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A. Projet de
résolution
(open)
B. Projet de recommandation
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Rapport | Doc. 16195 | 06 juin 2025
Sauver la vie des personnes migrantes en mer et protéger leurs droits humains
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
A. Projet de
résolution 
(open)1. Chaque jour, des personnes
fuient leur pays d’origine pour échapper à la guerre, à la violence,
à l’oppression politique ou aux effets du changement climatique,
en quête de sécurité et d’une vie meilleure. Certaines d’entre elles
tentent de rejoindre l’Europe, souvent par la mer, au péril de leur
vie, lors de voyages dangereux, comme documenté par l’Organisation
internationale pour les migrations depuis 2014, mais comme constaté
depuis bien plus longtemps.
2. L’Assemblée parlementaire est consternée par le nombre de
personnes migrantes qui périssent en mer, ainsi que par la répétition
de ces tragédies dans les eaux européennes.
3. L’Assemblée rappelle la Convention européenne des droits de
l’homme (STE No 5, «la Convention») et son
article 2 qui protège le droit à la vie. Elle renvoie à cet égard
à l’arrêt de principe rendu par la Cour européenne des droits de
l’homme («la Cour») dans l’affaire Safi
et autres c. Grèce en 2022, qui a souligné l’obligation
des États de mener des enquêtes efficaces relatives aux violations
de l’article 2 en 2022 et prendre les mesures nécessaires à la protection
de la vie des personnes relevant de leur juridiction et dans le
contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre
en jeu le droit à la vie. Ces obligations au titre de l’article 2
se réfèrent, en l’espèce, à une opération de sauvetage de personnes
migrantes ayant fait naufrage en tentant de traverser des frontières
maritimes. L’Assemblée rappelle également que les États doivent protéger
efficacement les personnes migrantes secourues contre la torture
et les traitements inhumains ou dégradants, conformément à l’article 3
de la Convention, et enquêter efficacement sur toute violation de
cette disposition fondamentale. L’Assemblée rappelle en outre l’importance
du respect du principe de non-refoulement, tel qu’il a été appliqué
par la Cour dans le contexte des opérations de recherche et de sauvetage en
mer dans son arrêt Hirsi Jamaa et autres
c. Italie de 2012.
4. L’Assemblée invite instamment les États membres à respecter
pleinement les instruments du droit international humanitaire, du
droit maritime et ceux relatifs à la protection des personnes réfugiées,
en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer, qui, en vertu de l’article 98, impose aux États membres l’obligation
de veiller à ce que les capitaines de navire prêtent promptement
assistance à toute personne en situation de détresse en mer. Elle
souligne en outre l’importance de la Convention internationale pour
la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) et de la Convention
internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (1979)
de l’Organisation maritime internationale, de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
no 197, 2005), du Protocole contre le
trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à
la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
(«Protocole de Palerme», 2000), et de la Convention des Nations
Unies relative au statut des réfugiés (1951).
5. L’Assemblée encourage également les États membres à faire
appel à l’expertise du Conseil de l’Europe dans le domaine des migrations,
en particulier la Division des migrations et des réfugiés récemment
créée, le travail
thématique du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
sur les migrations ainsi que le Programme européen de formation
aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (HELP).
6. L’Assemblée souhaite rendre hommage au courage de toutes celles
et ceux qui sauvent la vie de personnes migrantes dans les eaux
européennes, notamment les autorités nationales des garde-côtes
et les marines des États membres, les ONG et les bénévoles. Toutes
ces personnes risquent leur vie pour en sauver d’autres.
7. L’Assemblée rappelle à cet égard le rôle majeur joué par l’Organisation
maritime internationale pour promouvoir une application commune
et efficace du cadre juridique relatif au sauvetage en mer, comme
elle le souligne dans sa Résolution 1999 (2014) «Le “bateau cercueil”: actions et réactions».
8. Faisant écho à la Résolution
2305 (2019) «Sauver des vies en Méditerranée: le besoin d’une réponse urgente»,
l’Assemblée insiste sur le fait qu’il est du devoir des États d’empêcher
qu’on puisse périr dans les eaux européennes. À cet égard, l’Assemblée
exhorte tous les États membres à partager la responsabilité de la
sauvegarde et de la protection des vies humaines dans les eaux européennes,
en s’engageant à prêter assistance aux États membres côtiers lors
des opérations de recherche et de sauvetage, notamment en augmentant
les ressources allouées à leur garde côtière.
9. L’Assemblée rappelle que les îles grecques de la Mer Egée,
espagnoles des Canaries et italiennes de la Sicile, en particulier
Lampedusa, constituent des points d’entrée majeurs pour les personnes
migrantes qui tentent de rejoindre l’Europe, et que les routes maritimes
migratoires de l’Afrique de l’Ouest / Atlantique et Méditerranée
centrale comptent parmi les plus dangereuses au monde. Par conséquent,
l’Assemblée appelle les États membres à renforcer encore les capacités
financières et matérielles des autorités des garde-côtes de ces
régions, à savoir les garde-côtes helléniques, la Sociedad de Salvamento
y Seguridad Marítima en Canarias et la Guardia Costiera Capitaneria
Di Porto Lampedusa, afin de leur permettre de poursuivre leurs missions
de sauvetage des personnes migrantes en détresse et de prévention
des décès en mer.
10. L’Assemblée invite les États membres à rétablir des opérations
européennes de recherche et de sauvetage à grande échelle. Cela
impliquerait de créer un corps européen de recherche et de sauvetage
en mer ayant pour seul mandat de sauver des vies en mer, dans le
plein respect du droit international en matière de droits humains.
11. À cette fin, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil
de l’Europe, ainsi que l’Union européenne:
11.1. à allouer des fonds et des moyens suffisants aux opérations
de recherche et de sauvetage explicitement destinées à sauver des
vies;
11.2. à établir des plateformes de coordination des opérations
de recherche et de sauvetage, en assurant une réelle complémentarité
entre les acteurs publics et privés concernés, et en définissant clairement
les responsabilités de chaque État membre;
11.3. à améliorer la détection des situations de détresse et
à assurer une intervention effective des navires les plus proches
et les mieux adaptés;
11.4. en coopération avec le Conseil de l’Europe, à développer
et à maintenir une sensibilisation et une formation systématiques
aux droits humains des garde-frontières et des autres forces de
sécurité participant aux opérations de recherche et de sauvetage
de personnes migrantes, ainsi qu’à renforcer les capacités des autorités
chargées de l’application de la loi (y compris les garde-frontières
et les garde-côtes), des autorités judiciaires et des procureurs
à mener des enquêtes efficaces sur les violations des articles 2
et 3 de la Convention, y compris dans le contexte des opérations
de recherche et de sauvetage de personnes migrantes.
12. En ce qui concerne les législations nationales et internationales,
l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à signer et ratifier la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer et aux autres traités internationaux
pertinents, si ce n’est pas déjà le cas, ainsi qu’à respecter leurs
dispositions et obligations;
12.2. à adopter des normes communes, précises, contraignantes
et exécutoires visant à renforcer les capacités de recherche et
de sauvetage, qui soient pleinement conformes au droit maritime
international et aux obligations découlant du droit international
relatif aux droits humains et du droit international des personnes
réfugiées, comme souligné dans la Résolution 1999 (2014);
12.3. à reconnaître les eaux européennes comme des espaces maritimes
humanitaires afin de permettre une meilleure protection des missions
civiles indépendantes de recherche et de sauvetage, et à contribuer
au renforcement de la coopération entre tous les acteurs impliqués
dans ce domaine, conformément à la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et
aux migrants en Europe»;
12.4. à organiser des voies sûres en mer pour les personnes
migrantes en détresse;
12.5. à prendre les mesures appropriées pour rendre effective
l’interdiction des refoulements, des expulsions collectives et autres
actions illégales perpétrées à l’encontre des personnes migrantes
en mer;
12.6. à assurer un suivi rapide, indépendant et approfondi –
et produire un rapport annuel à cette fin – de tous les cas de violations
des droits humains en mer et du droit maritime international, en
particulier:
12.6.1. les allégations
de refoulements;
12.6.2. les allégations de réponses tardives, voire d’absence
de réponse, aux appels de détresse de la part des autorités responsables,
et les cas de mise en danger;
12.6.3. les cas de non-sauvetage, de sauvetage tardif ou d’autres
problèmes survenus lors d’opérations en mer, y compris les allégations
selon lesquelles des personnes secourues auraient été débarquées
dans des lieux peu sûrs.
13. Afin de protéger les droits humains et les libertés fondamentales
des personnes migrantes secourues, l’Assemblée invite les États
membres:
13.1. à veiller à ce que
les personnes rescapées soient débarquées en toute sécurité dans
le lieu qui peut être atteint le plus rapidement, où leur sécurité
n’est plus menacée et où leurs besoins élémentaires peuvent être
satisfaits, conformément à la Convention internationale pour la
sauvegarde de la vie humaine en mer et aux autres instruments pertinents
en matière de recherche et de sauvetage;
13.2. à assurer aux personnes migrantes une assistance au moment
du débarquement, notamment en ce qui concerne la vulnérabilité,
les examens de santé et de santé mentale, et la fourniture d’informations
juridiques;
13.3. à adopter des normes communes, précises, contraignantes
et exécutoires visant à assurer une assistance et un accueil humains
et dignes aux personnes rescapées, en accordant une attention particulière
aux personnes vulnérables, notamment les femmes et les enfants non
accompagnés.
14. L’Assemblée encourage l’Agence européenne de garde-frontières
et de garde-côtes (Frontex) à rechercher un accord avec les États
membres en vue de signaler également les embarcations de personnes migrantes
aux organisations qualifiées de la société civile, qui agissent
en tant que parties prenantes complémentaires. Elle salue la création
et encourage le développement de l’institution de l’officier aux
droits fondamentaux au sein de la structure de Frontex, dans le
but de garantir le respect des droits humains dans le cadre des
activités de l’agence et au-delà.
15. Étant donné que la lutte contre le trafic illicite de personnes
migrantes ne doit pas conduire à l’incrimination des personnes faisant
l’objet de ce trafic, ni à celles des organisations humanitaires,
comme c’est le cas dans certains États membres, l’Assemblée demande
aux États membres de prendre en considération les recommandations
formulées dans la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés
et aux migrants en Europe» et la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre
le trafic illicite de personnes migrantes», notamment en définissant avec
précision, dans la législation nationale, les éléments constitutifs
de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et le
champ d’application de l’incrimination, conformément au Protocole
de Palerme. L’Assemblée appelle les États membres à accorder une
attention particulière aux populations vulnérables, telles que les
victimes de torture et de traite, les femmes migrantes et les enfants
migrants non accompagnés.
16. Afin d’éviter de nouvelles tragédies, l’Assemblée demande
instamment aux États membres d’arrêter de retarder les débarquements
ou de détourner les navires vers des ports éloignés et de saisir
les bateaux, avions et drones utilisés pour les opérations de sauvetage.
Elle les exhorte également à permettre aux organisations humanitaires
de la société civile d’intervenir aux côtés des acteurs publics,
sans leur opposer d’obstacles juridiques et administratifs.
17. En outre, l’Assemblée demande instamment de mettre fin à ces
tragédies en établissant des voies légales sûres pour les personnes
migrantes ayant besoin d’une protection internationale. De plus,
les États membres doivent protéger et reconnaître les eaux européennes
en tant qu’espaces maritimes humanitaires à sanctuariser au nom
de l’humanité.
18. Se félicitant de l’adoption par l’Union européenne en 2021
de son Fonds pour la gestion intégrée des frontières et de son Fonds
«Asile, migration et intégration» renouvelé, l’Assemblée encourage
une plus grande coopération avec le Conseil de l’Europe dans ces
domaines, en particulier dans la mise en œuvre du Pacte de l’Union
européenne sur les migrations et l’asile par les États membres.
19. Face aux nombreuses informations faisant état de violations
inacceptables des droits humains et du droit maritime international
par la garde côtière libyenne et l’Administration générale libyenne
pour la sécurité côtière, l’Assemblée invite les États membres à
reconsidérer leur coopération avec ces autorités, y compris leur
financement, leur formation et la fourniture d’équipements, afin
de s’assurer qu’elles respectent pleinement les obligations qui
leur incombent en matière de droits humains.
20. Étant donné les défis auxquels la Tunisie est confrontée en
ce qui concerne le respect des droits humains des personnes migrantes
sur son territoire et en mer, l’Assemblée appelle les États membres
à réévaluer leur coopération avec ce pays, en particulier avec sa
garde côtière, à la lumière de ces questions essentielles, notamment
quant au soutien apporté à l’autorité des garde-côtes tunisiens,
aussi bien en termes de financements que de formations ou de fourniture
d’équipements.
21. Compte tenu des préoccupations généralisées en matière de
protection des personnes migrantes et réfugiées en Tunisie, telles
qu’exprimées, entre autres, dans la communication conjointe adressée
au Gouvernement tunisien par différentes procédures spéciales des
droits de l’homme des Nations Unies, l’Assemblée invite les États
membres à éviter de donner l’ordre aux navires participant aux opérations
de sauvetage de débarquer les personnes migrantes et réfugiées sur
le territoire tunisien.
B. Projet de recommandation 
(open)1. Se référant à sa Résolution
... 2025 «Sauver la vie des personnes migrantes en mer et protéger
leurs droits humains», et constatant les défis posés par la crise
humanitaire qui perdure dans les eaux européennes, en raison du
mépris, par certains États membres, du droit maritime international
et du droit international humanitaire, l’Assemblée parlementaire
rappelle les principes auxquels les États membres du Conseil de l’Europe
sont tenus, ainsi que leurs obligations juridiques collectives en
la matière, et souligne la nécessité pour l’Organisation de renforcer
son action pour les soutenir dans ce domaine.
2. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à soutenir, par
tous les moyens possibles, l’élaboration et la mise en œuvre du
futur plan d’action sur les migrations et les réfugiés (2026-2029),
actuellement préparé sous la coordination de la Division des migrations
et des réfugiés, qui pourrait inclure la fourniture de conseils
et d’une assistance aux États membres pour garantir et promouvoir
les droits humains dans le contexte des opérations de contrôle aux
frontières, et le renforcement d’enquêtes administratives et judiciaires
efficaces sur les violations des articles 2 et 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5).
3. Compte tenu des difficultés rencontrées par la Tunisie en
ce qui concerne la situation des personnes migrantes sur terre et
en mer et des droits fondamentaux en jeu, l’Assemblée invite le
Comité des Ministres à prendre en compte et à aborder ce domaine
d’une importance cruciale dans le cadre de ses activités de coopération
avec la Tunisie.
C. Exposé des motifs par M. Paulo Pisco, rapporteur
(open)1. Introduction
1. Depuis plus de vingt-cinq ans,
les eaux européennes sont le théâtre d’une crise humanitaire meurtrière sans
fin, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes
migrantes. L’Assemblée parlementaire s’est saisie de la question
depuis de nombreuses années
. Le présent rapport s’appuie
sur deux propositions de résolution déposées l’une le 11 octobre 2022
et l’autre le 11 décembre 2023, qui rappellent toutes deux les tragédies
des personnes migrantes qui ont péri en mer, respectivement intitulées
«Protéger les droits humains et sauver des vies en mer du Nord et
dans la Manche» (Doc. 15630), et «Sauver la vie des migrants en
mer et protéger leurs droits humains» (Doc. 15881). La commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées en a été
saisie pour rapport le 22 janvier 2024 et j’ai été désigné rapporteur
le 16 avril 2024.

2. Cette tragédie, marquée par la perte de vies humaines dans
presque toutes les eaux européennes, est une insulte à notre civilisation
et ne saurait être tolérée. Selon les estimations établies dans
le cadre du projet Migrants disparus de l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM)
, plus de 31 000 personnes migrantes
ont péri ou disparu en tentant de rejoindre l’Europe par la Méditerranée,
entre 2014 et février 2025.

3. Alors que des règles et des normes internationales contraignantes
régissent la sécurité en mer (première partie du rapport), la crise
humanitaire persistante a donné lieu à des situations de non-assistance à
personne en danger dans les eaux européennes, qui ont coûté la vie
à d’innombrables personnes (deuxième partie). Pourtant, une telle
crise peut être surmontée grâce à la mise en œuvre de politiques
publiques volontaristes visant à prévenir les décès en mer, à améliorer
les opérations de recherche et de sauvetage et à mieux protéger
les droits fondamentaux des personnes migrantes (troisième partie).
4. Compte tenu de la nature transversale du rapport, il convient
de mentionner que certains collègues ont fait part de préoccupations
similaires dans leurs travaux respectifs. Le rapport élaboré par
ma collègue Mme Sandra Zampa (Italie,
SOC) intitulé «Les défis et besoins des acteurs publics et privés
impliqués dans la gestion des migrations» aborde la situation des
acteurs qui viennent en aide aux personnes migrantes et réfugiées
dans les points de congestion et les centres d’accueil. De même,
le présent document n’examine pas la question des personnes migrantes
disparues, qui fait l’objet de la Résolution 2569 (2024) «Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile
disparues – Un appel à clarifier leur sort». Par ailleurs, j’évoque ici
la question du trafic illicite de personnes migrantes, sans toutefois
la traiter de manière exhaustive, et je renvoie donc à la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre
le trafic illicite de personnes migrantes». Enfin, je renvoie à
la Résolution 2595 (2025) «Mettre fin aux expulsions collectives de personnes
étrangères» concernant les expulsions collectives et le principe
de non-refoulement. Mon rapport explore ainsi différentes facettes
des mêmes questions et propose un point de vue complémentaire à
ces résolutions et travaux essentiels. Par souci de concision, lorsque
le terme «personnes migrantes» est indiqué, il couvre «les personnes
migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées», sauf indication contraire
explicite.
2. Règles et normes internationales visant à assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer
5. Les institutions internationales
ont joué un rôle déterminant dans la reconnaissance, la protection
et le renforcement de la sauvegarde de la vie humaine en mer. L’article 2
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») garantit le droit à la vie, y compris en mer, comme
en a statué la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»)
dans son arrêt de principe rendu en 2022 dans l’affaire Safi et autres c. Grèce
.
![(5)
Safi
et autres c. Grèce, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-218457%22]}'>requête
n° 5418/15, 2022</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
6. En effet, la Cour rappelle
que l’article 2, paragraphe 1, de
la Convention «astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer
la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre
les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes
relevant de sa juridiction (Centre de
ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC],
2014, § 130). Généralement parlant, cette obligation positive a
deux volets: a) mettre en place un cadre réglementaire, et b) prendre
préventivement des mesures d’ordre pratique (...) La Cour considère
que l’obligation positive que l’article 2 fait peser sur l’État
de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des
personnes relevant de sa juridiction s’applique dans le cadre de
toute activité, qu’elle soit publique ou non, susceptible de mettre
en jeu le droit à la vie».

7. L’article 2 impose pareilles obligations positives dans le
contexte d’une opération de sauvetage de personnes migrantes ayant
fait naufrage en cherchant à traverser des frontières par voie maritime,
dans l’affaire Safi et autres c. Grèce.
La Cour a estimé que l’enquête relative à une opération des garde-côtes
en mer Égée en 2014, au cours de laquelle 11 parents des requérants
migrants qui se trouvaient à bord d’un bateau de pêche se sont noyés,
n’avait pas été menée de manière efficace. Parmi les principaux manquements
relevés par la Cour figuraient la participation insuffisante des
requérants à la procédure pénale et le fait que les autorités chargées
des poursuites n’ont pas donné suite à certaines pistes d’enquête
qui étaient manifestement nécessaires. En outre, la Cour a constaté
que les garde-côtes grecs n’avaient pas réagi de façon appropriée
pour secourir un bateau de personnes migrantes naufragé et a conclu
à une violation de la Convention pour les motifs suivants: omissions
et retards concrets des autorités nationales dans la conduite et
l’organisation de l’opération de sauvetage de personnes réfugiées
naufragées dont certaines sont mortes; fouilles corporelles sur
des personnes réfugiées naufragées, à leur arrivée sur une île grecque,
obligées par les forces de l’ordre de se déshabiller en même temps
et au même endroit, devant au moins 13 personnes; et absence d’enquête
effective sur le naufrage de personnes réfugiées ayant entraîné
la mort de certaines. En outre, la Cour a conclu à la violation
de l’article 3 de la Convention en raison du traitement dégradant
subi par certains requérants lors de leur fouille à nu publique
par les garde-côtes sur un terrain de basket-ball en plein air sur
l’île de Farmakonisi
.

8. Le 12 février 2025, la Grande Chambre de la Cour a tenu des
audiences dans les affaires COCG et autres
c. Lituanie, HMM et autres
c. Lettonie et RA et autres
c. Pologne. Ces trois affaires concernent des allégations
selon lesquelles chacun de ces trois États aurait procédé au renvoi
sommaire de demandeurs d’asile à la frontière avec le Bélarus. En
plus des 11 États membres ayant pris part à la procédure en tant
que tiers intervenants pour les États défendeurs, représentés par
la Finlande le jour de l’audience, et d’un nombre tout aussi conséquent
d’ONG, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty,
est également intervenu en qualité de tierce partie
.

9. Tout en reconnaissant les défis auxquels sont confrontés les
États membres face aux arrivées irrégulières à leurs frontières
et aux préoccupations d’ordre sécuritaire, le Commissaire aux droits
de l’homme a souligné, dans ses observations orales, que de telles
situations géopolitiques ne sauraient constituer une justification
légitime à la violation des droits protégés de manière absolue par
la Convention. Il a ajouté que s’agissant du principe de non-refoulement,
la Cour a précisé qu’il ne pouvait faire l’objet d’aucune limitation, que
ce soit au regard des difficultés rencontrées par les États en matière
de gestion des migrations, pour des raisons de sécurité nationale,
ou pour tout autre motif. Il a rappelé la jurisprudence constante
de la Cour établissant que le comportement de la personne, y compris
lorsqu’elle franchit une frontière de manière irrégulière, ne diminue
en rien les obligations qui incombent à l’État. Avec cette jurisprudence
bien établie, la Cour démontre ainsi que la protection des frontières
n’est pas incompatible avec celle des droits humains.
10. Au niveau des Nations Unies, d’autres instruments internationaux
confortent ces engagements et obligations en mer. Les navires sont
tenus, en vertu du droit international, de prêter assistance aux
personnes en détresse en mer. La Convention sur le droit de la mer
dispose que tout navire doit «se porte[r] aussi vite que possible
au secours des personnes en détresse» (article 98). La Convention
internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes ainsi
que la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine
en mer renforcent également les engagements des États s’agissant
d’assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer. C’est également
ce que rappellent les recommandations du Secrétaire général des
Nations Unies sur les personnes migrantes disparues et celles en
détresse contenues dans son dernier rapport sur la mise en œuvre
du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières
.
De plus, le principe de non-refoulement, principe de droit international
coutumier reconnu notamment par la Convention des Nations Unies
de 1951 relative au statut des réfugiés et par la jurisprudence
de la Cour au titre de l’article 3, interdit le renvoi de personnes
vers des pays où elles pourraient être exposées à un risque.

11. Depuis sa création, l’Organisation maritime internationale
(OMI) élabore des règles relatives à la sauvegarde de la vie humaine
en mer. Elle a lancé un appel «pour qu’une plus grande attention
soit portée sur le problème des mouvements migratoires mixtes dangereux
effectués par mer et pour y remédier au moyen de voies de migration
plus sûres et régulières. Il s’agit en effet de réduire les pertes
humaines dues aux nombreuses traversées effectuées à bord de navires
surchargés et inaptes à la navigation»
. Par ailleurs, elle a exhorté «la
communauté internationale à une action concertée pour faire face
aux mouvements migratoires mixtes dangereux effectués par mer, qu’ils
concernent la mer Méditerranée ou d’autres régions du monde (...) [L’]Assemblée
de l’OMI a adopté la Résolution A.920(22) sur l’Examen
des mesures de sécurité et des procédures relatives au traitement
des personnes secourues en mer, laquelle recommande de réviser les mesures et les procédures
relatives au traitement des personnes secourues en mer, en garantissant
que la vie des personnes se trouvant à bord des navires sera sauvegardée
et que les communautés côtières traiteront ces personnes de manière
satisfaisante». L’OMI a par ailleurs publié une circulaire intitulée
«Mesures intérimaires visant à lutter contre les pratiques dangereuses
liées au trafic ou au transport de migrants par mer». Elle a également
adopté, en novembre 2022, lors de la 106e session
du Comité de la sécurité maritime, une résolution concernant la
coopération recommandée pour assurer la sauvegarde de la vie humaine
en mer, le sauvetage des personnes en détresse en mer et le débarquement
en lieu sûr des survivants. Elle souligne l’importance d’une participation
efficace et opportune des gouvernements dans les cas où des personnes migrantes
sont secourues en mer par des navires marchands, insiste sur la
nécessité de coopérer dans toutes les phases de recherche et de
sauvetage et de réduire au minimum la durée pendant laquelle les
survivants restent à bord du navire qui leur porte assistance et,
surtout, note que, selon le droit international, une opération de
recherche et de sauvetage n’est pas terminée tant que les survivants
n’ont pas été débarqués et conduits dans un lieu sûr
. Le comité de la sécurité maritime
de l’OMI a également publié des lignes directrices sur le traitement
des personnes sauvées en mer (MSC.167(78)), qui définissent le lieu
de sécurité comme «un endroit où la vie des survivants n’est plus
menacée et où l’on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux (tels
que des vivres, un abri et des soins médicaux)».


12. Au niveau de l’Union européenne, la Recommandation (UE) 2020/1365
de la Commission européenne
encourage l’amélioration du partage
d’informations et de la coordination dans les opérations de recherche
et de sauvetage de l’Union européenne. Elle porte spécifiquement
sur la coopération entre les États membres de l’Union européenne
et les parties prenantes concernées, en mettant l’accent sur les
bateaux de sauvetage détenus par des entités privées. Dans le prolongement
de cette recommandation, la Commission européenne a créé, en 2021,
le Groupe de contact européen sur la recherche et le sauvetage
. Cette plateforme est destinée à
mettre en œuvre, au sein des États membres de l’Union européenne
et des États associés à l’espace Schengen, le cadre juridique existant
et les pratiques de recherche et de sauvetage en constante évolution.
Par ailleurs, la Commission coordonne la relocalisation des personnes
secourues dans l’Union européenne et encourage la solidarité et
la coopération entre les États membres
.



13. En ce qui concerne la notion de pays tiers sûr, il y a lieu
de se référer à la Recommandation n°R(97)22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États
membres énonçant des lignes directrices sur l’application de la
notion de pays tiers sûr, qui définit les conditions préalables
qui doivent être remplies pour qu’un pays puisse être considéré
comme une destination sûre dans le contexte des questions d’asile
. S’appuyant sur la Recommandation 2238 (2022) de l’Assemblée «Pays tiers sûrs pour les demandeurs d’asile»,
le Comité des Ministres étudie actuellement la nécessité et la faisabilité
d’une mise à jour de la Recommandation n° R (97) 22 (voir réponse
à recommandation, Doc. 15874). En outre, dans l’arrêt de principe rendu dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie [GC],
la Cour européenne des droits de l’homme énonce les principes généraux
de la protection contre le refoulement et de l’interdiction des
traitements inhumains ou dégradants des personnes demandeuses d’asile
avant l’application de la notion de pays tiers sûr. Il convient de
procéder à un examen approfondi visant à s’assurer que la personne
concernée ne risque pas de se voir refuser l’accès à la procédure
d’asile dans le pays tiers et qu’elle ne risque pas d’être expulsée
ou refoulée dans le pays tiers, même si celui-ci est un État membre
de l’Union européenne ou un État partie à la Convention. Selon la
Cour, dès lors qu’il est établi que les garanties contre le refoulement
sont insuffisantes, la personne demandeuse d’asile ne doit pas être
expulsée vers le pays tiers concerné
.

![(16)
Requête n° 47287/15,
arrêt du 21 novembre 2019 [GC], <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=002-12662'>https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=002-12662</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
14. Ainsi, il existe déjà des règles internationales strictes
visant à assurer la sauvegarde de la vie humaine dans les eaux européennes.
Alors que les eaux territoriales ne s’étendent que jusqu’à 12 milles
nautiques, l’ensemble des obligations susmentionnées s’étend également
aux eaux internationales, qui sont les plus vastes et où se produisent
la plupart des naufrages. Cependant, leur mise en œuvre dans la
pratique, qui dépend principalement de la volonté des États membres
et des mesures qu’ils prennent, peut encore être améliorée.
3. Crise humanitaire persistante en mer et personnes abandonnées à leur sort dans les eaux européennes
15. Des personnes migrantes risquent
leur vie dans les eaux européennes pour échapper à des persécutions,
à un conflit, à la violence, à des violations des droits humains
ou à des situations qui compromettent considérablement la survie
et l’ordre public, notamment le changement climatique. Les tragédies
en mer s’enchaînent et les naufrages et tentatives avortées de traversées
dans les eaux européennes sont légion. Le présent rapport évitera
de dresser un funèbre bilan; diverses ressources telles que le projet
de l’OIM intitulé «Migrants disparus» documentent en détail ces
nombreux cas
.

16. Plusieurs événements ont toutefois marqué un tournant dans
la série récente de décès de personnes migrantes survenus dans les
eaux européennes, dont le naufrage du navire Adriana, le
14 juin 2023 en Grèce, est un exemple symptomatique. Plus de 600 adultes
et enfants ont trouvé la mort. Les victimes, à l’instar de toutes
les personnes qui périssent en mer pendant leur périple migratoire,
avaient quitté leur foyer pour fuir des conditions extrêmement difficiles,
à la recherche de sécurité et d’une vie décente. Chacune d’entre
elles avait un nom, une famille et une dignité, qui ont été engloutis
dans ces eaux.
17. «Les pays européens ne protègent pas les réfugiés et les migrants
qui tentent de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée.
Ce recul dans la protection des vies et des droits des réfugiés
et des migrants s’aggrave et cause chaque année des milliers de
morts qui pourraient être évitées», a déclaré en mars 2021 l’ancienne
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (2018-2024),
Mme Dunja Mijatović
. Cette déclaration est l’un des nombreux
appels lancés par les institutions internationales et non gouvernementales
qui sont témoins du passage régulier de personnes migrantes dans
les eaux européennes.

3.1. Les routes migratoires maritimes périlleuses vers l’Europe
18. Un grand nombre de personnes
migrantes rejoignent l’Europe par la mer
. Ces routes migratoires maritimes
sont dangereuses et conduisent à des taux de mortalité élevés. Plusieurs
facteurs contribuent à cela, notamment les longues distances parcourues
depuis le pays d’origine, les eaux agitées, les embarcations de
fortune surchargées, les risques d’interception ou de noyade et
les intempéries. Les eaux européennes sont devenues un cimetière
pour des milliers de personnes migrantes qui perdent la vie chaque
année au cours de ces périlleux voyages. Cette situation ne doit
en aucun cas être tolérée.

19. La route de la Méditerranée centrale est empruntée par des
personnes migrantes en provenance d’Afrique du Nord, en particulier
de Libye et de Tunisie, dans le but de rejoindre l’Italie et Malte,
bien que les arrivées à Malte soient pratiquement inexistantes depuis
plusieurs années. Les personnes migrantes sont principalement originaires
d’Afrique subsaharienne, du Nigeria, du Soudan, d’Érythrée et de
Gambie, mais aussi d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud, du Bangladesh
et du Pakistan. Selon les données préliminaires publiées par l’Agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)
, le nombre de traversées recensées
sur la route de la Méditerranée centrale a chuté de 59 % en 2024
par rapport à 2023, en raison de la diminution des départs depuis
la Tunisie et la Libye. Malgré cette baisse et la nécessité d’en
comprendre les causes, Frontex a tout de même enregistré 66 766
passages, ce qui en fait le deuxième itinéraire le plus emprunté
en 2024 après la route de la Méditerranée orientale (de la Türkiye
vers la Grèce).

20. La route de la Méditerranée occidentale est empruntée, quant
à elle, par les personnes migrantes qui espèrent atteindre l’Europe
par l’Espagne. Venant principalement du Maroc, d’Algérie et d’Afrique
de l’Ouest, elles traversent la mer d’Alboran ou le détroit de Gibraltar.
En 2023, plus de 280 000 personnes ont quitté l’Afrique du Nord
pour rejoindre l’Europe au terme de voyages en mer périlleux à travers
la Méditerranée occidentale et centrale, soit 58 % de plus qu’en
2022
. Selon les mêmes données, plus d’un
quart des départs ont été interceptés et débarqués en Afrique du
Nord, et non en Europe, et plus de 3 300 personnes sont mortes.

21. Les personnes migrantes fuyant la Syrie, l’Afghanistan et
d’autres zones de conflit dans cette région choisissent la route
de la Méditerranée orientale de la Türkiye vers la Grèce. Ces personnes
arrivent en Türkiye et gagnent la Grèce en passant par les îles
de la mer Égée, notamment Rhodes, Lesbos, Chios et Samos. Plus de
2 500 personnes migrantes ont perdu la vie entre 2014 et 2024 sur
cette route migratoire maritime
.


22. La route de l’Afrique occidentale/Atlantique est utilisée
par les personnes migrantes qui tentent d’atteindre les îles Canaries
en traversant l’Atlantique. Ces personnes sont originaires d’Afrique
de l’Ouest, en particulier du Sénégal, de Mauritanie et de Gambie.
Cette voie migratoire comprend trois itinéraires distincts, à savoir
la route entre Agadir et Dakhla, la route de la Mauritanie et la
route par le Sénégal et la Gambie. La route de l’Atlantique vers
les îles Canaries a enregistré un nombre record d’arrivées en 2024
et s’est également avérée être l’une des plus dangereuses et des
plus meurtrières au monde avec quelque 46 877 arrivées irrégulières
recensées en 2024, selon Frontex
. Cela représente une hausse de 18 %
par rapport à l’année précédente et le chiffre le plus élevé depuis
que Frontex a commencé à collecter des données en 2009. L’ONG Ca-Minando
Fronteras a fait état d’au moins 10 457 personnes mortes ou disparues
en tentant de rejoindre l’Espagne par voie maritime en 2024. Selon
son rapport, cela constitue une augmentation de 58 % par rapport à
l’année précédente. La route de l’Atlantique y est identifiée comme
«la plus meurtrière au monde», responsable de 93 % des pertes humaines
enregistrées. Dans un de ses posts sur X, l’ONG a déclaré qu’en moyenne,
30 personnes ont perdu la vie chaque jour [en 2024] parce que la
priorité a été donnée aux politiques migratoires au détriment des
droits humains
.






23. Malgré la courte distance de la route migratoire de la Manche,
le voyage est extrêmement dangereux en raison des courants forts,
des conditions météorologiques imprévisibles, des voies de navigation
très fréquentées et des eaux froides. Ces dernières années, de plus
en plus de personnes migrantes ont tenté de traverser la Manche
sur de petites embarcations
. Le Royaume-Uni et la France ont
multiplié les patrouilles, mais les tentatives de traversée se poursuivent.
Entre 2023 et 2024, l’arrivée de 31 079 personnes migrantes à bord
de petites embarcations a été recensée
. La plupart étaient Afghans (19 %),
Iraniens (12 %) et Turcs (11 %). En 2024, 6 310 personnes migrantes
ont été secourues en mer dans le Pas-de-Calais (France), soit une
hausse de 30 % par rapport à l’année précédente, selon le bilan
opérationnel de la préfecture maritime de la Manche et de la mer
du Nord. La même année, 45 203 personnes migrantes ont été impliquées
dans une opération d’assistance ou de recherche et de sauvetage
menée dans la Manche (+26 %)
.




3.2. La fin des opérations de recherche et de sauvetage à grande échelle dans les eaux européennes
24. La Méditerranée reflète bien
l’évolution des politiques de recherche et de sauvetage dans les
eaux européennes. Le 3 octobre 2013, 368 personnes perdaient la
vie lors d’un naufrage survenu près des côtes de Lampedusa. Un second
naufrage a eu lieu le 11 octobre 2013, dans lequel 268 personnes
ont trouvé la mort. Ces tragédies ont marqué un tournant dans les
politiques européennes de recherche et de sauvetage.
25. Peu après ces drames, le 18 octobre 2013, l’Italie déclenchait,
avec le soutien de l’Union européenne, l’opération de sauvetage
Mare Nostrum. Dirigée par l’État, cette opération a mobilisé la
marine et les garde-côtes pour faire face à la crise humanitaire
dans le détroit de Sicile. Elle a pris fin le 31 octobre 2014 et
a été remplacée par l’Opération Triton
, une
initiative beaucoup plus limitée lancée par le Conseil de l’Union européenne,
avec des navires moins nombreux et plus petits, une zone opérationnelle
beaucoup plus restreinte et un mandat axé sur le contrôle des frontières.
Cette opération s’est poursuivie jusqu’en 2018.


26. Dans les mois qui ont suivi, plusieurs naufrages se sont produits,
culminant avec deux tragédies, les 12 et 18 avril 2015, causant
la mort d’environ 1 400 personnes
. En réponse à cela, l’Union européenne
a déclenché, le 18 mai 2015, la Force navale de l’Union européenne
en Méditerranée (opération EUNAVFOR Med, plus tard rebaptisée Opération
Sophia). Cette opération militaire de l’Union européenne a été mise
en place en vue de neutraliser les routes de trafic illicite de
personnes migrantes en Méditerranée. Les missions Triton et Sophia
procédèrent au sauvetage de plus de 100 000 personnes migrantes
entre 2015 et 2016.


27. Parallèlement aux terribles naufrages de 2013 et 2015, d’innombrables
drames de moindre ampleur se produisent, beaucoup de petites embarcations
sombrant dans les eaux européennes, sans susciter de réaction particulière.
28. L’Union européenne et les États membres, en changeant la nature
de leurs opérations, se sont largement éloignés de leur objectif
initial de sauvetage, privilégiant les patrouilles côtières et la
formation des garde-côtes libyens. En 2016, en l’absence de missions
de recherche et de sauvetage à grande échelle, mais aussi en raison
du nombre élevé de personnes qui traversent, le nombre de décès
a augmenté. En 2017-2018, le nombre de morts a diminué, corrélativement
à la diminution du nombre de tentatives de traversée, grâce à la
coopération avec la Libye, qui a toutefois eu d’autres conséquences
très négatives. Face à cette situation, de nombreuses ONG se sont
engagées dans des opérations de recherche et de sauvetage. Afin
d’assurer la surveillance des eaux européennes, ces ONG ont investi
dans des navires et la formation de leurs exploitants, puis dans
des avions et des drones. Beaucoup opèrent dans les eaux méditerranéennes,
d’autres dans l’Atlantique ou la Manche.
29. L’absence de stratégie européenne unifiée en matière de recherche
et de sauvetage constitue le point faible des acteurs publics et
privés intervenant dans ce domaine. Dans ce contexte, les États
membres côtiers tels que l’Italie, la Grèce, Malte ou l’Espagne
sont contraints de gérer seuls la plupart des opérations de recherche
et de sauvetage, avec l’aide, dans une certaine mesure, des ONG
compétentes.
30. À l’occasion d’une visite d’information effectuée en Sicile
du 16 au 18 septembre 2024, j’ai été témoin avec d’autres membres
de l’Assemblée faisant partie de la délégation, au débarquement,
au port de Lampedusa, le 16 septembre 2024, d’environ 70 personnes
migrantes en provenance de la Libye qui venaient d’être secourues
par les garde-côtes de cette île. Quatre des personnes migrantes
présentes sur le bateau avaient succombé à l’inhalation de fumées
toxiques dégagées par le moteur de leur bateau. Nous avons été frappés
aussi bien par les personnes migrantes secourues en état de choc
que par la gestion efficace du processus de débarquement.
31. Je souhaite saluer le courage de toutes les personnes qui
œuvrent pour sauver la vie des personnes migrantes dans les eaux
européennes, notamment les divers corps européens de garde-côtes,
les ONG et les bénévoles. Tous ces gens risquent leur vie pour en
sauver d’autres.
3.3. La criminalisation des ONG de recherche et de sauvetage et les obstacles qui leur sont posés
32. Il ne fait aucun doute que
les autorités des garde-côtes des États membres jouent un rôle important
dans le sauvetage de personnes migrantes en mer. Les actions de
recherche et de sauvetage orchestrées par les États sont en outre
complétées par celles de nombreux bénévoles et ONG. Or, pour mener
à bien ces opérations difficiles, les ONG et les bénévoles doivent
pouvoir intervenir sans entrave dans toutes les eaux européennes,
à condition de se conformer au droit maritime international et au
droit international humanitaire. Comme le rappelle l’organisation
humanitaire SOS Méditerranée, l’ensemble des opérations sont menées dans
le strict respect de ces obligations internationales, en liaison
avec les autorités compétentes
, et toutes les ONG de recherche
et de sauvetage partagent cette approche.

33. Pourtant, plutôt que de coopérer avec ces organisations, certains
États membres ont mis en place des mesures juridiques et administratives
de plus en plus strictes en vue de perturber leurs activités de
recherche et de sauvetage. De nombreux navires humanitaires se heurtent
ainsi à des restrictions d’ordre juridique, sont immobilisés ou
écopent d’amendes, ce qui réduit leur capacité d’action. Des ONG
de recherche et de sauvetage se voient confisquer leurs navires
pour des raisons telles qu’un enregistrement incorrect ou des violations
de la réglementation portuaire
. Certains pays exigent également
de ces organisations qu’elles obtiennent des autorisations spéciales
ou qu’elles coordonnent leurs activités avec les services de l’État,
ce qui retarde d’autant leur capacité à répondre aux appels de détresse.
Des lois et pratiques récemment adoptées par l’Italie imposent des
règles strictes aux navires de sauvetage des ONG, les obligeant
à accoster dans des ports éloignés au lieu du port sûr le plus proche.
De plus, les ONG ont interdiction de répondre à d’autres appels
de détresse alors qu’elles font route vers un port assigné, quelles
que soient leur possibilité d’intervention et leur position par
rapport à l’embarcation en péril. Ces mesures rallongent la durée
du trajet et retardent le retour des navires dans les zones de sauvetage,
augmentant le risque de noyade des personnes avant qu’elles ne reçoivent
de l’aide, sans compter qu’elles augmentent les coûts engendrés
.


34. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fait
des observations similaires. Elle indique que plusieurs navires
de sauvetage déployés par des organisations de la société civile
n’ont pas été en mesure d’effectuer des opérations de recherche
et de sauvetage à la suite d’inspections, d’enquêtes ou de leur immobilisation
par les autorités portuaires. Il est également arrivé que des membres
d’équipage ou des acteurs de la société civile fassent l’objet de
poursuites pénales liées à leurs activités. Ces procédures pénales,
ainsi que les mesures administratives prises à l’encontre des navires
déployés (comme leur immobilisation dans les ports en raison de
prétendues irrégularités techniques touchant à la sécurité maritime
ou leur saisie temporaire pour infraction à la législation nationale)
ont un effet dissuasif et effrayent les acteurs de la société civile. L’agence
a ajouté que depuis 2017, l’Allemagne, l’Italie, Malte, les Pays-Bas
et l’Espagne ont ouvert 81 procédures administratives ou pénales
à l’encontre d’opérations de recherche et de sauvetage menées par des
acteurs de la société civile. La plupart visaient des navires de
sauvetage; seule une sur cinq consistait en des procédures pénales
contre le personnel d’ONG gestionnaires de tels navires ou contre
leur équipage
.

35. Le 17 octobre 2024, une représentante de l’ONG Sea-Eye a témoigné
devant la commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées, déclarant qu’à la suite de son opération de sauvetage menée
en mars 2024, Sea-Eye fut la première organisation à subir l’immobilisation
d’un de ses navires pendant 60 jours, stoppant ainsi ses activités
en Méditerranée. Cette détention administrative a suscité des préoccupations
quant à sa constitutionnalité, au regard des principes de proportionnalité
et de caractère raisonnable.
36. Alors que les politiques nationales de protection des frontières
maritimes et terrestres sont parfaitement légitimes, les obstacles
administratifs et les actions en justice visant les opérations de
recherche et de sauvetage menées par des acteurs privés peuvent
constituer un frein, en détournant les ONG de leur objectif et en
leur faisant perdre du temps et des ressources.
3.4. Les réseaux criminels de passeurs de personnes migrantes face aux voies légales
37. L’existence de passeurs de
personnes migrantes tient principalement à l’absence de voies de
migration légales et sûres. La protection et la complicité des autorités
locales en sont une autre cause. De toute évidence, la plupart des
personnes concernées préféreraient avoir recours à des moyens sûrs
et réguliers pour migrer plutôt que d’emprunter des itinéraires
dangereux
. Au fil des ans, la sécurité aux
frontières européennes s’est renforcée et les voies légales d’entrée
en Europe restent limitées. La nécessité d’ouvrir des voies accessibles
de migration régulière en tant que mesure politique efficace est
inscrite dans le Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations
sûres, ordonnées et régulières, que seuls 28 États membres du Conseil
de l’Europe ont jusqu’à présent approuvé. La Commission européenne
a également engagé une initiative visant à élargir les filières
de migration de travail, dans le cadre de son approche globale de
la gestion des migrations et de son objectif de réduction de la
migration irrégulière
. Les restrictions en matière de
visas et la longueur des procédures d’asile peuvent être considérées
comme des facteurs incitant les personnes migrantes à se tourner
vers des canaux irréguliers d’entrée, les laissant à la merci des
passeurs.


38. Ces différents facteurs créent d’importantes opportunités
pour les réseaux criminels, qui exploitent ces restrictions en proposant
des itinéraires clandestins. Face à la forte demande, les passeurs
forment désormais des organisations criminelles bien structurées
. Ils disposent d’entreprises et
de réseaux transnationaux couvrant plusieurs pays, ayant notamment
des liens avec les pays d’origine des personnes migrantes, afin
de faciliter les procédures d’extorsion. Ils ont également mis en
place des systèmes lucratifs et ont peu de risques d’être appréhendés,
comme l’a souligné par exemple le Conseil de l’Union européenne
. Pour favoriser ces voyages, les
réseaux criminels proposent aux personnes migrantes des services
supplémentaires, comme l’hébergement dans des «planques» et des
hôtels, la fourniture de documents falsifiés, parfois avec la complicité
de fonctionnaires corrompus, et l’accès, par l’intermédiaire de
ces mêmes fonctionnaires, à des pays de transit où l’application
de la loi est défaillante, comme la Libye.


39. En se préoccupant davantage des profits qu’ils peuvent tirer
de ces opérations que des vies humaines, les passeurs jouent un
rôle majeur dans les expéditions mortelles dans les eaux européennes.
Pour échapper aux patrouilles, ils empruntent des itinéraires dangereux.
En outre, pour engranger un maximum de bénéfices, ils utilisent
des embarcations impropres à la navigation, généralement bondées,
équipées de dispositifs de flottaison limités en cas de chavirement,
et ne disposant pas de gilets de sauvetage ou de carburant en quantité
suffisante. Par ailleurs, ils obligent souvent les personnes migrantes
à monter à bord des bateaux sous la menace d’une arme, ne leur laissant
d’autre choix que d’embarquer
. Ils leur promettent une traversée en
toute sécurité avant de les abandonner en pleine mer
. Malgré ces conditions effroyables,
les passeurs sont fréquemment le seul moyen pour les personnes migrantes
d’atteindre leur destination.


3.5. La menace persistante et la violation du droit international
40. Les gouvernements avancent
souvent l’argument selon lequel les ONG de recherche et de sauvetage sont
une incitation à la migration, car elles encouragent les personnes
migrantes à entreprendre des traversées maritimes risquées; elles
agiraient comme un «facteur d’attraction», contribuant à l’augmentation du
nombre de personnes migrantes et confortant les passeurs dans leur
rôle. Cependant, les recherches contredisent l’affirmation selon
laquelle les opérations de recherche et de sauvetage favoriseraient
les migrations. En revanche, des études montrent que les conflits,
la violence et la persécution sont les principaux facteurs incitatifs
. L’actuel directeur de Frontex,
Hans Leijtens, a reconnu ce fait, affirmant que les missions de
sauvetage menées par les ONG en Méditerranée ne constituent pas
un facteur d’attraction pour les personnes migrantes. «Vous ne m’avez
jamais entendu dire qu’ils étaient un facteur d’attraction. Je n’ai
jamais dit cela, et mon opinion est qu’ils ne le sont pas», a-t-il
déclaré
. Entendu par la commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées le 24 juin 2024, M. Leijtens
a rappelé aux parlementaires que droits humains et gestion efficace
des frontières ne sont pas antinomiques. Il a précisé que depuis
sa nomination, il n’a été fait état d’aucun cas de refoulement potentiel.
Il a ajouté que l’officier aux droits fondamentaux de Frontex a
pour mandat de donner un avis indépendant en ce qui concerne les
allégations d’actes répréhensibles.


41. Malgré certaines évolutions positives constatées sous la direction
actuelle de Frontex, différents acteurs de la recherche et du sauvetage
ont également critiqué le rôle joué par l’agence, lui reprochant
notamment de ne pas assez souvent relayer les appels de détresse
ou informer les navires de sauvetage des ONG. Ils ont même allégué
que Frontex avait communiqué la position de bateaux aux garde-côtes
libyens, facilitant ainsi le renvoi de personnes migrantes en Libye,
dans des conditions dangereuses. Le naufrage de l’Adriana illustre bien les défaillances
de ce système
. Frontex avait repéré le navire
en détresse dans la zone de recherche et de sauvetage grecque. Cependant,
l’agence n’a pas fait usage de son pouvoir autonome d’émettre un message
de détresse. Au moment où l’autorisation de mener une opération
de sauvetage a été accordée, le navire avait déjà sombré à moitié,
entraînant la mort de 600 personnes migrantes.

42. Lighthouse Reports, organisation reconnue de journalisme d’investigation,
a dénoncé les activités illicites de Frontex en Méditerranée centrale.
Son directeur, Klaas van Dijken, a témoigné devant la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 9 décembre 2024,
exposant de façon détaillée le rôle direct joué par Frontex dans
les interceptions réalisées par la garde côtière libyenne. Selon une
autre enquête de Lighthouse Reports, Frontex a transmis plus de
2 000 fois en trois ans la position d’embarcations de personnes
migrantes aux garde-côtes libyens, alors même que l’agence était
témoin des actes de violence (coups de matraque, passages à tabac
et tirs) commis par ces derniers à l’encontre des passagers
. Toujours d’après Lighthouse Reports,
Frontex a notamment communiqué les coordonnées de bateaux de personnes
migrantes à la milice libyenne Tareq Bin Zeyad, connue pour ses
liens avec les mercenaires Wagner et Al-Qaïda. Dans un rapport interne,
Frontex a écrit que Tareq Bin Zeyad faisait partie de la garde côtière
libyenne
. Ce qui est clair, c’est que la
milice ou les garde-côtes libyens ne sont pas en mesure de repérer
par eux-mêmes les petites embarcations: ils se fient uniquement
aux coordonnées fournies par Frontex et les opérateurs aériens nationaux.



43. À la suite du rapport de l’Office européen de lutte antifraude
(OLAF) concernant les comportements répréhensibles de plusieurs
personnes employées par Frontex dans le cadre de ses activités opérationnelles menées
en Grèce en 2020
, l’agence a réagi en publiant une
déclaration dans laquelle elle précisait que de telles pratiques
appartenaient au passé et qu’elle entendait prendre des mesures
correctives
. Frontex a publié la décision 43/2022
du conseil d’administration portant adoption des règles visant à
ce que le directeur exécutif et le conseil d’administration informent
le forum consultatif du suivi de ses recommandations et veillent à
ce qu’il soit donné suite aux recommandations de l’officier aux
droits fondamentaux
. En réagissant ainsi, Frontex semble
déterminée à améliorer ses pratiques et à accroître la transparence
de ses activités
.




44. S’agissant du comportement de la garde côtière, plusieurs
rapports ont fait état de situations où les garde-côtes grecs et
maltais auraient obligé des embarcations de personnes migrantes
à rebrousser chemin vers des lieux peu sûrs, comme la Libye
. De même, selon certaines
informations, la garde côtière maltaise aurait ignoré à plusieurs
reprises des appels de détresse
. De telles pratiques pourraient
conduire à une violation du principe de non-refoulement
.



45. En accord avec l’Union européenne et des États membres, les
garde-côtes libyens interceptent régulièrement des bateaux de personnes
migrantes avant qu’ils n’atteignent les eaux européennes
. Il a été fait mention de techniques
d’interception violentes
, notamment de tirs sur des bateaux
de personnes migrantes
, de collaboration avec des passeurs
et de renvois forcés de personnes vers la Libye. Le 17 octobre 2024,
une représentante de Sea-Eye a déclaré à la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées que les garde-côtes libyens
avaient à plusieurs reprises entravé des opérations de sauvetage,
mettant en danger les personnes migrantes, notamment en effectuant
des tirs de sommation
.




46. Dans son dernier rapport de mission relatif à la coopération
entre l’Union européenne et la Libye, la Mission indépendante d’établissement
des faits sur la Libye du Conseil des droits de l’homme de l’ONU
a évoqué un lien entre les crimes commis contre des personnes migrantes
en Libye et le soutien apporté par les États membres et l’Union
européenne. La Mission «a des motifs raisonnables de croire que
des crimes contre l’humanité sont commis contre les migrants en
Libye. Les migrants font l’objet de détentions arbitraires fréquentes
et systématiques, auxquelles viennent s’ajouter des meurtres, des
disparitions forcées, des actes de torture, d’esclavage et de violence
sexuelle, des viols et d’autres actes inhumains. La nature constante, systématique
et généralisée de ces pratiques, auxquelles se livrent le Service
de lutte contre la migration illégale et d’autres acteurs, montre
que ce cycle de violence à l’égard des migrants est alimenté par
des fonctionnaires de grade intermédiaire ou de rang supérieur»
.


47. Parmi de nombreuses autres sources, Lighthouse Reports a recueilli
les témoignages de personnes migrantes gravement torturées par les
membres de la milice puis vendues comme esclaves, dont celui de Jamal,
un Syrien dont le nom a été changé afin de protéger son identité,
intercepté en mer le 25 mai 2023. Il a expliqué avoir ensuite été
emmené «dans une grande prison» où lui et d’autres ont été battus
«à coups de bâton et de barres de fer» et dépouillés de tous leurs
biens, y compris de leurs passeports et téléphones portables. «Il
n’y avait pas d’eau à disposition dans la prison, nous buvions celle
des toilettes. Nous avions droit à du riz, de la soupe ou des pâtes
en petites quantités. Nous avons été détenus pendant 20 jours par
la brigade Tareq Bin Zeyad», a-t-il déclaré
.

48. De même, la Tunisie n’est pas un lieu sûr pour les personnes
migrantes. Les États membres, tels que la France, l’Italie, l’Allemagne
ou le Royaume-Uni, ont apporté un soutien massif à la Tunisie dans
le cadre d’accords bilatéraux
. Ces États ont financé, équipé (de
bateaux, de véhicules, de matériel informatique, etc.) et formé
les forces tunisiennes et la garde côtière nationale à l’interception
des personnes migrantes en mer. Mais cette aide a coïncidé avec
une aggravation des atteintes aux droits humains, notamment des
violences sexuelles, des déportations dans le désert et des violations
du principe de non-refoulement
. Par ailleurs, depuis la création
d’une zone de recherche et de sauvetage tunisienne en juin 2024,
les opérations menées par les garde-côtes tunisiens avec l’appui
de l’Union européenne se sont multipliées, et font souvent appel
à des tactiques violentes et dangereuses
.



49. Selon une pratique malheureusement de plus en plus fréquente,
l’Union européenne a externalisé les opérations de recherche et
de sauvetage à l’autorité tunisienne des garde-côtes (Garde Nationale
Maritime)
. Dans le cadre de son enquête sur
le protocole d’accord entre l’Union européenne et la Tunisie, la
médiatrice européenne (2013-2024) Emily O’Reilly a conclu que la
Commission européenne n’avait pas fait d’analyse d’impact préalable
du protocole sur les droits humains, mais avait effectué un exercice
de gestion des risques en matière de droits de l’homme, dont les
conclusions n’ont pas été publiées par l’Union européenne
.


50. Un groupe de recherche international (les chercheurs et chercheuses
ont décidé de rester anonymes afin de protéger leur sécurité), Researchers
X, a publié un rapport intitulé «State Trafficking: Expulsion et
vente de migrants de la Tunisie vers la Libye»
. Ce
rapport décrit des cas préoccupants de violence étatique systémique,
de traite des êtres humains et de violations du droit international,
tous facilités par les politiques d’externalisation des frontières.
Le rapport rend compte de l’expulsion forcée de personnes migrantes
de la Tunisie vers la Libye entre juin 2023 et novembre 2024. Il
contient 30 témoignages de personnes concernées et documente l’implication
directe de la police et de l’armée tunisiennes dans la vente d’êtres
humains à la frontière. Le rapport expose en outre l’interconnexion
entre l’infrastructure d’expulsion financée par l’Union européenne
et l’industrie de l’enlèvement opérant dans les prisons libyennes
.


51. Les ONG et les groupes de défense des droits humains ont contesté
ces pratiques devant les tribunaux, qui sont de plus en plus souvent
saisis d’affaires de violations des droits humains en mer. Au niveau
national, des procédures ont été engagées en Italie, en Allemagne
et en France. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu l’arrêt Safi et autres c. Grèce susmentionné,
dans lequel elle a conclu à la violation de la Convention par les
garde-côtes grecs qui n’ont pas réagi comme ils auraient dû face
au bateau de personnes migrantes qui était en train de sombrer
.
La Cour impose à tous les États de mener des enquêtes indépendantes
et effectives sur les décès de personnes migrantes en mer. Le but
essentiel de l’enquête est d’assurer la mise en œuvre effective
des dispositions de droit interne qui protègent le droit à la vie
et, lorsque le comportement d’agents ou d’autorités de l’État pourrait
être mis en cause, de veiller à ce que ceux-ci répondent des décès
survenus sous leur responsabilité
. Des procédures sont également en
cours contre Frontex
.

![(66)
Al-Skeini
et autres c. Royaume-Uni [GC], <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-105606'>requête
n°55721/07</a>, 2011, § 167. Voir aussi le <a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/article-2'>Guide
sur la jurisprudence – Article 2</a>.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)

52. Omer Shatz, directeur juridique de l’ONG front-lex
, a été entendu par la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 17 octobre 2024.
Il a déclaré qu’entre 2015 et aujourd’hui, des violations généralisées
du droit maritime international et du droit international des droits
humains et des réfugiés ont ciblé les personnes migrantes; ces violations
découlent des politiques de l’Union européenne et des États membres
dont l’objectif est d’empêcher à tout prix les arrivées. M. Shatz
a fait part à la commission des enquêtes actuellement menées par
la Cour pénale internationale concernant le traitement des personnes migrantes
sur la route de la Méditerranée centrale, et des éléments de preuve
donnant à penser que ces infractions ont été facilitées par l’Union
européenne
. Il a appelé à un changement de
paradigme dans la manière dont les politiques migratoires des institutions
et des États membres de l’Union européenne sont comprises et appliquées
en Méditerranée, et a fait valoir que de telles violations pourraient
constituer des crimes contre l’humanité au regard du droit pénal
international.


4. Prévenir les décès en mer, améliorer les opérations de sauvetage et mieux protéger les droits fondamentaux des personnes migrantes
53. Nous ne pouvons pas fermer
les yeux sur la tragédie humaine qui se déroule dans les eaux européennes.
Il faut y mettre fin, avant tout en établissant des voies sûres
et légales pour les personnes migrantes et autres personnes ayant
besoin d’une protection internationale. De plus, les États membres doivent
protéger et reconnaître les eaux européennes en tant qu’espaces
maritimes humanitaires à sanctuariser au nom de l’humanité.
54. Alors que la traite des personnes migrantes n’a jamais été
aussi importante et que les États membres et les institutions internationales
s’efforcent de lutter contre ce phénomène criminel, les eaux européennes restent
en partie des zones de non-droit. Il est par conséquent urgent de
s’attaquer au trafic illicite de personnes migrantes et de l’empêcher
autant que possible. Pour ce faire, il faut commencer par assurer l’application
effective des traités internationaux. La Convention du Conseil de
l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
n°197) est un instrument essentiel pour combattre la traite
des personnes migrantes, complété par l’expertise du Conseil de
l’Europe dans ce domaine. L’acquis des directives de l’OMI est également
déterminant à cet effet.
55. Malgré l’existence d’instruments solides, le trafic illicite
de personnes migrantes reste la principale voie de migration irrégulière
vers l’Europe. Les personnes migrantes ayant besoin d’une protection
internationale continueront de fuir des situations désespérées et,
en l’absence de filières sûres et légales, de recourir aux services
de réseaux criminels. Un phénomène de cette ampleur nécessite un
effort collectif important pour être démantelé.
56. Les États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
doivent s’assurer de l’existence de voies d’accès sûres à leur territoire,
y compris lorsque des personnes sont interceptées dans les eaux européennes.
Il convient de rappeler que le principe de non-refoulement s’applique
à tous les États sur l’ensemble du territoire relevant de leur juridiction,
y compris dans leurs eaux territoriales. En outre, ce principe devrait
être pleinement respecté dans les zones contiguës et dans les eaux
internationales dès lors qu’un navire battant pavillon d’un État
européen exerce un contrôle sur un individu, comme cela peut être
le cas au cours d’une opération d’interception, ou lorsqu’un tel
navire est suivi ou dérouté en haute mer (une possibilité découlant
de l’article 7 du règlement (UE) n° 656/2014, auquel Frontex est
lié en vertu de l’article 10 du règlement (UE) n° 2019/1896). Ces
éléments s’appuient sur l’interprétation donnée par la Cour de la
notion d’obligations extraterritoriales des États membres dans l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie
. Outre
la mise en place de voies légales alternatives aux routes de trafic
illicite de personnes migrantes, y compris par mer sur des routes
maritimes régulières, il est essentiel de veiller au respect de
ces obligations afin de réduire et, c’est à espérer, de prévenir
enfin les périples dangereux et les décès en mer qui s’en suivent.
Il n’est pas nécessaire d’établir de nouveaux cadres juridiques
pour mettre en place ces voies. La Convention de 1951 relative au
statut des réfugiés, la Convention sur le droit de la mer, et la
Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en
mer répondent de manière satisfaisante aux besoins existants. Il
faut plutôt une volonté politique forte et un suivi conjoint par
les organisations internationales, en particulier les agences de
l’Union européenne et de l’ONU (Haut Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés, OIM
), les États membres côtiers et les
ONG de recherche et de sauvetage, afin de garantir le bon déroulement
des opérations et le respect des droits humains.



57. La lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes
a conduit plusieurs États membres à incriminer les personnes faisant
l’objet d’un tel trafic et les organisations humanitaires. Les États
membres devraient ainsi examiner attentivement les recommandations
formulées dans la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés
et aux migrants en Europe» et la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre
le trafic illicite de personnes migrantes». Selon ces résolutions,
les personnes ayant besoin d’une protection ne devraient jamais
être incriminées pénalement ou sanctionnées administrativement pour
avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31
de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés
et à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
lutte contre la traite des êtres humains.
58. L’assistance humanitaire ainsi que toute aide apportée aux
personnes migrantes pour faciliter l’exercice de leurs droits fondamentaux
devraient être exonérées expressément de toute forme de responsabilité
pénale lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque
avantage financier ou matériel, ce qui est évidemment le cas des
ONG de recherche et de sauvetage. Cela implique de définir avec
précision, dans la législation nationale, les éléments constitutifs
de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et le
champ d’application de l’incrimination, conformément au Protocole
additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la
traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants («Protocole
de Palerme»). Cet instrument reconnaît la nécessité d’introduire
le critère de but lucratif dans la définition de trafic illicite,
afin d’éviter la criminalisation d’une action humanitaire légitime.
59. Comme l’a recommandé l’ancienne Commissaire aux droits de
l’homme: «Tous les États membres sont instamment priés d’allouer
des ressources destinées spécifiquement aux activités de [recherche
et de sauvetage], afin que ces dernières puissent augmenter en nombre
et en portée. Ce faisant, les États membres devraient établir un
système parfaitement opérationnel, doté de moyens suffisants, qui
permette de sauver des vies en mer et dont les capacités soient
proportionnées aux problèmes qui se posent actuellement en Méditerranée.
Les États membres devraient déployer des navires le long des couloirs
où ils peuvent effectivement contribuer à éviter des décès et garantir
un traitement digne des personnes secourues. Tous les États côtiers
concernés devraient veiller à exploiter pleinement toutes les unités
de [recherche et de sauvetage] et les autres ressources disponibles,
notamment les navires administrés par des ONG, pour porter assistance
aux personnes qui se trouvent, ou semblent se trouver, en situation
de détresse en mer.» 

60. En ce qui concerne la protection des défenseurs des droits
humains dans son ensemble, la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a émis, en février 2024, une série de recommandations
dans sa publication «Protéger les défenseurs: mettre fin à la répression
des défenseurs des droits humains qui aident les réfugiés, les demandeurs
d’asile et les migrants en Europe». Pour inverser la tendance répressive
susmentionnée à l’encontre des défenseurs des droits humains, la
Commissaire appelle à une action urgente, notamment: en réformant
les lois, les politiques et les pratiques qui entravent indûment les
activités des défenseurs des droits humains; en veillant à ce que
les lois sur le trafic illicite de personnes migrantes ne confèrent
le caractère d’infraction pénale à aucune activité de défense des
droits humains ou d’aide humanitaire menée auprès des personnes
réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes; en levant les restrictions
d’accès aux lieux et aux informations; en mettant fin au discours
stigmatisant et dénigrant; en établissant des procédures de sécurité
efficaces pour les défenseurs confrontés à des violences ou à des menaces
et en veillant à ce que ces cas fassent l’objet d’enquêtes effectives
.

61. Alors que des couloirs humanitaires officiels sont mis en
place dans les zones de guerre afin d’aider les personnes qui fuient
pour se mettre en sécurité, il n’existe pas de couloirs similaires
visant à sauver des vies en mer. Cependant, face à l’inaction des
États, le travail réalisé par les ONG de recherche et de sauvetage pourrait
être considéré de fait comme une action humanitaire en mer destinée
à venir en aide aux personnes en détresse, assortie toutefois d’importantes
restrictions. Ces ONG assurent des secours d’urgence en portant assistance
aux personnes en perdition en mer qui, une fois à bord de leurs
navires, bénéficient d’une prise en charge. Toutefois, cela ne constitue
pas une voie maritime légale, sûre et systématique. Qui plus est,
les flottes civiles ne réalisent qu’une infime partie des sauvetages
et les capacités d’action des ONG sont de plus en plus limitées
par les autorités nationales concernées et pâtissent d’une criminalisation
croissante en Europe. Enfin, ces ONG ne peuvent pas assurer une
évacuation protégée depuis la Libye ou la Tunisie, ce que permettrait un
véritable corridor humanitaire.
62. Il est par conséquent essentiel de ne pas assimiler la présence
d’ONG de recherche et de sauvetage en mer à des voies de migration
sûres et légales. Les personnes qui tentent de traverser les eaux
européennes continueront à risquer leur vie, à faire face à un manque
de protection et à être souvent incriminées pour avoir fui. Pour
éviter de nouveaux décès, nous devons plaider en faveur de l’établissement
de voies sûres et légales pour les personnes ayant besoin de protection,
par le biais notamment de la délivrance de visas humanitaires, de
la mise en œuvre de programmes de réinstallation et de l’activation
de mécanismes de protection temporaire
. Tant que ces filières ne seront
pas en place, les autorités européennes des garde-côtes auront besoin
de capacités de recherche et de sauvetage accrues et d’une meilleure
coordination entre les acteurs publics et privés impliqués, grâce
à des programmes de recherche et de sauvetage ambitieux et financés collectivement.

63. Par ailleurs, la reconnaissance des eaux européennes en tant
qu’espaces maritimes humanitaires permettrait de sauver la vie de
personnes migrantes en mer, de mieux protéger les opérations civiles indépendantes
de recherche et de sauvetage et contribuerait à renforcer la coopération
entre tous les acteurs concernés. En outre, les personnes migrantes
rescapées d’un naufrage devraient bénéficier d’une assistance spéciale,
qui réponde à leurs besoins spécifiques et prenne en compte les
traumatismes subis; d’autre part, des questions telles que l’identification
des membres de leur famille disparus doivent également être abordées
.

64. Lors de l’audition tenue le 11 mars 2025 avec une représentante
de l’ONG Sea Watch, la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées a pris connaissance d’une proposition intéressante qui
pourrait être mise en œuvre au niveau de l’Union européenne. Bénéficiant
du soutien de 14 ONG, Mare Solidale est une proposition de programme
de recherche et de sauvetage destiné à sauver des vies en Méditerranée,
qui serait dirigé par l’Union européenne. Sur la base de cette initiative,
l’Union européenne pourrait décider dès aujourd’hui de mettre en
œuvre un programme de sauvetage conforme aux droits humains et fondé
sur les enseignements tirés de l’opération Mare Nostrum
.

5. Conclusion
65. Une crise humanitaire honteuse
continue de faire rage sur les routes maritimes migratoires vers l’Europe,
où des dizaines de milliers de personnes migrantes ont péri au cours
des vingt-cinq dernières années. Nous manquons à nos responsabilités
juridiques et morales de porter secours aux personnes migrantes,
de défendre les droits humains et de mettre en place des voies de
migration sûres. Abandonner ces personnes désespérées entre les
mains des passeurs revient à donner à ces derniers un «permis de
tuer».
66. Dans le même temps, les États membres poursuivent des politiques
migratoires restrictives et renforcent les contrôles aux frontières.
Sauver la vie des personnes migrantes en mer ne mettra pas en péril la
stabilité des institutions et des économies nationales. Bien au
contraire, l’Europe devrait considérer les migrations comme un moyen,
parmi d’autres, de remédier à son vieillissement démographique et
à sa pénurie de main-d’œuvre, et privilégier par conséquent une
politique migratoire sûre, bien gérée et adaptée
.

67. J’appelle à agir de toute urgence afin d’améliorer les opérations
de recherche et de sauvetage dans les eaux européennes, d’accroître
les efforts pour démanteler les réseaux de passeurs, et de respecter
les obligations en matière de droit international des droits humains
et de droit international humanitaire.
68. Lorsque l’Europe a mis fin aux missions de recherche et de
sauvetage à grande échelle, un certain nombre d’organisations non
gouvernementales sont intervenues pour combler ce vide, et elles
ne peuvent qu’en être félicitées. Cependant, le petit monde des
ONG spécialisées dans ce domaine a ses limites et se heurte à des
obstacles, voire à une criminalisation de la part des États membres,
qui imposent des mesures juridiques et administratives restrictives
à leurs activités. Il est important de noter que les ONG ne peuvent
pas remplacer les obligations des États membres de fournir des opérations
de recherche et de sauvetage de manière durable et coordonnée. Mais
elles peuvent contribuer à sauver des vies. Les États membres et
l’Union européenne doivent utiliser pleinement tous les navires
capables de secourir les personnes en détresse. Les États membres
doivent pleinement soutenir les ONG en allégeant les formalités
d’enregistrement de leurs navires, en les autorisant à opérer sur
leur territoire et à partir de leurs ports et en les informant des
cas de détresse
.

69. Le droit maritime international et le droit international
des droits humains comptent parmi les fondements des sociétés démocratiques.
Les États membres et les institutions internationales sont les gardiens
de ces règles et doivent bien évidemment les appliquer à leurs propres
politiques, cadres et pratiques. Il est donc inquiétant de constater
les violations récurrentes du droit international en mer, notamment
les nombreux cas de renvois forcés de personnes migrantes vers des
pays à risques. Frontex et les États membres ont également été accusés
d’avoir facilité ces actions, notamment en communiquant les coordonnées
des embarcations de personnes migrantes aux autorités libyennes,
alors qu’ils connaissaient les dangers qu’encouraient ces personnes
en cas de retour dans leur pays d’origine. L’officier aux droits
fondamentaux, intégré à la structure de Frontex, a vu ses capacités
renforcées au cours des dernières années, grâce notamment à une
augmentation de ses effectifs. Il s’agit d’une évolution encourageante,
qui témoigne des efforts entrepris par l’agence pour accroître la
transparence de ses activités.
70. La tendance qu’ont les États membres à transférer la responsabilité
des opérations de recherche et de sauvetage aux autorités des garde-côtes
libyens et tunisiens, pays peu sûrs pour les personnes migrantes,
est également très préoccupante. Ce transfert de responsabilité
se poursuit, malgré les nombreuses atteintes aux droits humains
dont il est fait état, notamment la torture, l’esclavage et la traite
de personnes migrantes interceptées dans les eaux européennes.
71. Il est par conséquent fondamental de respecter et d’appliquer
pleinement le droit international humanitaire et le droit maritime
international pour faire face à cette situation et garantir des
opérations de recherche et de sauvetage plus sûres. Compte tenu
de la multitude de rapports faisant état de violations des droits
humains et de mauvais traitements infligés aux personnes migrantes
par les garde-côtes libyens et tunisiens, j’appelle à un moratoire
immédiat sur tous les accords, financements et soutiens logistiques
en faveur des autorités de la garde côtière libyenne et tunisienne,
en attendant de procéder à un examen approfondi et à une remise
à plat. J’appelle en outre à mettre immédiatement fin aux renvois
de personnes migrantes en détresse en mer et à toute autre action
illégale à leur encontre.
72. La lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes
est un élément essentiel de la réponse. Les activités du Conseil
de l’Europe visant à assurer sa mise en œuvre effective, en particulier
les travaux menés par le Comité européen pour les problèmes criminels
(CDPC) sont déterminants à cette fin. Cependant, les activités
du Conseil de l’Europe ne suffisent pas. Pour réaliser un objectif
aussi ambitieux et inverser la tendance, les États membres ne peuvent
plus se cacher dans l’ombre. Nous devons encourager collectivement
l’établissement de voies de migration légales et sûres, y compris
pour les personnes ayant besoin d’une protection internationale,
par le biais de filières soigneusement contrôlées et sécurisées.
Par ailleurs, les États membres et les institutions internationales
doivent reconnaître les eaux européennes comme des espaces maritimes
humanitaires, afin de fournir aux personnes migrantes et réfugiées
des passages sûrs et de les tenir à l’écart des réseaux criminels
de passeurs. Cela suppose notamment des zones de recherche et de
sauvetage dédiées et une meilleure coordination entre les États,
les ONG et les agences telles que Frontex.
73. L’Europe doit opérer un changement de cap en matière de politique
migratoire. La protection des frontières et le respect des droits
humains des personnes migrantes ne sont pas incompatibles. Un tel changement
n’entraînera ni facteur d’attraction ni migration massive. Nous
avons l’obligation morale et légale d’empêcher les décès de personnes
migrantes en mer, et cette obligation exige de la part des gouvernements européens
et des institutions internationales une action urgente et concertée.