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Rapport | Doc. 16244 | 09 septembre 2025

Analyse et lignes directrices visant à garantir le droit au logement

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Aurora FLORIDIA, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15566, Renvoi 4670 du 10 octobre 2022. 2025 - Quatrième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité en commission le 4 septembre
2025.

(open)
1. Le droit à un logement convenable est un droit humain universel reconnu par le droit international des droits humains, notamment par la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163). Essentiel à la jouissance de tous les droits économiques, sociaux et culturels dans les cadres internationaux relatifs aux droits humains, au même titre que les droits civils et politiques, il s’inscrit dans le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant. Un logement convenable signifie le droit de vivre en sécurité, en paix et dans la dignité – dans un logement sûr, sain, d’un coût abordable, accessible et adapté aux besoins, doté d’un accès à l’eau potable et d’installations sanitaires et énergétiques. Garantir le droit au logement pour toutes et tous n’est pas seulement une obligation légale, c’est aussi une pierre angulaire de la justice sociale et du développement humain, et donc de la stabilité démocratique.
2. Les droits humains étant universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés, toute violation du droit à un logement convenable peut porter atteinte à la jouissance d’un large éventail d’autres droits humains. De même, le droit à un logement convenable peut aussi être affecté par la mesure dans laquelle d’autres droits humains sont garantis. Bien que ce droit soit essentiel au bien-être humain, il reste une promesse non tenue pour plus d’un milliard de personnes dans le monde qui ne sont pas convenablement logées. En Europe, plus de 1,3 million de personnes étaient sans abri en 2023, dont 400 000 enfants, et environ 19,2 millions vivaient dans des conditions de logement précaires graves.
3. Les guerres et les conflits armés aggravent le problème du logement pour les populations touchées, comme en Ukraine où environ 13 % des logements ont été gravement endommagés ou détruits. L’Assemblée parlementaire note qu’au vu des destructions massives et délibérées d’habitations dans les zones de guerre, notamment la situation humanitaire catastrophique à Gaza où 92 % des bâtiments résidentiels sont détruits ou endommagés, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable a appelé à la création d’un nouveau crime – le domicide – au niveau international.
4. L’Assemblée déplore la financiarisation du logement, qui est traité comme une marchandise plutôt que comme un droit humain et un bien social. Elle s’inquiète de l’insuffisance de l’offre dans de nombreuses villes, de l’accroissement des inégalités de revenus, de la hausse du chômage, de la crise du coût de la vie, des taux d’intérêt élevés, ainsi que de la flambée des loyers et la pénurie de logements causée par les résidences secondaires et les locations de courte durée, qui mettent l’accès à un logement convenable sous pression dans toute l’Europe. Dans ce contexte, certaines catégories de la population, telles que les ménages à faibles revenus et les familles monoparentales, les personnes migrantes, y compris réfugiées ou déplacées, les Roms, les personnes sans emploi et les travailleurs et travailleuses précaires, les personnes sortant d’un séjour dans une institution, les étudiant·es et les jeunes, ou encore les familles et les personnes âgées, sont particulièrement vulnérables et nécessitent une protection spécifique.
5. L’Assemblée souligne l’obligation pour les États membres d’assurer la mise en œuvre effective du droit au logement conformément aux exigences du droit international des droits humains, notamment la Charte sociale européenne (révisée) (articles 31, 30 et 16), en mettant l’accent sur la prévention du sans-abrisme et en prévoyant des mesures globales à court, moyen et long terme. Elle insiste sur la nécessité d’adapter les logements existants et nouveaux aux impératifs actuels de développement durable et de résilience accrue aux effets du changement climatique et aux catastrophes naturelles.
6. L’Assemblée est préoccupée par l’augmentation des inégalités en matière de revenus et de logement dans les États membres, tandis que le secteur du logement social est externalisé au secteur privé et sous-financé dans bon nombre d’entre eux. Elle reconnaît la nécessité urgente de lutter contre la financiarisation et la spéculation sur les marchés du logement, de promouvoir l’accessibilité financière et de prévenir le sans-abrisme. Elle appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
6.1. à considérer le logement comme un droit humain et non comme une marchandise;
6.2. à augmenter les investissements publics dans le logement social et abordable, en particulier au niveau des pouvoirs locaux;
6.3. à adopter des stratégies de logement à long terme, fondées sur les droits et axées sur la prévention du sans-abrisme;
6.4. à offrir des garanties juridiques contre les expulsions forcées et le sans-abrisme, ainsi qu’une protection équilibrée à la fois des propriétaires et des locataires;
6.5. à améliorer les systèmes d’allocation logement, les mécanismes d’aide au revenu, ainsi que la transmission du logement entre les générations;
6.6. à réglementer les locations de courte durée et les propriétés vacantes afin d’augmenter l’offre de logements;
6.7. à mettre en œuvre des réglementations plus strictes pour enrayer la spéculation immobilière.
7. Reconnaissant les bonnes pratiques dans certains États membres et certaines villes, l’Assemblée souligne l’efficacité des investissements publics à long terme, de la mixité socio-économique, des services sociaux intégrés et de la construction durable. Elle invite les États membres:
7.1. à mettre en place des mesures d’encadrement des loyers dans les zones urbaines où la demande de logements est élevée et lier les augmentations de loyer au revenu moyen régional plutôt qu'à l'inflation;
7.2. à promouvoir les coopératives d’habitation et les programmes immobiliers à profit limité;
7.3. à favoriser l’accès des jeunes à des logements abordables financièrement grâce à l’habitat groupé, au logement étudiant, à des subventions ciblées et à des programmes de logement intergénérationnel;
7.4. à garantir l’accès à un logement convenable aux ménages à faibles revenus, aux familles monoparentales, aux personnes migrantes, y compris réfugiées, aux Roms, aux personnes en situation de handicap, aux personnes âgées, aux femmes ayant quitté un partenaire violent et aux personnes sortant d’une institution;
7.5. à communiquer aux locataires des informations sur leurs droits en matière de logement et les connaissances financières de base.
8. L’Assemblée considère que le droit au logement, envisagé sous l’angle de la durabilité, associe la perspective écologique (économie des ressources, conception résiliente aux changements climatiques, faible empreinte environnementale) à la justice sociale (protection des groupes de population vulnérables, non-discrimination, égalité des chances), la santé publique (approche «Une seule santé» qui vise à équilibrer et à optimiser la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes), et la logique économique (croissance de qualité, prospérité partagée, investissements intelligents et gains à long terme). Considérant que l’action est moins coûteuse que l’inaction, l’Assemblée exhorte les États membres:
8.1. à donner la priorité à la rénovation à grande échelle du parc immobilier vieillissant, notamment dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe et de l’initiative «vague de rénovation», le cas échéant;
8.2. à accorder une place centrale aux modèles de logement éco-énergétiques, résilients aux changements climatiques et à faible émission de carbone;
8.3. à investir dans des infrastructures publiques durables et un aménagement du territoire qui intègre des objectifs environnementaux, économiques et sociaux;
8.4. à faciliter l’accès des ménages vulnérables au financement de logements respectueux de l’environnement.
9. L’Assemblée rappelle aux États membres leurs obligations au titre des articles 16, 30 et 31 de la Charte sociale européenne (révisée) et recommande:
9.1. d’accepter les articles 16, 30 et 31 et de ratifier, d’accepter ou d’approuver le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158), si cela n’a pas encore été fait;
9.2. de renforcer l’application des droits socio-économiques sur la base des orientations du Comité européen des Droits sociaux (CEDS) et d’étendre la mise en œuvre des droits sociaux consacrés par la Charte sociale européenne (révisée) à toutes les personnes résidant sur leur territoire;
9.3. de collecter des données ventilées sur le logement afin d’identifier et de traiter les inégalités systémiques.
10. L’Assemblée soutient fermement le travail de la Banque de développement du Conseil de l’Europe qui aide les États membres à fournir des logements plus durables, plus inclusifs et plus abordables aux populations vulnérables, en particulier dans le cadre des efforts de reconstruction en Ukraine et de la lutte contre les déficits structurels en matière de logement dans les zones urbaines et rurales défavorisées.
11. Enfin, l’Assemblée invite les parlements nationaux des États membres:
11.1. à suivre la mise en œuvre du droit au logement aux niveaux national et local;
11.2. à garantir une participation significative des jeunes et des communautés vulnérables à l’élaboration des politiques de logement;
11.3. à œuvrer en faveur de la reconnaissance du domicide et de sa classification en tant qu’infraction pénale au niveau international.

B. Exposé des motifs par Mme Aurora Floridia, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le droit à un logement convenable, c’est-à-dire un logement sûr, sain, d’un coût abordable et accessible, doté d’un accès à l’eau potable et d’installations sanitaires et énergétiques, est un droit universel. Il est reconnu et codifié par le droit international, y compris par différents traités européens tels que la Charte sociale européenne (STE no 163). Bien que ce droit soit essentiel au bien-être humain, plus d’un milliard de personnes dans le monde ne sont pas convenablement logées 
			(2) 
			ONU-Habitat, «Le droit
à un logement convenable», Fiche d’information n° 21 (Rev.1).. En Europe, plus de 1,3 million de personnes étaient sans abri en 2023, dont 400 000 enfants 
			(3) 
			Chiffres
cités lors de la conférence «Répondre au sans-abrisme par l’investissement
social», organisée le 3 décembre 2024 à Strasbourg (France) par
la Banque de Développement du Conseil de l'Europe (CEB), et financée
par l'Union européenne.. Selon les estimations d’Eurostat, 4,3 % de la population européenne, soit plus de 19,2 millions de personnes, ont été confrontées à «des conditions de logement précaires graves» en 2020. De plus, depuis fin février 2022, date à laquelle l’agression militaire contre l’Ukraine a commencé, plus de 4,5 millions de réfugié·es ukrainiens ont rejoint les États membres de l’Union européenne, alors qu’environ 13 % des logements en Ukraine ont été gravement endommagés ou détruits 
			(4) 
			«<a href='https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2025/02/25/updated-ukraine-recovery-and-reconstruction-needs-assessment-released'>Publication
de l'évaluation actualisée des besoins en matière de relèvement
et de reconstruction en Ukraine</a>» par le Groupe de la Banque mondiale, 25 février 2025..
2. L’insuffisance de l’offre dans de nombreuses villes, l’accroissement des inégalités de revenus et la hausse du chômage, la crise du coût de la vie et les taux d’intérêt élevés, ainsi que la flambée des loyers, les locations à court terme, les résidences secondaires et les logements vacants mettent sous pression l’accès à un logement convenable. Certaines catégories de la population, telles que les ménages à faible revenu et les parents isolés, les personnes migrantes et réfugiées, les Roms, les personnes sans emploi et les travailleurs et travailleuses précaires, les étudiant·es et les jeunes, les familles et les femmes quittant des relations violentes, sont particulièrement vulnérables et nécessitent une protection spéciale. Les États se sont engagés à respecter, protéger et mettre en œuvre le droit au logement tel qu’inscrit dans divers traités internationaux. Cependant, trop de personnes dans les États membres du Conseil de l’Europe vivent dans des conditions incompatibles avec leur dignité et leurs droits humains, en grande partie à cause de la financiarisation du logement, qui est traité comme une marchandise plutôt que comme un droit humain et un bien social. Si, à court terme, les États doivent prendre des mesures immédiates pour répondre aux besoins les plus pressants des personnes confrontées à la crise du logement, un engagement à moyen et long terme s’impose pour apporter des solutions globales et pérennes, mettant l'accent sur la prévention du sans-abrisme et garantissant un logement convenable pour toutes et tous.
3. La proposition de résolution «Analyse et lignes directrices visant à garantir le droit au logement et à un logement décent» (Doc. 15566), déposée par M. Antón Gómez-Reino (Espagne, GUE) et plusieurs de ses collègues, a été renvoyée à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable pour rapport et j’ai été nommée rapporteure le 12 octobre 2023 pour succéder à Mme Selin Sayek Böke.
4. La proposition de résolution exprime une profonde inquiétude quant au fait qu’un·e Européen·ne sur quatre éprouve de «sérieuses difficultés» à faire face à ses dépenses de logement, et que plus de la moitié des jeunes (âgés de 18 à 34 ans) dans de nombreux pays européens sont dans l’incapacité de vivre de manière autonome. Elle fait notamment référence à un rapport de 2020 de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui souligne le problème de l’accès à un logement stable et appelle les gouvernements à adopter des «mesures énergiques» pour améliorer la situation. Par ailleurs, le texte précise que, compte tenu des problèmes dans le domaine du logement et «de l’absence de politiques publiques visant à garantir le droit [à un logement convenable]», le Conseil de l’Europe et ses États membres devraient s’engager à rédiger un ensemble de lignes directrices générales sur les bonnes pratiques relatives à «l’accès à un logement décent».
5. Dans le cadre de ses travaux au titre du présent rapport, la commission a tenu une série d'auditions publiques et d'échanges de vues, et a effectué plusieurs visites sur le terrain à Marrakech et Ben Guérir (Maroc) 
			(5) 
			Échange
de vues le 17 mars 2023, à Marrakech, avec M. Hassan Radoine, directeur
de l'École d'architecture, d'urbanisme et de design (SAP+D) de l'Université
polytechnique Mohammed VI, et Mme Hind
Benzha, directrice du développement immobilier, ministère du Développement
du territoire national, de l'Urbanisme, du Logement et de la Politique
urbaine; et, le 18 mars 2023, visite du Smart Building Park à Ben
Guerir., Paris (France) 
			(6) 
			Une audition publique
a eu lieu le 6 décembre 2023 avec M. Samir Kulenovic, conseiller
technique principal pour le logement et le développement urbain
à la CEB, et le 4 juin 2024, certains membres de la commission ont
visité deux logements sociaux («pensions de famille») gérés par
ADOMA et dont la restructuration a été cofinancée par la CEB. et Lisbonne (Portugal) 
			(7) 
			Le
12 septembre 2024, la commission a procédé à un échange de vues
sur «Les approches portugaises en matière d'énergie durable pour
la mobilité et le logement – d'une perspective générale à des mesures
concrètes» avec: M. Miguel Gaspar, ancien conseiller municipal de
Lisbonne, sur les défis du développement durable auxquels sont confrontées
les villes, notamment Lisbonne; Mme Maria
Manuela Alvares, conseillère municipale de Matosinhos, sur la stratégie
de décarbonisation de Matosinhos d'ici 2030 en matière de logement;
M. João Crispim, ingénieur, Fundação Mestre Casais, sur les mesures
concrètes en faveur de la mobilité et du logement durables; et M. Vladimiro
Feliz, ingénieur, directeur du laboratoire collaboratif Ceiia, sur
les nouvelles technologies, produits et services pour accélérer
la transition des villes vers la neutralité carbone. Les membres
ont également effectué une visite sur le terrain à Cascais/Guincho,
sur le campus universitaire NOVA SBE, où ils ont assisté à une présentation
sur les projets de développement durable et d'énergie renouvelable
à Cascais.. En ma qualité de rapporteure, j'ai également entrepris une visite d'information à Vienne pour étudier le modèle de logement de cette ville (21-22 novembre 2024) 
			(8) 
			À Vienne, j'ai visité
le centre d'hébergement VinziRast et me suis entretenue avec Mme Veronika
Kerres, Obfrau des Vereins; j'ai eu des réunions avec Mme Elke
Hanel-Torsch, membre de la commission des finances et de l'économie
du conseil municipal; des représentants de Wohnservice Wien et de
ses services (M. Josef Cser, directeur général, Mme Isabella
Wohinz, directrice du service d'expertise technique, M. Aleksander
Cvetkovitc, Wohnberatung Wien, M. Christian Bartok, Mieterhilfe,
Mme Claudia Nekvasil et M. Stefan Hawla,
co-directeurs de Mein Wien Apartment), au Parlement autrichien;
et j'ai visité le complexe immobilier Sonnwendviertel avec M. Christian
Schantl., j’ai participé à la conférence «Répondre au sans-abrisme par l’investissement social» (3 décembre 2024, Strasbourg) et à l'événement «Droits sociaux: construire la justice sociale et la stabilité démocratique» (Bruxelles, 5 juin 2025), je me suis entretenue en ligne avec la Présidente du Comité européen des Droits sociaux (CEDS) et j'ai consulté des représentant·es de la jeunesse en ma qualité de rapporteure pour la jeunesse de la commission.
6. Je tiens à remercier tous les expert·es pour leurs précieuses contributions sur lesquelles je m’appuie dans ce rapport pour recenser et mettre en évidence, à l’attention des décideurs de nos États membres, les bonnes pratiques nationales en matière de politiques de logement. À cette fin, je tiens également à souligner l’obligation qui incombe aux États membres de garantir la mise en œuvre effective du droit au logement ainsi que la nécessité d’adapter les logements existants et nouveaux aux impératifs actuels de développement durable et de résilience accrue aux effets du changement climatique et des catastrophes naturelles.

2. Le droit au logement: le cadre juridique international

7. Le droit à un logement convenable est un droit humain reconnu par le droit international des droits humains et découle du droit à un niveau de vie suffisant. Il est considéré comme faisant partie intégrante de la jouissance de tous les droits économiques, sociaux et culturels dans les instruments internationaux relatifs aux droits humains, au même titre que les droits civils et politiques 
			(9) 
			Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (2008), <a href='https://rm.coe.int/16806dac23'>document
thématique «Le droit au logement: le devoir de veiller à un logement
pour tous</a>».. Le droit à un logement convenable a été reconnu en tant que composante du droit à un niveau de vie suffisant à l’article 25, paragraphe 1, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et à l’article 11, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966. Le caractère convenable du logement fait référence à la sécurité d'occupation, à la disponibilité de services essentiels (tels que l'eau, l'énergie, l'assainissement), à l’accessibilité financière, à l'habitabilité, à l'accessibilité, à l'emplacement approprié et au respect de l'identité culturelle.
8. Plusieurs autres traités internationaux relatifs aux droits humains contiennent des dispositions sur le droit au logement. Certains sont d'application générale, tandis que d'autres protègent les droits humains de groupes spécifiques (et souvent vulnérables), tels que les personnes réfugiées, les travailleurs et travailleuses migrant·es, les enfants, les femmes, les peuples autochtones, les personnes en situation de handicap et les personnes victimes de discrimination raciale. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés a en fait été le tout premier instrument juridiquement contraignant à contenir une disposition sur le droit au logement.
9. En outre, le droit international des droits humains protège le droit à un logement convenable pendant les conflits armés. Il découle de l'article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale que la destruction massive et l'appropriation de biens qui ne sont pas justifiées par des nécessités militaires et qui sont commises illégalement et arbitrairement constituent un crime de guerre. Dans certaines circonstances, la démolition arbitraire de logements, les expulsions forcées et les déplacements forcés, les attaques contre des habitations et des bâtiments civils peuvent constituer un crime contre l'humanité ou un crime de guerre au regard du droit pénal international 
			(10) 
			Voir <a href='https://www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-housing/international-standards'>www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-housing/international-standards#rome.</a>. En ce qui concerne la destruction massive délibérée d'habitations dans les zones de guerre, comme à Gaza où 92 % de tous les bâtiments résidentiels ont été détruits ou endommagés, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, a appelé à la création d'un nouveau crime – le domicide – au niveau international 
			(11) 
			Présentation faite
par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement
convenable lors d'une réunion non officielle le 10 avril 2025, à
Strasbourg. Voir également son rapport thématique A/77/190 intitulé
«Le droit à un logement convenable pendant les conflits violents»
publié le 19 juillet 2022, téléchargeable à <a href='https://www.ohchr.org/en/documents/thematic-reports/a77190-right-adequate-housing-during-violent-conflict-report-special'>www.ohchr.org/en/documents/thematic-reports/a77190-right-adequate-housing-during-violent-conflict-report-special.</a>.
10. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a clarifié la portée de la disposition relative au droit à un logement convenable dans son Observation générale n°4 sur le droit à un logement convenable et dans son Observation générale n°7 sur les expulsions forcées. L'Observation générale n°4 précise que le droit au logement doit être réalisé sans discrimination fondée sur l'âge, la situation économique, l'appartenance à un groupe ou à une autre organisation, et que le droit au logement doit être compris comme le droit de vivre quelque part en sécurité, dans la paix et la dignité. L'Observation générale n°7 considère que les expulsions forcées sont incompatibles avec les exigences du PIDESC, à moins qu'elles ne soient menées dans le strict respect du droit relatif aux droits de l'homme et des principes de raison et de proportionnalité, garantissant ainsi qu'aucune autre solution n'était envisageable dans la situation en question. Le Comité des droits de l'enfant a précisé le droit spécifique des enfants à un logement convenable, découlant de l'article 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant, dans son observation générale n° 21 (1997). Au niveau national, certains pays européens protègent le droit au logement dans leur constitution (notamment la Belgique, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas, l'Italie, la Pologne, le Portugal, la Slovénie, l'Espagne, la Suède et la Suisse) 
			(12) 
			Voir
www.housingrightswatch.org/..
11. Au niveau régional, la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163, 1996) établit le droit au logement à l’article 31, demandant aux Parties contractantes de prendre des mesures destinées «à favoriser l'accès au logement d’un niveau suffisant», «à prévenir et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive» et «à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes». J’estime que tous les États membres du Conseil de l'Europe qui ne l'ont pas encore fait devraient accepter d'être liés par cet article 
			(13) 
			Sur les 35 États membres
qui ont ratifié la Charte révisée, seuls 10 ont accepté son article
31, tandis que 4 autres ont accepté d'être liés uniquement par certaines
parties de cette disposition. Ibid, page 9.. En outre, diverses dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) sont pertinentes en matière de lutte contre le sans-abrisme et l'exclusion en matière de logement: article 2 (droit à la vie), article 3 (interdiction de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants), article 6 (droit à un procès équitable), article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), article 13 (droit à un recours effectif), article 14 (interdiction de la discrimination) et article 1 du Protocole additionnel (STE n° 9) (protection de la propriété).
12. L’article 30 de la Charte sociale européenne (révisée) promeut le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale et l’article 16 énonce le droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique; ils contiennent des dispositions spécifiques concernant la responsabilité de l’État de fournir des logements adaptés aux besoins des familles ou un accès effectif au logement par le biais de politiques-cadres et de prestations sociales. Pour se conformer à ces dispositions, les États doivent prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté, et leurs familles puissent bénéficier d’un accès effectif, entre autres, au logement. La Charte garantit également la protection des droits de groupes de population vulnérables ou défavorisés comme les enfants et les jeunes (articles 7 et 17), les personnes en situation de handicap (article 15), les travailleurs et travailleuses migrant·es (article 19), les personnes âgées (article 23), les Roms et autres groupes minoritaires, ainsi que les enfants et les adultes en situation irrégulière sur le territoire d’un des États parties.
13. De plus, la procédure de réclamations collectives, qui s’applique à 16 États parties à la Charte en vertu du protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives de 1995 (STE n° 158), permet à des organisations syndicales, patronales ou non gouvernementales nationales et internationales, de déposer des réclamations concernant des violations de la Charte, y compris en matière d’accès au logement, à l’encontre des États qui ont accepté la disposition en question. Le CEDS examine les réclamations collectives et publie des rapports nationaux pour évaluer la manière dont les États parties respectent la Charte en matière de réalisation des droits socio-économiques qu'elle consacre, par le biais de la législation, des politiques et des pratiques au niveau national.
14. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe publie régulièrement des commentaires sur la protection des groupes vulnérables, notamment en matière de logement. Récemment, le Commissaire a souligné les difficultés d'accès à un logement convenable et aux services essentiels connexes pour les communautés roms en Grèce, en demandant instamment la mise en œuvre de la stratégie nationale et du plan d'action pour l'inclusion sociale des Roms 2021-2030 
			(14) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/greece-should-ensure-that-roma-have-access-to-adequate-housing-and-are-not-subject-to-discriminatory-treatment-or-violence-by-law-enforcement-authorities'>La
Grèce devrait veiller à ce que les Roms aient accès à un logement
adéquat et ne soient pas victimes de traitements discriminatoires
ou de violences de la part des forces de l'ordre</a>», communiqué de presse du Commissaire aux droits de
l'homme, 3 juin 2025, et <a href='https://rm.coe.int/memorandum-on-the-human-rights-of-roma-in-greece-by-michael-o-flaherty/1680b60ac0'>«Mémorandum
sur les droits de l'homme des roms en Grèce</a>»..

2.1. Exemples tirés de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux

15. À titre d’exemple, dans sa décision relative à la réclamation collective déposée par la Fédération européenne des Associations nationales travaillant avec les Sans-abri (FEANTSA) c. République tchèque (réclamation n° 191/2020) rendue publique le 24 janvier 2025, le CEDS a jugé qu’il y avait violation de l’article 16 de la Charte sociale européenne de 1961 (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique) concernant l’accès au logement et l’exclusion du logement des groupes vulnérables, notamment les Roms, à la lumière de la nouvelle législation et de la politique en matière de logement dans le pays. Le CEDS a estimé que la législation autorisant les expulsions en Tchéquie, ne prévoyait pas les garanties suffisantes pour les groupes vulnérables, que l’offre de logements sociaux était insuffisante et les remèdes à cet égard n’étaient pas efficaces, et que l’accès des groupes défavorisés aux allocations de logement était entravé, des pratiques discriminatoires affectant de manière disproportionnée la minorité rom.
16. Le CEDS a également constaté des violations de plusieurs articles de la Charte révisée (notamment les articles 30, 31(1), 16, 11(1), 11(3), 17(1) et (2), 23 et 15(3)) dans la réclamation n° 206/2022 c. Espagne 
			(15) 
			Par
Défense des Enfants International (DCI), la Fédération Européenne
des Organisations Nationales travaillant avec les SDF (FEANTSA),
les Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL),
la Confederación Sindical de Comisiones Obreras (CCOO) et le Mouvement
International ATD Quart Monde. Voir <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/n%C2%B0-206/2022-d%C3%A9fense-des-enfants-international-dei-f%C3%A9d%C3%A9ration-europ%C3%A9enne-des-associations-nationales-travaillant-avec-les-sans-abri-feantsa-magistrats-europ%C3%A9ens-pour-la-d%C3%A9mocratie-et-les-libert%C3%A9s-medel-confederaci'>www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/n%C2%B0-206/2022-d%C3%A9fense-des-enfants-international-dei-f%C3%A9d%C3%A9ration-europ%C3%A9enne-des-associations-nationales-travaillant-avec-les-sans-abri-feantsa-magistrats-europ%C3%A9ens-pour-la-d%C3%A9mocratie-et-les-libert%C3%A9s-medel-confederaci</a>. concernant, entre autres, les droits au logement et à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale des groupes de population vulnérables (notamment les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées, la minorité rom) en raison des coupures d'électricité qui ont eu de graves conséquences sur la vie d'environ 4 500 habitant·es, dont 1 800 enfants, entraînant des problèmes médicaux et une détérioration des conditions de santé. Cette affaire, dans laquelle les habitant·es du bidonville vivent sans électricité depuis octobre 2020, illustre une situation d’extrême pauvreté énergétique 
			(16) 
			Voir
l’article «We’re living like wild animals: Europe’s largest shantytown
waits in vain for power», publié le 6 octobre 2024 dans the Guardian, <a href='https://www.theguardian.com/world/2024/oct/06/were-living-like-wild-animals-europes-largest-shantytown-waits-in-vain-for-power'>www.theguardian.com/world/2024/oct/06/were-living-like-wild-animals-europes-largest-shantytown-waits-in-vain-for-power</a>.. La décision du CEDS souligne que pour que les personnes puissent jouir de leurs droits au logement, à la santé et à l’éducation, elles ont besoin d’un «accès stable, cohérent et sûr à […] l’énergie». Une autre réclamation n° 203/2021 
			(17) 
			Voir <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/n%C2%B0-203/2021-f%C3%A9d%C3%A9ration-europ%C3%A9enne-des-associations-nationales-travaillant-avec-les-sans-abri-feantsa-c.-belgique'>www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/n%C2%B0-203/2021-f%C3%A9d%C3%A9ration-europ%C3%A9enne-des-associations-nationales-travaillant-avec-les-sans-abri-feantsa-c.-belgique</a> et <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/the-decision-on-the-merits-in-european-federation-of-national-organisations-working-with-the-homeless-feantsa-v.-belgium-complaint-no.-203/2021-is-now-public'>la
décision au fond dans l'affaire Fédération européenne des associations
nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA) c. Belgique, Plainte
n° 203/2021, désormais accessible au public – Droits sociaux</a>., FEANTSA c. Belgique soulève le problème de la politique flamande du logement qui ne parvient pas suffisamment à améliorer la situation difficile de nombreuses familles en matière de logement, en particulier les familles sans-abri avec enfants, les travailleurs et travailleuses migrants et les Gens du voyage, en violation de plusieurs dispositions de la Charte (articles 11, 30, 19(4.c), 17 et E).
17. En 2018, dans le cadre de la réclamation du Comité européen d’action spécialisée pour l’Enfant et la Famille dans leur milieu de vie (EUROCEF) c. France (n° 114/2015), le CEDS a constaté plusieurs violations du droit des mineurs étrangers non accompagnés à une protection sociale, juridique et économique en France (article 17(1) de la Charte) pour les motifs suivants: les carences relevées dans le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs étrangers non accompagnés; la détention de mineurs étrangers non accompagnés dans les zones d’attente et les hôtels; l’hébergement inapproprié des mineurs ou leur exposition à la vie dans la rue (violation de l’article 7(10) de la Charte); et le défaut de provision d’un abri (violation de l’article 31(2) de la Charte).

2.2. Indivisibilité des droits

18. Les droits humains étant universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés, une violation du droit à un logement convenable peut porter atteinte à la jouissance d’un large éventail d’autres droits humains. De même, le droit à un logement convenable peut aussi être affecté par la mesure dans laquelle d’autres droits fondamentaux sont garantis. Bien que les États aient fréquemment réaffirmé l’importance du plein respect du droit à un logement convenable, il subsiste un écart inquiétant entre les normes fixées dans les traités internationaux, notamment l’article 11, paragraphe 1, du PIDESC, ainsi que les articles 16, 30 et 31 de la Charte sociale européenne (révisée), et la situation qui prévaut dans de nombreuses régions du monde, y compris dans les États membres du Conseil de l’Europe. Cela est dû en partie au fait que le logement est rarement traité comme un droit humain au niveau national 
			(18) 
			Rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable,
page spéciale intitulée «<a href='https://www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-housing/human-right-adequate-housing'>The
human right to adequate housing</a>»..

3. Mauvaises conditions de logement et sans-abrisme: défis à relever dans les États membres du Conseil de l’Europe

19. Partout en Europe et au-delà, la hausse rapide des coûts du logement, la conjoncture défavorable du marché du travail et la diminution des filets de protection sociale, les politiques migratoires dures et la pauvreté poussent les populations vulnérables, les groupes à faible revenu et de plus en plus de membres de la classe moyenne à quitter les villes ou à vivre dans des conditions exiguës qui ne répondent pas aux normes d’un logement décent. Par ailleurs, certaines défaillances systémiques créent une incertitude en matière de logement pour les personnes amenées à quitter un cadre institutionnel (structures d’accueil, hôpital ou établissement de santé mentale, prison, centre de rétention pour personnes migrantes). Le changement climatique, les catastrophes naturelles et les conflits armés menacent de plus en plus la jouissance du droit à un logement convenable. Les «nomades numériques», les travailleurs et travailleuses à distance originaires de pays où les salaires sont plus élevés, les résidences secondaires et les locations de courte durée destinées aux touristes au détriment de la population locale font disparaître les communautés locales dans de nombreuses capitales européennes 
			(19) 
			The
Conversation (31 mars 2023), «Remote working: how a surge
in digital nomads is pricing out local communities around the world»,
et Euronews (12 mai 2023),
«<a href='https://www.euronews.com/travel/2023/05/12/proto-gentrifies-are-digital-nomads-ruining-portugal'>People
are really fired up: Digital nomads blamed for Portugal's high prices
and housing crisis</a>»., mais aussi dans certaines zones périurbaines.
20. Dans une évolution inquiétante, le logement est devenu un objet d’investissement de plus en plus attrayant pour les acteurs privés et les entreprises sur le marché mondial, et ce à une échelle bien plus grande que ce qui avait été observé auparavant. La financiarisation du logement a entraîné une flambée des prix du logement, bien au-delà de l’augmentation du salaire du travailleur moyen. Ainsi, les ménages à revenus faibles et moyens doivent désormais consacrer une part importante de leur revenu disponible au logement. Souvent, ils se retrouvent dans une situation de «surcharge des coûts du logement», qui survient lorsque ce dernier représente plus de 40 % du revenu disponible du ménage. En Europe, plus de 17 % de la population vit dans un logement surpeuplé et plus de 10 % consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger 
			(20) 
			«Le modèle viennois
du logement social – une réussite», août 2022, Wiener Wohnen.. En 2023, la part des coûts de logement pour les ménages pauvres représentait environ 62 % de leur revenu en Grèce, 57 % au Danemark, 49 % au Luxembourg, 48 % en Suède et 46,7 % en Tchéquie, tandis que l'indice des loyers a augmenté de 40 % en Slovénie, de 36,5 % en Lituanie, de 34 % en Pologne et de 29 % en Estonie en seulement deux ans, entre 2021 et 2023, contre une augmentation moyenne de 5,3 % dans l'Union européenne (UE). Certains pays non membres de l'UE ont connu des hausses de loyer encore plus marquées, avec 37 % au Monténégro, 43,5 % en Serbie et 232,9 % en Türkiye, reflétant des taux d'inflation élevés 
			(21) 
			Examen
ad hoc sur «Les droits sociaux et la crise du coût de la vie» par
le Comité européen des droits sociaux, 2025 (p. 35)..
21. Alors que les coûts du logement augmentent depuis des décennies et constituent le poste de dépense le plus important pour tous les ménages 
			(22) 
			«Faire
face à la crise du coût de la vie et du logement dans les villes»,
Documents de développement régional de l'OCDE, 2023., les dépenses connexes augmentent encore avec la hausse des factures d’énergie que doivent payer les locataires de logements mal isolés ou mal entretenus 
			(23) 
			Voir le rapport intitulé
«Analyse et lignes directrices pour une transition énergétique durable
et socialement équitable» (Doc. 16182) de Mme Saskia
Kluit (Pays-Bas, SOC).. Nombreux sont ceux qui se retrouvent dans des logements de moindre qualité dans des quartiers plus défavorisés, ce qui entraîne une ségrégation spatiale entre les groupes de revenus. Ces quartiers ont souvent un accès limité aux équipements nécessaires pour surmonter les inégalités de revenus, telles que des solutions de transport public moins nombreuses, des niveaux réduits de services de santé et des ressources éducatives de moindre qualité par rapport aux quartiers mieux nantis 
			(24) 
			CEB (2017), rapport
intitulé «<a href='https://coebank.org/media/documents/Part_3-Inequality-Housing.pdf'>Les
inégalités en matière de logement en Europe. Lutter contre les inégalités
en Europe: le rôle de l'investissement social»,</a> pages 2-3 et 46..
22. Les inégalités en matière de logement et le nombre de sans-abri ont augmenté à un rythme alarmant dans presque tous les États membres du Conseil de l’Europe, tandis que le secteur du logement social a été externalisé et sous-financé dans bon nombre d’entre eux. Les inégalités de revenus et de logement sont étroitement liées. Le manque d’accès à un logement stable et convenable a de toute évidence des répercussions qui exacerbent d’autres inégalités, portent atteinte à la dignité humaine, affectent l’état de santé des personnes concernées et entravent la mobilité sociale 
			(25) 
			CEB (2017), rapport
intitulé <a href='https://coebank.org/media/documents/Part_3-Inequality-Housing.pdf'>«Housing
inequality in Europe. Tackling inequalities in Europe: the role
of social investment</a>».. L’accès à un logement convenable peut être une condition préalable à la jouissance d’autres droits humains, notamment le droit au travail, à la santé, à la sécurité sociale, de vote, à la vie privée ou encore à l’éducation 
			(26) 
			Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme et ONU-HABITAT (2009), <a href='https://www.ohchr.org/fr/publications/fact-sheets/fact-sheet-no-21-rev-1-human-right-adequate-housing'>Fiche
d'information n° 21/Rev.1 sur «Le droit à un logement convenable»</a>.. La crise du logement touche de manière disproportionnée les groupes vulnérables déjà confrontés à la discrimination, tels que les Roms et les Gens du voyage, les personnes en situation de handicap, les minorités nationales, les personnes réfugiées ou migrantes (en particulier d’origine non occidentale), ainsi que les locataires sans sécurité de revenu, notamment les jeunes, les travailleurs et travailleuses migrant·es, les personnes au chômage, et celles qui se trouvent au bas de l’échelle du marché du travail ou qui occupent des emplois atypiques. Les victimes de violence domestique et les couples qui se séparent sont d’autres exemples de personnes qui peuvent rencontrer des difficultés particulières sur le marché du logement, surtout lorsqu’il y a des enfants 
			(27) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe (2008), <a href='https://rm.coe.int/ref/CommDH/IssuePaper(2008)1'>document
thématique «Le droit au logement: le devoir de veiller à un logement
pour tous</a>».. Les familles nombreuses ont également tendance à avoir du mal à trouver un logement convenable, en particulier dans les villes.
23. Le sans-abrisme et les expulsions forcées constituent prima facie des violations du droit au logement et enfreignent également plusieurs autres droits humains 
			(28) 
			Rapporteure spéciale
des Nations Unies sur le logement convenable (2020), rapport sur
sa visite en France, (<a href='https://docs.un.org/fr/A/HRC/43/43/Add.2'>A/HRC/43/43/Add.2</a>), paragraphe 46.. Selon le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, être sans-abri signifie ne pas disposer d’un logement stable, sûr et convenable, ni avoir les moyens et la capacité de l’obtenir. Il est largement reconnu que le sans-abrisme ne se limite pas à l’absence d’un abri physique et d’un toit au-dessus de la tête, mais qu’il s’agit également d’une condition qui entraîne la perte de liens sociaux et l’exclusion sociale.
24. En outre, il existe différentes formes de sans-abrisme, y compris le sans-abrisme caché, avec «les personnes vivant dans la rue, dans des espaces ouverts ou dans des voitures; les personnes vivant dans des hébergements d’urgence temporaires, dans des centres d’accueil pour femmes, dans des camps ou d’autres hébergements temporaires destinés aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, aux réfugiés ou migrants; et les personnes vivant dans des logements fortement inadéquats et précaires, comme les habitants d’établissements informels» 
			(29) 
			Rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable,
page spéciale intitulée «<a href='https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-housing/homelessness-and-human-rights'>Sans-abrisme et
droits humains</a>»., ou lorsque les personnes n’ont pas les moyens de vivre de façon autonome et sont contraintes financièrement d’habiter avec leurs parents, des proches ou des amis. Comme nous avons pu le constater lors de nos visites de logements sociaux à Paris et d’un centre d’hébergement géré par Vinzirast à Vienne, de nombreuses personnes ayant besoin d’un logement d’urgence souffrent également de problèmes d’addiction ou de santé mentale.
25. Les expulsions forcées sont un sujet de préoccupation majeure. Elles résultent de «l’éloignement permanent ou temporaire, contre leur volonté, d’individus, de familles et/ou de communautés des maisons et/ou des terres qu’ils occupent, sans que des formes appropriées de protection juridique ou autre ne soient fournies et sans accès à celles-ci» 
			(30) 
			Comité
des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale
n° 7 (1997).. Les expulsions forcées intensifient les inégalités, les conflits sociaux, la ségrégation et affectent invariablement les plus pauvres, les plus vulnérables socialement et économiquement, et les secteurs marginalisés de la société, en particulier les femmes, les enfants, les minorités et les peuples autochtones 
			(31) 
			Rapporteur spécial
des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, page spéciale
sur les «<a href='https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-housing/forced-evictions'>Expulsions forcées</a>»..
26. Les barrières juridiques et administratives peuvent constituer un autre obstacle important à l’accès au logement. Certains pays ont instauré un statut de sans-abrisme: en Angleterre, par exemple, il faut répondre à cette définition pour être éligible au logement et à l’aide. Ainsi, pour bénéficier d’un hébergement d’urgence, une personne doit être légalement sans domicile fixe et en situation régulière dans le pays 
			(32) 
			Fondation
Abbé Pierre et FEANTSA (2019), publication conjointe «<a href='https://www.feantsa.org/download/rapport_europe_2019_def_web_06659524807198672857.pdf'>Quatrième
regard sur le mal logement en Europe</a>», page 24.. L’obligation de devoir présenter des documents administratifs peut être également un frein à l’accès à l’hébergement d’urgence pour des personnes déjà éloignées des démarches administratives et des services d’accompagnement. Certains services demandent aux personnes d’avoir un casier judiciaire vierge, d’être en situation régulière dans le pays ou encore simplement de fournir une pièce d’identité. En Grèce, la plupart des centres d’hébergement d’urgence exigent un relevé d’imposition et une preuve d’identité, ce qui place les personnes migrantes sans-papiers et les personnes victimes de traite des êtres humains dans une situation extrêmement difficile 
			(33) 
			Ibid.. En outre, les hébergements d’urgence sont temporaires, n’offrent pas toujours des conditions de vie appropriées et n’empêchent pas de nouvelles situations d’instabilité.
27. Les expert·es suggèrent que la prévention du sans-abrisme par des mesures structurelles est plus efficace et plus économique que les réponses d'urgence à court terme. En vertu de l'article 31, paragraphe 3, de la Charte sociale européenne, les pays sont tenus de disposer de systèmes complets d'aide au logement afin de protéger les ménages les plus démunis et de garantir une offre suffisante de logements accessibles financièrement. Parmi les autres mesures structurelles recommandées par les expert·es figurent l'aide au revenu et la réglementation des loyers, le développement du logement social, l'adéquation des aides au logement, les conseils juridiques et l'aide en matière de location, les procédures de règlement des dettes afin d'éviter les expulsions pour loyers impayés, et un soutien spécifique aux personnes quittant des structures institutionnelles. Il convient également de saluer la décision récente du Royaume-Uni d'abroger, d'ici au printemps 2026, la loi sur le vagabondage (Vagrancy Act), qui criminalisait depuis longtemps le sans-abrisme en Angleterre et au Pays de Galles.

4. Rôle de l’État dans la garantie du droit à un logement convenable pour toutes et tous: mettre l’accent sur la prévention grâce aux politiques sociales et aux investissements publics

28. Mes recherches et mes enquêtes montrent que donner la priorité à la prévention du sans-abrisme et à une meilleure utilisation des outils de politique publique constitue une solution majeure et économiquement la plus avantageuse pour soutenir les groupes de population vulnérables. La boîte à outils de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour la lutte contre le sans-abrisme propose neuf éléments constitutifs d'une stratégie intégrée en matière de logement, axée sur les personnes et reposant sur l’élaboration de politiques (orientations stratégiques fondées sur la participation des parties prenantes, analyse des données et évaluation régulière en vue d’affiner les politiques), la mise en œuvre des politiques (donner la priorité à la prévention, garantir des solutions de logement à long terme et fournir un soutien ciblé accompagné de services connexes), et l’action publique (des structures, une communication, de multiples sources de financement et des incitations efficaces; une bonne coordination et un renforcement des capacités; et, enfin, des réformes économiques structurelles garantissant la cohérence des politiques axées sur l’intérêt public) 
			(34) 
			Boîte à outils de l’OCDE
pour lutter contre le sans-abrisme (en anglais), Publications de
l’OCDE, Paris, <a href='https://doi.org/10.1787/0fec780e-en'>https://doi.org/10.1787/0fec780e-en</a>..
29. Une partie du problème réside dans le fait que le logement est traité comme une marchandise plutôt que comme un droit humain et un bien social 
			(35) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-housing/human-right-adequate-housing'>www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-housing/human-right-adequate-housing</a>.. Une étude menée par la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) en 2017 a révélé que la plupart des gouvernements renonçaient ou avaient renoncé à fournir directement des logements aux groupes défavorisés, que les dépenses publiques en matière de logement social avaient diminué et que les États se désengageaient de la fourniture directe de logements sociaux 
			(36) 
			CEB (2017), rapport
intitulé «<a href='https://coebank.org/media/documents/Part_3-Inequality-Housing.pdf'>Housing
inequality in Europe. Tackling inequalities in Europe: the role
of social investment»</a>.. Selon une autre étude, réalisée par le Fonds monétaire international (FMI), des mesures fiscales, telles que des subventions ciblées en faveur du dernier tercile de revenus, pourraient sauver 7 % des ménages de la détresse financière pour un coût estimé à 0,8 % du PIB 
			(37) 
			Fonds monétaire international
(2023), document de travail <a href='https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2023/03/24/European-Housing-Markets-at-a-Turning-Point-Risks-Household-and-Bank-Vulnerabilities-and-531349'>«European
housing markets at a turning point – risks, household and bank vulnerabilities,
and policy options»</a>.. La situation en Europe est paradoxale: malgré la pénurie de logements abordables, le nombre de logements vacants y est élevé. Les États devraient mieux s’attaquer à ce problème, en mettant en œuvre des politiques fiscales spécifiques et des stratégies de mobilité résidentielle.
30. Les États doivent repenser leur approche et redoubler d'efforts pour résoudre la crise du logement afin de garantir les droits à la vie et à la santé qui sont liés au droit au logement. Les programmes de logement durables constituent un aspect essentiel des stratégies nationales dans ce domaine (avec les modèles «Housing First» (logement d’abord) ciblant les sans-abri ou «Housing-led» (des solutions fondées sur le logement) en faveur des populations à faibles revenus). Le logement social joue donc un rôle déterminant à cet égard. Parmi les États membres du Conseil de l’Europe, certains pays comme les Pays-Bas, le Danemark et l’Autriche, se caractérisent par une part de logement social très importante (plus de 20 % du parc immobilier total); dans d’autres, comme le Royaume-Uni, la France, l’Irlande, l’Islande et la Finlande, cette part se situe entre 10 et 19 %, tandis qu’en Allemagne, en Belgique, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Norvège, en Pologne, en Slovénie, en Suisse et en Türkiye, elle est comprise entre 2 et 9 %; la Lettonie, la République slovaque, le Luxembourg, l’Espagne, l’Estonie, la Lituanie et la Tchéquie ont une part de logement social très réduite (pas plus de 2 % du parc immobilier total) 
			(38) 
			«Le logement
social: Un élément essentiel des politiques de logement d’hier et
de demain», Synthèses sur l’emploi, le travail et les affaires sociales
établies par l’OCDE (2020)..
31. Les critères d’éligibilité à l’accès à un logement social varient considérablement d’un pays à l’autre. Ils incluent principalement le niveau de revenu (Autriche, Pays-Bas, Irlande, Allemagne, Italie, Lettonie et certaines régions du Royaume-Uni et d’Estonie), la composition ou la taille du ménage (Autriche) et la nationalité (Italie). Il convient de noter qu’une condition de durée de résidence pour être éligible à un logement social, applicable aux nationaux comme aux non-nationaux, a été jugée par le CEDS contraire à l’article 19, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne. Le CEDS a qualifié cette exigence de discrimination indirecte, étant donné que les travailleurs et travailleuses migrant·es / non-nationaux ont beaucoup plus de mal que les nationaux à satisfaire cette condition de durée de résidence. Qui plus est, elle n’est justifiée par aucun motif valable d’intérêt général 
			(39) 
			Voir la
plainte collective 203/2021, FEANTSA c. Belgique..

4.1. Le modèle viennois de logement social: plus d'un siècle de politique cohérente

32. Dans le cadre de mes travaux sur ce rapport, j’ai exploré l’approche adoptée par Vienne en matière de logement social, qui semble être l’exemple le plus réussi de politiques publiques ambitieuses. Vienne est la sixième plus grande ville de l’Union européenne et compte deux millions d’habitant·es (2,8 millions dans l’ensemble de l’agglomération), dont près de 60 % vivent dans des logements municipaux subventionnés. Chaque année, l’administration locale investit quelque 500 millions d’euros dans la construction et la rénovation de logements, auxquels s’ajoutent les aides financières directes accordées aux personnes dans le besoin. Le système public de logement est financé par une taxe de 1 % prélevée sur le salaire de tous les résident·es de Vienne et sur les loyers. La disponibilité et l’accessibilité des logements sociaux favorisent également la baisse des prix sur le marché immobilier privé et garantissent une mixité sociale et une répartition équilibrée de la population dans la ville. Plus remarquable encore, Vienne a mis en place une stratégie parallèle d’aménagement urbain clairement axée sur le soutien à la construction de nouveaux logements tout en préservant les espaces verts (qui représentent actuellement la moitié du territoire de la commune). Il n’est pas surprenant que Vienne figure en tête des classements mondiaux en termes de qualité de vie et d’innovation urbaine.
33. Le modèle viennois du logement repose sur trois piliers: les appartements municipaux, les logements construits par des organismes à but non lucratif ou à profit limité, et ceux réhabilités dans le cadre du programme de rénovation urbaine. Contrairement à de nombreuses autres villes, Vienne a conservé le contrôle des logements municipaux; Wiener Wohnen, l’administration municipale du logement, est ainsi le premier bailleur social d’Europe. La plupart des logements à Vienne (76 %) sont des appartements locatifs, et environ 43 % ont des loyers plafonnés. En combinant la capacité publique de disposer de terrains à bâtir (grâce à un système de zonage des logements subventionnés) et la planification à long terme de la construction de logements ainsi que des infrastructures de transport, Vienne parvient à freiner la spéculation et à rendre le logement plus abordable. Chaque année, près de 5 000 appartements (soit 40 % du total des nouveaux logements) viennent enrichir le parc de logements municipaux.
34. Par ailleurs, le recours aux outils de mise en concurrence permet à la ville de maintenir un niveau de qualité élevé pour tout nouveau projet de construction ou de réhabilitation de logements, notamment en termes d’ajustement opérationnel afin de répondre aux nouvelles normes de durabilité. Ainsi, la généralisation de l’isolation thermique des bâtiments résidentiels grâce au programme Thewosan permet de réduire d’environ 50 % la consommation d’énergie pour se chauffer. De plus, le système de chauffage urbain de Vienne, auquel près de la moitié des appartements sont raccordés, contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique, car il fait de plus en plus appel à des sources d’énergie renouvelables (principalement des pompes à chaleur à grande échelle, la géothermie, l’énergie éolienne et solaire thermique); ces derniers devraient permettre de couvrir l’intégralité des besoins en chauffage urbain d’ici 2040.
35. Le modèle de logement viennois présente une caractéristique importante: les seuils de revenus pour pouvoir prétendre à un appartement municipal ne s’appliquent qu’au moment de l’emménagement; les locataires peuvent rester dans le même appartement aussi longtemps qu’ils le souhaitent, même si leurs revenus augmentent et dépassent le plafond initial. Cela permet d’assurer une meilleure mixité entre les habitant·es aux niveaux de revenu différents, et de favoriser leur intégration sociale ainsi que la stabilité des communautés. Les critères d’éligibilité prévoient un soutien spécifique aux jeunes (jusqu’à 30 ans), aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap, aux familles monoparentales et à d’autres groupes de population vulnérables. Il existe également une procédure accélérée visant à faciliter l’accès au logement des personnes en situation d’urgence, des travailleurs et travailleuses migrant·es ayant des besoins temporaires, et des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées, pour lesquelles une solution de logement peut être proposée dans les 24 heures 
			(40) 
			Pour plus d’informations,
voir <a href='https://www.mein-wien-apartment.at/en'>www.mein-wien-apartment.at/en</a>.. Ce dispositif contribue grandement à prévenir la déchéance sociale et le sans-abrisme.
36. Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience de Vienne? Tout d’abord, des investissements publics ambitieux et une planification à long terme permettent de garantir le droit à un logement convenable considéré comme un bien public, d’améliorer la cohésion sociale et de réduire considérablement la spéculation sur le marché immobilier local. Deuxièmement, une politique cohérente veille à ce que les objectifs de développement durable bénéficient de l’attention requise pour induire un changement stratégique dans les modes de vie de la population, en améliorant le confort, en réduisant les factures énergétiques et en atténuant l’empreinte environnementale.

4.2. Des logements subventionnés accompagnés de services intégrés à Paris et un plafonnement des loyers dans les zones urbaines

37. En juin 2024, des membres de la commission ont visité deux logements sociaux (pensions de famille) à Paris qui ont bénéficié du soutien de la CEB dans le cadre d’un programme de cofinancement avec Adoma, une entreprise semi-publique. Depuis 2015, la CEB a accordé deux prêts de 100 millions d’euros à Adoma, destinés à la restructuration, à la modernisation ou à la construction de logements sociaux. Comme nous l’avons appris lors de la visite, ces projets sont axés sur l’intégration sociale des personnes vulnérables par le logement dans le cadre d’une mission d’intérêt public. Des services sociaux sur mesure sont ainsi proposés aux personnes en situation de précarité (jeunes en transition vers l’autonomie, travailleurs et travailleuses migrant·es, personnes à faibles revenus, familles monoparentales, sans-abri, demandeurs et demandeuses d’asile, personnes isolées ayant des besoins socio-sanitaires urgents souvent dus à des problèmes d’addiction) afin de les aider à se prendre en charge et de les encourager à s’intégrer pleinement dans la société.
38. Par ailleurs, plusieurs villes françaises (Paris, Lille, Lyon, Bordeaux et Montpellier) ont mis en place ces dernières années des dispositifs d’encadrement des loyers visant à freiner l’envolée des prix de l’immobilier. De plus, l’indice national de référence des loyers (IRL) a plafonné l’indexation annuelle. Cet indice s’est avéré utile pour stabiliser les loyers dans les zones urbaines tendues, où la demande de logements est particulièrement forte. L’évaluation officielle de l’impact de ces mesures réglementaires n’est attendue que l’année prochaine, mais les premières observations des expert·es sont très positives.
39. De fait, la CEB joue un rôle important dans le cofinancement de logements décents, durables et financièrement accessibles en Europe. Rien qu’en 2023, elle a investi près de 375 millions d’euros dans des logements sociaux abordables, répartis sur six prêts dans huit pays, afin de soutenir les personnes déplacées, les sans-abri, les personnes âgées, les étudiant·es ainsi que les personnes migrantes et réfugiées. Un montant supplémentaire de 867 millions d’euros (13 prêts dans huit pays) a été débloqué pour promouvoir la création de quartiers inclusifs et de collectivités urbaines et rurales plus résilientes (les projets visent à améliorer le traitement des eaux usées, l’efficacité énergétique, la production d’énergie renouvelable et l’accès à un système de santé décentralisé) 
			(41) 
			Voir Doc. 16042, rapport de Mme Eka Sepashvili
(Géorgie, CEPA): «La
Banque de développement du Conseil de l'Europe: mettre en œuvre
la Déclaration de Reykjavík».. Je tiens à encourager davantage d’États membres à travailler avec la Banque afin d’améliorer l’accès de leur population à un logement décent.

5. La recherche de solutions de logement pour les jeunes

40. L'accès au logement est devenu de plus en plus compliqué pour les jeunes générations (étudiant·es, stagiaires, jeunes travailleurs et travailleuses, jeunes familles et personnes migrantes). L'OCDE considère que les jeunes sont touchés de manière disproportionnée par la précarité du logement et sont souvent confrontés à des pressions financières supplémentaires. Consacrant plus de 40 % de leurs revenus au loyer ou au remboursement de leur prêt immobilier, les jeunes ont peu de marge de manœuvre pour d'autres dépenses essentielles telles que l'éducation ou les soins de santé, surtout s'ils ne bénéficient d'aucune aide financière. Compte tenu de l'offre limitée de logements abordables pour les étudiants, notamment dans les grandes villes, les jeunes sont souvent contraints de vivre dans des logements surpeuplés ou inadéquats 
			(42) 
			«Gouvernance
pour la jeunesse, confiance et justice intergénérationnelle», OCDE,
2020.. Ils peuvent également être victimes de discrimination, car les propriétaires ont tendance à préférer les locataires plus âgés disposant de revenus plus stables, et les banques sont plus réticentes à accorder des prêts aux jeunes ayant des contrats de travail à durée déterminée ou faiblement rémunérés. En outre, l'essor des locations à court terme via des plateformes réduit encore la disponibilité des options de location à long terme pour les petits appartements 
			(43) 
			«Le logement des jeunes
en Europe: défis et solutions» et «Le logement étudiant en Europe:
une crise en gestation», Forum européen de la jeunesse, 2023..
41. Selon l'OCDE, les jeunes familles ont tendance à retarder l'accès à la propriété en raison de contraintes financières, et plus de 60 % des jeunes en Europe considèrent le coût du logement comme le principal obstacle à leur indépendance financière. Si l'âge moyen des primo-accédants à la propriété en Europe était de 29 ans au début des années 2000, il est aujourd’hui passé à 34 ans. Ce problème touche particulièrement l’Europe du Sud et de l'Est, où l'instabilité économique et le taux de chômage élevé des jeunes rendent l'accès à un logement convenable de plus en plus difficile. En outre, les étudiant·es, les stagiaires et les jeunes actifs doivent déménager plus fréquemment et sont régulièrement confrontés à des problèmes de logement. La stratégie de l'UE pour la jeunesse (2019-2027) souligne que l'accessibilité au logement est un enjeu crucial pour les jeunes adultes 
			(44) 
			Voir «Stratégie
de l'Union européenne pour la jeunesse 2019-2027» (2018/C 456/01), <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A42018Y1218%2801%29'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A42018Y1218%2801%29.</a>. L'âge moyen des jeunes quittant le domicile parental est de 26,2 ans, avec des chiffres allant bien au-delà de 30 ans dans des pays comme la Croatie, la République slovaque, la Grèce, l'Italie et la Serbie à moins de 22 ans dans les pays nordiques (Finlande, Suède et Danemark) 
			(45) 
			Voir <a href='https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/yth_demo_030/default/table?lang=en'>https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/yth_demo_030/default/table?lang=en</a>..
42. Dans certains pays (par exemple Allemagne, Italie, Pays-Bas), la pénurie de logements étudiants a donné lieu à des manifestations et à des appels pressants à l'intervention des pouvoirs publics. Des études montrent que les jeunes souhaitent être activement associés aux processus décisionnels qui affectent leurs possibilités de logement, ce qui souligne la nécessité d'adopter des approches participatives en matière d'urbanisme et l'importance d'une action au niveau municipal.
43. Plusieurs villes européennes ont mis en œuvre des stratégies innovantes pour lutter contre la crise du logement chez les jeunes, en particulier les étudiant·es et les jeunes professionnels. Aux Pays-Bas, Amsterdam a développé des solutions créatives en s'associant avec des universités et des promoteurs privés pour créer des complexes de logements étudiants abordables et bien situés. Ces logements comprennent souvent des équipements communs tels que des cuisines, des salles d'étude et des espaces de loisirs, ce qui favorise un sentiment de communauté parmi les étudiants. Afin d'éviter la spéculation sur les prix, la ville a également introduit des plafonds de loyer pour les logements étudiants.
44. En Espagne, Barcelone a adopté le logement coopératif comme moyen de fournir des logements abordables et durables aux jeunes. Dans ce modèle, les résidents sont collectivement propriétaires et gèrent leurs logements, ce qui permet de maintenir les coûts à un niveau bas tout en garantissant que les logements répondent aux besoins de la communauté. La ville a également alloué des terrains publics à des projets de logements coopératifs, facilitant ainsi l'accès des jeunes à des logements financièrement accessibles. Cette approche s'est avérée très efficace pour créer des environnements de vie socialement inclusifs et axés sur la communauté.
45. En Finlande, Helsinki a adopté la stratégie «Housing First» (le logement d'abord), qui a permis de réduire efficacement le nombre de jeunes sans domicile fixe en donnant la priorité à l'accès immédiat à un logement stable sans conditions préalables 
			(46) 
			«<a href='https://world-habitat.org/news/our-blog/helsinki-is-still-leading-the-way-in-ending-homelessness-but-how-are-they-doing-it-2/'>Helsinki
reste en tête dans la lutte contre le sans-abrisme, mais comment
y parvient-elle?</a>», Ella Hancock, mis à jour le 29 mai 2024.. Cette politique fournit non seulement un logement, besoin essentiel, mais intègre également des services d'accompagnement, permettant aux jeunes d'accéder plus rapidement à l'indépendance financière et sociale. En outre, des organisations telles que l'Association finlandaise pour le logement des jeunes (NAL) proposent des solutions de logement adaptées aux jeunes, notamment des formules de cohabitation qui favorisent l'accessibilité financière, l'engagement social, le soutien communautaire et la durabilité environnementale 
			(47) 
			Voir <a href='https://www.sdg16.plus/policies/housing-first-policy-finland/'>www.sdg16.plus/policies/housing-first-policy-finland</a>/..
46. Les considérations environnementales sont au cœur des stratégies finlandaises en matière de logement, l'accent étant mis sur des pratiques de construction efficaces sur le plan énergétique et durables. Les modèles de cohabitation en Finlande intègrent souvent des technologies vertes telles que des panneaux solaires, des systèmes de chauffage efficaces sur le plan énergétique et des matériaux respectueux de l'environnement, ce qui réduit considérablement leur empreinte écologique et leurs coûts d'exploitation. Ces solutions de logement respectueuses de l'environnement permettent non seulement de répondre au problème immédiat de l'accessibilité financière du logement, mais contribuent également aux objectifs plus larges de la Finlande en matière de réduction des émissions et de lutte contre le changement climatique. Le Gouvernement finlandais encourage activement ces pratiques de logement inclusives et respectueuses de l'environnement par le biais de programmes nationaux tels que le «National Youth Work» (travail national pour la jeunesse) et le «Youth Policy Programme» (programme pour la politique de la jeunesse). Ces initiatives visent à améliorer les conditions de logement globales des jeunes résidents en renforçant leurs connaissances financières, en leur fournissant des ressources pour vivre de manière indépendante et en encourageant des pratiques de logement durables. Grâce à ces approches globales, la Finlande démontre un modèle efficace pour répondre aux besoins des jeunes en matière de logement en combinant des solutions abordables et durables avec un soutien politique solide et une participation active des jeunes aux décisions relatives au logement 
			(48) 
			Association
finlandaise pour le logement des jeunes (NAL) sur les solutions
de logement durables et abordables, 2023..
47. Le Réseau croate de la jeunesse signale que les jeunes sont particulièrement touchés par l'utilisation accrue des logements à des fins touristiques (y compris les locations de courte durée) ou comme résidences secondaires. Ces dernières sont souvent détenues par des étrangers et utilisées pour des vacances personnelles, alors qu'elles restent vides la plupart de l'année. En outre, on observe une augmentation du nombre de travailleurs étrangers ayant besoin d'un logement et de la conversion illégale de logements étudiants à d'autres usages. Le Réseau croate de la jeunesse préconise donc des mesures telles que la taxation des propriétés inoccupées, le plafonnement ou le contrôle des loyers au niveau local, un recours accru aux coopératives de logement, une meilleure réglementation des logements pour les travailleurs étrangers, un contrôle plus strict des locations de courte durée et davantage d'investissements dans les logements étudiants et les logements sociaux 
			(49) 
			«Une politique du logement
adaptée aux jeunes», document de synthèse du Réseau croate de la
jeunesse, septembre 2024..
48. Le Conseil allemand de la jeunesse est préoccupé par la vente de biens immobiliers municipaux et de sociétés immobilières municipales dans tout le pays ces dernières années. Cela a rarement eu les effets escomptés, à savoir une baisse des coûts et une augmentation des investissements. Le Conseil de la jeunesse plaide donc en faveur du rétablissement du statut de société à profit limité pour les sociétés immobilières et du retour à une remunicipalisation à grande échelle du parc immobilier, ce qui devrait contribuer à augmenter l'offre de logements abordables et adaptés aux besoins au niveau local. Par ailleurs, il est nécessaire d'investir davantage dans le logement social afin d'en augmenter le volume et la qualité, dans le but de stimuler l'offre à long terme et, en particulier, la rénovation des logements existants conformément aux exigences en matière d'efficacité énergétique et de développement durable.

6. Le défi de la reconstruction des logements en Ukraine

49. En raison de la guerre d’agression à grande échelle contre l’Ukraine, le pays accuse une perte considérable d’infrastructures sociales, le secteur du logement subissant des dommages et des destructions considérables (estimés actuellement à plus de 13 % du parc immobilier, ce qui touche plus de 2,5 millions de ménages) 
			(50) 
			«<a href='https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2025/02/25/updated-ukraine-recovery-and-reconstruction-needs-assessment-released'>Publication
de l'évaluation actualisée des besoins en matière de relèvement
et de reconstruction en Ukraine</a>», Groupe de la Banque mondiale, 25 février 2025. en raison des bombardements intenses des villes ukrainiennes. Plus de 4,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, d’où la nécessité urgente de reconstruire rapidement pour répondre aux besoins de cette partie de la population. Les dégâts massifs subis par les infrastructures essentielles, notamment le chauffage urbain et l’approvisionnement en eau, ont encore aggravé la situation 
			(51) 
			<a href='https://ukraineinvest.gov.ua/en/news/08-11-22/'> https://ukraineinvest.gov.ua/en/news/08-11-22</a>/.. La déclaration de Reykjavík souligne l’engagement du Conseil de l’Europe à soutenir l’Ukraine dans ses efforts de reconstruction, notamment en mettant en œuvre, dans un esprit de solidarité, le plan d’action pour l’Ukraine, et à utiliser tous les moyens disponibles au sein de l’Organisation.
50. La CEB, dont l’Ukraine est récemment devenue membre, jouera un rôle important à cet égard, aux côtés d’autres institutions multilatérales de développement. En mars 2024, la CEB a approuvé un prêt de 100 millions d’euros à l’Ukraine pour financer l’indemnisation des propriétaires de biens résidentiels détruits par la guerre, en mettant l’accent sur les besoins des personnes déplacées à l’intérieur du pays et de celles appartenant à des groupes de population vulnérables (tels que les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes, les enfants et les anciens combattants). Ce projet, fondé sur la loi ukrainienne sur les biens endommagés et détruits, met à profit l’expérience acquise par la CEB dans le cadre du Programme régional de logement mené dans les Balkans occidentaux.
51. Selon la dernière évaluation du Groupe de la Banque mondiale, les besoins en matière de reconstruction et de relèvement sont les plus élevés dans le secteur du logement (81 milliards d'euros) par rapport à l'ensemble des besoins à long terme. Les autres besoins en matière de reconstruction et de relèvement concernent les infrastructures essentielles: le secteur des transports (75 milliards d'euros), le secteur de l'énergie et des industries extractives (66 milliards d'euros), le secteur du commerce et de l'industrie (plus de 62 milliards d'euros) et l'agriculture (plus de 53 milliards d'euros), tandis que le coût du déblaiement et de la gestion des débris dans tous les secteurs s'élève à près de 12,6 milliards d'euros 
			(52) 
			Ukraine – Quatrième
évaluation rapide des dommages et des besoins (RDNA4): février 2022
– décembre 2024 (en anglais), Groupe de la Banque mondiale, publiée
le 28 février 2025; voir <a href='http://documents.worldbank.org/curated/en/099022025114040022'>http://documents.worldbank.org/curated/en/099022025114040022.</a>.

7. Impacts du changement climatique et des catastrophes naturelles sur le droit au logement

52. Le droit au logement est de plus en plus mis à mal par des facteurs environnementaux tels que le changement climatique et les catastrophes naturelles. Parallèlement, toute construction défaillante augmente les risques pour les personnes et la nature. Si, par le passé, l’accessibilité économique des logements était la principale préoccupation, la qualité et la durabilité des habitations sont aujourd’hui une priorité croissante dans la plupart des pays. L’habitat envisagé sous l’angle de la durabilité associe la perspective «verte» (économie des ressources, conception résiliente, faible empreinte environnementale) à la justice sociale (protection des groupes de population vulnérables, non-discrimination, égalité des chances pour toutes et tous), à la santé publique (approche «Une seule santé» qui vise à équilibrer et optimiser la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes), et à la logique économique (croissance de qualité, prospérité accrue, investissements intelligents et gains à long terme). Ces différents aspects sont complexes, systémiques et interdépendants.
53. Face à l’augmentation des catastrophes climatiques, le besoin de solutions de logement résilientes, économes en énergie et abordables devient de plus en plus pressant. Des interventions politiques fortes sont nécessaires. La hausse des coûts d'assurance, les dommages aux infrastructures et la spéculation foncière dans les zones touchées par les catastrophes naturelles exacerbent encore l'inabordabilité du logement et creusent les inégalités socio-économiques, affectant de manière disproportionnée les populations vulnérables. La hausse des températures, les phénomènes météorologiques extrêmes et les catastrophes naturelles contribuent à l'instabilité du logement. Selon le Cadre de l'OCDE de mesure du bien-être, l'action climatique doit être pleinement intégrée dans les programmes sociétaux plus larges, y compris les politiques de logement abordable, afin d'assurer la résilience et la durabilité. Les gouvernements devraient donner la priorité aux investissements dans les logements sociaux économes en énergie, les solutions fondées sur la nature et la planification urbaine adaptée au climat afin d'atténuer les risques. Des instruments économiques, tels que des subventions ciblées pour les ménages à faible revenu et des incitations à la rénovation durable des logements, sont essentiels pour garantir que les politiques climatiques ne surchargent pas les groupes défavorisés. De plus, supprimer progressivement les subventions nuisibles à l’environnement et réformer les incitations fiscales, comme le recommandent les organisations internationales, peut libérer des ressources pour soutenir un logement durable et accessible financièrement, en particulier pour les groupes à faible revenu. En l'absence de politiques volontaristes, la crise du logement et la crise climatique se renforceront mutuellement, creuseront les divisions socio-économiques et rendront les logements convenables de plus en plus inaccessibles 
			(53) 
			Cadre de l'OCDE pour
le bien-être, Publications de l'OCDE, <a href='https://www.oecd.org/en/topics/measuring-well-being-and-progress.html.'>www.oecd.org/en/topics/measuring-well-being-and-progress.html.</a>.
54. Nous savons que le secteur du bâtiment, y compris du logement, est à l’origine d’environ 37 % des émissions de CO2 en Europe. Près des trois quarts des bâtiments ne sont pas économes en énergie. Les catastrophes naturelles comme les inondations, les sécheresses, les épisodes de canicule, les incendies de forêt, les tempêtes et les tremblements de terre, gagnent en intensité et sont de plus en plus fréquentes. Elles ont des répercussions sur les populations, leurs habitations et leurs moyens de subsistance, ainsi que sur les infrastructures publiques, l’utilisation des sols et les services essentiels. L’Agence européenne pour l’environnement a estimé les pertes économiques liées à des événements climatiques pour les pays de l’Union européenne à plus de 162 milliards d’euros entre 2021 et 2023; selon ses projections, les dommages pourraient être multipliés par dix d’ici la fin du siècle. C’est aux gouvernements d’envoyer les bons signaux réglementaires à l’industrie du logement, afin de mettre en adéquation les objectifs socio-économiques et environnementaux concernant la rénovation des logements existants, la construction de nouvelles infrastructures résilientes au changement climatique et l’amélioration de l’aménagement du territoire 
			(54) 
			Évaluation européenne
des risques climatiques, rapport de l'AEE janvier 2024..
55. Dans ce contexte, les quartiers urbains de Vauban et de Rieselfeld à Fribourg (Allemagne) constituent un exemple européen pionnier en matière de développement de logements durables 
			(55) 
			Voir <a href='https://world-habitat.org/fr/les-prix-mondiaux-de-lhabitat/vainqueurs-et-finalistes/30-ans-de-continuite-de-lurbanisation-a-fribourg-allemagne/'>https://world-habitat.org/fr/les-prix-mondiaux-de-lhabitat/vainqueurs-et-finalistes/30-ans-de-continuite-de-lurbanisation-a-fribourg-allemagne/</a>.. Ils accueillent plus de 17 500 habitant·es dans un espace de vie répondant aux normes de durabilité environnementale les plus strictes et présentent une très forte intégration communautaire. Le concept sous-jacent consiste à consacrer les deux tiers de la surface aux espaces verts (forêts, agriculture paysanne, loisirs, protection de l’eau) et à réserver seulement un tiers à l’urbanisation, y compris aux logements «verts» (maisons passives et basse consommation), à la production d’énergie (solaire, éolienne, hydraulique, cogénération) et aux transports (réseaux de transport en commun combinés à des mobilités douces telles que le vélo et la marche), en optimisant les ressources renouvelables locales. Grâce à une approche coopérative de la construction, les deux quartiers urbains ont vu le jour avec les contributions de particuliers et de petits promoteurs immobiliers, sans aucune aide financière des autorités locales (qui ont en revanche fourni les infrastructures matérielles et sociales essentielles). 80 % des habitations sont des logements locatifs accessibles financièrement.
56. Lors de sa réunion tenue à Lisbonne le 13 septembre 2024, la commission a effectué une visite de terrain sur le campus universitaire NOVA SBE, à Cascais/Guincho, afin d’explorer les approches novatrices en matière de développement durable impliquant la population locale. Nous avons ainsi pu découvrir l’installation de capacités intelligentes de production d’énergie renouvelable (cellules photovoltaïques) dans toute la municipalité grâce à des projets élaborés conjointement avec les habitant·es et plus de 110 partenaires professionnels. En participant à des projets énergétiques innovants, les habitant·es sont devenu·es des «prosommateurs», c’est-à-dire des producteurs-consommateurs actifs qui contribuent au changement systémique. Un nouveau concept d’écologisation des espaces publics a également été développé en consultation avec la communauté locale afin de réduire considérablement la consommation des ressources locales en eau pour l’entretien des espaces verts publics, tout en renforçant la résilience au changement climatique et en stimulant la biodiversité.
57. De plus, une approche globale des secteurs de la construction et du logement, de l’énergie et de la mobilité a été mise au point au Portugal, certaines communes menant des actions au niveau local. Ainsi, Matosinhos, une ville portugaise de taille moyenne, est le fer de lance du plan d’action des autorités locales en faveur de la lutte contre le changement climatique et de la réduction de l’empreinte environnementale de la ville et de ses habitant·es. Elle multiplie les efforts pour améliorer l’isolation des logements, moderniser les systèmes de chauffage, réaliser une cartographie de l’efficacité énergétique du secteur du logement et réduire les déchets ainsi que les émissions au niveau local.
58. Dans un contexte plus global, le réseau parlementaire de l’Assemblée pour un environnement sain a également exploré les actions menées au Maroc en matière de logement et d’aménagement urbain durables lors de sa réunion à Marrakech et Ben Guerir, en mars 2023. L’urbanisation rapide et la croissance démographique du pays ont conduit à une expansion incontrôlée des agglomérations à la périphérie de certaines zones urbaines. Après avoir étudié les politiques urbaines du Brésil et de Singapour, les autorités ont cherché à expérimenter certaines pratiques prometteuses afin de concevoir des logements durables et résilients adaptés aux défis environnementaux, sociaux, culturels et infrastructurels auxquels le Maroc est confronté. Les codes et règlements du bâtiment visent à promouvoir la qualité et l’accessibilité économique des logements, notamment dans le contexte de l’expansion rapide de la construction d’hébergements locatifs touristiques de courte durée. Comme nous l’avons constaté lors des tremblements de terre dévastateurs qui ont frappé le Maroc et la Türkiye, l’effondrement de bâtiments peut faire des centaines de victimes en quelques secondes; aucun bâtiment ne devrait donc être construit ou reconstruit dans les zones sismiques sans un strict respect des normes antisismiques.
59. À la lumière des objectifs de développement durable, de l’Accord de Paris et des risques croissants pour la sécurité humaine, les stratégies locales, nationales et européennes d’adaptation au changement climatique et de développement durable en matière de logement devraient saisir toutes les opportunités pour améliorer la conception des bâtiments et adapter les constructions anciennes aux exigences modernes. Les pays de l’UE sont également tenus d’agir de la sorte en vertu du Pacte vert pour l’Europe, aux termes duquel ses membres s’engagent à rénover les bâtiments publics et privés afin d’améliorer l’efficacité énergétique, la résilience face aux aléas naturels et le niveau de vie. En effet, près de 40 millions d’Européen·nes n’avaient pas les moyens de chauffer correctement leur logement en 2022. L’initiative «vague de rénovation» a ainsi pour objectif de rénover quelque 35 millions de bâtiments d’ici à 2030, en accélérant les mesures visant à réduire à la fois la précarité énergétique des ménages et leurs émissions de gaz à effet de serre, à améliorer le confort et à réduire le gaspillage des ressources. Les États doivent faciliter la transition verte en soutenant les investissements dans des programmes de rénovation à grande échelle, en mettant en place des incitations fiscales, en encourageant la participation des ménages les plus vulnérables et en protégeant les espaces verts contre une densification urbaine excessive.

8. Voie à suivre: mettre l’accent sur les bonnes pratiques, l’intérêt public et une approche fondée sur les droits humains

60. Le droit au logement est un droit humain fondamental consacré par le droit international, y compris la Charte sociale européenne (notamment l’article 31 combiné avec les articles 16, 30 et d’autres), qui oblige les États à promouvoir l’accès à un logement convenable, à prévenir et à réduire le sans-abrisme et à rendre le logement accessible financièrement. Cependant, malgré cet engagement général, des millions d’Européen·nes restent confrontés à une situation de privation grave de logement, au sans-abrisme et à l’exclusion en raison de la hausse des coûts, de la pénurie de logements (causée par les locations à court terme, les résidences secondaires, l'offre insuffisante, etc.) et de la spéculation financière. Les gouvernements doivent prendre des mesures urgentes pour s’attaquer à ces problèmes structurels, en reconnaissant que le logement n’est pas seulement une marchandise, mais un bien social essentiel à la dignité humaine, à la santé et au bien-être.
61. Un défi majeur est la financiarisation du logement, qui est de plus en plus considéré comme une source de profit plutôt que comme un besoin fondamental. Cette tendance a entraîné une hausse des prix du logement qui ne sont plus à la portée de nombreuses personnes à revenus faibles ou intermédiaires. Pour remédier à cette situation, les États devraient accroître les investissements publics dans les logements sociaux abordables, mettre en œuvre des réglementations plus strictes pour enrayer la spéculation immobilière et introduire des mesures de contrôle des loyers afin de garantir l’accessibilité du logement pour toutes les catégories de revenus. La Charte sociale européenne offre un cadre solide en la matière en obligeant les États à intervenir pour faire en sorte que l’accès à un logement convenable ne devienne pas un privilège réservé aux personnes aisées.
62. La crise du sans-abrisme reste une préoccupation majeure, de nombreux groupes vulnérables (tels que les familles à faible revenu, les personnes migrantes et réfugiées, les jeunes, les personnes âgées et les travailleurs et travailleuses précaires) peinant à accéder à un logement sûr et stable. En leur qualité de régulateurs, les États devraient privilégier les politiques de prévention, notamment l’approche «Housing first» (Logement d’abord), qui propose un logement permanent ainsi que des services d’aide sociale. Par ailleurs, il convient de renforcer les protections juridiques contre les expulsions forcées, en veillant à ce que tout déplacement soit effectué dans le respect des procédures et des normes relatives aux droits humains. Les barrières administratives, telles que l’obligation de fournir de nombreux documents pour accéder aux centres d’hébergement d’urgence, devraient être réduites au minimum afin de garantir une assistance rapide aux personnes en situation de crise. Face à la pénurie persistante de logements abordables en Europe, les États devraient veiller à réglementer correctement les locations de courte durée et les résidences secondaires afin de ne pas soustraire trop de biens du marché locatif longue durée et d’option de logement, au détriment de la population locale.
63. Les pays devraient se tourner vers les modèles de logement les plus efficaces, comme le système de logement municipal de Vienne, où 60 % des habitant·es vivent dans des appartements à loyer plafonné, soutenus par des investissements publics durables. Le modèle parisien, qui associe le logement social à des services essentiels et applique l’encadrement des loyers, offre également de précieux enseignements pour lutter contre l’insécurité en matière de logement. Les gouvernements devraient adopter des stratégies d’aménagement urbain à long terme qui privilégient la construction de logements abordables, convenables et stables, afin d’éviter que les groupes à faible revenu ne soient relégués en marge de la société.
64. La crise climatique et les besoins en matière de développement durable confèrent une autre dimension aux politiques du logement. Un grand nombre d’habitations en Europe ne sont pas suffisamment résistantes aux catastrophes naturelles ni assez efficientes sur le plan énergétique, contribuant ainsi à l’augmentation des coûts et des dommages, y compris pour l’environnement. Les gouvernements doivent mener des politiques de logement durable en co-investissant dans des travaux de rénovation visant à améliorer l’efficacité énergétique, dans des bâtiments et des infrastructures résilients au changement climatique, ainsi que dans des sources d’énergie renouvelables disponibles localement. Le Pacte vert pour l’Europe et l’initiative «vague de rénovation» sont l’occasion d’aligner les politiques du logement sur les objectifs de développement durable, de réduire la précarité énergétique, d’intégrer le droit à un environnement sain et de garantir à tous les citoyen·nes l’accès à un logement sûr et adapté au changement climatique.
65. Pour assurer une mise en œuvre effective, les États devraient renforcer les mécanismes d'application de la loi liés au droit au logement. Le CEDS joue un rôle essentiel en matière de suivi du respect de la Charte sociale européenne, et les États parties doivent renforcer leur engagement envers cet instrument en ratifiant, s’ils ne l’ont pas encore fait, toutes les dispositions de l’article 31 ainsi que le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives. De plus, les gouvernements devraient améliorer les systèmes de protection sociale, en élargissant l’accès aux allocations de logement et à une aide financière aux personnes menacées de pauvreté et de sans-abrisme.
66. In fine, la réalisation de l’accès universel à un logement convenable suppose un changement profond des priorités politiques. Les gouvernements doivent considérer le logement comme un droit humain fondamental que les États ont l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre, et non comme un bien spéculatif; ils doivent équilibrer la dynamique du marché avec des investissements publics conséquents et des protections sociales solides. En adoptant des stratégies en matière de logement à la fois globales et fondées sur les droits humains, les États seront en mesure de remplir leurs obligations au titre de la Charte sociale européenne, de réduire les inégalités, l’exclusion et la polarisation sociales, et de veiller à ce que le logement reste abordable, durable et accessible à toutes et tous. Cela contribuera à la stabilité démocratique.