Imprimer
Autres documents liés
A. Projet d'avis
(open)
Rapport | Doc. 16186 | 03 juin 2025
Projet de protocole d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
A. Projet d'avis 
(open)1. Réitérant avec la plus grande
fermeté sa condamnation du terrorisme sous toutes ses formes, l'Assemblée
parlementaire se félicite de la finalisation du projet de protocole
d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention
du terrorisme, qui permettra de renforcer encore la lutte contre
ce fléau en tenant compte de son évolution récente.
2. Depuis de nombreuses années, le Conseil de l'Europe élabore
des normes juridiques essentielles pour lutter contre le terrorisme.
Son principal instrument juridique dans le domaine de la lutte contre
le terrorisme, la Convention pour la prévention du terrorisme (STCE
n° 196, ci-après «la Convention de Varsovie»), a été adoptée en
2005 dans le but d'améliorer les politiques et stratégies de lutte
contre le terrorisme au niveau national, tout en facilitant la coopération
internationale. En 2015, avec l'adoption du Protocole additionnel
à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
(STCE n° 217), le Conseil de l'Europe est devenu la première organisation
internationale à mettre en place un instrument juridique régional
pour mettre en œuvre les obligations imposées par la Résolution
2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant
la lutte contre les combattants terroristes étrangers.
3. Une fois adopté, le projet de protocole d'amendement à la
Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
(ci-après «le projet de protocole» établira la première définition
internationale contraignante et complète du terrorisme, qui élargira
la formulation actuelle de l'article 1 de la Convention de Varsovie
afin d'englober toutes les formes de terrorisme actuellement répandues.
Plus précisément, les actes tels que le cyberterrorisme qui vise
des infrastructures cruciales ou le terrorisme environnemental n'avaient pas
encore été pleinement anticipés en 2005, au moment de l'adoption
de la Convention de Varsovie. La mise en place d'une définition
juridique paneuropéenne commune de l'infraction terroriste, qui
tienne compte des défis contemporains, est donc une mesure bienvenue
et souhaitable.
4. Le projet de protocole modifie la définition de l'infraction
terroriste aux fins de la Convention de Varsovie en ajoutant une
liste d'actes criminels qui, lorsqu'ils sont commis intentionnellement
dans un but terroriste et par leur nature ou leur contexte, peuvent
porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale.
La définition proposée est très proche de celle qui figure à l'article
3 de la Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme
et ne s'en écarte que dans la mesure nécessaire pour pouvoir s'appliquer
au cadre de la Convention de Varsovie et de son Protocole additionnel.
5. Tout en appuyant la nécessité de renforcer les outils de prévention
du terrorisme et de lutte contre ce phénomène, l'Assemblée prend
note des préoccupations exprimées par certains États membres du
Conseil de l'Europe et certaines institutions internationales au
sujet de la portée de la définition proposée du terrorisme, qui,
selon eux, pourrait entraîner une insécurité juridique et donner
lieu à une application arbitraire, excessive et abusive, ainsi que
de l'absence d'une clause d'exception qui protégerait les activités
légitimes, comme celles des organisations humanitaires.
6. L'Assemblée rappelle que la garantie consacrée à l'article
7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (STE n° 5, ci-après «la Convention») est un élément
essentiel de l'État de droit. Elle incarne, entre autres, le principe
selon lequel seule la loi peut définir une infraction et prescrire
une peine (nullum crimen, nulla poena
sine lege) et le principe selon lequel le droit pénal
ne doit pas être interprété de manière extensive au détriment d'un
accusé. Dans le même temps, selon la Cour européenne des droits
de l'homme, l'article 7 de la Convention ne saurait être interprété
comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité
pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre au
cas par cas, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance
de l’infraction et raisonnablement prévisible. Ces principes ne
sauraient être appliqués de manière moins rigoureuse lorsqu'il s'agit
de poursuivre et de punir les infractions terroristes, même dans
les circonstances les plus difficiles.
7. L'Assemblée se félicite du fait que le préambule du projet
de protocole réaffirme expressément que toutes les mesures prises
pour prévenir ou réprimer les infractions terroristes doivent être
conformes aux droits humains et aux libertés fondamentales pertinents,
en particulier ceux que consacre la Convention, ainsi qu'aux autres
obligations découlant du droit international, y compris, le cas
échéant, du droit international humanitaire. Elle regrette toutefois
que cette notion ne transparaisse pas dans les dispositions substantielles
du projet de protocole.
8. Rappelant que la lutte contre le terrorisme et la protection
des normes et valeurs du Conseil de l'Europe doivent être des objectifs
complémentaires, l'Assemblée réaffirme que, pour les droits qui
font l'objet de restrictions au titre de la Convention, toute limitation
doit être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée
à l'objectif légitime poursuivi, conformément à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle souligne en outre
que le droit à la liberté d'expression vaut non seulement pour les «informations»
ou «idées» accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives
ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent
ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population.
9. Se référant à sa Résolution
2509 (2023) «La répression transnationale, une menace croissante
pour l’État de droit et les droits humains», l'Assemblée est consciente
du risque que la législation antiterroriste puisse être détournée
dans certains États membres à des fins politiques. Elle note en
outre que l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne,
dans son rapport de 2021 sur l’incidence de la Directive (UE) 2017/541
de l'Union européenne sur les droits humains, a observé que le recours
à la législation et aux mesures antiterroristes pouvait être étendu
dans certains États membres de l'Union européenne à des activités telles
que les mouvements non violents, les manifestations publiques et
les organisations non gouvernementales, qui ne sont clairement pas
destinées à être qualifiées de [nature] terroriste. À ce titre, l'Assemblée
estime que la définition juridique du terrorisme devrait être aussi
précise que possible, afin de limiter le risque de divergences dans
son application au niveau national et d’éviter toute application
arbitraire.
10. À cet égard, l'Assemblée note les préoccupations exprimées
au sujet de la formulation proposée pour l'article 1, paragraphe
2, alinéa c), qui inclut «gravement déstabiliser ou détruire les
structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales
fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale» parmi
les trois buts terroristes possibles définissant une infraction
terroriste. Toutefois, elle prend note de la précision apportée
dans le projet de rapport explicatif (paragraphe 36), selon laquelle
«les activités légitimes protégées par les législations relatives
aux droits humains, telles que la liberté de religion et de conscience,
et la liberté d'expression ou de publication, ne devraient pas être
érigées en infractions pénales» en vertu des nouvelles dispositions.
L'Assemblée estime que cette explication pourrait être renforcée
en ajoutant la phrase suivante au paragraphe 36 du projet de rapport
explicatif: «Par exemple, l'expression publique d'opinions radicales,
polémiques, choquantes ou controversées sur des questions politiques
sensibles n'entre pas dans le champ d'application du présent Protocole
d’amendement».
11. L'Assemblée estime en outre que le fait d'inclure la menace
de commettre l'un des actes énumérés aux alinéas a) à i) de l’article
1, paragraphe 1, augmente le risque d'une criminalisation excessive
et, par conséquent, de la criminalisation de l'exercice du droit
à la liberté d'expression. Elle recommande donc que le champ d'application
de l'article 1, paragraphe 1, alinéa j), soit limité aux seules
menaces «graves» et «crédibles» de commettre l'un des actes énumérés
à cet alinéa.
12. Enfin, l'Assemblée est favorable à la proposition qui vise
à compléter la Convention de Varsovie par une exception humanitaire
expresse, conformément à la Résolution 2664 (2022) du Conseil de
sécurité des Nations Unies. Compte tenu de la portée limitée du
projet de protocole, elle invite le Comité des ministres à demander
au Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT) de tenir compte de
cette proposition dans ses travaux futurs, dans le cadre d'un examen
plus complet de la Convention de Varsovie, notamment de son article
12 et d’autres dispositions.
13. L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres d'apporter
la modification suivante au projet de protocole d'amendement à la
Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme:
13.1. à l'article 1, paragraphe 1,
alinéa j), remplacer les mots «la menace» par les mots «la menace grave
et crédible».
B. Exposé des motifs par M. Titus Corlăţean, rapporteur
(open)1. Introduction
1. Depuis l'adoption de la Convention
du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196,
ci-après «la Convention de Varsovie») en 2005, le monde, et en particulier
le continent européen, a été le théâtre d'une série d'attentats
terroristes dévastateurs, dont beaucoup ont fait de nombreuses victimes
et causé des traumatismes profonds. Leur ampleur et leur brutalité
ont laissé des traces indélébiles dans la conscience nationale,
les stratégies de sécurité et la coopération internationale en matière
de lutte contre le terrorisme et de prévention de celui-ci. Il est
donc positif que le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le
terrorisme (CDCT) ait élaboré un projet de protocole d’amendement
à la Convention de Varsovie (ci-après le «projet de protocole»)
visant à établir une définition juridique complète de l'infraction
terroriste aux fins de la Convention de Varsovie. À l'heure actuelle,
celle-ci s'appuie sur les principaux traités internationaux de lutte contre
le terrorisme pour définir cette infraction, ce qui a pour conséquence
que certaines infractions qui pourraient être qualifiées de terroristes
de par leur nature et leur contexte ne relèvent pas du champ d'application
de cet instrument.
2. Le CDCT, par l'intermédiaire de son sous-groupe chargé d'examiner
la faisabilité de convenir d'une définition du terrorisme, a commencé
à délibérer sur cette question en mai 2018. Sa proposition, telle
qu'elle figure dans le projet de protocole, instaurera une liste
d'actes criminels qui, lorsqu'ils sont commis intentionnellement
dans un but terroriste et par leur nature ou leur contexte, peuvent
porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale,
devraient être considérés comme des infractions terroristes en plus
de celles qui figurent dans les traités listés en annexe à la Convention
de Varsovie. La définition proposée est très proche de celle de
la Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil de
l'Union européenne du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le
terrorisme
. Le projet de texte de la définition
a été approuvé lors de la 11e réunion
plénière du CDCT qui s'est tenue à Helsinki en décembre 2023. Lors
de sa 12e réunion plénière suivante tenue
en mai 2024, le CDCT a décidé d'incorporer cette définition au moyen
d'un protocole d'amendement.

3. Le 2 avril 2025, lors de leur 1524e réunion,
les Délégués des Ministres ont décidé de transmettre le projet de
protocole à l'Assemblée parlementaire pour avis dans les meilleurs
délais. Suite au renvoi par l’Assemblée à la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme, cette commission m'a désigné
rapporteur lors de sa réunion à Strasbourg le 7 avril 2025.
4. Le 8 avril 2025, la commission a procédé à un échange de vues
avec M. Nicola Piacente, président du CDCT. Je le remercie du concours
précieux qu'il a apporté à mes travaux sur ce dossier.
5. Dans mon exposé des motifs, je commencerai par présenter les
principales caractéristiques du projet de protocole (chapitre 2).
Je résumerai ensuite les avis sur ce projet d'instrument présentés
par les différentes parties prenantes (chapitre 3). Enfin, je donnerai
ma propre appréciation du projet de texte (chapitre 4).
2. Principales caractéristiques du projet de protocole
6. Le préambule présente les grands
principes et les buts du projet de protocole. Il rappelle à juste
titre l'importance de la coopération internationale dans la lutte
contre le terrorisme et la nécessité de renforcer ces initiatives.
Il réaffirme également l'obligation de mettre en œuvre le projet
de protocole conformément aux normes et principes pertinents en
matière de droits humains et d'État de droit, ainsi que de préserver
l'intégrité et la cohérence des cadres juridiques internationaux
connexes, en particulier le droit international humanitaire.
7. La principale disposition de fond du projet de protocole est
l'article 1, qui remplacera l'article 1 de la Convention de Varsovie,
donnant ainsi un nouveau sens au terme «infraction terroriste» dans
l'ensemble de la Convention de Varsovie. La définition proposée
de l'«infraction terroriste» englobe deux catégories d'actes. Premièrement,
elle comprend toute infraction entrant dans le champ d'application
et définie dans l'un des traités internationaux énumérés en annexe
à la Convention de Varsovie (qui ne sera pas modifiée par le projet de
protocole). Deuxièmement, elle s'étend à une série d'actes qui,
en vertu du droit national, constituent des infractions pénales
et qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement
atteinte à un État ou à une organisation internationale. Ces actes
doivent être commis intentionnellement et dans un ou plusieurs des buts
suivants: gravement intimider une population, contraindre indûment
les pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir
ou à s'abstenir d'accomplir un acte, ou gravement déstabiliser ou détruire
les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales
fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale. Les
actes visés comprennent, notamment, les atteintes à la vie pouvant entraîner
la mort, les atteintes à l'intégrité physique d'une personne, les
enlèvements, la destruction massive d'infrastructures ou de biens
susceptibles de mettre en danger la vie d'autrui ou d'entraîner
des pertes économiques importantes, la capture illicite de moyens
de transport publics ou de marchandises (à l'exclusion des aéronefs
et des navires), le trafic d'armes de destruction massive (y compris
leur développement ou leur utilisation), la libération de substances
dangereuses ou la provocation d'incendies ou d'inondations mettant
en danger des vies humaines, la perturbation de services essentiels
tels que l'approvisionnement en eau et en énergie, la perturbation
grave des systèmes d'information et la menace de commettre l'un
des actes susmentionnés.
8. Le projet de rapport explicatif précise en outre que le chapeau
du deuxième volet de l'article 1, paragraphe 1, établit un seuil
de gravité en exigeant que «la nature ou le contexte» d'un acte
soit de nature à «porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation
internationale», distinguant ainsi les infractions pénales ordinaires
des infractions à caractère terroriste. Cette condition garantit
que seules les infractions graves relèvent du champ d'application
de la définition de la Convention de Varsovie et qu'il existe un
risque réel de préjudice causé par cet acte. Elle permet également
aux Parties d'exercer leur pouvoir discrétionnaire pour qualifier
des actes de terrorisme, en fonction des circonstances propres à
chaque cas. En outre, pour les actes visés par le deuxième volet
de la définition, le projet de rapport explicatif précise que l'exigence
qu'ils soient commis intentionnellement renforce la gravité de l'infraction.
Le fait d'inclure cet élément intentionnel constitue une garantie
contre une interprétation trop large de l'infraction. Cette intention
peut être déduite de circonstances objectives et factuelles. Elle
doit englober chacun des actes énumérés à l'article 1, paragraphe 1,
y compris leurs conséquences spécifiées, telles que le fait de mettre
en danger des vies humaines par la libération de substances dangereuses.
Cette exigence est conforme aux définitions données dans la plupart
des traités pertinents mentionnés dans l'annexe. Elle correspond
également aux dispositions qui incriminent les infractions liées
au terrorisme dans la Convention de Varsovie, en particulier ses
articles 5 à 7. En outre, l'élément intentionnel est conforme aux
dispositions du Protocole additionnel, en particulier ses articles
2 à 6.
9. S'agissant des buts visés à l'article 1, paragraphe 2, le
projet de rapport explicatif précise que le terrorisme se distingue
des autres actes criminels par trois buts constitutifs, qui traduisent
chacun l'intention spécifique de l'auteur et la recherche d'un impact
qui ne se limite pas aux victimes immédiates. Il souligne que les
actes terroristes sont motivés par des causes politiques, idéologiques,
raciales, ethniques, religieuses ou d'autres considérations de même
nature. L'emploi d'adverbes tels que «gravement» et «indûment» est essentiel
pour caractériser la gravité et l'intention particulière des infractions
terroristes, afin d'éviter toute incrimination excessive et toute
application arbitraire. L'infraction terroriste est constituée uniquement
lorsque l'acte, l'intention, le but et le seuil de gravité sont
tous réunis. Il n'est pas nécessaire que l'acte ait réellement produit
l'effet recherché, il suffit que l'auteur ait eu l'intention de
produire cet effet. La détermination de l'intention repose sur la
nature, le contexte et les circonstances factuelles de l'acte. En
outre, l'interprétation et l'application des buts énumérés doivent
être conformes au droit international et aux normes relatives aux
droits humains, en particulier celles qu'a établies la Cour européenne
des droits de l'homme. L'exercice légitime de la liberté de religion
ou de la liberté d'expression ne doit pas être incriminé en vertu
de ces dispositions. Bien que la formulation permette une certaine
souplesse dans la mise en œuvre au niveau national, le champ d'application
se limite aux actes terroristes véritables. Cette précaution garantit
que le cadre juridique reste proportionné et respecte les droits
fondamentaux, tout en permettant de lutter contre les menaces graves.
10. Les autres articles du projet de protocole comportent des
clauses finales similaires à celles qui figurent dans d'autres conventions
du Conseil de l'Europe, notamment l'interdiction de formuler des
réserves à l'égard des dispositions du projet de protocole.
3. Avis des parties prenantes sur la définition proposée
11. Dans sa communication du 4
octobre 2024, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et
la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales
dans la lutte antiterroriste, le professeur Ben Saul, a présenté
des commentaires et des propositions sur la définition proposée
du terrorisme
. Tout en notant certains aspects
positifs de la proposition, en particulier le relèvement du seuil
de responsabilité des deux premiers éléments intentionnels spécifiques
(par l'ajout des adverbes «gravement» et «indûment») et l'établissement
d'une exigence contextuelle objective en vertu de laquelle les actes
énumérés «par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement
atteinte à un pays ou à une organisation internationale», il fait
part d'un certain nombre de préoccupations. Le professeur Saul souligne
un risque d'incrimination excessive et de détournement de cette
disposition par des régimes qui entendent utiliser la législation
antiterroriste pour cibler la dissidence politique. Il fait remarquer,
à propos du troisième élément intentionnel spécifique, que la notion de
«structures fondamentales» n'est pas clairement définie, ce qui,
couplé à la notion de simple «déstabilisation» (par opposition à
«destruction»), ajoute à l'imprécision et augmente le risque d'abaissement du
seuil de préjudice. Selon lui, le projet d'article 1, paragraphe
2, alinéa c), est redondant et superflu, compte tenu de l'exigence
primordiale que les actes «[puissent] porter gravement atteinte
à un pays ou à une organisation internationale», et devrait être
supprimé. Il a en outre critiqué la proposition d'incriminer la
menace de commettre une infraction terroriste, qui, selon lui, fixe
un seuil de responsabilité trop bas, car elle pourrait viser toute
menace, même insignifiante. Le professeur Saul a recommandé de prévoir
une clause d'exclusion contraignante des activités humanitaires
et médicales protégées par le droit international humanitaire, ainsi que
pour des activités légitimes des organisations de défense des droits
humains. Il a également appelé à la création d'une exception pour
les «manifestations démocratiques», qui exclurait les actes de sensibilisation, de
protestation, de dissidence ou les actions collectives qui ne visent
pas à provoquer la mort, des lésions corporelles graves ou à compromettre
gravement la santé ou la sécurité publiques. Le professeur Saul
a également regretté que la consultation et la participation de
la société civile semblent avoir été limitées, sans appel public
à contributions ni consultation spécifique sur la question.

12. En 2023, le Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l'homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) a publié une note sur la proposition de révision
de la définition des infractions terroristes prévue à l'article
1 de la Convention de Varsovie. Il y évaluait positivement le fait
de vouloir préciser l'élément matériel des infractions terroristes,
en y ajoutant l'exigence d'une intention de commettre les actes
répréhensibles et la précision du but poursuivi. Toutefois, le BIDDH
a également noté que la proposition était susceptible d'aboutir
à une notion élargie du terrorisme, qui laisserait une grande marge d'appréciation
aux autorités chargées de sa mise en œuvre et risquerait d'entraîner
des interprétations arbitraires ou excessives. Il a également demandé
que l'ajout du terme «menace» soit entièrement reconsidéré ou que
ce terme soit défini de manière restrictive à l'aide de qualificatifs
appropriés, en l'associant à un danger réel et immédiat, lorsque
l'auteur aurait la capacité de commettre cette infraction ou de
faire croire raisonnablement à sa cible qu'il en est capable. Le
BIDDH a également critiqué le caractère vague du libellé du but
visé au projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), et a souligné
la nécessité de prévoir des exceptions ou des clauses d'exclusion
pour protéger les activités légitimes, en particulier la défense
ou l'exercice des droits humains
.

13. Au cours du processus de négociation, la Suisse a formulé
plusieurs observations au sujet de la définition proposée. Elle
s'est notamment montrée sceptique quant à l'inclusion de la menace
comme acte terroriste, en raison du risque d'incrimination des activités
susceptibles d'être protégées par le droit des droits humains, et
a jugé que le troisième but possible, énoncé à l'article 1, paragraphe
2, alinéa c), était trop vague et risquait d'entraîner une incrimination
excessive, une application arbitraire et éventuellement des abus inhérents
à l'utilisation d'une formulation trop large. Elle s'est également
ralliée à la proposition d'ajout d'une clause d'exception formulée
par le BIDDH. Compte tenu du consensus général en faveur du strict
respect du projet proposé par l'Union européenne, la Suisse a accepté
de retirer ses propositions et a proposé que certains éléments de
sa position soient expliqués et développés plus en détail dans le
rapport explicatif
. Dans sa déclaration
faite lors de la réunion plénière du CDCT les 13 et 14 novembre
2024 à Strasbourg, la Suisse a déploré de ne pas avoir eu la possibilité
d'intégrer dans le projet de rapport explicatif certains des points soulevés
par le professeur Ben Saul dans sa communication du 4 octobre 2024,
notamment à propos du principe de sécurité juridique et de l'exception
humanitaire
.


4. Évaluation, conclusions et propositions
14. Le fait de vouloir donner une
définition autonome de l'infraction terroriste est une évolution
souhaitable qui, si elle aboutit, favorisera la coopération internationale
et renforcera la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes.
Toutefois, définir l'infraction terroriste en termes plus généraux
élargira nécessairement le champ de la responsabilité pénale et
pourra donc avoir un impact important sur les droits humains. Dans
sa Résolution 2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant
les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe» (rapporteur: M. Tiny
Kox, Pays-Bas, GUE), l'Assemblée a estimé que la lutte contre le
terrorisme et la protection des normes et des valeurs du Conseil
de l'Europe n'étaient pas contradictoires mais complémentaires.
Dans cet esprit, je formulerai donc plusieurs observations et propositions
en vue d'améliorer la définition proposée.
15. Je me félicite du fait que le préambule du projet de protocole
réaffirme expressément que toutes les mesures prises pour prévenir
ou réprimer les infractions terroristes doivent être conformes aux
droits humains et aux libertés fondamentales pertinents, en particulier
ceux que consacre la Convention de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales (STE n° 5, ci-après «la Convention»),
ainsi qu'aux autres obligations découlant du droit international,
y compris, le cas échéant, du droit international humanitaire. Conjointement
avec l'article 12 de la Convention de Varsovie, qui prévoit que
l'incrimination d'infractions spécifiques doit être effectuée dans
le respect des obligations en matière de droits humains, en particulier
le droit à la liberté d'expression, à la liberté d'association et
à la liberté de religion, tels qu'énoncés, lorsqu'ils sont applicables
à cette Partie, dans la Convention, le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques et d'autres obligations découlant
du droit international, il instaure une garantie contre les abus
et l'incrimination excessive.
16. Néanmoins, je note que la définition proposée est essentiellement
la même que celle qui figure dans la Directive (UE) 2017/541 relative
à la lutte contre le terrorisme. Dans son rapport de 2021 sur l'incidence
de cette directive sur les droits et libertés fondamentaux, l'Agence
des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a déclaré que
«dans certains États membres, d’aucuns s’inquiètent du fait que
la notion de terrorisme, et par conséquent le recours à la législation
et aux mesures antiterroristes, soit étendue à des activités qui
ne revêtent pas de nature terroriste au sens strict du terme. Les
lois et mesures antiterroristes pourraient donc être utilisées contre
les idéologies, les groupes et les individus que l’État considère
comme indésirables, ce qui peut englober des mouvements anarchistes
ou séparatistes non violents, des manifestations publiques de différents
types, ainsi que des organisations non gouvernementales ou des ressortissants
de pays tiers. Les avocats de la défense, les universitaires spécialistes
de la lutte contre le terrorisme et des questions de droit pénal
connexes, et les experts des ONG en particulier, mais aussi certains juges,
affirment que cela peut conduire, entre autres, au non-respect du
principe de proportionnalité dans l’utilisation des outils d’enquête
et les peines imposées»
. Malgré ces préoccupations,
qui concernent en particulier le «troisième but» énoncé dans le
projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), la disposition reste exactement
la même que dans la Directive 2017/541.

17. Le but qui consiste à «gravement déstabiliser ou détruire
les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales
fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale» figure
déjà dans le préambule de la Convention de Varsovie. Le projet de
rapport explicatif (paragraphe 36), précise à cet égard que «les
activités légitimes protégées par les législations relatives aux
droits humains, telles que la liberté de religion et de conscience,
et la liberté d'expression ou de publication, ne devraient pas être
érigées en infractions pénales» en vertu des nouvelles dispositions.
Je crois que cette explication pourrait être renforcée en ajoutant
la phrase suivante au paragraphe 36 du projet de rapport explicatif:
«Par exemple, l'expression publique d'opinions radicales, polémiques,
choquantes ou controversées sur des questions politiques sensibles
n'entre pas dans le champ d'application du présent Protocole d’amendement»,
à l'instar de l'un des considérants de la Directive (UE) 2017/541
de l'Union européenne. Ces explications, associées à la clause générale
relative aux droits humains figurant dans le préambule du projet
de protocole, sont suffisantes pour apaiser les craintes exprimées
par certains quant au fait que la formulation utilisée dans le projet
d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), est trop vague et pourrait
conduire à une application disproportionnée de la nouvelle définition.
18. Il convient de rappeler que la Cour européenne des droits
de l'homme a estimé que de nombreuses lois sont inévitablement rédigées
en des termes qui, à des degrés divers, sont vagues, et que l'interprétation
et l'application de ces textes dépendent de la pratique
. Néanmoins, compte tenu de la tendance
actuelle à détourner le droit pénal, et en particulier les mesures
antiterroristes, pour réprimer les opposants politiques
, j'estime
qu'il faudra faire preuve de la plus grande prudence lors de l’application
des nouvelles dispositions. Le détournement des mesures antiterroristes,
que ce soit pour créer un «effet dissuasif» ou pour réprimer des opposants,
peut avoir des conséquences considérables pour les personnes visées,
notamment le gel de leurs avoirs, l'exclusion financière et la violation
des droits de propriété
. Les autorités
nationales, y compris les tribunaux, des États parties au Protocole
devront appliquer la nouvelle définition en tenant dûment compte
de la Convention et/ou des normes internationales relatives aux
droits humains.



19. Un élément du projet de protocole qui me semble problématique
est l'article 1, paragraphe 1, alinéa j), qui concerne la menace
de commettre une infraction terroriste. Bien que je sois favorable,
en principe, à l'incrimination de ce type de comportement, j'estime
qu'il est impératif de fixer le seuil de responsabilité à un niveau
approprié. La proposition présentée par le CDCT risque d'incriminer
des menaces insignifiantes, alors que le consensus général est que
seules les menaces graves, crédibles et susceptibles de causer un
préjudice réel à des personnes ou à des biens doivent être incriminées.
Cela garantit que le droit pénal vise les actes véritablement dangereux
tout en évitant que des menaces insignifiantes, vagues ou non crédibles
ne fassent l'objet de poursuites. L'Union européenne elle-même a
recommandé, d'une manière générale, d'éviter d'incriminer un comportement
à un stade injustement prématuré. Les actes qui ne présentent qu'un
danger abstrait pour le droit ou l'intérêt protégé ne devraient
être incriminés que si l'importance particulière du droit ou de
l'intérêt protégé le justifie
. À cet égard, je partage les
observations formulées par le Liechtenstein
et la Suisse
au sein du CDCT, qui
s'inquiètent du risque que cette disposition soit utilisée de manière
trop large. À mon avis, la mention dans le projet de rapport explicatif
du fait que cette disposition ne vise pas à ériger en infraction
pénale des «comportements qui n'ont qu'un lien théorique avec des
infractions terroristes réelles» n'est pas suffisante pour atténuer
le risque d'incrimination excessive. Je pense que cette disposition
devrait être limitée aux menaces qui sont à la fois «graves» et
«crédibles», c'est-à-dire qui atteignent un certain degré de gravité
et qui font que la cible peut raisonnablement croire que l'auteur
serait capable de donner suite à la menace.



20. Enfin, je note que la Directive (UE) 2017/541 contient, dans
ses considérants, plusieurs clauses dites «clauses d'exclusion»,
qui excluent de son champ d'application, par exemple, la fourniture
d'activités humanitaires par des organisations humanitaires impartiales
reconnues par le droit international, y compris le droit international
humanitaire, et l'expression d'opinions radicales, polémiques ou
controversées dans le débat public sur des questions politiques
sensibles. Je partage l'avis du BIDDH et du Rapporteur spécial des
Nations Unies (soutenu, dans une certaine mesure, par la Suisse),
selon lequel la Convention de Varsovie pourrait bénéficier d'une
exemption humanitaire explicite, similaire à celle que prévoit la
Résolution 2664 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies
, qui précise que la fourniture, le
traitement ou le versement de fonds, d'autres avoirs financiers
ou ressources économiques, ou la fourniture de biens et de services
nécessaires à l'acheminement en temps voulu de l'aide humanitaire
ou à l'appui d'autres activités visant à répondre aux besoins essentiels
de la population, sont autorisés et ne constituent pas une violation
des mesures de gel des avoirs imposées par cet organe ou ses comités
des sanctions. Compte tenu de la portée limitée du projet de protocole,
je propose d'inviter le CDCT à tenir compte de cette proposition
dans ses travaux futurs lorsqu'il examinera la Convention de manière
plus approfondie, y compris les clauses de sauvegarde prévues à l'article 12
et autres dispositions.
