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Rapport | Doc. 16135 | 21 mars 2025

Mettre fin aux expulsions collectives de personnes étrangères

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Pierre-Alain FRIDEZ, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15903, Renvoi 4790 du 7 mars 2024. 2025 - Deuxième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 11 mars 2025.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que les expulsions collectives de personnes étrangères sont formellement interdites en vertu de l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 46), une obligation également inscrite dans le droit de l’Union européenne conformément à l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À cet égard, l’Assemblée s’inquiète de la divergence croissante entre le droit international et la pratique des États membres.
2. L’Assemblée considère que la pratique des expulsions collectives pose un défi majeur au respect de l’État de droit ainsi qu’aux normes fondamentales des droits humains, y compris au principe de non-refoulement et à l'interdiction absolue de la torture. Elle rappelle les principes par lesquels les États membres du Conseil de l'Europe sont liés, leurs obligations juridiques en la matière, et souligne la nécessité d'une action renforcée de l'Organisation pour les accompagner dans ce domaine.
3. L’Assemblée rappelle que, en vertu de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») Khlaifia et autres c. Italie, la notion d’«expulsion collective» doit se comprendre comme désignant «toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe».
4. Se félicitant de la jurisprudence de la Cour, notamment l’arrêt Čonka c. Belgique, selon laquelle toute procédure d’expulsion doit offrir des garanties suffisantes attestant d’une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chaque personne concernée, l’Assemblée s’alarme de la pratique répandue en Europe des expulsions collectives sans examen individuel de la situation de chaque personne.
5. L’Assemblée rappelle l’importance d’un examen individuel des situations pour prévenir toute expulsion collective. Dans la lignée de sa Résolution 2461 (2022) et sa Recommandation 2238 (2022) «Pays tiers sûrs pour les demandeurs d’asile», elle rappelle l’importance d’éviter l’usage des listes de pays sûrs comme motifs d’inadmissibilité de demande d’asile et se félicite de la décision du Comité des Ministres d’étudier la possibilité de réviser sa Recommandation n° R (97) 22 énonçant des lignes directrices sur l’application de la notion de pays tiers sûr.
6. L’Assemblée exprime également sa profonde préoccupation face à l’expansion de la notion de «fiction juridique de non-entrée» selon laquelle les personnes seraient considérées comme n'étant pas entrées sur le territoire européen, et dont l’usage sera facilité avec la mise en œuvre du Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile (le Pacte), ce qui pourrait rendre les demandes d’asile plus difficiles à faire. Elle rappelle dans ce contexte l’application extraterritoriale de l’article 4 du Protocole n° 4 telle qu’établie dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie, et le fait que cette «fiction juridique de non-entrée» n’exonère pas les États de leurs obligations, notamment celles de non-refoulement et de la prohibition absolue de la torture et des mauvais traitements.
7. Dans sa Résolution 2462 (2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion des migrations» l’Assemblée a souligné le lien intrinsèque entre la prohibition des expulsions collectives, le principe de non-refoulement et la prohibition absolue de la torture. Contrevenir à ces principes fondamentaux peut exposer les personnes à des conséquences tragiques dont les responsables doivent être tenus de rendre des comptes.
8. Dans sa Résolution 2555 (2024) «Garantir des procédures d'asile conformes aux droits humains», l’Assemblée a déjà souligné les obligations juridiques suivantes, dont elle rappelle ici le caractère contraignant: seul un examen individuel équitable et effectif, y compris des demandes d’asile, peut permettre de satisfaire à l’obligation d’un État de ne pas exposer, directement ou indirectement, toute personne relevant de sa juridiction à un risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant. Par ailleurs, en cas d’appel, le recours doit avoir un effet suspensif automatique des mesures d’expulsion si le requérant ou la requérante fait état d’un risque au regard de l’article 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention»). Ces garanties procédurales sont requises pour que l’appel soit considéré comme effectif et conforme avec l’article 13 de la Convention, ainsi qu’avec la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme.
9. Consciente des impératifs de sécurité intérieure et de gestion des frontières qui s’imposent aux États dans un contexte géopolitique parfois complexe, l’Assemblée invite toutefois les États membres du Conseil de l’Europe à ne pas tomber dans le piège de l’exceptionnalisme des droits humains pour répondre à ces défis. À ce propos, elle rappelle sa Résolution 2404 (2021) «L'instrumentalisation de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec le Bélarus» dans laquelle elle condamnait «toute instrumentalisation des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile par les États à des fins politiques».
10. L’Assemblée souligne que les premières victimes de ce qu’elle a appelé des «attaques hybrides» dans la Résolution 2404 (2021) sont les personnes migrantes elles-mêmes. La réponse des États visés par ces attaques sanctionne les personnes migrantes, accroit leur vulnérabilité, au lieu de sanctionner les États coupables de cette instrumentalisation ou de les mettre face à leurs responsabilités. Cette logique perverse est un piège, et l’extrême vulnérabilité et la violation des droits des personnes migrantes peuvent être évitées si les États européens se refusent à y tomber.
11. À ce titre, l’Assemblée déplore profondément que l’impératif de la protection de la sécurité nationale et de la protection absolue des frontières semble justifier un assouplissement des normes en vigueur développées et acceptées par les États eux-mêmes. Elle rappelle que le concept d’instrumentalisation ne constitue pas une base pour une dérogation générale aux normes en matière d'asile et de droits humains, dont le caractère absolu du principe de non-refoulement et de l’article 3 de la Convention et l’obligation de procéder à un examen individuel de la situation d'une personne avant de la renvoyer. Dans ce contexte, elle exhorte les États membres à ne pas déroger à leurs obligations même dans un contexte difficile, comme l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-72/22 PPU - Valstybės sienos apsaugos tarnyba.
12. Regrettant qu’aucun pays d’Europe qui se trouve sur les routes migratoires empruntées par celles et ceux qui cherchent refuge et une vie digne en Europe n’est épargné par la pratique des expulsions collectives, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à envisager la mise en place de voies légales de migration pour éviter les tragédies humaines et le manque de main d’œuvre, dans le même esprit qu’elle l’a préconisé dans sa Résolution 2586 (2025) «L'immigration, l'une des réponses au vieillissement démographique de l'Europe».
13. Pour permettre de documenter les éventuelles violations des droits à la frontière, de responsabiliser les auteurs, et de garantir l'accès des personnes migrantes à une assistance juridique et à des informations sur leurs droits, les zones frontalières doivent être accessibles à tout moment, y compris dans les zones où et pendant les procédures au cours desquelles la «fiction juridique de non-entrée» s'applique et/ou lorsque les personnes migrantes sont privées de leur liberté. L'accès devrait être accordé, en droit et en pratique, en plus de l’Officier aux droits fondamentaux de Frontex, aux mécanismes de suivi nationaux et du Conseil de l'Europe, au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, aux institutions nationales des droits humains, aux parlementaires, aux organisations de la société civile, aux professionnels de la santé, aux avocats et aux journalistes.
14. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite du fait que les États membres de l'Union européenne soient tenus de mettre en place, d'ici juin 2026, au niveau national, des mécanismes de suivi indépendants pour garantir le respect des droits humains à la frontière au cours de la procédure de «filtrage» et des procédures d'asile accélérées à la frontière prévues dans le Pacte. L'Assemblée encourage vivement les États membres à prendre en considération les orientations de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne prévues dans le «Guide sur les mécanismes nationaux indépendants», en particulier la recommandation d'adopter une législation nationale pour étendre le champ d'application du suivi à l'ensemble de la gestion des frontières, y compris les procédures de retour.
15. L’Assemblée reconnaît que l'adoption du Pacte marque la volonté politique d'une approche cohérente de la part des États membres de l'Union européenne sur ces questions. Cependant, avec une période transitoire allant jusqu'en 2026 et des mesures d'application encore à prendre, l’Assemblée insiste sur l’importance de la mise en place de garanties effectives dans le cadre de la définition des plans nationaux de mise en œuvre du Pacte afin d'éviter les situations d'expulsions collectives.
16. Pour garantir l’accès à un examen individuel de la situation de chaque personne migrante, notamment lors du franchissement des frontières, dans le cadre des procédures d'asile ou de retour, l’Assemblée encourage vivement les États membres:
16.1. à adopter des plans nationaux d’action de mise en œuvre du Pacte conformes à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unies (la Convention de 1951) et la Convention européenne des droits de l’homme et y faisant expressément référence;
16.2. à prévoir l’évaluation et la garantie systématiques de la légalité des décisions d’expulsion, y compris consécutives à une décision d’inadmissibilité de la demande d’asile, par une juridiction compétente sur le territoire, avant toute opération de renvoi y compris dans les situations fictionnelles de «non-entrée»;
16.3. à assurer une formation adéquate basée sur le respect des normes de droit international des droits humains, y compris la Convention de 1951 et la Convention européenne des droits de l’homme, à l’attention des gardes-frontières et autre parties prenantes telles que les avocats, les juges et procureurs, les interprètes et le personnel administratif. Dans ce contexte, l’Assemblée encourage l’utilisation du Programme européen de formation aux droits humains pour les professionnels du droit du Conseil de l’Europe (le Programme HELP) pour le développement de tels programmes de formation;
16.4. à assurer l’accès à un avocat et à des services d'interprétation, y compris au moment du débarquement des personnes migrantes interceptées en mer, et le respect des procédures officielles de prise de notes, en particulier pour éviter la mauvaise interprétation des déclarations faites dans le contexte des demandes de protection internationale;
16.5. pour les États membres qui sont membres de l’Union européenne, à allouer des ressources matérielles et humaines suffisantes pour la mise en œuvre effective des plans nationaux d’application du Pacte dans le respect des droits humains, en particulier en ce qui concerne les implications en matière de garanties procédurales.
17. Notant le nombre élevé de requêtes pendantes devant la Cour concernant les expulsions collectives ainsi que celui d’arrêts qui font toujours l’objet d’une surveillance par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée enjoint les États membres du Conseil de l’Europe condamnés par la Cour à rapidement et pleinement exécuter ces arrêts, notamment:
17.1. en prenant toutes les mesures nécessaires pour assurer aux personnes migrantes un traitement conforme à la Convention, notamment en matière d’expulsion collective, et en veillant à ce que celles-ci bénéficient systématiquement d’un accès réel et effectif aux procédures d’entrée légale dans les États;
17.2. en veillant à ce que les demandeurs et demandeuses d’asile ne soient pas expulsés sans identification ni examen de leur situation individuelle;
17.3. en évitant toute déformation des déclarations des personnes étrangères concernant leur souhait de demander une protection internationale;
17.4. en fournissant aux personnes migrantes des recours effectifs, notamment un délai suffisant pour saisir effectivement un juge avant que l’arrêté d’expulsion ne soit exécuté;
17.5. en veillant à ce que l’effet suspensif des recours contre les décisions de refus d’entrée dans le pays soit assuré en droit et en pratique;
17.6. en utilisant le processus de l’exécution des arrêts de la Cour pour trouver une approche globale aux défis causés par des arrivées importantes de personnes migrantes, dans le but de résoudre les problèmes complexes et structurels tels qu’identifiés par le Comité des Ministres.
18. L’Assemblée se félicite de la volonté politique de certains États qui choisissent d’assurer un accueil des personnes migrantes conforme aux normes du droit international, malgré les défis induits par le nombre important d’arrivées.
19. Notant que les pays d’arrivée des personnes migrantes assument la majeure partie de la responsabilité des politiques d’accueil et d’intégration, l’Assemblée appelle à une approche européenne cohérente en matière d’accueil, en droit et en pratique, entre les territoires, qu’il s’agisse du niveau national ou du niveau européen.
20. L’Assemblée rappelle que l’interdiction des expulsions collectives prévaut à toutes les frontières y compris les frontières intérieures de l’Union européenne. Les renvois expéditifs au sein de l’espace Schengen ne sauraient se justifier sans le plein respect des garanties procédurales applicables et une décision individuelle, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. L’Assemblée attire par ailleurs l’attention sur le rétablissement prolongé des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen qui contrevient à cet esprit de solidarité.
21. L’Assemblée rappelle qu’il est impératif de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant en toutes circonstances et regrette vivement toute instrumentalisation politique de la situation des enfants non accompagnés. En cas d’arrivée importante de ces enfants dans des territoires particuliers, l’Assemblée encourage vivement les parties prenantes à trouver une solution permettant la relocalisation, l’accueil et l’intégration de ces enfants dans d’autres régions du même pays. Cela favoriserait une approche cohérente vis-à-vis des perspectives d’accueil et d’intégration dues à ces enfants y compris leur accompagnement via un régime de tutelle conforme à la Recommandation CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres aux États membres sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration.
22. L’Assemblée encourage vivement une refonte de la législation relative à l’asile dans les pays où celle-ci n’est plus adéquate face à l’augmentation des flux migratoires et n’est pas conforme au droit européen.
23. Reconnaissant l’importance de l’assistance juridique pour les personnes migrantes afin de rendre l’examen de leur situation individuelle effectif, l’Assemblée estime qu’il est crucial de renforcer la présence, aux points d’arrivée, d’avocats spécialisés dans le droit des étrangers. Elle recommande ainsi vivement une formation spécifique en droit maritime et en droit d’asile pour soutenir cet effort. Elle recommande également d’améliorer l’accès à des interprètes, surtout au moment du débarquement des personnes migrantes.
24. L’Assemblée s’inquiète des violences sexuelles et sexistes subies par les femmes et les enfants pendant leur traversée, et des risques de traite par la suite. Elle rappelle que si les autorités compétentes estiment qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a été victime de la traite des êtres humains, elle ne doit pas être éloignée du territoire jusqu’à la fin du processus d’identification en tant que victime. Elle recommande la mise en place de mesures de protection spécifiques afin de garantir leur sécurité, notamment:
24.1. la mise en place d’une formation ciblée pour les avocats afin de mieux reconnaître et assister les victimes de violences sexistes et sexuelles, avec un soutien financier dédié;
24.2. sauf dans le cas de liens familiaux ou amicaux préexistants au voyage, la séparation des hommes et des femmes dans les centres d’accueil pour étrangers ou le transfert des femmes dans des centres séparés afin de les protéger de la pression exercée par les hommes avec lesquels elles ont voyagé.
25. L’Assemblée se félicite de la création au sein du Conseil de l’Europe d'une nouvelle Division des migrations et des réfugiés visant à consolider et à intensifier les efforts de l'Organisation pour aborder les questions urgentes liées aux migrations et à l'asile, et invite les États membres à pleinement bénéficier de son expertise.
26. Convaincue de l’importance du rôle du Conseil de l’Europe dans le soutien de ses États membres au regard du respect des engagements que ceux-ci ont pris en adhérant à l’Organisation et en ratifiant ses traités internationaux, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, l’Assemblée encourage les États membres et les organes de l’Union européenne à faire une référence systématique aux normes du Conseil de l’Europe dans le développement des politiques publiques nationales et européennes en matière de migration et d’asile. Plus généralement, elle considère que la mise à jour des «Vingt principes directeurs sur le retour forcé» adoptés par le Comité des Ministres (document CM(2005)40), ainsi que le développement par le Conseil de l’Europe d’une boîte à outils des bonnes pratiques concernant la mise en œuvre de ses normes dans la gestion des migrations et de l’asile par ses États membres, seraient fort utiles.
27. L’Assemblée est convaincue que la situation complexe des territoires ultramarins des États membres du Conseil de l’Europe, qui nécessite une réponse politique humaine et transparente, respectueuse des droits individuels, mériterait qu’on s’y penche plus avant, et recommande que ce sujet fasse l’objet d’un futur rapport.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 11 mars 2025.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution ... 2025 «Mettre fin aux expulsions collectives de personnes étrangères», et notant les défis posés par la pratique des expulsions collectives à l'État de droit et aux normes fondamentales des droits humains, y compris le principe de non-refoulement et l'interdiction absolue de la torture, rappelle les principes par lesquels les États membres du Conseil de l'Europe sont liés, leurs obligations juridiques en la matière, et souligne la nécessité d'une action renforcée de l'Organisation pour les accompagner dans ce domaine.
2. L’Assemblée se félicite de la création au sein du Conseil de l’Europe d'une nouvelle Division des migrations et des réfugiés visant à consolider et à intensifier les efforts de l'Organisation pour aborder les questions urgentes liées aux migrations et à l'asile, et invite le Comité des Ministres à soutenir pleinement ces efforts par tous les moyens disponibles.
3. Convaincue de l’importance du rôle du Conseil de l’Europe dans le soutien de ses États membres au regard du respect des engagements que ceux-ci ont pris en adhérant à l’Organisation et en ratifiant ses traités internationaux, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), l’Assemblée invite le Comité des Ministres à encourager activement la référence systématique aux normes du Conseil de l’Europe dans le développement des politiques publiques nationales et européennes en matière de migration et d’asile, et l’appelle, à cette fin, à faciliter le développement d’une boîte à outils des bonnes pratiques concernant la mise en œuvre des normes du Conseil de l’Europe dans la gestion des migrations et de l’asile par ses États membres. L’Assemblée invite aussi le Comité des Ministres à mettre à jour le document CM(2005)40 «Vingt principes directeurs sur le retour forcé».

C. Exposé des motifs par M. Pierre-Alain Fridez, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. J’ai initié une proposition de résolution intitulée «Mettre fin aux expulsions collectives d’étrangers», que l’Assemblée parlementaire a transmis à la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées pour rapport, le 7 mars 2024. J’ai été désigné rapporteur le 16 avril 2024.
2. Les expulsions collectives sont prohibées par le droit international et, pourtant, elles sont pratiquées par les États avec «un sentiment d'impunité [qui] prévaut» 
			(3) 
			Agence
des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) (2024), <a href='https://fra.europa.eu/en/publication/2024/guidance-investigating-alleged-ill-treatment-borders'>«Guidance
on investigating alleged ill-treatment at borders</a>», p. 34.. Pire encore, certains d’entre eux voudraient remettre le droit international et cette prohibition en question au prétexte du contexte actuel.
3. J’ai eu l’occasion d’aborder le sujet des refoulements, intrinsèquement lié à celui du présent rapport, dans le rapport «Renvois en mer et sur terre: mesures illégales de gestion des migrations» (Doc. 15604) débattu par l’Assemblée en octobre 2022. À ce jour, plus de 20 affaires relatives à des expulsions collectives concernant différents pays sont pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), y compris dans des territoires ultramarins, comme Mayotte (France). Tandis que de trop nombreux arrêts prononcés par celle-ci n’ont pas été exécutés par les États concernés, elle continue d’être saisie de plus d’affaires concernant des allégations d’expulsions collectives de personnes étrangères.
4. Alors que l’Union européenne (UE) vient de se doter d’un nouveau Pacte sur la migration et l’asile (Pacte) qui n’est pas sans poser problème au regard du respect du droit d’asile et des garanties procédurales afférentes, il est impératif de rappeler les exigences du droit international relatif aux droits humains en matière de prohibition d’expulsions collectives de personnes étrangères.
5. L’objectif de ce rapport est de mener une réflexion sur les pratiques actuelles en Europe donnant lieu à des expulsions collectives de personnes étrangères et sur leurs conséquences sur ces personnes dans le but de formuler des recommandations visant à prévenir ces pratiques et à faciliter l’exécution des arrêts de la Cour relatifs à ce sujet. Ma conviction profonde est que les impératifs de maintien de la sécurité nationale et de l’ordre public ne sont pas incompatibles avec le respect des droits humains. Bien au contraire.
6. Tout le problème avec les expulsions collectives vient du fait qu'une personne arrive dans un autre pays pour demander secours ou assistance, voire l’asile, et qu’elle ne fait l’objet d’aucun examen individuel de sa situation personnelle. Il est important d’insister sur le mot «individuel», et de ne pas traiter les individus en tant que groupe, dans le but d’éviter à tout prix les cas où une personne est refoulée ou expulsée avec d’autres avant d’avoir bénéficié d’un examen individuel de sa situation. En effet, les personnes concernées ont droit à un tel examen tout comme elles ont le droit d’être protégées contre toute forme de renvoi ou d’expulsion durant le temps de traitement de leur demande, quel qu’en soit le résultat. Il s’agit là d’un élément fondamental de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), consacré par l’article 4 du Protocole n° 4 (STE No 46) 
			(4) 
			Non signé par la Grèce
et la Suisse et non ratifié par le Royaume-Uni et la Türkiye..
7. Sans minimiser le fait que le sujet englobe des situations qui présentent un caractère particulier et qui soulèvent des questions complexes, il est important de rappeler que les expulsions collectives mènent à des tragédies humaines qui constituent une honte pour notre continent au XXIe siècle. En ma qualité de médecin et de membre de cette Assemblée, je m’efforcerai toujours de mettre les tragédies individuelles au premier plan et de faire tout ce qui est possible pour que chaque personne vive dans la dignité et dans le respect de ses droits. Lorsque l’on commence à traiter un groupe dans son ensemble et non plus chaque personne dans son individualité, on perd un peu de notre humanité, avec le risque d’oublier les leçons que l’Histoire nous a apprises et auxquelles nous devrions rester redevables.

2. Cadre juridique

8. En vertu de la Convention et de la jurisprudence de la Cour, la notion d’«expulsion collective» doit se comprendre comme désignant «toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe» 
			(5) 
			Khlaifia et autres c. Italie [GC],
2016, § 237.. Un ensemble de normes internationales prohibent les expulsions collectives de personnes étrangères. Si les termes «expulsion collective» et «refoulement» sont souvent utilisés de manière interchangeable, ils ne sont pas identiques.
9. Sur la base du principe fondamental de non-refoulement et du caractère absolu de la prohibition de la torture, la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (Convention de 1951), la Convention des Nations Unies contre la torture 
			(6) 
			Adoptée le 10 décembre
1984 par la Résolution 39/46 de l'Assemblée générale des Nations
Unies., le Pacte mondial sur les réfugiés 
			(7) 
			Pacte mondial des Nations
Unies sur les réfugiés, 2018. et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières 
			(8) 
			A/RES/73/195., constituent les branches du cadre juridique onusien, auxquelles s’ajoute la jurisprudence du Comité des droits de l’homme dans son interprétation de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 
			(9) 
			Adoptée
le 16 décembre 1966 par la Résolution 2200A (XXI) de l'Assemblée
générale des Nations Unies.. Une autre branche concerne la protection des travailleuses et travailleurs migrants et de leurs familles qui sont protégés des expulsions collectives par la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille 
			(10) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-convention-protection-rights-all-migrant-workers'>Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille</a>..
10. Au cours des dernières années, la Cour a eu à examiner de plus en plus souvent des situations concernant des renvois de personnes en mer, aux frontières terrestres et peu après leur entrée sur le territoire d’un État partie. Cet examen a eu lieu sur la base de diverses dispositions (articles 1, 3, 13 de la Convention et bien sûr 4 du Protocole no 4) et a donné lieu à de nombreux arrêts et décisions. Elle a eu à examiner des situations très diverses, notamment des cas de renvoi vers le pays d’origine 
			(11) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>D c. Bulgarie</a>, 20 juillet 2021. et vers un pays tiers 
			(12) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>M.K. et
autres c. Pologne</a>, 23 juillet 2020.. L’article 4 du Protocole n° 4 constitue le fondement juridique des arrêts de la Cour, et qu’elle a eu l’occasion d’interpréter depuis l’arrêt Čonka c. Belgique dans lequel elle avait estimé que la procédure d’expulsion à l’encontre de ressortissants slovaques d’origine rom n’avait pas offert des garanties suffisantes attestant d’une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chaque personne concernée 
			(13) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Čonka c. Belgique</a>, 5 février 2002..
11. L’application extraterritoriale de l’article 4 du Protocole n° 4 a été établie dans l’arrêt Hirst Jamaa et autres c. Italie dans lequel la Cour a examiné pour la première fois l’applicabilité de cet article à un cas d’éloignement de personnes étrangères vers un État tiers effectué en dehors du territoire national 
			(14) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Hirsi Jamaa
et autres c. Italie [GC]</a>, 23 février 2012.. Il s’agissait d’un groupe de personnes migrantes (somaliennes et érythréennes) en provenance de Libye, arrêtées en mer puis reconduites en Libye par les autorités italiennes. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu à titre exceptionnel que l’Italie avait exercé un contrôle continu et exclusif sur les requérants, et donc sa juridiction en dehors de son territoire national, et a admis que l’exercice de la juridiction extraterritoriale avait pris la forme d’une expulsion collective. Ainsi, l’interception en haute mer par les garde-côtes de l’État défendeur et les événements survenus à bord de navires militaires appartenant à cet État avaient constitué un exercice extraterritorial par lui de sa juridiction au sens de l’article 1 de la Convention et engagé sa responsabilité au regard de l’article 4 du Protocole no 4 lorsqu’ils avaient eu pour effet d’empêcher les personnes migrantes d’atteindre les frontières de l’État, voire de les refouler vers un autre État 
			(15) 
			Ibid., §§ 76-82 et
§§ 169-182. La Cour a également conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, les requérants ayant été exposés au risque de subir des mauvais traitements en Libye et d’être rapatriés dans leurs pays d’origine. Par cet arrêt, elle a rappelé le lien intrinsèque entre une expulsion collective et le risque d’être soumis à de mauvais traitements, dont la prohibition a un caractère absolu. Dans l’arrêt Kebe et autres c. Ukraine, la Cour a considéré un contrôle effectué par des gardes-frontières de l’État défendeur à bord d’un navire mouillé dans l’un de ses ports aux fins de la délivrance d’une autorisation d’entrée comme relevant de la juridiction de cet État aux fins de l’article 1 
			(16) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>Kebe et autres c. Ukraine</a>, 12 janvier 2017, §§ 75-77..
12. L’arrêt N.D et N.T. c. Espagne concernait 600 personnes ayant tenté d’escalader, en groupe, la clôture séparant l’enclave espagnole de Melilla du Royaume du Maroc, en espérant profiter de l’effet de masse pour échapper aux contrôles 
			(17) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>N.D. et N.T. c. Espagne</a>, 13 février 2020.. Dans son arrêt, la Cour a établi un test à deux niveaux, à savoir (1) si l'État avait fourni un accès réel et effectif aux moyens d'entrée légale, en particulier aux procédures frontalières, pour permettre à toutes les personnes menacées de persécution de présenter une demande de protection, et (2) lorsque l'État défendeur a fourni un tel accès mais qu'un requérant n'en a pas fait usage, s'il avait des raisons valables de ne pas utiliser les procédures frontalières réelles et effectives disponibles aux points d'entrée désignés ou de ne pas demander un visa à une ambassade, et si l'absence de procédure individualisée pour le renvoi des requérants était la conséquence de leur propre comportement. Dans le cas d’espèce, elle a conclu à une absence de violation de l'article 4 du Protocole n° 4 ou de l’article 13 de la Convention.
13. Dans cette affaire, la Cour a exposé les circonstances dans lesquelles le fait de renoncer à un examen individuel préalable à l'expulsion – qui est la règle en vertu de l'article 4 du Protocole n° 4 – n'entraînerait néanmoins pas de violation. Elle est souvent invoquée par les États pour justifier les retours sommaires et le refus d'accès aux procédures d'asile, même lorsque les circonstances ne sont pas comparables (risques liés à l'article 3 de la Convention en jeu, possibilité de demander l’asile depuis une ambassade ou à la frontière du pays inexistante). On ne peut non plus ignorer que cet arrêt a été critiqué pour son approche restrictive atténuant la portée de la prohibition des expulsions collectives, et par extension du principe de non-refoulement. Il a été également critiqué en faisant peser la responsabilité de l’accès à des voies légales effectives sur les personnes elles-mêmes alors qu’en pratique, celles-ci sont difficilement accessibles ou inexistantes.
14. En février 2025, la Cour a tenu des audiences de Grande Chambre dans trois affaires contre la Lettonie, la Lituanie et la Pologne concernant des expulsions collectives présumées aux frontières avec le Bélarus, qui, je l’espère, éclairera les États membres sur la façon de respecter sans exception le principe de non-refoulement (voir ci-dessous paragraphes 49 à 53) 
			(18) 
			<a href='https://www.echr.coe.int/fr/w/grand-chamber-hearings-concerning-poland-latvia-and-lithuania'>Audiences
de Grande Chambre concernant la Lettonie, la Lituanie et la Pologne
– Cour européenne des droits de l’homme</a>..
15. La compétence de l’UE en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire repose sur l’article 78, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne selon lequel celle-ci «développe une politique commune [en la matière], visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non‑refoulement» 
			(19) 
			<a href='https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/f1bcba61-0d85-4e7f-b41e-a72c42eb5c49/language-fr'>Version
consolidée du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne</a>..
16. Au-delà de l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne («la Charte»), d’autres instruments du droit de l’UE protègent contre les refoulements, et par assimilation, contre les expulsions collectives 
			(20) 
			<a href='https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/19-protection-en-cas-deloignement-dexpulsion-et-dextradition'>Article
19 – Protection en cas d'éloignement, d'expulsion et d'extradition,
FRA</a>.. C’est le cas du code frontières Schengen ((UE) 2016/399) obligeant les États membres à «agir dans le plein respect» de la Charte et de la Convention de 1951, et de l’article 4, paragraphe 3, du règlement de l'UE relatif à la surveillance des frontières maritimes extérieures ((UE) n° 656/2014) établissant que les personnes interceptées ou secourues sont interrogées avant d'être débarquées afin de «leur offrir la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles un débarquement dans le lieu proposé serait contraire au principe de non-refoulement» 
			(21) 
			<a href='https://www.linkedin.com/pulse/19th-all-eu-r-rights-protection-against-expulsion-how-toggenburg-nstae/?trackingId=6Ed22WagS5iExFbJxqOv7A%3D%3D'>The
19th of all EU-r rights: protection against expulsion and how the
Charter contributes, poste de Gabriel N. Toggenburg, LinkedIn</a>..
17. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) n’a fait référence qu’une trentaine de fois à l'article 19 de la Charte. Ainsi, celle-ci a établi dans sa jurisprudence que les procédures de retour doivent inclure une évaluation individuelle et distincte du principe de non-refoulement dans les cas d'asile. Cette jurisprudence assez peu étoffée s'explique en partie par le fait que la disposition est étroitement liée à l'article 4 (droit à l'intégrité) et à l'article 18 (droit d'asile) de la Charte et qu'il existe également une jurisprudence secondaire sur le sujet. Or, sa pertinence demeure essentielle car même si la plupart des violations sont généralement commises par les États, il est essentiel que l'UE et son organe compétent à cet égard, Frontex, ne deviennent pas complices 
			(22) 
			Ibid..
18. Le Pacte, formellement adopté le 14 mai 2024 révise profondément les règles régissant la gestion des migrations et établissant un régime d’asile commun. Son objectif est de faire en sorte que l’UE «dispose de frontières extérieures solides et sûres, que les droits des citoyens soient garantis et qu’aucun pays de l’UE ne soit laissé à son sort s’il est soumis à des pressions» 
			(23) 
			<a href='https://home-affairs.ec.europa.eu/policies/migration-and-asylum/pact-migration-and-asylum_fr'>Pacte
sur la migration et l’asile – Commission européenne</a>..
19. Les différents éléments du Pacte sont les suivants: la mise en place d’une procédure de filtrage aux frontières extérieures visant à identifier en sept jours les personnes relevant d’une procédure d’asile ou de renvoi, et introduisant des règles pour la collecte d'informations personnelles; la mise à jour de la base de données Eurodac afin qu'elle puisse stocker les informations biométriques nécessaires, l'âge minimum pour les données d'empreintes digitales étant réduit à 6 ans; la mise en place de deux voies de procédure d'asile: la procédure conventionnelle ou la procédure accélérée à la frontière; la mise en place d’un nouveau système de «solidarité obligatoire» auquel chaque État membre devra contribuer soit en relocalisant les demandeurs et demandeuses d'asile, soit en versant une contribution financière pour chaque demandeur qu'il refuse de relocaliser, soit par d'autres mesures de solidarité telles que le déploiement de personnel ou la fourniture d'un soutien opérationnel à d'autres pays; et la mise en place d’un système de gestion de crise prévoyant des mesures d'urgence plus strictes sur lesquelles on peut compter si le système d'asile de l'UE est confronté à des situations difficiles telles qu'une augmentation soudaine et drastique des arrivées de personnes migrantes ou une crise sanitaire 
			(24) 
			Ibid..
20. Même si le Pacte vise à fournir de nouvelles garanties juridiques pour assurer une évaluation appropriée du cas de chaque individu, il soulève de sérieuses préoccupations. En effet, avec la mise en place du filtrage et de la procédure accélérée, beaucoup craignent que les demandes d'asile dans l'UE soient plus difficiles à introduire. Pendant la procédure de filtrage et la procédure d’asile ou d’expulsion à la frontière, selon le principe dit de la «fiction juridique de non-entrée» ou d’extra-territorialité, les personnes seraient considérées comme n'étant pas entrées sur le territoire européen. Tandis que les responsables de l'UE estiment que la procédure accélérée permettra de clarifier les attentes des demandeurs en matière de calendrier et de réduire l'arriéré administratif des autorités, on peut légitimement s’inquiéter de savoir si cela empêchera les personnes en besoin de protection internationale de bénéficier d'une évaluation individuelle appropriée de leur dossier, ce qui, par conséquent, pourrait augmenter la probabilité de leur expulsion. En effet, l’extension de la «fiction juridique de non-entrée» ajoute aux préoccupations que «malgré les assurances données dans le règlement que les droits humains seront protégés par les États membres par le biais de mécanismes de contrôle indépendants, l'accès restreint à l'asile et les procédures d'asile abrégées risquent de conduire au refoulement. En outre, le recours à la fiction de la non-entrée dans le règlement restreint l'accès des demandeurs d'asile aux procédures d'asile formelles. Étant donné que le demandeur d'asile n'a pas franchi légalement une frontière territoriale, l'État membre d'accueil peut prétendre ne pas être tenu de lui donner accès à ces procédures formelles» 
			(25) 
			European Council on
Refugees and Exiles, <a href='https://ecre.org/wp-content/uploads/2022/09/ECRE-Commentary-Fiction-of-Non-Entry-September-2022.pdf'>«An
analysis of the fiction of non-entry as appears in the Screening Regulation»</a>, Dr Kelly Soderstrom, September 2022 (traduction non
officielle).. Les nouvelles règles risquent également de porter atteinte au droit effectif de consulter un conseil juridique, d’autant plus que l’assistance juridique pendant le filtrage n’est pas prévue explicitement. Par ailleurs, le droit de recours est sérieusement remis en question, l'effet suspensif automatique étant supprimé dans certaines situations, et avec la suspension de la procédure d'asile de droit commun en cas d'instrumentalisation de la migration. Enfin, les garanties sur les droits procéduraux sont assez faibles et leur mise en place demande des ressources importantes de la part des États membres dont il est à craindre qu’elles ne soient pas dévolues.
21. L'adoption du Pacte marque la volonté politique d'une approche cohérente de la part des États membres de l'UE sur ces questions. Cependant, avec une période transitoire allant jusqu'en 2026 et des mesures d'application encore à prendre, tout reste à faire en termes de mise en œuvre dans le respect des droits humains. Je tiens à souligner l’importance de la mise en place de garanties dans le cadre de sa mise en œuvre afin d'éviter les situations d'expulsions collectives.

3. Les violations de droits humains qui découlent des expulsions collectives

3.1. Les personnes affectées

22. Les données disponibles suggèrent que les violations «ne sont pas seulement répandu[es] sur le plan géographique, mais qu'[elles] touchent également un très grand nombre de réfugiés, de demandeurs d'asile et de migrants qui se rendent dans l’espace du Conseil de l'Europe (...), des dizaines de milliers de personnes pourraient être touchées chaque année rien que dans certains États membres», comme l'a noté la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (2018-2024) 
			(26) 
			Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, 2022, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/pushed-beyond-the-limits-urgent-action-needed-to-stop-push-back-at-europe-s-borders'>Repoussés
au-delà des limites – Quatre domaines d'action urgente pour faire
cesser les violations des droits de l'homme aux frontières de l'Europe</a>», pp. 28-29..
23. Sur les 28 600 personnes déclarant avoir subi un refoulement, enregistrées par le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) en 2023, près de la moitié étaient de nationalité afghane, suivies de ressortissants marocains, syriens, pakistanais et bangladais.
24. Si les hommes adultes et les adolescents sont plus souvent victimes de violences physiques – coups de bâton, gifles, coups de pied et des coups de poing – pendant les refoulements, les femmes et les filles sont plus susceptibles d'être victimes de harcèlement ou d'abus sexuels fondés sur le genre. Des femmes enceintes, des personnes à mobilité réduite, ainsi que des personnes handicapées ou souffrant de problèmes de santé ont fait l’objet de refoulements 
			(27) 
			Human Rights Watch
(HRW), 2023<a href='https://www.hrw.org/report/2023/05/03/we-were-just-animals/pushbacks-people-seeking-protection-croatia-bosnia-and'>,
«’Like We Were Just Animals’ – Pushbacks of People Seeking Protection
from Croatia to Bosnia and Herzegovina».</a>.
25. Parmi les victimes, il y a environ 14 % d’enfants 
			(28) 
			Conseil danois pour
les réfugiés, 2024, <a href='https://pro.drc.ngo/media/si2hcjr3/prab-overview-2023.pdf'>«Protecting
Rights at Borders (PRAB) in 2023».</a>. Le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) estime qu’en Europe, «des enfants ont subi des violences physiques, des traitements abusifs et dégradants, des vols, des extorsions et des destructions de biens» lors de refoulements 
			(29) 
			Fonds des Nations unies
pour l'enfance (UNICEF), 2021, <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=70582c0de0f0de9fJmltdHM9MTcyNDg4OTYwMCZpZ3VpZD0zYmIxYTVlNy05MTIyLTY1NGUtMzkwNC1iMTQ4OTA1MjY0ODQmaW5zaWQ9NTIxMA&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=3bb1a5e7-9122-654e-3904-b14890526484&psq=Pushback+Practices+and+their+Impact+on+the+Human+Rights+of+Migrants+UNICEF+Submission+to+the+Thematic+Report+of+the+United+Nations+Special+Rapporteur+on+the+Human+Rights+of+Migrants&u=a1aHR0cHM6Ly93d3cub2hjaHIub3JnL3NpdGVzL2RlZmF1bHQvZmlsZXMvRG9jdW1lbnRzL0lzc3Vlcy9NaWdyYXRpb24vcHVzaGJhY2svVU5JQ0VGU3VibWlzc2lvbi5wZGY&ntb=1'>«Pushback
Practices and their Impact on the Human Rights of Migrants – UNICEF
Submission to the Thematic Report of the United Nations Special
Rapporteur on the Human Rights of Migrants».</a>.
26. Selon la Cour, la situation juridique d’un mineur est liée à celle de l’adulte qui l’accompagne, au sens où les exigences de l’article 4 du Protocole no 4 peuvent être réputées satisfaites si l’adulte en question a été en mesure de faire valoir de manière réelle et effective les arguments s’opposant à leur expulsion à tous les deux 
			(30) 
			Moustahi c. France, 2020, §§ 134-135.. La Cour est fréquemment saisie par des mineurs non accompagnés dans ce cadre.

3.2. Des pratiques expéditives difficiles à documenter

27. La frontière extérieure de l'UE semble être une zone où les violations des droits humains restent souvent sans réponse. Puisque les expulsions collectives sont prohibées, elles ont lieu hors cadre, et sont facilitées lorsqu’elles sont pratiquées sans témoins. C’est la raison pour laquelle, en général, le contrôle judiciaire de la légalité d’une expulsion collective a lieu post-factum et l’accès à l’avocat n’est pas garanti au moment où les faits sont révélés. Les institutions nationales de droits humains qui devraient avoir un rôle de surveillance n’ont pas toujours accès aux zones frontalières où se pratiquent la plupart des expulsions collectives, les ONG sont également entravées dans leurs actions.
28. Bien que de nombreux rapports semblent crédibles, de nombreux incidents ne font pas l'objet d'une enquête. Ainsi, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a constaté que peu d'enquêtes nationales et très peu de procédures judiciaires nationales aboutissant à des condamnations 
			(31) 
			<a href='https://fra.europa.eu/en/publication/2024/guidance-investigating-alleged-ill-treatment-borders'>«Guidance
on investigating alleged ill-treatment at borders», FRA</a>.. Les affaires sur lesquelles la Cour s'est prononcée jusqu'à présent font état de «lacunes systémiques dans les enquêtes nationales» 
			(32) 
			Ibid,
p. 27..
29. L’officier aux droits fondamentaux de Frontex, notamment chargé de surveiller la mise en œuvre par Frontex de ses obligations en matière de droits fondamentaux conformément au droit de l’UE et au droit international, a traité de la question dans les avis qu’il a délivré concernant la situation de plusieurs États membres de l’Union européenne, telles la Grèce, la Hongrie et la Lituanie 
			(33) 
			<a href='https://www.frontex.europa.eu/fundamental-rights/fundamental-rights-at-frontex/fundamental-rights-office/?etrans=fr'>Office
des droits fondamentaux</a>..
30. Comme le note le Réseau européen des institutions nationales de droits humains, ENNHRI, la nature transfrontalière des expulsions collectives pose un défi supplémentaire à la reddition des comptes. «Comme l'individu concerné ne se trouve plus sous la juridiction où les violations ont eu lieu, il lui est difficile d'atteindre les canaux appropriés pour déposer des plaintes qui permettraient de demander des comptes aux auteurs» 
			(34) 
			ENNHRI, 2022, <a href='https://ennhri.org/wp-content/uploads/2022/07/ENNHRI_Strengthening_Accountability-at-Borders_Report_final.pdf'>«Strengthening
Human Rights Accountability at Borders</a>», p. 9 (traduction non-officielle).. En raison d'un «manque de connaissance ou de compréhension du processus par lequel ils peuvent déposer des plaintes et accéder à la justice» 
			(35) 
			Ibid., p. 13 (traduction
non officielle)., les personnes migrantes sont en outre moins susceptibles de signaler leur expulsion collective et de demander une réparation juridique.
31. La société civile, y compris les défenseurs des droits humains et les journalistes, continue de jouer un rôle crucial dans la documentation et la collecte des preuves existantes concernant les pratiques de refoulement et d’expulsions collectives et, par conséquent, dans la responsabilisation des États 
			(36) 
			PICUM,
2021, <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=0249bcccde4c5decJmltdHM9MTcyNDg4OTYwMCZpZ3VpZD0zYmIxYTVlNy05MTIyLTY1NGUtMzkwNC1iMTQ4OTA1MjY0ODQmaW5zaWQ9NTE5OA&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=3bb1a5e7-9122-654e-3904-b14890526484&psq=PICUM+Input+to+the+UN+Special+Rapporteur+on+the+Human+Rights+of+Migrants+Report+on+pushback+practices+and+their+impact+on+the+human+rights+of+migrants+February&u=a1aHR0cHM6Ly93d3cub2hjaHIub3JnL3NpdGVzL2RlZmF1bHQvZmlsZXMvRG9jdW1lbnRzL0lzc3Vlcy9NaWdyYXRpb24vcHVzaGJhY2svUElDVU1fU3VibWlzc2lvbi5wZGY&ntb=1'>«PICUM
Input to the UN Special Rapporteur on the Human Rights of Migrants
Report on pushback practices and their impact on the human rights
of migrants</a>».. Pourtant, ses activités, ont été progressivement entravées par des obstacles physiques, comme dans les zones frontalières dont l’accès lui a été limité, par des obstacles administratifs sous la forme d'amendes ou de radiation de l'enregistrement, voire par des procédures judiciaires, imposés par les États au cours des dernières années 
			(37) 
			PICUM,
2022, «Resilience and resistance in defiance of the criminalisation
of solidarity across Europe».. Les cas de harcèlement physique et d'intimidation de la part des forces de l'ordre ne sont pas rares 
			(38) 
			Ibid..
32. L'accès aux lieux de détention des services d'immigration et à d'autres lieux de privation de liberté tels que les «hotspots» (des endroits «sensibles»), à partir desquels des expulsions collectives ont également eu lieu, est restreint dans de nombreux pays, rendant difficile d'identifier et de documenter les expulsions collectives potentielles 
			(39) 
			PICUM, 2024, <a href='https://picum.org/wp-content/uploads/2024/01/Working-together-to-end-immigration-detention_A-collection-of-noteworthy-practices.pdf'>«Working
together to end immigration detention: A collection of noteworthy
practices»</a>, Association d'études juridiques sur l'immigration (ASGI),
2024, <a href='https://asylumineurope.org/reports/country/italy/asylum-procedure/access-procedure-and-registration/hotspots/'>«ECRE
Asylum Information Database – Italy – Hotspots»;</a> et ibid..

3.3. Les conséquences des expulsions collectives

33. Le principe de non-refoulement et l'interdiction des expulsions collectives sont inextricablement liés. En effet, les garanties procédurales consacrées par l'article 4 du Protocole n° 4 jouent un rôle crucial en empêchant que des personnes soient refoulées vers des lieux de persécution ou de mauvais traitements. Lorsque les demandeuses et demandeurs d'asile n'ont pas véritablement la possibilité de présenter des arguments contre leur expulsion et de les faire évaluer de manière appropriée, il existe un risque sérieux qu'ils ne reçoivent pas la protection dont ils ont besoin et à laquelle ils ont droit 
			(40) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, N.D. et N.T,
paras. 170-171.. La vulnérabilité n’est pas la même suivant que l’on est expulsé vers un pays de transit, son pays d’origine ou encore vers un pays où on n’a jamais mis les pieds.
34. Les personnes qui ont fait l'objet d'une expulsion collective ou qui ont été refoulées – souvent en chaîne – dans un pays dont elles ne sont pas ressortissantes se retrouvent souvent dans un vide juridique, dans l’irrégularité, sans accès aux procédures d'asile, sans représentation juridique et sans possibilité de recours contre leur expulsion 
			(41) 
			BVMN,
22 janvier 2021, <a href='https://borderviolence.eu/reports/italian-court-ruling-on-chain-pushback/'>«Italian
Court Ruling on Chain Pushback» (Communiqué de presse)</a>; et Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR), 12 juin 2024, <a href='https://www.unhcr.org/europe/news/press-releases/unhcr-alarmed-about-plight-those-trying-access-asylum-cyprus'>«Le
HCR est alarmé par le sort des personnes qui tentent d'obtenir l'asile
à Chypre» (Communiqué de presse).</a>. Cette absence de statut juridique rend d’autant plus difficile la possibilité pour ces personnes de faire valoir leurs droits, d’exprimer un besoin de sécurité, voire d’enregistrer une demande de protection en vertu du droit international. En outre, elles peuvent être dans l'incapacité de poursuivre leur voyage, se retrouvant bloquées dans des limbes. On trouve des exemples documentés à la frontière entre la Pologne et le Bélarus et dans la zone tampon des Nations Unies à Chypre 
			(42) 
			<a href='https://www.hrw.org/news/2022/06/07/violence-and-pushbacks-poland-belarus-border'>HRW,
«Violence et refoulement à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie»,</a> et ibid.. La «fiction juridique de non-entrée» qui s'applique souvent déjà dans les zones frontalières en question crée une situation paradoxale dans laquelle des personnes se trouvent géographiquement sur le territoire d'un État, mais ne sont pas considérées comme telles d'un point de vue juridique. Cette situation est à distinguer des expulsions collectives dans le pays d’origine, dont des personnes sont ressortissantes et où les conséquences possibles sont le renvoi dans un pays où des risques de persécution et de traitements inhumains et dégradants se concrétisent, ou une pénalisation de la sortie non autorisée du territoire, comme c’est le cas en Algérie.
35. Des cas de violence, de torture et même de décès, conséquences directes ou indirectes d’expulsions collectives et de refoulements (en chaîne), ont été documentés à la frontière polono-bélarussienne, à la frontière entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine et lors des refoulements de la Méditerranée vers la Libye. Des humiliations, des fouilles à nu et des fouilles corporelles intrusives pendant les opérations de refoulement ont été rapportées 
			(43) 
			Médecins sans frontières
(MSF), 2023, <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=02df785d5de1e429JmltdHM9MTcyNDg4OTYwMCZpZ3VpZD0zYmIxYTVlNy05MTIyLTY1NGUtMzkwNC1iMTQ4OTA1MjY0ODQmaW5zaWQ9NTIyNg&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=3bb1a5e7-9122-654e-3904-b14890526484&psq=Greece%2fTurkey+Border%3a+Women+subjected+to+sexual+violence+during+pushbacks+MSF&u=a1aHR0cHM6Ly93d3cubXNmLm9yZy9zaXRlcy9kZWZhdWx0L2ZpbGVzLzIwMjMtMTEvSW4lMjBwbGFpbiUyMHNpZ2h0JTIwcmVwb3J0LnBkZg&ntb=1'>«Au
vu et au su de tous: le coût humain des politiques migratoires aux frontières
maritimes de la Grèce».</a>. La Cour a condamné la Croatie pour la mort d’une fillette parce que la police croate avait obligé une famille afghane à retourner vers la Serbie en marchant sur une ligne ferroviaire sur laquelle des trains circulaient 
			(44) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre'>M.H. et Autres c. Croatie</a>,18 novembre 2021.. Les expulsions collectives s'accompagnent souvent d'une détention arbitraire dans des conditions inhumaines, comme c'est le cas pour les expulsions vers la Libye et la Tunisie 
			(45) 
			<a href='https://www.liberation.fr/international/afrique/les-noirs-sont-la-cible-principale-de-la-tunisie-a-la-libye-la-traite-de-migrants-au-coeur-dun-rapport-accablant-20250205_DNVXEB6SZZGIVD5BMVIG343XVQ/'>«‘Les
noirs sont la cible principale’: de la Tunisie à la Libye, la traite
de migrants au cœur d’un rapport accablant»,  Libération</a>..
36. Ces violences que les personnes subissent pendant et à la suite des expulsions collectives ont un effet néfaste évident sur leur santé physique et mentale. Leur vulnérabilité est exacerbée par des conditions de vie souvent indignes, ainsi que par d'autres expériences traumatisantes vécues pendant et avant leur voyage migratoire. Les expulsions collectives empêchent les personnes d'accéder à l'assistance médicale et psychologique dont elles ont souvent cruellement besoin. Les refoulements exposent également les femmes à un risque plus élevé de subir des violences sexuelles et leur rendent difficile l’accès à une aide spécialisée 
			(46) 
			MSF, 2023, <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=02df785d5de1e429JmltdHM9MTcyNDg4OTYwMCZpZ3VpZD0zYmIxYTVlNy05MTIyLTY1NGUtMzkwNC1iMTQ4OTA1MjY0ODQmaW5zaWQ9NTIyNg&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=3bb1a5e7-9122-654e-3904-b14890526484&psq=Greece%2fTurkey+Border%3a+Women+subjected+to+sexual+violence+during+pushbacks+MSF&u=a1aHR0cHM6Ly93d3cubXNmLm9yZy9zaXRlcy9kZWZhdWx0L2ZpbGVzLzIwMjMtMTEvSW4lMjBwbGFpbiUyMHNpZ2h0JTIwcmVwb3J0LnBkZg&ntb=1'>«In
plain sight: the human cost of migration policies at Greek sea borders»,
pp. 14, 28 et 13.</a>. Pour les enfants, les refoulements augmentent également le temps qu'ils passent dans des conditions de vie dangereuses, déscolarisés, et sans accès à la protection internationale 
			(47) 
			HRW,
2023<a href='https://www.hrw.org/report/2023/05/03/we-were-just-animals/pushbacks-people-seeking-protection-croatia-bosnia-and'>,
«’Like We Were Just Animals’ – Pushbacks of People Seeking Protection
from Croatia to Bosnia and Herzegovina».</a>.
37. Après avoir été repoussées, les personnes se retrouvent souvent dans des situations très vulnérables en raison de la perte de leurs repères sociaux habituels et de l'absence de ressources, ce qui accroît le risque d'exploitation et de traite. Sans accès à la nourriture, à l'eau et à un abri, dans des situations où leur vie est en danger, ou lorsqu'elles sont séparées de membres de leur famille ou d'amis proches, elles peuvent être contraintes de vivre dans des camps informels où les conditions de vie sont déplorables, être exposées au risque de traite ou être contraintes à des situations d'exploitation par le travail alors qu'elles tentent de poursuivre leur voyage 
			(48) 
			Doc. 15930.. Nombreuses sont les victimes de violences psychologiques et de confiscations illégales ou violentes d'argent ou de biens personnels 
			(49) 
			BVMN, 2023, <a href='https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjb_LmstJyIAxWRgf0HHSgtGMMQFnoECBMQAQ&url=https%3A%2F%2Fborderviolence.eu%2Fapp%2Fuploads%2FSubmission-fighting-human-trafficking.pdf&usg=AOvVaw0fnd1RhBlbjp3XkzLNKbag&opi=89978449'>«Submission
to the European Commission for the Have Your Say initiative on fighting
human trafficking</a>», pp. 2-3.. Les femmes et les jeunes filles qui voyagent seules, «en particulier celles qui sont célibataires, handicapées et/ou qui appartiennent à une minorité sexuelle», courent le plus grand risque d'être victimes de violence et d'exploitation sexuelles. Des journalistes d'investigation ont noté que «les femmes migrantes qui ont fui une agression sexuelle sont susceptibles de se retrouver dans un cycle de violence sexuelle, aux mains de différents auteurs, notamment des passeurs, des trafiquants d'êtres humains, des gardes-frontières et d'autres personnes» 
			(50) 
			Sandra Abdelbaki, Benjamin
Hindrichs et Helena Rodríguez (Middle East Eye), 11 février 2024, <a href='https://www.middleeasteye.net/news/women-asylum-seekers-sexual-violence-greece-turkey'>«Women
asylum seekers in Europe caught between pushbacks and smuggler abuse»
(traduction non officielle).</a>. Les enfants non accompagnés courent également un risque accru d'être victimes de traite et de trafic 
			(51) 
			Conseil européen pour
les réfugiés et les exilés (ECRE), 2020, <a href='https://ecre.org/ecthr-moustahi-v-france-multiple-violations-in-the-collective-expulsion-of-unaccompanied-children-to-comoros/'>«Moustahi
c. France:</a><a href='https://ecre.org/ecthr-moustahi-v-france-multiple-violations-in-the-collective-expulsion-of-unaccompanied-children-to-comoros/'>Violations
multiples dans l'expulsion collective d'enfants non accompagnés
vers les Comores»</a>..
38. La séparation des familles est une autre des conséquences tragiques des expulsions collectives. Ainsi, l'ONG croate «Are You Syrious» a rapporté des cas de femmes autorisées à demander l'asile en Croatie avec leurs enfants alors que leurs maris étaient repoussés en Bosnie-Herzégovine 
			(52) 
			HRW,
2023<a href='https://www.hrw.org/report/2023/05/03/we-were-just-animals/pushbacks-people-seeking-protection-croatia-bosnia-and'>,
«’Like We Were Just Animals’ – Pushbacks of People Seeking Protection
from Croatia to Bosnia and Herzegovina».</a><a href='https://www.hrw.org/report/2023/05/03/we-were-just-animals/pushbacks-people-seeking-protection-croatia-bosnia-and'></a>. Cette situation fait écho à l'affaire Moustahi c. France, dans laquelle deux enfants ont été expulsés de Mayotte alors que leur père y vivait.
39. En Algérie, Maroc, Mauritanie, et Tunisie, les personnes migrantes d'Afrique subsaharienne sont systématiquement rassemblées, arrêtées et transportées dans des zones désertiques éloignées, près de la frontière avec les pays voisins voire au-delà afin de les y renvoyer 
			(53) 
			Le
Monde, 21 mai 2024, «<a href='https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/05/21/comment-l-argent-de-l-union-europeenne-permet-aux-pays-du-maghreb-de-refouler-des-migrants-dans-le-desert_6234489_3212.html'>Comment
l’argent de l’UE permet aux pays du Maghreb d’expulser des migrants
en plein désert</a>» et <a href='https://news.un.org/fr/story/2018/05/1014652'>«Le chef
des droits de l’homme de l’ONU appelle l'Algérie à cesser l'expulsion
de migrants subsahariens», ONU Info</a>.. Ces expulsions collectives laissent des personnes souvent déjà en situation d'extrême vulnérabilité et de dénuement dans une situation dangereuse, sans accès à la nourriture, à l'eau et à un abri 
			(54) 
			Voir
notes 38 et 39.. Entre décembre 2023 et mars 2024, au moins 29 personnes sont mortes dans le désert libyen, à la frontière avec la Tunisie 
			(55) 
			Conseil
de sécurité de l'ONU, 9 avril 2024, <a href='https://reliefweb.int/report/libya/mission-dappui-des-nations-unies-en-libye-rapport-du-secretaire-general-s2024301'>«Mission
d'appui des Nations Unies en Libye – Rapport du Secrétaire général
(S/2024/301)»</a>.. Une enquête approfondie menée par plusieurs médias européens 
			(56) 
			Lighthouse Reports, Washington Post, Enass, Der
Spiegel, El Pais, IrpiMedia, ARD, Inkyfada et Le
Monde. a révélé que les fonds européens et les soutiens logistiques de l’Union européenne ont contribué directement ou indirectement à ces opérations 
			(57) 
			Lighthouse
Reports, 21 mai 2024, «<a href='https://www.lighthousereports.com/investigation/desert-dumps/'>Desert
Dumps»</a>.. Par ailleurs, la Cour des comptes européenne a critiqué l’utilisation du fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique, citant l’absence de procédures formelles de signalement et de suivi en cas de violations de droits humains dans le cadre de projets liés à la gestion de la migration, financés par ce fond 
			(58) 
			La
Cour des comptes européenne, 25 septembre 2024, <a href='https://www.eca.europa.eu/fr/news/news-sr-2024-17'>«Nouvelles
critiques à l’égard du fonds «migration» de l’UE pour l’Afrique»</a>.. Un rapport de la Médiatrice européenne (2013-2024) a également soulevé des préoccupations sur l'utilisation des fonds octroyés dans le cadre du Mémorandum d'entente entre l’Union européenne et la Tunisie en lien avec des violations des droits humains 
			(59) 
			Médiateur européen,
23 octobre 2024, <a href='https://www.ombudsman.europa.eu/fr/news-document/fr/194322'>«La
Médiatrice critique le fait que la Commission n’ait pas informé
le public de la manière dont elle a évalué les risques en matière
de droits de l’homme dans l’accord UE-Tunisie</a>».. Reconnaissant que la coopération avec les pays partenaires pouvait entraîner des défis, la Commission européenne n’a annoncé aucune mesure concrète face à cette situation, sauf celle de revoir son financement à la Tunisie et garantir le respect des droits humains 
			(60) 
			InfoMigrants,
22 mai 2024, <a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/57260/left-to-be-forgotten-eu-accused-of-being-complicit-in-migrant-dumping-in-north-africa'>«Left
to be forgotten: EU accused of being complicit in migrant 'dumping'
in North Africa»</a> et le Guardian,
24 janvier 2025, «<a href='https://www.theguardian.com/global-development/2025/jan/24/eu-human-rights-tunisia-migrant-security-forces-migration'>Europe
overhauls funding to Tunisia after Guardian exposes migrant abuse</a>»..
40. Aux frontières de l’Europe, diverses technologies fondées sur la prise de décision automatisée – une forme d’intelligence artificielle – sont utilisées pour la surveillance et la sécurité des frontières, et par conséquent, pour une mise à distance du territoire. Leur utilisation et leurs conséquences sur les personnes concernées restent opaques, et il y a peu de réglementation ou de mécanismes de réparation et de contrôle. Je ne m’étendrai pas plus sur ce sujet qui fera l’objet d’un rapport intitulé «L’intelligence artificielle et la migration».

4. Une inquiétante remise en question du droit international public

41. Aucun pays d’Europe qui se trouve sur les routes migratoires empruntées par celles et ceux qui cherchent refuge et une vie digne en Europe n’est épargné par la pratique des expulsions collectives de personnes étrangères 
			(61) 
			Conseil des droits
de l'homme des Nations Unies, 2021, <a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A/HRC/47/30&Language=E&DeviceType=Desktop'>«Report
on means to address the human rights impact of pushbacks of migrants
on land and at sea – Report of the Special Rapporteur on the human
rights of migrants, Felipe González Morales (A/HRC/47/30)»</a>.. Les refoulements et expulsions collectives ont lieu le long des frontières terrestres et maritimes de l'Europe principalement à la frontière extérieure de l'Union européenne, mais aussi entre les pays de l'Union européenne 
			(62) 
			Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l'Europe, 2022, op. cit. et ibid.. Elles se produisent également dans des territoires des États membres qui se trouvent géographiquement en dehors de l'Europe, notamment le département français d'outre-mer de Mayotte 
			(63) 
			Cour européenne des
droits de l'homme, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Affaire Moustahi c. France</a>. et l'enclave espagnole de Ceuta et Melilla 
			(64) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, N.D.
et N.T c. Espagne.. La Belgique, la Croatie, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Pologne et la Fédération de Russie ont été condamnées par la Cour pour avoir enfreint l'article 4 du Protocole n° 4 de la Convention 
			(65) 
			Unité de presse de
la Cour européenne des droits de l'homme, 2024, <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=232babc4be9650f0JmltdHM9MTcyNDgwMzIwMCZpZ3VpZD0zYmIxYTVlNy05MTIyLTY1NGUtMzkwNC1iMTQ4OTA1MjY0ODQmaW5zaWQ9NTE5OQ&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=3bb1a5e7-9122-654e-3904-b14890526484&psq=ecthr+collective+expulsions&u=a1aHR0cHM6Ly9wcmQtZWNoci5jb2UuaW50L2RvY3VtZW50cy9kL2VjaHIvRlNfQ29sbGVjdGl2ZV9leHB1bHNpb25zX0VORw&ntb=1'>«Fiche
d'information – Les expulsions collectives d'étrangers»</a>.. Nombre de ces arrêts sont toujours en cours d’exécution.
42. Selon la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe (2018-2024), certains États membres du Conseil de l'Europe «sont à la fois auteurs présumés de refoulements et destinataires de personnes refoulées par d'autres. Dans certaines régions, comme les Balkans occidentaux, les informations font état de refoulements en chaîne ou opérés dans plusieurs directions» 
			(66) 
			Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l'Europe, 2022, op. cit., p. 23. .
43. Dans ce contexte déjà tendu, la question de la protection de la sécurité nationale et de la protection absolue des frontières a ouvert la brèche aux arguments en faveur d’un assouplissement des normes en vigueur, telles que développées et acceptées par les États eux-mêmes.

4.1. Contexte géopolitique

44. L’instrumentalisation de la migration menée par le Bélarus et la Fédération de Russie depuis plusieurs années a encore exacerbé la situation. En encourageant le passage illégal de leurs frontières avec leurs voisins de l’Union européenne, ces deux États parias de l’Europe ont provoqué une réaction défensive sans pareil, avec la construction de murs, la pose de barbelés dans la dernière forêt primaire d’Europe comme réponse à ce chantage. L’Assemblée s’est penchée sur cette question très sensible dans sa Résolution 2404 (2021) «L’instrumentalisation de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec le Bélarus», estimant que les pressions migratoires et d'asile à la frontière du Bélarus avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne avaient été «orchestrées par les autorités bélarussiennes en réponse aux sanctions de l'Union européenne à l'encontre du Bélarus imposées pour de graves violations des droits humains». La situation ne s’est pas améliorée depuis novembre 2023, avec la Fédération de Russie – qui menace déjà la sécurité globale avec la guerre qu’elle mène contre l’Ukraine – qui a recours aux mêmes méthodes dans le but de déstabiliser ses États voisins, y compris la Finlande. Les premières victimes de cette «guerre hybride» sont les personnes migrantes elles-mêmes qui ont été attirées dans ce piège pervers et évitable si les États européens n’y étaient pas tombés. Les phénomènes de refoulements, d’expulsions collectives et d’autres violations de droits humains, notamment le droit à la vie, ont été documentés dans de nombreux rapports, y compris par le collectif d’ONG «Fundacja Ocalenie» dont une représentante a témoigné devant la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées 
			(67) 
			<a href='https://balkaninsight.com/2025/01/22/poland-belarus-border-how-many-migrant-bodies-lie-undiscovered-in-the-forests/'>«Poland-Belarus
Border: How Many Migrant Bodies Lie Undiscovered in the Forests?», </a>Balkan Insight..
45. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelle que le concept d’instrumentalisation ne constitue pas une base pour une dérogation générale aux normes en matière d'asile, de protection des réfugiés et de droits humains 
			(68) 
			<a href='https://www.refworld.org/policy/legalguidance/unhcr/2024/en/148736'>«Legal
considerations on asylum and non-refoulement in the context of ‘instrumentalization’</a>».. En particulier, si l'article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme autorise des dérogations à certains droits dans des circonstances exceptionnelles, il exclut catégoriquement toute dérogation à son article 3. De même, ni la Convention de 1951 ni le droit de l’Union européenne ne fournissent une base juridique permettant de déroger au principe de non-refoulement en cas d'urgence ou de situations dites d'instrumentalisation. De plus, la CJUE a récemment précisé que même les situations d'urgence, les menaces pour l'ordre public ou la sécurité intérieure résultant d'un afflux massif de ressortissants de pays tiers ne justifient pas de priver les demandeurs d'asile du droit de demander une protection internationale 
			(69) 
			<a href='https://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?nat=or&mat=or&pcs=Oor&jur=C&num=C-72%252F22&for=&jge=&dates=&language=fr&pro=&cit=none%252CC%252CCJ%252CR%252C2008E%252C%252C%252C%252C%252C%252C%252C%252C%252C%252Ctrue%252Cfalse%252Cfalse&oqp=&td=%3BALL&avg=&lgrec=fr&lg=&page=1&cid=2246776'>M.A.
v. Valstybės sienos apsaugos tarnyba</a>.. En outre, le Règlement 1359/2024 de l'Union européenne, qui décrit la manière dont les États membres de l'Union européenne peuvent réagir dans des situations dites d'instrumentalisation, exige le respect du principe de non-refoulement et n'autorise pas les autorités nationales à refuser l'accès au territoire et aux procédures d'asile dans de telles situations 
			(70) 
			<a href='https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/c38068b0-17d5-11ef-a251-01aa75ed71a1'>«Règlement
(UE) 2024/1359 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024
visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force
majeure dans le domaine de la migration et de l’asile, et modifiant
le règlement (UE) 2021/1147»</a>..
46. La pratique récente de l’externalisation de la gestion demandes d’asile, telle que l’accord avorté entre le Royaume-Uni et le Rwanda et celui entre l’Italie et l’Albanie, ont fait l’objet de nombreuses interrogations par rapport à leur compatibilité avec les normes du droit international, notamment par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 
			(71) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/italy-albania-agreement-adds-to-worrying-european-trend-towards-externalising-asylum-procedures'>«L'accord
entre l'Italie et l'Albanie confirme l’inquiétante tendance européenne
à externaliser les procédures d'asile»</a> et <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/serious-human-rights-concerns-about-united-kingdom-s-rwanda-bill'>«La
loi britannique sur le Rwanda suscite de vives inquiétudes en matière
de droits humains»</a>.. En effet, de tels accords sont révélateurs d'une tendance à chercher à externaliser l’examen des demandes d'asile par divers moyens au motif que cela permettrait une gestion plus efficace de ces demandes, tant en matière de procédure que de la limitation du nombre d’arrivées hors des canaux de migration dite «régulière». Cependant, de telles mesures augmentent considérablement le risque, pour ces personnes, de subir des violations de leurs droits, notamment par le biais d’expulsions collectives. Comme l’a rappelé le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, l’externalisation de la gestion des migrations sans garantie adéquate pour la protection des droits humains constitue un «précédent périlleux» qui soulève des questions complexes relatives aux expulsions collectives 
			(72) 
			<a href='https://news.un.org/fr/story/2024/04/1145016'>«Expulsions
de réfugiés au Rwanda: l’ONU appelle le Royaume-Uni à revenir sur
sa loi», ONU Info</a>.. La Cour a déjà eu à traiter d’une affaire contre le Royaume-Uni pour un renvoi vers le Rwanda. Le requérant a ensuite retiré sa requête car il a eu accès au système d’asile britannique 
			(73) 
			CEDH
112 (2023), 11 avril 2023..
47. Il est choquant d’observer ces dernières années que les personnes migrantes sont devenues un bouc émissaire pour les défis auxquels sont confrontés les États dans l’accomplissement de leurs devoirs envers leur population. Ainsi, récemment, on a entendu parler de «submersion migratoire» à Mayotte 
			(74) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/01/28/francois-bayrou-maintient-l-idee-d-une-submersion-migratoire-et-affirme-que-ce-ne-sont-pas-les-mots-qui-sont-choquants-mais-les-realites_6519716_823449.html'>«Sentiment
de submersion» migratoire: les propos de François Bayrou «gênent»
Yaël Braun-Pivet</a>.. Ce département d’Outre-mer de la France, du fait de sa situation géographique particulière au cœur de l’océan Indien, attire de nombreux Comorien, Malgaches et ressortissants d’États d’Afrique de l’Est fuyant la misère et les conflits, et à la recherche d’une vie digne en France. Pendant plusieurs mois, la situation à Mayotte a fait la une des médias notamment à propos des conséquences de l’opération Wuambushu et du terrible cyclone Chido. Des déclarations ont été adoptées sur ces événements par la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées et son Président respectivement 
			(75) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9094/la-commission-des-migrations-de-l-apce-appelle-au-respect-des-droits-fondamentaux-dans-le-cadre-de-l-operation-wuambushu-a-mayotte-'>«La
Commission des migrations de l'APCE appelle au respect des droits
fondamentaux dans le cadre de l'opération «Wuambushu» à Mayotte»</a> et <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9726/faire-preuve-de-solidarite-et-defendre-la-dignite-de-tous-et-toutes-apres-le-passage-du-cyclone-chido-a-mayotte'>«Faire
preuve de solidarité et défendre la dignité de tous et toutes après
le passage du cyclone Chido à Mayotte»</a>.. La situation à Mayotte a également fait l’objet d’une condamnation de la France par la Cour pour une violation de l’article 4 du Protocole n° 4, en raison des conditions dans lesquelles deux enfants, appréhendés lors de leur entrée irrégulière à Mayotte, avaient été placés en rétention administrative en compagnie d’adultes, rattachés arbitrairement à l’un d’eux et renvoyés expéditivement aux Comores sans examen attentif et individuel de leur situation, ce qui avait constitué une expulsion collective. Cet arrêt, qui soulève un problème complexe et structurel identifié par le Comité des Ministres, l’organe du Conseil de l’Europe chargé de surveiller l’exécution des arrêts de la Cour, est toujours en cours d’exécution 
			(76) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/eng'>CM/Notes/1501/H46-12</a>.. Dans sa décision rendue le 14 juin 2024 
			(77) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/fre'>CM/Del/Dec(2024)1501/H46-12</a>., celui-ci insistait sur l’importance d’exécuter pleinement et rapidement l’arrêt Moustahi, malgré la pression migratoire qui s’exerce sur Mayotte et des défis en découlant pour les autorités françaises. Bien que des efforts aient été remarqués en 2022 et 2023, pour améliorer la prise en charge et l’évaluation de ces mineurs non accompagnés, il n’y a eu aucune avancée concrète depuis 
			(78) 
			L’application
de la loi du 26 janvier 2024, qui interdit la rétention des mineurs,
même lorsqu’ils sont accompagnés, est repoussée à 2027 sur le territoire
de Mayotte, alors que l’île concentre la majorité des rétentions
de mineurs en France.. De même, aucun progrès n’a été rapporté concernant les initiatives visant à réunir les enfants avec leurs parents. Des décisions récentes 
			(79) 
			Dans deux décisions
de février 2024 (n° 2400322 et n° 2400321 concernant le renvoi vers
Madagascar de mineurs de neuf et treize ans ayant un père français
ou une mère à Mayotte), le tribunal de Mayotte a constaté qu’il
ne ressort d’aucune des pièces que le préfet aurait vérifié, dans
toute la mesure du possible, leurs liens avec M., alors que leur
acte de naissance et les précisions apportées révèlent l’absence
de lien juridique ou familial entre eux. Il est également arrivé que
ce tribunal constate que l’administration n’a pas accompli les diligences
nécessaires et n’a tenu aucun compte des éléments portés à sa connaissance
(décisions n° 2303517 du 29 août 2023, n° 2304011 du 13 octobre
2023 et n° 2304735 du 30 décembre 2023). confirment que les vérifications administratives restent insuffisantes et que des mineurs continuent d’être expulsés avec des adultes sans lien familial vérifié.
48. Au-delà de la tragédie qui a touché Mayotte lors du passage du cyclone Chido, on y fait face à une situation dramatique avec des morts en mer, que les autorités françaises affrontent avec fermeté, mais sans résoudre le problème à la source 
			(80) 
			<a href='https://www.lefigaro.fr/actualite-france/j-ai-cru-qu-on-allait-tous-couler-entre-mayotte-et-les-comores-le-bras-de-mer-meurtrier-de-l-immigration-clandestine-20250205?msockid=09e2af504de66b570236bad14c5e6a59'>«‘J’ai
cru qu’on allait tous couler’: entre Mayotte et les Comores, le
bras de mer meurtrier de l’immigration clandestine»</a>.. Si la société civile soulève les points problématiques sans défaillir, si les juges appliquent la loi, le travail n’est pas fait en amont. C’est au moment de l’appréhension des enfants que les vérifications supplémentaires devraient être faites, en procédant à un examen plus attentif et individuel. Les échanges de vues tenues par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées pointent du doigts des défaillances au regard de la situation générale des mineurs non accompagnés, de l’accès aux soins, de la détention des personnes étrangères et des procédures d’expulsion. La nouvelle loi française sur l’immigration de 2024 prévoit la fin de la détention des mineurs dans des centres de rétention administratifs et la possibilité de détenir des mineurs à Mayotte est maintenue jusqu’en 2027. Que faire jusqu’en 2027? Comment est envisagée la situation une fois que la rétention des mineurs y sera interdite? Le risque d’expulsions encore plus expéditives est réel. Ces questions vont continuer de se poser tant qu’une solution globale pour faire face aux mouvements de migration vers Mayotte ne sera pas envisagée. Clairement, continuer à expulser pour dissuader n’a pas d’effets. Le processus d’exécution de l’arrêt Moustahi pourrait contribuer à trouver une approche globale.

4.2. Le droit international à la croisée des chemins

49. Le 12 février 2025, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a tenu des audiences dans les affaires C.O.C.G. et autres c. Lituanie, H.M.M. et autres c. Lettonie et R.A. et autres c. Pologne, qui concernent les allégations selon lesquelles chacun de ces trois États aurait procédé à des renvois sommaires de demandeurs d'asile à travers la frontière vers le Bélarus 
			(81) 
			<a href='https://www.echr.coe.int/fr/w/grand-chamber-hearings-concerning-poland-latvia-and-lithuania'>Audiences
de Grande Chambre concernant la Lettonie, la Lituanie et la Pologne
– Cour européenne des droits de l’homme</a>.. Onze États membres, représentés par la Finlande le jour de l'audience, sont intervenus en tant que tierces parties et ont présenté des observations à l'appui des arguments des États défendeurs, tandis qu'un nombre tout aussi impressionnant d'ONG, également intervenues en tant que tierces parties, ont soutenu les arguments des requérants, de même que le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le HCR. 
			(82) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/oral-intervention-before-the-grand-chamber-in-the-case-of-r.a.-and-others-v.-poland'>Oral
intervention before the Grand Chamber in the case of R.A. and Others
v. Poland – Commissaire aux Droits de l’Homme.</a>.
50. Dans ses observations orales, le Commissaire a souligné l’importance particulière de ces affaires, car elles auront des implications significatives pour la protection des droits des individus ainsi que pour le système de protection des droits humains de manière plus générale. Il a rappelé que les retours sommaires sapent les garanties procédurales, y compris en matière de refoulement, et s'accompagnent parfois d'autres violations graves des droits humains. Ils entravent également considérablement l'accès aux recours internes pour ceux qui en font l'objet 
			(83) 
			Ibid..
51. Le Commissaire a également regretté une tendance à l'exceptionnalisme en matière de droits humains, particulièrement perceptible dans le domaine de l'asile et de la migration, notamment en ce qui concerne le contrôle des frontières. Selon lui, les gouvernements invoquent de plus en plus ces contextes pour justifier le contournement des obligations de la Convention, avec des conséquences considérables pour l'intégrité du système de la Convention et l'État de droit en général.
52. Alors que la Cour a constamment réitéré que les protections doivent être concrètes et efficaces et non théoriques et illusoires, il est inquiétant que des États invoquent l'«instrumentalisation» ou s'appuient sur l'exception limitée aux exigences normales découlant de l'interdiction des expulsions collectives en vertu de l'article 4 du Protocole n° 4, afin de se livrer à des pratiques qui mettent en péril le droit d'une personne d'être protégée contre la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants 
			(84) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/oral-intervention-before-the-grand-chamber-in-the-case-of-r.a.-and-others-v.-poland'>Ibid</a>..
53. Les arrêts qui seront rendus par la Cour dans ces affaires devraient apporter des précisions sur les obligations incombant aux États membres du Conseil de l'Europe au titre de la Convention lorsqu'ils sont confrontés à des arrivées irrégulières à leurs frontières, y compris dans le contexte de l'«instrumentalisation» de la migration par d'autres États, tels que le Bélarus. Sans préjuger de l’issue de ces affaires et de la position de la Cour, j’appelle fortement de mes vœux que celle-ci ne valide pas, par une interprétation inédite de sa propre jurisprudence, la pratique actuelle d’États membres qui interprètent les critères établis par la Cour dans sa jurisprudence d'une manière qui pourrait leur permettre de déroger au caractère absolu du principe de non-refoulement et de l’article 3 de la Convention, ainsi que les dispenser de procéder à un examen individuel de la situation d'une personne avant de la renvoyer.

5. Visite d’information en Espagne

54. J’ai effectué une visite d’information en Espagne (Ténérife et Madrid) du 13 au 17 janvier 2025 dans le but de discuter avec les parties prenantes de la façon dont les autorités espagnoles gèrent des arrivées importantes de personnes migrantes aux Îles Canaries sans apparemment procéder à des expulsions collectives, ce que j’ai pu constater sur place et qui m’a été confirmé par tous mes interlocuteurs.
55. Bien que la route maritime des Canaries soit l'une des plus dangereuses au monde, les Îles Canaries sont devenues un point d'entrée majeur pour les personnes migrantes tentant de rejoindre l'Europe, avec une augmentation de 60 % des arrivées irrégulières en 2024 
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			Source: Délégation
espagnole à l’Assemblée.. En 2024, elles ont enregistré l'arrivée de 46 843 personnes 
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			Source: Defensor del
Pueblo., soit près de 76 % des arrivées par voie maritime en Espagne. Malgré les efforts remarquables de l’Espagne pour faire progresser les opérations de sauvetage, en 2024, plus de 10 500 migrants auraient perdu la vie en tentant de rejoindre ces îles 
			(87) 
			<a href='https://caminandofronteras.org/fr/'>Caminando
Fronteras</a>..

5.1. Les acteurs impliqués dans la prise en charge et le sauvetage des personnes migrantes

56. Les nombreux acteurs institutionnels et humanitaires impliqués dans la gestion des flux migratoires dans les îles Canaries remplissent leur mission grâce à une coordination bien rôdée entre les acteurs publics, que ce soit au niveau étatique ou régional, et privés. Grâce à la volonté politique de l’État et de la région autonome des Canaries, l’accueil des personnes migrantes se fait dans les meilleures conditions possibles malgré des circonstances compliquées et des situations et procédures perfectibles.
57. Le ministère de l’Intérieur supervise le contrôle des frontières, les arrivées sur le sol espagnol et l’identification des personnes, les procédures d’asile et, à terme, les éventuelles expulsions. Le ministère de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations («ministère de l’Inclusion») assure la gestion des centres d’accueil et l’intégration des personnes migrantes. Il assure aussi l’accompagnement des demandeurs d’asile pendant la durée de la procédure.
58. Parallèlement, de nombreuses organisations non gouvernementales jouent un rôle humanitaire central. La Croix-Rouge espagnole fournit l’aide humanitaire initiale et détecte les situations de vulnérabilité. D’autres associations comme l’ACCEM et le CEAR gèrent des centres d’hébergement et accompagnent les demandeurs d’asile. C’est le ministère de l’Inclusion qui distribue la responsabilité des centres et des soins parmi les associations.
59. Les services maritimes espagnols (Salvamento Marítimo) mènent les opérations de sauvetage en mer lors des traversées vers les îles Canaries. Leur priorité est le respect des obligations humanitaires, alors qu’ils doivent faire face à des défis logistiques et juridiques, notamment ceux liés à la délimitation des zones de responsabilité entre l'Espagne et le Maroc lors des sauvetages en eaux internationales. En 2024, plus de 667 opérations de sauvetage ont été réalisées 
			(88) 
			Source: Salvamento
Marítimo., illustrant l’ampleur du phénomène.
60. Le Barreau de Tenerife joue un rôle essentiel dans l’accompagnement juridique des personnes migrantes, notamment lors de la notification des ordres de renvoi. Toutefois, son action est entravée par un manque d’interprètes et de spécialistes du droit des étrangers. Les avocats veillent également au respect des droits des demandeurs d’asile notamment en matière d’accès à la justice et de recours contre les décisions de renvoi.

5.2. Prise en charge des arrivées et de l’accueil

61. Les Îles Canaries, notamment Tenerife et tout particulièrement El Hierro, sont le premier point d’accueil pour les personnes migrantes arrivant par la mer depuis l’Afrique de l’Ouest après une traversée périlleuse qui peut durer jusqu’à 7 jours. Chaque opération de sauvetage est suivie d'une coordination avec les services d'urgence espagnols, la Croix-Rouge et les forces de l'ordre, afin d'assurer la meilleure prise en charge possible des rescapés à leur arrivée au port. Les personnes migrantes arrivent dans des états de santé très préoccupants, souffrant de brûlures, de déshydratation extrême et ont un besoin urgent de soins de santé. Une fois pris en charge par le Salvamento Marítimo, elles sont débarquées dans le port de Los Cristianos. Les embarcations arrivant seules accostent sur l’île d’El Hierro, où des dispositifs d’accueil humanitaire sont immédiatement activés dans des conditions difficiles étant donné la petite taille de l’île et l’éloignement de Tenerife où se trouvent tous les services. Les premiers soins sont administrés par les services de santé locaux avec le soutien de la Croix-Rouge, avant que les arrivants ne soient orientés vers des centres temporaires d’accueil, Centros de Atención Temporal de Extranjeros (CATE), relevant du ministère de l’Intérieur 
			(89) 
			Certains migrants arrivent
de manière autonome sur les plages ou les quais. Dans ces cas, la
police intervient pour les transférer au CATE, où elles/ils suivent
la même procédure d’identification et d’orientation.. Les mineurs sont directement pris en charge par les autorités régionales qui en ont la responsabilité jusqu’à leur majorité.
62. Le CATE permet l’identification des personnes, la notification de leurs droits et la possibilité de manifester leur intention de demander l’asile. Lors de ma visite, le CATE de Tenerife, une annexe d’un commissariat de police, était vide mais quelques jours plus tôt, plus de 200 personnes y avaient été accueillies. Celles-ci y passent au plus 72h 
			(90) 
			<a href='https://www.iniseg.es/blog/seguridad/cate-centros-de-atencion-temporal-de-extranjeros/'>CATE:
Centros de Atención Temporal de Extranjeros | Seguridad</a>..
63. Ces personnes sont ensuite transférées vers des centres d’hébergement gérés par des ONG. Ceux que j’ai visités (Las Raices, qui accueille principalement des hommes, et Casa de Madrés, réservé aux femmes, aux familles et aux personnes malades) proposent un hébergement avec repas, des soins médicaux, une aide juridique, ainsi que des ateliers d’intégration couvrant l’apprentissage de la langue, les règles de vie en Espagne et la formation professionnelle. À Las Raices, environ 450 travailleurs assurent un suivi 24h/24 pour un total de 4 000 personnes, hébergées dans 90 tentes pouvant abriter jusqu’à 72 personnes, avec un référent par tente. Le centre Casa de Madrés dispose d’une capacité théorique de 165 places, souvent dépassée en raison des arrivées importantes à El Hierro. Certains résidents, malades ou vulnérables, bénéficient d’une attention particulière, avec des chambres adaptées à leurs besoins. Les séjours y durent en moyenne 18 à 25 jours pour les hommes et trois mois pour les familles, avant que ces personnes ne soient dirigées sur le continent.
64. Une attention particulière est portée aux mineurs et aux personnes vulnérables, notamment les victimes de traite. Pour prévenir la traite des mineurs, des tests ADN sont réalisés à la recherche de liens familiaux, mais une définition élargie de la famille permet d’inclure les proches assumant un rôle parental. La traite étant une problématique majeure, le centre joue un rôle crucial dans la détection et la communication des cas aux autorités compétentes.

5.3. Mineurs non accompagnés

65. En 2024, les Canaries ont accueilli plus de 5 800 mineurs non accompagnés 
			(91) 
			Source: Délégué adjoint
au gouvernement., soit près d’un tiers des mineurs migrants en Espagne. Un des enjeux majeurs concerne la détermination de l’âge des mineurs non accompagnés, qui arrivent souvent sans papiers d’identité. Cette détermination repose sur des tests médicaux et des entretiens individuels. En cas de doute, la présomption de minorité est appliquée. Le parquet ordonne ces tests et prend les décisions nécessaires.
66. L’une des priorités est de régulariser le séjour des mineurs non accompagnés afin qu’ils obtiennent un titre de séjour et une autorisation de travail à leur majorité. Toutefois, la régularisation de leur statut est complexe en raison de la difficulté d’obtenir des documents d’identité. Parfois, ces documents n’existent tout simplement pas, ce qui rend impossible leur régularisation. Pour remédier à cette situation, un document provisoire leur est délivré, leur offrant trois ans de protection. En pratique, de nombreux mineurs atteignent leur majorité sans statut clair, mais les autorités m’ont assuré qu’elles prenaient les mesures nécessaires pour assurer leur régularisation.
67. La tutelle des mineurs non accompagnés qui arrivent au Canaries est assurée par le gouvernement régional. La législation espagnole n’autorise pas les transferts à d’autres régions, sauf si ce sont les régions elles-mêmes qui se proposent. Avec plus de 5 000 mineurs non accompagnés sous sa tutelle, le gouvernement des Canaries est débordé. La répartition des mineurs dans d’autres régions est politiquement sensible. Les autorités régionales demandent une relocalisation équitable, mais cette solution est bloquée par des désaccords politiques au niveau national.

5.4. Un défaut d’accès à la procédure d’asile

68. La loi espagnole sur l’asile, adoptée en 2009, est largement critiquée pour son inadéquation face à l’augmentation des flux migratoires et pour sa non-conformité au droit européen. Elle n’a pas été mise à jour pour intégrer la Directive Procédure d’asile 2013/32/UE, ce qui contribue à une complexification des procédures et à un manque d’harmonisation avec les standards européens.
69. En théorie, les personnes migrantes peuvent demander l’asile dès leur arrivée en Espagne, que ce soit aux frontières ou au CATE. Toutefois, le système est profondément engorgé. En 2024, seules 7 667 des 46 843 personnes arrivées aux Canaries ont formellement déposé une demande d’asile même si une demande est exprimée initialement par la majorité des personnes 
			(92) 
			Source:
Defensor del Pueblo.. Beaucoup abandonnent leur demande en raison des délais excessifs. En moyenne, un dossier met deux ans à être traité 
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			Source:
Croix-Rouge espagnole.. Cette lenteur est exacerbée par le blocage du système administratif dû à l’afflux massif de demandes, principalement en provenance d’Amérique Latine. Durant la procédure, les demandeurs d’asile bénéficient de la protection internationale et ne peuvent être expulsés tant que leur demande est en cours d’instruction.
70. De fait, une grande majorité des personnes sont hors procédure d’asile, non pas parce qu’elles ne peuvent pas prétendre à une forme de protection internationale, mais parce qu’elles ne déposent pas une demande formelle. Toutes ces personnes sont ainsi «tolérées» sur le territoire, sans titre de séjour hormis pour les mineurs non accompagnés, en attendant une régularisation. Cette pratique hybride et hors cadre protège, de fait, les personnes d’une expulsion qui pourrait les exposer à des risques de violation de leurs droits, ce qu’il n’est pas possible d’établir sans enregistrement et donc sans examen individuel au fond des demandes d’asile.

5.5. Défis et perspectives

71. La situation géographique spécifique des Iles Canaries rend de fait impossible de procéder à des expulsions collectives de personnes migrantes sans violer au droit à la vie, car repousser des bateaux entraînerait des morts certaines. Dans la situation actuelle, la grande majorité des personnes qui arrivent après un passage illégal de la frontière espagnole par mer sont régularisées au bout de trois ans (bientôt deux), une partie continue la route vers d’autres pays d’Europe, notamment l’Allemagne et la France, et c’est pour une infime minorité que la procédure d’expulsion aboutit.
72. Ainsi, grâce à une volonté politique affirmée, l’Espagne réussit à absorber la grande majorité des personnes originaires d’Afrique subsaharienne qui arrivent par les Canaries, tout en accueillant les ressortissants d’Amérique Latine, principalement du Venezuela et de Colombie, qui eux, arrivent par voie régulière. Avec un nombre croissant d’arrivées, et qui ne risque pas de diminuer étant donné la situation géopolitique dans de nombreuses régions du monde et le réchauffement climatique forçant les gens à l’exil, cette situation n’est tenable que tant que la situation économique de l’Espagne permet l’intégration, l’accueil et la régularisation des personnes migrantes 
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			<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/19/en-espagne-une-reforme-va-faciliter-la-regularisation-de-dizaines-de-milliers-de-migrants-supplementaires-par-an_6403388_3210.html'>«En
Espagne, une réforme va faciliter la régularisation de dizaines
de milliers de migrants supplémentaires par an»</a>, Le Monde et <a href='https://www.liberation.fr/international/europe/regulations-massives-pour-raisons-economiques-et-demogragphiques-en-matiere-dimmigration-lespagne-a-contre-courant-du-reste-de-leurope-20250216_YJ22VIFHMREUDDQ3UMBYQ5E5OA/'>«Régularisations
massives pour raisons économiques et démographiques: en matière
d’immigration, l’Espagne à contre-courant du reste de l’Europe»,</a>Libération.. Une fois de plus, on se heurte à l’insuffisance de solidarité des États européens qui n’ont pas de frontière extérieure de l’Union européenne. Pour que l’Espagne puisse rester le pays d’accueil qu’elle souhaite être, il est important qu’elle puisse compter sur les autres États européens pour un partage plus équitable de la prise en charge des personnes migrantes qui cherchent refuge sur notre continent.
73. L’Espagne fait face à des défis structurels liés à l’insuffisance des infrastructures d’accueil, à la lenteur des procédures administratives et à des désaccords politiques. La complexité des procédures fait que les personnes migrantes restent souvent dans une situation précaire, exposées au travail non déclaré et à des risques de traite, en particulier pour les femmes. Le très actif Barreau de Tenerife coopère avec plusieurs acteurs publics et ONG pour assister les femmes dans leurs démarches et prévenir les éventuelles pressions qu’elles pourraient subir. Pour autant, le manque de volontaires et de formation spécialisée pour les avocats ralentit les efforts en ce sens.
74. Pour répondre aux pénuries de main d’œuvre et au vieillissement de la population, le gouvernement a mis en place des passerelles de régularisation qui permettront à environ 900 000 personnes de régulariser leur situation en trois ans 
			(95) 
			Source: ministère de
l’Intérieur.. De plus, l’Espagne n’applique pas de liste de pays d’origine sûrs, assurant ainsi un traitement équitable des demandes d’asile.
75. Aux Canaries, tous les acteurs de gestion des migrations rencontrés sur place et notamment le Defensor del Pueblo, l’ombudsman, le confirment: il n'existe plus d'expulsions collectives depuis l’archipel. Des expulsions individuelles sont en revanche bien effectuées depuis la péninsule, avec environ 2 000 cas par an dans le cadre de procédures pénales. Néanmoins, leur exécution dépend des accords entre l’Espagne et les pays d’origine, ce qui limite leur effectivité: seulement 4 à 5 % des décisions d’expulsion seraient réellement mises en œuvre.
76. Toutefois, le Defensor del Pueblo a récemment signalé des expulsions collectives à Ceuta et Melilla, soulignant la fragilité des bonnes pratiques en matière de respect des droits des personnes migrantes, susceptibles d’évoluer au gré du climat politique. Il a également rapporté des cas d’expulsions de mineurs sans procédure adéquate, notamment en 2021 et 2022. Enfin, bien qu’aucun vol d’expulsion vers un pays d’origine n’ait eu lieu ces deux dernières années, cette situation pourrait changer en fonction des décisions politiques à venir.
77. La gestion des mineurs non accompagnés, qui relève des régions, constitue un défi majeur. Une réforme législative permettrait une répartition solidaire entre les régions, mais l'absence d’accord politique empêche toute avancée en ce sens. Le ministère de l’Inclusion avait déjà proposé certaines solutions, mais celles-ci ont été immédiatement rejetées sans même être débattues au parlement. De plus, comme partout en Europe, le sujet est largement instrumentalisé par certains partis politiques et médias, ce qui freine les réformes nécessaires. La région des Canaries assume ainsi seule les quelques 5 800 mineurs non accompagnés. Selon le président de la région qui estimait à 185 millions d’euros le coût total en 2024 pour s’en occuper, seuls 50 millions d’euros ont été reçus du gouvernement. Les fonds européens, qui pourraient soulager cette pression, ne sont pas pleinement exploités.
78. La migration est un phénomène structurel qui va continuer et dont les causes sont multiples. La situation doit être abordée au niveau européen. Pourtant, l’absence de solidarité des autres pays d’Europe avec les pays d’arrivée des personnes migrantes se fait ressentir. Malgré l’existence de l’espace Schengen, certains pays renforcent les contrôles à leurs frontières intérieures, augmentant le nombre de refoulements des personnes migrantes venues d’Espagne, qui se retrouve ainsi à supporter seule la responsabilité de l’accueil et de l’intégration de ces personnes. Confrontée depuis de nombreuses années à des arrivées continues et un nombre important de personnes migrantes, l’Espagne fait en tous les cas la preuve qu’une autre voie que les expulsions collectives est possible.

6. Conclusions et recommandations

79. Le droit international interdit les expulsions collectives de personnes migrantes, pourtant pratiquées par de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. Les conséquences peuvent en être désastreuses pour les personnes qui en sont victimes. L’impératif de maintien de la sécurité nationale et de l’ordre public ne peut pas être une excuse pour déroger aux droits humains.
80. La politique opérée par l’Espagne de laisser la très grande majorité de celles et ceux arrivant via les Canaries accéder à la péninsule facilite l’accès à des voies concrètes de régularisation sous certaines conditions. Si cette pratique ne protège pas contre des risques d’expulsions par après, et s’il s’agit pour beaucoup d’un palliatif à l’engorgement du système d’asile, la politique actuelle du Gouvernement espagnol mérite d’être soulignée car d’autres États confrontés à des contextes similaires ont pu faire le choix d’une expulsion quasi immédiate.
81. Il est important de reconnaître que respecter ses engagements pour un État n’est pas toujours facile, et la simple volonté politique n’est pas suffisante. Les conditions en droit et dans la pratique doivent être réunies pour se prémunir du risque d’une condamnation par la Cour pour violation des diverses dispositions concernées de la Convention. Ces conditions indispensables incluent l’accès effectif à un examen individuel de la situation de chaque personne, le contrôle systématique du juge concernant la légalité d’une décision d’expulsion, la mise à disposition de ressources suffisantes pour permettre le respect des procédures y compris l’accès à un conseil juridique professionnel, à l’interprétation et à des moyens de recours effectifs et efficaces. La formation adéquate des gardes-frontières, magistrats et autres acteurs publics impliqués dans le contrôle des frontières et la gestion des migrations selon une approche centrée sur les droits est fondamentale.