusé
de crimes graves. Son procès à Chypre a été une parodie de justice,
mais il a été reconnu coupable et condamné à 14 ans d’emprisonnement.
Nous avons porté l’affaire devant la Cour et nous avons gagné. La
Cour a estimé qu’il y avait eu de multiples violations du droit
à un procès équitable et que mon client n’aurait jamais dû être condamné
à la suite d’une telle procédure. L’étape suivante aurait naturellement
dû être sa libération et la tenue d’un nouveau procès. Or, ce n’est
pas ce qui s’est passé. En effet, il s’est écoulé un délai tellement
long entre l’introduction de la requête devant la Cour et le prononcé
de l’arrêt que mon client avait déjà été libéré pour bonne conduite
après plus de six ans d’emprisonnement.
2. Malheureusement, ce n’est pas une histoire qui finit bien.
Après avoir passé des années en prison à un si jeune âge, le garçon
a développé des problèmes de santé mentale. Il s’est marié, puis
a divorcé et n’a pas réussi à trouver un emploi pour payer la pension
alimentaire de ses enfants en raison de son casier judiciaire.
3. Quoi qu’il en soit, je ne raconte pas cette histoire pour
reprocher à la Cour européenne ce qui est arrivé à mon client. Je
la raconte pour mettre en lumière les répercussions de la non-exécution
des arrêts de la Cour sur l’ensemble du système de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»). Si la Cour gagne en efficacité chaque année, il
y a une limite au nombre de requêtes qu’elle peut traiter avec des
ressources restreintes – elle a jugé cette affaire aussi vite qu’elle
le pouvait à l’époque. Si le système fonctionnait efficacement,
une fois constatée une violation de la Convention par la Cour, les
États veilleraient rapidement à ce que le même problème ne se reproduise
pas, afin de prévenir d’autres violations des droits humains et
d’éviter que la Cour ne croule sous les requêtes. Pourtant, 84 %
des arrêts dans lesquels la Cour a conclu à une violation ces cinq
dernières années ont ensuite été classés par le Comité des Ministres
comme des affaires «répétitives», au motif que le type de violation
constatée avait déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour. En d’autres
termes, cinq arrêts de la Cour sur six qui concluent à une violation
concernent un problème plus large de droits humains que la Cour
a déjà observé dans l’État en question
.
![(4)
<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a> sur la surveillance de l’exécution des arrêts
et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, page 137,
figure C.1, et page 172, figure B.1 [2024 – 201 affaires de référence,
1 092 affaires répétitives; 2023 – 183 affaires de référence, 1 074
affaires répétitives; 2022 – 188 affaires de référence, 1 271 affaires
répétitives; 2021 – 216 affaires de référence, 1 163 affaires répétitives;
2020 – 195 affaires de référence, 788 affaires répétitives; Total:
983 affaires de référence, 5 388 affaires répétitives (6 371 affaires
au total)].](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
4. Plus de 79 % des arrêts de la Cour ont été exécutés. En cette
année du 75e anniversaire de la Convention,
il convient de rappeler l'importance de ces arrêts. Ils ont conduit
à la libération de prisonniers politiques
,
à la protection de la liberté d'expression, de réunion et d'association,
qui sont le fondement de la vie démocratique
,
à la dépénalisation de l'homosexualité
,
à l'instauration de procès plus équitables
,
à la fin de l'impunité pour les actes de torture et les mauvais
traitements dans de nombreux États
,
à l'adoption de lois visant à protéger la magistrature et les procureurs
du contrôle du gouvernement
,
à l'adoption de mesures de lutte contre l'esclavage et la traite
des êtres humains
et
à d'innombrables autres réalisations. Il ne s'agit là que de quelques
exemples des 26 379 arrêts qui ont été exécutés
.
J'encourage les lecteurs à consulter le site web «Impact de la Convention
européenne des droits de l'homme» à l'adresse www.coe.int/echr, pour voir comment les arrêts de la Cour ont permis
d'améliorer la situation dans les États membres.








5. La Convention et la Cour sont donc des réalisations monumentales
dans l'histoire de notre continent. Pourtant, malgré ces succès,
le manquement de certains États à remédier aux causes profondes
des violations des droits humains recensées dans une minorité d’arrêts
pèse très lourdement sur l’ensemble du système de la Convention,
car la Cour est surchargée de requêtes répétitives. Dans notre monde
interconnecté, le destin d’un jeune homme à Chypre peut dépendre
de l’inefficacité de l’exécution des arrêts dans le reste de l’Europe.
6. Lors du Sommet de mai 2023, les chefs d’État et de gouvernement
du Conseil de l’Europe ont adopté la Déclaration de Reykjavík
. L’annexe IV, qui porte sur le système
de la Convention, souligne «l’importance fondamentale de l’exécution
des arrêts de la Cour et d’une surveillance effective de cette procédure
pour s’assurer de la pérennité à long terme, de l’intégrité et de
la crédibilité du système de la Convention». Dans ce cadre, les
États se sont engagés à «résoudre les problèmes systémiques et structurels
en matière de droits de l’homme, identifiés par la Cour, et à assurer
l’exécution pleine, effective et rapide des arrêts définitifs de
la Cour, compte tenu de leur caractère contraignant […], tout en
rappelant également l’importance d’impliquer les parlements nationaux
dans l’exécution des arrêts». Les «Principes de Reykjavík pour la
démocratie», qui figurent en annexe III de la Déclaration de Reykjavík,
ont été adoptés en même temps.

7. En choisissant le thème de ce 12e rapport,
j’ai souhaité intégrer ce regain d’intérêt pour le respect du système
de la Convention, pour l’exécution rapide et efficace des arrêts
de la Cour et pour un soutien renforcé aux principes démocratiques.
Par conséquent, le présent rapport traite plus spécifiquement des
points suivants:
- l’importance du traitement des affaires de référence (section 3);
- l’exécution des arrêts qui protègent les principes démocratiques, notamment ceux relatifs à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et d’association, au droit à des élections libres et équitables, au détournement du droit pour violer les droits humains et à l’indépendance du pouvoir judiciaire (section 4);
- les difficultés d’exécution des arrêts liés aux affaires interétatiques (section 5);
- l’exécution des arrêts qui concernent la Fédération de Russie (section 6);
- la mise en œuvre des mesures énoncées dans la Déclaration de Reykjavík pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour (section 7);
- le rôle de l’Assemblée parlementaire et des parlementaires nationaux dans l’exécution des arrêts de la Cour (section 8).
8. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, un grand
nombre de réunions et d’auditions ont été organisées, notamment:
des auditions centrées sur l’exécution des arrêts par trois États
en particulier (Albanie, Arménie et Türkiye)
; des visites
d’information en Arménie et en Pologne
; la participation
à une table ronde à Bruxelles avec le Conseil des Barreaux européens
;
et des réunions tenues avec des représentants du Comité des Ministres,
de la Direction générale Droits humains et État de droit du Conseil
de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la
Direction générale de la justice et des consommateurs de l’Union
européenne
.







2. Statistiques générales
9. Le Rapport
annuel 2024 sur la surveillance de l’exécution des arrêts
et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme est le
plus récent à ce jour
. Il indique que 3 916 arrêts
de la Cour concernant des États membres sont en attente d’exécution
et cite les dix États membres qui ont le plus grand nombre d’affaires
en attente d’exécution complète (par ordre décroissant): Ukraine
(842), Türkiye (440), Roumanie (411), Azerbaïdjan (329), Italie
(310), Hongrie (198), Bulgarie (164), République de Moldova (164),
Pologne (147) et Géorgie (73)
.


3. L’importance du traitement des affaires de référence
10. Sur les 3 916 affaires en attente
d’exécution concernant des États membres citées dans le Rapport annuel
2024, 1 149 sont des affaires dites «de référence», c’est-à-dire
des affaires qui révèlent un problème en droit ou en pratique et
nécessitent souvent l’adoption de mesures générales pour prévenir
la répétition de violations des droits humains
.
Le traitement des affaires de référence est indispensable à toute
exécution significative des arrêts de la Cour, car c’est ce qui
permet de remédier aux causes sous-jacentes des violations et de
prévenir la survenue de problèmes similaires. L’exécution des affaires
de référence est aussi essentielle pour éviter l’augmentation de
l’arriéré devant la Cour – en effet, le manquement à régler les
problèmes liés aux droits humains entraîne une augmentation des
violations et des requêtes. À titre d’exemple, on peut citer l’affaire Levinta c. République de Moldova,
qui porte sur un cas de mauvais traitements en garde à vue. Depuis son
arrêt rendu en 2008, la Cour a été saisie de multiples requêtes
sur le même sujet, qui l’ont amenée à conclure à une violation dans
dix affaires «répétitives». Bien que d’importantes mesures générales
aient été prises par les autorités, l’exécution de l’arrêt Levinta est toujours surveillée
par le Comité des Ministres, ce qui signifie que le problème sous-jacent
n’a toujours pas été pleinement réglé 16 ans après le prononcé de
l’arrêt et que de nouvelles affaires répétitives sont susceptibles
d’être portées devant la Cour.

11. Parallèlement, lorsque les États entreprennent des réformes
pour exécuter avec succès les affaires de référence, cela peut avoir
un impact très positif sur la charge de travail de la Cour. Par
exemple, l’arrêt pilote de la Cour dans l’affaire Varga et autres c. Hongrie a mis
en évidence les problèmes généralisés liés aux conditions de détention
et l’absence de recours en cas de violations au niveau national.
En 2017, les autorités ont mis en place un recours préventif et
un recours compensatoire pour ces violations. Le Comité des Ministres et
la Cour ont estimé que ce dispositif était conforme à la Convention,
ce qui a conduit la Cour à rejeter plus de 8 000 requêtes en attente
.

12. Comme indiqué dans l’introduction, 84 % des arrêts dans lesquels
la Cour a conclu à une violation ces cinq dernières années ont ensuite
été classés par le Comité des Ministres comme des affaires «répétitives», au
motif que le type de violation constatée avait déjà fait l’objet
d’un arrêt de la Cour
. Le manquement systémique
et persistant des États à exécuter les affaires de référence signifie
donc non seulement que les droits humains ne sont pas protégés dans
le pays qui fait l’objet de l’arrêt, mais aussi que les citoyens
de toute l’Europe subissent un retard dans la protection de leurs
droits. En effet, les requêtes auprès de la Cour sont ralenties
par un très fort encombrement dû au fait que les États n’ont pas
réglé des problèmes déjà recensés par la Cour dans des arrêts antérieurs.
En raison du nombre élevé de requêtes introduites auprès de la Cour, les
requérants peuvent généralement s’attendre à patienter de nombreuses
années avant qu’un arrêt ne soit rendu.

13. Les États membres suivants comptent plus de 40 affaires de
référence en attente d’exécution (par ordre décroissant): Türkiye
(137), Roumanie (111), Ukraine (106), Bulgarie (89), Italie (74),
Pologne (53) Azerbaïdjan (51), Hongrie (47) et République de Moldova
(46)
.
Ces États comptent également le plus grand nombre d’affaires de
référence en attente d’exécution depuis plus de cinq ans. Cet élément
est particulièrement significatif, car il indique non seulement
là où se trouvent des problèmes, mais aussi là où ces problèmes
ne sont pas résolus dans un délai raisonnable. Les chiffres relatifs
aux affaires de référence qui sont en attente d’exécution depuis
plus de cinq ans dans ces États sont les suivants (par ordre décroissant): Türkiye
(76), Ukraine (70), Roumanie (62), Bulgarie (49), Italie (37) Azerbaïdjan
(28), République de Moldova (26), Hongrie (23), Pologne (20)
. Il convient
toutefois de rappeler que l’Ukraine mène depuis plus de trois ans
une guerre à grande échelle pour sa survie, ce qui, à juste titre,
fait l’objet de la pleine capacité de l’État. Il convient en outre
de souligner que, hormis les dérogations invoquées au titre de l’article
15, aucune situation de guerre ou d’état d’urgence ne peut exonérer
un État de ses obligations en matière de droits humains au titre de
la Convention.


14. L’importance de l’exécution des affaires de référence se reflète
également dans les rapports de l’Union européenne sur l’État de
droit. Depuis 2022, les chapitres par pays de ces rapports comprennent
une évaluation de l’exécution des affaires de référence de la Cour
européenne des droits de l’homme par les États membres de l’Union
européenne
. La Commission
européenne décrit l’exécution des affaires de référence de la Cour
comme un «indicateur important du fonctionnement de l’état de droit
dans un pays»
.


15. Dans les chapitres par pays, la Commission européenne met
en lumière des arrêts particuliers de la Cour en attente d'exécution
qui sont pertinents pour l'État de droit. Les chapitres par pays
comprennent également les données suivantes pour chaque État membre
au 1er janvier 2024: le nombre d’affaires
de référence de la Cour en attente d’exécution; le pourcentage d’affaires
de référence rendus ces dix dernières années qui n’ont pas encore
été exécutés; et le temps moyen d’attente pour l’exécution des affaires
de référence. Les données sur la Bulgarie, la Hongrie, l’Italie,
la Pologne et la Roumanie sont particulièrement préoccupantes:
- la Bulgarie compte 89 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 9 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 53 % sont toujours en attente d’exécution;
- la Hongrie compte 45 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 2 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 76 % sont toujours en attente d’exécution;
- l’Italie compte 66 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 7 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 65 % sont toujours en attente d’exécution;
- la Pologne compte 46 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 5 ans et 5 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 51 % sont toujours en attente d’exécution;
- la Roumanie compte 115 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 5 ans et 5 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 59 % sont toujours en attente d’exécution
.
16. Compte tenu de l’importance des affaires de référence, l’Assemblée
devrait donc mettre en avant dans sa résolution les États cités
au paragraphe 13 et les inviter à améliorer rapidement l’exécution
des affaires de référence de la Cour. L’Assemblée devrait également
saluer la contribution de la Commission européenne qui signale le
problème des affaires de référence de la Cour dans ses rapports
sur l’État de droit et l’appeler à formuler des recommandations
spécifiques à l’intention des États pour qu’ils exécutent les arrêts
de la Cour dans les affaires graves.
17. Les trois auditions (axées sur l’Albanie, l’Arménie et la
Türkiye) et les deux visites de pays (en Arménie et en Pologne)
organisées dans le cadre de la préparation du présent rapport m’ont
donné l’occasion d’encourager les autorités à améliorer leur exécution
des affaires de référence de la Cour. Je remercie très sincèrement
toutes les autorités des États membres qui ont participé à ces discussions.
J’ai tiré de ces échanges les conclusions générales suivantes:
- Albanie: des progrès significatifs ont été accomplis dans le cadre d’un certain nombre d’affaires de référence majeures et des réformes notables ont été menées. Par exemple, le caractère équitable des procès pénaux a été amélioré, des mesures ont été prises pour prévenir et punir les enlèvements d’enfants et les procédures de recours individuel en inconstitutionnalité ont été renforcées, de sorte que la Cour européenne considère désormais ces recours comme effectifs dans leur principe pour toutes les plaintes alléguant une violation des droits garantis par la Convention. Néanmoins, d’importants défis et lacunes demeurent et le nombre global d’affaires de référence en attente d’exécution reste préoccupant, notamment en ce qui concerne les groupes d’affaires Sharxhi (sur la privation de propriété) et Strazimiri (sur les conditions de détention). Je trouve regrettable qu’aucun représentant du bureau de l’agent du gouvernement n’ait assisté à l’audition;
- Arménie: j’ai été impressionné par l’engagement sincère des autorités à améliorer l’exécution des arrêts, qui se traduit par une implication nettement accrue dans le processus de suivi de l’exécution mené ces dernières années. J’ai également pris acte des réformes importantes mises en œuvre à ce jour, dans des domaines tels que la liberté de réunion (examinée plus en détail ci-dessous). Dans le même temps, il est tout aussi important de rappeler le nombre non négligeable d’affaires de référence dont l’exécution est toujours en attente et la nécessité de poursuivre les efforts engagés;
- Pologne: le gouvernement actuel hérite d’un défi de taille en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour. Aucun progrès n’a encore été réalisé pour réduire le nombre d’affaires de référence en attente d’exécution, mais j’ai pris note des projets des autorités qui envisagent d’adopter une législation destinée à améliorer l’exécution systématique des arrêts de la Cour ainsi que de l’engagement clair du gouvernement à progresser sur cette question. Ma visite s’est concentrée sur l’exécution des arrêts relatifs à l’indépendance des juges – une question traitée plus en détail dans le chapitre ci-dessous;
- Türkiye: lors de l’audition organisée conjointement par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme et la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) en janvier 2025, les représentants des autorités turques ont eu la difficile tâche de devoir aborder dans le détail en un très court laps de temps un très grand nombre d’affaires. Selon moi, ils ont tenté de brosser un tableau positif, mais irréaliste de l’exécution globale des arrêts de la Cour par la Türkiye. Les questions des membres de la commission ont essentiellement porté sur l’affaire Chypre c. Turquie, l’affaire Kavala c. Türkiye, sur les cas de responsables politiques emprisonnés et sur les violations du droit à la liberté d’expression. Je regrette que les réponses apportées n’aient pas démontré l’existence d’un plan concret ou d’une véritable intention d’exécuter ces arrêts. Parallèlement, les informations fournies sur la progression de l’exécution de l’arrêt Opuz c. Turquie, qui porte sur un cas de violence domestique, montrent la capacité du pays à mettre en œuvre des réformes pour donner suite aux arrêts qui ne concernent pas les droits politiques ou démocratiques.
18. Pour ce qui est des statistiques, il est important de relever
que le fait de se concentrer sur le nombre total d’affaires en attente
d’exécution, plutôt que sur le nombre et le type d’affaires de référence
peut s’avérer parfaitement inutile. Lorsque la Fédération de Russie
était membre du Conseil de l’Europe, elle se targuait d’«exécuter»
la majeure partie des arrêts de la Cour européenne. Toutefois, la
protection des droits humains ne s’en est pas pour autant trouvée
améliorée, car le pays a globalement fait le choix de payer les
requérants pour mettre fin à la surveillance des affaires répétitives.
En réalité, la plupart des questions sous-jacentes relatives aux
droits humains n’ont pas été traitées. La manière la plus utile
d’évaluer l’exécution des arrêts de la Cour par la Fédération de
Russie serait d’évaluer son exécution des affaires de référence.
Le fait que les trois quarts des affaires de référence relatives
à la Fédération de Russie soient toujours pendantes – 244 au total –
reflète la dégradation de la protection des droits humains dans
le pays.
19. De même, l’affirmation des autorités turques selon laquelle
le pays a un bon taux d’exécution parce que le Comité des Ministres
a mis fin à la surveillance de plus de 90 % des affaires qui ont
conclu à une violation ne signifie pas grand-chose. La clôture de
nombreuses affaires répétitives a été en grande partie obtenue par le
versement d’indemnités compensatoires, et non par la résolution
des problèmes de droits humains sous-jacents. En effet, à la fin
de l’année 2024, 137 affaires de référence étaient en attente d’exécution
en Türkiye (le plus grand nombre de tous les États membres), dont
une grande partie concerne des violations continues et systématiques
des droits humains à l’encontre de très nombreuses personnes. Des
affirmations similaires concernant le taux élevé de conformité aux
arrêts de la Cour, fondées sur des données relatives à l’exécution de
l’ensemble des affaires, ont été faites par des représentants du
gouvernement turc dans d’autres instances
. Je suis préoccupé
par cette approche et j’exhorte les parties prenantes du système
de la Convention à se montrer sceptiques face à ce genre d’affirmations.

4. Protéger les principes démocratiques
20. Les Principes de Reykjavík
pour la démocratie
rappellent que la démocratie est
«le seul moyen de garantir que chaque personne puisse vivre dans
une société pacifique, prospère et libre» et que les États membres
du Conseil de l’Europe s’engagent à «[éviter] le recul de la démocratie
sur [le] continent [européen] et [à y résister]». Ces principes
portent une attention renouvelée à la participation démocratique
grâce à la tenue d’élections libres et équitables, «fondées sur
le respect des normes pertinentes en matière de droits de l’homme,
en particulier de la liberté d’expression, de la liberté de réunion
et de la liberté d’association». Cela implique expressément l’existence
de médias libres et pluriels et d’un environnement dans lequel «la
société civile ainsi que les défenseurs des droits de l’homme puissent
opérer sans entraves». Les principes de Reykjavík soulignent par
ailleurs l’importance de respecter la séparation des pouvoirs et
de garantir «l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité de la
justice» pour une démocratie saine et en bon état de marche. Afin
de faire avancer les priorités du Conseil de l’Europe définies à
Reykjavík, je propose de traiter dans ce 12e rapport
un point spécifique sur la protection des principes démocratiques
par l’exécution rapide et effective des arrêts pertinents de la
Cour, notamment ceux relatifs à:

- la liberté d’expression (article 10);
- la liberté de réunion et d’association (article 11);
- le droit à des élections libres (article 3 du Protocole additionnel à la Convention (STE no 9));
- les restrictions abusives des droits et des libertés (article 18);
- l’indépendance du pouvoir judiciaire.
4.1. Affaires relatives à la liberté d’expression (article 10 de la Convention)
21. Comme le soulignent les Principes
de Reykjavík pour la démocratie, des élections libres et équitables reposent
sur le respect de la liberté d’expression. En outre, des «médias
libres, indépendants, pluriels et diversifiés constituent l’une
des pierres angulaires d’une société démocratique, et les journalistes
et autres travailleurs des médias devraient bénéficier d’une protection
totale en vertu de la loi»
.

22. Dans mon rapport de 2023, j’ai évoqué l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Türkiye (no 2) pour illustrer un cas typique
de violation des droits motivée par des considérations politiques,
ce qui est incompatible avec les principes démocratiques. L’affaire
concernait l’arrestation et le placement en détention pour des motifs politiques
de Selahattin Demirtas, l’un des dirigeants du Parti démocratique
du peuple (HDP). La Cour a estimé, parmi d’autres violations, que
sa détention provisoire violait son droit à la liberté d’expression
protégé par l’article 10 de la Convention.
23. De la même façon, la Résolution de l’Assemblée 2381 (2021) «Les responsables politiques devraient-ils être poursuivis
pour les déclarations faites dans l’exercice de leur mandat?» soulève
des inquiétudes quant aux poursuites engagées contre des responsables
politiques qui se sont exprimés librement dans l’exercice de leur
mandat, en particulier en Espagne et en Türkiye. L’Assemblée a rappelé
qu’il était «primordial, dans une démocratie vivante, que les responsables
politiques puissent exercer librement leur mandat. Pour ce faire, il
est nécessaire que la liberté d’expression et la liberté de réunion
des responsables politiques jouissent d’un niveau particulièrement
élevé de protection, tant au parlement que lorsqu’ils s’adressent
à leurs électeurs lors de réunions publiques ou dans les médias,
y compris les réseaux sociaux». Je regrette de constater que l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Türkiye (no 2) est toujours en attente d’exécution.
24. Parmi les affaires relatives à la liberté d’expression qui
portent sur la protection des principes démocratiques, on peut citer
celles qui concernent la sécurité des journalistes
, la restriction de l’accès
à internet et le blocage de sites internet
, le manque de pluralisme
des médias
et l’application
de lois abusives en matière de diffamation
. Des affaires de référence qui impliquent
une violation de l’article 10 de la Convention sont toujours pendantes
en Azerbaïdjan, en Bulgarie, en Espagne, en France, en Géorgie,
en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Lituanie, en Pologne, au Portugal,
en République de Moldova, en Roumanie, en Fédération de Russie,
en République Slovaque, en Türkiye et en Ukraine.




25. Un certain nombre d’affaires ou de groupes d’affaires de la
Cour concernent des ingérences injustifiées et disproportionnées
dans la liberté d’expression en raison de poursuites pénales engagées
pour avoir exprimé des opinions qui n’incitent pas à la haine ou
à la violence. L’effet dissuasif de ces poursuites sur la société
dans son ensemble et sur la liberté d’expression en général est
extrêmement préoccupant. On compte un nombre important de groupes
d’affaires liés à la liberté d’expression en Türkiye
et des changements
législatifs s’imposent d’urgence pour préciser que l’exercice du
droit à la liberté d’expression ne constitue pas un délit.

4.2. Affaires relatives à la liberté de réunion et d’association (article 11 de la Convention)
26. Le droit de réunion et le droit
de manifestation pacifique qui en découle sont indispensables au
bon fonctionnement de la démocratie
. Le traitement réservé
aux manifestants antiguerre en Fédération de Russie a mis en lumière
l’importance cruciale du droit de manifester et les effets néfastes
qu’une répression de ces droits peut avoir sur une démocratie. La
liberté d’association revêt une importance similaire et la Cour a
souligné sa relation directe avec la démocratie et le pluralisme,
notant que l’état de la démocratie dans un pays peut être mesuré
par la manière dont cette liberté est garantie par la législation
nationale et dont les autorités l’appliquent en pratique
.


27. Les affaires relatives à l’article 11 qui sont importantes
pour la protection des principes démocratiques portent notamment
sur l’organisation et le maintien de l’ordre lors de manifestations
et de marches pacifiques, la liberté de créer des associations et
d’y participer (y compris la société civile) et la liberté de créer
des partis politiques et d’y participer. Toutefois, un nombre important
d’affaires de référence de la Cour qui concluent à une violation
de la liberté de réunion pacifique n’ont pas encore été exécutés,
notamment dans des affaires concernant l’Arménie, l’Azerbaïdjan,
la Géorgie, la Hongrie, la Roumanie, la Fédération de Russie, la
Türkiye et l’Ukraine
.

28. Les affaires relatives au droit de participer à des manifestations
politiques pacifiques comprennent, entre autres, l’affaire Mushegh Saghatelyan c. Arménie,
qui porte sur les dispersions disproportionnées et inutiles de manifestations
politiques pacifiques. Ces affaires ont constitué l’un des principaux
sujets de discussion lors de ma visite d’information en Arménie
en décembre 2024. À Erevan, j’ai rencontré la ministre de l’Intérieur, Arpine
Sargsyan, l’agent du gouvernement, Yegishe Kirakosyan, le vice-ministre
de la Justice, Tigran Dadunts, un groupe d’organisations de la société
civile arménienne (Democracy Development Foundation, PINK Armenia,
Protection of Rights without Borders, Helsinki Foundation Vanadzor
et Law Development and Protection Foundation), ainsi qu’un groupe
de parlementaires arméniens (M. Vladimir Vardanyan, Mme Arusyak
Julhakyan, Mme Maria Karapetyan et M. Sargis
Khandanyan). Lors de ma visite, il a été clairement établi que des
progrès significatifs ont été réalisés dans l’exécution des arrêts.
En particulier, des modifications ont été apportées à la législation
pour garantir un usage plus proportionné de la force par la police
et des formations destinées aux fonctionnaires de police ont été
mises en place afin de garantir la mise en pratique des normes.
Dans le même temps, la société civile a souligné que ces mesures
n’avaient pas encore eu d’effets positifs concrets et a allégué
que des violations des droits humains lors des rassemblements pacifiques
se poursuivaient, y compris des actes de violence par des agents
de l’État. Étant donné que l’affaire est toujours sous la surveillance
du Comité des Ministres, j’espère que les mesures positives prises
jusqu’à présent pourront être renforcées afin de garantir une protection
concrète du droit à la liberté de réunion en Arménie.
29. Parmi les autres affaires importantes relatives à la liberté
de réunion en attente d’exécution, j’aimerais citer l’affaire Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan,
qui concerne la dispersion de manifestations pacifiques non autorisées
ne présentant aucune menace pour l’ordre public; le groupe d’affaires Oya Ataman c. Turquie, qui porte
sur des poursuites engagées à l’encontre des participants à une
manifestation pacifique et sur le recours à la force excessive pour
disperser des manifestations pacifiques; et le groupe d’affaires Lashmankin et autres c. Russie,
qui a trait à l’interdiction de participer à des rassemblements
publics et à des manifestations.
30. Notons par ailleurs que l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ecodefence et autres c. Russie n’a toujours
pas été exécuté. Cette décision concernait la violation du droit
à la liberté d’association de 73 ONG, en application de la loi sur
les agents étrangers, qui avait entraîné des amendes administratives,
des poursuites pénales et la dissolution de certaines organisations.
En octobre 2024, cet arrêt a été suivi par l’affaire Kobaliya et autres c. Russie, dans
laquelle la Cour a constaté une violation similaire pour 107 autres requérants.
Pour protéger la société civile, les États membres doivent veiller
à ce que leur législation relative aux ONG soit conforme à ces arrêts
et exécuter rapidement tout arrêt similaire rendu par la Cour.
31. Il existe des défaillances de longue date dans l’exécution
de certains arrêts liés à l’enregistrement de certaines associations,
en violation de l’article 11 de la Convention. On peut notamment
citer le refus systématique, depuis plus de 18 ans, d’enregistrer
les associations ayant «pour objectif d’obtenir la reconnaissance
de la minorité macédonienne en Bulgarie» (UMO
Ilinden et autres c. Bulgarie). Dans cette affaire, malgré
les diverses mesures prises, l’Agence d’enregistrement et les tribunaux
bulgares refusent toujours de se conformer aux exigences de la Convention.
De même, dans le groupe d’affaires Bekir
Ousta c. Grèce, les tribunaux grecs, y compris la Cour
de cassation, ont refusé de manière constante et répétée de faire
respecter le droit à la liberté d’association des organisations,
contrevenant aux arrêts de la Cour des droits de l’homme et de la
Convention, arrêts qui sont en attente d’exécution depuis 17 ans.
Malgré la modification apportée à la loi par la Grèce en 2017, les
organisations requérantes n’ont toujours pas obtenu la restitutio in integrum, principalement
en raison des arrêts rendus en 2021 et 2022 par la Cour de cassation
grecque, qui ont conclu à la légalité des violations pour des motifs
dont la plupart ont été expressément contestés par la Cour européenne
des droits de l’homme. De la même manière, les décisions des tribunaux
russes se sont également révélées être un obstacle au droit à la
liberté d’association en ce qui concerne la dissolution d’organisations
de Témoins de Jéhovah, en raison de leur refus de se conformer aux
arrêts de la Cour dans le groupe d’affaires Taganrog
LRO et autres c. Russie (relatifs à la dissolution d’associations
de Témoins de Jéhovah en Fédération de Russie, à l’interdiction
de toutes leurs activités et au placement en détention de certains
de leurs membres)
.

4.3. Affaires relatives au droit à des élections libres (article 3 du Protocole additionnel à la Convention) et affaires connexes
32. Le droit à des élections libres
et équitables est évidemment essentiel au bon fonctionnement de
la démocratie
. Comme l’énonce
la fiche thématique du Service de l’exécution des arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme sur le droit à des élections libres,
«[l]a Cour européenne a souligné que la démocratie constitue un
élément fondamental de “l’ordre public européen”. Le droit à des
élections libres, garanti par l’article 3 du Protocole no 1
[…], est essentiel pour établir et maintenir les fondements d’une
démocratie effective et significative régie par la prééminence du
droit et revêt donc une importance primordiale pour le système de
la Convention. La Convention ne prévoit pas une obligation d’abstention
ou de non-ingérence, comme pour la plupart des droits civils et
politiques, mais une obligation d’adoption par l’État, en tant que garant
ultime du pluralisme, de mesures positives pour garantir des élections
législatives démocratiques. La Cour a établi que le droit à des
élections libres implique également des droits individuels, notamment
le droit de vote et d’éligibilité.»
De plus, afin de garantir ces droits,
il convient de prévoir des recours effectifs pour régler les litiges
électoraux. Néanmoins, de nombreux arrêts de référence qui concluent
à une violation du droit à des élections libres n’ont pas encore
été exécutés, notamment dans des arrêts concernant la Belgique,
la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Hongrie, la Türkiye et l’Ukraine
.
![(40)
Comme
le soulignent les Principes de Reykjavík pour la démocratie, les
États s’engagent à «permettre et encourager activement la participation
démocratique, aux niveaux national, régional et local, par l’intermédiaire
d’élections libres et équitables» et à «organiser les élections
et référendums conformément aux normes internationales et [à] prendre
toutes les mesures adéquates pour prévenir toute ingérence dans
les systèmes et processus électoraux». <a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs, </a>principes 1 et 2.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)


33. Parmi les affaires pertinentes, on peut citer le groupe d’affaires Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, qui concerne
l’application arbitraire de la législation électorale et l’absence
de procédures offrant des garanties adéquates contre l’arbitraire,
notamment le rejet arbitraire des plaintes relatives à des irrégularités
ou à des violations de la loi électorale, l’invalidation arbitraire
de l’inscription de candidats et l’application erronée de la loi
électorale. D’autres exemples incluent l’affaire Mugemangango c. Belgique, qui concerne
les garanties procédurales dans les litiges électoraux et le droit
à un recours effectif, et l’affaire Cegolea
c. Roumanie, qui porte sur une condition d’éligibilité
arbitraire défavorable aux organisations de minorités nationales
qui ne sont pas encore représentées au parlement.
34. Si l’article 3 du Protocole no 1
ne s’applique qu’aux élections relatives au «choix du corps législatif», d’autres
dispositions peuvent également s’appliquer, par exemple, à des dispositions
discriminatoires dans d’autres élections, telles que les élections
présidentielles. Ainsi, l’article 1 du Protocole no 12
à la Convention (STE no 177) (le principe
de non-discrimination) a également été jugé applicable et avoir
été violé dans des dispositions discriminatoires de la loi électorale
concernant par exemple les élections présidentielles en Bosnie-Herzégovine.
Les arrêts rendus dans le groupe d’affaires Sejdić
et Finci c. Bosnie-Herzégovine
portent
sur la discrimination subie par des personnes non membres des peuples
constitutifs de Bosnie-Herzégovine (Bosniaques, Croates et Serbes)
dans l’exercice de leur droit à se présenter aux élections à la Chambre
des peuples et à la présidence de la Bosnie-Herzégovine. Malgré
les interventions du Comité des Ministres et le soutien considérable
offert aux autorités nationales par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne
, les élections de 2010,
2014, 2018 et 2022 se sont fondées sur ce qui a été décrit comme
«un système électoral discriminatoire en violation flagrante des
exigences de la Convention européenne des droits de l’homme»
.
La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) a rédigé de nombreux avis à ce sujet, et notamment appelé
le peuple et les responsables politiques de Bosnie-Herzégovine à
remplacer progressivement la représentation ethnique par la représentation
basée sur le principe de citoyenneté
. Les exigences intrinsèquement
discriminatoires pour voter dans certaines élections en vertu de
la Constitution de la Bosnie-Herzégovine continuent d’être une préoccupation
importante, nous rappelant comment la politique peut porter atteinte
aux droits humains.




4.4. Affaires relatives aux restrictions abusives des droits et libertés (article 18 de la Convention)
35. Je suis préoccupé par la tolérance
dont fait preuve le public à l’égard des autorités de certains États membres
qui violent la Convention à des fins politiques, sans réfléchir
aux conséquences à long terme. Cela me rappelle l’histoire du chasseur,
du cheval et du cerf dans les fables d’Ésope. Le cheval accepta
que le chasseur lui mette une bride et une selle pour qu’ils puissent
attraper le cerf ensemble. Une fois le cerf vaincu, le cheval demanda
au chasseur de descendre et de le libérer. «Pas si vite, mon ami»,
dit le chasseur. «Je t’ai maintenant mis sous mors et sous éperon
et préfère te garder tel que tu es actuellement».
36. La nature spécifique des violations de l’article 18 réside
dans le fait qu’il s’agit de violations des droits humains commises
dans la poursuite d’un but inavoué illégal impliquant un abus de
pouvoir. Ces affaires portent principalement sur l’arrestation,
la détention et/ou la condamnation de critiques du gouvernement,
de militants de la société civile, de défenseurs des droits humains
et de responsables politiques. Dans de nombreux cas, il s’agit de
poursuites pénales pour des accusations non étayées par des preuves
et dont l’objectif ultime est de réduire au silence ou de punir
le requérant et de dissuader les autres initiatives. Comme je l’ai
souligné dans le rapport de 2023, «les violations de l’article 18
de la Convention nient par excellence l’essence même de la démocratie
et sont jugées particulièrement graves car liées à un abus de pouvoir délibéré»
. Elles sont souvent
le signe d’un dysfonctionnement généralisé et systémique au sein
d’un système constitutionnel, qui érode la séparation des pouvoirs
et expose ainsi le système aux abus de pouvoir pour des motifs inavoués.
Comme l’énoncent les Principes de Reykjavík pour la démocratie,
les États s’engagent à «respecter la séparation des pouvoirs, en
prévoyant des mécanismes adéquats pour établir un équilibre des
pouvoirs entre les différentes institutions de l’État, à tous les
niveaux, afin d’éviter toute concentration excessive du pouvoir»
et à lutter contre la corruption, «notamment grâce à des actions
de prévention et en demandant des comptes aux détenteurs du pouvoir
public»
. Toutefois, les
arrêts de référence de la Cour qui concluent à une violation de
l’article 18 n’ont toujours pas été exécutés dans des affaires qui
concernent l’Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Géorgie, la Pologne, la
Fédération de Russie, la Türkiye et l’Ukraine
.



37. La plus importante de ces affaires est celle d’Osman Kavala c. Turquie. M. Kavala
est un défenseur des droits humains et un activiste civil en Türkiye.
Dans un arrêt de 2019, la Cour européenne a estimé que l’arrestation
et la détention provisoire de M. Kavala en 2017 (en lien avec les
événements du parc Gezi de 2013 et la tentative de coup d’État de
2016) constituaient une violation de ses droits fondamentaux et
avaient eu lieu en l’absence d’éléments de preuve permettant de
soupçonner raisonnablement qu’il avait commis une infraction. En
outre, en l’absence de tels éléments, il n’y avait manifestement
pas de preuves suffisantes pour condamner M. Kavala pour une telle
infraction. Malgré cela, M. Kavala est toujours détenu depuis 2017,
en violation de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.
Face au refus persistant de la Türkiye d’exécuter l’arrêt de la
Cour dans cette affaire, le Comité des Ministres a saisi la Cour
en vertu de l’article 46, paragraphe 4. L’arrêt relatif à l’article 46,
paragraphe 4, rendu par la Cour en 2022 a conclu que la Türkiye
avait manqué à son obligation de se conformer l’arrêt définitif
de la Cour, notamment en n’ayant pas assuré la libération de M. Kavala
et en refusant de le faire. Pour autant, M. Kavala est toujours
en prison.
38. C’est la deuxième fois seulement que la Cour rend une conclusion
aussi importante. Le refus continu, flagrant, persistant et incompréhensible
de la Türkiye de libérer M. Kavala, comme l’a ordonné la Cour, présente
un risque évident pour l’État de droit et l’ensemble du système
de la Convention et constitue donc une grave préoccupation pour
tous les acteurs du système du Conseil de l’Europe. Tant que M. Kavala
sera détenu arbitrairement en Türkiye, la situation restera au centre
de toutes les attentions et une source d’inquiétude pour la crédibilité
du Conseil de l’Europe et du système de la Convention. En octobre
2023, l’Assemblée a adopté la Résolution 2518
(2023) «Appel à la libération immédiate d'Osman Kavala», dans laquelle
elle demandait sans équivoque la libération d’Osman Kavala, en précisant
que «[c]ette affaire vraiment exceptionnelle sape les fondements
du système de la Convention dans son ensemble». L’Assemblée a estimé
que le moment était venu de prendre des mesures pour engager la
procédure conjointe complémentaire et a rappelé sa capacité à contester
les pouvoirs de la délégation turque. Or, aucune de ces mesures
n’a été prise.
39. Parmi les autres affaires notables relatives à l’article 18
figure la détention arbitraire fondée sur des motivations politiques
de M. Selahattin Demirtaş, ancien dirigeant du Parti démocratique
des peuples (HDP), un parti d’opposition pro-kurde, et député à
la Grande Assemblée nationale turque (voir aussi le paragraphe 22).
Dans l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Turquie,
la Cour a estimé que les juridictions nationales n’avaient mis en
avant aucun fait ni aucune information spécifique de nature à faire
naître des soupçons raisonnables que le requérant avait commis les
infractions en question et à justifier son arrestation et sa détention
provisoire. De même, dans l’affaire Yüksekdağ
Şenoğlu et autres c. Turquie, Mme Figen
Yüksekdağ Şenoğlu est toujours emprisonnée, bien que la Cour ait
conclu qu’elle avait été arrêtée et inculpée en l’absence de tout
soupçon raisonnable qu’elle ait commis une infraction pénale. Dans
la même affaire, 11 autres membres de la Grande Assemblée nationale
turque ont été libérés, mais sont toujours en attente de leur procès
pour des motifs que la Cour a jugés non fondés sur des soupçons
raisonnables et poursuivis dans un but inavoué
.

40. Je suis très préoccupé par l’incidence que les défaillances
dans l’exécution de ces arrêts ont sur la Türkiye. Si le gouvernement
peut exercer une influence indue sur les services du ministère public
et le pouvoir judiciaire, et si des représentants élus peuvent être
détenus et emprisonnés arbitrairement, alors la démocratie est gravement
menacée. Un exemple particulièrement inquiétant est celui du maire
d’Istanbul, M. Ekrem Imamoğlu, figure de proue du principal parti
d’opposition en Türkiye, le Parti républicain du peuple (CHP), qui est
considéré comme un candidat potentiel à la présidence en 2028. Trois
actes d’accusation ont été émis contre lui, qui pourraient conduire
à son emprisonnement et à son interdiction d’exercer une activité
politique en Türkiye. Étant donné que les autorités turques n’ont
pas mis en œuvre les réformes rendues nécessaires par les affaires
susmentionnées pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire
et empêcher les poursuites arbitraires contre les responsables politiques,
on peut légitimement se demander si les accusations portées contre
M. Imamoğlu sont motivées par des considérations politiques. De
même, 10 maires ont été démis de leurs fonctions depuis les élections
locales de 2024 en Türkiye. Plus récemment, à Van, le maire démocratiquement
élu du Parti démocrate a été démis de ses fonctions, privant ainsi
de fait un million de personnes de leurs voix. Après les élections
locales de mars 2019, seules 6 des 65 municipalités remportées par
le HDP ont pu continuer à fonctionner sans nomination d’un administrateur
jusqu’en 2024.
41. De la même manière, le groupe d’affaires Mammadli c. Azerbaïdjan concerne
des arrestations et poursuites pour motifs politiques dont ont fait
l’objet plusieurs défenseurs des droits humains, des militants de la
société civile et un journaliste. Toutes ces personnes ont été graciées,
libérées et/ou ont bénéficié d’un non-lieu dans le cadre de procédures
pénales engagées contre eux. Cependant, sept requérants qui avaient
été condamnés n’ont pas encore obtenu l’annulation de leur condamnation
par la Cour suprême ni l’effacement de leur casier judiciaire, ce
qu’exige la procédure de restitutio in
integrum. Le requérant dans l’affaire de référence, M. Anar
Mammadli, lauréat du prix Václav Havel de l’Assemblée, a été de
nouveau arrêté le 29 avril 2024 et placé en détention provisoire.
42. Enfin, en ce qui concerne l’affaire Öcalan
c. Turquie (n° 2), je suis préoccupé par l’absence persistante en
Türkiye d’un mécanisme qui permettrait de réexaminer les peines
de réclusion à perpétuité aggravées après une certaine durée minimale
avec possibilité de libération, dans les cas où les exigences de
punition et de dissuasion ont été entièrement satisfaites et où
la personne ne représente plus un danger pour la société.
4.5. Affaires relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire
43. Les affaires relatives à l’indépendance
du pouvoir judiciaire et des autres mécanismes de contrôle sont indispensables
pour éviter tout abus ou détournement de pouvoir et pour préserver
le bon fonctionnement de la démocratie
. Ces affaires portent
notamment sur le caractère adéquat des garanties procédurales qui entourent
la révocation ou la nomination des juges ou d’autres mesures visant
à sanctionner les juges, en particulier lorsque l’abus de telles
sanctions pourrait constituer une restriction à la liberté d’expression
des juges
. D’autres affaires concernent
l’adéquation et l’indépendance des procédures de nomination des juges
.




44. La Pologne a fait l’objet d’arrêts de la Cour relatifs à toutes
ces questions. Ces décisions ont été au cœur de mes préoccupations
lors de ma visite d’information à Varsovie, effectuée en septembre
2024. J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec plusieurs personnalités
de haut niveau, notamment avec le président du comité permanent
du Conseil des ministres, M. Maciej Berek, la ministre de l’Égalité,
Mme Katarzyna Kotula, le ministre de
la Justice, M. Adam Bodnar, la sous-secrétaire d’État au ministère
des Affaires étrangères, Mme Henryka
Mościcka-Dendys, le Commissaire adjoint aux droits de l’homme, M. Valeri
Vachev, la présidente du Conseil national de la magistrature, Mme Dagmara
Pawelczyk-Woicka, la première présidente de la Cour suprême, Dr Małgorzata
Manowska, la cheffe de la Chancellerie du président polonais, Mme Małgorzata
Paprocka, la cheffe de la délégation polonaise à l’Assemblée, Mme Agnieszka
Pomaska, ainsi que M. Patryk Jaskulski et d’autres éminents parlementaires,
et un groupe diversifié d’organisations de la société civile (y
compris des représentants de la Fondation d’Helsinki pour les droits
de l’homme, de Iustitia, du Forum Obywatelskiego Rozwoju et de l’Association
de juges Votum). Nous avons abordé des questions importantes et
complexes soulevées par les arrêts de la Cour, à propos de la composition
de la Cour constitutionnelle
, de l’indépendance du Conseil
national de la magistrature
,
des nominations à la Cour suprême et dans des juridictions inférieures
et des procédures
disciplinaires engagées contre les juges
.




45. J’ai salué la volonté claire du gouvernement de mener des
réformes sur ces questions importantes, qu’il considère comme extrêmement
urgentes et qui sont en effet nécessaires pour se conformer aux
arrêts de la Cour. C’est une très bonne nouvelle, surtout si l’on
considère l’opposition à la mise en œuvre exprimée par l’administration
précédente et certains organes judiciaires nommés par l’ancienne
majorité au pouvoir
.
En attendant, je m’inquiète de ce que la crise constitutionnelle
en Pologne a créé un large éventail de factions au sein de la communauté
juridique, qui sont profondément divisées sur la question de savoir
si l’ordre judiciaire actuel doit être maintenu ou réformé (et,
s’il doit être réformé, sur la forme que ces réformes devraient
prendre). Ces divergences d’opinions sur les institutions judiciaires
fondamentales sont intenables et dangereuses pour l’État de droit.

46. L’impasse actuelle constitue un obstacle important qui empêchent
la mise en place des réformes en cours. Le premier de ces obstacles
réside dans l’opposition que l’actuel Président de la Pologne –
qui peut refuser de signer une nouvelle loi en vertu de la Constitution
polonaise
–
a publiquement déclarée à l’égard des réformes judiciaires proposées
par le gouvernement (ce qui a été confirmé lors de mon entretien
avec la cheffe de sa Chancellerie). J’en ai conclu que les différentes
factions impliquées dans la crise constitutionnelle polonaise attendaient
les élections présidentielles du printemps 2025, dans l’espoir que
le scrutin contribuerait à protéger l’ordre judiciaire actuel ou
à faciliter sa transformation (selon leur position). J’espère que
la crise constitutionnelle en Pologne pourra être réglée le plus
rapidement possible, avec des réformes qui démarreront cette année
et permettront en fin de compte de fédérer les professionnels de
l’ordre judiciaire polonais et de mettre pleinement en œuvre les
arrêts de la Cour, conformément aux avis rendus par la Commission
de Venise et aux indications fournies par le Comité des Ministres.

47. Revenant à l’affaire Osman Kavala
c. Turquie, le Comité des Ministres a «invit[é] instamment
les autorités turques à prendre toutes les mesures législatives
et autres pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, en
particulier en assurant l’indépendance structurelle du Conseil des
juges et des procureurs par rapport à l’exécutif, et regrett[é]
profondément, une fois de plus, l’absence de tout progrès sur cette question»
.

5. Affaires interétatiques et affaires individuelles présentant des caractéristiques interétatiques
48. Un grand nombre d’affaires
interétatiques et d’affaires individuelles relatives à des questions interétatiques
en attente d’exécution sont liées à des situations amères d’après-conflit
ou à des conflits non réglés ou gelés. Les exemples les plus significatifs
sont les affaires Chypre c. Turquie; Géorgie c. Russie (I), (II) et (IV);
les affaires individuelles liées à la situation dans la région de
Transnistrie de la République de Moldova
; et les affaires liées
à la situation du Haut-Karabakh.

49. Au vu du nombre de requêtes interétatiques actuellement pendantes
devant la Cour, il y a fort à parier que de telles affaires poseront
des difficultés dans les années à venir. On recense à l’heure actuelle 12 requêtes
interétatiques relatives à des conflits qui sont pendantes devant
la Cour: une affaire introduite par l’Ukraine et les Pays-Bas contre
la Fédération de Russie; trois introduites par l’Ukraine contre
la Fédération de Russie; quatre introduites par l’Arménie contre
l’Azerbaïdjan; une introduite par l’Arménie contre la Türkiye; deux
introduites par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie; et une introduite
par la Géorgie contre la Fédération de Russie. On compte par ailleurs
environ 10 500 requêtes individuelles qui trouvent leur origine
dans les mêmes conflits
. Si toutes les
requêtes pendantes n’aboutiront pas nécessairement à un arrêt à
exécuter par un État ou à surveiller par le Comité des Ministres,
la multiplication des affaires interétatiques conduit à penser que
le Conseil de l’Europe ferait preuve de prudence en se dotant d’outils
pour les traiter et faciliter l’exécution des arrêts correspondants.
Dans ce contexte, il y a lieu de souligner les propositions adoptées
par l’Assemblée dans sa Résolution 2559
(2024) «Processus de réparation et de réconciliation pour surmonter
les conflits passés et construire un avenir commun de paix: la question
des mesures réparatoires justes et équitables».

50. Depuis la parution du rapport de 2023, la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme a eu des échanges utiles lors
de sa réunion à Larnaka les 22 et 23 mai 2023. Elle s’est notamment
concentrée sur l’affaire interétatique Chypre
c. Turquie ainsi que sur les requêtes individuelles liées
aux conséquences de l’invasion militaire turque à Chypre en 1974.
Plusieurs intervenants se sont exprimés au cours d’une audition sur
ce sujet, dont Mme Anne Koukkides-Procopiou,
ministre de la Justice et de l’Ordre public de la République de
Chypre; M. Costas Paraskeva, professeur associé de droit public
et des droits humains, Université de Chypre, également avocat et
ancien membre du Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants; M. Polyvios
G. Polyviou, avocat; et M. Achilleas Demetriades, avocat. L’audition
a également abordé l’affaire interétatique Géorgie
c. Russie, avec la participation de M. Levan Meskhoradze,
Unité Géorgie et Azerbaïdjan, Direction générale Droits humains
et État de droit, Conseil de l’Europe. Les intervenants ont souligné
la nécessité de prévoir des conséquences en cas d’agression, faute
de quoi on ne ferait qu’encourager la tolérance à l’égard d’autres
guerres et agressions en Europe. Ils ont reconnu le rôle joué par
les considérations politiques dans l’application des arrêts interétatiques, mais
ont également insisté sur l’importance de l’obligation de rendre
des comptes et de l’État de droit (et pas seulement des jeux de
pouvoir) pour garantir la paix et la sécurité sur le continent européen.
51. Les discussions ont pleinement mis en lumière les difficultés
rencontrées pour assurer l’exécution rapide et effective des arrêts
de la Cour dans les affaires interétatiques, ainsi que la frustration
ressentie par les personnes dont les droits sont ignorés et gravement
compromis par les retards persistants et je pourrais dire délibérés
dans l’exécution des arrêts de la Cour pour des raisons politiques
et extrajudiciaires. Les affaires interétatiques impliquent, de
par leur nature même, des questions très sensibles (comme la question
de l’enquête effective sur le sort des personnes disparues à Chypre
depuis 1974) et d’autres considérations fondamentales relatives
aux droits humains (par exemple, les droits de propriété des propriétaires
chypriotes grecs dans la partie occupée de Chypre ou le droit à
l’éducation des personnes enclavées). L’importance de la volonté
politique pour le règlement de ces affaires a été soulignée, de
même que le jeu complexe des solutions politiques nécessaires à
la réconciliation et à la résolution des situations complexes d’après-conflit d’une
part, et des droits individuels garantis par les arrêts de la Cour,
d’autre part. Ainsi, malgré l’octroi d’une satisfaction équitable
en 2014 dans la 4e affaire interétatique Chypre c. Turquie, celle-ci n’a
toujours pas été versée près de 10 ans plus tard, ce qui remet sérieusement
en question le droit à un recours effectif pour les violations des
droits humains
.

52. Les trois affaires Géorgie c. Russie concernent
(i) l’expulsion de Géorgiens de la Fédération de Russie en 2006;
(ii) la violation du droit à la vie, l’interdiction de la torture
et des détentions arbitraires, le respect des droits de propriété,
etc., pendant l’invasion de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en
2008; et (iii) diverses violations liées au processus dit de «frontiérisation»
qui a suivi. La Cour a répondu favorablement aux demandes de satisfaction
équitable et a accordé 10 millions € dans la première affaire et
130 millions € dans la deuxième, mais ces sommes n’ont toujours
pas été versées (la Cour n’a pas encore statué sur la satisfaction équitable
dans l’affaire Géorgie c. Russie (IV)).
La satisfaction équitable (indemnisation) n’est qu’une des nombreuses
mesures exigées des autorités russes pour l’exécution de ces arrêts.
Par exemple, des milliers de personnes déplacées en Géorgie veulent
rentrer chez elles, mais la Fédération de Russie continue d’entraver
le retour des personnes déplacées. Fondamentalement, l’exécution
d’un arrêt exige une volonté politique et la prise de mesures effectives.
Une proposition a été évoquée, à savoir la saisie des avoirs de
l’État russe détenus dans des pays tiers. Cette question est examinée
plus en détail ci-dessous dans le contexte de la Fédération de Russie.
6. L’exécution des arrêts par la Fédération de Russie
6.1. Vue d’ensemble
53. La Fédération de Russie a cessé
d’être membre du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022 et Partie à
la Convention européenne des droits de l’homme six mois plus tard,
le 16 septembre 2022. La Fédération de Russie est toujours tenue
d’exécuter les arrêts de la Cour européenne qui portent sur des
violations de la Convention commises avant le 16 septembre 2022.
54. Selon le Rapport
annuel 2024, la Fédération de Russie compte le plus grand
nombre d’arrêts en attente d’exécution, 2 867 – cela signifie que
plus de 40 % de toutes les affaires en attente d’exécution concernent
la Fédération de Russie. En outre, la Fédération de Russie présente
le nombre le plus élevé d’affaires de référence non exécutées –
244, selon le Rapport
annuel 2024.
55. Même avant son expulsion de l’Organisation, la Fédération
de Russie affichait déjà un piètre bilan en matière d’exécution
des arrêts de la Cour. À l’exception de quelques cas notables, elle
versait généralement la satisfaction équitable accordée par la Cour.
En revanche, son bilan concernant la mise en œuvre des mesures générales
requises par les affaires de référence était extrêmement mauvais.
Ce manquement s’est traduit par une grave dégradation des droits
humains dans le pays ainsi que par sa dérive autoritaire.
56. Le 11 juin 2022, une nouvelle loi est entrée en vigueur en
Fédération de Russie pour régir l’exécution des arrêts. Ses dispositions
précisaient que les arrêts de la Cour européenne devenus définitifs
après le 15 mars 2022 ne seraient pas exécutés et ne pourraient
pas servir de fondement à la réouverture de procédures. La loi prévoyait
par ailleurs que les indemnités accordées au titre de la satisfaction
équitable dans les arrêts devenus définitifs avant le 15 mars 2022
seraient payées jusqu’au 1er janvier
2023. Toutefois, le paiement serait effectué en roubles et uniquement
sur des comptes bancaires en Fédération de Russie. Aujourd’hui,
les autorités russes ont cessé de payer ces indemnités dans toutes
les affaires et ont coupé toute communication avec le processus
de surveillance de l’exécution des arrêts par le Comité des Ministres
.

57. Le Comité des Ministres a publié un certain nombre de propositions
pour une éventuelle stratégie concernant la surveillance de l’exécution
des affaires pendantes contre la Fédération de Russie. En décembre 2022,
en l’absence de coopération des autorités russes, le Comité des
Ministres a décidé de renforcer son engagement auprès de la société
civile russe et des organes pertinents des Nations Unies, et de
créer un registre public en ligne des sommes allouées au titre de
la satisfaction équitable en suspens concernant la Fédération de
Russie
.

58. Dans sa dernière décision sur ce sujet, en décembre 2024,
le Comité des Ministres a chargé le secrétariat de poursuivre sa
collaboration avec les autres organisations internationales afin
d’attirer l’attention sur les arrêts pendants, d’explorer de nouvelles
pistes pour intensifier la coopération avec la société civile russe
sur cette question, de renforcer encore le travail de visibilité
et de communication sur la surveillance de l’exécution des arrêts
de la Cour concernant la Fédération de Russie et d’élaborer un document
avant chaque réunion trimestrielle Droits de l’Homme qui présente
un aperçu des mesures d’exécution requises dans toutes les affaires
de référence russes en attente d’exécution. Le Comité des Ministres
a également convenu de continuer à examiner, à intervalles réguliers,
l’exécution des affaires interétatiques concernant la Fédération de
Russie et des affaires comportant des éléments interétatiques; a
invité le Secrétaire Général à envoyer une lettre une fois par an
au ministre russe des Affaires étrangères, pour l’informer des décisions
et résolutions adoptées pendant l’année par le Comité des Ministres
dans les affaires dans lesquelles la Fédération de Russie est l’État
défendeur; et a convenu de revoir la stratégie en décembre 2025
au plus tard
.

6.2. Analyse
59. Malheureusement, le Comité
des Ministres dispose d’outils très limités pour assurer l’exécution
effective des arrêts de la Cour contre la Fédération de Russie.
La stratégie adoptée porte essentiellement sur la coopération avec
les Nations Unies, la collaboration avec la société civile russe,
l’envoi de messages symboliques aux autorités russes, l’amélioration
de la visibilité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts
et le suivi régulier de la surveillance des affaires. Ces mesures
peuvent contribuer à accroître la visibilité des arrêts et à les
maintenir «en vie», mais ont peu de chances d’aboutir à leur exécution.
60. D’un point de vue réaliste, l’exécution des arrêts ne pourra
se faire que de deux manières. Premièrement, il faudrait que la
Fédération de Russie connaisse un changement politique radical et
souhaite redevenir membre du Conseil de l’Europe ou réintégrer l’ordre
juridique européen d’une autre manière. Deuxièmement, l'exécution
partielle des arrêts pourrait être acquise en obtenant le paiement
d'une satisfaction équitable par des moyens créatifs. Pour le moment,
l’Assemblée devrait se concentrer sur la deuxième option.
6.3. Garantir le paiement de la satisfaction équitable due en vertu des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Fédération de Russie
61. Au 15 janvier 2025, la Fédération
de Russie devait plus de trois milliards EUR au titre de la satisfaction équitable
en vertu des arrêts de la Cour (3 011 965 800,80 € au total, y compris
les intérêts moratoires). Ce montant comprenait 156 754 832,80 €
liés à des affaires interétatiques (dont deux en particulier: 12 723 315,07 €
pour l’affaire Géorgie c. Russie (I) et
144 031 517,73 € pour l’affaire Géorgie
c. Russie (II)). Le montant dû pour les affaires individuelles
s’élevait quant à lui à 2 855 210 968 € (y compris les intérêts moratoires).
Une part significative de ce montant (2 621 185 130,80 €) concerne
l’affaire «Yukos» – OAO Neftyanaya Kompaniya
Yukos c. Russie
.

62. La Cour n’a toujours pas statué sur les violations qui résultent
de la destruction du vol MH17 et de l’invasion à grande échelle
de l’Ukraine en février 2022. En juin 2024, la Cour a rendu un arrêt
important dans l’affaire Ukraine c. Russie(Crimée), une affaire interétatique
principalement liée aux violations commises en Crimée depuis 2014.
La question de la satisfaction équitable pour les violations constatées
sera tranchée dans un futur arrêt. Lorsque la Cour européenne déterminera
le montant des dommages-intérêts pour ces violations et d’autres
qu’elle pourrait constater à l’avenir en rapport avec la guerre
en Ukraine, il conviendra de s’assurer que les requérants reçoivent
l’indemnité de réparation qui leur est due. Les montants en jeu
peuvent revêtir une importance stratégique.
63. En février 2024, le Comité des Ministres a invité le Comité
des Conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI)
à fournir un aperçu indicatif des moyens possibles conformes au
droit international et destinés à garantir le paiement par la Fédération
de Russie de la satisfaction équitable octroyée par la Cour européenne
des droits de l’homme, tout en respectant les immunités des États
et leurs biens
. Ce rapport a été
remis au Comité des Ministres en janvier 2025, mais il n’est pas
public. Au moment où je rédige le présent rapport, le Comité des
Ministres doit encore examiner les éventuelles implications dudit
rapport.

64. Lors du débat public, un certain nombre de propositions intéressantes
ont été avancées concernant le paiement des sommes en souffrance.
Les deux propositions principales sont l’exécution forcée par les tribunaux
nationaux (par exemple en considérant les arrêts de la Cour comme
ayant autorité de la chose jugée et en n’appliquant pas l’immunité
de l’État) et la mise en place d’un mécanisme de financement ad hoc, tel qu’un fonds fiduciaire,
ou d’un accord partiel au Conseil de l’Europe. Les sources possibles
de financement pourraient inclure les avoirs de l’État russe (notamment
les avoirs gelés de la Banque centrale russe d’un montant de plus
de 300 milliards € détenus par Euroclear) et les avoirs des entités
commerciales publiques russes
.

65. De telles mesures ne sont pas sans présenter des complexités
juridiques et politiques. On pense notamment aux aspects juridiques
très sensibles de l’immunité souveraine et de la conformité de l’exécution au
niveau national avec la Convention; à la question de savoir comment
les nouvelles mesures destinées à faire appliquer les arrêts de
la Cour pourraient coexister avec le Registre des dommages pour
l’Ukraine (et éventuellement se disputer les mêmes fonds qu’une
éventuelle commission d’indemnisation); aux questions morales et
politiques que pose l’utilisation des avoirs russes saisis pour
le paiement d’une satisfaction équitable aux citoyens russes alors
que ces sommes pourraient (éventuellement) être utilisées autrement
pour indemniser l’Ukraine; aux risques financiers inhérents à la
saisie des avoirs de banques centrales étrangères; et à la question
de savoir qui précisément serait en mesure de recevoir le paiement
de la satisfaction équitable, compte tenu des restrictions imposées
aux résidents russes qui interagissent avec des organisations internationales
depuis la Fédération de Russie.
66. Dans la Déclaration de Reykjavík, les dirigeants des États
membres du Conseil de l’Europe ont affirmé «la nécessité de tout
mettre en œuvre pour assurer l’exécution des arrêts de la Cour par
la Fédération de Russie»
. En raison
de sa complexité et de son importance, cette question devrait faire
l’objet d’un rapport distinct.

7. La mise en œuvre des mesures énoncées dans la Déclaration de Reykjavík pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
67. Les objectifs et les priorités
du Conseil de l’Europe ont été reformulés par les chefs d’État et
de gouvernement dans la Déclaration de Reykjavík en mai 2023. L’exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constitue
une partie importante du texte, qui comprend à la fois des engagements généraux
et des plans spécifiques. Afin d’évaluer la manière dont la Déclaration
a été mise en œuvre par les entités du Conseil de l’Europe, j’ai
organisé plusieurs réunions avec les principales parties prenantes
(voir plus haut le paragraphe 8). Je présente ci-dessous la liste
des mesures les plus importantes prévues à l’annexe IV de la Déclaration
de Reykjavík à propos de l’exécution des arrêts de la Cour par les
entités du Conseil de l’Europe, ainsi que les actions menées à ce
jour pour les mettre en œuvre.
68. Les États membres ont entrepris de:
- «… continuer à renforcer l’efficacité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, en particulier ses réunions consacrées aux droits de l’homme… [et] continuer à améliorer l’efficacité du mécanisme de surveillance de l’exécution des arrêts». En novembre 2023, le Comité des Ministres a décidé de rendre public le programme de travail annuel approuvé par le Comité des Ministres lors de ses réunions Droits de l’Homme de décembre
. Hormis cette mesure de transparence, bienvenue, mais limitée, et celles énoncées ci-après, aucune autre mesure n’a été prise pour améliorer l’efficacité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour. Le Comité des Ministres a décidé de continuer à suivre l’évolution de cette question
;
- «… veiller à ce que le Service de l’exécution des arrêts ait les ressources nécessaires pour aider les États membres et le Comité des Ministres dans cette tâche». Le budget du Service de l’exécution des arrêts est passé de 6 734 000 € en 2024 à 8 099 800 € en 2025. Cette hausse permettra au service d’augmenter ses effectifs de 53 à 66 personnes, ce dont nous nous félicitons vivement
. Parallèlement, il convient de noter que la charge de travail du Service de l’exécution des arrêts s’est également alourdie ces dernières années. La Cour a pris des mesures particulièrement efficaces qui ont permis de traiter un plus grand nombre de requêtes en rendant un seul arrêt. Cela signifie qu’au lieu de travailler normalement à assurer l’exécution d’un seul arrêt pour un ou quelques requérants, le Service de l’exécution des arrêts est désormais plus souvent chargé de suivre l’exécution de décisions pour des dizaines ou des centaines de requérants. Il convient en outre de souligner à nouveau l’importance du travail du Service de l’exécution des arrêts pour faire en sorte que des affaires ne soient tout simplement jamais portées devant la Cour. Le fait de garantir l’exécution pleine et rapide des arrêts de la Cour permettrait d’éviter la majorité des violations et de réduire ainsi le nombre d’affaires dont elle est saisie. On peut donc raisonnablement se demander pourquoi le budget ordinaire de la Cour est dix fois supérieur à celui du Service de l’exécution des arrêts
, alors que le travail de ce dernier peut alléger la charge de travail de la Cour et améliorer l’efficacité de l’ensemble du système de la Convention. Compte tenu de cet argument et des nombreux problèmes liés à l’exécution des arrêts de la Cour décrits dans le présent rapport, il est recommandé de renforcer davantage les ressources du Service de l’exécution des arrêts;
- «Renforcer les programmes de coopération visant à aider les États parties à mettre en œuvre les arrêts qui peuvent impliquer, le cas échéant, des États confrontés à des problèmes identiques ou similaires dans l’exécution, et renforcer la synergie entre le Service de l’exécution des arrêts et les programmes de coopération du Conseil de l’Europe». Plus de 70 % des projets de coopération en cours sont liés à l’exécution des arrêts de la Cour. La coopération entre les secrétariats des projets de coopération technique et le Service de l’exécution des arrêts a été renforcée et il y a, dans les départements concernés, des membres du personnel qui sont spécifiquement chargés d’assurer la liaison entre les deux. Dans le même temps, il n’est pas certain que le nombre de projets de coopération liés à l’exécution des arrêts de la Cour ait augmenté. Il est essentiel que les États membres mettent à cet effet des ressources supplémentaires à disposition, en particulier pour les projets menés dans les États membres de l’Union européenne, qui reçoivent actuellement très peu de soutien;
- «… souligner l’importance d’organiser une réunion annuelle avec les coordinateurs nationaux pour l’exécution des arrêts et le Service de l’exécution des arrêts». La création du Réseau des coordinateurs de l’exécution en juin 2024 est une excellente nouvelle. Le 30 janvier 2025, j’ai participé à une réunion de ce réseau, au cours de laquelle j’ai présenté une liste de synergies et d’activités de coopération possibles avec l’Assemblée. Je suis convaincu que ce dialogue se poursuivra et qu’il donnera lieu à des échanges productifs en temps utile;
- «Appeler à un renforcement du dialogue institutionnel entre la Cour et le Comité des Ministres sur les questions générales liées à l’exécution des arrêts». Outre les échanges semestriels qui ont lieu actuellement entre le Comité des Ministres et le président de la Cour, une réunion annuelle est désormais organisée entre le président de la Cour, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et la présidence du Comité des Ministres. Le Service de l’exécution des arrêts et le Greffe de la Cour ont continué à renforcer leur coopération avec le lancement officiel d'un «Projet de dialogue» en 2024 réunissant des juristes des deux entités pour promouvoir une approche globale de la Convention. Des réunions thématiques et par pays ont lieu pour identifier et aligner les priorités, notamment en ce qui concerne les affaires découlant de problèmes structurels. Des échanges réguliers d'informations et des formations communes sont en cours ainsi qu’un projet commun pour créer des modules HELP ciblés dans des domaines d'intérêt transversaux afin d'améliorer la capacité nationale à résoudre certains problèmes structurels, à renforcer les mesures générales et à empêcher que des affaires répétitives ne parviennent à la Cour;
- «Appeler à un renforcement du dialogue politique en cas de difficultés dans l’exécution des arrêts et encourager la participation de représentants à haut niveau de l’État défendeur». Dans une décision de février 2024, le Comité des Ministres a convenu de renforcer le dialogue au niveau politique en cas de difficultés dans l’exécution des arrêts et réitéré l’invitation faite aux représentants à haut niveau à participer à ses réunions du Droits de l’Homme
. Il n’est pas évident de savoir si la participation de ces représentants à haut niveau aux réunions Droits de l’Homme a augmenté depuis, mais il n’est pas non plus certain que le Comité des Ministres ait les moyens d’assumer une telle augmentation, au-delà de lancer l’invitation;
- «Appeler le Comité des Ministres à poursuivre son travail sur le renforcement des outils disponibles pour la surveillance de l’exécution des arrêts avec des mesures graduelles claires et prévisibles en cas de non-exécution ou de refus persistant d’exécuter les arrêts définitifs de la Cour, de manière appropriée et flexible, qui prenne en compte les spécificités de chaque affaire». Après une décision de février 2024, le document du Comité des Ministres sur les moyens de renforcer les outils à la disposition du Comité des Ministres dans la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour a été mis à jour pour préciser les mesures à prendre avant d’engager une procédure en manquement
. Ce document n’est pas public.
69. À partir de cette analyse, j’ai formulé un certain nombre
de propositions de mesures supplémentaires dans le projet de résolution
et de recommandation, pour les aspects où il est important – et
possible – de réaliser de nouvelles avancées.
70. Les mesures déjà prises dans la liste ci-dessus sont très
appréciées, tout comme les efforts considérables déployés par les
parties prenantes concernées. Parmi les mesures supplémentaires,
la faiblesse la plus notable concerne le premier point de la liste:
les mesures destinées à améliorer l’efficacité du processus de surveillance
de l’exécution des arrêts, notamment les réunions Droits de l’Homme
du Comité des Ministres. Immédiatement avant et après la Déclaration
de Reykjavík, une discussion publique franche s’est engagée entre
les observateurs universitaires, les organisations de la société
civile et le Groupe de réflexion de haut niveau du Conseil de l’Europe
sur les différents moyens d’y parvenir.
71. Selon moi, une mesure efficace pour promouvoir l’exécution
des arrêts de la Cour serait d’infliger des sanctions financières
en cas de non-exécution généralisée. Il convient de rappeler que,
en 2000, l’Assemblée avait proposé au Comité des Ministres d’instaurer
des amendes journalières en cas de non-exécution des arrêts de la
Cour. Le Comité des Ministres a demandé au Comité directeur pour
les droits humains (CDDH) d’étudier la question. Le CDDH a conclu
qu’il n’était pas pertinent de recourir à des amendes pour favoriser l’exécution
des arrêts, et que cela n’augmenterait en aucun cas la pression
sur les États. L’année suivante, la Commission de Venise a publié
un avis dans lequel elle estimait qu’une étude de faisabilité pourrait
être utile. Toutefois, le Comité des Ministres n’a commandé aucune
étude et n’a pris aucune autre mesure. Je pense qu’à l’heure actuelle,
ce type d’action ne bénéficie pas d’un soutien politique suffisant
au sein du Comité des Ministres. Néanmoins, l’Assemblée ne devrait
pas abandonner cette proposition, et devrait continuer à rappeler
au Comité des Ministres la nécessité d’exercer plus de pression
si c’est nécessaire
.

72. Parmi les autres propositions notables figuraient l’augmentation
du nombre, de la durée et de la transparence des réunions Droits
de l’Homme du Comité des Ministres, la définition d’un critère clair
pour l’utilisation de l’article 46, paragraphe 4, la désignation
d’un représentant spécial pour l’exécution des arrêts de la Cour
et des sanctions financières en cas de non-exécution
. Il est regrettable
qu’aucune de ces propositions n’ait été retenue par le Comité des
Ministres. L’Assemblée devrait demander au Comité des Ministres
de garder à l’étude la question de ces réformes.

73. Le Comité des Ministres étant par nature l’autorité désignée
pour surveiller l’exécution des arrêts de la Cour, certaines décisions
sont motivées par des considérations politiques, ce qui provoque
beaucoup de dommages, de frustration et de déception au niveau national,
en particulier lorsque les décisions sont infondées ou hâtives.
C’est pourquoi j’ai insisté, dans le rapport de 2023, sur la transparence
du mécanisme de surveillance et sur une procédure détaillée de justification
des mesures prises.
8. Le rôle de l’Assemblée dans l’exécution des arrêts
74. Dans la Déclaration de Reykjavík,
les chefs d’État et de gouvernement ont invité le Président de l’Assemblée,
ainsi que d’autres personnalités de haut rang du Conseil de l’Europe,
à «renforcer leur dialogue politique avec leurs interlocuteurs nationaux
respectifs sur la mise en œuvre des arrêts». Les États y rappelaient
tout particulièrement «l’importance d’impliquer les parlements nationaux
dans l’exécution des arrêts»
. Depuis, le Comité
des Ministres a invité l’Assemblée et le Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux à renforcer leur dialogue avec les interlocuteurs au
niveau national sur l’exécution des arrêts de la Cour, et a demandé
au Service de l’exécution des arrêts de l’assister dans cette tâche
.
En juin 2024, le Service de l’exécution des arrêts a mené sa toute
première mission conjointe avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
pour soutenir l'exécution des arrêts de la Cour par les autorités
bulgares au niveau local, dans l'affaire Yordanova
et autres c. Bulgarie. Enfin, dans son discours prononcé
devant l’Assemblée en janvier 2025, le président de la Cour européenne
des droits de l’homme, Marko Bošnjak, a souligné le «rôle influent» que
l’Assemblée peut jouer dans la promotion de l’exécution des arrêts
de la Cour, en rappelant les aspects pertinents de la Déclaration
de Reykjavík.


75. L’Assemblée est donc appelée à jouer son rôle dans la promotion
de l’exécution des arrêts de la Cour. Je suis heureux d’annoncer
que nous répondons à cet appel. Après les discussions de la sous-commission sur
la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme à Zagreb en novembre 2023, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme a adopté, en décembre 2023, une série de propositions
qui visent à renforcer les activités de l’Assemblée pour promouvoir
l’exécution des arrêts de la Cour
.

76. Certaines de ces propositions ont déjà été mises en œuvre
en 2024. Avant chaque réunion de haut niveau entre le Président
de l’Assemblée et les présidents, les premiers ministres et les
ministres des Affaires étrangères, le Président reçoit désormais
des documents d’information sur l’exécution des arrêts de la Cour dans
l’État concerné, afin de pouvoir aborder ces arrêts pendant les
discussions. Par ailleurs, des notes d’information sont désormais
diffusées auprès des parlementaires eux-mêmes. Depuis janvier 2024,
lors de chaque partie de session de l’Assemblée, le Service de l’exécution
des arrêts informe les délégations nationales de parlementaires
de l’état de l’exécution des arrêts de la Cour dans leur pays. Des
réunions d’information ont ainsi été organisées pour les membres
des délégations arménienne, bulgare, croate, grecque, hongroise,
italienne, moldave, roumaine, portugaise et ukrainienne. L’un des
aspects les plus productifs de ma rencontre avec les hauts responsables
de la Direction des droits humains du Conseil de l’Europe a été
la discussion sur l’élargissement de ces réunions d’information.
J’espère que nous pourrons instaurer des réunions d’information
annuelles pour les délégations nationales, accompagnées d’informations détaillées
sur la manière dont les parlementaires peuvent promouvoir au mieux
l’exécution des arrêts de la Cour dans leur pays.
77. En attendant, l’Assemblée doit aller plus loin. La proposition
la plus ambitieuse de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme consiste à créer un réseau de parlementaires
pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour. Il s’agit d’établir
un groupe de parlementaires issus de toute l’Europe, qui se réunirait
environ deux fois par an pour informer plus amplement leurs collègues
sur le fonctionnement de l’exécution des arrêts de la Cour et sur
les mesures qu’ils peuvent prendre pour faire avancer ce processus. Pour
ce faire, les membres du réseau partageraient leurs bonnes pratiques
sur la manière dont ils ont contribué à promouvoir l’exécution des
arrêts de la Cour au niveau national, ainsi que les meilleures structures
mises en place à cette fin, telles que les commissions parlementaires
qui sont très efficaces dans certains États pour contrôler l’exécution
des arrêts de la Cour. Enfin, un parlementaire de chaque État pourrait
être nommé «représentant de l’Assemblée» dans son pays et jouer
un rôle de premier plan pour promouvoir l’exécution des arrêts de
la Cour au sein du parlement.
78. J’ai intégré la proposition de créer un tel réseau dans le
projet de résolution. Si cette proposition est adoptée par l’Assemblée,
il faudra très probablement dégager des ressources supplémentaires
pour la concrétiser, ce qui pourrait nécessiter des contributions
volontaires spécifiques de la part des États membres. J’espère que
l’Assemblée et les États membres comprendront l’intérêt d’établir
un groupe de parlementaires qui se consacre à la promotion de l’exécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
9. Conclusion
79. Je ne me lasserai pas de dire
que 75 ans après l’adoption de la Convention, nous parlons encore
des bases mêmes de ce que nous sommes tous convenus d’établir: le
respect et l’exécution des arrêts de la Cour. L’exécution des arrêts
de la Cour reflète l’efficacité de l’ensemble du système de la Convention
européenne des droits de l’homme mais également l’état actuel des
choses. Les arrêts de la Cour ne peuvent contribuer à la protection
des droits humains que s’ils sont correctement exécutés; et la Cour
ne peut rendre de nouveaux arrêts en temps utile que si les États
appliquent les anciens. La Déclaration de Reykjavík a permis à chaque État
membre du Conseil de l’Europe de s’engager sans équivoque à exécuter
les arrêts de la Cour. Elle nous a également indiqué la voie à suivre
pour y parvenir. L’heure est venue pour chacun d’entre nous – gouvernements,
parlementaires, tribunaux et société civile – d’emprunter cette
voie et d’aller de l’avant. Comme je l’ai indiqué en introduction,
la vie d’un enfant dans un coin de l’Europe peut être déterminée
par la volonté des États d’exécuter les arrêts partout sur notre
continent. Nous devrions tous aborder l’exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme en ayant à l’esprit la
gravité de cette réalité.