1. Introduction
1. Ces dernières années, les mouvements
menés par des jeunes sont devenus des forces vives de la défense
et du renouveau des valeurs démocratiques, en particulier face à
la montée de l’autoritarisme, à la méfiance institutionnelle, à
l’exclusion socio-économique, à la transformation numérique et à
la crise environnementale.
2. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a reconnu
l’urgence de placer les jeunes au cœur de la résilience démocratique.
Mon rapport s’appuie sur la
Résolution 2553 (2024) «Renforcer la perspective jeunesse dans les travaux
de l’Assemblée parlementaire», qui appelle à intégrer systématiquement
les jeunes dans les processus décisionnels et à créer des canaux
de participation constructifs et structurés.
3. Il complète le travail de Mme Sona Ghazaryan
(Arménie, ADLE) sur «Le rôle des jeunes dans la revitalisation de
la démocratie»

, en mettant l’accent sur la façon
dont les mouvements de jeunes transforment activement les pratiques
démocratiques dans les États membres.
4. La
Résolution 2610 (2025) «Mobilisation sociale, troubles sociaux et réaction
de la police dans les États membres du Conseil de l’Europe: un nouveau
contrat social est-il nécessaire?» de l’Assemblée souligne également
la nécessité d’un nouveau contrat social en réponse aux troubles
sociaux croissants et à l’érosion de la confiance dans les institutions
démocratiques. Elle met en avant l’importance de la démocratie participative
et délibérative, en particulier lorsqu’elle implique les jeunes,
et appelle à renforcer l’inclusivité des processus d’élaboration
des politiques. La Résolution 2610 exhorte les États membres à privilégier
le dialogue, la médiation et la désescalade dans la gestion des
manifestations, à investir dans la police de proximité, et à lutter
contre les pratiques discriminatoires telles que le profilage ethnique.
Elle promeut un modèle de service public de la police fondé sur
la responsabilité, le respect et l’engagement local, en mettant
l’accent sur la formation et les réformes qui défendent les droits
humains et les valeurs démocratiques.
5. Mon rapport vise à offrir une analyse ciblée des mouvements
de jeunes dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe.
Il examine les principaux domaines de mobilisation, tels que la
lutte contre la corruption, la responsabilité démocratique, les
droits numériques, la justice environnementale et les droits humains,
et décrit les tendances émergentes, les défis et les réponses politiques.
6. Il évalue également le rôle institutionnel du Conseil de l’Europe
et d’autres organisations internationales. Le dernier chapitre contient
des recommandations concrètes à l’intention des gouvernements, des
parlements et des institutions multilatérales visant à protéger,
à autonomiser et à inclure de manière significative les jeunes acteurs
et actrices de la démocratie en Europe.
7. Un premier échange de vues a eu lieu le 25 juin 2025, avec
la participation de Mme Miriam Teuma, présidente
du Comité directeur européen pour la jeunesse (CDEJ), Conseil de
l’Europe; Mme Nina Grmuša, présidente
du Conseil mixte sur la jeunesse (CMJ) et du Conseil consultatif
sur la jeunesse (CCJ), Conseil de l’Europe; M. Francesco Gellel,
responsable des communautés de jeunes à Malte; M. Tobias Flessenkemper, chef
du Service de la jeunesse, Conseil de l’Europe, ainsi que plusieurs
rapporteur·es pour la jeunesse de l’Assemblée. L’accent a été mis
sur l’autonomisation des jeunes dans le but qu’ils deviennent des
acteurs actifs de la construction d’une gouvernance démocratique
en Europe.
8. J’ai également reçu une contribution écrite du Conseil consultatif
sur la jeunesse, qui a été présentée par la présidente de la commission
de la culture, de la science, de l'éducation et des médias lors
de la réunion de la commission le 4 septembre 2025. Mon objectif
est de présenter ce rapport lors d’un événement jeunesse organisé
en marge de la 10e Conférence du Conseil
de l’Europe des ministres responsables de la jeunesse intitulée
«
Les
jeunes pour la démocratie: les perspectives des jeunes en action», qui se déroulera les 8 et 9 octobre 2025, à La Valette,
Malte.
2. La jeunesse à l’avant-garde du changement
démocratique
9. En Europe, les jeunes sont
en train de redéfinir le sens et la pratique de la démocratie. Leurs
activités militantes n’attendent pas les cycles électoraux ou les
points d’entrée politiques traditionnels. Elles découlent plutôt
de l’expérience vécue: injustice, corruption, précarité, discrimination,
réduction au silence, inaction.
10. Aujourd’hui en Europe, les jeunes militant·es sont intersectionnels,
natifs du numérique, transnationaux et attachés à des valeurs communes
telles que la liberté, la dignité, la durabilité et la responsabilité.
11. Les mouvements sont horizontaux, fluides et souvent décentralisés.
Plutôt que de rechercher le pouvoir au sein des structures existantes,
ils s’attaquent directement aux déséquilibres de pouvoir en se réappropriant l’espace
public, en produisant des contre-discours et en créant des alternatives
locales aux services publics. La légitimité de ces mouvements est
souvent ancrée dans l’éthique civique plutôt que dans l’affiliation partisane

.
12. Dans tous les contextes, les mouvements de jeunes ne se contentent
pas de protester, ils proposent aussi des solutions: des organismes
de prévention de la corruption, des budgets participatifs, des outils
de justice sociale, des chartes sur l’éducation à la démocratie,
des laboratoires civiques en données ouvertes et des cadres politiques
inclusifs pour le climat. Les gouvernements devraient reconnaître
et soutenir cette forme de militantisme politique, qui contribue
à l’innovation démocratique, et non à la «déstabilisation».
3. Exemples
récents de mouvements de jeunes dans les États membres du Conseil
de l’Europe
3.1. Ukraine:
les jeunes, moteur de la résilience et de la relance
13. Malgré les difficultés liées
à la guerre, les jeunes Ukrainiens sont devenus des piliers essentiels
de la résilience de leur nation. Ils contribuent activement à la
vie de leur communauté et à l'effort de guerre dans son ensemble.
L'invasion à grande échelle a inspiré le volontariat chez les jeunes:
des enquêtes montrent que 22 % des jeunes Ukrainiens se sont engagés
dans le volontariat directement à cause de la guerre, assumant des
rôles allant de la distribution de l'aide humanitaire au plaidoyer
numérique à l'étranger.
14. Les jeunes Ukrainiens ne se concentrent pas uniquement sur
la lutte actuelle, mais sont également désireux de participer à
la reconstruction de leur pays. Une étude récente a révélé que 72 %
des jeunes se disent prêts à participer aux efforts de relance après
la guerre

.
15. Cet engagement civique s'est encore amplifié en 2025, lorsque
Lviv a obtenu le titre de Capitale européenne de la jeunesse. La
ville a accueilli de nombreux forums internationaux, échanges culturels
et débats politiques qui ont réuni de jeunes leaders de toute l'Europe.
Ces initiatives ont mis en évidence la manière dont la jeunesse
ukrainienne contribue non seulement à la résilience nationale, mais
aussi à la communauté démocratique européenne.
16. Les jeunes Ukrainiens participent également activement à la
vie politique, notamment en favorisant l'adhésion de l'Ukraine à
l'Union européenne et en encourageant les réformes, en particulier
celles visant à renforcer l'État de droit et à mettre en place un
système efficace de lutte contre la corruption.
3.2. Serbie:
soulèvement des jeunes contre la corruption
17. Les manifestations étudiantes
qui ont commencé en Serbie en novembre 2024 ont été déclenchées
par une défaillance mortelle sur une infrastructure à Novi Sad,
mais elles ont rapidement évolué pour accuser plus largement la
corruption, l’autoritarisme et la décadence

.
Les manifestant·es, dont beaucoup d’étudiant·es et de jeunes professionnel·les,
ont exigé des élections anticipées, des démissions ministérielles
et des réformes structurelles visant à lutter contre la corruption.
18. En réponse, le gouvernement a intensifié la répression: arrestations,
violences physiques, désinformation médiatique et stigmatisation
des manifestant·es. Néanmoins, le mouvement a persisté et innové,
en organisant des «écoles de la démocratie», des veillées silencieuses,
des assemblées horizontales et des actes de protestation visant
à demander des comptes aux institutions. Les manifestations ont
rassemblé les générations et les catégories sociales, des retraité·es
aux agriculteurs et agricultrices, créant ainsi l’une des plus grandes
mobilisations citoyennes dans la région depuis plus d’une décennie

.
19. En mars et en août 2025, les corapporteur·es de l’Assemblée
pour le suivi de la Serbie ont également exprimé leur vive inquiétude
face à l’escalade de la répression et ont appelé les autorités serbes
à respecter le droit à la liberté de réunion pacifique et la liberté
d’expression politique

. En avril 2025, quelque 80 étudiants et
étudiantes serbes ont parcouru 1 400 km à vélo, de Novi Sad à Strasbourg,
un voyage symbolique pour s’entretenir avec des représentant·es
du Parlement européen et du Conseil de l’Europe et plaider en faveur de
la responsabilité et des valeurs démocratiques. Une belle initiative

.
3.3. Türkiye:
le courage civique sous pression
20. En Türkiye, les jeunes militant·es
continuent de résister au rétrécissement de l’espace démocratique. Les
manifestations contre le contrôle des universités par le gouvernement,
la suppression des groupes LGBTI+ et la dégradation de l’environnement
font l’objet d’intimidations, de poursuites judiciaires et de violences
physiques. Selon les organisations de défense des droits humains,
les mouvements écologistes menés par des jeunes, les assemblées
étudiantes et les campagnes de solidarité en ligne représentent
de puissants contrepoids au contrôle exercé par le sommet

.
21. Malgré le risque, les jeunes continuent de s’exprimer. Ils
organisent des séances de lecture de la Constitution sur les places
publiques, établissent des centres de consultation juridique et
mènent une résistance culturelle par le biais de l’art, de la musique
et de médias indépendants. Tout récemment, le 6 août 2025, le Président
du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, Marc Cools, a fermement
condamné l’arrestation en Türkiye du délégué jeune du Congrès, Enes Hocaoğulları,
qui au cours de la session du Congrès en 2025 avait exercé sa liberté
d’expression et dénoncé les tortures policières et les fouilles
à corps lors des manifestations. M. Cools a demandé sa libération
immédiate, soulignant la violation des droits démocratiques et exhortant
les autorités turques à abandonner toutes les charges retenues contre
lui

.
3.4. Géorgie:
rejet de la législation sur les agents étrangers
22. En Géorgie, une proposition
de loi qualifiant les ONG et les médias d’«agents étrangers» a déclenché une
mobilisation massive de la jeunesse. Les jeunes ont organisé des
manifestations à grande échelle, occupé des institutions publiques
et construit de solides réseaux numériques. Leur message était clair:
la transparence ne peut reposer sur la répression

. Bien que la loi ait été adoptée
dans une version modifiée, le mouvement a réussi à recadrer le discours
civique et à faire de la jeunesse une force démocratique pro-européenne. Certain·es
dirigeant·es du mouvement jouent désormais un rôle dans le débat
politique au niveau national et international

.
3.5. République
slovaque: défense d'une démocratie tournée vers l'Europe
23. En décembre 2024, le voyage
surprise du Premier ministre slovaque Robert Fico à Moscou pour rencontrer
le criminel de guerre et président illégitime russe Vladimir Poutine,
alors que la Russie menait une guerre totale contre l'Ukraine, a
déclenché des manifestations nationales auxquelles ont participé
de nombreux jeunes. Les rassemblements à Bratislava et dans d'autres
villes se sont unis sous le slogan «La Slovaquie c’est l’Europe»,
signalant leur rejet d'un virage pro-Moscou et affirmant leur soutien
à l'Union européenne (UE), à l'Organisation du traité de l'Atlantique
nord (OTAN) et à l'Ukraine. Les manifestations se sont poursuivies jusqu'en
mai 2025

.
3.6. France,
Italie, Malte, Royaume-Uni: la politique de la justice et de l’imagination
24. En France et en Italie, le
militantisme des jeunes mêle préoccupations environnementales, sociales
et démocratiques. En France, les simulacres de tribunaux du climat
et les manifestations en faveur de la justice climatique mettent
en évidence l’inaction du gouvernement. En Italie, des groupes de
jeunes se réapproprient les espaces urbains, soutiennent les communautés
précaires et mettent en avant des solutions économiques radicales,
allant de la décroissance au revenu universel de base

.
25. À Malte, les groupes de jeunes tels que Moviment Graffitti

, bien qu’intergénérationnels, se caractérisent
par une forte participation des jeunes et ont été à l’avant-garde
des campagnes contre la planification non durable et le surdéveloppement.
Les manifestant·es ont réclamé des études d’impact sur l’environnement
transparentes, la protection des terrains publics et une participation
significative aux processus décisionnels.
26. Youth Demand, qui a vu le jour au Royaume-Uni, est un mouvement
de jeunes militant·es connu pour ses tactiques perturbatrices, mais
non violentes. Ancré dans l’action environnementale et politique,
et lié au mouvement Just Stop Oil, il a mis en place des barrages
routiers, peint des espaces publics à la bombe et organisé des actions
spectaculaires pour exiger la fin des licences d’exploitation des
combustibles fossiles et des échanges commerciaux avec Israël. En
2025, il a intensifié ses actions avec des manifestations éclatées et
décentralisées («open swarming protests»), et a même organisé une
«cérémonie de remise de prix» pour célébrer les militant·es arrêtés

.
27. Ces mouvements font preuve de créativité et d’engagement politique
et représentent non seulement des protestations, mais aussi des
laboratoires politiques tournés vers l’avenir.
4. Thèmes
et méthodes du militantisme démocratique des jeunes
28. Lutte contre la corruption:
dans toute l’Europe, les jeunes dénoncent les systèmes d’impunité
et de corruption. Ils utilisent des outils de transparence, le journalisme
citoyen et la protestation pour exiger une gouvernance propre.
29. Justice environnementale et climatique: Fridays for Future
et les mouvements apparentés ont évolué pour inclure des revendications
intersectionnelles, c’est-à-dire portant à la fois sur l’environnement,
l’équité et les droits. Les jeunes militant·es établissent un lien
entre l’effondrement climatique d’une part, et l’irresponsabilité
et l’inaction politiques d’autre part.
30. Justice socio-économique: le logement, l’éducation et l’emploi
sont désormais au cœur des préoccupations. Les militant·es associent
la précarité économique à l’exclusion démocratique et exigent des réformes
structurelles.
31. Droits et libertés: les libertés d’expression, de réunion
et d’association sont un enjeu central. L’éducation juridique, les
campagnes de sensibilisation aux droits humains et les litiges stratégiques
font partie des modes d’organisation de la jeunesse dans toute l’Europe.
32. Politique étrangère et politique mondiale: les jeunes se mobilisent
et demandent à leurs gouvernements d’agir face aux crises de politique
étrangère et aux crises politiques mondiales, tout récemment en
ce qui concerne la situation humanitaire à Gaza.
33. Mobilisation numérique: les jeunes utilisent des messageries
cryptées, des outils à code source ouvert et des retransmissions
en direct pour coordonner les manifestations, éduquer leurs pairs
et éviter la surveillance. Leur maîtrise du numérique est un atout
démocratique

.
34. Intelligence artificielle (IA) centrée sur l’humain et revenu
universel de base: dans toute l’Europe et au-delà, des mouvements
menés par des jeunes défendent une technologie éthique et la dignité
économique à l’ère du numérique. Des mouvements tels que
Algorithmic Justice
League et
UNICEF’s
Generation AI associent les jeunes à l’élaboration de la gouvernance
de l’IA, en s’attaquant aux biais algorithmiques, à la surveillance
et à l’exclusion. Les jeunes militant·es considèrent le revenu universel
de base comme une réponse au creusement des inégalités, à la précarité
de l’emploi et à l’automatisation. Ils ont joué un rôle visible dans
la Marche pour le revenu de base en 2021 et ont participé aux campagnes
menées par UBIE (Unconditional Basic Income Europe) en Europe

.
5. Tendances
émergentes de l’engagement démocratique des jeunes
35. Comme indiqué ci-dessus, les
mouvements de jeunes en Europe ne font pas que réagir aux crises immédiates;
ils façonnent également de nouvelles formes de pratiques démocratiques.
Ces mouvements expérimentent des idées, des outils et des valeurs
qui diffèrent sensiblement de l’engagement politique traditionnel.
Plusieurs tendances distinctes sont apparues, qui reflètent ce changement
générationnel.
36. La solidarité transnationale est également devenue une caractéristique
essentielle de la mobilisation des jeunes. En Serbie, par exemple,
les mouvements se sont inspirés de la résistance menée par les jeunes en
Géorgie. Les manuels de protestation, les supports visuels, les
boîtes à outils numériques et les cadres stratégiques sont traduits
et adaptés au-delà des frontières. Les réseaux sociaux, les applications
de messagerie cryptées et les alliances informelles permettent aux
jeunes d’apprendre les uns des autres en temps réel, créant ainsi
une culture civique qui transcende les frontières nationales et
les contraintes autoritaires.
37. La gouvernance horizontale est une autre caractéristique de
ces mouvements. Rejetant les hiérarchies traditionnelles et les
structures rigides, de nombreux collectifs de jeunes fonctionnent
sur la base du consensus, du leadership partagé et de la responsabilité
mutuelle. Ils ont recours à la facilitation tournante, aux assemblées
ouvertes et à la répartition des rôles pour garantir l’inclusivité
et remettre en question les modèles dominants de prise de décision
qui marginalisent souvent les jeunes. Non seulement ces méthodes d’organisation
reflètent leurs idéaux démocratiques, mais elles servent aussi d’outils
pratiques pour la résilience et l’adaptabilité.
38. La construction d’infrastructures civiques est de plus en
plus au cœur du militantisme des jeunes. Ces derniers ne se contentent
pas seulement de s’opposer à des systèmes injustes, ils créent aussi
activement d’autres solutions. Dans toute l’Europe, nous assistons
à la naissance de plateformes médiatiques, de collectifs d’aide
juridique, de réseaux de plaidoyer numérique et d’écoles de la démocratie
dirigés par des jeunes. Ces espaces offrent une éducation politique,
un soutien communautaire et des plateformes d’expression qui ne
sont souvent pas disponibles dans les institutions publiques. Ils
reflètent la détermination d’une génération à soutenir la culture
démocratique à partir de la base.
39. La rupture narrative est également essentielle à la manière
dont les jeunes s’engagent en politique. Ils remettent en question
les cadres dominants et réinventent le langage du discours public.
Des mots comme «résistance», «protestation» et «désordre» sont récupérés
et redéfinis: la résistance devient une forme de prise en charge
de la société; la protestation devient protection des droits; et
ce que les autorités pourraient qualifier de désordre, les mouvements
de jeunes l’interprètent comme la responsabilité en action. Par
le récit, l’humour, l’art et l’action symbolique, ils façonnent
de nouvelles conceptions de la participation à la démocratie

.
40. Enfin, la résilience et la joie traversent ces mouvements
comme des actes de défi et d’espoir. Face à la répression, à la
marginalisation ou à l’indifférence, les jeunes imprègnent leur
militantisme d’art, de créativité, de musique, d’humour et d’un
fort sentiment d’appartenance à la communauté. Il ne s’agit pas
de gestes superficiels, mais de véritables stratégies politiques
qui soutiennent le moral, attirent une plus grande participation
et reflètent un engagement profond en faveur de la dignité humaine.
Grâce à la joie collective et à l’expression culturelle, les mouvements
de jeunes se réapproprient l’espace public en tant que lieu d’appartenance,
de vie en communauté et de transformation

.
41. Ensemble, ces tendances révèlent une reconfiguration de l’engagement
démocratique. Les jeunes ne demandent pas simplement à être intégrés
dans les systèmes existants, ils inventent de nouvelles façons d’imaginer
et de pratiquer la démocratie qui méritent reconnaissance, protection
et soutien.
6. Obstacles
à la participation
42. La participation des jeunes
aux mouvements démocratiques et sociaux se heurte souvent à des obstacles
importants qui limitent leur capacité à s’engager pleinement et
efficacement. Ces obstacles prennent de nombreuses formes, allant
des difficultés juridiques et économiques aux contraintes numériques
et institutionnelles, en passant par les stéréotypes sociaux omniprésents.
43. Les poursuites judiciaires constituent un obstacle majeur.
Dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, la criminalisation
des manifestations est devenue une tactique de plus en plus courante
pour réprimer la dissidence, en particulier lorsque des jeunes y
participent. Les lois qui définissent ou restreignent de manière
générale les rassemblements pacifiques, ainsi que les arrestations
ciblées de jeunes militant·es, envoient un message effrayant qui
décourage la participation. Les lois punitives, telles que celles
imposant de lourdes amendes ou des peines de prison pour l’organisation
de manifestations ou la participation à ce type d’événements, dissuadent
encore davantage les jeunes d’exercer leurs droits démocratiques.
Cette répression légale ne limite pas seulement la participation
immédiate, mais peut avoir des conséquences à long terme, notamment
des casiers judiciaires qui compromettent les possibilités d’avenir

.
44. L’exclusion économique contribue aussi dans une large mesure
à entraver la participation des jeunes. La hausse du coût du logement,
le chômage généralisé ou les conditions de travail précaires, ainsi
que le poids des frais de scolarité élevés sont autant de défis
quotidiens à relever pour survivre, qui empêchent de nombreux jeunes
d’avoir suffisamment de temps, d’énergie ou de ressources pour s’engager
dans la vie civique. Lorsque les besoins fondamentaux tels qu’un
logement stable et la sécurité financière ne sont pas satisfaits,
la participation à des mouvements sociaux ou à des processus politiques
peut sembler un luxe plutôt qu’une priorité. Les difficultés économiques
touchent de manière disproportionnée certains groupes de jeunes, aggravant
les inégalités et limitant encore davantage les possibilités de
participation

.
45. La répression numérique est un obstacle plus récent, mais
de plus en plus répandu, à l’ère du numérique. Si les plateformes
en ligne ont ouvert de nouveaux espaces pour la mobilisation et
l’expression des jeunes, ces espaces sont en même temps soumis à
la surveillance des autorités de l’État, qui contrôlent les activités
numériques des militant·es. Les campagnes de désinformation cherchent
à jeter le trouble et à saper les mouvements menés par des jeunes,
en érodant la confiance et en semant la division. En outre, la censure
des plateformes — qu’elle soit le fait d’algorithmes automatisés
ou de pressions gouvernementales — peut entraîner le retrait ou
la suppression de contenus qui remettent en cause les structures
de pouvoir établies. Ces contrôles numériques limitent la capacité
des jeunes à s’organiser, à partager des informations et à atteindre
un public plus large, ce qui réduit effectivement leur influence.
46. Le verrouillage institutionnel se manifeste sous la forme
de mécanismes de participation superficiels ou symboliques. Bien
que certaines institutions invitent les jeunes à participer à des
consultations ou à assurer la fonction de conseillers, ces possibilités
sont souvent dépourvues d’un véritable pouvoir décisionnel. Cette approche
qui consiste à «cocher des cases» affaiblit la capacité d’agir des
jeunes et engendre la frustration, dans la mesure où leurs contributions
sont ignorées ou écartées au profit du maintien du statu quo. Pour participer
réellement, il ne suffit pas de pouvoir le faire, il faut aussi
avoir les moyens d’agir, afin d’exercer une influence réelle sur
les politiques et les pratiques

.
C’est pourquoi j’ai demandé une contribution écrite du Comité Consultatif
sur la jeunesse (voir paragraphe 8 plus haut) afin que la voix et
les recommandations des jeunes figurent dans mon rapport.
47. Enfin, les stéréotypes restent un obstacle social omniprésent.
Dans les médias et le discours politique, les jeunes sont souvent
présentés comme naïfs, trop radicaux ou facilement manipulables
par des forces extérieures. Ces représentations diminuent la légitimité
des mouvements de jeunes et dissuadent l’opinion publique de les
soutenir plus largement. Ces stéréotypes marginalisent les jeunes
militant·es, créant une stigmatisation sociale et réduisant leur
crédibilité en tant qu’acteurs sérieux des processus démocratiques.
Ils découragent également les jeunes eux-mêmes de participer, car
ils s’attendent à être rejetés ou incompris

.
48. Ensemble, ces obstacles créent un environnement complexe dans
lequel la participation des jeunes est limitée à de multiples niveaux.
Pour y remédier, il faut déployer des efforts globaux et coordonnés
afin de réformer les cadres juridiques, de réduire les disparités
économiques, de protéger les libertés numériques, de garantir une
véritable inclusion institutionnelle et de lutter contre les stéréotypes
préjudiciables. Ce n’est que dans ces conditions que le plein potentiel
de la participation des jeunes à la démocratie et à la société pourra être
réalisé.
7. Rôle
du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales
51. La Charte européenne sur la participation des jeunes à la
vie locale et régionale, récemment révisée, devrait être adoptée
par le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux en octobre 2025.
Elle souligne le rôle vital d’une participation significative des
jeunes, et exhorte les collectivités locales et les conseils municipaux à
faire entendre la voix des jeunes

.
52. L’étude élaborée en 2021 par le Partenariat pour la jeunesse
UE-Conseil de l’Europe intitulée «
Meaningful
Youth Political Participation in Europe: Concepts, Patterns, and
Policy Implications » (Participation politique significative des jeunes en
Europe: concepts, modèles et incidences sur l’élaboration des politiques)
appelle à reconnaître et à soutenir les formes conventionnelles
et non conventionnelles de participation des jeunes. Elle indique
que le soutien de ces mouvements nécessite une action coordonnée
de la part de plusieurs parties prenantes, à savoir:
- les institutions publiques,
qui devraient renforcer les structures participatives, soutenir
les processus délibératifs au sein des conseils de jeunes et des
organes consultatifs, et concevoir des espaces politiques en collaboration
avec les jeunes. Le cadre de référence du Conseil de l’Europe pour
une perspective jeunesse, qui devrait être adopté en octobre 2025
par les ministres responsables de la jeunesse en Europe, fournira
des orientations précieuses à cet égard;
- les organisations internationales, les ONG, les militant·es
plus âgés et les autres parties prenantes, qui peuvent donner des
conseils, ou encore apporter une légitimité et des ressources pour
soutenir les initiatives menées par des jeunes;
- les responsables politiques, qui doivent adopter une approche
globale, et reconnaître que les jeunes s’engagent dans la politique
de manière diverse et évolutive. L’engagement institutionnel doit
aller au-delà des modèles parlementaires traditionnels et offrir
de multiples points d’entrée qui correspondent aux différentes capacités
et expériences d’engagement civique des jeunes.
53. L’étude invite également les pouvoirs publics à défendre et
à soutenir activement ces autres voies, en veillant à ce que la
protestation, la désobéissance civile et les formes non traditionnelles
de militantisme soient respectées et protégées en tant qu’expressions
vitales d’une démocratie dynamique.
54. La 10e Conférence des ministres
responsables de la jeunesse, qui se tiendra à Malte en octobre 2025, devrait
réaffirmer les engagements en faveur de la participation des jeunes
et promouvoir l’élaboration de politiques avec, par et pour les
jeunes.
55. Pour sa part, l’Assemblée doit veiller à ce que ses mécanismes
réagissent rapidement aux violations des droits humains des jeunes,
soutiennent les initiatives locales dans les contextes répressifs
et défendent l’espace civique dans les processus d’adhésion et de
suivi. Le nouveau mécanisme de participation des jeunes de l’Assemblée
et la création de rapporteur·es pour la jeunesse, prévus par la
Résolution 2553 (2024), constituent une étape cruciale en ce sens.
56. En ce qui concerne l’action complémentaire des principales
organisations internationales, il convient de noter que la Commission
européenne et le Parlement européen soutiennent l’engagement des
jeunes grâce à Erasmus+, à la Stratégie européenne pour la jeunesse
et au Fonds pour la société civile. Les mécanismes de conditionnalité
devraient intégrer les libertés civiques des jeunes dans les négociations
d’adhésion

.
57. Jeunesse 2030, la stratégie des Nations Unies pour la jeunesse,
fournit un cadre mondial. Cependant, sa mise en œuvre en Europe
nécessite un meilleur financement et une plus grande visibilité

. Les missions électorales du Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) font de
plus en plus appel à de jeunes observateurs et observatrices. Cette
pratique devrait être étendue et diversifiée

.
8. Conclusions
et recommandations
58. Dans toute l’Europe, les jeunes
ne sont pas seulement des participants à la démocratie, ils en sont
les défenseurs les plus actifs et les bâtisseurs les plus imaginatifs.
Face au recul de la démocratie, à la polarisation et à l’inertie
institutionnelle, les mouvements de jeunes apportent une vision
inclusive de la justice, des droits et de la participation. Leurs
actions montrent que la démocratie doit être vécue, contestée et
renouvelée par chaque génération.
59. Les gouvernements et les institutions doivent veiller à ce
que ce courage suscite la reconnaissance, le soutien et des réformes
structurelles, et non la répression ou l’indifférence. Le Conseil
de l’Europe et ses États membres devraient apprendre de ces mouvements,
les protéger, les financer, et les reconnaître comme des modèles
de démocratie dans un environnement de plus en plus fragile.
60. L’Assemblée devrait affirmer que les jeunes sont des acteurs
essentiels de la défense et du renouveau de la démocratie, et appeler
les États membres, l’Union européenne et les parties prenantes internationales concernées
à protéger et à promouvoir l’engagement civique des jeunes en tant
que pierre angulaire de la résilience démocratique et, à cette fin:
- protéger les droits humains
et les libertés des jeunes, en garantissant le droit à la liberté
de réunion pacifique et la liberté d’association, en éliminant les
obstacles disproportionnés aux manifestations organisées par les
jeunes, en abrogeant les lois qui restreignent injustement les manifestations pacifiques
et en mettant fin aux arrestations de jeunes militant·es pour des
motifs politiques, tout en garantissant l’accès à l’aide juridique
et aux voies de recours judiciaires;
- adopter une «perspective jeunesse» stratégique dans l’élaboration
des politiques et la prise de décision afin de garantir que les
expériences, besoins et intérêts des jeunes soient systématiquement
pris en compte, renforçant ainsi l’impact et la légitimité des processus
et des politiques;
- institutionnaliser la participation des jeunes, en garantissant
une représentation significative des jeunes dans les organes élus
et les structures consultatives, grâce à des mécanismes durables,
inclusifs et participatifs destinés aux jeunes, en abaissant l’âge
de la majorité électorale à 16 ans dans tous les États membres,
en établissant des listes électorales qui rassemblent différentes
tranches d’âge et en instaurant des quotas de jeunes afin de promouvoir
la solidarité intergénérationnelle;
- soutenir les initiatives menées par des jeunes et les
infrastructures civiques, en allouant des fonds dédiés à des espaces
sûrs et inclusifs, à des plateformes en ligne indépendantes et à
des centres de consultation juridique, et en promouvant les médias
dirigés par des jeunes et l’éducation démocratique et civique, conformément
à la Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation
aux droits de l’homme et au Cadre de référence des compétences pour
une culture de la démocratie du Conseil de l’Europe;
- s’attaquer aux obstacles structurels, en luttant contre
la précarité socio-économique grâce à des politiques de logement,
d’emploi et d’éducation adaptées aux jeunes, en promouvant l’accès
à des médias libres et pluralistes, et en soutenant la coopération
transfrontalière et la diplomatie entre jeunes;
- renforcer la coopération internationale, en encourageant
l’UE à intégrer des critères d’évaluation de l’espace civique pour
les jeunes dans les processus d’élargissement et les cadres de financement,
en assurant la coordination avec les Nations Unies, l’OSCE et d’autres
organisations afin de suivre et de protéger les droits humains des
jeunes, et en associant les jeunes de la diaspora et les jeunes
réfugiés aux stratégies de participation à la démocratie.
61. Pour sa part, l’Assemblée devrait montrer l’exemple, en renforçant
la participation des jeunes à ses travaux, notamment grâce aux rapporteur·es
pour la jeunesse, au dialogue régulier avec les organisations dirigées
par des jeunes et aux contributions structurées du Conseil consultatif
sur la jeunesse. Elle devrait intégrer les perspectives des jeunes
dans toutes les commissions, placer la question de l’espace civique
des jeunes au rang des préoccupations démocratiques permanentes
et surveiller de toute urgence les restrictions des droits humains
des jeunes.
62. En écoutant les jeunes, en les soutenant et en agissant à
leurs côtés, l’Assemblée peut contribuer à ce que le renouveau démocratique
en Europe soit à la fois possible et inévitable.