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Rapport | Doc. 16238 | 07 septembre 2025

Projet de convention du Conseil de l’Europe sur la coproduction d’œuvres audiovisuelles sous forme de séries

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteure : Mme Valentina GRIPPO, Italie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 16164, Renvoi 4883 du 23 mai 2025. 2025 - Quatrième partie de session

A. Projet d’avis 
			(1) 
			Projet d’avis adopté
par la commission le 24 juin 2025.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se félicite de l’achèvement des travaux de préparation du projet de convention du Conseil de l’Europe sur la coproduction d’œuvres audiovisuelles sous forme de séries (ci-après le «projet de convention»), et de son objectif de promotion de la collaboration transfrontalière et de la diversité culturelle.
2. Certains États membres et représentants du secteur audiovisuel et l’Union européenne ont fait part des inquiétudes que leur inspirent l’absence d’étude d’impact, l’insuffisante consultation des parties prenantes et les risques qu’engendrent certains éléments du projet de convention.
3. Il convient de revenir sur quelques points de sorte qu’un maximum d’États membres ratifient la convention, sûrs des bénéfices qu’elle apporte et sans craindre d’effets secondaires indésirables sur leurs écosystèmes.
4. Le projet de convention définit l’expression «coproducteurs indépendants» comme désignant «les sociétés de production audiovisuelle qui sont liées par un contrat de coproduction et qualifiées d’indépendantes en vertu des dispositions du droit interne de leur pays d'établissement ou, en l'absence de telles dispositions, qui satisfont aux critères d'indépendance énoncés à l'annexe III de la présente Convention».
5. Une telle définition peut entraîner une interférence normative avec les cadres juridiques nationaux et les régimes d’aides publiques, ce qui se traduirait par des décalages entre réglementations, réduirait l’efficacité des dispositifs nationaux et dissuaderait les parties prenantes de participer à des coproductions. Même si la définition de l’annexe III ne vaut qu’en l’absence de législation nationale, elle peut être considérée comme constituant de fait une norme supranationale. Cela pourrait exercer une pression normative indue sur les États, fausser les critères d’éligibilité aux financements publics et aller à l’encontre du principe de subsidiarité sur lequel repose l’autonomie des écosystèmes audiovisuels nationaux.
6. L’Assemblée juge donc essentiel que chaque État définisse l’indépendance en fonction de son propre écosystème audiovisuel.
7. Par ailleurs, les règles concernant les droits d’auteur, le partage des données et le contrôle artistique imposent des restrictions qui risquent d’aller à contre-courant de pratiques établies ou de l’harmonisation juridique au sein de l’Union européenne.
8. L’Assemblée recommande par conséquent au Comité des Ministres, avant d’envisager l’adoption, de faire procéder à une étude de marché et à une évaluation d’impact du projet de convention, avec la participation des parties prenantes. Elle lui recommande par ailleurs d’apporter les modifications suivantes au projet de convention:
8.1. ajouter une disposition imposant à chaque signataire, s’il ne l’a pas déjà fait, de définir dans son droit le producteur indépendant aux fins du projet de convention, avant l’entrée en vigueur de la convention sur son territoire ;
8.2. reformuler l’article 3(e) comme suit: «le terme “coproducteurs indépendants” désigne les sociétés de production audiovisuelle qui sont liées par un contrat de coproduction et qualifiées d’indépendantes en vertu des règles en la matière de leur pays d'établissement» ;
8.3. supprimer la deuxième phrase de l’article 7(1) libellée comme suit: «La répartition des parts devrait tenir compte des participations financières des coproducteurs indépendants et de leurs dépenses créatives et techniques respectives» ;
8.4. supprimer l’article 7(2) ;
8.5. à l’article 7(3), supprimer la deuxième phrase libellée comme suit «Les droits d’exploitation ne peuvent être concédés à titre perpétuel et les durées des licences d’exploitation doivent permettre aux coproducteurs indépendants de tirer profit de la valeur résiduelle des droits» ;
8.6. reformuler l’article 8(3) comme suit: «Les coproducteurs indépendants prennent part aux décisions importantes en matière de création et de production» ;
8.7. reformuler l’article 9 comme suit: «Compréhension du succès et de la diffusion des coproductions officielles de séries 1. Les fournisseurs de services de médias audiovisuels et leurs filiales établis dans les Parties à la Convention communiquent aux autorités compétentes définies à l’alinéa 5 de l’article 5 des données d’audience et des informations sur l’exploitation des séries reconnues comme des coproductions officielles qui ont bénéficié d’avantages financiers en application de l’article 4, dès lors que les dispositions législatives et la réglementation nationales l’exigent. Les autorités compétentes protègent le secret de ces informations» ;
8.8. dans l’annexe II, point 1, paragraphe 2, supprimer les mots «ou de l’annexe III» ;
8.9. supprimer l’annexe III .
9. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres d’apporter, au projet de rapport explicatif, les modifications qui s’imposent pour refléter celles apportées au projet de convention.

B. Exposé des motifs de Mme Valentina Grippo, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La Convention européenne sur la coproduction cinématographique (STE n° 147) a connu un vif succès: ratifiée par 43 pays, elle est quotidiennement appliquée dans toute l’Europe. Cependant, l’évolution des technologies et l’arrivée de plateformes de diffusion continue (streaming) en Europe ont bouleversé les habitudes de visionnage et les attentes des consommateurs. Parallèlement, l’essor des séries télévisées de qualité ont remodelé le paysage de la production audiovisuelle. Face à ces transformations et à leurs retombées potentielles, le Conseil de l’Europe a engagé une réflexion approfondie à ce sujet, notamment en matière de diversité culturelle et de pluralisme.
2. Cela s’est traduit à compter de 2019 par une série d’études et de mesures préparatoires, et a pris en 2022 la forme d’un processus formel au sein de l’Organisation. Plusieurs étapes importantes ont jalonné ce parcours, notamment une conférence multipartite organisée à Budapest en 2020 ; ses conclusions ont alimenté les débats de la conférence de 2022 des ministres de la Culture des États membres, qui a débouché sur une déclaration ministérielle finale. Le Comité des Ministres a alors chargé le Comité directeur de la culture, du patrimoine et du paysage (CDCPP) de poursuivre ce travail en constituant un groupe de travail composé d’experts, pour élaborer un instrument juridique.
3. Le CDCPP a approuvé le 19 novembre 2024 un rapport sur la création d’un instrument juridique visant à faciliter la coproduction internationale d’œuvres audiovisuelles sous forme de séries. Le document comprend un projet de convention du Conseil de l’Europe sur la coproduction d’œuvres audiovisuelles sous forme de séries (ci-après «projet de convention»), assorti de son rapport explicatif. Le projet de convention et son rapport explicatif ont été soumis au Comité des Ministres pour examen et adoption éventuelle.
4. La projet de convention établit des règles de droit international destinées à réguler les rapports entre États dans le domaine de la coproduction de séries qui ont leur origine sur leur territoire.
5. Le groupe de travail a indiqué que le projet de convention vise à encourager la coproduction indépendante de séries et la participation des organismes de radiodiffusion télévisuelle à ces coproductions.
6. La procédure de préparation et certaines dispositions du projet de convention ont cependant été critiquées par des parties prenantes, notamment des acteurs publics et privés, des associations du secteur audiovisuel, plusieurs États membres et la Commission européenne. Leurs critiques ont été formulées lors des consultations publiques et auditions formelles organisées par la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, et sont reprises dans l’exposé des motifs.
7. De sérieuses réserves ont en particulier été émises en ce qui concerne la définition du producteur «indépendant» (article 3 et annexe III), ainsi que les dispositions relatives à la propriété intellectuelle, à la durée des licences, au partage des données et au contrôle de la création.
8. Si la promotion des coproductions indépendantes réunit un large consensus, certaines parties prenantes jugent que le projet actuel introduit des décalages de réglementations et des déséquilibres structurels qui pourraient entraver plutôt qu’améliorer le fonctionnement et la compétitivité de l’écosystème audiovisuel existant.
9. Ces inquiétudes dépassent l’ajustement technique: elles touchent directement au potentiel de ratification de la convention et à sa mise en œuvre effective par un grand nombre d’États. En l’absence de définition plus claire et de garanties suffisantes, les autorités nationales pourraient peiner à concilier les dispositions de la convention avec leurs systèmes juridiques et leurs instruments de politique culturelle. La Commission européenne a en outre signalé des possibilités de frictions avec la prochaine révision de la directive de l’Union Européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), ce qui invite d’autant plus à la cohérence et à la prudence normatives.
10. Comme indiqué ci-dessus, trois grands risques systémiques sont apparus:
  • le risque d’interférence normative avec les cadres juridiques nationaux régissant l’indépendance et les aides publiques ;
  • des atteintes à la liberté contractuelle, notamment en ce qui concerne la gestion des droits et l’octroi des licences ;
  • le fait que la convention mette en avant le statut du producteur plutôt que les caractéristiques de l’œuvre, ce qui exclut d’emblée que des producteurs non reconnus comme «indépendants» puissent créer des œuvres répondant pleinement aux objectifs de diversité culturelle et de coopération internationale que promeut la convention.
11. Il a par ailleurs été observé qu’il faudrait revenir sur la prémisse adoptée dans le projet de convention, selon laquelle les œuvres produites par les producteurs étroitement définis comme indépendants soutiennent mieux par nature la diversité culturelle que les autres. Les producteurs indépendants contribuent certes notablement au pluralisme culturel, mais d’autres modèles de production concourent aussi énormément à la promotion de la liberté d’expression, à l’accès du public et à l’innovation.
12. Compte tenu du déséquilibre actuel des pouvoirs sur le marché audiovisuel – où les plateformes mondiales et les conglomérats verticalement intégrés dominent de plus en plus la production et la distribution – il est justifié de poser un cadre normatif qui engage tous les États membres du Conseil de l’Europe à promouvoir et à soutenir activement la mise en réseau et la compétitivité internationale de leurs forces créatrices indépendantes nationales. Ce cadre devrait non seulement garantir une concurrence juste et équitable, mais aussi permettre aux producteurs indépendants de prospérer sur un marché très marqué par la concentration et la concurrence, préservant ainsi la multiplicité des voix, des formats et des sujets en Europe.

2. Genèse du projet de convention

13. Le Conseil de l’Europe et son accord partiel élargi Eurimages ont demandé en 2019 une étude à un consultant indépendant afin de mieux appréhender le nouvel environnement créé par l’émergence des plateformes de vidéo à la demande et le recours à l’intelligence artificielle dans la distribution de contenus audiovisuels. Ses conclusions ont été présentées en décembre 2019 au Comité de direction d’Eurimages.
14. Sous les auspices de la présidence hongroise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, une conférence intitulée «Préserver la production indépendante, la diversité et le pluralisme des séries télévisées en Europe: la coopération internationale peut-elle faire partie de la solution?» s’est tenue à Budapest les 30 septembre et 1er octobre 2021. Dans leur conclusion, les participants ont souligné la nécessité de réaliser des coproductions internationales pour compenser la fragmentation du marché audiovisuel européen, en particulier pour les petits pays aux moyens financiers limités. Ils ont préconisé la création d’un instrument financier de soutien à la coproduction de séries et l’établissement d’un cadre juridique pour définir les normes qui régissent les coproductions de séries, afin de rendre les pratiques plus transparentes et de permettre aux producteurs indépendants de préserver leurs droits dans leurs négociations avec les organismes de radiodiffusion télévisuelle et les plateformes mondiales. Prenant acte du travail de fond effectué au cours de cette conférence et des actions à entreprendre lors des présidences suivantes du Comité des Ministres, les autorités hongroises ont nommé cette initiative «Le processus de Budapest relatif aux séries télévisées».
15. Le 1er avril 2022, à l’occasion de la Conférence des ministres de la Culture du Conseil de l’Europe, ces derniers ont fait part, dans une déclaration commune, des inquiétudes que leur inspirent les pressions que fait peser sur la diversité culturelle et le pluralisme l’utilisation généralisée de modèles économiques fondés sur des recommandations algorithmiques, en particulier dans le secteur audiovisuel, et ont pris note de la position dominante des services de médias audiovisuels non européens et de leur impact sur les écosystèmes de production de contenus et sur la propriété intellectuelle en Europe. Ils ont invité le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à continuer à soutenir le processus de Budapest relatif aux séries télévisées et à élaborer, grâce aux travaux futurs du CDCPP et d’Eurimages, un nouvel instrument juridique paneuropéen pour codifier les dispositions relatives aux coproductions européennes de séries télévisées et un instrument public de financement de ces coproductions.
16. Dans le sillage du processus de Budapest relatif aux séries télévisées, le Conseil de l’Europe a lancé un nouveau programme pilote de trois ans pour la coproduction de séries, qui soutient les séries de qualité réalisées en coproduction européenne et vise à renforcer le pouvoir des producteurs indépendants et à favoriser de nouvelles relations. Géré par le Conseil de l’Europe, le programme est financé par des donateurs par le biais du système de contributions volontaires de l’Organisation. Ses objectifs sont les suivants:
  • créer un dispositif de financement souple, adapté à l’environnement commercial extrêmement dynamique des séries;
  • nourrir la création indépendante de séries narratives sous la forme de coproductions internationales;
  • stimuler la diffusion d’œuvres culturellement et linguistiquement diverses dans les États membres;
  • ancrer dans la coproduction les principes de partage de la propriété et de propriété des droits dérivés;
  • intégrer la participation de tous les fournisseurs de services de médias audiovisuels;
  • inciter les États membres participant au programme à conserver la maîtrise créative de la coproduction de séries lorsqu’ils s’associent à des intervenants ne ressortissant pas d’un État membre.
17. En mai 2022, Eurimages a fait préparer un rapport indépendant dans la perspective de la préparation d’un nouvel instrument juridique qui codifierait les normes relatives aux coproductions européennes de séries télévisées. Le rapport concluait que de nombreuses dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la coproduction cinématographique (révisée) (STCE n° 220) étaient transposables dans un nouvel instrument juridique sur la coproduction de séries. Il formulait également quatre recommandations sur la définition de «l’œuvre éligible», les seuils d’investissement minimal des coproducteurs minoritaires, la définition de la copropriété et la valorisation du rôle créatif du producteur dans le système de points.
18. Le groupe de travail CPPWG-SERIES créé sous la supervision du CDCPPa été chargé d’évaluer la possibilité de préparer un instrument juridique pour soutenir les séries européennes et, le cas échéant, d’élaborer cet instrument, éventuellement sous la forme d’une convention, en tenant compte des récents changements technologiques et financiers survenus dans le secteur européen du cinéma et de la fiction.
19. Le CPPWG-SERIES a travaillé entre 2022 et 2024 à une proposition de projet de convention, qu’il a adopté le 13 septembre 2024 et soumis au CDCPP. Les membres du Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI) ont aussi été consultés. Le CDCPP a approuvé le projet à sa réunion du 19 novembre 2024 et l’a ensuite soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour examen et adoption.
20. Le 23 avril 2025, le Comité des Ministres a transmis le projet de convention à l’Assemblée parlementaire, pour avis.

3. Principaux traits du projet de convention

21. La production de séries diffère de celle des films par les enjeux financiers, le niveau de risque et la nature des partenaires associés, notamment les plateformes européennes et non européennes. L’impact culturel des séries, véhicules de la narration européenne sur des thèmes divers et dans une grande variété de langues, est probablement aussi plus marqué. Dès lors, même si la Convention sur la coproduction cinématographique a servi de point de départ, le projet définitif de convention a été adapté de manière significative pour répondre aux spécificités de la production de séries et au mandat confié au CDCPP.
22. Le projet de convention prévoit un cadre juridique pour un certain type de coproductions de séries associant plusieurs coproducteurs indépendants qui peuvent ainsi obtenir la reconnaissance officielle des séries qu’ils coproduisent. Ce statut leur permet d’améliorer leurs capacités financières et facilite la coopération transfrontalière.
23. Une coproduction officielle relevant du projet de convention fonctionnerait théoriquement comme suit: plusieurs producteurs indépendants de plusieurs Parties à la convention produiraient ensemble une série en s’appuyant sur les mécanismes prévus par la convention. Cela leur permettrait d’accéder à plus d’aides et de financements publics, conformément aux politiques nationales de soutien aux œuvres audiovisuelles. Ces producteurs conserveraient des parts de propriété dans la série et créeraient ainsi de la valeur pour leurs entreprises. Les organismes de radiodiffusion télévisuelle et autres partenaires avec lesquels ils collaboreraient pourraient eux aussi réduire leurs risques financiers grâce à ce meilleur accès aux financements publics. Enfin, les coproducteurs accéderaient à des données leur permettant de mieux évaluer le succès des séries.
24. De nombreux États membres ont défini la notion de «producteur indépendant» dans leur législation nationale en fonction de leur marché national et de leur politique en la matière. La définition peut aussi s’appliquer aux obligations figurant dans la directive de l’UE sur les SMA et à l’attribution d’aides publiques à la production audiovisuelle. Plusieurs définitions du producteur indépendant peuvent donc coexister dans un seul et même pays.
25. Un rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel (couvrant l’Union européenne, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni) décrit la diversité des définitions nationales et la souplesse avec laquelle les pays et régions interprètent l’indépendance. Il arrive aux conclusions ci-dessous:
  • Il n’existe pas de définition fixe et uniforme de l’indépendance en Europe. Les grands critères (financiers, opérationnels et de DPI) sont les mêmes partout, mais leur application varie considérablement;
  • Les pays et les régions ajustent souvent ces critères dans des sous-catégories, avec des seuils plus ou moins spécifiques. L’indépendance s’applique par exemple dans certains cas à des établissements d’enseignement ou à des collectivités locales, au-delà des organismes de radiodiffusion télévisuelle traditionnels et des services de vidéo à la demande;
  • Certaines structures de financement introduisent des exigences supplémentaires reflétant des priorités plus locales. Dans la loi suisse, par exemple, le producteur ou la société de production doit être domicilié en Suisse (le capital propre et emprunté et la direction doivent principalement être détenus ou contrôlés par des personnes domiciliées en Suisse). Les fonds régionaux peuvent négliger l’indépendance pour se concentrer sur la promotion de leur territoire, en exigeant des candidats qu’ils filment partiellement ou entièrement dans la région pour la promouvoir à l’écran;
  • Le critère d’indépendance peut parfois être compris différemment en pratique, et ne plus s’appliquer aux fournisseurs de SMA mais à un autre type d’indépendance financière. À Chypre, par exemple, le fonds national d’aide au cinéma considère un producteur comme indépendant s’il ne reçoit pas de financement du ministère de la Culture;
  • Et il ne faut pas oublier que la législation peut changer rapidement.
26. Pour les cas où le droit interne ne définit pas la notion de «producteur indépendant», le projet de convention cherche à garantir des conditions de concurrence justes et équitables entre producteurs en fixant les deux critères généraux exposés à l’annexe III. Ces critères sont utilisables par les autorités pour déterminer si une coproduction peut être reconnue comme officielle. En cas de modifications futures des définitions nationales, celles-ci prévaudraient et régiraient la situation des producteurs indépendants. Dans les rares cas où le droit interne ne définit pas l’indépendance, les deux critères de l’annexe III prendraient le relais et permettraient aux autorités nationales de l’évaluer.
27. En bref, le projet de convention a pour objectif d’encourager la diversité des récits parmi les États membres et leurs cultures, de promouvoir la coopération, le talent, la mobilité et les échanges culturels. Il vise aussi à permettre le partage des coûts de production des séries de qualité et à réduire ainsi le niveau de risque dans un secteur où les enjeux sont particulièrement élevés. Le texte entend par ailleurs consolider la position des producteurs indépendants en Europe, tout en laissant coexister les multiples autres formes de coproduction qui n’entrent pas dans son champ d’application.

4. Réserves exprimées par certaines parties prenantes

28. Eu égard aux critiques des représentants des organismes de radiodiffusion télévisuelle et autres fournisseurs de services de médias mentionnées précédemment, et soucieuse de mieux comprendre les divers points de vue, la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias a entendu, le 12 mars 2025, Mme Susan Newman-Baudais, directrice exécutive, Eurimages ; Mme Mathilde Fiquet, secrétaire générale, European Audiovisual Production (CEPI) ; M. James Hickey, conseiller juridique, Euroopean Producers Club (EPC) ; M. Richard Burnley, directeur juridique et politique, Union européenne de radio-télévision (UER) ; M. Erard Gilles, directeur principal, Association des télévisions commerciales et des services de vidéo à la demande en Europe (ACT)  ; M. Chris Marcich, président, Association européenne des directeurs d’agences de films (EFAD).
29. L’EPC, la CEPI et l’EFAD se sont déclarés à cette occasion très favorables au texte du projet de convention.
30. Mme Fiquet (CEPI) a abordé ce que le projet de convention ne prévoit pas, et ce qui fait qu’il revêt une importance particulière pour les producteurs indépendants. Tout d’abord, le projet ne redéfinit pas l’indépendance. Ce n’est qu’en l’absence de définition au niveau national qu’il propose deux critères généraux à son annexe III. Cette distinction est essentielle aux yeux de Mme Fiquet: elle permet à chaque État membre d’adapter ces critères à son cas particulier, à son propre écosystème audiovisuel et à son dispositif national d’aide au cinéma. Le projet ne saurait remplacer les modèles de coproduction existants ni restreindre la capacité des producteurs à s’engager dans des coproductions en dehors de son champ d’application. Il cherche à soutenir la coproduction d’œuvres audiovisuelles de grande valeur culturelle réalisées sous forme de séries avec des organismes de radiodiffusion télévisuelle et des plateformes. Cette intention se refléterait clairement dans le texte, qui reconnaît explicitement le rôle central des producteurs indépendants dans la promotion de la diversité culturelle dans les séries télévisées. Cela irait dans le droit fil de la mission du Conseil de l’Europe, à savoir préserver la diversité culturelle et le pluralisme dans le secteur audiovisuel, ce qui contribue au renforcement de la démocratie dans nos sociétés.
31. Mme Fiquet a souligné le fait que le projet de convention s’appuie sur les définitions nationales du producteur indépendant, et que la plupart des pays en ont adopté une dans leur législation nationale. Les critères énoncés à l’annexe III sont là pour être interprétés par les quelques États membres qui n’ont pas de définition. Sans l’annexe III, il subsisterait une incertitude sur l’application du projet de convention dans un pays ne disposant pas de définition nationale, ce qui pourrait susciter une forme de discrimination à l’égard de ses producteurs. Au chapitre de la propriété intellectuelle, le projet de convention propose effectivement un partage des droits entre tous les partenaires de la coproduction, et la phrase qui reconnaît ce partage couvre toutes les participations créatives et techniques. Le projet de convention est donc un texte équilibré, qui pourrait s’écarter de pratiques actuellement en vigueur dans le monde des séries et de la télévision, où les organismes de radiodiffusion télévisuelle ont tendance à acquérir l’intégralité des droits de propriété intellectuelle sur les séries. Il vise à mettre en place un environnement équitable pour les producteurs indépendants. Il s’agirait d’un environnement souple visant à reconnaître la valeur ajoutée par les producteurs indépendants sans compromettre l’apport créatif et économique des organismes de radiodiffusion télévisuelle.
32. De nos jours, a expliqué M. Hickey (EPC), les coproductions sont nettement plus fréquentes dans le cinéma que dans les séries télévisées: entre 2015 et 2023, seules 10 % des séries européennes ont été coproduites, contre plus de 20 % des films européens. Il faudrait davantage de coproductions européennes de séries télévisées, qui accroissent la diffusion et les audiences. La future convention pourrait accélérer ce processus en facilitant l’accès aux aides financières des différents pays. Le projet de convention s’ajouterait aux dispositifs existants, sans chercher à les remplacer. Il ne propose pas de définition du producteur indépendant, et l’annexe III laisse cette définition à l’entière discrétion des États membres tout en proposant quelques critères généraux pour l’encadrer.
33. M. Marcich (EFAD) a expliqué que le projet de convention vise à promouvoir la production indépendante de séries télévisées, et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un traité sur la radiodiffusion télévisuelle. Il coexisterait avec toutes les activités de production déjà évoquées, sans empiéter sur elles. Il ne nuirait d’ailleurs en rien à la directive SMA de l’Union européenne et ne chercherait pas à harmoniser la définition de la production indépendante, cette décision étant laissée aux États membres, comme c’était le cas jusqu’à présent. Le projet renforcerait les dispositions relatives à la diversité culturelle dans la mesure où il faciliterait la production de séries créatives reflétant la diversité culturelle européenne.
34. Concernant le risque de voir les organismes de radiodiffusion télévisuelle contrôler la production indépendante, M. Marcich a rappelé que c’est précisément pour cette raison que la directive européenne SMA prévoit un quota de productions indépendantes d’œuvres audiovisuelles en Europe afin de garantir l’existence d’un secteur indépendant. Si une entreprise comme un opérateur de radiodiffusion télévisuelle à la fois investisseur partiel et cocréateur partiel obtenait à perpétuité les droits sur l’œuvre produite, cela pourrait condamner ladite œuvre à rester inexploitée dans un catalogue. L’idée qui sous-tend le projet de convention est que les œuvres soutenues par des aides publiques devraient être accessibles au public. Le projet de convention ne désavantagerait pas les entreprises européennes, a estimé M. Marcich. Il prévoit jusqu’à 30 % de participation pour les investisseurs «non membres». Ouvert à tous les acteurs du secteur, il viserait essentiellement à renforcer le secteur de la production indépendante européenne, ce dont les organismes de radiodiffusion télévisuelle pourraient également tirer profit. Personne n’a été exclu dans sa préparation, et les termes du projet de convention ont évolué avec la prise en compte des diverses observations.
35. Les associations représentant les opérateurs européens commerciaux (ACT) et publics (UER) de radiodiffusion télévisuelle ont vivement critiqué le texte du projet de convention et la façon dont il a été préparé.
36. M. Burnley (UER) a expliqué qu’un volet essentiel de la mission démocratique de son organisation est de soutenir les écosystèmes créatifs locaux en collaborant avec des sociétés de production dans des conditions justes et équitables. Les producteurs indépendants jouent un rôle important, mais d’autres intervenants ont le leur. L’UER soutient les objectifs généraux du projet de convention, tout en regrettant certaines lacunes procédurales dans son élaboration. Le marché européen de la coproduction serait diversifié et en constante évolution, avec l’arrivée d’acteurs mondiaux qui provoquent des perturbations majeures. Cette situation nécessiterait de soigneuses consultations et analyses de marché. Sans cela, la future convention pourrait se révéler inefficace, voire contre-productive. M. Burnley a fait valoir que, de manière générale, le fait qu’un secteur soit très favorable à un instrument tandis qu’un autre s’y oppose tout aussi fermement est peut-être le signe d’un déséquilibre à examiner. C’est pourquoi son organisation estime qu’une analyse plus approfondie du marché est nécessaire, compte tenu de la dynamique des marchés concernés et de la complexité des structures de propriété dans ce secteur. Certains producteurs indépendants pourraient être beaucoup plus puissants et plus grands que les organismes de radiodiffusion télévisuelle, et aux mains d’entreprises mondiales. En outre, la question cruciale ici porte sur les atteintes à la liberté contractuelle et créative des organismes de radiodiffusion télévisuelle dans les coproductions , qui pourraient les inciter à abandonner l’investissement dans la production indépendante.
37. L’UER juge certaines modifications indispensables:
  • Les organismes de radiodiffusion télévisuelle devraient pouvoir conserver des droits de propriété intellectuelle dans les coproductions. Comme d’autres acteurs, les médias de service public ont besoin de garantir un juste retour sur leur investissement grâce aux droits de propriété intellectuelle ou au partage des recettes commerciales. Ce serait d’autant plus important que leurs membres reçoivent des fonds publics;
  • Les médias de service public devraient être autorisés à obtenir des droits d’exploitation à perpétuité. Rien ne justifie que soit réglementée la durée pendant laquelle un opérateur de radiodiffusion télévisuelle qui coproduit peut ou non détenir des droits d’exploitation. Ce point est particulièrement important dans les séries largement financées par des médias de service public;
  • Les médias de service public devraient pouvoir continuer de s’associer au processus créatif, dans un travail commun de coproduction ; sur le plan financier comme éditorial, les médias de service public et les sociétés de production conjuguent leurs efforts de manière constructive pour aboutir à des contenus de la plus haute qualité possible. Pour les médias de service public, la qualité des œuvres, ainsi que les messages et thématiques qu’elles véhiculent sont essentiels en raison de leur mission. Ne pas répondre à leurs besoins dans le cadre de la convention pourrait entraîner des répercussions sérieuses sur l’écosystème des médias européens. Selon l’UER, cela pourrait les contraindre à internaliser davantage les productions afin de préserver leur maîtrise éditoriale, ou à réduire leurs investissements, au détriment des producteurs locaux et de la diversité culturelle dans son ensemble.
38. Aux yeux de l’UER, la crise actuelle du secteur audiovisuel européen appelle une intensification de la coopération entre les médias de service public, les organismes de radiodiffusion télévisuelle européens et les producteurs locaux. Cela permettrait de promouvoir efficacement la diversité culturelle européenne. L’UER soutient les objectifs généraux du projet de convention, tout en insistant sur la nécessité de l’améliorer par un travail plus rigoureux, plus analytique et plus inclusif. Des modifications importantes permettraient au texte de mieux traiter le problème majeur: l’influence néfaste de puissants acteurs mondiaux sur la diversité culturelle européenne au sein du marché audiovisuel européen. Le projet de convention devrait effectivement protéger et promouvoir la riche mosaïque de la diversité culturelle européenne. L’UER reste pleinement disposée à travailler avec le Conseil de l’Europe à la mise en place d’un cadre juridique qui soutienne authentiquement la production audiovisuelle européenne.
39. M. Gilles (ACT) s’est félicité que le projet de convention cherche à renforcer la coproduction de séries télévisées en Europe et à faire en sorte que les productions européennes puissent accéder aux financements nécessaires. Il a rappelé que les membres de l’ACT ont à leur actif de nombreuses coproductions très réussies, qui ont enrichi le paysage culturel européen et illustré la vitalité de leur activité créatrice. Les organismes commerciaux de radiodiffusion télévisuelle commande 56 % de leurs heures de séries produites, contre 5 % seulement pour les plateformes de diffusion à la demande. Sachant que les plateformes de diffusion continue (streaming) mondiaux réduisent leurs investissements dans la fiction, l’existence et la viabilité des diffuseurs publics et privés continueront longtemps de revêtir une grande importance dans la production européenne. L’ACT s’inquiète toutefois des orientations adoptées dans le projet de convention. Malgré les efforts qu’a déployés l’organisation pour participer de manière constructive au processus, la préparation du texte aurait été entachée de graves défauts. Le projet de convention ne reconnaît pas le rôle central des organismes de radiodiffusion télévisuelle dans le développement créatif et le financement des séries télévisées. Or ils sont souvent les premiers investisseurs et partenaires créatifs, engagés dès les premières étapes du développement, de l’idée initiale jusqu’à la production. Leur expertise, leurs investissements et leur participation active à tous les stades de la production ont été décisifs dans la création de nombreuses séries européennes qui ont connu le succès.
40. Selon l’ACT, le projet introduit des définitions trop restrictives, déconnectées des réalités du secteur. Il limite son champ d’application à certaines catégories de producteurs et tente d’imposer des règles en matière de propriété intellectuelle et de processus créatifs qui n’ont pas leur place dans un tel instrument. Le premier point de désaccord avec le projet de convention est l’idée d’harmoniser la définition de la production indépendante. Sachant que le Conseil de l’Europe est une organisation normative, l’ACT estime que cela pose problème. Deuxièmement, l’ACT critique l’article 7 du projet, qui restreint l’attribution des droits de propriété intellectuelle. Troisième inquiétude: l’article 8, sur la maîtrise du processus créatif. Les chaînes de télévision jouent un rôle central dans le processus de création parce que ce sont elles qui connaissent le mieux leur public ; elles doivent donc être pleinement associées à la production des séries.
41. À titre de comparaison, la Convention sur la coproduction cinématographique — équivalent du projet en discussion pour le secteur du cinéma — ne présente ni un champ d’application aussi étroit, ni des règles aussi prescriptives, alors même que la production indépendante y joue un rôle plus important. L’ACT impute en grande partie ce fait à un processus qui a contourné les débats politiques de fond. La convention, qui pourrait avoir un impact significatif sur l’écosystème des médias en Europe, semble se fonder sur une compréhension limitée des réalités du financement et de la production des séries télévisées sur le marché actuel. Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où l’initiative serait largement portée par des acteurs issus du secteur du cinéma, dont le fonctionnement diffère profondément de celui de la télévision. Les acteurs principaux, en particulier les organismes de radiodiffusion télévisuelle européens, ont été largement exclus du processus. Même l’avis juridique indépendant sollicité par Eurimages a été en grande partie ignoré. Ces manquements sont graves, et l’ACT demande à la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias de recommander la réouverture du dossier politique de la convention. Elle constate qu’une réévaluation complète des objectifs, des méthodes et du contenu du projet s’impose, y compris une étude d’impact rigoureuse ainsi que de véritables consultations des parties prenantes, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Les travaux du Conseil de l’Europe ne devraient par ailleurs jamais entrer en conflit avec les cadres, initiatives et objectifs de l’Union européenne – point que la Commission européenne a d’ailleurs abordé dans les discussions sur le projet de convention.
42. M. Gilles a précisé que cette position n’est pas uniquement celle de l’ACT. Le 15 octobre 2024, plusieurs associations représentant les services de médias audiovisuels européens (dont l’ACT) 
			(2) 
			La lettre est signée
par les organisations suivantes: ACT – Association des services
commerciaux de télévision et de vidéo à la demande en Europe, ABBRO
— Association des opérateurs de radiodiffusion-télévision bulgares,
AEVOD — Asociacion Española de VOD, ARCA – Asociatia Română de Comunicaţii
Audiovizuale, AKTV – Asociace komerčních televizí, ATVS – Asociácia
televíznych vysielateľov Slovenska, COBA – The Association for Commercial
Broadcasters and On-Demand Services, ERL – Eesti Ringhäälingute
Liit, Finnmedia – Finnish Media Federation, KIGEiT – Krajowa Izba
Gospodarcza Elektroniki i Telekomunikacji, LRA – Latvijas Raidorganizāciju
Asociācija, LRTA – Lietuvos Radijo ir Televizijos Asociacija, MEME
– Magyar Elektronikus Műsorszolgáltatók Egyesülete, UTECA – Unión
Televisiones Comerciales En Abierto, VAUNET – Verband Privater Medien,
VCO – Vereniging Commerciële Omroepen, VÖP – Verband Österreichischer
Privatsender, VSPF/ATPS – Verband Schweizer Privat Fernsehen / Association
des Télévisions Privées Suisses. ont même appelé conjointement à l’abandon pur et simple des résultats des travaux du CPPWG-Series. Le projet de convention contiendrait des dispositions préjudiciables aux entreprises européennes de médias audiovisuels. Il adopterait en particulier une approche problématique de la production indépendante, restreindrait les droits de propriété intellectuelle et la liberté contractuelle, limiterait les moyens de contribuer aux coproductions, imposerait des restrictions déraisonnables au travail créatif, et créerait des obligations problématiques pour les services de médias audiovisuels et des lourdeurs administratives dans l’attribution des financements publics. La lettre dénonce en outre l’influence indue de groupes d’intérêt qui prétendent que les organismes de radiodiffusion télévisuelle sont de simples financeurs et ne devraient pas être considérés comme des coproducteurs au même titre que les sociétés de production. Cette position serait en contradiction avec la réalité quotidienne du secteur, où les organismes de radiodiffusion télévisuelle financent et produisent la grande majorité des œuvres audiovisuelles, en particulier des séries, tout en assumant une part notable des risques liés à ces investissements. Tous les producteurs, qu’ils soient ou non indépendants, contribuent autant à la diversité et au pluralisme culturels et méritent d’être reconnus.

5. Réserves exprimées par la Commission européenne en ce qui concerne la définition du «producteur indépendant»

43. Dans une lettre adressée au Secrétariat du Conseil de l’Europe datée du 12 septembre 2024 que j’ai eu l’opportunité de consulter, la Commission européenne explique que la présence d’une définition de la notion de producteur indépendant applicable en l’absence d’une telle définition dans la législation nationale pourrait faire obstacle à l’évaluation de la directive sur les services de médias audiovisuels de l’UE (qui doit s’achever en 2026) et entraver la réflexion nécessaire sur la production indépendante. Cette révision prendra en compte la transformation en cours du paysage audiovisuel européen où de nouveaux acteurs, telles les plateformes de partage de vidéos et les entreprises mondiales de technologie, jouent un rôle croissant, et où certaines sociétés de production européennes considérées comme indépendantes pèsent économiquement autant, voire davantage, que les organismes de radiodiffusion télévisuelle.
44. La Commission européenne a assoupli sa position le 15 avril 2025 en déclarant, lors d’une réunion du Groupe de rapporteurs sur l'éducation, la culture, le sport, la jeunesse et l'environnement (GR-C), qu’elle rejoint la convention dans son objectif d’encouragement des coproductions de séries télévisées ; que la convention et son rapport explicatif devraient préciser clairement que la définition du producteur indépendant a un caractère indicatif et subsidiaire, et ne s’applique plus dès lors qu’une partie a adopté une définition dans son droit interne ; que si le producteur indépendant est défini en droit communautaire, cette définition doit être considérée comme faisant partie du droit interne de l’État membre de l’UE qui a déjà adhéré à la convention, et que la définition de la convention cesse alors d’être contraignante pour lui ; que l’UE a jusqu’à présent préféré ne pas adopter de définition au niveau européen pour plusieurs raisons, notamment la multiplicité des cadres juridiques nationaux et des traditions culturelles, ainsi que la nécessité de s’adapter à un marché des médias en constante évolution, mais qu’elle pourrait le faire dans le contexte de l’évaluation prochaine de la directive SMA; et que la Convention ne devrait pas préjuger de cette possibilité ni y faire obstacle.

6. Propositions d’amélioration

45. Je pense que quelques ajustements ciblés permettraient de réaliser pleinement le potentiel de la convention et de garantir sa large adoption et sa mise en œuvre uniforme dans des juridictions diverses. Ces améliorations ne visent pas à diluer la convention, mais à la rendre plus claire, plus efficace et mieux applicable concrètement dans divers cadres nationaux.
46. Il est essentiel que le projet de convention n’introduise pas de contraintes ou de déséquilibres structurels non voulus qui pourraient nuire à la diversité et à la compétitivité de l’écosystème audiovisuel européen.
47. Une analyse de marché et une étude d’impact plus complètes auraient permis, en phase préparatoire, de mieux étayer les objectifs de la convention. Les marchés concernés sont très dynamiques et les structures de propriété sont complexes dans ce secteur. En fait, certains producteurs indépendants sont beaucoup plus puissants et plus grands que les organismes de radiodiffusion télévisuelle, et appartiennent à des sociétés d’envergure mondiale.
48. Toucher à la liberté contractuelle et créative des organismes de radiodiffusion télévisuelle dans les coproductions entrant dans le champ d’application du projet de convention pourrait les conduire à renoncer à investir dans la coproduction indépendante de séries.
49. Il conviendrait de revenir sur certains points du texte du projet de convention.
50. L’article 3(e) dit que l’expression «coproducteurs indépendants» désigne «les sociétés de production audiovisuelle qui sont liées par un contrat de coproduction et qualifiées d’indépendantes en vertu des dispositions du droit interne de leur pays d'établissement ou, en l'absence de telles dispositions, qui satisfont aux critères d'indépendance énoncés à l'annexe III de la présente Convention».
51. On lit à l’annexe III qu’«en l’absence de dispositions de droit interne et pour l’application de l’article 3, alinéa e, les autorités compétentes des Parties concernées définissent une société de production audiovisuelle indépendante à l’aune des critères suivants:
  • la société n’est pas contrôlée majoritairement, directement ou indirectement, par un fournisseur de services de médias ;
  • la société ne dépend pas exclusivement ni dans une large mesure d’un seul fournisseur de services de médias ou d’un groupe de fournisseurs de services de médias pour le financement de ses œuvres ; elle assume la responsabilité de la livraison de ses œuvres et peut prendre des décisions en matière de diffusion en faisant appel à divers acteurs.»
52. Je ne conteste pas qu’il importe de définir clairement la notion de «producteur indépendant». Mais cette définition devrait découler des caractéristiques et des besoins spécifiques de chaque marché national, et être adoptée de façon autonome par chaque pays, selon ses procédures législatives ou réglementaires. L’harmonisation d’une définition juridique aussi importante ne doit pas se faire par érosion de la diversité des systèmes d’aides publiques et privées déjà en place s’ils se sont révélés efficaces. Imposer une définition dans la convention risque de susciter des incertitudes juridiques, de fragiliser des dispositifs nationaux performants et de décourager l’investissement. Je juge donc essentiel de respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque État définir l’indépendance en fonction de son propre écosystème audiovisuel.
53. La présence dans le projet de convention d’une définition applicable aux États qui n’en possèdent pas actuellement pourrait exercer une pression normative indue sur les systèmes nationaux, surtout si ladite définition ne s’appuie pas sur un consensus ou une base juridique existante. Bien que formellement présentée comme subsidiaire, elle serait de facto interprétable comme une norme supranationale.
54. Pour toutes ces raisons, et dans un souci de cohérence et de respect des particularités nationales, je propose que le projet de convention ne contienne pas de définition unique du «producteur indépendant». En lieu et place, tout signataire qui n’a pas défini le producteur indépendant au sens du projet de convention devrait adopter sa propre définition avant l’entrée en vigueur du traité sur son territoire. Ce serait une façon d’arbitrer entre le respect de la souveraineté nationale et l’impératif de transparence et de responsabilisation dans l’application des dispositifs d’aide publique.
55. La présence de règles relatives à la propriété intellectuelle et au contrôle artistique restreint la liberté contractuelle et la gestion des droits, ce qui pourrait aller à contre-courant de pratiques établies et de l’harmonisation existante au niveau européen.
56. Enfin, je reconnais que les autorités concernées peuvent avoir besoin de données pour mesurer l’efficacité et l’efficience de leurs dépenses et/ou de leurs programmes, mais l’obligation de communiquer ces données pourrait susciter des inquiétudes sur le respect du secret commercial, car elles risqueraient de révéler des informations sur les stratégies commerciales et le fonctionnement des sociétés audiovisuelles.

7. Conclusions

57. J’invite l’Assemblée à se féliciter de ce projet très opportun de nouvelle convention sur la coproduction d’œuvres audiovisuelles sous forme de séries, et rends hommage à l’approche et aux principes qui en inspirent le texte. Comme indiqué précédemment, les modifications proposées dans le projet d’avis visent à rendre la convention plus claire, plus efficace et mieux applicable dans de multiples cadres nationaux.