Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 16243 | 09 septembre 2025

Promouvoir la couverture santé universelle

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15729, Renvoi 4734 du 26 mai 2023. 2025 - Quatrième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 septembre
2025.

(open)
1. La couverture santé universelle (CSU), fondée sur le principe de «ne laisser personne de côté», constitue un engagement politique central du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, et fait l’objet de la cible 3.8 de l’Objectif de développement durable (ODD) 3. Dans le Pacte pour l’avenir adopté en 2024, les chefs d’État et de gouvernement réunis à l’Assemblée générale des Nations Unies ont réaffirmé leur volonté de redoubler d’efforts pour concrétiser cet objectif.
2. La santé est une priorité politique du Conseil de l’Europe. Le Secrétaire général l’a rappelé à l’occasion de la Journée mondiale de la Santé (7 avril) «La santé est notre bien le plus précieux et une préoccupation de premier ordre pour tous les Européens (…) Aujourd’hui plus que jamais, les soins de santé doivent être synonymes de confiance, de sécurité et d’accès, ce qui nécessite une approche holistique (…) Aujourd’hui, et chaque jour, réaffirmons qu’un système de santé équitable et de qualité est un élément essentiel d’une démocratie saine».
3. Les objectifs poursuivis en matière de santé, tant au niveau mondial que régional, reposent sur un socle juridique solide et largement consensuel. Le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, le droit à la protection de la santé et le droit à la protection sociale sans discrimination sont des droits humains fondamentaux, indissociablement liés à la dignité humaine et essentiels à l’exercice effectif de l’ensemble des autres droits.
4. L’Assemblée parlementaire l’a déjà inscrit à son agenda dans la Résolution 2500 (2023) «Urgence de santé publique: la nécessité d’une approche holistique du multilatéralisme et des soins de santé»: Elle y rappelle que les soins de santé primaires sont la pierre angulaire de la CSU, garantissant prévention, promotion de la santé, traitement, protection financière, et nécessitent un financement durable. Dans ce cadre, la prévention et la lutte contre les discriminations fondées sur le genre étant essentielles, la CSU doit inclure pleinement la santé sexuelle, reproductive et mentale, ainsi que la prise en charge complète des victimes de violence.
5. La CSU constitue un investissement stratégique dans le développement durable. Elle améliore les résultats sanitaires, la cohésion sociale, l’équité, l’égalité de genre et la stabilité économique. Elle est reconnue comme une base essentielle de la sécurité sanitaire mondiale pour résister aux crises sanitaires, géopolitiques, économiques et climatiques. Malgré cela, les progrès vers la CSU stagnent avec plus de 4,5 milliards de personnes ne bénéficiant pas entièrement de services essentiels, 2 milliards connaissant des difficultés dues au non-remboursement de frais de santé, et 344 millions tombées dans l'extrême pauvreté à cause des frais de santé et une détérioration de la protection financière.
6. Bien que les États membres du Conseil de l’Europe affichent des progrès supérieurs à la moyenne mondiale, les inégalités d’accès aux soins et les disparités sanitaires y persistent, voire s’aggravent. L’Assemblée souligne l’urgence de renforcer l’action pour atteindre la cible 3.8 de l’ODD 3 d’ici à 2030, en mobilisant pleinement les leviers du Cadre stratégique 2024-2027 de la plateforme CSU2030, en vue de la prochaine réunion de haut niveau prévue en 2027.
7. Au cœur du plaidoyer pour faire progresser la CSU, le Conseil de l’Europe apporte une contribution unique fondée sur les droits humains. En mobilisant ses traités – la Convention européenne des droits de l’homme (STE n°5), la Charte sociale européenne (révisée) (STE n°163) et la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE n°164, «Convention d’Oviedo») –, il influence les législations et politiques sociales et de santé publique de ses États membres. Cette approche holistique, centrée sur la dignité humaine, associe notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité européen des droits sociaux, l’action du Comité directeur pour les droits de l’homme dans les domaines de la biomédecine et de la santé, les interventions du Commissaire aux droits de l’homme et les initiatives du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Elle constitue un levier déterminant pour faire du droit à la santé une réalité pour toutes et tous, en cohérence avec les objectifs de la CSU et de l’ODD 3.
8. L’Assemblée reconnaît que la Charte sociale européenne est l’instrument clé du Conseil de l’Europe pour promouvoir la CSU. Ses articles 11 et 13, interprétés à la lumière de la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), garantissent le droit à la protection de la santé pour toutes les personnes présentes sur le territoire des États parties, sans distinction de statut administratif. La jurisprudence du Comité européen des droits sociaux renforce ce cadre en précisant les obligations positives des États: garantir des soins disponibles, accessibles économiquement et géographiquement, acceptables culturellement et de qualité, tout en assurant l’accès effectif aux soins essentiels. Elle intègre également les déterminants sociaux de la santé (logement, énergie, alimentation), affirmant ainsi une approche globale et intégrée de la CSU.
9. La Convention d’Oviedo soutient directement la cible 3.8 de l’ODD 3 en posant le principe d’un accès équitable à des soins de qualité, tenant compte des besoins de santé et des ressources disponibles. S’appuyant sur cette base, la Recommandation CM/Rec(2023)1 du Comité des Ministres appelle les États à garantir un accès équitable aux médicaments et équipements médicaux, y compris en période de pénuries, pour les personnes atteintes de maladies graves. L’Assemblée salue également l’action du Comité directeur pour les droits humains dans les domaines de la biomédecine et de la santé, qui fait de l’accès équitable et rapide aux innovations médicales une priorité stratégique.
10. Dans un contexte de soutien politique fragilisé, de tensions géopolitiques croissantes et de contraintes budgétaires, l’Assemblée souligne l’importance de porter un message collectif, clair et mobilisateur en faveur de la CSU. Les engagements pris dans le cadre des ODD s’imposent aux États membres du Conseil de l’Europe. Pour que la CSU devienne une réalité, il est indispensable que chaque État s’approprie ces objectifs et que chaque parlement participe activement à leur mise en œuvre dans les politiques publiques nationales.
11. L’Assemblée considère que le Conseil de l’Europe a toute légitimité à rejoindre la plateforme CSU2030, aux côtés d’autres organisations internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques. Cette adhésion renforcerait sa contribution à l’alignement mondial des efforts en faveur de la CSU et permettrait de promouvoir ses normes et outils dans un cadre multilatéral. En rejoignant le comité de pilotage de la plateforme et en endossant le Pacte mondial CSU2030, le Conseil de l’Europe pourrait davantage mobiliser les gouvernements et parlements de ses États membres, renforcer la place des droits humains dans les systèmes de santé et contribuer à faire de la CSU un objectif commun, partagé et mesurable.
12. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée:
12.1. en ce qui concerne la CSU et les politiques de santé:
12.1.1. à inscrire l’objectif de la CSU comme priorité politique nationale, conformément à la cible 3.8 de l’ODD 3 et aux engagements réitérés dans le Pacte pour l’avenir adopté en 2024, en affectant à sa réalisation un budget suffisant conformément notamment aux recommandations de l’OMS;
12.1.2. à garantir, en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité, un accès équitable, abordable et de qualité aux soins de santé physique et mentale, y compris des dispositifs d’intervention proactive pour les personnes qui, en raison de leur santé, ne peuvent reconnaître leur besoin de soins ni se déplacer vers les services;
12.1.3. à investir de manière accrue et durable dans les soins de santé primaires, reconnus comme fondement de la CSU et condition essentielle à la résilience sanitaire et sociale;
12.1.4. à reconnaître et intégrer les déterminants sociaux de la santé (tels que l’accès au logement, à l’alimentation, à l’énergie ou à un environnement sain) dans les politiques publiques de santé et de cohésion sociale;
12.1.5. à inclure, dans le cadre de la CSU, des services complets et accessibles de prévention, de santé sexuelle, reproductive et mentale, ainsi que de soutien des victimes de violence sexuelle;
12.2. en ce qui concerne la mobilisation des instruments du Conseil de l’Europe:
12.2.1. à progresser dans l’acceptation plus large des dispositions de la Charte sociale européenne (révisée) qui sont indispensables pour réduire les inégalités en matière de santé et faire avancer l’engagement de ne pas faire de laissés pour compte;
12.2.2. à se référer de manière systématique aux normes et aux actions du Conseil de l’Europe en matière de droits humains dans l’élaboration des politiques de santé, en particulier à la Charte sociale européenne (révisée) et à la Convention d’Oviedo;
12.2.3. à appliquer les recommandations du Comité des Ministres en matière d’accès équitable aux médicaments et aux soins, notamment la Recommandation CM/Rec(2023)1, y compris en période de crise ou de pénurie;
12.2.4. à promouvoir activement les travaux du Comité directeur pour les droits humains dans les domaines de la biomédecine et de la santé relatifs à l’accès équitable et rapide à l’innovation médicale;
12.3. en ce qui concerne la coordination et le multilatéralisme:
12.3.1. à affirmer leur engagement pour la CSU dans les enceintes internationales pertinentes et plaider pour une approche fondée sur les droits humains dans les systèmes de santé;
12.3.2. à soutenir l’adhésion du Conseil de l’Europe à la plateforme multilatérale CSU2030, afin d’y faire entendre la voix des droits sociaux et de promouvoir l’alignement entre les engagements internationaux et les normes européennes;
12.3.3. à renforcer la responsabilité des parlements dans la mise en œuvre des objectifs de la CSU, notamment en leur fournissant les outils et ressources proposés par la plateforme CSU2030 et des guides de l’Union interparlementaire, afin de surveiller, encadrer, évaluer et ajuster les politiques publiques de santé;
12.3.4. à traduire, dans les législations nationales, les engagements multilatéraux pris en matière de CSU (notamment dans le cadre de la plateforme CSU2030), par l’adoption de lois, de budgets dédiés et de mécanismes parlementaires de suivi, en s’appuyant sur les standards européens et les bonnes pratiques issues de la coopération internationale.

B. Exposé des motifs par M. Stefan Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 21 mars 2023, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable («la commission») a déposé une proposition de résolution intitulée «Promouvoir la couverture sanitaire universelle». La proposition a été renvoyée à la commission pour rapport et Mme Heike Engelhardt (SOC, Allemagne) a été désignée rapporteure le 20 juin 2023. Mme Engelhardt ayant quitté l’Assemblée parlementaire, j’ai pris le relais et été désigné rapporteur le 25 juin 2025.
2. La proposition de résolution faisait suite à la réunion de haut niveau sur la santé tenue en septembre 2023 à l'Assemblée générale des Nations Unies qui a placé la couverture santé universelle (CSU) au premier rang des priorités et confirmé la volonté politique d'en faire une réalité d'ici à 2030. C’est dans ce contexte que l’Assemblée parlementaire a été appelée à examiner comment les États membres du Conseil de l’Europe devraient participer à la promotion de la CSU et coopérer avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Partenariat international pour la CSU (CSU2030) et d’autres acteurs clés pour atteindre cet objectif.
3. Je rappelle que la commission a modifié le titre français du rapport pour faire référence à la «Couverture Santé Universelle» au lieu de la «Couverture Sanitaire Universelle», pour traduire «Universal Health Coverage». Bien que le terme «sanitaire» soit encore largement utilisé, le terme «santé» renvoie directement à l'accès équitable de chaque personne aux soins essentiels (et pas seulement aux infrastructures de santé), ce qui est l'objectif central de la CSU, et reflète mieux le terme anglais «health» 
			(2) 
			Procès-verbal de la
réunion de la commission tenue à Strasbourg le 6 décembre 2024..
4. Mon postulat est le suivant: la CSU n’est pas seulement un objectif politique ou un engagement international parmi d’autres, elle est une exigence fondamentale pour garantir les droits humains de toutes et tous, sans exception. Elle incarne la promesse que chaque individu, indépendamment de son origine, de sa situation sociale ou de ses ressources, puisse accéder aux soins essentiels dont il a besoin pour vivre dignement. Dans nos sociétés, la CSU constitue un socle indispensable de justice sociale, de cohésion et de résilience, car elle protège les plus vulnérables et renforce la capacité collective à faire face aux crises. Mon rapport s’inscrit donc dans une démarche résolument engagée: faire de la santé un droit effectif et universel, au cœur de la démocratie et du respect de la dignité humaine.
5. Les concepts fondamentaux de mon rapport sont largement admis et font consensus. La santé est reconnue comme un droit humain depuis 1948 (article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme). Le droit à la santé comme droit fondamental a ensuite été inscrit au niveau mondial, à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible) et, au niveau régional européen, à l’article 11 de la Charte sociale européenne (STE no 35, droit à la protection de la santé).
6. La santé est définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité (Constitution de l'OMS, 1946). Cette définition joue un rôle crucial en mettant l'accent sur une approche holistique et en reconnaissant que la santé ne se résume pas à l'absence de maladie, mais qu'elle englobe aussi le bien-être physique, mental et social.
7. La couverture universelle signifie que toute personne a accès, dans des conditions abordables et sans discrimination, aux services de santé dont elle a besoin – depuis la promotion de la santé jusqu’aux traitements, en passant par la prévention, les soins de réadaptation et les soins palliatifs. La CSU englobe les services médicaux et les mécanismes de protection sociale. Elle a pour objectif de garantir l’équité en matière d’usage des services de santé, de qualité des soins de santé et de protection financière. La CSU est donc l’expression concrète du droit à la santé 
			(3) 
			OMS,
«Health in the Post-2015 Development Agenda»..
8. Tous les pays sont confrontés au défi de réduire l’écart entre les besoins réels en services de santé de qualité et leur accessibilité effective. Il n’est donc pas étonnant que la réalisation de la CSU soit devenue une obligation politique majeure, inscrite dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. Elle repose sur le principe de «ne laisser personne de côté» et d’aider prioritairement les populations les plus défavorisées. Ce défi engage des choix de gouvernance, de priorités budgétaires et de mécanismes de solidarité. Ces choix ne peuvent ni être différés ni relégués derrière d’autres priorités: chaque occasion doit être saisie pour garder la CSU au cœur des agendas politiques, le présent rapport en témoigne.
9. Ce rapport, qui s’adresse en premier lieu aux parlements des États membres du Conseil de l’Europe, s’inscrit dans une dynamique plus large portée par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à travers le Nouveau Pacte démocratique. Ce pacte souligne l’interdépendance entre la santé, la justice sociale et la résilience démocratique. En effet, des systèmes de santé équitables, accessibles et de qualité sont non seulement un levier de cohésion sociale, mais aussi un fondement indispensable pour garantir l'inclusion, la confiance dans les institutions et la participation citoyenne 
			(4) 
			«Feuille de route du
Nouveau Pacte Démocratique pour l’Europe – Construire une démocratie
résiliente, inclusive et agile», 29 avril 2025, SG/Inf(2025)14..

2. Promouvoir la couverture santé universelle comme moteur du développement durable

2.1. La couverture santé universelle, un levier transversal des Objectifs de développement durable

10. Au-delà de la santé elle-même, la CSU constitue un investissement stratégique dans le développement durable. Elle améliore non seulement les résultats sanitaires, mais aussi la cohésion sociale, l’équité, l’égalité de genre et la stabilité économique. Une population en bonne santé est plus productive, mieux éduquée et davantage capable de contribuer au développement durable. Le lien entre la santé et le développement durable est reconnu au niveau politique dans le monde entier. En témoigne la décision d'intégrer un objectif de développement durable (ODD) spécialement consacré à la santé dans le Programme de développement durable à l'horizon 2030 adopté par les Nations Unies en septembre 2015 (le Programme 2030) 
			(5) 
			A/Res/70/1,
Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le
25 septembre 2015, «Transformer notre monde: le Programme de développement
durable à l’horizon 2030».. Il s’agit de l'ODD 3 «Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge». La cible 3.8 inclut la réalisation de la «couverture santé universelle» et précise les éléments de cette couverture: la protection contre les risques financiers, l'accès à des services de santé essentiels de qualité et l'accès à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable.
11. La CSU ne peut être atteinte sans un accès effectif aux soins de santé mentale. Les personnes vivant avec des troubles psychiques sévères restent souvent invisibles pour le système de santé : elles ne reconnaissent pas toujours leur besoin de soins et rencontrent des obstacles physiques, sociaux et financiers pour y accéder. Les interventions proactives, fixes, mobiles ou communautaires, sont donc essentielles : elles permettent de détecter précocement les besoins, d’assurer un suivi continu et de réduire les inégalités en santé. La CSU doit intégrer ces dispositifs comme un pilier central pour protéger les populations vulnérables et garantir des soins de santé mentale accessibles, inclusifs et non stigmatisants 
			(6) 
			OMS, «Community outreach
mental health services – Promoting person-centred and rights-based
approaches»..
12. En intégrant une approche sensible au genre, la CSU offre en particulier une opportunité pour faire progresser les droits des femmes et des filles, en corrigeant les inégalités systémiques liées aux rôles sociaux, à l’exposition aux risques et à l’accès aux services, et en renforçant la participation des femmes aux processus décisionnels en matière de santé 
			(7) 
			OMS,
«Rapport mondial sur la CSU (2021)», chapitre sur l’équité.. Elle permet de mieux répondre aux besoins spécifiques des femmes exposées à la violence sexuelle, y compris dans le cadre de la prostitution, en assurant un accès non discriminatoire à la prévention, aux soins et à l’accompagnement psychosocial, tout en contribuant à lutter contre leur stigmatisation et exclusion sociale. Ces thèmes, très chers à ma prédécesseure, étant au cœur d’autres rapports qui seront débattus prochainement par notre Assemblée 
			(8) 
			Notamment le rapport
intitulé «Prévenir et lutter contre les discriminations fondées
sur le genre dans le domaine de la santé»., je ne m’y attarderai pas.
13. Un autre enjeu crucial d’équité et de cohésion sociale dans l’application de la CSU est l’accès des personnes migrantes aux soins de santé 
			(9) 
			OMS,
«Addressing the needs of refugees and migrants: an inclusive approach
to Universal Health Coverage», 1er mars
2023. Kerrie Stevenson et autres, «Universal health coverage for
undocumented migrants in the WHO European region: a long way to
go», The Lancet, 28 mai 2024.. Ce sujet fera également l’objet d’un rapport à venir, qui permettra d’en approfondir les implications juridiques et opérationnelles 
			(10) 
			Rapport intitulé «Accès
des migrants et des réfugiés aux soins de santé»..
14. Selon l’OMS, chaque dollar investi dans la santé permettait un retour économique variant entre 1,50 et 121 USD selon les interventions menées, en renforçant la productivité, la participation de la main-d’œuvre et la résilience des familles et des communautés face aux chocs économiques ou climatiques 
			(11) 
			Par
exemple, le contrôle du tabagisme (ratio de 1 à 8), les actions
pour une alimentation saine (jusqu’à 1 à 12), ou encore la promotion
de l’allaitement maternel (1 à 35) illustrent ces rendements considérables
(OMS, «A healthier humanity: the WHO investment case for 2019-2023»).. La CSU est également reconnue comme une base essentielle de la sécurité sanitaire mondiale. La Banque mondiale et l’OMS soulignent que les systèmes de santé robustes fondés sur la CSU sont indispensables pour améliorer la préparation aux pandémies, aux crises humanitaires et aux enjeux du changement climatique 
			(12) 
			Arush Lal et autres, «Pandemic preparedness and response:
exploring the role of universal health coverage within the global
health security architecture», The Lancet,
novembre 2022..
15. Pour accélérer les progrès vers la CSU, une plateforme mondiale multipartite CSU2030 – a été créée en 2016. Hébergée par l’OMS en partenariat avec la Banque mondiale, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de nombreux acteurs publics, associatifs et parlementaires, cette plateforme coordonne les efforts internationaux, pour transformer les engagements politiques en réformes concrètes. J’y reviendrai en détail plus loin.
16. Un nouvel élan a été donné aux efforts destinés à établir une CSU le 10 octobre 2019, à la première réunion de haut niveau sur la CSU. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une déclaration politique intitulée «Couverture sanitaire universelle: œuvrer ensemble pour un monde en meilleure santé». La déclaration reconnaît que la santé contribue à la promotion et à la protection des droits humains et engage les États à faire en sorte qu’un milliard de personnes supplémentaires accèdent, d’ici à 2023, à des services de santé essentiels de qualité, en vue de parvenir à une couverture universelle d’ici à 2030. La déclaration considère la santé mentale et le bien-être psychologique comme une composante essentielle de la CSU et souligne la nécessité de respecter pleinement les droits humains des personnes rencontrant des problèmes de santé mentale 
			(13) 
			Déclaration politique
issue de la réunion de haut niveau sur la couverture sanitaire universelle,
23 septembre 2019, 74e session de l’Assemblée
générale des Nations Unies..
17. L’engagement consistant à faire de la santé pour toutes et tous une réalité à l'horizon 2030 a été réaffirmé le 21 septembre 2023, lors de la deuxième réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies, à mi-parcours du Programme 2030. Les chefs d'État et de gouvernement ont reconnu à l'unanimité que la CSU était essentielle pour réaliser tous les ODD 
			(14) 
			En particulier les
ODD qui concernent l'éradication de la pauvreté, l'accès à l'éducation,
l’égalité entre les femmes et les hommes, le changement climatique
et l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives (Déclaration
politique issue de la réunion de haut niveau sur la couverture sanitaire
universelle, intitulée «Couverture sanitaire universelle: élargir
notre ambition au regard de la santé et du bien-être dans le monde
post-COVID», 21 septembre 2023, 78e session
de l’Assemblée générale des Nations Unies).. À la suite de cette réunion, les États membres se sont engagés à redoubler d’efforts en faveur de la CSU et ont décidé de convoquer la prochaine réunion de haut niveau en 2027. Cet engagement a été réaffirmé dans le Pacte pour l’avenir adopté par l’Assemblée générale des Nationaux Unies en septembre 2024 
			(15) 
			«Le Pacte pour l’avenir»,
Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le
22 septembre 2024 à sa 79ème session..

2.2. Des progrès en berne

18. Les progrès vers la CSU ne sont toutefois pas au rendez-vous. L’indice mondial de couverture des services en vue de la CSU, qui est passé de 45 à 68 (sur 100) entre 2000 et 2021, a très peu évolué́ entre 2015 et 2019 avant de stagner à partir de 2019. D’après les données les plus récentes, environ 4,5 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale (de 14 % à 87 % des habitants selon les pays), ne sont pas entièrement couvertes par les services de santé essentiels. La protection financière se détériore également. La part de la population confrontée à des dépenses de santé catastrophiques 
			(16) 
			Définies comme dépassant
10 % du budget d’un ménage. est en augmentation. En 2021, 2 milliards de personnes connaissaient des difficultés dues au non-remboursement de frais de santé, et 344 millions ont basculé dans l'extrême pauvreté à cause des frais de santé 
			(17) 
			OMS et Banque internationale
pour la reconstruction et le développement, «Suivi de la couverture
sanitaire universelle: rapport de suivi mondial 2023»..
19. La pandémie de covid-19 a eu un impact significatif sur ces indicateurs. Les ressources et les efforts ont été réorientés vers la gestion de la pandémie et la protection financière a été compromise par la perte de revenus due aux mesures de santé publique et la réduction de la marge de manœuvre budgétaire du secteur public. En même temps, la pandémie a aussi démontré partout dans le monde que des systèmes de santé solides et inclusifs fondés sur la CSU s'en sont mieux sortis. Ils ont assuré un meilleur accès aux soins primaires, dans de meilleures conditions d’égalité, et se sont révélés mieux préparés et plus aptes à mobiliser rapidement des ressources 
			(18) 
			Idem..
20. Même dans les États membres du Conseil de l'Europe, la CSU est sortie des agendas depuis le pic de la pandémie. Bien que les progrès vers la CSU y soient plus importants qu'au niveau mondial, les inégalités entre les groupes de population sur le plan de la santé se sont aggravées au cours des 10 à 15 dernières années. Barrières financières, géographiques et juridiques, crise du coût de la vie, politiques spécifiques en matière de migrations et de sécurité, les obstacles sont complexes et multiformes 
			(19) 
			Bureau régional de
l’OMS pour l’Europe, «European Health Report 2021».. En outre, depuis 2022, la guerre d’agression menée par la Russie, qui fait perdre à l'Ukraine des infrastructures essentielles à la couverture sanitaire de sa population, exerce une pression sur les systèmes de santé des pays voisins qui accueillent des personnes déplacées, mais aussi sur les systèmes de santé de nombreux pays européens dont les ressources sont réaffectées à la sécurité et à la défense. Dans tous les pays européens, les ressources risquent d’être détournées des systèmes de santé nationaux en raison de la concurrence croissante avec d'autres priorités urgentes.
21. Le coût humain de l’absence de progression dans l’instauration de la CSU est colossal. La mortalité́ maternelle n’a pas reculé́ depuis 2015, avec près de 300 000 femmes qui meurent chaque année pendant la grossesse ou lors de l’accouchement. La vaccination des enfants est au point mort, le nombre d’enfants non vaccinés ou sous-vaccinés ayant augmenté de 2,7 millions en 2023 par rapport à 2019. Les maladies non transmissibles sont en hausse: 17 millions de personnes en meurent chaque année avant d’atteindre l’âge de 70 ans et 86 % de ces décès se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Le moyen le plus rapide et le plus efficace, équitable et inclusif pour parvenir à la CSU passe par une approche fondée sur les soins de santé primaires. Celle-ci pourrait permettre de fournir 90 % des services de santé essentiels, ce qui pourrait sauver 60 millions de vies et augmenter l’espérance de vie de 3,7 ans à l’échelle mondiale d’ici à 2030, tout en générant environ 75 % des progrès attendus dans le domaine de la santé grâce aux ODD 
			(20) 
			Rapport du Directeur
général de l’OMS au Conseil exécutif de l’OMS, 23 décembre 2024.. Pour y parvenir, l'OMS recommande à chaque pays d'allouer ou de réaffecter 1 % supplémentaire de son PIB aux soins de santé primaires 
			(21) 
			OMS, «Universal Health
Coverage Global Monitoring Report 2019»..

2.3. Un rôle central pour les parlements dans la concrétisation des engagements

22. Dans ce contexte d'un soutien politique en perte de vitesse, de tensions géopolitiques, de crise budgétaire et autres défis, je suis persuadé que les arguments en faveur de la CSU doivent être avancés collectivement, plus clairement et d'une manière convaincante pour toutes les parties prenantes. Les engagements en faveur des ODD lient les États membres du Conseil de l'Europe et leurs parlements nationaux. Chaque pays est responsable au premier chef de la mise en œuvre du Programme 2030, dans le cadre de ses politiques et priorités nationales, et compte tenu de sa situation et de ses capacités. Pour que le Programme 2030 donne les résultats escomptés, il est indispensable que chaque État se l’approprie et que chaque parlement contribue à traduire les politiques de développement durable en mesures concrètes au niveau national. Je reviendrai plus loin sur les leviers dont disposent les parlementaires pour s’engager dans ce sens.
23. L’Assemblée a les moyens de faire passer ces messages: si l'on veut préparer l'avenir, il est indispensable de réaliser des progrès substantiels vers la CSU en termes de soins primaires d’ici à 2030. C'est un objectif à la portée de la plupart des pays de notre continent. L'Assemblée s'en est déjà fait l'écho dans la Résolution 2500 (2023) «Urgence de santé publique: la nécessité d’une approche holistique du multilatéralisme et des soins de santé», qui appelle les États membres à investir dans les soins de santé primaires (9.3.1) et à fournir une couverture sanitaire universelle à toute personne présente sur leur territoire, quels que soient son statut juridique, sa nationalité, son appartenance ethnique, sa religion, son genre, son orientation sexuelle, son handicap, y compris le handicap mental, son état de santé, son milieu socio-économique ou toute autre situation pertinente (9.3.3).
24. J’appelle l’Assemblée à s’impliquer davantage et à se faire le relais des trois voies de changement définies par le Cadre stratégique 2024-2027 élaboré par la plateforme CSU2030 dans la perspective de la prochaine réunion de haut niveau sur la CSU en 2027: plaidoyer (influencer les décisions des institutions politiques, économiques et sociales pour faire progresser la CSU), responsabilité (suivre la mise en œuvre des engagements pour favoriser les actions, les décisions, les politiques et les programmes en faveur de la CSU), et alignement (réunir les parties prenantes pour échanger des informations et faire valoir l’importance de l’alignement sur un seul plan national et de travailler au sein des structures nationales pour renforcer les systèmes de santé) 
			(22) 
			Cadre
stratégique 2024-2027, «Favoriser la mise en œuvre des engagements
mondiaux en matière de couverture santé universelle par le plaidoyer,
la responsabilisation et l'alignement CSU2030» (<a href='http://www.uhc2030.org/'>www.uhc2030.org</a>)..

3. Nourrir le plaidoyer: la contribution du Conseil de l’Europe à la réalisation de la couverture santé universelle

25. Mes recherches pour construire ce rapport ont mis en évidence que même si le Conseil de l’Europe ne l’aborde pas en ces termes, ses organes, traités et activités contribuent de manière systématique et coordonnée à la réalisation de la CSU. Cela n’a rien de surprenant: le droit à la santé et le droit à la protection sociale sans discrimination sont des droits humains fondamentaux autonomes et reconnus comme des conditions indispensables à l'exercice des autres droits humains; ils sont depuis longtemps invoqués aux niveaux mondial et régional pour soutenir la CSU 
			(23) 
			Observation
générale n° 14: Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être
atteint (art. 12), adoptée lors de la vingt-deuxième session du
Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le 11 août
2000 (document E/C.12/2000/4). Observation générale n°19: Le droit
à la sécurité sociale (article 9), adoptée lors de la trente-neuvième
session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
le 4 février 2000 (document E/C.12/GC/19). Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, Carnet des droits de l'homme, «Tirer
les leçons de la pandémie pour mieux réaliser le droit à la santé»,
23 avril 2020..
26. Étant donné les limites de mon rapport, je n’approfondirai pas la protection indirecte offerte par la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5). Tout en gardant à l’esprit que les trois traités sont indissociablement liés par la même matrice, à savoir la dignité humaine – valeur fondamentale et socle du droit européen des droits humains, les soins de santé en étant une condition indispensable 
			(24) 
			Fédération
internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) c. France, réclamation
n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, para.
31. –, je suis d’avis que l’approche universaliste et inclusive de la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163) et la jurisprudence de son organe de contrôle composé d’experts indépendants – le Comité européen des droits sociaux– ainsi que la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE n° 164, «Convention d’Oviedo») et les actions de son organe intergouvernemental de suivi – le Comité directeur pour les droits humains dans les domaines de la biomédecine et de la santé – constituent les principaux atouts juridiques et opérationnels du Conseil de l’Europe pour nourrir le plaidoyer en faveur de la CSU 
			(25) 
			Pour s’approprier l’approche
du Conseil de l’Europe fondée sur les droits humains, je recommande
en particulier deux rapports. l’un commandé par le CDBIO: Rumiana
Yotova, «Approches des soins de santé fondées sur les droits de l’homme»,
juin 2023; et l’autre du Commissaire aux droits de l’homme: «Document
thématique – Protéger le droit à la santé grâce à des systèmes de
santé inclusifs et résilients accessibles à tous», 2021.
27. À ces instruments s’ajoute la contribution essentielle de la Direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé (EDQM), qui veille à l’élaboration et à la promotion de normes élevées concernant la sécurité, l’efficacité et la qualité des médicaments et des pratiques médicales. Ce rôle est fondamental pour assurer une CSU effective, en garantissant que les soins dispensés répondent à des critères rigoureux, ce qui renforce la confiance dans les systèmes de santé au sein des États membres.
28. J’accorde également une place essentielle au rôle de vigie indépendant du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui place la CSU au cœur de son mandat, interpelle les gouvernements sur les barrières financières, promeut le renforcement des soins primaires et l’élimination des paiements directs excessifs pour garantir l’accès sans discrimination aux services de santé 
			(26) 
			Rapport, «Santé et
droits sexuels et reproductifs en Europe: progrès et défis», 2024.
Rapport, Réformer les services de santé mentale: une nécessité urgente
et un impératif pour les droits de l’homme, 2021. Carnet des droits
de l'homme, «Tirer les leçons de la pandémie pour mieux réaliser
le droit à la santé», op. cit.. Je renvoie en particulier à la contribution thématique exceptionnelle publiée par l’ancienne Commissaire après la pandémie et aux recommandations qu’elle et son successeur ont faites pour renforcer nos systèmes de santé par une approche basée sur les droits humains 
			(27) 
			Document thématique,
«Protéger le droit à la santé grâce à des systèmes de santé inclusifs
et résilients accessibles à tous», 2021.. J’invite aussi l’Assemblée à appeler les États membres à soutenir les initiatives de l’organe responsable de la dimension territoriale des ODD au sein du Conseil de l'Europe – le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux – en faveur de la réduction des inégalités territoriales pour améliorer la CSU 
			(28) 
			Les priorités
2021-2026 du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.. Bien que mon rapport ne puisse examiner de manière détaillée les contributions spécifiques de ces deux organes, leur action est cruciale pour donner plein effet aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits humains dans toute stratégie visant à renforcer la CSU.
29. Je précise enfin que si, pour des raisons de clarté, ce chapitre adopte une présentation fragmentée, il importe de souligner que la CSU appelle à une approche holistique : les États membres doivent saisir l’ensemble des initiatives du Conseil de l’Europe en matière de santé comme des dispositifs complémentaires. À ce titre, j’invite à porter une attention particulière à la Conférence sur la protection de la santé qui sera organisée à Strasbourg le 15 octobre 2025 par le Conseil de l’Europe. Cette rencontre mettra précisément en lumière l’action transversale et multisectorielle de l’Organisation pour faire du droit à la santé un droit humain effectif et contribuer de cette manière à la réalisation de l’ODD 3.

3.1. Le cadre normatif phare: la Charte sociale européenne

30. Inscrit dans la Constitution de l'OMS en 1946, le droit à la santé est reflété au niveau européen à l'article 11 de la Charte sociale («la Charte») qui garantit le droit à la protection de la santé. En acceptant cette disposition, les Parties contractantes s'engagent à reconnaître à toute personne le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible. Pris isolément ou en combinaison avec l'article E (clause de non-discrimination), cet engagement implique que les États garantissent à toutes et tous le droit d'accès aux soins de santé et qu'ils veillent à ce que le système de santé soit accessible à l'ensemble de la population 
			(29) 
			Voir, par exemple: Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique,
réclamation n° 69/2011, décision sur le bien-fondé du 23 octobre
2012. FIDH c. France, réclamation
n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004. Commission internationale de juristes (CIJ)
et Conseil européen sur les réfugiés et exilés (ECRE) c. Grèce,
réclamation n° 173/2018, décision sur le bien-fondé du 26 janvier
2021. Voir aussi Conclusions I (1969), observations générales sur l’article 11,
Conclusions 2005, observations générales sur l’article 11, et Conclusions
2021, observations générales sur l’article 11 et l’égalité de genre..
31. Pour définir la santé aux fins de l’article 11, le Comité européen des droits sociaux s’aligne sur la définition de l’OMS – un état de complet bien-être physique, mental et social – et considère que le respect de l’intégrité physique et psychologique fait partie intégrante du droit à la protection de la santé. Le «but et l’objectif de la Charte [étant] de protéger les droits non seulement en théorie mais également dans les faits», la conformité avec l’article 11 est évaluée au regard de la situation juridique et de sa mise en œuvre en pratique 
			(30) 
			Voir
parmi d’autres: Validity Foundation –
Mental Disability Advocacy Centre c. République tchèque,
réclamation no 188/2019, décision sur
le bien-fondé du 17 octobre 2023, para. 69-70.. Suivant l’exemple des traités spécialisés des Nations Unies, largement ratifiés par les États membres du Conseil de l'Europe, la Charte et la jurisprudence du Comité établissent également des normes plus détaillées pour certains groupes ayant des besoins spécifiques et souvent négligés en matière d'accès aux soins de santé 
			(31) 
			Articles 15 (personnes
handicapées), 16 (famille), 17 (enfants et adolescents), 19 (travailleurs
migrants) et 23 (personnes âgées) de la Charte sociale européenne
(révisée)., 
			(32) 
			Voir, par exemple: Centre européen des droits des Roms (CEDR)
c. Bulgarie, réclamation n° 151/2017, décision sur le
bien-fondé du 5 décembre 2018. CEDR et
Centre de défense des droits des personnes handicapées mentales
(MDAC) c. République tchèque, réclamation n° 157/2017,
décision sur le bien-fondé du 17 juin 2020; CEDR
c. Belgique, réclamation n° 185/2019, décision sur le
bien-fondé du 8 décembre 2022..
32. Ce qui m’a particulièrement intéressé à l’examen de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux relative à l’article 11 et que je souhaite mettre en avant c’est qu’elle emprunte tous les éléments du cadre d’analyse AAAQ. Je rappelle que ce cadre est l’outil normatif et méthodologique issu du droit international des droits humains conçu pour opérationnaliser le droit au meilleur état de santé possible reconnu à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et mobilisé pour évaluer la réalisation effective de la cible 3.8 de l’ODD 3 
			(33) 
			Karin Lukas, «Article
11: the right to protection of health, The Revised European Social
Charter», An Article by Article Commentary, Elgar
Commentaries series, 2021. Yana Litins’ka, «What Healthcare Services
Temporary Protection Entitles to Have? Navigating the European Social
Charter», European Journal of Health
Law, 29 septembre 2023. Eloïse Gennet, «The Council
of Europe’s Underrated Role in Fostering Equitable Access to Quality
Health Care in Times of Pandemic», Health
and Human Rights Journal, 2024.. Ce cadre repose sur quatre composantes interdépendantes: la disponibilité (suffisance des services), l’accessibilité (économique, géographique, et informationnelle), l’acceptabilité (respect des différences culturelles et des besoins individuels), et la qualité (conformité médicale et efficacité des soins) 
			(34) 
			Observation
générale no 14 du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels, op. cit..
33. L’article 11 de la Charte, tel qu’interprété et appliqué par le Comité européen des droits sociaux, donne juridiquement corps à ces quatre dimensions par le biais d’obligations positives pesant sur les Parties contractantes.Concernant la disponibilité, le Comité a souligné la nécessité de fournir des équipements et des places hospitalières et de former des professionnels de santé en quantité suffisante, afin d'éviter tout retard dans la prestation des soins de santé 
			(35) 
			Conclusions 2017, Serbie,
article 11 para. 1 (2018). Conclusions XIX-2, Lettonie, article
11 para. 1 (2010). Conclusions 2009, Géorgie, article 11 para. 1
(2010). Conclusions XXI-2, Allemagne, article 11 para. 1 (2017). Conclusions
2017, Turquie, article 11 para. 1 (2017). ECRE
c. Grèce, réclamation n° 173/2018, décision sur le bien-fondé du
26 janvier 2021, para. 225–227.. L'absence de discrimination est mobilisée pour évaluer la conformité avec l'article 11 
			(36) 
			Conclusions
2005, observations générales sur l’article 11 (2005). Conclusions
XIX-2, République slovaque, article 11 para. 1 (2010).. Pour la population rurale, la nécessité de créer une accessibilité physique a été soulignée. 
			(37) 
			Conclusions
2017, Fédération de Russie, article 11 para. 1 (2017). Conclusions
I (1969), observations générales sur l’article 11. Le Comité a souligné la nécessité de rendre les soins de santé économiquement accessibles (abordables); cet élément recoupe le champ d'application de l'article 13 (voir ci-dessous) 
			(38) 
			Conclusions 2017, Lituanie,
article 11 para. 1 (2017). Conclusions 2009, Ukraine, Article 11
para. 1 (2010). Conclusions XIX-2, République slovaque, article
11 para. 1 (2010).. L'accessibilité et l'acceptabilité de l'information, notamment par la sensibilisation à diverses questions liées à la santé, aux maladies et aux traitements disponibles, et par une éducation culturellement appropriée, ont été soulignées à plusieurs reprises par le Comité 
			(39) 
			International
Centre for the Legal Protection of Human Rights (INTERIGHTS) c.
Croatie, réclamation n° 45/2007, décision sur le bien-fondé
du 30 mars 2009, para. 43 et 54. Conclusions 2003, Italie, article
11 para. 1 (2003). Conclusions 2017, République slovaque, article
11 para. 2 (2017).. La jurisprudence s'est également concentrée sur la qualité des services de santé 
			(40) 
			Transgender
Europe et ILGA‑Europe c. République tchèque, réclamation
n° 117/2015, décision sur le bien-fondé du 15 mai 2018, para. 79.
Conclusions XXI-2, Luxembourg, article 11 para. 1 (2018). Conclusions
2017, Roumanie, article 11 para. 1 (2017)..
34. La lecture proposée est particulièrement pertinente en ce qui concerne les groupes en situation de vulnérabilité. L’accès aux soins de santé doit être garanti à tous et toutes sans discrimination (même en période de pandémie). Cela implique que les soins de santé doivent être effectifs et abordables pour tous et toutes, et que les groupes particulièrement exposés doivent être protégés de manière appropriée 
			(41) 
			Observation interprétative
sur le droit à la protection de la santé en temps de pandémie adoptée
le 21 avril 2020.. Par conséquent, le Comité a reconnu des obligations spécifiques en matière d’accès aux soins aux personnes transgenres 
			(42) 
			Question
générale relative à l’article 11 et à l’identité de genre, Conclusions
2021., aux personnes en situation de handicap 
			(43) 
			European
Disability Forum (EDF) and Inclusion Europe c. France,
réclamation n° 168/2018, décision sur le bien-fondé du 19 octobre
2022., aux femmes roms 
			(44) 
			European
Roma Rights Centre (ERRC) c. Bulgarie, réclamation n°
151/2017, décision sur le bien-fondé du 5 décembre 2018., aux personnes migrantes ou en situation irrégulière 
			(45) 
			Défense
des Enfants International (DEI) c. Belgique, réclamation
n° 69/2011, décision sur le bien-fondé du 23 octobre 2012, para.
28, FIDH c. France, réclamation
n° 14/2003, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, para.
30-31.. La même logique vaut également pour les sans-abris, les personnes âgées, les personnes vivant en institution et les détenus 
			(46) 
			Observation
interprétative sur le droit à la protection de la santé en temps
de pandémie, op. cit..
35. L'accès aux soins de santé est une condition préalable indispensable à l'exercice du droit à la santé. Ce droit est garanti par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui reconnaît le droit à la sécurité sociale, incluant l’accès aux soins médicaux. Ce principe est aussi au cœur des normes et recommandations élaborées par l’Organisation internationale du travail, notamment la Convention n° 102 qui sert de référence aux systèmes nationaux de sécurité sociale.
36. Au niveau du Conseil de l’Europe, cette exigence est à nouveau inscrite dans la Charte. L’article 12 appelle les États à maintenir leur régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant et à le porter progressivement à un niveau supérieur, en s’inspirant du Code européen de sécurité sociale (STE n° 48). Mais c’est surtout l'article 13 de la Charte qui m’intéresse comme mesure de la contribution de la Charte et de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux à la réalisation de la CSU. Cet article vise avant tout à garantir un accès économique aux soins (volet accessibilité du cadre AAAQ).
37. L’article 13 garantit le droit à une assistance sociale et médicale d'urgence à quiconque se trouve sur le territoire d'une Partie contractante 
			(47) 
			Voir
parmi d’autres: Médecins du Monde – International
c. France, réclamation n° 67/2011, décision sur le bien-fondé du
11 septembre 2012.. En l’acceptant, les Parties contractantes s’engagent à fournir des soins gratuits, ou bien le financement total ou partiel des services pour les rendre abordables lorsque les soins de santé ne sont pas autrement économiquement accessibles 
			(48) 
			Conclusions
2017, Bosnie-Herzegovine, article 13 para. 1 (2017).. C'est un droit individuel qui doit faire l'objet d'un recours effectif 
			(49) 
			Conclusions I (1969),
observations générales sur l’article 13 para. 1.. Les actes médicaux couverts incluent au moins les soins immédiatement nécessaires, tels que les soins médicaux d'urgence mais ne se limitent pas à ces soins 
			(50) 
			Conférence des Églises européennes c. Pays-Bas,
réclamation n° 90/2013, décision sur le bien-fondé du 9 juillet 2014,
para. 105. Fédération européenne des
associations nationales œuvrant auprès des personnes sans-abri (FEANTSA)
c. Pays-Bas. réclamation n° 86/2012, décision sur le
bien-fondé du 2 juillet 2014, para. 107. Conclusions 2017, Roumanie,
article 13 para. 1 (2017). Conclusions 2015, Roumanie, Article 13
para. 1 (2015). Conclusions 2009, Bulgarie, article 13 para. 1 (2010).. L'article couvre à la fois les soins ambulatoires primaires et spécialisés 
			(51) 
			ERRC
c. Bulgarie, réclamation n° 46/2007, décision sur le
bien-fondé du 3 décembre 2008, para. 44; Conclusions 2017, Bosnie-Herzégovine,
article 13 para. 1 (2017). Conclusions 2017, Italie, article 13
para. 1 (2017). Conclusions 2015, Roumanie, Article 13 para. 1 (2015).. L’assistance ne peut être limitée en raison de la durée du séjour, de la résidence ou du séjour d'une personne sur le territoire 
			(52) 
			Médecins
du Monde – International c. France, réclamation n° 67/2011,
décision sur le bien-fondé du 11 septembre 2012, para. 176 et 177. FEANTSA c. Pays-Bas, réclamation
n° 86/2012, décision sur le bien-fondé du 2 juillet 2014, para. 139,
171. Conclusions 2017, Autriche, article 13-1 (2017). Conclusions
2017, Portugal, article 13 para. 1 (2017). Conclusions XVI-1, Royaume-Uni,
article 13 para. 1 (2003).. Aucune limitation dans le temps de l'assistance médicale ne peut être imposée 
			(53) 
			Conclusions XXI-2,
Grèce, article 13 para. 1 (2018). Conclusions 2017, Bosnie-Herzegovine,
article 13 para. 1 (2017).. La possibilité d'obtenir une aide ne peut pas dépendre des cotisations au système de sécurité sociale 
			(54) 
			Conclusions
2013, Bosnie-Herzégovine, article 13 para. 1 (2013). Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation
n° 88/2012, décision sur le bien-fondé du 10 octobre 2014, para.
110.. Enfin, il ne peut être renoncé à ce droit en raison d'une faute commise 
			(55) 
			Conclusions
XX-2, Luxembourg, article 13 para. 1 (2013). Conclusions XIX-2,
Luxembourg, article 13 para. 1 (2010)..
38. Enfin, un autre aspect de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux est particulièrement utile pour le plaidoyer en faveur de la CSU: en dépassant l’accès aux soins médicaux pour inclure les déterminants sociaux de la santé comme le logement, l’alimentation ou l’énergie, la jurisprudence du Comité embrasse clairement ces dimensions 
			(56) 
			Déclaration
politique des Nations Unies sur la CSU (2019).. Le Comité affirme ainsi que l’absence de services de base – eau, électricité, chauffage – a de graves répercussions sur les conditions d’hygiène et de salubrité, ainsi que sur les soins et traitements physiques et mentaux, notamment les soins cliniques ou préventifs 
			(57) 
			Commission
internationale de juristes (CIJ) et Conseil européen sur les réfugiés
et les exilés (ECRE) c. Grèce, réclamation n° 173/2018,
décision sur la recevabilité et sur des mesures immédiates du 23
mai 2019, para. 14. DCI, FEANTSA, MEDEL,
CCOO et ATD Quart Monde contre Espagne, réclamation n°
206/2022, décision sur le bien-fondé du 11 septembre 2024.. De même, le Comité souligne que l’alimentation adéquate est une condition essentielle de santé, et que les États doivent garantir une sécurité nutritionnelle suffisante pour prévenir les maladies et les troubles du développement 
			(58) 
			«Revue
analytique du Comité européen des droits sociaux sur les Droits
sociaux et la crise du coût de la vie» (2025), para. 113..

3.2. La boussole éthique: la Convention d’Oviedo

39. Un autre levier juridique central du Conseil de l’Europe pour contribuer à la réalisation de la CSU est la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo. Il s’agit du seul instrument juridique international contraignant dans le domaine biomédical, visant à protéger la dignité humaine, l’identité et l’intégrité de toute personne face aux applications de la biologie et de la médecine. Souvent décrite comme un cadre éthique partagé, elle transpose les questions biomédicales, notamment la génétique, la recherche médicale, le consentement éclairé ou la transplantation d’organes, en principes normatifs issus du droit international des droits humains.
40. En concordance avec l’article 11 de la Charte sociale, l’article 3 de la Convention d’Oviedo fait obligation aux Parties, compte tenu des besoins de santé et des ressources disponibles, de prendre les mesures appropriées en vue d’assurer, dans les limites de leur compétence, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée. L’objectif ultime est l’élimination des différences évitables, injustes ou réparables entre les groupes de personnes 
			(59) 
			CDBIO, «Livre blanc
sur l’accès équitable et en temps opportun à des traitements et
des technologies innovants et appropriés dans les soins de santé»
(CDBIO 2024(18))..
41. Sur cette base, l’organe intergouvernemental de suivi de la Convention – le Comité directeur pour les droits humains dans les domaines de la biomédecine et de la santé (CDBIO) – contribue de manière substantielle à la mise en œuvre de la cible 3.8 de l’ODD 3. Le deuxième pilier thématique du plan d’action stratégique 2020-2025 élaboré par le CDBIO est précisément dédié à l’équité dans les soins de santé et à l’élimination des disparités en matière de santé créées par les changements sociaux et démographiques dans les États membres du Conseil de l’Europe.
42. Dans cette veine, la Recommandation (2023)1 du Comité des Ministres 
			(60) 
			Recommandation
CM/Rec(2023)1 du Comité des Ministres sur l’accès équitable aux
médicaments et aux équipements médicaux dans une situation de pénurie
adoptée le 1er février 2023. a été élaborée par le CDBIO en vue de protéger les droits fondamentaux des personnes souffrant de problèmes de santé graves ou engageant le pronostic vital, y compris dans un contexte de pénuries. Ce document d’orientation politique appelle les 46 États membres à garantir un accès équitable aux médicaments et aux équipements médicaux et à protéger les droits fondamentaux. Elle introduit des garanties procédurales et des principes d’action inspirés du droit international des droits humains: absence de discrimination, priorisation fondée sur des critères médicaux objectifs, transparence des décisions, responsabilité des autorités, et participation inclusive des parties prenantes. Ce texte est particulièrement intéressant pour nourrir le plaidoyer en faveur de la réalisation de la CSU car les mesures qu’il recommande touchent autant l’accessibilité aux soins de santé (non‑discrimination et soins abordables), leur disponibilité (stocks stratégiques), leur acceptabilité (intégration des besoins des plus vulnérables) que leur qualité (certification et contrôle des produits), en parfaite cohérence avec le cadre AAAQ.
43. Le deuxième pilier thématique du plan d’action stratégique du CDBIO comporte une autre dimension: promouvoir l’accès équitable et en temps opportun à des traitements innovants et à des technologies appropriées en matière de soins de santé. En effet, si un nombre croissant de traitements innovants et de technologies en matière de santé ont fait leur apparition sur le marché, leur accessibilité est souvent mise à mal notamment en raison de leur prix. Cette ambition est alignée sur l’objectif poursuivi par l’article 3 de la Convention d’Oviedo et implique que des efforts particuliers soient faits pour améliorer l’accès des personnes et des groupes défavorisés à ces traitements et technologies et pour veiller à ce que les nouveaux développements ne créent pas ou n’exacerbent pas les déséquilibres existants.
44. J’ai enfin pris note avec intérêt du développement par le CDBIO d’un Guide pour la littératie en santé (connaissance et maîtrise des questions de santé) qui vise à réduire les disparités de santé liées aux déterminants sociaux et démographiques 
			(61) 
			«Guide sur la littératie
en santé – Favoriser la confiance et l’accès équitable aux soins
de santé», janvier 2023.. Ce guide entend favoriser l'autonomisation des personnes en situation de vulnérabilité pour faciliter leur accès effectif, éclairé et équitable aux soins, y compris en matière de santé sexuelle et reproductive.

4. Renforcer la responsabilité: les leviers parlementaires pour contribuer à réaliser la couverture santé universelle

45. Les normes du Conseil de l’Europe en matière de droits sociaux et de bioéthique, abordées dans le chapitre précédent, ne se limitent pas à alimenter le plaidoyer: leur pleine effectivité dépend d’une mise en œuvre concrète, dans laquelle les parlements ont un rôle déterminant à jouer. Le cadre stratégique 2024-2027 de la plateforme CSU2030 identifie, comme deuxième voie de changement, la nécessité de renforcer la responsabilité à tous les niveaux. Cela implique que les gouvernements soient tenus de rendre compte de leurs engagements, et que les législateurs disposent des outils nécessaires pour surveiller, encadrer, évaluer et ajuster les politiques publiques de santé. Ce chapitre se consacre précisément à cette dynamique: il explore les leviers à la disposition des parlementaires pour relier les normes juridiques et éthiques à la mise en œuvre effective de la CSU. L’objectif est clair: faire de la CSU et de la protection financière pour la santé une priorité politique et inscrire cet engagement dans les feuilles de route parlementaires nationales.
46. Dans cette perspective, les parlements apparaissent comme des acteurs centraux. Le vote du budget, l’adoption de lois, la définition de politiques nationales de santé ainsi que la mise en place de mécanismes d’évaluation et de contrôle sont autant d’attributions législatives décisives pour réaliser la CSU, et en faire une priorité nationale durable. Qu’il s’agisse des engagements pris par les États dans la Déclaration politique de la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la CSU (2019), des conclusions du Comité européen des droits sociaux et de ses décisions sur les réclamations collectives ou des recommandations du CDBIO, les États membres sont tenus de dégager des orientations concrètes en matière de santé, de sécurité sociale, d’accès aux soins, d’égalité d’accès et de les traduire en propositions législatives, rapports d'évaluation, ou mesures budgétaires.

4.1. Puiser dans les ressources de la plateforme CSU2030

47. La plateforme CSU2030 
			(62) 
			www.uhc2030.org. constitue une première ressource précieuse pour les parlementaires désireux de jouer un rôle actif dans la réalisation de la CSU. Le 6 décembre 2024, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a auditionné Mme Marjolaine Nicod, cheffe du Secrétariat CSU2030 de l’OMS. Elle a partagé avec nous une liste impressionnante d’outils et de cadres fournis par la plateforme CSU2030 pour permettre aux parlementaires de surveiller les progrès et garantir la transparence dans la mise en œuvre des engagements en faveur de la CSU.
48. Parmi les ressources proposées par la plateforme CSU2030, plusieurs outils me sont apparus plus particulièrement pertinents:
  • premièrement, l’interface de suivi des progrès vers la CSU fournit des profils nationaux actualisés, combinant données quantitatives et qualitatives, visualisations, indicateurs sur la disponibilité et la qualité des services de santé, la protection financière, les inégalités d’accès ou encore la participation citoyenne. Ces profils sont accompagnés de tableaux de bord comparatifs facilitant la mise en perspective des résultats entre pays 
			(63) 
			<a href='https://www.uhc2030.org/what-we-do/knowledge-and-networks/uhc-data-portal/'>www.uhc2030.org/what-we-do/knowledge-and-networks/uhc-data-portal/</a>. Voir également la plateforme digitale: https://apps.who.int/dhis2/uhcwatch/#/..
  • deuxièmement, le bilan des engagements pris lors de la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la CSU (2019) propose une analyse synthétique de l’état d’avancement de chaque pays 
			(64) 
			www.uhc2030.org/what-we-do/voices/state-of-uhc-commitment/.. Ce document analytique «clé en main», coordonné avec les acteurs nationaux et internationaux, permet d’identifier les progrès, les lacunes et les zones d’amélioration.
  • troisièmement, le document «Monitoring, Evaluation and Review of National Health Strategies» 
			(65) 
			www.who.int/publications/i/item. offre un cadre méthodologique clair pour la mise en place de plateformes nationales de suivi-évaluation des stratégies de santé. Ce guide identifie les principes, les structures et les pratiques à adopter pour assurer une évaluation indépendante, régulière et transparente des politiques publiques. Les parlementaires peuvent s’en inspirer pour proposer de tels dispositifs dans leur propre pays.
  • enfin, la boîte à outils sur l’alphabétisation budgétaire en santé vise à renforcer les capacités des parlementaires, des journalistes et des acteurs de la société civile dans l’analyse budgétaire. Il fournit des outils pratiques pour accéder à l’information budgétaire, en comprendre les enjeux, et formuler des propositions argumentées sur l’allocation des ressources en santé 
			(66) 
			www.uhc2030.org/what-we-do/knowledge-and-networks/civil-society-engagement/budget-toolkit..
49. J’encourage chaque membre de l’Assemblée à tirer pleinement parti de ces outils. Fondés sur des données probantes, des méthodologies éprouvées et des indicateurs comparables entre pays, ils peuvent nourrir les débats parlementaires, éclairer l’évaluation des politiques existantes et appuyer les réformes.

4.2. Mettre en pratique les guides élaborés par l’Union interparlementaire

50. Les guides élaborés par l’Union interparlementaire (UIP) en partenariat avec l’OMS figurent également parmi les outils les plus pertinents pour accompagner les parlementaires mobilisés en faveur de la CSU 
			(67) 
			www.ipu.org/fr/ressources/publications/guides/2022-11/la-voie-de-la-couverture-sanitaire-universelle.. Ils offrent un cadre structuré et des exemples directement transposables aux divers contextes nationaux. Le Guide n° 35 «La voie de la CSU» présente les fondements de la CSU et les leviers législatifs à la disposition des parlementaires, de la conception des lois au suivi de leur application. Il est complété par le manuel «Garantir la CSU» – livré avec des études de cas et des recommandations sur le financement des systèmes de santé, la réduction des inégalités et l’accès équitable aux soins – ainsi que par le guide «Six étapes pour réaliser la CSU», qui propose une démarche structurée pour évaluer les besoins, allouer les ressources et suivre l’impact des réformes.
51. Ces documents, croisés avec les travaux du Comité européen des droits sociaux 
			(68) 
			«Revue
analytique du CEDS sur les Droits sociaux et la crise du coût de
la vie (2025)», para. 113., m’ont permis de mieux cerner le rôle concret que peuvent jouer les parlementaires. Plusieurs exemples m’ont semblé particulièrement inspirants:
  • premièrement, en ce qui concerne la mobilisation internationale: lors de la 141ème Assemblée de l’UIP à Belgrade (13-17 octobre 2019), plus de 1 800 parlementaires ont adopté une résolution appelant à l’adoption de lois nationales effectives pour atteindre la CSU d’ici à 2030. Des ateliers interparlementaires y ont également permis d’échanger sur les stratégies et bonnes pratiques en la matière.
  • deuxièmement, en ce qui concerne les réformes nationales favorables à la CSU: en France, la création de la couverture maladie universelle, puis de la complémentaire santé solidaire, a permis un accès aux soins indépendant du statut professionnel ou du revenu, avec un remboursement progressif selon les ressources 
			(69) 
			La synthèse figure
sur le site https://www.agenda-2030.fr/17-objectifs-de-developpement-durable/article/odd3.. En Suède, la loi garantit un accès universel aux soins primaires, fondé sur les principes de dignité, de besoin et de solidarité 
			(70) 
			Yana Litins’ka, «What
Healthcare Services Temporary Protection Entitles to Have? Navigating
the European Social Charter», European
Journal of Health Law, 29 septembre 2023. Mio Fredriksson,
«Universal health coverage and equal access in Sweden: a century-long
perspective on macro-level policy», International Journal for Enquiry
in Health, 28 mai 2024.. Dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Lettonie), des plafonds annuels de reste à charge et des exemptions ciblées protègent les plus vulnérables contre les coûts de santé catastrophiques 
			(71) 
			Marzena Tambor, Jacek
Klich et Alicja Domagała, «Financing Healthcare in Central and Eastern
European Countries: How Far Are We from Universal Health Coverage?», Int. J. Environ. Res. Public Health,
2021..
  • enfin, en ce qui concerne la planification politique durable: en Irlande, le programme Sláintecare, adopté par consensus interpartisan à l’Oireachtas, illustre l’impact possible d’un engagement transpartisan. Ce plan décennal vise la transformation progressive du système de santé vers un modèle véritablement universel, fondé sur l’équité et l’accessibilité 
			(72) 
			www.oireachtas.ie/en/debates..

4.3. S’appuyer sur le réseau UNITE

52. Enfin, les parlementaires engagés dans la réalisation de la CSU peuvent s’appuyer sur le réseau UNITE 
			(73) 
			www.unitenetwork.org/., une organisation parlementaire qui œuvre à la construction de systèmes de santé durables, équitables et efficaces. Il promeut des réformes législatives en santé, facilite l’échange d’expériences et soutient les Objectifs de développement durable, en particulier l’ODD 3. Composé de parlementaires actuels et anciens de différents niveaux – local, national, régional – UNITE offre, grâce à ses bureaux politiques, une plateforme d'échange entre parlementaires et organisations de la société civile, fournissant des orientations pour influencer et améliorer les politiques de santé.

5. Conclusion: renforcer l’alignement des acteurs en rejoignant la plateforme CSU2030

53. La réalisation effective de la CSU exige un alignement stratégique et opérationnel de l’ensemble des parties prenantes: gouvernements, parlements, organisations internationales, société civile, partenaires de développement, secteur privé et milieux académiques. Ce principe constitue la troisième voie de changement identifiée par le cadre stratégique 2024-2027 de la plateforme CSU2030. Il repose sur une idée simple et puissante: pour réussir, la CSU doit être portée collectivement, au sein de systèmes inclusifs, coordonnés et orientés vers les résultats.
54. Dans cette perspective, je propose que le Conseil de l’Europe rejoigne officiellement la plateforme CSU2030 à l’instar de l’OCDE, organisation coordonnée avec laquelle notre Organisation partage des valeurs communes. Le Conseil de l’Europe aurait tout à gagner selon les propos de Mme Francesca Colombo de l'OCDE (cheffe de la division de la santé de la Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales) entendue par la commission le 3 juin 2024. En devenant membre du comité de pilotage ou en s’associant aux activités de la plateforme, il contribuerait à l’alignement global des efforts en faveur de la CSU tout en affirmant sa vocation à articuler droits humains et politiques de santé. Concrètement, cette adhésion permettrait de mobiliser les parlementaires grâce à des outils et campagnes ciblés – telles que la Journée internationale de la CSU du 12 décembre – de favoriser l’intégration de la CSU dans les agendas politiques nationaux pour accélérer la mise en œuvre des ODD, de promouvoir l’investissement dans les soins de santé primaires (en dépensant mieux, pas nécessairement plus) et de soutenir des approches inclusives, en application de la résolution adoptée en mai 2024 par l’Assemblée mondiale de la santé sur le renforcement de la participation sociale pour la CSU 
			(74) 
			Résolution sur «Strengthening
social participation for universal health coverage, health and well-being»
(WHA77.10) adoptée en mai 2024 à la 77e Assemblée
mondiale de la santé..
55. Concrètement, selon les explications fournies par la cheffe du Secrétariat CSU2030 auditionnée par la commission, rejoindre la plateforme impliquerait d’endosser le Pacte mondial CSU2030 – un engagement politique volontaire proposé par la plateforme CSU2030 qui reconnaît la CSU comme priorité mondiale et appelle à une approche fondée sur les soins de santé primaires, équitable et centrée sur les personnes. Ses six principes fondamentaux sont parfaitement alignés avec les valeurs et travaux du Conseil de l’Europe et de ses États membres en matière de santé: ne laisser personne de côté, adopter une approche basée sur les droits humains et l’équité, se concentrer sur des systèmes de santé solides, efficaces et résilients, accroître la transparence et la responsabilité, impliquer tous les acteurs, investir plus, intelligemment et de manière durable. Cela supposerait également une adhésion formelle au comité de pilotage, permettant au Conseil de l’Europe de participer à l’élaboration des orientations stratégiques de la plateforme et d’y représenter les spécificités du cadre européen des droits sociaux. Enfin, la collaboration serait possible à travers des campagnes conjointes, des événements de plaidoyer ou des échanges de connaissances.
56. L’adhésion du Conseil de l’Europe à la plateforme CSU2030 trouverait par ailleurs un écho naturel dans la Conférence sur la protection de la santé que l’Organisation accueillera à Strasbourg le 15 octobre 2025. Cette rencontre mettra en lumière son approche transversale et multisectorielle en matière de santé et de droits humains, en résonance avec les principes de la CSU. Elle offrira également une étape préparatoire utile en vue de la prochaine réunion de haut niveau des Nations Unies sur la CSU prévue en 2027, en positionnant le Conseil de l’Europe comme un acteur mobilisé pour contribuer concrètement à la réalisation de l’ODD 3.
57. Enfin, il est crucial de souligner que cet engagement pour la CSU s’inscrit pleinement dans la dynamique portée par le Nouveau Pacte démocratique du Conseil de l’Europe. La santé équitable et accessible est non seulement un levier fondamental de justice sociale et de cohésion, mais aussi un pilier essentiel pour la résilience démocratique, la confiance dans les institutions et la participation citoyenne. Agir pour la CSU, c’est donc renforcer le socle même des valeurs et missions de notre Organisation.