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Rapport | Doc. 16191 | 04 juin 2025

Mobilisation sociale, troubles sociaux et réaction de la police dans les États membres du Conseil de l’Europe: un nouveau contrat social est-il nécessaire?

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Pierre-Alain FRIDEZ, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15803, Renvoi 4763 du 9 octobre 2023 2025 - Troisième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 mai 2025.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2364 (2021) «Le profilage ethnique en Europe: une question très préoccupante», sa Résolution 2435 (2022) et sa Recommandation 2230 (2022) «Combattre et prévenir l'usage excessif et injustifié de la force par les forces de l'ordre», sa Résolution 2552 (2024) «Renforcer la démocratie par des processus participatifs et délibératifs», et sa Résolution 2553 (2024) «Renforcer la perspective jeunesse dans les travaux de l’Assemblée parlementaire».
2. Elle rappelle également la Recommandation CM/Rec(2023)6 du Comité des Ministres aux États membres sur la démocratie délibérative et le Nouveau Pacte démocratique pour l’Europe – Construire une démocratie résiliente, inclusive et agile, présenté par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à la 134e Session du Comité des Ministres (Luxembourg, 13-14 mai 2025).
3. L’Assemblée souligne qu’il appartient aux États membres d’innover dans leurs approches afin de redonner un sens et une vitalité au tissu démocratique de la société, en renforçant le rôle du parlement et en faisant de la démocratie participative et délibérative une évidence, et du débat public une force vive.
4. Le sentiment d'avoir son mot à dire dans les décisions essentielles qui le concerne est une composante essentielle de la confiance du peuple dans les institutions et la démocratie, et un processus de dialogue approfondi entre les différentes sensibilités politiques en situation de désaccord sur les questions sociales peut amener des compromis larges, aidant à réduire les tensions sociales.
5. Une démocratie qui s’appuie sur un débat public ouvert, intégrant pleinement la voix des jeunes, et qui adopte des modes de gouvernance horizontale constitue une protection contre les approches trop descendantes, managériales et procédurales de la prise de décision publique.
6. L’Assemblée observe que la mobilisation sociale constitue un élément essentiel du dynamisme démocratique et un rempart contre le désengagement politique, souvent identifié comme l’une des causes majeures du déficit démocratique des sociétés contemporaines. Elle estime qu’une relation fondée sur le respect et la confiance entre les institutions et les jeunes est un indicateur clair d'une démocratie dynamique et réactive.
7. La complexité et la difficulté croissantes des missions confiées aux forces de l'ordre, ainsi que l'engagement quotidien de leurs agents pour assurer la protection des personnes et des biens, appellent une reconnaissance institutionnelle et sociétale à la hauteur des responsabilités qu’elles assument.
8. L'évolution rapide des contextes sociétaux, technologiques et juridiques nécessite un renouvellement constant des compétences professionnelles des agents des forces de l’ordre, afin de garantir que leurs politiques, lignes directrices et réponses soient efficaces, bien adaptées aux situations rencontrées et respectueuses des attentes et des droits de tous les groupes de la société.
9. L’Assemblée considère que placer le dialogue et la médiation au cœur de la gestion du maintien de l’ordre, développer des stratégies n’opposant pas forces de l’ordre et manifestants et restreindre l’usage des armes intermédiaires au strict minimum fournissent un bon cadre pour préserver la dimension démocratique du droit de manifester et éviter l’escalade de la violence.
10. Les forces de l’ordre gagnent en légitimité lorsqu’elles privilégient une approche préventive basée sur la connaissance des réalités locales et la prise en compte des biais éventuels qui pourraient influencer l'approche adoptée, allant ainsi au-delà des seuls indicateurs quantitatifs.
11. Les pratiques policières de contrôle d’identité perçues comme discriminatoires, conjuguées à l’érosion des dispositifs de police de proximité, peuvent contribuer à une perte de confiance des jeunes issus des quartiers populaires envers les institutions, rendant difficile la construction d’un lien de confiance.
12. Au vu de ces éléments, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait:
12.1. à s’inspirer des approches fondées sur une culture politique du consensus, qui favorisent le débat inclusif dans l’élaboration des politiques publiques;
12.2. à institutionnaliser des formes de démocratie participative, en complément des dispositifs représentatifs classiques, tout en assurant que les corps intermédiaires jouent un rôle central;
12.3. à inscrire la mission de la police dans une relation en constante évolution avec la population, fondée sur la confiance, la responsabilité et la capacité à se remettre en question;
12.4. à mettre l’écoute, le respect, la communication et la disponibilité au cœur de l’action des forces de l’ordre et à prévenir la délinquance à la base par la connaissance des habitants et des enjeux locaux;
12.5. à instaurer ou renforcer une présence locale des forces de l’ordre afin de construire des relations de confiance avec les habitants, notamment dans les quartiers populaires;
12.6. à investir durablement dans la formation continue et l’équipement des forces de l’ordre, afin de leur permettre d’exercer leurs missions dans les meilleures conditions possibles, pour le maintien de la sécurité et de la cohésion sociale;
12.7. à intégrer dans la formation des forces de l’ordre des modules obligatoires sur les biais cognitifs et discriminatoires, la gestion des foules, ainsi que les principes de justice procédurale;
12.8. à lutter contre toute forme de profilage notamment ethnique lors des contrôles d’identité et à mettre en place un système efficace de traçabilité et de suivi des contrôles d’identité afin de prévenir toute pratique discriminatoire, y compris non intentionnelle;
12.9. à promouvoir activement le droit de manifester dans un cadre démocratique en privilégiant la désescalade comme principe directeur dans la gestion des manifestations, en lieu et place des interpellations préventives, des stratégies d’empêchement et de toute approche répressive, et en renforçant le dialogue et la médiation avant, pendant et après les manifestations;
12.10. à reconsidérer l’usage des armes intermédiaires dans le cadre du maintien de l’ordre lors des manifestations, en réservant leur emploi à des unités spécialisées et correctement formées, et engager une réflexion sur une possible interdiction totale des lanceurs de balles de défense en maintien de l’ordre.

B. Exposé des motifs par M. Pierre-Alain Fridez, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 26 mai 2023, la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition de résolution intitulée «Mobilisation sociale, troubles sociaux et réaction de la police 
			(2) 
			Le terme «police» est
entendu dans ce rapport au sens fonctionnel du terme, c’est-à-dire
comme une mission, et non en son sens organique désignant les forces
diverses qui l’exercent. dans les États membres du Conseil de l’Europe: nécessité d’un nouveau contrat social?». La proposition lui a été renvoyée pour rapport et j’ai été désigné rapporteur le 25 mars 2024.
2. La proposition de résolution trouve son origine notamment dans les mobilisations sociales autour des projets de réforme des retraites en France en 2023. Cette réforme a suscité une mobilisation sociale qui a connu une rare ampleur et a été marquée par des violences à l’égard des manifestants et des forces de l’ordre. La réforme, validée par le Conseil constitutionnel, est passée en force grâce au recours par le Gouvernement français à l’article 49.3 de la Constitution.
3. Fidèle à la proposition de résolution, je prends donc comme point de départ les mobilisations sociales en France. Les exemples français présentent en effet des singularités à plusieurs égards: la récurrence et, parfois, la radicalisation des troubles sociaux et la violence de la réaction des forces de l’ordre. Je pars du postulat que cette dynamique est le révélateur d’un sentiment de déconnexion entre certaines franges de la population et le pouvoir ainsi que des difficultés structurelles à inscrire le dialogue dans un fonctionnement moins verticalisé. Il s'agit d'examiner les conditions d'un contrat social renouvelé qui motive les citoyens à se sentir et à agir comme des membres à part entière de la société.
4. Le rapport a également pour ambition d’explorer d’autres expériences nationales de mobilisations sociales pour illustrer que les défis de la France ne sont pas uniques. Ainsi, la Grèce a connu en 2023 un mouvement de protestation après la catastrophe ferroviaire de Tempi, marqué par des affrontements avec les forces de l’ordre et des critiques sur l’usage disproportionné de la force; aux Pays-Bas, en 2024, des manifestations pro-palestiniennes à Amsterdam ont donné lieu à des violences et des interpellations, suscitant un débat public sur la réponse policière et les équilibres à préserver dans un État de droit 
			(3) 
			Radio France International (RFI),
«Deux ans après la collision ferroviaire, la Grèce en colère proteste
massivement et dans la violence», 25 février 2025. Le Monde, «Les violences à Amsterdam
contre des supporteurs du Maccabi Tel-Aviv révèlent le désarroi
politique des Pays-Bas», 19 novembre 2024.. Il est apparu d'emblée, lors de la préparation de ce rapport, que la France n’avait pas le monopole des mobilisations sociales ni de l’utilisation de la force en cas de débordement, c’est un lieu commun. En revanche, il est apparu au fur et à mesure des recherches documentaires, des rencontres et des auditions que le rapport pouvait utilement se servir des modèles de gestion des manifestations et de dialogue social ainsi que des pratiques démocratiques dans différents États membres du Conseil de l’Europe dans la mesure où ceux-ci ont pour vertu d’apporter une piste de réflexion et d’amélioration. Je considère ces mécanismes, qu’il s’agisse de stratégies de dialogue et de désescalade dans la gestion des manifestations ou de pratiques de participation citoyenne et de politiques de proximité, comme étant de nature à renforcer la légitimité, l’autorité et la confiance dans les institutions et à prévenir les risques de polarisation sociale. Ils supposent en amont une réflexion sur les modes d’intervention étatiques que le rapport va tenter d’enrichir.
5. Le concept traditionnel de démocratie libérale est confronté dans tous les États membres à de multiples défis et partout la cohésion et le pluralisme sont menacés par la perte de confiance du public envers les institutions et les élus, par la polarisation d’une grande partie de la population et la remise en cause de la légitimité des institutions. J’espère que ce rapport pourra contribuer au processus de réflexion sur la dynamique sociale et politique actuelle et comment répondre au mieux au manque de connexion et à l’érosion de confiance entre les citoyens et les autorités, en particulier les forces responsables pour le maintien de l’ordre public.
6. Il s’agira in fine de dégager des pistes d’un mieux vivre ensemble qui s’alignent avec le Nouveau Pacte démocratique pour l’Europe annoncé par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.

2. Méthodes de travail et périmètre du rapport

7. Le rapport ne prétend pas offrir une analyse exhaustive des enjeux abordés. Les exemples analysés ont été choisis pour illustrer mes propos et faire passer certains messages.
8. Ce choix porte premièrement sur les mobilisations sociales étudiées. Par «mobilisations sociales», on entend généralement «un ensemble d’actions collectives concertées, visant à modifier ou défendre l’ordre social» 
			(4) 
			E.
Neveu, «Sociologie des mouvements sociaux», 2015.. Dans cette perspective, j’ai analysé cinq mobilisations sociales sur une période de six ans en France, et répondant à des typologies différentes. La première en ordre chronologique et en termes d’ampleur est le mouvement des Gilets jaunes: né en 2018 et centré initialement autour de la hausse des taxes sur le carburant automobiles, il a vite pris une dimension plus large en dénonçant les inégalités économiques et le sentiment de déclassement des classes populaires et moyennes. J’ai ensuite retenu les mobilisations lycéennes et étudiantes qui ont émergé en 2018 en réaction aux réformes du baccalauréat et de l'accès à l'enseignement supérieur. J’ai également pris en exemple les rassemblements autour de la «méga-bassine» de Sainte-Soline en 2023, infrastructure destinée au stockage d’eau pour l’agriculture. Enfin, la situation qui est la source de la proposition de résolution: la réforme des retraites de 2023, matérialisée par la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale («loi sur les retraites») qui a été à l’origine d’une contestation massive, dans tout le pays. En outre, et bien qu’il ne s’agisse pas d’une mobilisation sociale au sens strict, je me suis penché sur les émeutes urbaines qui ont éclaté au cours de l’été 2023, à la suite de la mort d’un jeune homme lors d'un contrôle routier.
9. Ce choix porte deuxièmement sur les acteurs rencontrés, tous «intérieurs», légitimes et essentiels dans un État de droit. J’ai été autorisé par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable à effectuer une visite d’information à Paris. Les 20 et 21 janvier 2025, j’ai rencontré des représentants des directions stratégique et d’inspection de la police et de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, la Défenseure des droits, des représentants de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), M. Sébastian Roché, sociologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste des questions de sécurité, de police et de confiance institutionnelle ainsi que des membres de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Le 6 mai 2025, j’ai rencontré des membres du Parlement français et des représentants des syndicats de police UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes) Police et Alliance Police Nationale. Je profite de mon rapport pour remercier chacune des personnes rencontrées et leurs intermédiaires qui ont rendu ces échanges de haut niveau possible (la liste figure en annexe).
10. J’ai aussi donné la parole à des jeunes qui ont été confrontés aux forces de l’ordre et sont venus témoigner. Le 7 mars 2025 
			(5) 
			AS/Soc (2025) PV02add., la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a auditionné à Paris une militante de l’association Action climat Justice (Paris) qui a été blessée par un tir de lors de mobilisations écologiques en 2023; des représentants de l’association Gett’Up qui est engagée sur les questions d’égalité, de citoyenneté et de justice sociale et œuvre pour l’autonomisation des jeunes issus des quartiers populaires; et des représentantes de l’association Droits dans les yeux animée par et pour des jeunes et dont l’objectif est de leur permettre de connaître et comprendre leurs droits. M. David Dufresne journaliste, écrivain et documentariste spécialisé dans les violences policières et les mouvements sociaux a également été auditionné.
11. Le choix est troisièmement commandé par mon souci de comprendre le fond du malaise. La visite d’information m’a donné l’opportunité d’écouter le point de vue des cadres de la gendarmerie et de la police ainsi que des syndicats de police dans leur vision du maintien de l’ordre et leurs attentes. Les interlocuteurs ont notamment insisté sur le fait que les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants sont rares et que la grande majorité des manifestations se déroulent de manière ordonnée et pacifique, un message auquel je suis très réceptif et que je souhaite transmettre comme un élément à garder à l'esprit.
12. Le plan du rapport s'articule autour des trois piliers du contrat social. Tout d’abord, le rapport questionnera la place du maintien de l’ordre en démocratie (symptôme de fractures structurelles). Ensuite, il se penchera sur des dispositifs qui renforcent le contrôle social tout accentuant la marginalisation (causes profondes des fractures). Enfin, le rapport explorera des pratiques institutionnelles susceptibles de renforcer la confiance citoyenne et de prévenir la polarisation (remèdes à la fracture).

3. Mobilisations et répression: symptômes d'une fracture structurelle du contrat social

13. Ce chapitre aborde plusieurs manifestations visibles et concrètes de la fracture du contrat social en France. Les mobilisations et autres formes de contestation sont des symptômes de la frustration sous la forme de réponses immédiates et visibles à des problèmes ressentis par une partie de la population. Les échanges que j’ai eus avec des représentants des forces de l'ordre, des syndicats de police, de l'exécutif et des membres du parlement ont montré que certains mouvements sociaux récents ont été marqués par l'émergence de «groupes de casseurs» organisés et venus pour générer de la violence contre les institutions ainsi que par un affaiblissement de l’encadrement des mobilisations, voire l’absence d’organisateur identifié 
			(6) 
			Assemblée
nationale française, «Rapport relatif à l’état des lieux, la déontologie,
les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre», n° 3786,
20 janvier 2021..
14. La manière dont l'État gère ces «tumultes», par le recours à des moyens forts, parfois violents, pour rétablir l'ordre est une autre manifestation tangible de cette rupture. Ce n’est pas la première fois que l’Assemblée parlementaire et d’autres instances du Conseil de l’Europe s’en inquiètent et se font le relais des préconisations de la société civile 
			(7) 
			Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, «Mémorandum sur le
maintien de l’ordre et la liberté́ de réunion dans le contexte du
mouvement des «gilets jaunes» en France», 26 février 2019, CommDH(2019)8,
et Déclaration «Manifestations en France: les libertés d’expression
et de réunion doivent être protégées contre toute forme de violence»
du 24 mars 2023. Résolution 2435 (2022) et Recommandation 2230 (2022)
de l'Assemblée «Combattre et prévenir l'usage excessif et injustifié
de la force par les forces de l'ordre», Résolution 2512 (2023) de
l’Assemblée «Le respect par la France des obligations découlant
de l’adhésion au Conseil de l’Europe».. Tout récemment, dans un arrêt du 27 février 2025, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’État français, sur le fondement du droit à la vie, pour les graves fautes qui ont conduit à la mort de Rémi Fraisse, militant écologiste tué par l’explosion d’une grenade offensive en 2014 
			(8) 
			Cour
européenne des droits de l’Homme, Fraisse
et autres c. France, requête n° 47626/21, 27 février
2025. Voir également: Boukrourou et autres
c. France, requête n° 30059/15, 16 novembre 2017 (violation
de l’article 2 au regard de l’obligation procédurale d’enquête effective), Chebab c. France, requête n° 542/13,
23 mai 2019 (violation de l’article 3 en raison de traitements inhumains
ou dégradants).. Parmi l’ensemble des sujets de préoccupations déjà exprimés, je voudrais en mettre deux en exergue à propos desquels j’espère que mes propositions feront consensus en France et au-delà.

3.1. Le choix des actes

15. Un constat s’impose: depuis la troisième mobilisation nationale des Gilets jaunes le 1er décembre 2018, qui a compté environ 136 000 manifestants selon le ministère de l'Intérieur et a été marquée par des affrontements violents avec les forces de l’ordre, nous assistons à une mutation de la doctrine du maintien de l’ordre. Historiquement fondée sur la mise à distance des manifestants, l’évitement du contact direct, et un usage strictement proportionné et exceptionnel de la force, cette doctrine a longtemps constitué un modèle de gestion démocratique des foules, dans un contexte où l’adhésion citoyenne aux institutions républicaines demeurait solide. Depuis quelques années, elle tend à être remplacée par une logique d’intervention plus rapide et offensive, structurée autour des principes de «mobilité, réactivité et fermeté» 
			(9) 
			Défenseure des droits,
Étude «Désescalade de la violence et gestion des foules protestataires.
Quelle(s) articulation(s) en France et en Europe aujourd’hui?»,
29 novembre 2021.. Cette évolution s’est accompagnée d’un élargissement des pratiques policières, initialement réservées aux contextes de violences urbaines, à l’ensemble des opérations de maintien de l’ordre 
			(10) 
			Rapport
relatif à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les
doctrines de maintien de l’ordre, op. cit..
16. J’ai choisi d’examiner un aspect emblématique de cette évolution qui est lié à l’utilisation croissante des armes intermédiaires (non létales) 
			(11) 
			Selon
les «Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits
de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite
dans le cadre de l’application des lois», publiées en 2020 par le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, les armes
non létales sont définies comme des armes conçues pour minimiser
le risque de décès ou de blessures graves. et en particulier du lanceur de balles de défense (LBD) 
			(12) 
			O. Fillieule et F.
Jobard, «Politiques du désordre, la police des manifestations en
France», 2020 p. 208 et s.. Le LBD est une arme qui utilise un «projectile conçu pour se déformer ou s'écraser à l’impact et limiter le risque de pénétration dans un corps vivant» destiné à «dissuader ou neutraliser une personne violente et/ou dangereuse avant utilisation de l’arme individuelle» 
			(13) 
			Ministère de l'Intérieur,
Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, n° 2014-10: Instruction
du 2 septembre 2014, Délégation à l’information et à la communication
du ministère de l’Intérieur, 2 septembre 2014.. «C’est au début des années 1990, que l'on voit apparaître ces armes intermédiaires, à la létalité réduite, c'est-à-dire qu'elles ne tuent pas à chaque fois. Progressivement, ces outils sont passés des unités spécialisées vers les BAC [Brigade anti-criminalité], à la faveur des phénomènes d'émeutes en banlieues. Leur usage a ensuite été étendu aux policiers de proximité en 2000, avant de se diffuser largement dans les unités de maintien de l'ordre» 
			(14) 
			Entretien
avec S. Roche, France Inter,
25 janvier 2019..
17. L’aspect «moins mortel» des LBD ne peut occulter le fait qu’ils présentent les caractéristiques d’armes de guerre et que leur usage en manifestation entraîne des lésions graves parfois irréversibles mutilantes voire mortelles 
			(15) 
			David
Dufresne recensait parmi les manifestants, au cours d'une opération
de police du 23 février 2019, un décès, 350 blessures graves, dont
50 journalistes, 37 mineurs ou lycéens, 13 passants et 13 médecins
des services de secours. Il a trouvé 198 blessures à la tête, 21
éborgnés et 5 mains arrachées (S. Roche, «LBD ou le chaos?», Revue Esprit, 2019/4).. Les manifestations des Gilets jaunes ont vu le recours à ces armes exploser en particulier par des unités non spécialistes du maintien de l’ordre. Sur la période couvrant le mouvement des Gilets jaunes, d’après l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) 13 460 tirs de LBD ont été dénombrés chez les policiers dont 15 % chez les CRS (compagnies républicaines de sécurité) et 85 % chez les effectifs de police urbaine. L’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) évaluait le nombre de tirs à un millier 
			(16) 
			Rapport Sénat n° 345
sur la proposition de loi visant à interdire l’usage des LBD, 20
février 2019, p. 16.. En 2023, le nombre de tirs de LBD recensés par l’IGPN s’élevait à 21 989 
			(17) 
			Selon un cadre de l’IGPN
rencontré lors de la visite d’information, le 21 janvier 2025..
18. Doter les forces de l’ordre de LBD et en particulier la police urbaine, et autoriser leur utilisation en gestion des manifestations sont des choix de nature politique. Les différences qui existent entre pays européens permettent de l’illustrer. Seules la France, la Pologne et la Grèce usent sans limite du LBD. En Espagne, toutes les régions l'utilisent, sauf la Catalogne, mais ils sont réservés à la gendarmerie. L'Irlande, les pays scandinaves, les Pays-Bas ou l'Autriche n'utilisent pas les LBD. D'autres pays, comme le Royaume-Uni, peuvent être amenés à les utiliser mais pas dans le cadre de manifestations 
			(18) 
			«Le vrai du faux», France Info, 21 mars 2019, «Non,
les lanceurs de balle de défense ne sont pas utilisés qu’en France».. En Suisse, la police cantonale bernoise les utilise lors de manifestations violentes, tandis qu'au sein de la gendarmerie vaudoise, seul le Détachement d'action rapide et de dissuasion l'utilise à de rares occasions en milieu carcéral ou pour la maitrise d'un forcené 
			(19) 
			«Une arme suisse et
ses blessures dans le viseur des ‘gilets jaunes’», RTS, 10 février 2019.. En Allemagne, l’équipement policier a exclu tout usage de grenades, y compris lacrymogènes. Le canon à eau y est privilégié. Les LBD sont exclus sauf dans deux Länder sur seize et sont réservés aux unités spéciales. Les organisations syndicales policières elles-mêmes y sont hostiles 
			(20) 
			F.
Jobard, L’art du désordre toléré. La police des manifestations en
Allemagne fédérale, Revue Savoir/Agir,
n° 55, mars 2021..
19. «Si on supprime les LBD, il y aura des morts par balles. Je préfère qu'un mec perde un œil, plutôt que de lui mettre une cartouche, en tirant une vraie balle» 
			(21) 
			France Inter, 17 janvier 2019, «Utilisation
de LBD: policiers et gendarmes dénoncent un mauvais procès».. Cet argument, avancé par certains syndicats, n'est étayé par aucune étude crédible 
			(22) 
			Institut
Rousseau, «Mettre fin à l’orientation répressive de la politique
de sécurité pour renouer la confiance entre les forces de l’ordre
et la population», 17 octobre 2024.. Il existe de nombreux rapports et propositions qui peuvent alimenter le débat et remettre en cause ces hypothèses. Depuis 2018, le Défenseur des droits recommande de retirer le LBD de la dotation des forces de l’ordre dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre 
			(23) 
			Défenseur des droits,
Rapport, «Le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie»,
10 janvier 2018. Voir également: «LDH, Usage des armes: Note d’analyse
et propositions», 2023.. En 2021, l’Assemblée nationale française recommandait d’interdire le recours au LBD lors de mouvements de foule, sauf exception 
			(24) 
			Rapport relatif à l’état
des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien
de l’ordre, op. cit.. En 2019, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait pris le relais 
			(25) 
			CommDH(2019)8, op.
cit.. En 2024, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a recommandé «[de] réexaminer l’opportunité d’autoriser les forces de l’ordre à utiliser des armes intermédiaires pour assurer le maintien de l’ordre lors des manifestations, en particulier des grenades explosives et des lanceurs de balles de défense» 
			(26) 
			«Observations finales
concernant le sixième rapport périodique de la France» sur le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, adoptées
le 4 novembre 2024 (CCPR/C/FRA/CO/6).. De fait, la quasi-totalité des interlocuteurs de la société civile et experts rencontrés lors de la visite d’information partagent le même constat: au-delà du problème de la formation à l’utilisation des LBD, qui reste très largement insuffisante pour les forces non spécialisées principales utilisatrices 
			(27) 
			Défenseur
des droits, «Rapport sur trois moyens de force intermédiaire: le
pistolet à impulsions électriques de type Taser x26®, le Flash-Ball
superpro®, le lanceur de balles de défense 40x46», 2013. O. Fillieule
et F. Jobard, «Politiques du désordre, la police des manifestations
en France», 2020, p. 199 et s., c’est l’emploi même de cette arme dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre qui pose question: «arbitraire et dangereux, son emploi en manifestation est contre-productif». Cela tient à ses caractéristiques techniques – il s’agit d’une arme imprécise dont l’issue d’une utilisation lors de mouvements de foule est plus qu’imprévisible.

3.2. Le choix des mots

20. J’ai pris connaissance de la réflexion lancée par plusieurs États membres du Conseil de l’Europe sur la désescalade (projet GODIAC) qui place le dialogue et l’absence d’usage indiscriminé de la force au cœur du maintien de l’ordre. Ces choix ne s’expliquent évidemment pas parce que ces pays ne connaissent pas de violences lors des manifestations mais par leur conception évolutive de la relation entre forces de l’ordre et population et du rôle de la police en démocratie 
			(28) 
			Au cours des émeutes
de 2011 à Londres, déclenchées par le décès de Mark Duggan causé
par un tir de policier, les responsables policiers ont décidé de
ne pas utiliser des LBD. Pareillement, confrontés à des violences
importantes lors du G8 à Rostock en 2007 (Allemagne), la CDU et
le syndicat majoritaire des policiers allemands se sont opposés
à leur réintroduction.. Dans le cadre de ce projet, la police est conçue comme un acteur favorisant une relation de confiance avec la population pour préserver la dimension démocratique du droit de manifester et réduire le niveau global de violences. Le modèle qui en émerge met en avant quatre concepts: la connaissance des groupes protestataires, la facilitation du déroulement des manifestations pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs légitimes, la communication à tous les moments de la manifestation, et la différenciation permettant de traiter individuellement les personnes posant problème 
			(29) 
			GODIAC, projet européen
de bonnes pratiques permettant de consacrer le dialogue et la communication
en tant que principe stratégique de l’encadrement des manifestations
politiques en Europe. De 2010 à 2013 la police suédoise a animé
ce projet avec l’Autriche, l’Allemagne, Chypre, la Hongrie, la Roumanie,
le Royaume-Uni, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal,
et la République slovaque (Défenseure des droits, Étude. «Désescalade
de la violence et gestion des foules protestataires. Quelle(s) articulation(s)
en France et en Europe aujourd’hui?», op. cit)..
21. Force est de constater que, malgré les annonces présidentielles devant l’Assemblée 
			(30) 
			Discours
du Président Emmanuel Macron devant l'Assemblée, 1 octobre 2019. et une révision du schéma national du maintien de l’ordre en 2020 qui a permis notamment le retrait des grenades à effet explosif de l’arsenal 
			(31) 
			Schéma national du
maintien de l'ordre – version de décembre 2021 (www.legifrance.gouv.fr/circulaire)., les pratiques observées en France depuis quelques années ne semblent pas être basées sur une stratégie de désescalade mais tendent plutôt à faire monter les tensions en amont en anticipant souvent la manifestation comme un espace de conflit plutôt que comme un espace légitime d’expression démocratique.
22. La gestion de la mobilisation opposée à la méga-bassine à Sainte-Soline en mars 2023 dans le but d’empêcher l’accès au site est emblématique. Au lieu d'adopter une approche de communication visant à assurer le caractère pacifique des manifestations conformément aux bonnes pratiques recommandées par le Conseil de l’Europe et les Nations Unies 
			(32) 
			Lignes
directrices conjointes sur la liberté de réunion pacifique adoptées
en 2015, Bureau des institutions démocratiques et des droits de
l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE/BIDDH) et Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise). Rapport conjoint du Rapporteur
spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association
et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires
ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements, Conseil
des droits de l’homme, 4 février 2016, A/HRC/31/66. M. O’Boyle et
J-C. Vullierme, «Bases du maintien de l’ordre lors de rassemblements
publics – Guide à l’intention des praticiens», Conseil de l’Europe,
2021., un ministre qualifiait, bien en amont de la mobilisation, les militants environnementaux d'«écoterroristes», et annonçait des scènes dignes d’une guerre. Ce discours, constaté dans d’autres pays européens, a été critiqué par Michel Forst, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l'environnement au titre de la Convention d'Aarhus 
			(33) 
			Rapporteur spécial
des Nations Unies sur les défenseurs de l'environnement au titre
de la Convention d'Aarhus, Papier de positionnement, «Répression
par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales: une
menace majeure pour les droits humains et la démocratie», publié
en février 2024, mentionne l'Autriche, la France, l'Allemagne, l'Espagne,
la Suède et le Royaume-Uni.. La suite des événements à Sainte-Soline telle que relatée dans un rapport établi par les observatoires des libertés publiques et des pratiques policières relève qu’«avant même l’arrivée des manifestant·e·s aux abords du chantier (…), des binômes de gendarmes armés et coiffés de casques de moto, montés sur 20 quads sont venus au contact des cortèges. (…), l’engagement de la force a bien été décidé à l’encontre des cortèges (…) en l’absence d’acte d’hostilité de leur part, et ce sans sommation.». On y relève également l’emploi indiscriminé sur 30 000 manifestants de 5 015 grenades lacrymogènes, 89 grenades de désencerclement, 40 dispositifs déflagrants, 81 tirs de LBD sur une période de deux heures, témoignant d’une intensité exceptionnelle et d’un usage immodéré du recours à la force 
			(34) 
			Rapport
final et synthèse, Sainte-Soline, 24-26 mars 2023, «Empêcher l’accès
à la bassine quel qu’en soit le coût humain». La militante écologique
auditionnée par la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable a témoigné de cette même démesure à
la Rochelle en 2023..
23. Bien entendu, il existe au sein de ces manifestations des groupes violents qui cherchent à tout prix à en découdre avec les forces de l’ordre. Les autorités elles-mêmes observent néanmoins que ces agissements sont le fait d’une infime minorité 
			(35) 
			Assemblée nationale,
Question écrite n° 8734: «Emploi des forces de police pendant les
manifestations», question publiée au Journal Officiel du 29 mai
2018 et réponse au Journal Officiel du 6 novembre 2018.; mais aussi qu’ils seraient plus efficacement gérables si les forces de l'ordre adoptaient une approche plus collaborative avec les organisateurs et les participants. La Commission d'enquête de l'Assemblée nationale française sur les violences en marge des manifestations du printemps 2023 va clairement dans ce sens. Parmi des mesures renforçant l’arsenal répressif, elle préconise le renforcement de la communication avec les cortèges, la coopération accrue avec les organisateurs et une formation approfondie au maintien de l'ordre pour les unités non spécialisées 
			(36) 
			Commission d’enquête
de l’Assemblée nationale française sur la structuration, le financement,
les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de
violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre
le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces
manifestations, 7 novembre 2023..
24. De nouvelles approches de psychologie des foules ont en effet émergé qui suggèrent des stratégies policières fondées sur un modèle interactionniste qui n’oppose pas police et manifestants mais inclut la police dans l’analyse. Ces approches aident les polices à percevoir leur action du point de vue des manifestants, fournissant des clés permettant de prévenir les escalades de violence. C’est sur ces fondements et à partir de l’expérimentation par plusieurs pays européens qu’a été développé le modèle GODIAC précité 
			(37) 
			«Désescalade de la
violence et gestion des foules protestataires. Quelle(s) articulation(s)
en France et en Europe aujourd’hui?», op. cit.. Le cadre de référence belge est l’un des exemples les plus aboutis aujourd’hui en Europe de développement de ce modèle. La Belgique a choisi d’abandonner, à partir des années 2000, la notion de maintien de l’ordre pour adopter celle de «gestion négociée de l’espace public». Concrètement, prenant acte de la conflictualité inhérente aux relations entre groupes sociaux, les autorités belges ont prôné le rôle policier comme un accompagnement des manifestations dans une perspective de gestion des risques. La police doit agir en tiers médiateur et trouver pour chaque événement d’ordre public un équilibre entre les exigences et les intérêts individuels et collectifs de toutes les parties prenantes. Cette transformation doit beaucoup à une ouverture du monde de la police à celui de la recherche en sciences sociales 
			(38) 
			«Gestion
des foules: des pratiques en constante mutation» (www.police.be)..

4. Relations avec les jeunes des quartiers populaires: racines d’une fracture du contrat social

25. Ce chapitre se concentre sur les jeunes des quartiers «populaires» (au sens où ces quartiers présentent de fait un profil social nettement défavorisé). En suivant l’approche choisie pour ce rapport, j’ai fait le choix d’explorer, au départ de la situation en France, l’interaction entre la police et ces publics et leurs représentations réciproques. J’ai bien conscience que la désillusion vis-à-vis de l’école, l’enfermement des jeunes dans les territoires «périphériques», la défaillance des services publics dans les quartiers, et le rôle des réseaux sociaux dans la perception des représentations constituent des facteurs de contexte importants à l’origine du sentiment d’impuissance et du recours à la violence comme mode d’expression dans les «quartiers» 
			(39) 
			CNCDH, «Avis sur Violences
urbaines, périphéries et accès aux droits», 19 décembre 2024. même si leur analyse dépasse le périmètre du rapport.
26. Cette problématique s’est inscrite à l’agenda politique de nombre d’États membres 
			(40) 
			T.
R Tyler, Y. J Huo, «Trust in the law: encouraging public cooperation
with the police and courts», New York, Russell Sage Foundation,
2022; M. Hough, J. Jackson, B Bradford, «La légitimité de la police:
conclusions de l’Enquête Sociale Européenne», Cahiers de la sécurité
et de la justice, 2014, 27-28, p. 154-170.. En France, j’ai constaté un décalage entre une forte pression réformatrice et une inertie structurelle 
			(41) 
			J.
de Maillard, M. Rowe, et K. Verfaillie, «Police Stops in Europe:
A Citadel Under Siege, But Still Standing», dans The Politicization of Police Stops in Europe
– Public Issues and Police Reform, Palgrave’s Critical Policing
Studies, 2024, p. 1 et s.. Ici aussi, je considère que le lien de confiance entre autorités et populations est un élément clé pour construire autour des pistes d’amélioration que j’estime réalistes et recevables. En effet, ces pistes, examinées en perspective comparée avec d’autres États membres, émergent d’enquêtes menées auprès des agents des forces de l’ordre eux-mêmes et ont trouvé un certain écho lors de mes discussions avec les représentants du ministère de l’Intérieur et des syndicats de police.

4.1. Le choix des actes 
			(42) 
			Parmi
l’abondante documentation: J. de Maillard, C. Gayet, S. Roché, M. Zagrodzki,
«Les relations entre la population et les forces de l’ordre. Un
état des lieux en France», dans Observatoire national de la politique
de la ville, Bien vivre dans les quartiers prioritaires. 2020. W.
Bourdon et V. Brengarth, «Violences policières, le devoir de réagir»,
2022.

27. En 2018, la France a été le théâtre de mobilisations étudiantes en réaction à la réforme du baccalauréat et de l’accès à l’enseignement supérieur critiquée notamment pour les inégalités des chances et les discriminations qu'elle pouvait générer. 
			(43) 
			France culture, LSD, la série documentaire,
«Mantes-la-Jolie, des lycéens à genoux», 8 octobre 2019. Ces craintes ont conduit à des manifestations, des blocages de lycées, des actes de violences et des affrontements avec les forces de l'ordre. Le 6 décembre 2018, à Mantes-la-Jolie (Yvelines), environ 150 jeunes, principalement lycéens, âgés de 12 à 21 ans ont été interpellés à la suite de violences commises en marge de blocage de lycées. Un policier a filmé la scène montrant des rangées d’élèves à genoux, mains sur la tête, sous la surveillance de policiers casqués et armés. On y entend le policier déclarer «Voilà une classe qui se tient sage», phrase devenue emblématique de ces événements. La scène, dont la capture a circulé de manière virale, a choqué tant l’opinion publique que le monde politique de tout bord 
			(44) 
			FranceInfo,
7 décembre 2018, «Des lycéens à genoux, mains sur la tête: ce que
l'on sait de l'interpellation collective de 151 adolescents à Mantes-la-Jolie,
dans les Yvelines».. Si les réseaux sociaux ont très probablement joué un rôle dans l'amplification de la situation en ignorant le contexte général, pour nombre de jeunes des quartiers, ces interpellations ont symbolisé un traitement injuste, excessif et humiliant et constitué un point de bascule. «J’étais lycéen à Mantes-la-Jolie en 2018. Cet épisode nous a forgés.» «Cet événement a marqué ma vie et mon engagement.» 
			(45) 
			Paroles recueillies
lors des auditions du 7 mars 2025, AS/Soc (2025) PV02add.. L’enquête administrative de l’IGPN entamée à l’encontre des agents impliqués dans la gestion de l’interpellation a été classée sans suite en 2019, tandis que l’information judiciaire initiée sur plainte avec constitution de partie civile a mené à une ordonnance de non-lieu en avril 2025. Les conclusions sont à peu près identiques: les pratiques de maintien de l’ordre utilisées poursuivaient un but légitime et étaient nécessaires et proportionnées.
28. Les violences urbaines qui ont eu lieu du 27 juin au 7 juillet 2023 après la mort de Nahel Merzouk – un jeune homme tué par un officier de police lors d'un contrôle d’identité routier à Nanterre – ont également marqué les esprits par leur ampleur et leur intensité. 750 communes touchées, 50 000 émeutiers dans la rue dont une majorité de jeunes, 45 000 membres des forces de l’ordre mobilisés, un bilan humain dramatique (deux décès et un millier de blessés surtout parmi les forces de l’ordre), et des dégradations matérielles très lourdes. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les émeutes 
			(46) 
			Enquête menée par la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d’administration générale du Sénat, «Émeutes
de juin 2023, Comprendre, évaluer, agir», Sénat, rapport d’information n° 521
(2023-2024), 2024. note «l’existence d’une colère, violemment exprimée à l’encontre des institutions et des représentants de l’autorité publique» et nourrie «par un sentiment de relégation sociale, tenant à un désencrage, subi ou entretenu, entre les émeutiers et le reste de la population» sans compter l’incidence de l’effet de groupe et le rôle des réseaux sociaux. Le rapport conclut par des préconisations axées sur le renforcement de la sécurité et des sanctions à l’égard des manifestants. Fait nouveau souligné au cours des échanges avec la CNCDH et la Défenseure des droits, ces mobilisations n’ont été suivies d’aucune mesure portant sur les causes profondes de ces violences. La seule réaction d’ordre structurel est la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents. Motivée par le sentiment qu’«une partie de nos adolescents glisse, lentement, vers une forme d’isolement, d’individualisme, et parfois même vers le pire: vers une forme de violence déchaînée, décomplexée, sans règle», elle vise notamment à inciter les parents à assumer davantage leurs responsabilités 
			(47) 
			La proposition a été
adoptée par le Sénat, le 26 mars 2025 (Dossier législatif – <a href='https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-343.html'>Aménager
le code de la justice pénale des mineurs et la responsabilité parentale»
– Sénat</a>)..
29. En filigrane de ces tensions entre les jeunes des quartiers et les forces de l’ordre, la pratique du contrôle d’identité constitue l’« abcès de fixation» le plus visible 
			(48) 
			C. Lazerges, «Pour
une politique criminelle de lutte contre les contrôles d’identité
discriminatoires», Revue de science criminelle et de droit pénal
comparé, janvier-mars 2017, p. 173.. «La première fois que je me suis fait contrôler, j’avais dix ans. La dernière fois, c’était il y a trois jours». «Par rapport à l’ensemble de la population et toutes choses égales par ailleurs, les jeunes hommes qui sont perçus comme arabes/maghrébins ou noirs ont une probabilité 20 fois plus élevée d’être contrôlés que les autres» 
			(49) 
			Défenseur des droits,
«Enquête – Inégalités d’accès aux droits et discriminations en France»:
Tome 1 (2017) et tome 2 (2020), La Documentation française. Chaque
année, le Défenseur des droits rend des décisions sur des plaintes
en manquement déontologique liées à des contrôles d’identité discriminatoire
(voir en dernier lieu le rapport d’activité 2024, p. 83)..
30. Pourtant encadrée par le Code de procédure pénale qui exige qu’elle soit motivée par des éléments objectifs de suspicion, les éléments statistiques et les enquêtes de terrain confirment que la pratique des contrôles d’identité touche disproportionnellement les jeunes hommes noirs et arabes, ou perçus comme tels, vivant dans les quartiers populaires, ce qui est interprété par de nombreux observateurs comme un profilage ethnique 
			(50) 
			F. Jobard (Open Society
Justice Initiative), « Mesurer les discriminations selon l’apparence:
une analyse des contrôles d’identité à Paris », dans Population,
2012. Human Rights Watch, «Ils nous parlent comme à des chiens:
Les contrôles de police abusifs en France», 2020. «France: Mettre
fin aux contrôles d’identité discriminatoires nécessite des réformes
profondes». Observatoire des inégalités, «Des contrôles de police
très inégaux selon la couleur de la peau», 2021. Amnesty International,
«Contrôles au faciès en France: le combat continue», décembre 2024.. Le 9 avril 2025, la Défenseure des droits a publié les résultats d’une enquête de terrain en région parisienne et a affirmé qu’ils démontrent qu’il existe, au sein de la police nationale, une politique institutionnelle qui vise à évincer de l’espace public parisien des catégories de population définie par l’institution policière comme «indésirables», sur la base de leur âge, genre, assignation ethnoraciale et précarité économique 
			(51) 
			Défenseure
des droits, «Éclairages, Amendes, évictions, contrôles: la gestion
des ‘indésirables’» par la police en région parisienne», avril 2025..
31. Les contrôles à répétition, perçus comme discriminatoires et humiliants, ainsi que la multi-verbalisation, alimentent une rancœur face aux forces de l’ordre, celles-ci subissant en retour un nombre croissant d’outrages et de rébellions. En 2023, le Conseil d’État admettait que les contrôles discriminatoires n’étaient pas des «cas isolés», tout en ne revêtant pas de «caractère systémique et généralisé» 
			(52) 
			Conseil d’État, Décision
n 454836, Amnesty International France et autres, 11 octobre 2023., tandis qu’un rapport de 2024 de la Cour des comptes faisait le constat d’une pratique massive peu encadrée et aux «finalités à préciser»: 47 millions de contrôles en 2021 dont 94 % ne débouchent sur aucune interpellation 
			(53) 
			Cour
des comptes, «Les contrôles d’identité: Une pratique généralisée
aux finalités à préciser», 6 décembre 2023.. Notre Assemblée et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dénoncent ces pratiques depuis des années 
			(54) 
			Assemblée, rapport
intitulé «Le respect par la France des obligations découlant de
l’adhésion au Conseil de l’Europe», Doc. 15833, 25 septembre 2023,
par. 132. ECRI, rapport sur la France (sixième cycle de monitoring),
2022, par. 113.. En 2024, devant le Comité des droits de l'homme des Nations unies, qui se préoccupait de ces allégations de profilage par les forces de l’ordre 
			(55) 
			Comité des droits de
l’homme, CCPR/C/FRA/CO/6, op. cit., par. 12 et 13., les représentants français ont affirmé que «tout profilage ethnique ne saurait exister au sein de notre République» 
			(56) 
			Compte-rendu de la
séance du 23 octobre 2024 entre les experts membres du Comité et
la délégation française..

4.2. Le choix des mots

32. «Ma première expérience avec la police remonte à mes 15 ans. J’ai été giflé. Je n’ai pas porté plainte, je ne savais rien de mes droits. On nous considère comme des nuisibles, des ennemis. On ne sait même pas comment communiquer avec les policiers pour clarifier leurs attentes en cas de mésentente » 
			(57) 
			Paroles recueillies
lors des auditions du 7 mars 2025, AS/Soc (2025) PV02add, confortées
par les témoignages recueillis par la CNCDH, «Avis sur les rapports
entre police et population: rétablir la confiance entre la police
et la population», 11 février 2021.. Du point de vue des jeunes rencontrés, l’incompréhension est profonde: en première instance, ils cherchent à savoir quelle attitude adopter avec la police lors d’un contact négatif avec elle, comme un énième contrôle d’identité. Côté forces de l’ordre, outre que le contrôle sert objectivement à lutter contre la délinquance, l’incompréhension face au déclin du «respect de l’institution» qu’elles représentent est tout aussi profonde. Cette déconnexion tient en partie à un déficit de formation que les intéressés sont les premiers à reconnaître: les jeunes recrues, envoyées en première ligne dans les quartiers, ne sont pas informées des effets des biais cognitifs et discriminatoires, ignorent le plus souvent les spécificités des territoires sur lesquels elles patrouillent et se retrouvent rapidement dans une position de confrontation et exposées à des tensions (injures et agressions verbales) 
			(58) 
			Défenseure des droits,
Étude «Déontologie et relations police-population: les attitudes
des gendarmes et des policiers», février 2024..
33. Cette asymétrie de points de vue n’est pas propre à la France. Dans la quasi-totalité des pays européens, incidents critiques, éléments de recherche provenant par les organisations non gouvernementales, mobilisation des organismes indépendants de défense des droits humains ont contribué à en prendre conscience et à faire des contrôles un objet du débat public. Ces mobilisations ont conduit à des réformes dans la législation et les politiques policières à des degrés plus ou moins significatifs selon la pression exercée par la société civile sur les acteurs politiques 
			(59) 
			«Police
Stops in Europe: A Citadel Under Siege, But Still Standing», op.
cit. «Les contrôles policiers en Europe: des contestations récurrentes,
des réformes limitées», Revue Futuribles n°
459 (mars-avril 2024)..
34. Les récépissés qui contiennent des informations sur le contexte du contrôle, la base juridique, les raisons spécifiques du contrôle et son résultat, sont une réforme courante pour analyser les modèles de pratique et identifier les préjugés. Au Royaume-Uni, la réflexion a commencé en 1981 à la suite des émeutes de Brixton, l’utilisation massive des contrôles (stop and search) pour fouiller les jeunes hommes noirs ayant été identifiée comme l’une des causes immédiates des désordres. La loi a commencé par exiger que la police enregistre ses contrôles et rende les données disponibles aux personnes contrôlées. En 2014, un autre train de réformes a entraîné une révision des textes régissant la suspicion raisonnable, la suppression des objectifs individuels des agents en matière de contrôle, une révision de la formation en matière de contrôle et l’introduction d’une formation sur les préjugés raciaux inconscients 
			(60) 
			Home
Office, «Guidance User guide to police powers and procedures» (mis
à jour le 27 février 2025).. En Angleterre, entre 2008-2009 et 2018-2019, le nombre de contrôles enregistrés a été divisé par six (d’environ 1 500 000 à moins de 300 000). L’approche britannique a inspiré le projet Strategies for Effective Police Stop and Search (STEPSS) lancé en 2007 pendant 22 mois dans huit sites en Espagne, en Hongrie et en Bulgarie et qui visait à lutter contre le profilage ethnique lors des contrôles d’identité en introduisant entre autres, l’obligation de remplir un formulaire de contrôle 
			(61) 
			Open
Society Justice Initiative «The Recording of Police Stops and Toolkit
for the Analysis of Police Identifications», 2020..
35. En France, la Défenseure des droits, la CNCDH et les organisations non gouvernementales, suivies par la Cour de cassation 
			(62) 
			Le 9 novembre 2016,
la Cour de cassation a condamné l’État français pour «faute lourde»
lors de trois contrôles d’identité discriminatoires (arrêts nos 15-24.212,
15-25.210 et 15-25.873). La Cour de cassation a toutefois considéré
que les allégations de discrimination formulées par les requérants
n’étaient pas suffisamment étayées et que, en l’absence de preuve
du caractère discriminatoire des contrôles d’identité, la responsabilité
de l’État ne pouvait être engagée. Une requête est pendante devant
la Cour européenne des droits de l’homme sous l’angle de l’article
14 (discrimination) combiné avec l’article 8 de la Convention (vie
privée) (Seydi et autres c. France, requête n° 35844/17 communiquée
le 6 octobre 2021)., ont réussi à porter le sujet des contrôles d’identité dans le débat politique. Ces campagnes ont donné des résultats avec le déploiement de caméras-piétons au sein des forces de l’ordre, la généralisation du port du matricule d’identification 
			(63) 
			Nouveau
Schéma national du maintien de l’ordre précité., et l’introduction d’un mécanisme de plaintes en cas de comportement inapproprié des agents des forces de l’ordre. Toutefois, ce satisfecit n’est pas suffisant. Sans compter que l’activation des caméras est à la discrétion des agents, que les plaintes sont déposées entre les mains de services d’inspection composés de policiers ou de gendarmes et que le port effectif et la visibilité du matricule ne sont pas assurés, la traçabilité des contrôles et leur suivi continuent à faire défaut 
			(64) 
			M. Boutros,
«Contrôles au faciès in France: From Denial to Recognition to Inaction», The Politicization of Police Stops in Europe
– Public Issues and Police Reform, Palgrave’s Critical Policing
Studies, op. cit., p. 123 et s.. Notre Assemblée, l’ECRI et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies recommandent la mise en place d’un système efficace de traçabilité et de suivi pour profiler les discriminations, garantir que la police rende compte de ses actes et renforcer la confiance envers la police 
			(65) 
			Assemblée, Résolution 2364
(2021) «Le profilage ethnique en Europe: une question très préoccupante».. Malgré les promesses de campagne présidentielle et la pression des juridictions, ces réformes bloquent: en 2025, les autorités françaises ne sont pas en mesure de donner le nombre de contrôles d’identité réalisés, les lieux et moments de ces contrôles, et les populations affectées. Quant à la formation, elle est limitée à quelques heures de théorie et la remise du code de déontologie où le mot «citoyen» apparaît pour la première fois à la page 10 et le mot «dialogue» est absent 
			(66) 
			Code de déontologie
de la police nationale et de la gendarmerie nationale (2014)..
36. Un autre axe d’amélioration mérite toute l’attention à la lumière d’un courant de recherche très dynamique dans les pays anglo-saxons celui dit de la «justice procédurale». Ce courant part du postulat que la légitimité des forces de l’ordre repose davantage sur leur modus operandi (écoute, respect, communication, disponibilité) visant la prévention de la délinquance par la connaissance des habitants et des enjeux locaux davantage que sur les résultats chiffrés de l’action policière elle-même 
			(67) 
			R. Lévi, «La police
française à la lumière de la théorie de la justice procédurale», Déviance et société, 2016, 40-2, p. 139-164..
37. Ce qui m’intéresse particulièrement, en tant que rapporteur, c’est que, bien que ce concept ne soit pas bien connu en France, la réflexion sur la justice procédurale est à l’origine des politiques publiques visant à une meilleure insertion de la police dans le milieu social – comme la police de proximité «gardienne de la paix» qui, elle, est plébiscitée en France 
			(68) 
			Rapport d’information
du Sénat, « Un nouveau pacte de solidarité pour les quartiers »,
30 octobre 2006; CNCDH, «Avis sur les rapports entre police et population:
rétablir la confiance entre la police et la population», 11 février
2021, «Avis relatif aux rapports entre police et population», 19
octobre 2023, et «Avis sur Violences urbaines, périphéries et accès
aux droits», 19 décembre 2024; Institut Rousseau, « Mettre fin à
l’orientation répressive de la politique de sécurité pour renouer
la confiance entre les forces de l’ordre et la population», 17 octobre
2024.. Sa disparition progressive à partir de 2003 étant vue comme ayant participé à la dégradation de la relation entre la police et la population, il semble réaliste d’envisager de réinstaurer une police de proximité en parallèle de la police d’intervention pour rapprocher la police de la population dans les quartiers qui en ont besoin. Les expériences menées dans plusieurs États membres ont démontré que la police de proximité, par son ancrage territorial, sa présence visible et le développement de partenariats locaux, permettait de prévenir les tensions et de mieux répondre aux attentes locales en matière de sécurité et de dialogue 
			(69) 
			Örebro University,
School of Humanities, Education and Social Sciences, «Mutual trust
– Community policing as a trust-building method in a Swedish police
context», 2020. Centre suisse de compétence pour les droits humains,
«Des pratiques policières conformes aux droits humains», 2022..

5. Déconnexions dans le processus démocratique: consolidation du contrat social

38. «La démocratie n’est pas le consensus mais le dissensus» 
			(70) 
			M. Chemillier-Gendreau,
«Régression de la démocratie et déchainement de la violence», 2019.. Les élections libres, la séparation des pouvoirs, le multipartisme sont des moyens nécessaires de la démocratie mais ils ne garantissent pas à eux seuls une démocratie réellement vivante. Ce chapitre propose d'examiner comment certaines dynamiques d’un modèle de gouvernance démocratique plutôt vertical, peuvent nourrir un sentiment de déconnexion entre le sommet de l’État et la société. Deux facteurs apparaissent particulièrement structurants à cet égard. D’une part, une tendance à considérer l’acte de manifester non plus comme une contribution légitime au pluralisme démocratique 
			(71) 
			En suivant la pensée
de P. Rosanvallon, Les institutions invisibles.
Une histoire de la légitimité démocratique, 2024., mais comme une perturbation de l’ordre public, ce qui peut encourager l’émergence de formes alternatives de contestation, parfois violentes. D’autre part, une forte centralisation du pouvoir. Si ce modèle présente des avantages certains – notamment une capacité d’incarnation claire de l’État, de projection d'une vision à long terme et d’arbitrage entre intérêts divergents –, il révèle aussi des limites, en particulier en matière de l’espace accordé aux contre-pouvoirs, au débat public et au dialogue social. Sur la base de ces constats, je me suis attaché à explorer des exemples de gouvernance plus horizontaux, qui, loin de remettre en cause la démocratie représentative, la complètent en ouvrant des espaces de délibération plus inclusifs et pluralistes, contribuant ainsi à apaiser les relations entre citoyennes, citoyens et institutions dans le cadre d’un dialogue démocratique renforcé.

5.1. Le choix des actes

39. La manifestation revêt en France une importance particulière: elle constitue non seulement un mode d’expression politique, mais aussi un véritable rite social, profondément inscrit dans les relations entre les citoyennes, les citoyens et l’État 
			(72) 
			En 1986, le projet
de loi visant à introduire plus de sélection à l’entrée des universités
a été retiré après des semaines de manifestations étudiantes, notamment
après la mort de Malik Oussekine. En 1995, une mobilisation massive a
conduit au retrait du plan Juppé sur les retraites. En 2006, les
manifestations étudiantes et syndicales ont fait reculer le gouvernement
sur le contrat première embauche.. La rue a ainsi, à plusieurs reprises, su infléchir les décisions gouvernementales et contribuer à l’élargissement du débat public. Toutefois, si la capacité d’émergence spontanée de mobilisations reste vive, il apparaît que, depuis 2016 
			(73) 
			La
loi travail proposait des mesures facilitant les licenciements économiques
et la primauté des accords d'entreprise sur les accords de branche,
notamment en matière de temps de travail., l'intégration de cette expression dans un processus démocratique pleinement inclusif tend à s'éroder, au profit d'une montée de la conflictualité sociale.
40. Le mouvement des Gilets jaunes, déclenché le 17 novembre 2018 en réaction à la hausse de la taxe carbone sur les carburants, a constitué l’une des mobilisations les plus marquantes. Dès sa première journée d’action, environ 287 000 personnes se sont mobilisées sur tout le territoire à travers plus de 2 000 points de blocage. Les manifestations («actes»), organisées chaque samedi, se sont poursuivies en continu pendant 60 semaines 
			(74) 
			P. Blavier, «Les Gilets
jaunes: un moment populiste?», Esprit,
février 2019.. Ces mobilisations rassemblaient des individus de la «France invisible» qui «vit en périphérie à défaut de moyens de vivre en métropole et refusant de vivre dans les banlieues proches»  
			(75) 
			M. Gauchet,
«Macron, les leçons d’un échec – Comprendre le malheur français
II», 2021., et pour qui la voiture est indispensable pour aller au travail. La première réponse du gouvernement a été un train de mesures sociales le 10 décembre 2018 financé par un budget de 10 milliards d’euros. Ce plan, perçu comme un achat de la paix sociale sans rien changer au fond, a eu l’effet inverse de celui escompté. Le traitement sécuritaire, évoqué ci-dessus, ainsi que le traitement judiciaire préventif et pénalisant des manifestations (10 000 interpellations et 3 100 condamnations 
			(76) 
			Assemblée nationale
française, «Rapport d’information sur le maintien de l’ordre en
France» (n° 2252, décembre 2019).) ont également renforcé le ressentiment. Les mobilisations ont bénéficié d’un grand soutien populaire et se sont, au total, étalées sur 17 mois jusque début 2020.
41. J’ai été frappé, moins par l’absence de structuration partisane ou syndicale, que par le refus des Gilets jaunes de représentation et surtout de dialogue avec le pouvoir comme s’ils s’étaient installés d’emblée dans la défiance et conviction que désigner un représentant et négocier étaient le moyen sûr de perdre et que la seule issue était d’instaurer un rapport de force avec le gouvernement. L’absence de programme est également frappant, même si, au final, les observateurs s’accordent à voir des mots d’ordre fédérateur dans la demande de «vivre dignement de son travail» et d’une «société plus horizontale».
42. Dans un genre complètement différent, le mouvement social contre la réforme des retraites en 2023 est tout aussi emblématique. Au début du processus, le projet systémique de réforme par points porté en 2019 par le gouvernement avait donné lieu à un dialogue nourri avec les syndicats. La CFDT que j’ai rencontrée n’était pas opposée au principe d’une réforme tout en posant des lignes rouges, notamment le refus du report de l’âge légal. Mis entre parenthèses pendant la pandémie, le projet a été relancé en 2023 sous la forme d’une réforme paramétrique d’ajustement budgétaire avec un décalage de l'âge légal de 62 à 64 ans. Contrairement à 2019, ce nouveau projet a été élaboré sans véritable négociation avec les organisations syndicales, qui ont unanimement rejeté le texte, y compris la CFDT. Ce rejet s’est accompagné d’un soutien massif de l’opinion publique: au total, quatorze journées de mobilisation sur six mois et environ 12 millions de manifestants 
			(77) 
			IFOP,
«Le regard des Français sur la réforme des retraites», mars 2023.. Le 16 mars 2023, le gouvernement a choisi d'engager sa responsabilité en recourant à l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer la loi à l’Assemblée nationale sans vote. Le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la réforme, y compris le recours à l’article 49.3 et la loi a été promulguée. Ce geste, reconnu comme juridiquement valide en interne 
			(78) 
			La
Commission de Venise, saisie par le président de la commission pour
le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil
de l'Europe de l’Assemblée, a rendu un Avis intérimaire sur l’article
49.3 de la Constitution, adopté lors de la 135e session
plénière, Venise, 9-10 juin 2023 (CDL-AD(2023)024)., a été perçu comme un déni démocratique et a provoqué une radicalisation de la mobilisation, hors des cadres syndicaux, et un déchaînement de violence 
			(79) 
			Le Monde, Violences policières:
«S’il y avait sur le terrain des agents plus expérimentés, il y
aurait probablement moins de problèmes», entretien avec l’ancienne
cheffe de la section protection des libertés publiques du parquet
de Paris, 25 avril 2025. à l’origine de nombreux blessés principalement du côté des forces de l’ordre mais également parmi les manifestants 
			(80) 
			1 518
blessés parmi les forces de l'ordre (gendarmes et policiers confondus)
et 546 manifestants blessés, dont 19 en urgence absolue, entre le
19 janvier et le 3 mai 2023 (Rapport d'enquête n°1824, déposé le
7 novembre 2023 à l'Assemblée nationale française et élaboré par
la commission d’enquête sur la structuration, le financement, les
moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences
à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre
le 16 mars et le 3 mai 2023)..
43. J’analyse cette séquence comme révélatrice d’un pouvoir marqué par un affaiblissement des corps intermédiaires qui conçoit l’État comme un organe de gestion, plutôt que comme l’expression d’une souveraineté partagée 
			(81) 
			Voir
à ce sujet la pensée politique de M. Gauchet, Le
Nœud démocratique. Aux origines de la crise néolibérale, 2024.. Dans ce contexte, la manifestation devient bien plus qu’un simple outil protestataire: elle s’affirme «un mode d’énonciation collective qui vise à rendre visible une parole sociale reléguée à la périphérie du système décisionnel» 
			(82) 
			P. Rosanvallon, La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité,
proximité, 2008. face à un «démocratisme juridique», entendu comme une démocratie centrée sur le respect des procédures sans toujours garantir une participation citoyenne effective ni une réelle prise en compte des revendications sociales 
			(83) 
			M. Delmas-Marty, «Droit
international et démocratie», Diogène, 2007/4 (n° 220).. Le danger de gouverner contre les formes visibles d’expression du peuple – au nom même de ce peuple – est bien connu: une démocratie qui ne se nourrit plus du débat public, mais fonctionne repliée sur ses propres procédures 
			(84) 
			Le Monde, A. Ogien, «L'accusation
de déni de démocratie, symptôme d'une souveraineté populaire devenue introuvable»,
23 octobre 2024..
44. Le mouvement des Gilets jaunes et la mobilisation contre la réforme des retraites témoignent d’un même processus de dégradation du lien entre gouvernants et gouvernés, nourrissant l’idée d’une surdité du pouvoir face aux revendications exprimées dans l’espace public. Cette érosion de la confiance est confirmée par le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF publié en janvier 2023: seuls 26 % des Français accordent leur confiance à l'Assemblée nationale française, 23 % au gouvernement et 20 % aux partis politiques 
			(85) 
			Baromètre de la confiance
politique du CEVIPOF, réalisé par le Centre de recherches politiques
de Sciences Po..

5.2. Le choix des mots

45. Au-delà de la défiance envers les institutions, c’est la démocratie représentative elle-même qui se trouve ébranlée. Ce constat n’est pas propre à la France, mais certains États membres parviennent à maintenir un lien de confiance plus solide entre gouvernants et gouvernés. Ainsi, 54 % des Danois déclarent faire confiance à leur gouvernement, un des taux les plus élevés au sein de l’Union européenne 
			(86) 
			Eurobaromètre 2024.. Ce haut niveau de confiance, que l'on retrouve dans l’ensemble des pays scandinaves, s'explique par la culture politique propre à ces États: les décisions y sont le fruit d'un dialogue approfondi entre les différentes sensibilités politiques, aboutissant à des compromis larges, ce qui réduit les tensions sociales et renforce le sentiment d’inclusion démocratique 
			(87) 
			C.
Green-Pedersen et I.B. Hjermitslev, «A compromising mindset? How
citizens evaluate the trade-offs in coalition politics», European
Journal of Politic Research, 1 November
2023.. Les résultats de l’enquête 2024 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques confirment que le sentiment d’avoir son mot à dire dans les décisions gouvernementales est un levier central de confiance, plus encore que les caractéristiques socio-économiques ou démographiques 
			(88) 
			Enquête de l’OCDE sur
les déterminants de la confiance dans les institutions publiques
– résultats 2024. «Instaurer la confiance dans un contexte complexe»,
10 juillet 2024..
46. La Suisse offre un exemple de contexte politique, social et institutionnel unique en Europe. Dotée d’une tradition ancienne de démocratie directe, la Suisse appelle les citoyennes et les citoyens à voter quatre fois par an sur une dizaine de sujets en moyenne: les nouvelles lois sur l’immigration, l’âge de la retraite ou les prestations sociales par exemple. En plus de ces votations, la population dispose d’autres instruments pour influencer le processus législatif: le référendum obligatoire est automatique pour toutes les modifications constitutionnelles approuvées par le parlement, le référendum facultatif, avec 50 000 signatures recueillies en 100 jours, permet d’exiger que tout projet de loi approuvé par le parlement soit soumis à un vote national, et l’initiative populaire permet aux citoyens de proposer une modification de la Constitution fédérale en recueillant 100 000 signatures en 18 mois 
			(89) 
			Site officiel
de la Confédération suisse, Département fédéral des affaires étrangères
(eda.admin.ch).. Ces mécanismes, institutionnalisés, contribuent à un climat social relativement apaisé et à une forte légitimité des décisions publiques.
47. Si les réalités politiques, constitutionnelles et sociales du Danemark et de la Suisse ne sont pas directement transposables à d'autres contextes nationaux, elles montrent que la confiance dans les institutions et la paix sociale peuvent être renforcées par l'institutionnalisation de formes de démocratie participative en complément des mécanismes représentatifs traditionnels – comme le recommandent l’Assemblée et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe 
			(90) 
			Assemblée,
Résolution 2552 (2024) «Renforcer la démocratie par des processus
participatifs et délibératifs». Recommandation CM/Rec(2023)6 du
Comité des Ministres aux États membres sur la démocratie délibérative.
Voir également: A. Williamson and J. Barrat, «Mapping deliberative
democracy in Council Europe Member States», Council of Europe, 2022..
48. Dans cette perspective, les corps intermédiaires jouent également un rôle central; les renforcer, c’est «garantir aux citoyens des espaces pérennes d’expression et de délibération» 
			(91) 
			Discours de T. Beaudet,
président du Conseil économique, social et environnemental, 14 janvier
2025.. A cet égard, l’Allemagne offre un exemple instructif car, malgré des défis majeurs, comme les réformes Hartz IV destinées à garantir le financement du système de retraite, elle dispose de solides amortisseurs démocratiques qui limitent les effets de la défiance. Cela tient à la culture politique du consensus: le régime parlementaire fédéral, combiné au scrutin proportionnel, encourage la formation de coalitions gouvernementales, obligeant à négocier et à intégrer les divergences dans la construction des politiques publiques. Par ailleurs, les syndicats et organisations patronales sont des partenaires incontournables et sont associés aux grandes orientations sociales grâce à un mécanisme de codétermination, ce qui a pour effet de canaliser la conflictualité sociale en amont 
			(92) 
			Le
Monde, «Coalitions européennes: en Allemagne, la culture
du compromis», 25 juin 2022, «Les leçons de la culture du compromis
en Allemagne: On ne peut pas gouverner en coalition si l’on n’accepte
pas le principe du donnant-donnant», 9 juillet 2024. Le Monde, Tribune de P. Wirtz,
«Le système allemand de codétermination a été le fruit d’un important
mouvement de mobilisation sociale», 8 septembre 2023.. Les syndicats, forts de leur légitimité, privilégient des mobilisations moins nombreuses mais plus stratégiques. De ce fait, les manifestations bénéficient d’une écoute institutionnelle rapide car elles s’inscrivent dans un écosystème où la parole collective est déjà intégrée 
			(93) 
			Le
Monde, «L’Allemagne frappée par une «mégagrève» dans
les transports», 27 mars 2023, «Il est symptomatique qu’il n’existe
pas en Allemagne d’équivalent de l’article 49.3», 2 juillet 2023..
49. Un engouement pour les procédés de démocratie délibérative et participative s’est manifesté dans plusieurs pays européens. Je suis convaincu que l’articulation entre le parlement et ces dispositifs représente un levier important pour répondre à la crise de représentativité démocratique. Les assemblées citoyennes en Irlande sont souvent citées en exemple «de laboratoire exceptionnel pour la démocratie délibérative» 
			(94) 
			D. Lowe, «Les pratiques
parlementaires en matière de consultation publique de la société
civile et des citoyens», Union européenne et Conseil de l’Europe,
avril 2024.. En France, en réponse aux manifestations des Gilets jaunes, l’exécutif a fait appel en 2019 à un Grand débat national. En complément de cahiers de doléances ouverts dans 16 000 mairies et de réunions ayant rassemblé près de 500 000 participants, une plateforme numérique a interrogé 400 000 Français sur la transition écologique, les impôts et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté, et l’organisation de l’État et des services publics. Dans la foulée, l’exécutif a lancé la Convention citoyenne pour le climat reposant sur les délibérations d’un panel de 150 citoyennes et citoyens tirés au sort. Il en ressort que 146 propositions de mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en France ont été remises au président en 2020, qu’une majorité ont été reprises partiellement et que 28 ont été écartées 
			(95) 
			Plateforme
de suivi de la Convention citoyenne pour le climat (www.ecologie.gouv.fr/suivi-convention-citoyenne-climat/).. À ce jour, bien qu’ils aient pu être consultés par les chercheurs et puissent l’être par tous et toutes depuis le 30 avril 2025, les 19 899 cahiers de doléances citoyennes contenant 217 910 contributions individuelles n’ont pas (encore) été exploités politiquement 
			(96) 
			France
culture, «Comment les cahiers de doléances parlent plus
qu'on ne le croit: équité, compétence politique, déclassement»,
30 septembre 2024..
50. J’ai analysé les critiques adressées à ces initiatives, notamment la représentativité sociologique des répondants au Grand débat, l’absence de synthèse nationale officielle des cahiers de doléances, ainsi que le sentiment de frustration généré par la perception d’une faible traduction politique de la Convention citoyenne pour le climat 
			(97) 
			The Conversation, «Démocratie
participative: une enquête inédite livre les enseignements du grand
débat national», 11 septembre 2023. Le
Monde, «Trois ans après la loi Climat, aucune mesure
structurante», août 2024.. Je comprends ces critiques.
51. Cela étant, ce qui m’intéresse dans la perspective de mon rapport se situe ailleurs. «Ces cahiers ont permis de mobiliser des personnes qui ne l'étaient pas, de donner la parole à des gens qui ne la prenaient pas et de visibiliser des parcours de vie qu'on ne racontait pas» 
			(98) 
			Franceinfo, «‘Tout ça a fini en
queue de poisson’: que contiennent les milliers de cahiers de doléances
que François Bayrou veut rouvrir?», 6 février 2025.. Les cahiers de doléance, tout comme les revendications des Gilets jaunes, ont également mis en lumière le désir d’un modèle de société plus horizontal, avec des demandes fortes pour un scrutin proportionnel, thématique qui refait surface actuellement pour répondre à la crise de légitimité des institutions 
			(99) 
			Le
Monde, «François Bayrou lancera «une consultation» à
la fin du mois pour l’instauration de la proportionnelle aux législatives»,
20 avril 2025.. De plus, les leçons ont été tirées, comme en attestent des initiatives plus récentes: sélection de citoyennes et citoyens représentatifs, définition d'un mandat précis, approche ascendante et traduction politique effective. À l'échelle locale, la Convention citoyenne métropolitaine pour le climat de Grenoble Alpes Métropole (2021-2022) a ainsi généré 219 propositions largement validées par le conseil métropolitain et dont le suivi a été confié à un comité dédié 
			(100) 
			The Conversation, «Comment rendre
les Conventions citoyennes pour le climat encore plus démocratiques?», 21 mars
2023. Grenoble en commun, «Convention Citoyenne Métropolitaine pour
le Climat: Grenoble soutient et s’engage!», 30 janvier 2023.. À l'échelle nationale, la Convention citoyenne sur la fin de vie (2022-2023), réunissant 184 participants, a formulé des propositions sur l'aide active à mourir, qui ont été intégrées aux débats parlementaires et législatifs 
			(101) 
			Conseil
économique, social et environnemental (CESE), Rapport de la Convention
Citoyenne sur la fin de vie, avril 2023. «Convention citoyenne sur
la fin de vie: le CESE avec Make.org propose au grand public et
aux parlementaires de mieux s’approprier les débats des citoyens
grâce à l’intelligence artificielle», 27 avril 2024. Avis n°1 du
Collectif Démocratie, éthique et solidarités, «Fin de vie: les enjeux
d’une loi en faveur d’une mort programmée», avril 2025..

6. Conclusion

52. En conclusion, je souhaite lier les objectifs de ce rapport à l'initiative lancée par Alain Berset, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, pour un Nouveau Pacte démocratique pour l’Europe. Présentant cette démarche à la 134e Session du Comité des Ministres (Luxembourg, 13-14 mai 2025), le Secrétaire Général a rappelé que les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la démocratie n'ont pas surgi en un jour: elles sont le signe d'attentes déçues, de promesses trahies, d'un écart grandissant entre gouvernants et gouvernés. Ce Nouveau Pacte invite à reconnaître lucidement là où il aurait fallu mieux faire, et là où il est encore possible d'agir 
			(102) 
			«Feuille de route du
Nouveau Pacte démocratique pour l’Europe – Construire une démocratie
résiliente, inclusive et agile», SG/Inf(2025)14, 29 avril 2025..
53. Dans cet esprit, je voudrais souligner d'abord l'importance de réinterroger les stratégies de maintien de l’ordre face aux mobilisations sociales. La force publique, nécessaire pour garantir les droits humains et des citoyens, doit demeurer un instrument au service de tous et toutes 
			(103) 
			Article
12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.. La capacité des sociétés démocratiques à faire évoluer leurs pratiques de maintien de l’ordre est essentielle pour préserver l’équilibre entre la garantie des libertés fondamentales et la nécessaire protection de l’ordre public. Apaiser la violence, restaurer la confiance, redonner à la manifestation son pouvoir contestataire, sa légitimité démocratique: autant d'objectifs qui appellent à privilégier partout où cela est possible la désescalade, le dialogue et la proportionnalité.
54. Il s'agit aussi de reconstruire un lien de confiance durable entre les institutions et les citoyens, y compris les jeunes des quartiers défavorisés qui se désintéressent des processus démocratiques. Il s'agit de reconnaître les tensions sans les nier, d'ouvrir un dialogue franc et confiant, de ne pas stigmatiser certaines catégories de la population comme dangereuses ou «indésirables» en raison de leur âge, de leur sexe, de leur appartenance ethno-raciale ou de leur précarité économique, et de rétablir une relation basée sur la proximité, l'écoute et le respect mutuel.
55. Enfin, nous devons innover en permanence. L'innovation est nécessaire pour redonner vie et chair au lien démocratique, pour faire de la participation citoyenne une évidence et du débat sociétal une force vivante. Car une démocratie qui cesse de se renouveler s'étiole: elle se coupe du réel, de la parole des places, des ronds-points, des assemblées et des rues. Loin d'opposer représentation et participation, il faut les tisser ensemble, retrouver dans la délibération collective, dans la vitalité des corps intermédiaires, dans les engagements citoyens la source même de la résilience démocratique.
56. Comme le rappelle la juriste Monique Chemillier-Gendreau, «la démocratie est un horizon» 
			(104) 
			Documentaire de David
Dufresne, Un pays qui se tient sage, 2020.. Ce rapport s'inscrit dans cet horizon: il affirme qu’il est toujours temps de reconstruire un contrat social à la hauteur des aspirations démocratiques de nos sociétés.

Annexe - Liste des personnes rencontrées lors des visites d’information

(open)

Représentants du ministère de l’intérieur

M. Patrick Lapouze, préfet, sous-directeur par interim des affaires juridiques et institutionnelles (SDAJI)

Mme Alexandra Authier, commissaire divisionnaire, conseillère stratégies et relations institutionnelles à la SDAJI

Mme Valérie Rakotovao, conseillère à la mission juridique de la SDAJI

Mme Estelle Davet, contrôleuse générale, cheffe du pôle mission police au cabinet de la Direction générale de la police nationale (DGPN)

Mme Lucie Tisserand, adjointe au conseiller juridique au cabinet de la DGPN

M. Sébastien Abadie, commissaire divisionnaire, sous-directeur de l’ordre public et des mobilités à la direction nationale de la sécurité publique (DNSP)

M. Olivier Bagousse, sous-directeur des missions à la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

M. Thomas de Ricolfis, contrôleur général, sous-directeur des enquêtes administratives et judiciaires (SDEAJ), Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN)

Général Olivier Capelle, directeur des opérations et de l’emploi (DOE), Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

M. Jean-Michel Gentil, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)

Colonel Gérard Cligny, chef de bureau, IGGN

Institutions des droits humains

Mme Claire Hedon, Défenseure des droits

Mme Magali Lafourcade, Secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

M. Simon Foreman, Rapporteur des avis sur les rapports entre police et population (CNCDH)

M. Thomas Dumortier, Conseiller juridique (CNCDH)

Organisations non gouvernementales

Mme Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme

M. Pierre-Antoine Cazau, bureau national, Ligue des Droits de l’Homme

Syndicats

Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Police

M. Thierry Clair, Secrétaire Général

M. Marc Hocquard, Secrétaire Général Adjoint

Alliance Police Nationale

M. Patrice Ribeiro, Conseiller spécial auprès du Secrétaire Général

M. Eric Henry, Conseiller spécial auprès du Secrétaire Général

Confédération française démocratique du travail

Mme Lydie Nicol, secrétaire nationale

Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale

Mme Emilie Ouchet, assistante politique

.

Expert

M. Sebastian Roché

Parlementaires

M. Bertrand Bouyx (France, ADLE), Député, Président de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire

M. Claude Kern (France, ADLE), Sénateur

M. Alain Milon (France, PPE/DC), Sénateur

avec la participation de M. Xavier Moal, administrateur principal, secrétariat de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire