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Rapport | Doc. 16195 | 06 juin 2025

Sauver la vie des personnes migrantes en mer et protéger leurs droits humains

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Paulo PISCO, Portugal, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15881. Renvoi 4782 du 22 janvier 2024. 2025 - Troisième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 avril
2025.

(open)
1. Chaque jour, des personnes fuient leur pays d’origine pour échapper à la guerre, à la violence, à l’oppression politique ou aux effets du changement climatique, en quête de sécurité et d’une vie meilleure. Certaines d’entre elles tentent de rejoindre l’Europe, souvent par la mer, au péril de leur vie, lors de voyages dangereux, comme documenté par l’Organisation internationale pour les migrations depuis 2014, mais comme constaté depuis bien plus longtemps.
2. L’Assemblée parlementaire est consternée par le nombre de personnes migrantes qui périssent en mer, ainsi que par la répétition de ces tragédies dans les eaux européennes.
3. L’Assemblée rappelle la Convention européenne des droits de l’homme (STE No 5, «la Convention») et son article 2 qui protège le droit à la vie. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt de principe rendu par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») dans l’affaire Safi et autres c. Grèce en 2022, qui a souligné l’obligation des États de mener des enquêtes efficaces relatives aux violations de l’article 2 en 2022 et prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction et dans le contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie. Ces obligations au titre de l’article 2 se réfèrent, en l’espèce, à une opération de sauvetage de personnes migrantes ayant fait naufrage en tentant de traverser des frontières maritimes. L’Assemblée rappelle également que les États doivent protéger efficacement les personnes migrantes secourues contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, conformément à l’article 3 de la Convention, et enquêter efficacement sur toute violation de cette disposition fondamentale. L’Assemblée rappelle en outre l’importance du respect du principe de non-refoulement, tel qu’il a été appliqué par la Cour dans le contexte des opérations de recherche et de sauvetage en mer dans son arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie de 2012.
4. L’Assemblée invite instamment les États membres à respecter pleinement les instruments du droit international humanitaire, du droit maritime et ceux relatifs à la protection des personnes réfugiées, en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui, en vertu de l’article 98, impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que les capitaines de navire prêtent promptement assistance à toute personne en situation de détresse en mer. Elle souligne en outre l’importance de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) et de la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (1979) de l’Organisation maritime internationale, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197, 2005), du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée («Protocole de Palerme», 2000), et de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (1951).
5. L’Assemblée encourage également les États membres à faire appel à l’expertise du Conseil de l’Europe dans le domaine des migrations, en particulier la Division des migrations et des réfugiés récemment créée, le travail thématique du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur les migrations ainsi que le Programme européen de formation aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (HELP).
6. L’Assemblée souhaite rendre hommage au courage de toutes celles et ceux qui sauvent la vie de personnes migrantes dans les eaux européennes, notamment les autorités nationales des garde-côtes et les marines des États membres, les ONG et les bénévoles. Toutes ces personnes risquent leur vie pour en sauver d’autres.
7. L’Assemblée rappelle à cet égard le rôle majeur joué par l’Organisation maritime internationale pour promouvoir une application commune et efficace du cadre juridique relatif au sauvetage en mer, comme elle le souligne dans sa Résolution 1999 (2014) «Le “bateau cercueil”: actions et réactions».
8. Faisant écho à la Résolution 2305 (2019) «Sauver des vies en Méditerranée: le besoin d’une réponse urgente», l’Assemblée insiste sur le fait qu’il est du devoir des États d’empêcher qu’on puisse périr dans les eaux européennes. À cet égard, l’Assemblée exhorte tous les États membres à partager la responsabilité de la sauvegarde et de la protection des vies humaines dans les eaux européennes, en s’engageant à prêter assistance aux États membres côtiers lors des opérations de recherche et de sauvetage, notamment en augmentant les ressources allouées à leur garde côtière.
9. L’Assemblée rappelle que les îles grecques de la Mer Egée, espagnoles des Canaries et italiennes de la Sicile, en particulier Lampedusa, constituent des points d’entrée majeurs pour les personnes migrantes qui tentent de rejoindre l’Europe, et que les routes maritimes migratoires de l’Afrique de l’Ouest / Atlantique et Méditerranée centrale comptent parmi les plus dangereuses au monde. Par conséquent, l’Assemblée appelle les États membres à renforcer encore les capacités financières et matérielles des autorités des garde-côtes de ces régions, à savoir les garde-côtes helléniques, la Sociedad de Salvamento y Seguridad Marítima en Canarias et la Guardia Costiera Capitaneria Di Porto Lampedusa, afin de leur permettre de poursuivre leurs missions de sauvetage des personnes migrantes en détresse et de prévention des décès en mer.
10. L’Assemblée invite les États membres à rétablir des opérations européennes de recherche et de sauvetage à grande échelle. Cela impliquerait de créer un corps européen de recherche et de sauvetage en mer ayant pour seul mandat de sauver des vies en mer, dans le plein respect du droit international en matière de droits humains.
11. À cette fin, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que l’Union européenne:
11.1. à allouer des fonds et des moyens suffisants aux opérations de recherche et de sauvetage explicitement destinées à sauver des vies;
11.2. à établir des plateformes de coordination des opérations de recherche et de sauvetage, en assurant une réelle complémentarité entre les acteurs publics et privés concernés, et en définissant clairement les responsabilités de chaque État membre;
11.3. à améliorer la détection des situations de détresse et à assurer une intervention effective des navires les plus proches et les mieux adaptés;
11.4. en coopération avec le Conseil de l’Europe, à développer et à maintenir une sensibilisation et une formation systématiques aux droits humains des garde-frontières et des autres forces de sécurité participant aux opérations de recherche et de sauvetage de personnes migrantes, ainsi qu’à renforcer les capacités des autorités chargées de l’application de la loi (y compris les garde-frontières et les garde-côtes), des autorités judiciaires et des procureurs à mener des enquêtes efficaces sur les violations des articles 2 et 3 de la Convention, y compris dans le contexte des opérations de recherche et de sauvetage de personnes migrantes.
12. En ce qui concerne les législations nationales et internationales, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à signer et ratifier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et aux autres traités internationaux pertinents, si ce n’est pas déjà le cas, ainsi qu’à respecter leurs dispositions et obligations;
12.2. à adopter des normes communes, précises, contraignantes et exécutoires visant à renforcer les capacités de recherche et de sauvetage, qui soient pleinement conformes au droit maritime international et aux obligations découlant du droit international relatif aux droits humains et du droit international des personnes réfugiées, comme souligné dans la Résolution 1999 (2014);
12.3. à reconnaître les eaux européennes comme des espaces maritimes humanitaires afin de permettre une meilleure protection des missions civiles indépendantes de recherche et de sauvetage, et à contribuer au renforcement de la coopération entre tous les acteurs impliqués dans ce domaine, conformément à la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et aux migrants en Europe»;
12.4. à organiser des voies sûres en mer pour les personnes migrantes en détresse;
12.5. à prendre les mesures appropriées pour rendre effective l’interdiction des refoulements, des expulsions collectives et autres actions illégales perpétrées à l’encontre des personnes migrantes en mer;
12.6. à assurer un suivi rapide, indépendant et approfondi – et produire un rapport annuel à cette fin – de tous les cas de violations des droits humains en mer et du droit maritime international, en particulier:
12.6.1. les allégations de refoulements;
12.6.2. les allégations de réponses tardives, voire d’absence de réponse, aux appels de détresse de la part des autorités responsables, et les cas de mise en danger;
12.6.3. les cas de non-sauvetage, de sauvetage tardif ou d’autres problèmes survenus lors d’opérations en mer, y compris les allégations selon lesquelles des personnes secourues auraient été débarquées dans des lieux peu sûrs.
13. Afin de protéger les droits humains et les libertés fondamentales des personnes migrantes secourues, l’Assemblée invite les États membres:
13.1. à veiller à ce que les personnes rescapées soient débarquées en toute sécurité dans le lieu qui peut être atteint le plus rapidement, où leur sécurité n’est plus menacée et où leurs besoins élémentaires peuvent être satisfaits, conformément à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et aux autres instruments pertinents en matière de recherche et de sauvetage;
13.2. à assurer aux personnes migrantes une assistance au moment du débarquement, notamment en ce qui concerne la vulnérabilité, les examens de santé et de santé mentale, et la fourniture d’informations juridiques;
13.3. à adopter des normes communes, précises, contraignantes et exécutoires visant à assurer une assistance et un accueil humains et dignes aux personnes rescapées, en accordant une attention particulière aux personnes vulnérables, notamment les femmes et les enfants non accompagnés.
14. L’Assemblée encourage l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) à rechercher un accord avec les États membres en vue de signaler également les embarcations de personnes migrantes aux organisations qualifiées de la société civile, qui agissent en tant que parties prenantes complémentaires. Elle salue la création et encourage le développement de l’institution de l’officier aux droits fondamentaux au sein de la structure de Frontex, dans le but de garantir le respect des droits humains dans le cadre des activités de l’agence et au-delà.
15. Étant donné que la lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes ne doit pas conduire à l’incrimination des personnes faisant l’objet de ce trafic, ni à celles des organisations humanitaires, comme c’est le cas dans certains États membres, l’Assemblée demande aux États membres de prendre en considération les recommandations formulées dans la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et aux migrants en Europe» et la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes», notamment en définissant avec précision, dans la législation nationale, les éléments constitutifs de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et le champ d’application de l’incrimination, conformément au Protocole de Palerme. L’Assemblée appelle les États membres à accorder une attention particulière aux populations vulnérables, telles que les victimes de torture et de traite, les femmes migrantes et les enfants migrants non accompagnés.
16. Afin d’éviter de nouvelles tragédies, l’Assemblée demande instamment aux États membres d’arrêter de retarder les débarquements ou de détourner les navires vers des ports éloignés et de saisir les bateaux, avions et drones utilisés pour les opérations de sauvetage. Elle les exhorte également à permettre aux organisations humanitaires de la société civile d’intervenir aux côtés des acteurs publics, sans leur opposer d’obstacles juridiques et administratifs.
17. En outre, l’Assemblée demande instamment de mettre fin à ces tragédies en établissant des voies légales sûres pour les personnes migrantes ayant besoin d’une protection internationale. De plus, les États membres doivent protéger et reconnaître les eaux européennes en tant qu’espaces maritimes humanitaires à sanctuariser au nom de l’humanité.
18. Se félicitant de l’adoption par l’Union européenne en 2021 de son Fonds pour la gestion intégrée des frontières et de son Fonds «Asile, migration et intégration» renouvelé, l’Assemblée encourage une plus grande coopération avec le Conseil de l’Europe dans ces domaines, en particulier dans la mise en œuvre du Pacte de l’Union européenne sur les migrations et l’asile par les États membres.
19. Face aux nombreuses informations faisant état de violations inacceptables des droits humains et du droit maritime international par la garde côtière libyenne et l’Administration générale libyenne pour la sécurité côtière, l’Assemblée invite les États membres à reconsidérer leur coopération avec ces autorités, y compris leur financement, leur formation et la fourniture d’équipements, afin de s’assurer qu’elles respectent pleinement les obligations qui leur incombent en matière de droits humains.
20. Étant donné les défis auxquels la Tunisie est confrontée en ce qui concerne le respect des droits humains des personnes migrantes sur son territoire et en mer, l’Assemblée appelle les États membres à réévaluer leur coopération avec ce pays, en particulier avec sa garde côtière, à la lumière de ces questions essentielles, notamment quant au soutien apporté à l’autorité des garde-côtes tunisiens, aussi bien en termes de financements que de formations ou de fourniture d’équipements.
21. Compte tenu des préoccupations généralisées en matière de protection des personnes migrantes et réfugiées en Tunisie, telles qu’exprimées, entre autres, dans la communication conjointe adressée au Gouvernement tunisien par différentes procédures spéciales des droits de l’homme des Nations Unies, l’Assemblée invite les États membres à éviter de donner l’ordre aux navires participant aux opérations de sauvetage de débarquer les personnes migrantes et réfugiées sur le territoire tunisien.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 9 avril 2025.

(open)
1. Se référant à sa Résolution ... 2025 «Sauver la vie des personnes migrantes en mer et protéger leurs droits humains», et constatant les défis posés par la crise humanitaire qui perdure dans les eaux européennes, en raison du mépris, par certains États membres, du droit maritime international et du droit international humanitaire, l’Assemblée parlementaire rappelle les principes auxquels les États membres du Conseil de l’Europe sont tenus, ainsi que leurs obligations juridiques collectives en la matière, et souligne la nécessité pour l’Organisation de renforcer son action pour les soutenir dans ce domaine.
2. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à soutenir, par tous les moyens possibles, l’élaboration et la mise en œuvre du futur plan d’action sur les migrations et les réfugiés (2026-2029), actuellement préparé sous la coordination de la Division des migrations et des réfugiés, qui pourrait inclure la fourniture de conseils et d’une assistance aux États membres pour garantir et promouvoir les droits humains dans le contexte des opérations de contrôle aux frontières, et le renforcement d’enquêtes administratives et judiciaires efficaces sur les violations des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5).
3. Compte tenu des difficultés rencontrées par la Tunisie en ce qui concerne la situation des personnes migrantes sur terre et en mer et des droits fondamentaux en jeu, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à prendre en compte et à aborder ce domaine d’une importance cruciale dans le cadre de ses activités de coopération avec la Tunisie.

C. Exposé des motifs par M. Paulo Pisco, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Depuis plus de vingt-cinq ans, les eaux européennes sont le théâtre d’une crise humanitaire meurtrière sans fin, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes migrantes. L’Assemblée parlementaire s’est saisie de la question depuis de nombreuses années 
			(3) 
			Résolution 1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?»; Résolution 1999 (2014) «Le “bateau cercueil”: actions et réactions»; Résolution 2000 (2014) «L’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les
côtes italiennes»; Résolution 2050 (2015) «La tragédie humaine en Méditerranée: une action immédiate
est nécessaire»; Résolution 2305 (2019) «Sauver des vies en Méditerranée: le besoin d’une réponse
urgente»; Résolution 2462 (2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion
des migrations».. Le présent rapport s’appuie sur deux propositions de résolution déposées l’une le 11 octobre 2022 et l’autre le 11 décembre 2023, qui rappellent toutes deux les tragédies des personnes migrantes qui ont péri en mer, respectivement intitulées «Protéger les droits humains et sauver des vies en mer du Nord et dans la Manche» (Doc. 15630), et «Sauver la vie des migrants en mer et protéger leurs droits humains» (Doc. 15881). La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées en a été saisie pour rapport le 22 janvier 2024 et j’ai été désigné rapporteur le 16 avril 2024.
2. Cette tragédie, marquée par la perte de vies humaines dans presque toutes les eaux européennes, est une insulte à notre civilisation et ne saurait être tolérée. Selon les estimations établies dans le cadre du projet Migrants disparus de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) 
			(4) 
			<a href='https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee'>https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee</a>., plus de 31 000 personnes migrantes ont péri ou disparu en tentant de rejoindre l’Europe par la Méditerranée, entre 2014 et février 2025.
3. Alors que des règles et des normes internationales contraignantes régissent la sécurité en mer (première partie du rapport), la crise humanitaire persistante a donné lieu à des situations de non-assistance à personne en danger dans les eaux européennes, qui ont coûté la vie à d’innombrables personnes (deuxième partie). Pourtant, une telle crise peut être surmontée grâce à la mise en œuvre de politiques publiques volontaristes visant à prévenir les décès en mer, à améliorer les opérations de recherche et de sauvetage et à mieux protéger les droits fondamentaux des personnes migrantes (troisième partie).
4. Compte tenu de la nature transversale du rapport, il convient de mentionner que certains collègues ont fait part de préoccupations similaires dans leurs travaux respectifs. Le rapport élaboré par ma collègue Mme Sandra Zampa (Italie, SOC) intitulé «Les défis et besoins des acteurs publics et privés impliqués dans la gestion des migrations» aborde la situation des acteurs qui viennent en aide aux personnes migrantes et réfugiées dans les points de congestion et les centres d’accueil. De même, le présent document n’examine pas la question des personnes migrantes disparues, qui fait l’objet de la Résolution 2569 (2024) «Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues – Un appel à clarifier leur sort». Par ailleurs, j’évoque ici la question du trafic illicite de personnes migrantes, sans toutefois la traiter de manière exhaustive, et je renvoie donc à la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes». Enfin, je renvoie à la Résolution 2595 (2025) «Mettre fin aux expulsions collectives de personnes étrangères» concernant les expulsions collectives et le principe de non-refoulement. Mon rapport explore ainsi différentes facettes des mêmes questions et propose un point de vue complémentaire à ces résolutions et travaux essentiels. Par souci de concision, lorsque le terme «personnes migrantes» est indiqué, il couvre «les personnes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées», sauf indication contraire explicite.

2. Règles et normes internationales visant à assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer

5. Les institutions internationales ont joué un rôle déterminant dans la reconnaissance, la protection et le renforcement de la sauvegarde de la vie humaine en mer. L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») garantit le droit à la vie, y compris en mer, comme en a statué la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») dans son arrêt de principe rendu en 2022 dans l’affaire Safi et autres c. Grèce 
			(5) 
			Safi
et autres c. Grèce, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-218457%22]}'>requête
n° 5418/15, 2022</a>..
6. En effet, la Cour rappelle 
			(6) 
			<a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/article-2'>Guide
sur la jurisprudence – Article 2</a> et <a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/immigration'>Guide
sur la jurisprudence – Immigration.</a> que l’article 2, paragraphe  1, de la Convention «astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], 2014, § 130). Généralement parlant, cette obligation positive a deux volets: a) mettre en place un cadre réglementaire, et b) prendre préventivement des mesures d’ordre pratique (...) La Cour considère que l’obligation positive que l’article 2 fait peser sur l’État de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction s’applique dans le cadre de toute activité, qu’elle soit publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie».
7. L’article 2 impose pareilles obligations positives dans le contexte d’une opération de sauvetage de personnes migrantes ayant fait naufrage en cherchant à traverser des frontières par voie maritime, dans l’affaire Safi et autres c. Grèce. La Cour a estimé que l’enquête relative à une opération des garde-côtes en mer Égée en 2014, au cours de laquelle 11 parents des requérants migrants qui se trouvaient à bord d’un bateau de pêche se sont noyés, n’avait pas été menée de manière efficace. Parmi les principaux manquements relevés par la Cour figuraient la participation insuffisante des requérants à la procédure pénale et le fait que les autorités chargées des poursuites n’ont pas donné suite à certaines pistes d’enquête qui étaient manifestement nécessaires. En outre, la Cour a constaté que les garde-côtes grecs n’avaient pas réagi de façon appropriée pour secourir un bateau de personnes migrantes naufragé et a conclu à une violation de la Convention pour les motifs suivants: omissions et retards concrets des autorités nationales dans la conduite et l’organisation de l’opération de sauvetage de personnes réfugiées naufragées dont certaines sont mortes; fouilles corporelles sur des personnes réfugiées naufragées, à leur arrivée sur une île grecque, obligées par les forces de l’ordre de se déshabiller en même temps et au même endroit, devant au moins 13 personnes; et absence d’enquête effective sur le naufrage de personnes réfugiées ayant entraîné la mort de certaines. En outre, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du traitement dégradant subi par certains requérants lors de leur fouille à nu publique par les garde-côtes sur un terrain de basket-ball en plein air sur l’île de Farmakonisi 
			(7) 
			L’exécution
de l’arrêt est supervisée par le Comité des Ministres, voir <a href='https://hudoc.exec.coe.int/?i=004-61467'>https://hudoc.exec.coe.int/?i=004-61467</a>..
8. Le 12 février 2025, la Grande Chambre de la Cour a tenu des audiences dans les affaires COCG et autres c. Lituanie, HMM et autres c. Lettonie et RA et autres c. Pologne. Ces trois affaires concernent des allégations selon lesquelles chacun de ces trois États aurait procédé au renvoi sommaire de demandeurs d’asile à la frontière avec le Bélarus. En plus des 11 États membres ayant pris part à la procédure en tant que tiers intervenants pour les États défendeurs, représentés par la Finlande le jour de l’audience, et d’un nombre tout aussi conséquent d’ONG, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Michael O’Flaherty, est également intervenu en qualité de tierce partie 
			(8) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-o-flaherty-intervenes-in-three-hearings-concerning-summary-returns-of-asylum-seekers-from-lithuania-latvia-and-poland-to-belarus'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-o-flaherty-intervenes-in-three-hearings-concerning-summary-returns-of-asylum-seekers-from-lithuania-latvia-and-poland-to-belarus</a>. Les citations qui suivent proviennent plus précisément
de <a href='http://www.coe.int/en/web/commissioner/-/oral-intervention-before-the-grand-chamber-in-the-case-of-r.a.-and-others-v.-poland'>www.coe.int/en/web/commissioner/-/oral-intervention-before-the-grand-chamber-in-the-case-of-r.a.-and-others-v.-poland</a>..
9. Tout en reconnaissant les défis auxquels sont confrontés les États membres face aux arrivées irrégulières à leurs frontières et aux préoccupations d’ordre sécuritaire, le Commissaire aux droits de l’homme a souligné, dans ses observations orales, que de telles situations géopolitiques ne sauraient constituer une justification légitime à la violation des droits protégés de manière absolue par la Convention. Il a ajouté que s’agissant du principe de non-refoulement, la Cour a précisé qu’il ne pouvait faire l’objet d’aucune limitation, que ce soit au regard des difficultés rencontrées par les États en matière de gestion des migrations, pour des raisons de sécurité nationale, ou pour tout autre motif. Il a rappelé la jurisprudence constante de la Cour établissant que le comportement de la personne, y compris lorsqu’elle franchit une frontière de manière irrégulière, ne diminue en rien les obligations qui incombent à l’État. Avec cette jurisprudence bien établie, la Cour démontre ainsi que la protection des frontières n’est pas incompatible avec celle des droits humains.
10. Au niveau des Nations Unies, d’autres instruments internationaux confortent ces engagements et obligations en mer. Les navires sont tenus, en vertu du droit international, de prêter assistance aux personnes en détresse en mer. La Convention sur le droit de la mer dispose que tout navire doit «se porte[r] aussi vite que possible au secours des personnes en détresse» (article 98). La Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes ainsi que la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer renforcent également les engagements des États s’agissant d’assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer. C’est également ce que rappellent les recommandations du Secrétaire général des Nations Unies sur les personnes migrantes disparues et celles en détresse contenues dans son dernier rapport sur la mise en œuvre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières 
			(9) 
			www.ohchr.org/fr/migration/global-compact-safe-orderly-and-regular-migration-gcm.. De plus, le principe de non-refoulement, principe de droit international coutumier reconnu notamment par la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et par la jurisprudence de la Cour au titre de l’article 3, interdit le renvoi de personnes vers des pays où elles pourraient être exposées à un risque.
11. Depuis sa création, l’Organisation maritime internationale (OMI) élabore des règles relatives à la sauvegarde de la vie humaine en mer. Elle a lancé un appel «pour qu’une plus grande attention soit portée sur le problème des mouvements migratoires mixtes dangereux effectués par mer et pour y remédier au moyen de voies de migration plus sûres et régulières. Il s’agit en effet de réduire les pertes humaines dues aux nombreuses traversées effectuées à bord de navires surchargés et inaptes à la navigation» 
			(10) 
			<a href='www.imo.org\fr\OurWork\Facilitation\Pages\UnsafeMixedMigration-Default.aspx'>www.imo.org/fr/OurWork/Facilitation/Pages/UnsafeMixedMigration-Default.aspx</a>.. Par ailleurs, elle a exhorté «la communauté internationale à une action concertée pour faire face aux mouvements migratoires mixtes dangereux effectués par mer, qu’ils concernent la mer Méditerranée ou d’autres régions du monde (...) [L’]Assemblée de l’OMI a adopté la Résolution A.920(22) sur l’Examen des mesures de sécurité et des procédures relatives au traitement des personnes secourues en mer, laquelle recommande de réviser les mesures et les procédures relatives au traitement des personnes secourues en mer, en garantissant que la vie des personnes se trouvant à bord des navires sera sauvegardée et que les communautés côtières traiteront ces personnes de manière satisfaisante». L’OMI a par ailleurs publié une circulaire intitulée «Mesures intérimaires visant à lutter contre les pratiques dangereuses liées au trafic ou au transport de migrants par mer». Elle a également adopté, en novembre 2022, lors de la 106e session du Comité de la sécurité maritime, une résolution concernant la coopération recommandée pour assurer la sauvegarde de la vie humaine en mer, le sauvetage des personnes en détresse en mer et le débarquement en lieu sûr des survivants. Elle souligne l’importance d’une participation efficace et opportune des gouvernements dans les cas où des personnes migrantes sont secourues en mer par des navires marchands, insiste sur la nécessité de coopérer dans toutes les phases de recherche et de sauvetage et de réduire au minimum la durée pendant laquelle les survivants restent à bord du navire qui leur porte assistance et, surtout, note que, selon le droit international, une opération de recherche et de sauvetage n’est pas terminée tant que les survivants n’ont pas été débarqués et conduits dans un lieu sûr 
			(11) 
			Voir également <a href='http://www.iom.int/news/iom-joins-call-save-lives-sea'>www.iom.int/news/iom-joins-call-save-lives-sea</a>.. Le comité de la sécurité maritime de l’OMI a également publié des lignes directrices sur le traitement des personnes sauvées en mer (MSC.167(78)), qui définissent le lieu de sécurité comme «un endroit où la vie des survivants n’est plus menacée et où l’on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux (tels que des vivres, un abri et des soins médicaux)».
12. Au niveau de l’Union européenne, la Recommandation (UE) 2020/1365 de la Commission européenne 
			(12) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020H1365'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020H1365</a>. encourage l’amélioration du partage d’informations et de la coordination dans les opérations de recherche et de sauvetage de l’Union européenne. Elle porte spécifiquement sur la coopération entre les États membres de l’Union européenne et les parties prenantes concernées, en mettant l’accent sur les bateaux de sauvetage détenus par des entités privées. Dans le prolongement de cette recommandation, la Commission européenne a créé, en 2021, le Groupe de contact européen sur la recherche et le sauvetage 
			(13) 
			<a href='https://home-affairs.ec.europa.eu/policies/migration-and-asylum/migration-management/search-and-rescue_en'>https://home-affairs.ec.europa.eu/policies/migration-and-asylum/migration-management/search-and-rescue_en</a>.. Cette plateforme est destinée à mettre en œuvre, au sein des États membres de l’Union européenne et des États associés à l’espace Schengen, le cadre juridique existant et les pratiques de recherche et de sauvetage en constante évolution. Par ailleurs, la Commission coordonne la relocalisation des personnes secourues dans l’Union européenne et encourage la solidarité et la coopération entre les États membres 
			(14) 
			Références supplémentaires:
Règlement (UE) 656/2014, qui fournit, entre autres, un ensemble
important d’indicateurs pour la définition de la détresse. Voir
également le Pacte sur les migrations et l’asile, qui a introduit
des règles spécifiques en matière de solidarité après le débarquement
de personnes secourues en mer..
13. En ce qui concerne la notion de pays tiers sûr, il y a lieu de se référer à la Recommandation n°R(97)22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres énonçant des lignes directrices sur l’application de la notion de pays tiers sûr, qui définit les conditions préalables qui doivent être remplies pour qu’un pays puisse être considéré comme une destination sûre dans le contexte des questions d’asile 
			(15) 
			<a href='https://rm.coe.int/native/09000016804fea9e'>https://rm.coe.int/native/09000016804fea9e</a>. Voir également le rapport explicatif de la recommandation, <a href='https://search.coe.int/cm/fre?i=09000016804ec447'>https://search.coe.int/cm/fre?i=09000016804ec447</a>.. S’appuyant sur la Recommandation 2238 (2022) de l’Assemblée «Pays tiers sûrs pour les demandeurs d’asile», le Comité des Ministres étudie actuellement la nécessité et la faisabilité d’une mise à jour de la Recommandation n° R (97) 22 (voir réponse à recommandation, Doc. 15874). En outre, dans l’arrêt de principe rendu dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie [GC], la Cour européenne des droits de l’homme énonce les principes généraux de la protection contre le refoulement et de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants des personnes demandeuses d’asile avant l’application de la notion de pays tiers sûr. Il convient de procéder à un examen approfondi visant à s’assurer que la personne concernée ne risque pas de se voir refuser l’accès à la procédure d’asile dans le pays tiers et qu’elle ne risque pas d’être expulsée ou refoulée dans le pays tiers, même si celui-ci est un État membre de l’Union européenne ou un État partie à la Convention. Selon la Cour, dès lors qu’il est établi que les garanties contre le refoulement sont insuffisantes, la personne demandeuse d’asile ne doit pas être expulsée vers le pays tiers concerné 
			(16) 
			Requête n° 47287/15,
arrêt du 21 novembre 2019 [GC], <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=002-12662'>https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=002-12662</a>..
14. Ainsi, il existe déjà des règles internationales strictes visant à assurer la sauvegarde de la vie humaine dans les eaux européennes. Alors que les eaux territoriales ne s’étendent que jusqu’à 12 milles nautiques, l’ensemble des obligations susmentionnées s’étend également aux eaux internationales, qui sont les plus vastes et où se produisent la plupart des naufrages. Cependant, leur mise en œuvre dans la pratique, qui dépend principalement de la volonté des États membres et des mesures qu’ils prennent, peut encore être améliorée.

3. Crise humanitaire persistante en mer et personnes abandonnées à leur sort dans les eaux européennes

15. Des personnes migrantes risquent leur vie dans les eaux européennes pour échapper à des persécutions, à un conflit, à la violence, à des violations des droits humains ou à des situations qui compromettent considérablement la survie et l’ordre public, notamment le changement climatique. Les tragédies en mer s’enchaînent et les naufrages et tentatives avortées de traversées dans les eaux européennes sont légion. Le présent rapport évitera de dresser un funèbre bilan; diverses ressources telles que le projet de l’OIM intitulé «Migrants disparus» documentent en détail ces nombreux cas 
			(17) 
			<a href='https://missingmigrants.iom.int/fr'>https://missingmigrants.iom.int/fr</a>..
16. Plusieurs événements ont toutefois marqué un tournant dans la série récente de décès de personnes migrantes survenus dans les eaux européennes, dont le naufrage du navire Adriana, le 14 juin 2023 en Grèce, est un exemple symptomatique. Plus de 600 adultes et enfants ont trouvé la mort. Les victimes, à l’instar de toutes les personnes qui périssent en mer pendant leur périple migratoire, avaient quitté leur foyer pour fuir des conditions extrêmement difficiles, à la recherche de sécurité et d’une vie décente. Chacune d’entre elles avait un nom, une famille et une dignité, qui ont été engloutis dans ces eaux.
17. «Les pays européens ne protègent pas les réfugiés et les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée. Ce recul dans la protection des vies et des droits des réfugiés et des migrants s’aggrave et cause chaque année des milliers de morts qui pourraient être évitées», a déclaré en mars 2021 l’ancienne Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (2018-2024), Mme Dunja Mijatović 
			(18) 
			«Un
appel de détresse pour les droits de l’homme. Des migrants de moins
en moins protégés en Méditerranée», rapport de mars 2021, <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/thematic-work/migration'>www.coe.int/fr/web/commissioner/thematic-work/migration</a>. Il s’agit d’un rapport faisant suite à la Recommandation
de 2019 «Sauver des vies. Protéger les droits», disponible sur la
même page.. Cette déclaration est l’un des nombreux appels lancés par les institutions internationales et non gouvernementales qui sont témoins du passage régulier de personnes migrantes dans les eaux européennes.

3.1. Les routes migratoires maritimes périlleuses vers l’Europe

18. Un grand nombre de personnes migrantes rejoignent l’Europe par la mer 
			(19) 
			<a href='https://dtm.iom.int/fr/europe/arrivals'>https://dtm.iom.int/fr/europe/arrivals</a>.. Ces routes migratoires maritimes sont dangereuses et conduisent à des taux de mortalité élevés. Plusieurs facteurs contribuent à cela, notamment les longues distances parcourues depuis le pays d’origine, les eaux agitées, les embarcations de fortune surchargées, les risques d’interception ou de noyade et les intempéries. Les eaux européennes sont devenues un cimetière pour des milliers de personnes migrantes qui perdent la vie chaque année au cours de ces périlleux voyages. Cette situation ne doit en aucun cas être tolérée.
19. La route de la Méditerranée centrale est empruntée par des personnes migrantes en provenance d’Afrique du Nord, en particulier de Libye et de Tunisie, dans le but de rejoindre l’Italie et Malte, bien que les arrivées à Malte soient pratiquement inexistantes depuis plusieurs années. Les personnes migrantes sont principalement originaires d’Afrique subsaharienne, du Nigeria, du Soudan, d’Érythrée et de Gambie, mais aussi d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud, du Bangladesh et du Pakistan. Selon les données préliminaires publiées par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) 
			(20) 
			<a href='http://www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/irregular-border-crossings-into-eu-drop-sharply-in-2024-oqpweX'>www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/irregular-border-crossings-into-eu-drop-sharply-in-2024-oqpweX</a>., le nombre de traversées recensées sur la route de la Méditerranée centrale a chuté de 59 % en 2024 par rapport à 2023, en raison de la diminution des départs depuis la Tunisie et la Libye. Malgré cette baisse et la nécessité d’en comprendre les causes, Frontex a tout de même enregistré 66 766 passages, ce qui en fait le deuxième itinéraire le plus emprunté en 2024 après la route de la Méditerranée orientale (de la Türkiye vers la Grèce).
20. La route de la Méditerranée occidentale est empruntée, quant à elle, par les personnes migrantes qui espèrent atteindre l’Europe par l’Espagne. Venant principalement du Maroc, d’Algérie et d’Afrique de l’Ouest, elles traversent la mer d’Alboran ou le détroit de Gibraltar. En 2023, plus de 280 000 personnes ont quitté l’Afrique du Nord pour rejoindre l’Europe au terme de voyages en mer périlleux à travers la Méditerranée occidentale et centrale, soit 58 % de plus qu’en 2022 
			(21) 
			<a href='https://reporting.unhcr.org/operational/situations/west-and-central-mediterranean-situation'>https://reporting.unhcr.org/operational/situations/west-and-central-mediterranean-situation</a>.. Selon les mêmes données, plus d’un quart des départs ont été interceptés et débarqués en Afrique du Nord, et non en Europe, et plus de 3 300 personnes sont mortes.
21. Les personnes migrantes fuyant la Syrie, l’Afghanistan et d’autres zones de conflit dans cette région choisissent la route de la Méditerranée orientale de la Türkiye vers la Grèce. Ces personnes arrivent en Türkiye et gagnent la Grèce en passant par les îles de la mer Égée, notamment Rhodes, Lesbos, Chios et Samos. Plus de 2 500 personnes migrantes ont perdu la vie entre 2014 et 2024 sur cette route migratoire maritime 
			(22) 
			<a href='http://www.barrons.com/news/greece-says-migrant-arrivals-rising-in-south-east-islands-550d92a2'>www.barrons.com/news/greece-says-migrant-arrivals-rising-in-south-east-islands-550d92a2</a>, 
			(22) 
			<a href='www.infomigrants.net\fr\post\61429\over-2500-migrants-have-died-since-2014-on-turkeygreece-route'>www.infomigrants.net/fr/post/61429/over-2500-migrants-have-died-since-2014-on-turkeygreece-route</a>..
22. La route de l’Afrique occidentale/Atlantique est utilisée par les personnes migrantes qui tentent d’atteindre les îles Canaries en traversant l’Atlantique. Ces personnes sont originaires d’Afrique de l’Ouest, en particulier du Sénégal, de Mauritanie et de Gambie. Cette voie migratoire comprend trois itinéraires distincts, à savoir la route entre Agadir et Dakhla, la route de la Mauritanie et la route par le Sénégal et la Gambie. La route de l’Atlantique vers les îles Canaries a enregistré un nombre record d’arrivées en 2024 et s’est également avérée être l’une des plus dangereuses et des plus meurtrières au monde avec quelque 46 877 arrivées irrégulières recensées en 2024, selon Frontex 
			(23) 
			<a href='https://www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/irregular-border-crossings-into-eu-drop-sharply-in-2024-oqpweX'>https://www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/irregular-border-crossings-into-eu-drop-sharply-in-2024-oqpweX</a>. Voir aussi la Résolution 2595 (2025) «Mettre fin aux expulsions collectives de personnes
étrangères»; 
			(23) 
			<a href='http://www.canarianweekly.com/posts/Canary-Islands-have-record-high-migrant-arrivals-of-41-000-so-far-in-2024'>www.canarianweekly.com/posts/Canary-Islands-have-record-high-migrant-arrivals-of-41-000-so-far-in-2024</a>; 
			(23) 
			<a href='http://www.reuters.com/world/europe/number-migrants-reaching-spains-canary-islands-breaks-all-time-record-2024-12-02/'>www.reuters.com/world/europe/number-migrants-reaching-spains-canary-islands-breaks-all-time-record-2024-12-02/</a>, 
			(23) 
			<a href='https://mixedmigration.org/wp-content/uploads/2024/07/QMMU_Q2_2024_WA.pdf'>https://mixedmigration.org/wp-content/uploads/2024/07/QMMU_Q2_2024_WA.pdf</a>.. Cela représente une hausse de 18 % par rapport à l’année précédente et le chiffre le plus élevé depuis que Frontex a commencé à collecter des données en 2009. L’ONG Ca-Minando Fronteras a fait état d’au moins 10 457 personnes mortes ou disparues en tentant de rejoindre l’Espagne par voie maritime en 2024. Selon son rapport, cela constitue une augmentation de 58 % par rapport à l’année précédente. La route de l’Atlantique y est identifiée comme «la plus meurtrière au monde», responsable de 93 % des pertes humaines enregistrées. Dans un de ses posts sur X, l’ONG a déclaré qu’en moyenne, 30 personnes ont perdu la vie chaque jour [en 2024] parce que la priorité a été donnée aux politiques migratoires au détriment des droits humains 
			(24) 
			<a href='https://caminandofronteras.org/fr/monitoreo/suivi-du-droit-a-la-vie-annee-2024/'>https://caminandofronteras.org/fr/monitoreo/suivi-du-droit-a-la-vie-annee-2024/
,</a> 
			(24) 
			<a href='https://x.com/walkingborders/status/1872186932442063220?mx=2'>https://x.com/walkingborders/status/1872186932442063220?mx=2.</a>.
23. Malgré la courte distance de la route migratoire de la Manche, le voyage est extrêmement dangereux en raison des courants forts, des conditions météorologiques imprévisibles, des voies de navigation très fréquentées et des eaux froides. Ces dernières années, de plus en plus de personnes migrantes ont tenté de traverser la Manche sur de petites embarcations 
			(25) 
			<a href='https://migrationobservatory.ox.ac.uk/resources/briefings/people-crossing-the-english-channel-in-small-boats'>https://migrationobservatory.ox.ac.uk/resources/briefings/people-crossing-the-english-channel-in-small-boats</a>. 
			(25) 
			Voir également <a href='https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/migrants-plus-de-traversees-qu-en-2023-un-nombre-record-de-morts-la-repression-sur-les-cotes-pose-question-3053359.html'>https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/migrants-plus-de-traversees-qu-en-2023-un-nombre-record-de-morts-la-repression-sur-les-cotes-pose-question-3053359.html</a>.. Le Royaume-Uni et la France ont multiplié les patrouilles, mais les tentatives de traversée se poursuivent. Entre 2023 et 2024, l’arrivée de 31 079 personnes migrantes à bord de petites embarcations a été recensée 
			(26) 
			Statistiques officielles,
«Irregular migration to the UK, year ending March 2024», (Home Office,
2024), 3.1, <a href='https://www.gov.uk/government/statistics/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-march-2024/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-march-2024'>www.gov.uk/government/statistics/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-march-2024/irregular-migration-to-the-uk-year-ending-march-2024</a>.. La plupart étaient Afghans (19 %), Iraniens (12 %) et Turcs (11 %). En 2024, 6 310 personnes migrantes ont été secourues en mer dans le Pas-de-Calais (France), soit une hausse de 30 % par rapport à l’année précédente, selon le bilan opérationnel de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord. La même année, 45 203 personnes migrantes ont été impliquées dans une opération d’assistance ou de recherche et de sauvetage menée dans la Manche (+26 %) 
			(27) 
			<a href='http://www.premar-manche.gouv.fr/communiques-presse/bilan-operationnel-2024-de-la-prefecture-maritime-de-la-manche-et-de-la-mer-du-nord'>www.premar-manche.gouv.fr/communiques-presse/bilan-operationnel-2024-de-la-prefecture-maritime-de-la-manche-et-de-la-mer-du-nord</a>..

3.2. La fin des opérations de recherche et de sauvetage à grande échelle dans les eaux européennes

24. La Méditerranée reflète bien l’évolution des politiques de recherche et de sauvetage dans les eaux européennes. Le 3 octobre 2013, 368 personnes perdaient la vie lors d’un naufrage survenu près des côtes de Lampedusa. Un second naufrage a eu lieu le 11 octobre 2013, dans lequel 268 personnes ont trouvé la mort. Ces tragédies ont marqué un tournant dans les politiques européennes de recherche et de sauvetage.
25. Peu après ces drames, le 18 octobre 2013, l’Italie déclenchait, avec le soutien de l’Union européenne, l’opération de sauvetage Mare Nostrum. Dirigée par l’État, cette opération a mobilisé la marine et les garde-côtes pour faire face à la crise humanitaire dans le détroit de Sicile. Elle a pris fin le 31 octobre 2014 et a été remplacée par l’Opération Triton 
			(28) 
			<a href='http://www.marina.difesa.it/en/operations/pagine/marenostrum.aspx'>www.marina.difesa.it/en/operations/pagine/marenostrum.aspx
,</a> 
			(28) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/de/memo_14_609'>https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/de/memo_14_609</a>., une initiative beaucoup plus limitée lancée par le Conseil de l’Union européenne, avec des navires moins nombreux et plus petits, une zone opérationnelle beaucoup plus restreinte et un mandat axé sur le contrôle des frontières. Cette opération s’est poursuivie jusqu’en 2018.
26. Dans les mois qui ont suivi, plusieurs naufrages se sont produits, culminant avec deux tragédies, les 12 et 18 avril 2015, causant la mort d’environ 1 400 personnes 
			(29) 
			<a href='http://www.bbc.com/news/world-europe-36278529'>www.bbc.com/news/world-europe-36278529</a>, 
			(29) 
			<a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/20055/migrant-deaths-19000-in-mediterranean-in-past-6-years'>www.infomigrants.net/fr/post/20055/migrant-deaths-19000-in-mediterranean-in-past-6-years</a>.. En réponse à cela, l’Union européenne a déclenché, le 18 mai 2015, la Force navale de l’Union européenne en Méditerranée (opération EUNAVFOR Med, plus tard rebaptisée Opération Sophia). Cette opération militaire de l’Union européenne a été mise en place en vue de neutraliser les routes de trafic illicite de personnes migrantes en Méditerranée. Les missions Triton et Sophia procédèrent au sauvetage de plus de 100 000 personnes migrantes entre 2015 et 2016.
27. Parallèlement aux terribles naufrages de 2013 et 2015, d’innombrables drames de moindre ampleur se produisent, beaucoup de petites embarcations sombrant dans les eaux européennes, sans susciter de réaction particulière.
28. L’Union européenne et les États membres, en changeant la nature de leurs opérations, se sont largement éloignés de leur objectif initial de sauvetage, privilégiant les patrouilles côtières et la formation des garde-côtes libyens. En 2016, en l’absence de missions de recherche et de sauvetage à grande échelle, mais aussi en raison du nombre élevé de personnes qui traversent, le nombre de décès a augmenté. En 2017-2018, le nombre de morts a diminué, corrélativement à la diminution du nombre de tentatives de traversée, grâce à la coopération avec la Libye, qui a toutefois eu d’autres conséquences très négatives. Face à cette situation, de nombreuses ONG se sont engagées dans des opérations de recherche et de sauvetage. Afin d’assurer la surveillance des eaux européennes, ces ONG ont investi dans des navires et la formation de leurs exploitants, puis dans des avions et des drones. Beaucoup opèrent dans les eaux méditerranéennes, d’autres dans l’Atlantique ou la Manche.
29. L’absence de stratégie européenne unifiée en matière de recherche et de sauvetage constitue le point faible des acteurs publics et privés intervenant dans ce domaine. Dans ce contexte, les États membres côtiers tels que l’Italie, la Grèce, Malte ou l’Espagne sont contraints de gérer seuls la plupart des opérations de recherche et de sauvetage, avec l’aide, dans une certaine mesure, des ONG compétentes.
30. À l’occasion d’une visite d’information effectuée en Sicile du 16 au 18 septembre 2024, j’ai été témoin avec d’autres membres de l’Assemblée faisant partie de la délégation, au débarquement, au port de Lampedusa, le 16 septembre 2024, d’environ 70 personnes migrantes en provenance de la Libye qui venaient d’être secourues par les garde-côtes de cette île. Quatre des personnes migrantes présentes sur le bateau avaient succombé à l’inhalation de fumées toxiques dégagées par le moteur de leur bateau. Nous avons été frappés aussi bien par les personnes migrantes secourues en état de choc que par la gestion efficace du processus de débarquement.
31. Je souhaite saluer le courage de toutes les personnes qui œuvrent pour sauver la vie des personnes migrantes dans les eaux européennes, notamment les divers corps européens de garde-côtes, les ONG et les bénévoles. Tous ces gens risquent leur vie pour en sauver d’autres.

3.3. La criminalisation des ONG de recherche et de sauvetage et les obstacles qui leur sont posés

32. Il ne fait aucun doute que les autorités des garde-côtes des États membres jouent un rôle important dans le sauvetage de personnes migrantes en mer. Les actions de recherche et de sauvetage orchestrées par les États sont en outre complétées par celles de nombreux bénévoles et ONG. Or, pour mener à bien ces opérations difficiles, les ONG et les bénévoles doivent pouvoir intervenir sans entrave dans toutes les eaux européennes, à condition de se conformer au droit maritime international et au droit international humanitaire. Comme le rappelle l’organisation humanitaire SOS Méditerranée, l’ensemble des opérations sont menées dans le strict respect de ces obligations internationales, en liaison avec les autorités compétentes 
			(30) 
			<a href='http://www.sosmediterranee.org/legal-framework'>www.sosmediterranee.org/legal-framework</a>., et toutes les ONG de recherche et de sauvetage partagent cette approche.
33. Pourtant, plutôt que de coopérer avec ces organisations, certains États membres ont mis en place des mesures juridiques et administratives de plus en plus strictes en vue de perturber leurs activités de recherche et de sauvetage. De nombreux navires humanitaires se heurtent ainsi à des restrictions d’ordre juridique, sont immobilisés ou écopent d’amendes, ce qui réduit leur capacité d’action. Des ONG de recherche et de sauvetage se voient confisquer leurs navires pour des raisons telles qu’un enregistrement incorrect ou des violations de la réglementation portuaire 
			(31) 
			Voir par exemple <a href='https://www.msf.fr/communiques-presse/msf-met-fin-aux-operations-du-navire-geo-barents-mais-s-engage-a-retourner-en-mediterranee-centrale'>www.msf.fr/communiques-presse/msf-met-fin-aux-operations-du-navire-geo-barents-mais-s-engage-a-retourner-en-mediterranee-centrale</a>.. Certains pays exigent également de ces organisations qu’elles obtiennent des autorisations spéciales ou qu’elles coordonnent leurs activités avec les services de l’État, ce qui retarde d’autant leur capacité à répondre aux appels de détresse. Des lois et pratiques récemment adoptées par l’Italie imposent des règles strictes aux navires de sauvetage des ONG, les obligeant à accoster dans des ports éloignés au lieu du port sûr le plus proche. De plus, les ONG ont interdiction de répondre à d’autres appels de détresse alors qu’elles font route vers un port assigné, quelles que soient leur possibilité d’intervention et leur position par rapport à l’embarcation en péril. Ces mesures rallongent la durée du trajet et retardent le retour des navires dans les zones de sauvetage, augmentant le risque de noyade des personnes avant qu’elles ne reçoivent de l’aide, sans compter qu’elles augmentent les coûts engendrés 
			(32) 
			Voir les recommandations
contenues dans «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/europe-must-end-repression-of-human-rights-defenders-assisting-refugees-asylum-seekers-and-migrants'>L’Europe
doit mettre fin à la répression des défenseurs des droits humains
qui aident les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants</a>» – Commissaire aux droits de l’homme. Voir aussi <a href='https://sos-humanity.org/en/press/joint-statement-by-search-and-rescue-organisations/'>https://sos-humanity.org/en/press/joint-statement-by-search-and-rescue-organisations/</a>, et <a href='http://www.gazzettaufficiale.it/eli/id/2024/10/11/24G00171/sg'>www.gazzettaufficiale.it/eli/id/2024/10/11/24G00171/sg</a>. Selon ce décret-loi, le gouvernement impose aux pilotes
et aux opérateurs de drones participant à des opérations de sauvetage
en mer l’obligation de signaler immédiatement les situations d’urgences
aux autorités, sous peine d’amendes pouvant atteindre 10 000 euros
et d’une immobilisation de l’appareil..
34. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fait des observations similaires. Elle indique que plusieurs navires de sauvetage déployés par des organisations de la société civile n’ont pas été en mesure d’effectuer des opérations de recherche et de sauvetage à la suite d’inspections, d’enquêtes ou de leur immobilisation par les autorités portuaires. Il est également arrivé que des membres d’équipage ou des acteurs de la société civile fassent l’objet de poursuites pénales liées à leurs activités. Ces procédures pénales, ainsi que les mesures administratives prises à l’encontre des navires déployés (comme leur immobilisation dans les ports en raison de prétendues irrégularités techniques touchant à la sécurité maritime ou leur saisie temporaire pour infraction à la législation nationale) ont un effet dissuasif et effrayent les acteurs de la société civile. L’agence a ajouté que depuis 2017, l’Allemagne, l’Italie, Malte, les Pays-Bas et l’Espagne ont ouvert 81 procédures administratives ou pénales à l’encontre d’opérations de recherche et de sauvetage menées par des acteurs de la société civile. La plupart visaient des navires de sauvetage; seule une sur cinq consistait en des procédures pénales contre le personnel d’ONG gestionnaires de tels navires ou contre leur équipage 
			(33) 
			Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne, «<a href='https://fra.europa.eu/fr/publication/2024/june-2024-update-ngo-ships-sar-activities'>Search
and rescue operations and fundamental rights – June 2024 update</a>», page 8..
35. Le 17 octobre 2024, une représentante de l’ONG Sea-Eye a témoigné devant la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, déclarant qu’à la suite de son opération de sauvetage menée en mars 2024, Sea-Eye fut la première organisation à subir l’immobilisation d’un de ses navires pendant 60 jours, stoppant ainsi ses activités en Méditerranée. Cette détention administrative a suscité des préoccupations quant à sa constitutionnalité, au regard des principes de proportionnalité et de caractère raisonnable.
36. Alors que les politiques nationales de protection des frontières maritimes et terrestres sont parfaitement légitimes, les obstacles administratifs et les actions en justice visant les opérations de recherche et de sauvetage menées par des acteurs privés peuvent constituer un frein, en détournant les ONG de leur objectif et en leur faisant perdre du temps et des ressources.

3.4. Les réseaux criminels de passeurs de personnes migrantes face aux voies légales

37. L’existence de passeurs de personnes migrantes tient principalement à l’absence de voies de migration légales et sûres. La protection et la complicité des autorités locales en sont une autre cause. De toute évidence, la plupart des personnes concernées préféreraient avoir recours à des moyens sûrs et réguliers pour migrer plutôt que d’emprunter des itinéraires dangereux 
			(34) 
			<a href='http://www.ohchr.org/en/press-releases/2014/12/open-safe-and-regular-migration-channels-crucial-stop-human-rights'>www.ohchr.org/en/press-releases/2014/12/open-safe-and-regular-migration-channels-crucial-stop-human-rights</a>.. Au fil des ans, la sécurité aux frontières européennes s’est renforcée et les voies légales d’entrée en Europe restent limitées. La nécessité d’ouvrir des voies accessibles de migration régulière en tant que mesure politique efficace est inscrite dans le Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, que seuls 28 États membres du Conseil de l’Europe ont jusqu’à présent approuvé. La Commission européenne a également engagé une initiative visant à élargir les filières de migration de travail, dans le cadre de son approche globale de la gestion des migrations et de son objectif de réduction de la migration irrégulière 
			(35) 
			<a href='https://home-affairs.ec.europa.eu/news/new-interactive-tool-maps-legal-pathways-eu-foreign-job-seekers-2025-01-29_en'>https://home-affairs.ec.europa.eu/news/new-interactive-tool-maps-legal-pathways-eu-foreign-job-seekers-2025-01-29_en</a>.. Les restrictions en matière de visas et la longueur des procédures d’asile peuvent être considérées comme des facteurs incitant les personnes migrantes à se tourner vers des canaux irréguliers d’entrée, les laissant à la merci des passeurs.
38. Ces différents facteurs créent d’importantes opportunités pour les réseaux criminels, qui exploitent ces restrictions en proposant des itinéraires clandestins. Face à la forte demande, les passeurs forment désormais des organisations criminelles bien structurées 
			(36) 
			Voir par exemple la
publication d’Europol, «<a href='https://www.europol.europa.eu/publications-events/publications/criminal-networks-in-migrant-smuggling'>Criminal
networks in migrant smuggling</a>», 2023<a href='http://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/Europol Spotlight Report - Criminal networks in migrant smuggling.pdf'></a>.. Ils disposent d’entreprises et de réseaux transnationaux couvrant plusieurs pays, ayant notamment des liens avec les pays d’origine des personnes migrantes, afin de faciliter les procédures d’extorsion. Ils ont également mis en place des systèmes lucratifs et ont peu de risques d’être appréhendés, comme l’a souligné par exemple le Conseil de l’Union européenne 
			(37) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/migrant-smuggling-human-trafficking/'>www.consilium.europa.eu/fr/policies/migrant-smuggling-human-trafficking/</a>.. Pour favoriser ces voyages, les réseaux criminels proposent aux personnes migrantes des services supplémentaires, comme l’hébergement dans des «planques» et des hôtels, la fourniture de documents falsifiés, parfois avec la complicité de fonctionnaires corrompus, et l’accès, par l’intermédiaire de ces mêmes fonctionnaires, à des pays de transit où l’application de la loi est défaillante, comme la Libye.
39. En se préoccupant davantage des profits qu’ils peuvent tirer de ces opérations que des vies humaines, les passeurs jouent un rôle majeur dans les expéditions mortelles dans les eaux européennes. Pour échapper aux patrouilles, ils empruntent des itinéraires dangereux. En outre, pour engranger un maximum de bénéfices, ils utilisent des embarcations impropres à la navigation, généralement bondées, équipées de dispositifs de flottaison limités en cas de chavirement, et ne disposant pas de gilets de sauvetage ou de carburant en quantité suffisante. Par ailleurs, ils obligent souvent les personnes migrantes à monter à bord des bateaux sous la menace d’une arme, ne leur laissant d’autre choix que d’embarquer 
			(38) 
			<a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/60409/smugglers-put-a-gun-to-our-heads-and-forced-us-onto-the-boat--syrian-women-recount-horrors-of-libya-and-deadly-mediterranean-crossing-part-2'>www.infomigrants.net/fr/post/60409/smugglers-put-a-gun-to-our-heads-and-forced-us-onto-the-boat--syrian-women-recount-horrors-of-libya-and-deadly-mediterranean-crossing-part-2</a>.. Ils leur promettent une traversée en toute sécurité avant de les abandonner en pleine mer 
			(39) 
			<a href='http://www.infomigrants.net/fr/post/45032/fact-check-three-myths-that-migrant-smugglers-tell'>www.infomigrants.net/fr/post/45032/fact-check-three-myths-that-migrant-smugglers-tell</a>.. Malgré ces conditions effroyables, les passeurs sont fréquemment le seul moyen pour les personnes migrantes d’atteindre leur destination.

3.5. La menace persistante et la violation du droit international

40. Les gouvernements avancent souvent l’argument selon lequel les ONG de recherche et de sauvetage sont une incitation à la migration, car elles encouragent les personnes migrantes à entreprendre des traversées maritimes risquées; elles agiraient comme un «facteur d’attraction», contribuant à l’augmentation du nombre de personnes migrantes et confortant les passeurs dans leur rôle. Cependant, les recherches contredisent l’affirmation selon laquelle les opérations de recherche et de sauvetage favoriseraient les migrations. En revanche, des études montrent que les conflits, la violence et la persécution sont les principaux facteurs incitatifs 
			(40) 
			Voir par exemple «Search-and-rescue
in the Central Mediterranean Route does not induce migration: Predictive modeling
to answer causal queries in migration research», Alejandra Rodríguez
Sánchez, Julian Wucherpfennig, Ramona Rischke et Stefano Maria Iacus,
3 août 2023, <a href='http://www.nature.com/articles/s41598-023-38119-4'>www.nature.com/articles/s41598-023-38119-4</a>. Voir aussi <a href='www.ispionline.it/it/pubblicazione/migrazioni-nel-mediterraneo-tutti-i-numeri-24892&sa=D&source=docs&ust=1741792249863897&usg=AOvVaw0wlvK8bT7PYdsNehI5tLNT'>www.ispionline.it/it/pubblicazione/migrazioni-nel-mediterraneo-tutti-i-numeri-24892</a>.. L’actuel directeur de Frontex, Hans Leijtens, a reconnu ce fait, affirmant que les missions de sauvetage menées par les ONG en Méditerranée ne constituent pas un facteur d’attraction pour les personnes migrantes. «Vous ne m’avez jamais entendu dire qu’ils étaient un facteur d’attraction. Je n’ai jamais dit cela, et mon opinion est qu’ils ne le sont pas», a-t-il déclaré 
			(41) 
			<a href='https://fr.euronews.com/my-europe/2024/09/04/changement-de-position-de-frontex-sur-les-ong-en-mediterranee'>https://fr.euronews.com/my-europe/2024/09/04/changement-de-position-de-frontex-sur-les-ong-en-mediterranee</a>.. Entendu par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 24 juin 2024, M. Leijtens a rappelé aux parlementaires que droits humains et gestion efficace des frontières ne sont pas antinomiques. Il a précisé que depuis sa nomination, il n’a été fait état d’aucun cas de refoulement potentiel. Il a ajouté que l’officier aux droits fondamentaux de Frontex a pour mandat de donner un avis indépendant en ce qui concerne les allégations d’actes répréhensibles.
41. Malgré certaines évolutions positives constatées sous la direction actuelle de Frontex, différents acteurs de la recherche et du sauvetage ont également critiqué le rôle joué par l’agence, lui reprochant notamment de ne pas assez souvent relayer les appels de détresse ou informer les navires de sauvetage des ONG. Ils ont même allégué que Frontex avait communiqué la position de bateaux aux garde-côtes libyens, facilitant ainsi le renvoi de personnes migrantes en Libye, dans des conditions dangereuses. Le naufrage de l’Adriana illustre bien les défaillances de ce système 
			(42) 
			The Guardian, 28 février 2024, Emily
O’Reilly, «<a href='www.theguardian.com/commentisfree/2024/feb/28/600-people-drowning-eu-deters-migrants-adriana-tragedy'>Six
hundred drowning but no mayday call. Is this how Europe deters migrants?</a>».. Frontex avait repéré le navire en détresse dans la zone de recherche et de sauvetage grecque. Cependant, l’agence n’a pas fait usage de son pouvoir autonome d’émettre un message de détresse. Au moment où l’autorisation de mener une opération de sauvetage a été accordée, le navire avait déjà sombré à moitié, entraînant la mort de 600 personnes migrantes.
42. Lighthouse Reports, organisation reconnue de journalisme d’investigation, a dénoncé les activités illicites de Frontex en Méditerranée centrale. Son directeur, Klaas van Dijken, a témoigné devant la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 9 décembre 2024, exposant de façon détaillée le rôle direct joué par Frontex dans les interceptions réalisées par la garde côtière libyenne. Selon une autre enquête de Lighthouse Reports, Frontex a transmis plus de 2 000 fois en trois ans la position d’embarcations de personnes migrantes aux garde-côtes libyens, alors même que l’agence était témoin des actes de violence (coups de matraque, passages à tabac et tirs) commis par ces derniers à l’encontre des passagers 
			(43) 
			<a href='http://www.lighthousereports.com/investigation/frontex-in-the-central-mediterranean'>www.lighthousereports.com/investigation/frontex-in-the-central-mediterranean</a>, 
			(43) 
			<a href='http://www.lighthousereports.com/investigation/2200-frontex-emails-to-libya'>www.lighthousereports.com/investigation/2200-frontex-emails-to-libya</a>.. Toujours d’après Lighthouse Reports, Frontex a notamment communiqué les coordonnées de bateaux de personnes migrantes à la milice libyenne Tareq Bin Zeyad, connue pour ses liens avec les mercenaires Wagner et Al-Qaïda. Dans un rapport interne, Frontex a écrit que Tareq Bin Zeyad faisait partie de la garde côtière libyenne 
			(44) 
			<a href='http://www.lighthousereports.com/investigation/frontex-and-the-pirate-ship'>www.lighthousereports.com/investigation/frontex-and-the-pirate-ship</a>.. Ce qui est clair, c’est que la milice ou les garde-côtes libyens ne sont pas en mesure de repérer par eux-mêmes les petites embarcations: ils se fient uniquement aux coordonnées fournies par Frontex et les opérateurs aériens nationaux.
43. À la suite du rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) concernant les comportements répréhensibles de plusieurs personnes employées par Frontex dans le cadre de ses activités opérationnelles menées en Grèce en 2020 
			(45) 
			<a href='https://anti-fraud.ec.europa.eu/system/files/2021-12/olaf_report_2020_fr.pdf'>https://anti-fraud.ec.europa.eu/system/files/2021-12/olaf_report_2020_fr.pdf</a>., l’agence a réagi en publiant une déclaration dans laquelle elle précisait que de telles pratiques appartenaient au passé et qu’elle entendait prendre des mesures correctives 
			(46) 
			<a href='http://www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/statement-of-frontex-executive-management-following-publication-of-olaf-report-amARYy'>www.frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/statement-of-frontex-executive-management-following-publication-of-olaf-report-amARYy</a>.. Frontex a publié la décision 43/2022 du conseil d’administration portant adoption des règles visant à ce que le directeur exécutif et le conseil d’administration informent le forum consultatif du suivi de ses recommandations et veillent à ce qu’il soit donné suite aux recommandations de l’officier aux droits fondamentaux 
			(47) 
			<a href='https://prd.frontex.europa.eu/document/management-board-decision-43-2022-adopting-the-rules-for-the-executive-director-and-the-management-board-to-inform-the-consultative-forum-of-the-follow-up-to-its-recommendations-and-to-ensure-that-act/'>https://prd.frontex.europa.eu/document/management-board-decision-43-2022-adopting-the-rules-for-the-executive-director-and-the-management-board-to-inform-the-consultative-forum-of-the-follow-up-to-its-recommendations-and-to-ensure-that-act/</a>.. En réagissant ainsi, Frontex semble déterminée à améliorer ses pratiques et à accroître la transparence de ses activités 
			(48) 
			Voir
également le Médiateur de l’Union européenne qui demande des changements
dans les règles de recherche et de sauvetage de l’Union européenne
et une enquête publique sur les décès en Méditerranée, <a href='http://www.ombudsman.europa.eu/fr/press-release/fr/182676'>www.ombudsman.europa.eu/fr/press-release/fr/182676</a>..
44. S’agissant du comportement de la garde côtière, plusieurs rapports ont fait état de situations où les garde-côtes grecs et maltais auraient obligé des embarcations de personnes migrantes à rebrousser chemin vers des lieux peu sûrs, comme la Libye 
			(49) 
			En ce qui concerne
la Grèce, voir par exemple <a href='www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2024/05/greece-trial-of-pylos-shipwreck-survivors-must-not-be-a-shield-in-the-investigation-of-the-alleged-responsibilities-of-the-greek-authorities/'>le
naufrage au large de Pylos</a>; Voir aussi <a href='https://www.bbc.com/news/articles/c0vv717yvpeo'>www.bbc.com/news/articles/c0vv717yvpeo</a>. Pour Malte, voir par exemple Médecins Sans Frontières,
«<a href='www.msf.org/death-despair-and-destitution-human-costs-eu-migration-policies'>Death,
despair and destitution: the human costs of the EU’s migration policies</a>», page 33.. De même, selon certaines informations, la garde côtière maltaise aurait ignoré à plusieurs reprises des appels de détresse 
			(50) 
			Ainsi, en juin 2024,
lors d’une opération de sauvetage, Malte a ignoré des appels de
détresse, et l’Italie a quant à elle repoussé son intervention au
matin en raison de prétendues mauvaises conditions météorologiques,
entraînant le décès d’une personne pendant la nuit, <a href='http://www.doctorswithoutborders.org/latest/left-drown-distress-calls-unanswered-mediterranean'>www.doctorswithoutborders.org/latest/left-drown-distress-calls-unanswered-mediterranean</a>.. De telles pratiques pourraient conduire à une violation du principe de non-refoulement 
			(51) 
			Voir par exemple le
rapport annuel 2023 concernant la reconnaissance aérienne menée
par Sea Watch, <a href='https://sea-watch.org/wp-content/uploads/2024/06/Airborne-Annual-Report-2023_Sea-Watch.pdf'>https://sea-watch.org/wp-content/uploads/2024/06/Airborne-Annual-Report-2023_Sea-Watch.pdf</a>, en particulier les chapitres sur les principales conclusions
et demandes. Voir également le <a href='https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-cpt-again-calls-on-greece-to-reform-its-immigration-detention-system-and-stop-pushbacks'>rapport</a> du Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil
de l’Europe faisant suite à sa visite ad hoc effectuée en Grèce,
rendu public le 12 juillet 2024, qui fait état d’allégations de
mauvais traitements infligés par les garde-côtes grecs à des personnes
migrantes interceptées à bord de petites embarcations. Voir aussi BBC, 17 juin 2024, «<a href='www.bbc.com/news/articles/c0vv717yvpeo'>Greek
coastguard threw migrants overboard to their deaths, witnesses say</a>»<a href='http://www.bbc.com/news/articles/c0vv717yvpeo'></a>..
45. En accord avec l’Union européenne et des États membres, les garde-côtes libyens interceptent régulièrement des bateaux de personnes migrantes avant qu’ils n’atteignent les eaux européennes 
			(52) 
			<a href='http://www.statewatch.org/analyses/2020/eu-military-mission-aids-pull-backs-to-libya-with-no-avenues-for-legal-accountability'>www.statewatch.org/analyses/2020/eu-military-mission-aids-pull-backs-to-libya-with-no-avenues-for-legal-accountability</a>.. Il a été fait mention de techniques d’interception violentes 
			(53) 
			<a href='http://www.sosmediterranee.org/series-of-erratic-and-aggressive-behaviour-of-the-libyan-coast-guard'>www.sosmediterranee.org/series-of-erratic-and-aggressive-behaviour-of-the-libyan-coast-guard</a>., notamment de tirs sur des bateaux de personnes migrantes 
			(54) 
			<a href='https://sea-watch.org/en/libyan_coast_guard_shots_fired'>https://sea-watch.org/en/libyan_coast_guard_shots_fired</a>., de collaboration avec des passeurs et de renvois forcés de personnes vers la Libye. Le 17 octobre 2024, une représentante de Sea-Eye a déclaré à la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées que les garde-côtes libyens avaient à plusieurs reprises entravé des opérations de sauvetage, mettant en danger les personnes migrantes, notamment en effectuant des tirs de sommation 
			(55) 
			<a href='https://foreignpolicy.com/2023/07/04/migrant-sea-rescue-mediterranean-libyan-coast-guard'>https://foreignpolicy.com/2023/07/04/migrant-sea-rescue-mediterranean-libyan-coast-guard</a>..
46. Dans son dernier rapport de mission relatif à la coopération entre l’Union européenne et la Libye, la Mission indépendante d’établissement des faits sur la Libye du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a évoqué un lien entre les crimes commis contre des personnes migrantes en Libye et le soutien apporté par les États membres et l’Union européenne. La Mission «a des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité sont commis contre les migrants en Libye. Les migrants font l’objet de détentions arbitraires fréquentes et systématiques, auxquelles viennent s’ajouter des meurtres, des disparitions forcées, des actes de torture, d’esclavage et de violence sexuelle, des viols et d’autres actes inhumains. La nature constante, systématique et généralisée de ces pratiques, auxquelles se livrent le Service de lutte contre la migration illégale et d’autres acteurs, montre que ce cycle de violence à l’égard des migrants est alimenté par des fonctionnaires de grade intermédiaire ou de rang supérieur» 
			(56) 
			<a href='http://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/libya/index'>www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/libya/index</a>, <a href='http://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/06/accountability-pivotal-prosecute-those-responsible-war-crimes-and-crimes?sub-site=HRC'>www.ohchr.org/en/press-releases/2022/06/accountability-pivotal-prosecute-those-responsible-war-crimes-and-crimes?sub-site=HRC</a>. Voir le rapport de la Mission, 
			(56) 
			<a href='https://docs.un.org/fr/A/HRC/50/63'>https://docs.un.org/fr/A/HRC/50/63</a>, en particulier la partie G, § 75 et suivants..
47. Parmi de nombreuses autres sources, Lighthouse Reports a recueilli les témoignages de personnes migrantes gravement torturées par les membres de la milice puis vendues comme esclaves, dont celui de Jamal, un Syrien dont le nom a été changé afin de protéger son identité, intercepté en mer le 25 mai 2023. Il a expliqué avoir ensuite été emmené «dans une grande prison» où lui et d’autres ont été battus «à coups de bâton et de barres de fer» et dépouillés de tous leurs biens, y compris de leurs passeports et téléphones portables. «Il n’y avait pas d’eau à disposition dans la prison, nous buvions celle des toilettes. Nous avions droit à du riz, de la soupe ou des pâtes en petites quantités. Nous avons été détenus pendant 20 jours par la brigade Tareq Bin Zeyad», a-t-il déclaré 
			(57) 
			<a href='http://www.lighthousereports.com/investigation/frontex-and-the-pirate-ship'>www.lighthousereports.com/investigation/frontex-and-the-pirate-ship</a>..
48. De même, la Tunisie n’est pas un lieu sûr pour les personnes migrantes. Les États membres, tels que la France, l’Italie, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont apporté un soutien massif à la Tunisie dans le cadre d’accords bilatéraux 
			(58) 
			Voir
par exemple, concernant la France et l’Allemagne: <a href='https://english.elpais.com/international/2023-06-18/france-and-germany-join-forces-against-migration-from-tunisia-in-wake-of-latest-mediterranean-tragedy.html'>https://english.elpais.com/international/2023-06-18/france-and-germany-join-forces-against-migration-from-tunisia-in-wake-of-latest-mediterranean-tragedy.html</a>; concernant l’Italie: <a href='http://www.infomigrants.net/en/post/56538/italys-meloni-talks-migration-in-tunisia'>www.infomigrants.net/en/post/56538/italys-meloni-talks-migration-in-tunisia</a>; et concernant le Royaume-Uni: <a href='http://www.infomigrants.net/en/post/62607/uk-government-strikes-deal-with-tunisia-to-tackle-migration'>www.infomigrants.net/en/post/62607/uk-government-strikes-deal-with-tunisia-to-tackle-migration</a>.. Ces États ont financé, équipé (de bateaux, de véhicules, de matériel informatique, etc.) et formé les forces tunisiennes et la garde côtière nationale à l’interception des personnes migrantes en mer. Mais cette aide a coïncidé avec une aggravation des atteintes aux droits humains, notamment des violences sexuelles, des déportations dans le désert et des violations du principe de non-refoulement 
			(59) 
			<a href='http://www.lighthousereports.com/investigation/desert-dumps'>www.lighthousereports.com/investigation/desert-dumps</a>.. Par ailleurs, depuis la création d’une zone de recherche et de sauvetage tunisienne en juin 2024, les opérations menées par les garde-côtes tunisiens avec l’appui de l’Union européenne se sont multipliées, et font souvent appel à des tactiques violentes et dangereuses 
			(60) 
			Lors d’un incident
survenu en novembre 2024, les garde-côtes ont percuté un bateau,
faisant 53 morts, tandis que les personnes rescapées ont été déportées
dans le désert ou vendues à des Libyens, <a href='http://www.infomigrants.net/fr/post/61341/did-the-tunisian-coast-guard-ram-a-migrant-boat-and-cause-52-people-to-drown'>www.infomigrants.net/fr/post/61341/did-the-tunisian-coast-guard-ram-a-migrant-boat-and-cause-52-people-to-drown</a>..
49. Selon une pratique malheureusement de plus en plus fréquente, l’Union européenne a externalisé les opérations de recherche et de sauvetage à l’autorité tunisienne des garde-côtes (Garde Nationale Maritime) 
			(61) 
			<a href='https://www.infomigrants.net/fr/post/50569/eutunisia-deal-would-disregard-human-rights-say-italian-migrant-ngos'>https://www.infomigrants.net/fr/post/50569/eutunisia-deal-would-disregard-human-rights-say-italian-migrant-ngos</a>.. Dans le cadre de son enquête sur le protocole d’accord entre l’Union européenne et la Tunisie, la médiatrice européenne (2013-2024) Emily O’Reilly a conclu que la Commission européenne n’avait pas fait d’analyse d’impact préalable du protocole sur les droits humains, mais avait effectué un exercice de gestion des risques en matière de droits de l’homme, dont les conclusions n’ont pas été publiées par l’Union européenne 
			(62) 
			<a href='https://www.ombudsman.europa.eu/en/decision/fr/193851'>https://www.ombudsman.europa.eu/en/decision/fr/193851</a>; <a href='http://www.theguardian.com/world/2024/oct/23/eu-refuses-to-publish-findings-of-tunisia-human-rights-inquiry'>www.theguardian.com/world/2024/oct/23/eu-refuses-to-publish-findings-of-tunisia-human-rights-inquiry</a>. Voir également le document de position de SOS Humanity,
«<a href='https://sos-humanity.org/en/press/position-paper-externalisation'>Rescue Refugees
Instead of Outsourcing Protection to Third Countries</a>»<a href='https://sos-humanity.org/en/press/position-paper-externalisation'></a>..
50. Un groupe de recherche international (les chercheurs et chercheuses ont décidé de rester anonymes afin de protéger leur sécurité), Researchers X, a publié un rapport intitulé «State Trafficking: Expulsion et vente de migrants de la Tunisie vers la Libye» 
			(63) 
			<a href='https://statetrafficking.net/StateTrafficking_FR_21012025_light.pdf'>https://statetrafficking.net/StateTrafficking_FR_21012025_light.pdf</a>.. Ce rapport décrit des cas préoccupants de violence étatique systémique, de traite des êtres humains et de violations du droit international, tous facilités par les politiques d’externalisation des frontières. Le rapport rend compte de l’expulsion forcée de personnes migrantes de la Tunisie vers la Libye entre juin 2023 et novembre 2024. Il contient 30 témoignages de personnes concernées et documente l’implication directe de la police et de l’armée tunisiennes dans la vente d’êtres humains à la frontière. Le rapport expose en outre l’interconnexion entre l’infrastructure d’expulsion financée par l’Union européenne et l’industrie de l’enlèvement opérant dans les prisons libyennes 
			(64) 
			Voir aussi <a href='http://www.occrp.org/en/news/trafficked-and-tortured-shocking-report-links-eu-aid-to-migrant-exploitation'>www.occrp.org/en/news/trafficked-and-tortured-shocking-report-links-eu-aid-to-migrant-exploitation</a>; <a href='https://libyareview.com/52604/eu-accused-of-complicity-in-migrant-slave-trade-between-libya-tunisia'>https://libyareview.com/52604/eu-accused-of-complicity-in-migrant-slave-trade-between-libya-tunisia</a>..
51. Les ONG et les groupes de défense des droits humains ont contesté ces pratiques devant les tribunaux, qui sont de plus en plus souvent saisis d’affaires de violations des droits humains en mer. Au niveau national, des procédures ont été engagées en Italie, en Allemagne et en France. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu l’arrêt Safi et autres c. Grèce susmentionné, dans lequel elle a conclu à la violation de la Convention par les garde-côtes grecs qui n’ont pas réagi comme ils auraient dû face au bateau de personnes migrantes qui était en train de sombrer 
			(65) 
			Safi
et autres c. Grèce, op. cit., 2022. Voir la partie 3.1
du présent rapport pour de plus amples détails.. La Cour impose à tous les États de mener des enquêtes indépendantes et effectives sur les décès de personnes migrantes en mer. Le but essentiel de l’enquête est d’assurer la mise en œuvre effective des dispositions de droit interne qui protègent le droit à la vie et, lorsque le comportement d’agents ou d’autorités de l’État pourrait être mis en cause, de veiller à ce que ceux-ci répondent des décès survenus sous leur responsabilité 
			(66) 
			Al-Skeini
et autres c. Royaume-Uni [GC], <a href='https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-105606'>requête
n°55721/07</a>, 2011, § 167. Voir aussi le <a href='https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/article-2'>Guide
sur la jurisprudence – Article 2</a>.. Des procédures sont également en cours contre Frontex 
			(67) 
			Voir
par exemple Sea-Watch c. Frontex, <a href='https://sea-watch.org/en/sea-watch-vs-frontex/'>https://sea-watch.org/en/sea-watch-vs-frontex/</a>..
52. Omer Shatz, directeur juridique de l’ONG front-lex 
			(68) 
			<a href='http://www.front-lex.eu/'>www.front-lex.eu</a>., a été entendu par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 17 octobre 2024. Il a déclaré qu’entre 2015 et aujourd’hui, des violations généralisées du droit maritime international et du droit international des droits humains et des réfugiés ont ciblé les personnes migrantes; ces violations découlent des politiques de l’Union européenne et des États membres dont l’objectif est d’empêcher à tout prix les arrivées. M. Shatz a fait part à la commission des enquêtes actuellement menées par la Cour pénale internationale concernant le traitement des personnes migrantes sur la route de la Méditerranée centrale, et des éléments de preuve donnant à penser que ces infractions ont été facilitées par l’Union européenne 
			(69) 
			Voir
à cet égard, la communication déposée auprès du Bureau du Procureur
de la Cour pénale internationale, concernant la commission de crimes
contre l’humanité à l’encontre des personnes migrantes sur la route
de la Méditerranée centrale, <a href='https://www.statewatch.org/media/documents/news/2019/jun/eu-icc-case-EU-Migration-Policies.pdf'>www.statewatch.org/media/documents/news/2019/jun/eu-icc-case-EU-Migration-Policies.pdf</a>; voir aussi <a href='https://www.theguardian.com/law/2019/jun/03/icc-submission-calls-for-prosecution-of-eu-over-migrant-deaths'>www.theguardian.com/law/2019/jun/03/icc-submission-calls-for-prosecution-of-eu-over-migrant-deaths</a>, et voir également le rapport de la Mission indépendante
d’établissement des faits du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (mars 2023)
dont les conclusions corroborent les allégations selon lesquelles
des fonctionnaires de l’Union européenne participent à des crimes
contre l’humanité contre des personnes migrantes sur la route de
la Méditerranée centrale. Voir <a href='http://www.ecchr.eu/en/case/migrants-and-refugees-in-libya-face-crimes-against-humanity-the-icc-must-investigate'>www.ecchr.eu/en/case/migrants-and-refugees-in-libya-face-crimes-against-humanity-the-icc-must-investigate</a> et <a href='http://www.ecchr.eu/en/publication/redacted-art-15-communication-to-the-icc-on-crimes-against-refugees-and-migrants-in-libya'>www.ecchr.eu/en/publication/redacted-art-15-communication-to-the-icc-on-crimes-against-refugees-and-migrants-in-libya</a>.. Il a appelé à un changement de paradigme dans la manière dont les politiques migratoires des institutions et des États membres de l’Union européenne sont comprises et appliquées en Méditerranée, et a fait valoir que de telles violations pourraient constituer des crimes contre l’humanité au regard du droit pénal international.

4. Prévenir les décès en mer, améliorer les opérations de sauvetage et mieux protéger les droits fondamentaux des personnes migrantes

53. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la tragédie humaine qui se déroule dans les eaux européennes. Il faut y mettre fin, avant tout en établissant des voies sûres et légales pour les personnes migrantes et autres personnes ayant besoin d’une protection internationale. De plus, les États membres doivent protéger et reconnaître les eaux européennes en tant qu’espaces maritimes humanitaires à sanctuariser au nom de l’humanité.
54. Alors que la traite des personnes migrantes n’a jamais été aussi importante et que les États membres et les institutions internationales s’efforcent de lutter contre ce phénomène criminel, les eaux européennes restent en partie des zones de non-droit. Il est par conséquent urgent de s’attaquer au trafic illicite de personnes migrantes et de l’empêcher autant que possible. Pour ce faire, il faut commencer par assurer l’application effective des traités internationaux. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n°197) est un instrument essentiel pour combattre la traite des personnes migrantes, complété par l’expertise du Conseil de l’Europe dans ce domaine. L’acquis des directives de l’OMI est également déterminant à cet effet.
55. Malgré l’existence d’instruments solides, le trafic illicite de personnes migrantes reste la principale voie de migration irrégulière vers l’Europe. Les personnes migrantes ayant besoin d’une protection internationale continueront de fuir des situations désespérées et, en l’absence de filières sûres et légales, de recourir aux services de réseaux criminels. Un phénomène de cette ampleur nécessite un effort collectif important pour être démantelé.
56. Les États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne doivent s’assurer de l’existence de voies d’accès sûres à leur territoire, y compris lorsque des personnes sont interceptées dans les eaux européennes. Il convient de rappeler que le principe de non-refoulement s’applique à tous les États sur l’ensemble du territoire relevant de leur juridiction, y compris dans leurs eaux territoriales. En outre, ce principe devrait être pleinement respecté dans les zones contiguës et dans les eaux internationales dès lors qu’un navire battant pavillon d’un État européen exerce un contrôle sur un individu, comme cela peut être le cas au cours d’une opération d’interception, ou lorsqu’un tel navire est suivi ou dérouté en haute mer (une possibilité découlant de l’article 7 du règlement (UE) n° 656/2014, auquel Frontex est lié en vertu de l’article 10 du règlement (UE) n° 2019/1896). Ces éléments s’appuient sur l’interprétation donnée par la Cour de la notion d’obligations extraterritoriales des États membres dans l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie 
			(70) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-109230'>Requête
n° 27765/09</a>, §§ 70-78.. Outre la mise en place de voies légales alternatives aux routes de trafic illicite de personnes migrantes, y compris par mer sur des routes maritimes régulières, il est essentiel de veiller au respect de ces obligations afin de réduire et, c’est à espérer, de prévenir enfin les périples dangereux et les décès en mer qui s’en suivent. Il n’est pas nécessaire d’établir de nouveaux cadres juridiques pour mettre en place ces voies. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la Convention sur le droit de la mer, et la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer répondent de manière satisfaisante aux besoins existants. Il faut plutôt une volonté politique forte et un suivi conjoint par les organisations internationales, en particulier les agences de l’Union européenne et de l’ONU (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, OIM 
			(71) 
			<a href='https://www.unhcr.org/fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/asile-et-migration/protection-en-mer'>www.unhcr.org/fr/nos-activites/proteger-les-droits-humains/asile-et-migration/protection-en-mer</a>, 
			(71) 
			<a href='https://publications.iom.int/fr/books/protection-migrants-sea'>https://publications.iom.int/fr/books/protection-migrants-sea</a>.), les États membres côtiers et les ONG de recherche et de sauvetage, afin de garantir le bon déroulement des opérations et le respect des droits humains.
57. La lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes a conduit plusieurs États membres à incriminer les personnes faisant l’objet d’un tel trafic et les organisations humanitaires. Les États membres devraient ainsi examiner attentivement les recommandations formulées dans la Résolution 2356 (2020) «Droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et aux migrants en Europe» et la Résolution 2568 (2024) «Une approche européenne commune pour lutter contre le trafic illicite de personnes migrantes». Selon ces résolutions, les personnes ayant besoin d’une protection ne devraient jamais être incriminées pénalement ou sanctionnées administrativement pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’article 26 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.
58. L’assistance humanitaire ainsi que toute aide apportée aux personnes migrantes pour faciliter l’exercice de leurs droits fondamentaux devraient être exonérées expressément de toute forme de responsabilité pénale lorsque ces actes sont accomplis sans rechercher un quelconque avantage financier ou matériel, ce qui est évidemment le cas des ONG de recherche et de sauvetage. Cela implique de définir avec précision, dans la législation nationale, les éléments constitutifs de l’infraction de trafic illicite de personnes migrantes et le champ d’application de l’incrimination, conformément au Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants («Protocole de Palerme»). Cet instrument reconnaît la nécessité d’introduire le critère de but lucratif dans la définition de trafic illicite, afin d’éviter la criminalisation d’une action humanitaire légitime.
59. Comme l’a recommandé l’ancienne Commissaire aux droits de l’homme: «Tous les États membres sont instamment priés d’allouer des ressources destinées spécifiquement aux activités de [recherche et de sauvetage], afin que ces dernières puissent augmenter en nombre et en portée. Ce faisant, les États membres devraient établir un système parfaitement opérationnel, doté de moyens suffisants, qui permette de sauver des vies en mer et dont les capacités soient proportionnées aux problèmes qui se posent actuellement en Méditerranée. Les États membres devraient déployer des navires le long des couloirs où ils peuvent effectivement contribuer à éviter des décès et garantir un traitement digne des personnes secourues. Tous les États côtiers concernés devraient veiller à exploiter pleinement toutes les unités de [recherche et de sauvetage] et les autres ressources disponibles, notamment les navires administrés par des ONG, pour porter assistance aux personnes qui se trouvent, ou semblent se trouver, en situation de détresse en mer.» 
			(72) 
			«<a href='https://book.coe.int/fr/commissaire-aux-droits-de-l-homme/7971-pdf-sauver-des-vies-proteger-les-droits-combler-le-manque-de-protection-des-refugies-et-des-migrants-en-mediterranee.html'>Sauver
des vies. Protéger les droits. Combler le manque de protection des
réfugiés et des migrants en Méditerranée</a>», page 29<a href='https://book.coe.int/fr/commissaire-aux-droits-de-l-homme/7971-pdf-sauver-des-vies-proteger-les-droits-combler-le-manque-de-protection-des-refugies-et-des-migrants-en-mediterranee.html'></a>.
60. En ce qui concerne la protection des défenseurs des droits humains dans son ensemble, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a émis, en février 2024, une série de recommandations dans sa publication «Protéger les défenseurs: mettre fin à la répression des défenseurs des droits humains qui aident les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants en Europe». Pour inverser la tendance répressive susmentionnée à l’encontre des défenseurs des droits humains, la Commissaire appelle à une action urgente, notamment: en réformant les lois, les politiques et les pratiques qui entravent indûment les activités des défenseurs des droits humains; en veillant à ce que les lois sur le trafic illicite de personnes migrantes ne confèrent le caractère d’infraction pénale à aucune activité de défense des droits humains ou d’aide humanitaire menée auprès des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes; en levant les restrictions d’accès aux lieux et aux informations; en mettant fin au discours stigmatisant et dénigrant; en établissant des procédures de sécurité efficaces pour les défenseurs confrontés à des violences ou à des menaces et en veillant à ce que ces cas fassent l’objet d’enquêtes effectives 
			(73) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/europe-must-end-repression-of-human-rights-defenders-assisting-refugees-asylum-seekers-and-migrants'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/europe-must-end-repression-of-human-rights-defenders-assisting-refugees-asylum-seekers-and-migrants</a>..
61. Alors que des couloirs humanitaires officiels sont mis en place dans les zones de guerre afin d’aider les personnes qui fuient pour se mettre en sécurité, il n’existe pas de couloirs similaires visant à sauver des vies en mer. Cependant, face à l’inaction des États, le travail réalisé par les ONG de recherche et de sauvetage pourrait être considéré de fait comme une action humanitaire en mer destinée à venir en aide aux personnes en détresse, assortie toutefois d’importantes restrictions. Ces ONG assurent des secours d’urgence en portant assistance aux personnes en perdition en mer qui, une fois à bord de leurs navires, bénéficient d’une prise en charge. Toutefois, cela ne constitue pas une voie maritime légale, sûre et systématique. Qui plus est, les flottes civiles ne réalisent qu’une infime partie des sauvetages et les capacités d’action des ONG sont de plus en plus limitées par les autorités nationales concernées et pâtissent d’une criminalisation croissante en Europe. Enfin, ces ONG ne peuvent pas assurer une évacuation protégée depuis la Libye ou la Tunisie, ce que permettrait un véritable corridor humanitaire.
62. Il est par conséquent essentiel de ne pas assimiler la présence d’ONG de recherche et de sauvetage en mer à des voies de migration sûres et légales. Les personnes qui tentent de traverser les eaux européennes continueront à risquer leur vie, à faire face à un manque de protection et à être souvent incriminées pour avoir fui. Pour éviter de nouveaux décès, nous devons plaider en faveur de l’établissement de voies sûres et légales pour les personnes ayant besoin de protection, par le biais notamment de la délivrance de visas humanitaires, de la mise en œuvre de programmes de réinstallation et de l’activation de mécanismes de protection temporaire 
			(74) 
			Voir <a href='https://redcross.eu/latest-news/ngos-call-for-safe-and-legal-avenues-for-migrants'>https://redcross.eu/latest-news/ngos-call-for-safe-and-legal-avenues-for-migrants</a>.. Tant que ces filières ne seront pas en place, les autorités européennes des garde-côtes auront besoin de capacités de recherche et de sauvetage accrues et d’une meilleure coordination entre les acteurs publics et privés impliqués, grâce à des programmes de recherche et de sauvetage ambitieux et financés collectivement.
63. Par ailleurs, la reconnaissance des eaux européennes en tant qu’espaces maritimes humanitaires permettrait de sauver la vie de personnes migrantes en mer, de mieux protéger les opérations civiles indépendantes de recherche et de sauvetage et contribuerait à renforcer la coopération entre tous les acteurs concernés. En outre, les personnes migrantes rescapées d’un naufrage devraient bénéficier d’une assistance spéciale, qui réponde à leurs besoins spécifiques et prenne en compte les traumatismes subis; d’autre part, des questions telles que l’identification des membres de leur famille disparus doivent également être abordées 
			(75) 
			Voir à cet égard le
rapport intitulé «<a href='https://fra.europa.eu/fr/publication/2023/fra-deaths-sea-paper'>Preventing
and responding to deaths at sea» de l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne</a>»..
64. Lors de l’audition tenue le 11 mars 2025 avec une représentante de l’ONG Sea Watch, la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a pris connaissance d’une proposition intéressante qui pourrait être mise en œuvre au niveau de l’Union européenne. Bénéficiant du soutien de 14 ONG, Mare Solidale est une proposition de programme de recherche et de sauvetage destiné à sauver des vies en Méditerranée, qui serait dirigé par l’Union européenne. Sur la base de cette initiative, l’Union européenne pourrait décider dès aujourd’hui de mettre en œuvre un programme de sauvetage conforme aux droits humains et fondé sur les enseignements tirés de l’opération Mare Nostrum 
			(76) 
			<a href='https://sea-watch.org/en/mare-solidale'>https://sea-watch.org/en/mare-solidale</a>..

5. Conclusion

65. Une crise humanitaire honteuse continue de faire rage sur les routes maritimes migratoires vers l’Europe, où des dizaines de milliers de personnes migrantes ont péri au cours des vingt-cinq dernières années. Nous manquons à nos responsabilités juridiques et morales de porter secours aux personnes migrantes, de défendre les droits humains et de mettre en place des voies de migration sûres. Abandonner ces personnes désespérées entre les mains des passeurs revient à donner à ces derniers un «permis de tuer».
66. Dans le même temps, les États membres poursuivent des politiques migratoires restrictives et renforcent les contrôles aux frontières. Sauver la vie des personnes migrantes en mer ne mettra pas en péril la stabilité des institutions et des économies nationales. Bien au contraire, l’Europe devrait considérer les migrations comme un moyen, parmi d’autres, de remédier à son vieillissement démographique et à sa pénurie de main-d’œuvre, et privilégier par conséquent une politique migratoire sûre, bien gérée et adaptée 
			(77) 
			À ce sujet, voir respectivement
la Résolution 2586 (2025) et la Résolution 2504 (2023)..
67. J’appelle à agir de toute urgence afin d’améliorer les opérations de recherche et de sauvetage dans les eaux européennes, d’accroître les efforts pour démanteler les réseaux de passeurs, et de respecter les obligations en matière de droit international des droits humains et de droit international humanitaire.
68. Lorsque l’Europe a mis fin aux missions de recherche et de sauvetage à grande échelle, un certain nombre d’organisations non gouvernementales sont intervenues pour combler ce vide, et elles ne peuvent qu’en être félicitées. Cependant, le petit monde des ONG spécialisées dans ce domaine a ses limites et se heurte à des obstacles, voire à une criminalisation de la part des États membres, qui imposent des mesures juridiques et administratives restrictives à leurs activités. Il est important de noter que les ONG ne peuvent pas remplacer les obligations des États membres de fournir des opérations de recherche et de sauvetage de manière durable et coordonnée. Mais elles peuvent contribuer à sauver des vies. Les États membres et l’Union européenne doivent utiliser pleinement tous les navires capables de secourir les personnes en détresse. Les États membres doivent pleinement soutenir les ONG en allégeant les formalités d’enregistrement de leurs navires, en les autorisant à opérer sur leur territoire et à partir de leurs ports et en les informant des cas de détresse 
			(78) 
			Voir
l’étude «<a href='https://eu.boell.org/en/2020/02/18/places-safety-mediterranean-eus-policy-outsourcing-responsibility'>Places
of Safety in the Mediterranean: The EU’s Policy of Outsourcing Responsibility</a>», par les professeurs <a href='https://eu.boell.org/en/person/prof-dr-anuscheh-farahat'>Anuscheh
Farahat</a> et <a href='https://eu.boell.org/en/person/prof-dr-nora-markard'>Nora
Markard</a>..
69. Le droit maritime international et le droit international des droits humains comptent parmi les fondements des sociétés démocratiques. Les États membres et les institutions internationales sont les gardiens de ces règles et doivent bien évidemment les appliquer à leurs propres politiques, cadres et pratiques. Il est donc inquiétant de constater les violations récurrentes du droit international en mer, notamment les nombreux cas de renvois forcés de personnes migrantes vers des pays à risques. Frontex et les États membres ont également été accusés d’avoir facilité ces actions, notamment en communiquant les coordonnées des embarcations de personnes migrantes aux autorités libyennes, alors qu’ils connaissaient les dangers qu’encouraient ces personnes en cas de retour dans leur pays d’origine. L’officier aux droits fondamentaux, intégré à la structure de Frontex, a vu ses capacités renforcées au cours des dernières années, grâce notamment à une augmentation de ses effectifs. Il s’agit d’une évolution encourageante, qui témoigne des efforts entrepris par l’agence pour accroître la transparence de ses activités.
70. La tendance qu’ont les États membres à transférer la responsabilité des opérations de recherche et de sauvetage aux autorités des garde-côtes libyens et tunisiens, pays peu sûrs pour les personnes migrantes, est également très préoccupante. Ce transfert de responsabilité se poursuit, malgré les nombreuses atteintes aux droits humains dont il est fait état, notamment la torture, l’esclavage et la traite de personnes migrantes interceptées dans les eaux européennes.
71. Il est par conséquent fondamental de respecter et d’appliquer pleinement le droit international humanitaire et le droit maritime international pour faire face à cette situation et garantir des opérations de recherche et de sauvetage plus sûres. Compte tenu de la multitude de rapports faisant état de violations des droits humains et de mauvais traitements infligés aux personnes migrantes par les garde-côtes libyens et tunisiens, j’appelle à un moratoire immédiat sur tous les accords, financements et soutiens logistiques en faveur des autorités de la garde côtière libyenne et tunisienne, en attendant de procéder à un examen approfondi et à une remise à plat. J’appelle en outre à mettre immédiatement fin aux renvois de personnes migrantes en détresse en mer et à toute autre action illégale à leur encontre.
72. La lutte contre le trafic illicite de personnes migrantes est un élément essentiel de la réponse. Les activités du Conseil de l’Europe visant à assurer sa mise en œuvre effective, en particulier les travaux menés par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) sont déterminants à cette fin. Cependant, les activités du Conseil de l’Europe ne suffisent pas. Pour réaliser un objectif aussi ambitieux et inverser la tendance, les États membres ne peuvent plus se cacher dans l’ombre. Nous devons encourager collectivement l’établissement de voies de migration légales et sûres, y compris pour les personnes ayant besoin d’une protection internationale, par le biais de filières soigneusement contrôlées et sécurisées. Par ailleurs, les États membres et les institutions internationales doivent reconnaître les eaux européennes comme des espaces maritimes humanitaires, afin de fournir aux personnes migrantes et réfugiées des passages sûrs et de les tenir à l’écart des réseaux criminels de passeurs. Cela suppose notamment des zones de recherche et de sauvetage dédiées et une meilleure coordination entre les États, les ONG et les agences telles que Frontex.
73. L’Europe doit opérer un changement de cap en matière de politique migratoire. La protection des frontières et le respect des droits humains des personnes migrantes ne sont pas incompatibles. Un tel changement n’entraînera ni facteur d’attraction ni migration massive. Nous avons l’obligation morale et légale d’empêcher les décès de personnes migrantes en mer, et cette obligation exige de la part des gouvernements européens et des institutions internationales une action urgente et concertée.