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Rapport | Doc. 11540 | 27 mars 2008

Les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. João Bosco MOTA AMARAL, Portugal, PPE/DC

Résumé

L’intégrisme islamique est une source d’inspiration pour des attaques violentes ou terroristes qui ont frappé l’Europe et le monde dans les dernières décennies. Il faut se garder de toute confusion entre l’islam en tant que foi religieuse et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie, qui promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie. Le choc des civilisations entre l’islam et l’Occident n’existe pas; mais il existe un choc entre l’idéologie politique de l’intégrisme islamique et l’idéologie de la démocratie et des droits de l’homme sur laquelle sont fondés les Etats européens.

Les communautés musulmanes européennes et les pays membres du Conseil de l’Europe devraient travailler de concert pour réduire le potentiel d’attraction que l’intégrisme islamique exerce indéniablement sur les musulmans européens. Une série de mesures concrètes devraient être prises afin de prévenir la discrimination, condamner et combattre l’islamophobie, agir contre le discours haineux et assurer le respect des droits de l’homme et du principe de la primauté du droit dans l’exécution des mesures antiterroristes, tout en évitant que les musulmans ordinaires qui professent leur religion de manière pacifique en pâtissent. En même temps, les organisations, les dirigeants et les leaders d’opinion musulmans européens devraient condamner clairement le terrorisme et l’extrémisme, et devraient encourager les musulmans à participer pleinement à la société sans mettre en question la laïcité de la société et des institutions du pays dans lequel ils vivent.

A. Projet de résolution

(open)
1. Les attaques à Paris en 1995, à New York en 2001, la vague d’attentats à la bombe qui a, par la suite, frappé Madrid et Istanbul en 2003, et Londres en 2005, et d’autres nombreux complots terroristes évités sur le sol européen ont mis en évidence l’étendue et la gravité de la menace du terrorisme mis en œuvre par des individus qui invoquent l’intégrisme islamique en tant que source d’inspiration. Outre le choc ressenti à la suite de ces attaques, de nombreuses personnes ont été troublées de voir que de jeunes musulmans, qui sont nés et qui ont grandi en Europe, avaient pris part à l’organisation et à l’exécution de ces attentats.
2. L’Assemblée parlementaire met en garde contre toute confusion qui pourrait être faite entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie. L’islam est la deuxième religion en Europe et une composante des sociétés européennes. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité de la population; dans d’autres, c’est la religion de la majorité des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent une proportion grandissante de la population. L’intégrisme islamique, par contre, est une idéologie extrémiste qui poursuit des objectifs politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et les normes de la démocratie; dans sa pire forme, l’intégrisme islamique préconise l’usage de la violence pour atteindre son but.
3. Il est regrettable, mais indéniable, qu’à l’heure actuelle l’intégrisme islamique, en tant qu’idéologie, a prouvé qu’il exerce un pouvoir d’attraction sur certaines personnes. Les gouvernements européens et les communautés musulmanes européennes devraient travailler en étroite collaboration et en synergie pour neutraliser ce pouvoir d’attraction et prévenir son intensification vers le terrorisme.
4. L’Assemblée félicite les dirigeants, leaders d’opinion et organisations musulmanes qui ont fermement et clairement condamné le terrorisme inspiré par l’intégrisme islamique et d’autres manifestations extrémistes, telles que les discours de haine de certains imams officiels ou autoproclamés ou d’autres personnalités musulmanes. De même, l’Assemblée salue les efforts déployés par les organisations musulmanes pour mettre en valeur la compatibilité entre l’islam en tant que religion et les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme, ainsi que leur action auprès de groupes particulièrement susceptibles de se radicaliser, comme les jeunes et les populations carcérales.
5. Parallèlement à ces efforts, il appartient aux gouvernements européens en particulier de s’attaquer aux causes qui forment le terreau fertile de l’extrémisme – pauvreté, discrimination et exclusion sociale; de garantir le plein respect de la liberté de pensée, d’expression et de religion, telle qu’énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme, et de contribuer à instaurer un climat de respect de toutes les religions quelles qu’elles soient, ou de l’absence de religion. A cet égard, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent continuer à être vigilants dans leur action de prévention et de lutte contre le phénomène de l’islamophobie.
6. De même, comme l’Assemblée l’a déjà recommandé, les gouvernements européens, dans le but de créer une citoyenneté qui soit inclusive et participative, devraient remédier au fait que les immigrés et les citoyens issus de l’immigration jouissent actuellement de possibilités limitées de participer activement à la vie publique et politique. Sur le long terme, cette situation, due à des obstacles législatifs mais aussi sociaux, ne peut que renforcer les griefs et le sentiment d’injustice d’une partie de la population.
7. L’Assemblée salue l’initiative prise par deux Etats membres, l’Espagne et la Turquie, pour la création de l’Alliance des civilisations, et son acceptation de la part du Secrétaire général des Nations Unies, qui a désigné l’ancien Président du Portugal Jorge Sampaio en tant que haut représentant de l’Alliance des civilisations. L’Assemblée exprime également son soutien pour les activités entreprises jusqu’à présent dans ce contexte.
8. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à prendre des mesures fermes contre la discrimination dans tous les domaines;
8.2. à condamner et à combattre l’islamophobie;
8.3. à agir résolument contre les discours de haine et toutes les autres formes de comportement contraires aux valeurs fondamentales des droits de l’homme et de la démocratie, même lorsque les auteurs invoquent des motifs religieux pour tenter de les justifier;
8.4. à veiller au strict respect des droits de l’homme et du principe de la primauté du droit dans la mise en œuvre des mesures antiterroristes;
8.5. à promouvoir la cohésion sociale, l’intégration, la participation politique et civique des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, notamment:
8.5.1. en accordant aux immigrés en situation régulière le droit de vote et d’éligibilité, au moins aux élections locales et régionales, afin qu’ils puissent avoir une influence sur l’administration publique et les autorités au niveau local;
8.5.2. en signant et en ratifiant la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144);
8.5.3. en encourageant la participation des personnes issues de l’immigration aux partis politiques, aux syndicats et aux organisations non gouvernementales;
8.5.4. en prenant toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer l’inégalité des chances à laquelle les immigrés sont confrontés, y inclus le chômage et l’instruction inadéquate;
8.6. à surveiller le rôle joué par les pays étrangers dans le financement des mosquées et la nomination des imams, afin de s’assurer que ces actions ne servent pas à promouvoir des opinions extrémistes;
8.7. à soutenir la mise en place de formations, si possible universitaires, afin de former les imams localement;
8.8. à encourager la tenue d’un débat public et ouvert à tous sur les répercussions que peut avoir leur politique étrangère sur le phénomène de la radicalisation;
8.9. à encourager des projets informatifs sur la contribution de l’islam aux sociétés occidentales afin de surmonter les stéréotypes sur l’islam.
9. En outre, l’Assemblée invite les organisations, les dirigeants et les leaders d’opinion musulmans européens:
9.1. à faire preuve d’un sens élevé des responsabilités lorsqu’ils s’expriment publiquement et à condamner clairement le terrorisme et l’extrémisme, en ayant conscience de l’influence qu’ils ont sur les communautés musulmanes;
9.2. à encourager les musulmans à participer pleinement à la société sans mettre en question la laïcité de la société et des institutions du pays dans lequel ils vivent;
9.3. à promouvoir la transmission des valeurs européennes fondamentales au sein des communautés musulmanes, en mettant l’accent sur leur compatibilité avec la religion musulmane;
9.4. à veiller à ce que les valeurs européennes fondamentales soient également enseignées dans les écoles religieuses musulmanes;
9.5. à encourager les jeunes musulmans européens à devenir imams;
9.6. le cas échéant, dans le cadre d’une coopération avec d’autres organisations ou avec les autorités locales ou autres, à mettre en place des projets visant à réduire le risque de radicalisation de la jeune génération et des populations carcérales;
9.7. à encourager les médias à rendre compte de façon équitable de la réalité musulmane et des opinions des musulmans, en veillant notamment à donner la parole aussi aux modérés;
9.8. en collaboration avec les organisations de médias, à élaborer des lignes directrices éthiques pour lutter contre l’islamophobie dans les médias; et
9.9. à encourager le développement d’une intelligentsia laïque.

B. Projet de recommandation

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution... (2008) sur les communautés musulmanes européennes face à l’extrémisme, l’Assemblée parlementaire exprime son soutien aux activités du Conseil de l’Europe dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux, lesquelles contribuent remarquablement à la compréhension mutuelle et à la coexistence pacifique des différents groupes qui composent les sociétés européennes. A cet égard, l’Assemblée se félicite de la publication imminente d’un livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel.
2. Par ailleurs, ayant conscience de la dimension mondiale des questions en jeu, l’Assemblée salue la conclusion récente d’un mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Alliance des civilisations, et encourage la poursuite de la coopération et l’organisation d’initiatives communes.
3. En outre, l’Assemblée rappelle les activités de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), notamment sa Recommandation de politique générale no 5 sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans (2000).
4. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
4.1. de considérer les activités dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux comme une priorité, et d’allouer les ressources nécessaires à leur réalisation afin de s’assurer qu’elles soient menées à bien et rendues publiques comme il se doit;
4.2. de soutenir et de mettre en œuvre activement le mémorandum d’accord signé par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le haut représentant pour l’Alliance des civilisations;
4.3. d’intensifier la coopération dans les domaines du dialogue interculturel et interreligieux avec les Nations Unies et leurs agences spécialisées, l’Union européenne, l’OSCE et l’Organisation de la conférence islamique; et
4.4. d’inviter la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à étudier particulièrement la situation des communautés musulmanes en Europe, notamment pour identifier des exemples de bonnes pratiques où la coopération entre les organisations musulmanes et les autorités permet de lutter contre l’extrémisme au sein des communautés musulmanes et émanant de ces communautés.

C. Exposé des motifs, par M. Mota Amaral

(open)

1. Introduction

1. L’islam est la deuxième religion en Europe. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est la religion traditionnelle de la majorité de la population; dans d’autres, c’est la religion de la majorité des immigrés et des citoyens issus de l’immigration, qui représentent une proportion grandissante de la population.
2. Les attaques à Paris en 1995, à New York en 2001, la vague d’attentats à la bombe qui a, par la suite, frappé Madrid et Istanbul en 2003, et Londres en 2005, ainsi que d’autres nombreux complots terroristes évités sur le sol européen, ont mis en évidence l’étendue et la gravité de la menace du terrorisme mis en œuvre par des individus qui invoquent l’intégrisme islamique en tant que source d’inspiration. Ces attentats ont également secoué l’opinion publique en Europe: face à la participation à ces actes barbares d’individus nés ou vivant depuis longtemps en Europe, la question qui se pose de plus en plus est de savoir si tous les groupes qui composent les sociétés européennes partagent les mêmes valeurs fondamentales.
3. Dans un sens, ce problème n’est pas vraiment nouveau: dès la fin des années 1990, un certain nombre de gouvernements, de pouvoirs locaux et d’organisations non gouvernementales se sont interrogés sur les programmes nationaux d’intégration des immigrés et sur leurs résultats. Après le 11 septembre 2001 cependant, cette question, auparavant dévolue aux spécialistes de l’immigration, est passée au premier plan dans le débat public et se place désormais au centre des préoccupations de nombre de citoyens ordinaires, même les plus indifférents à la politique.
4. En outre, la question se pose désormais différemment: il ne s’agit plus du problème du succès du processus d’intégration, dans l’intérêt des migrants et de la cohésion de l’ensemble de la société, mais de la question urgente et prioritaire de la coexistence pacifique de différents groupes religieux dans nos sociétés et de la sécurité de nos pays. Qu’elle soit erronée ou non, la question que beaucoup se posent de nos jours est de savoir si la foi musulmane est compatible avec les valeurs et le style de vie occidentaux. Parallèlement, les responsables politiques se demandent de plus en plus si le multiculturalisme n’aurait pas atteint ses limites: le respect de la diversité doit-il être inconditionnel? Dans la négative, où doivent être tracées les limites?
5. Ce rapport se base sur une proposition de recommandation présentée par M. Eörsi et plusieurs de ses collègues, qui met le doigt sur l’insuffisance, dans la lutte contre le terrorisme, des méthodes faisant intervenir l’armée, la police et la justice pénale, la politique étrangère, la sécurité nationale ou le contrôle de l’immigration. Selon cette proposition, il importe d’élaborer des politiques qui s’attaquent aux problèmes de la marginalisation et de la discrimination d’un côté, et de la radicalisation portant atteinte aux valeurs fondamentales de nos sociétés de l’autre. Ces politiques, pour être efficaces, doivent être élaborées par – ou en coopération avec – les communautés musulmanes concernées. Ce rapport a également été étoffé à la suite d’un échange de vues avec plusieurs spécialistes de renom qui s’est tenu en juin 2006.
6. Il est indéniable qu’en Europe, l’extrémisme politique se réclamant de l’islam – si ce n’est le terrorisme dans les pires des cas – exerce à l’heure actuelle un pouvoir d’attraction sur certaines personnes. De par l’Europe, un certain nombre d’organisations, d’intellectuels et de personnalités musulmans de premier plan – à commencer, dans mon pays, par Sheik Munir, mufti de la mosquée de Lisbonne – n’ont cessé de condamner le terrorisme et ont exprimé leur volonté de faire le nécessaire pour neutraliser son pouvoir d’attraction. Les communautés musulmanes sont certainement dans la meilleure position pour s’acquitter de cette tâche difficile. Cependant, elles ne doivent pas être livrées à elles-mêmes: il appartient en premier lieu aux Etats:
  • de s’intéresser aux causes de l’extrémisme: la discrimination, le racisme, l’inégalité des chances, l’exclusion sociale, la moindre réussite scolaire, le chômage, l’aliénation;
  • d’offrir un cadre approprié dans lequel les libertés de religion, de pensée et d’expression soient garanties pour tous dans les limites fixées par la loi; et
  • de sanctionner l’abus de droits et libertés existantes visant à promouvoir des idéologies contraires aux valeurs de la démocratie et des droits de l’homme. Comme l’affirme l’article 17 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales: «Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.»
7. Je souhaite interpréter la déclaration commune faite par nombre d’autorités religieuses et intellectuelles musulmanes très respectées de différents pays, publiée dans des journaux européens de renom à l’occasion de Noël 2007 et portant sur le droit à la vie, comme une condamnation ferme du terrorisme, qui en est une claire violation.
8. D’emblée, je tiens à distinguer certaines notions utilisées dans la proposition d’origine et le présent rapport:
  • il y a lieu de faire la distinction entre l’islam en tant que religion et l’intégrisme islamique en tant qu’idéologie (de même, il convient de distinguer les musulmans des intégristes islamiques). L’intégrisme islamique est une idéologie qui poursuit des objectifs politiques et promeut un modèle de société incompatible avec les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie; dans sa pire forme, l’intégrisme islamique préconise l’usage de la violence pour atteindre son but. A vrai dire, ces caractéristiques ont amené nombre de spécialistes, d’universitaires et de personnalités politiques à qualifier l’islam politique de nouveau totalitarisme ou de totalitarisme du XXIe siècle;
  • il y a lieu de faire la distinction entre islam et extrémisme: l’islam, en tant que religion, met en avant les idéaux de compassion, de justice et de respect de la dignité de la vie. Par nature, l’extrémisme n’est pas religieux; il préconise des mesures radicales pour atteindre des objectifs politiques – toutefois, il peut exploiter ou tabler sur un langage ou un message religieux;
  • il y a lieu de faire la distinction entre extrémisme et pratique religieuse stricte: l’extrémisme poursuit un objectif politique en rapport avec la société ou l’Etat et ne saurait être assimilé à l’approche radicale selon laquelle certaines personnes, indépendamment de leur culte religieux, pratiquent leur religion sans porter atteinte aux autres et sans essayer d’imposer leurs croyances à la société;
  • il y a lieu de faire la distinction entre extrémisme et terrorisme: toutes les formes d’extrémisme ne préconisent pas le recours inconsidéré à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques.

2. Qui sont les communautés musulmanes?

9. L’expression «communautés musulmanes européennes» est d’une certaine manière trompeuse. Il faut en effet être bien conscient qu’il n’est pas possible de parler d’une communauté musulmane unique, même dans le même pays: les musulmans ne sont pas un groupe homogène sur le plan ethnique, culturel, politique et même religieux. Dans l’islam, il existe de nombreuses différences importantes quant aux pratiques culturelles et religieuses, selon le pays ou la région d’origine ainsi que d’autres facteurs.

2.1. Histoire

10. L’arrivée d’immigrés musulmans en Europe a commencé avec le processus de la décolonisation et a concerné dans un premier temps le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas. Par la suite, davantage de musulmans ont rejoint des pays de l’Europe occidentale pendant les vagues d’immigration plus récentes des années 1960 et 1970, pour des raisons de travail et souvent à la demande du pays hôte, intéressé à accroître sa maind’œuvre dans une période de croissance économique. Bien que leur intention première fût de mettre de l’argent de côté et ensuite de retourner dans leur pays d’origine, beaucoup ont décidé de rester en Europe, où ils se sont installés et ont fondé une famille. Parallèlement à cela, leurs revendications en matière de religion se sont également renforcées, et ils ont demandé la mise à disposition de lieux de culte et un enseignement religieux. La majorité de la population musulmane actuellement installée en Europe occidentale descend de ces immigrés. Dans les années 1980 et 1990, les pays européens ont commencé à mettre en œuvre des politiques d’immigration plus restrictives, entraînant une diminution de la proportion d’immigrés arrivant en Europe, soit pour fuir des persécutions soit pour des raisons de travail. Actuellement, la raison principale de l’immigration dans les pays membres de l’Union européenne est le regroupement familial.

2.2. Pays d’origine

11. Les communautés musulmanes de divers pays d’origine sont concentrées dans différents pays européens (par exemple, les Turcs en Allemagne, les Nord-Africains en France, les Marocains et les Turcs aux Pays-Bas, les Albanais et Nord-Africains en Italie, les Pakistanais et les Bangladeshi au Royaume-Uni, etc.). Cependant, même si ces nationalités sont majoritaires au sein de la communauté musulmane dans certains pays, elles sont présentes partout et représentent souvent des vagues d’immigration distinctes. Ainsi, récemment le Royaume-Uni a vu s’accroître le nombre de musulmans d’Afrique arrivant sur son territoire (par exemple du Nigeria et de l’Algérie), tandis que les communautés musulmanes d’Asie étaient installées dans le pays depuis longtemps.

2.3. Relations entre religion et Etat

12. Les Etats européens diffèrent considérablement en ce qui concerne la législation en matière de séparation entre l’Etat et les religions, et la place qu’ils sont prêts à accorder à la religion dans les sphères culturelle, sociale et politique. Néanmoins, malgré ces différences, toutes les sociétés européennes sont laïques et sont fondées sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Même lorsqu’il existe une religion d’Etat, ou que le chef d’Etat est également chef de l’Eglise, comme c’est le cas au Royaume-Uni, l’Etat aspire à rester neutre à l’égard des religions et à offrir un cadre qui garantisse la liberté de religion et la coexistence pacifique des croyants de toutes confessions, ainsi que des non-croyants 
			(1) 
			Ce principe a également
été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme. Voir le
cas Kokkinakis c. la Grèce..

2.4. Organisation

13. L’expression «communautés musulmanes» est ambiguë aussi parce qu’elle semble faire référence à des communautés organisées alors que ce n’est pas toujours le cas. Dans plusieurs pays, la France par exemple, le gouvernement a fortement encouragé la mise en place d’une structure unique de représentation des musulmans, faisant office d’interlocuteur de l’Etat. Cependant, la question de savoir dans quelle mesure les musulmans considèrent que ces organes les représentent fait l’objet d’un débat permanent, compte tenu, également, du fait que l’initiative de créer ces structures n’émane pas de la base – ce qui serait l’expression d’un besoin réellement ressenti par les musulmans – mais est imposée d’en haut par l’Etat, qui tient à identifier un interlocuteur unique. Dans la plupart des pays européens, en revanche, même s’il existe plusieurs organisations qui visent à défendre ou à promouvoir les intérêts des musulmans, aucune d’entre elles ne peut ou n’a la prétention de représenter la communauté musulmane dans son ensemble.

3. Discrimination, perception de la discrimination et islamophobie

14. Malheureusement, le facteur commun aux musulmans dans tous les pays où ils représentent une minorité religieuse, c’est qu’ils sont désavantagés du fait de la discrimination et d’un manque d’égalité des chances. Ils occupent des emplois moins rémunérés, pâtissent d’un taux de chômage supérieur et d’un niveau d’étude plus bas que la moyenne de la population, habitent des logements de plus mauvaise qualité et ce dans des quartiers défavorisés. Il est encore plus inquiétant de constater que cela ne concerne pas seulement les immigrés qui viennent d’arriver dans un pays hôte, mais aussi la deuxième, voire troisième, génération d’immigrés – ceux qui en effet sont souvent des citoyens européens.
15. Aussi bien le Conseil de l’Europe que l’Union européenne prêtent une grande attention au problème de la discrimination à l’encontre des musulmans, respectivement à travers les activités de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), qui est maintenant devenu l’Agence de l’Union européenne des droits fondamentaux. Il faut mentionner que, sur la question spécifique de la discrimination et du racisme à l’encontre des musulmans, l’ECRI a adopté une recommandation de politique générale en 2000 
			(2) 
			ECRI,
Recommandation de politique générale no 5: «La lutte contre l’intolérance
et les discriminations envers les musulmans», 2000., tandis que l’EUMC a publié un rapport très complet en 2006 
			(3) 
			EUMC, «Musulmans dans
l’Union européenne: discrimination et islamophobie», 2006..
16. Etant donné que, dans les pays d’Europe occidentale, les communautés musulmanes sont issues de l’immigration, il est difficile de dire si leur position défavorisée est d’une manière ou d’une autre liée à leur religion. Depuis le 11 septembre 2001 toutefois, elles manifestent une inquiétude naturelle face au risque croissant d’islamophobie au sein de la société. En particulier, certaines organisations musulmanes se sont plaintes que les mesures antiterroristes mises en place par plusieurs gouvernements ont conduit à une chasse aux sorcières et au harcèlement injuste et systématique d’innocents, interrogés ou arrêtés uniquement en raison de leur religion. De même, certains musulmans ont le sentiment que certaines mesures destinées à contrôler l’immigration servent à empêcher l’entrée de musulmans en tant que tels et non pas à réguler les flux migratoires.
17. Ces accusations sont, à mon avis, exagérées, mais nous devons, en tant que responsables politiques, être particulièrement attentifs à ce qu’elles ne deviennent jamais réalité. Les dirigeants européens ont unanimement condamné le terrorisme et se sont activement employés à mettre en place de nouveaux instruments afin de démasquer les réseaux terroristes et d’assécher leurs sources de financement. Ils ont néanmoins toujours fait la distinction entre les intégristes islamiques et les musulmans qui pratiquent leur religion de manière pacifique. De même, les actions engagées contre le terrorisme ont généralement été conformes au droit. En Espagne, par exemple, après les attaques de mars 2003, les services d’informations et la police ont conduit les investigations nécessaires, les suspects ont été jugés, le procès a été équitable et ils ont été condamnés par des juges indépendants, avec la possibilité de faire appel auprès d’une juridiction plus élevée.
18. Je suis d’accord qu’il convient de déployer des efforts supplémentaires pour renforcer la connaissance de l’islam en Europe, notamment dans les pays où cette religion a été introduite par les communautés d’immigrés. C’est la raison pour laquelle les activités du Conseil de l’Europe en matière de dialogue interculturel et interreligieux devraient être encouragées et renforcées. Ce processus de compréhension mutuelle devrait donner lieu à un débat franc et ouvert sur, d’une part, l’image erronée ou stéréotypée des musulmans dans les sociétés occidentales et, d’autre part, sur certaines pratiques religieuses ou culturelles qui, bien qu’acceptées ou tolérées par les communautés musulmanes – parfois même en Europe – sont et devraient continuer d’être rejetées par les sociétés européennes: l’inégalité entre les sexes, les crimes d’honneur, la polygamie, les mariages forcés et le harcèlement et la discrimination à l’encontre des individus du fait de leur orientation sexuelle sont non seulement contraires à la loi dans les démocraties européennes, mais ils sont également inacceptables dans l’esprit européen.
19. Ce débat franc et ouvert ne devrait pas manquer d’aborder la situation dans les pays musulmans où la liberté de religion n’est pas respectée et où – outre les pratiques susmentionnées – le recours à la peine de mort, à la torture et aux traitements inhumains et dégradants tels que la lapidation et la mutilation physique est légal et moralement acceptable, ce qui est choquant dans l’esprit des Européens. Cette question est essentielle car c’est souvent dans ce cadre qu’ont grandi les imams qui officient en Europe.

4. Comment les communautés musulmanes européennes peuvent-elles contribuer à la prévention de l’extrémisme?

20. L’audition organisée dans le cadre de la préparation de ce rapport a fait ressortir très clairement le fait que les musulmans européens sont convaincus que c’est eux-mêmes – et non le pays hôte – qui devraient être chargés de gérer les principaux aspects de leur vie religieuse, comme l’administration des lieux de culte et des écoles confessionnelles, l’éducation religieuse, la formation des imams, etc. Leur argument est le suivant: puisque ces communautés sont intégrées dans le pays hôte et connaissent sa culture et ses valeurs, c’est elles qui sont le mieux à même de veiller à ce que ces activités respectent les règles fondamentales et les valeurs européennes. Les Etats devraient en revanche éviter toute ingérence et simplement faciliter le travail des communautés musulmanes dans ce domaine.
21. Je pense qu’il faut prendre en compte un certain nombre d’éléments pour modérer cette approche:
  • les Etats ont le droit mais aussi le devoir de s’ingérer dans les activités de quiconque relevant de leur juridiction – y compris les communautés, personnes et chefs religieux musulmans – lorsque ces activités ne respectent pas la loi. Cela s’étend naturellement aux droits et libertés garantis par les Constitutions nationales, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que d’autres instruments internationaux;
  • dans de nombreux pays, les communautés musulmanes ne sont pas organisées et ne souhaitent pas l’être, et ne possèdent donc pas de structure officielle qui leur permette d’être un partenaire ou un interlocuteur de l’Etat, des pouvoirs locaux, des ONG, etc. Cela pose une difficulté considérable pour la représentation des intérêts de ces communautés, sans compter que l’existence d’organisations musulmanes diverses et variées conduit les Etats à privilégier comme interlocuteurs celles qui se montrent les plus conciliantes et à en négliger d’autres, peut-être plus représentatives mais plus radicales;
  • les Etats devraient avoir le droit de surveiller – et de limiter s’ils le désirent – l’influence politique et financière des pays étrangers sur leur territoire, influence qui s’exerce parfois par le biais de financements pour la construction de mosquées, la nomination et le soutien des imams, etc.
22. L’audition a également donné lieu à une autre remarque intéressante: dans la plupart des cas, les personnes engagées dans des groupes terroristes ne fréquentent pas les cercles musulmans habituels. Par exemple, les intervenants ont infirmé la conviction fréquente que les mosquées représentent un lieu de radicalisation, en signalant que les personnes impliquées dans les attentats de Londres en 2005 se fréquentaient dans une salle de sport. Selon cette idée, étant donné que la radicalisation se développe à l’extérieur des cercles religieux ou des lieux de culte, les communautés musulmanes ne peuvent pas faire grand-chose pour identifier ou empêcher les personnes impliquées dans les réseaux terroristes. De l’avis général, en revanche, les communautés musulmanes pourraient jouer un rôle pour empêcher que les personnes qui ne sont pas encore radicalisées ne le deviennent et réduire l’importance des réseaux de soutien tacite 
			(4) 
			Cette expression fait
référence aux personnes qui sont prêtes à apporter un soutien –
un logement par exemple ou une assistance afin d’aider à quitter
le pays – aux terroristes ou simplement à ne pas communiquer d’informations
qui pourraient servir à l’arrestation de ces derniers..
23. Plusieurs moyens sont possibles pour permettre aux communautés musulmanes européennes d’atteindre cet objectif, notamment:
  • faire le lien entre les valeurs européennes et musulmanes;
  • focaliser l’action sur les personnes les plus à risque, comme les jeunes, les personnes en détention, etc.;
  • sélectionner et former les imams. Ce point pose cependant un problème spécifique car il est rare de trouver au sein des communautés musulmanes européennes des personnes désireuses de devenir des imams; ainsi, il est pratiquement inévitable de s’appuyer sur des imams provenant de l’extérieur, ne connaissant pas toujours très bien le contexte européen et pas toujours bien formés, qui ne sont soumis au contrôle d’aucune autorité religieuse musulmane quant au type de discours qu’ils tiennent;
  • assurer la transmission des valeurs européennes dans les écoles religieuses, lorsqu’elles existent;
  • travailler avec les médias afin d’élaborer des lignes directrices éthiques pour lutter contre l’islamophobie, d’encourager la promotion d’une couverture médiatique plus juste de la réalité musulmane en Europe et au-delà, et de s’assurer qu’il est également fait écho à la voix des musulmans modérés;
  • encourager le développement d’une intelligentsia laïque.
24. J’ajouterais une remarque supplémentaire concernant ces propositions formulées durant l’audition: la principale manière, pour les communautés musulmanes, de contribuer à prévenir l’extrémisme est d’agir avec la conscience de leur responsabilité, en sachant que leurs déclarations sont susceptibles d’apaiser les esprits mais aussi d’exacerber les conflits. Ainsi, les communautés musulmanes sont pleinement en droit de désapprouver leurs gouvernements si elles estiment que certaines politiques sont discriminatoires envers les musulmans en raison de leur religion. Cependant, décrire toutes les mesures antiterroristes comme une attaque directe contre les communautés musulmanes est un acte erroné et peut avoir un effet néfaste: en agissant de la sorte, elles fournissent des arguments aux groupes extrémistes et accentuent les clivages de la société. Cela s’observe souvent lorsque des imams tiennent des discours incendiaires ou de haine: il est arrivé que des leaders d’opinion musulmans, au lieu de soutenir la décision des autorités d’expulser l’imam en question, la dénoncent comme étant une atteinte à la liberté d’expression. C’est là une attitude non responsable.

5. Comment les Etats européens peuvent-ils s’attaquer à l’extrémisme?

25. Comme je l’ai mentionné en introduction, il devrait y avoir une synergie entre les Etats et les communautés musulmanes dans la lutte contre l’extrémisme. Les Etats ne peuvent dégager leur responsabilité dans ce domaine, et ce pour plusieurs raisons:
  • la prévention de l’extrémisme doit faire partie intégrante de leurs activités de lutte contre le terrorisme;
  • l’échec des politiques économiques et sociales favorisent les causes de l’extrémisme;
  • une politique d’intégration n’atteint son objectif que si citoyens et immigrés partagent des valeurs communes.
26. Par conséquent, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent:
  • agir vigoureusement contre la discrimination dans tous les domaines, notamment lorsqu’un cadre juridique est en place mais qu’il n’est pas mis en pratique correctement, ou que les sanctions ne sont pas appliquées;
  • dans le but de réaliser une citoyenneté effective d’intégration, promouvoir la participation politique et civile des immigrés et des citoyens issus de l’immigration. Dans la pratique, plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe persistent à refuser la pleine participation des immigrés à leur vie politique. Par l’ouverture à la ratification d’une convention 
			(5) 
			STE no 144, Convention
sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. et d’une multitude de textes de l’Assemblée 
			(6) 
			Entre autres, Recommandation 1596 (2003) sur la situation des jeunes migrants en Europe, Résolution 1459 (2005) sur l’abolition des restrictions au droit de vote et Résolution 1547 (2007) sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie
en Europe., le Conseil de l’Europe a appelé ses Etats membres à garantir le droit de vote et l’éligibilité aux immigrés légalement résidents. A cette date, seulement sept pays ont reconnu ce droit, sous condition d’une durée minimale de séjour légal 
			(7) 
			Danemark, Finlande,
Irlande, Lituanie, Pays-Bas, Norvège et Suède.. Les limitations à la participation politique ne concernent pas seulement les étrangers: beaucoup de musulmans sont des citoyens de pays membres du Conseil de l’Europe, soit à la suite de leur naturalisation, soit à la suite de leur naissance en Europe de parents immigrés. Pourtant, jusqu’à présent ils ne sont pas représentés de façon appropriée au niveau politique. Cette situation n’est pas seulement injuste, elle est dangereuse pour la stabilité des sociétés européennes, car de nombreuses personnes ne trouvent alors pas de voie régulière pour exprimer leurs griefs et leurs attentes. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent donc garantir le droit de vote et d’éligibilité – au moins aux élections locales et régionales – aux immigrés qui résident légalement sur le territoire, afin qu’ils puissent intervenir auprès des pouvoirs locaux et de l’administration publique. Je suis d’avis que non seulement les institutions, mais aussi les partis politiques et les syndicats, devraient jouer un rôle dans ce domaine car la participation des immigrés – ou des citoyens d’origine immigrée – à leur organisation est extrêmement limitée, notamment aux échelons supérieurs. L’existence de barrières à l’entrée des citoyens de confession musulmane dans la vie publique et politique devrait être analysée et abordée de façon attentive;
  • promouvoir des politiques actives de dialogue interculturel et interreligieux impliquant toutes les entités concernées par l’éducation, la jeunesse, la migration et les médias;
  • souligner le rôle crucial des autorités locales dans le processus d’intégration et de dialogue avec les communautés de culture et de religion différente;
  • aider les communautés musulmanes à obtenir des lieux de culte appropriés afin de minimiser le phénomène des «mosquées de rue», c’est-à-dire les rassemblements de rue durant lesquels les personnes prient sous la conduite d’individus qui se sont autoproclamés imams;
  • encourager la mise en place de structures – universitaires, si possible – pour former les imams localement;
  • agir fermement contre les discours de haine et autres comportements contraires aux droits de l’homme et aux valeurs de la démocratie, même lorsque les auteurs invoquent des motifs religieux pour les justifier.
27. Parallèlement, les Etats européens doivent accepter le fait que leur politique étrangère aura inévitablement une incidence sur les communautés musulmanes: d’une façon générale, en Europe, les musulmans estiment que les Etats européens n’abordent pas de manière équilibrée le conflit israélo-palestinien et la situation au Proche-Orient dans son ensemble, et que leurs opinions ne sont pas prises en compte. Cela accroît leur sentiment que les musulmans du monde entier sont victimes d’une injustice et contribue à créer un terrain favorable à la radicalisation.

6. Conclusions

28. Le sujet de ce rapport revêt une grande importance pour l’avenir de l’Europe et pour son identité culturelle et politique. Le Conseil de l’Europe, la plus ancienne organisation paneuropéenne vouée à la protection et à la promotion de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme, se doit de participer à cette réflexion – qui concerne les valeurs qui sont au cœur même de l’Organisation.
29. En conclusion, je reviendrai sur quelques points essentiels de ce débat:
  • les Etats européens sont fondés sur le principe de la laïcité. Cette caractéristique découle d’un long processus et de luttes politiques et religieuses violentes. A vrai dire, le fait de considérer les individus comme des citoyens et non pas comme des adeptes de telle ou telle religion ou des non-croyants est un progrès remarquable, tout comme la coexistence pacifique de religions différentes au sein d’une même société. S’il est important de se pencher sur la situation des communautés musulmanes à cette période précise de notre histoire, il est également essentiel de faire très attention à ne pas mettre à mal l’acquis de la laïcité et le principe de la neutralité de l’Etat face aux croyances religieuses – ou à l’absence de croyances religieuses. A cet égard, les récentes déclarations de l’archevêque de Canterbury sur la nécessité d’intégrer certains aspects de la charia dans le système britannique afin de répondre aux besoins des communautés musulmanes sont particulièrement inquiétantes; la religion deviendrait en effet alors le critère fondamental du statut juridique individuel devant l’Etat;
  • même dans les Etats laïcs, le respect de la religion et de la diversité religieuse est essentiel et traduit un comportement civique et éduqué. Offenser les croyances religieuses d’autrui peut être perçu comme du harcèlement, de la discrimination, voire un crime. Cependant, à des actions de ce type, il convient de répondre en utilisant avant tout les voies de la justice; de même, les réactions d’indignation doivent respecter le principe de proportionnalité;
  • je n’accepte pas le concept de choc des civilisations: l’islam et l’Occident ont coexisté pendant des siècles, sont compatibles et basés sur le même noyau de valeurs universelles. Je vois par contre un choc entre l’idéologie politique de l’intégrisme islamique et l’idéologie de la démocratie et des droits de l’homme sur laquelle sont fondés les Etats européens;
  • les leaders d’opinion musulmans en Europe portent une responsabilité spéciale dans la prévention de la propagation de l’intégrisme islamique, qu’ils doivent condamner fermement et clairement: toutes les déclarations qui semblent minimiser, excuser, voire justifier les actes de violence et de terrorisme perpétrés au nom de la religion sont contraires aux valeurs humanitaires et des droits de l’homme défendues par l’Europe. Je souhaite rappeler la position exprimée par l’Assemblée dans sa Résolution 1258 (2001) sur les démocraties face au terrorisme, selon laquelle le terrorisme est «un crime qui viole le plus fondamental des droits de l’homme: le droit à la vie»;
  • les responsables politiques européens doivent reconnaître que l’intégrisme islamique constitue un problème; ils doivent agir pour le combattre tout en respectant la foi musulmane et en évitant que les musulmans ordinaires qui professent leur religion de manière pacifique en pâtissent. De même, ils devraient s’élever clairement et fermement contre toute violation des droits de l’homme, notamment celles que leurs auteurs tentent de justifier en invoquant des motifs religieux.

Annexe – La situation dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe

(open)

Sans prétendre offrir une vue d’ensemble exhaustive, je me propose de fournir quelques informations essentielles sur les communautés musulmanes dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe.

a. Belgique

En Belgique comme en Allemagne, l’arrivée d’une population musulmane trouve ses origines dans des accords visant à favoriser l’immigration pour des raisons de travail, conclus avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Actuellement, les musulmans représentent 4 % de la population du pays, dont la plupart sont des Marocains de souche, suivis par les Turcs.

L’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) est l’interlocuteur officiellement reconnu par l’Etat en matière de culte musulman. Il est responsable de l’enseignement religieux dans les écoles, de la formation des imams et de la nomination des aumôneries dans les hôpitaux et dans les prisons. L’EMB est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté musulmane belge, et sa représentativité ainsi que son efficacité ont parfois été mises en question.

L’Etat belge finance les salaires des imams ainsi que l’entretien des mosquées. Depuis janvier 2005, la région flamande a ajouté des conditions pour que les mosquées puissent bénéficier de financements publics, telles que l’utilisation de la langue néerlandaise, une plus grande tolérance pour les femmes et les homosexuels et l’interdiction de prêcher des idées extrémistes.

La législation en matière d’acquisition de la nationalité est assez libérale et beaucoup d’immigrés ont été naturalisés à la suite de la durée de résidence légale dans le pays. Par contre, la question du droit de vote actif et passif dans les élections municipales (reconnu en 2004 pour ceux qui remplissent certaines conditions de résidence légale) a été l’objet de beaucoup de controverses.

b. France

La population musulmane de France s’élève à plus de 4 millions, dont la plupart sont d’origine maghrébine (1 550 000 d’origine algérienne, 1 million d’origine marocaine et 350 000 d’origine tunisienne). Les autres musulmans proviennent du Proche-Orient, de Turquie (plus de 400 000 personnes), de l’Afrique subsaharienne et d’Asie. En plus, il y a environ 40 000 convertis.

Depuis des années, la France est engagée dans une réflexion sur les questions d’intégration et sur le concept de laïcité face à la liberté d’expression religieuse, ce qui a étendu le débat public et politique au port de symboles religieux dans les lieux publics. Ce débat s’est ouvert après que des jeunes filles voilées ont été renvoyées d’écoles publiques.

C’est à l’initiative du gouvernement – et non des communautés musulmanes elles-mêmes – qu’on a créé le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’institution qui agit comme interface de l’Etat et qui est responsable des nominations d’aumôniers dans les hôpitaux et les prisons, de la construction des mosquées, des fondations pour les œuvres de l’islam, etc. Parmi les organisations représentées par ce conseil, il y a l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF) et le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF). Comme son équivalent en Belgique, le Conseil français du culte musulman est parfois contesté pour sa légitimité représentative inefficace et insuffisante.

c. Allemagne

En Allemagne, la population musulmane est d’environ 3,5 millions, dont 70 % sont d’origine turque. Beaucoup d’entre eux sont arrivés grâce à des accords spéciaux négociés pendant les années 1960 pour faire face à la carence de main-d’œuvre locale. Du fait des critères restrictifs en matière d’acquisition de la citoyenneté sur la base de la législation en vigueur jusqu’en 2000, seulement 400 000 d’entre eux (y compris les deuxième et troisième générations) ont la citoyenneté allemande.

Il n’existe pas d’organisation officielle unique qui représente les communautés musulmanes dans les relations avec l’Etat fédéral. Il y a, par contre, des groupes qui se considèrent comme les défenseurs des intérêts des musulmans à l’échelle nationale, tels que Islamrat für die Bundesrepublik Deutschland, Zentralrat der Muslime in Deutschland, Föderation der Aleviten Gemeinden in Deutschland, entres autres.

Du fait de l’absence d’une représentation politique unique – et à la différence d’autres religions – l’islam ne remplit pas les conditions pour bénéficier de certains privilèges prévus par la législation fédérale pour son administration interne ainsi que sur le plan financier. Ces questions, impliquant l’enseignement religieux dans les écoles et la construction de mosquées, sont réglées au niveau des Etats fédérés, non sans difficultés.

De récents sondages d’opinion montrent une détérioration de l’image de l’islam et des musulmans en Allemagne. Cependant, le taux de chômage parmi les musulmans de deuxième génération – même s’il est plus haut que la moyenne de la population – est deux à trois fois plus bas qu’en France, en Belgique ou aux Pays-Bas.

d. Pays-Bas

Aux Pays-Bas également, le débat sur l’intégration des immigrés et surtout sur la compatibilité des valeurs musulmanes et néerlandaises – telles que la laïcité, l’égalité hommes-femmes, l’acceptation de l’homosexualité – dure depuis des années et a été marqué par des événements qui ont choqué l’opinion publique, notamment l’assassinat du metteur en scène Theo van Gogh en 2002. Le concept du multiculturalisme est de plus en plus remis en question, et il semble que des sentiments anti-immigrés ou antimusulmans vont croissant dans l’opinion publique et dans le discours politique.

Il y a environ 700 000 musulmans aux Pays-Bas, ce qui représente presque 5 % de la population. Les principaux pays d’origine sont la Turquie et le Maroc, suivis par le Surinam, l’Irak et la Somalie. Cette population est concentrée dans les plus grands centres urbains des Pays-Bas, et certains d’entre eux  tels que Rotterdam et Amsterdam – pourraient devenir des villes à majorité musulmane dans les prochaines décennies.

Comme en Allemagne, il n’y a pas d’organisation unique qui agit comme interface du gouvernement. Les deux principales organisations musulmanes sont le Groupe de contact pour les musulmans et le gouvernement (Contactorgaan Moslems en de Overheid, CMO), qui représente environ 500 000 personnes, et le Groupe de contact islam (Contact Groep Islam, CGI), qui en représente 115 000.

En 2003, les Pays-Bas ont adopté une législation sur la formation des imams, qui prévoit qu’ils parlent la langue du pays et en respectent les valeurs. Depuis 2005, des programmes pour la formation des imams ont été établis à l’université libre d’Amsterdam.

e. Royaume-Uni

La population musulmane du Royaume-Uni est d’environ 1,5 million, dont la plupart sont d’origine asiatique (Pakistan et Bangladesh). Elle comporte aussi bon nombre d’Arabes, de Kurdes, de Nigériens, de Turcs et de Chypriotes turcs ainsi que des réfugiés d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan, de Somalie et des Balkans. Les convertis à l’islam seraient entre 5 000 et 10 000.

Il n’y a pas d’organisation unique avec un rôle officiel, même si le Conseil musulman (Muslim Council of Britain, MCB) constitue le plus grand réseau, comptant quelque 380 associations plus petites.

L’Etat finance des écoles privées musulmanes. Plus de 500 mosquées sont régulièrement enregistrées et il existe probablement autant de mosquées non enregistrées. Il semblerait que seulement 30 % des imams qui exercent dans le pays y aient aussi reçu une formation.

Commission chargée du rapport: commission des questions politiques.

Renvoi en commission: Doc. 10705 et Renvoi no 3145 du 7 octobre 2005.

Projets de résolution et de recommandation adoptés à l’unanimité le 12 mars 2008.

Membres de la commission: M. Göran Lindblad (Président), M. David Wilshire (Vice-Président), M. Björn von Sydow (Vice-Président), Mme Kristiina Ojuland (Vice-Présidente), Mme Fátima Aburto Baselga, M. Miloš Aligrudić, M. Claudio Azzolini, M. Denis Badré, M. Ryszard Bender, M. Fabio Berardi, M. Radu Mircea Berceanu, M. Andris Bērzinš, M. Aleksandër Biberaj, Mme Guðfinna Bjarnadóttir, M. Giorgi Bokeria, M. Predrag Bošković, M. Luc Van den Brande, M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Lorenzo Cesa, Mme Elvira Cortajarena, Mme Anna Čurdová, M. Rick Daems, M. Dumitru Diacov, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, M. Frank Fahey, M. Joan Albert Farré Santuré, M. Pietro Fassino, M. Per-Kristian Foss, Mme Doris Frommelt, M. Jean-Charles Gardetto, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Davit Harutyunyan, M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović, M. Michael Aastrup Jensen, Mme Birgen Keleş, M. Victor Kolesnikov, M. Konstantin Kosachev, Mme Darja Lavtižar-Bebler, M. René van der Linden, M. Eduard Lintner, M. Dariusz Lipiński, M. Younal Loutfi, M. Mikhail Margelov, M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Mircea Mereuţă, M. Dragoljub Mićunović, M. Jean-Claude Mignon, Mme Nadezhda Mikhailova, M. Aydin Mirzazada, M. João Bosco Mota Amaral, Mme Natalia Narochnitskaya, Mme Miroslava Němcová, M. Zsolt Németh, M. Fritz Neugebauer, M. Hryhoriy Omelchenko, M. Theodoros Pangalos, M. Aristotelis Pavlidis (suppléant: M. Nikolaos Dendias), M. Ivan Popescu, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott (suppléant: M. John Austin), M. Gabino Puche, M. Jeffrey Pullicino Orlando, M. Andrea Rigoni, Lord Russell-Johnston (suppléant: M. Denis MacShane), M. Oliver Sambevski, M. Samad Seyidov, M. Leonid Slutsky, M. Rainder Steenblock, M. Zoltán Szabó, M. Mehmet Tekelioğlu, M. Han Ten Broeke, Lord Tomlinson, M. Mihai Tudose (suppléante: Mme Florentina Toma), M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Wolfgang Wodarg, Mme Gisela Wurm, M. Boris Zala.

Ex officio: MM. Mátyás Eörsi, Tiny Kox.

N.B. Les noms des membres qui ont pris part à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 13e séance, 15 avril 2008 (adoption des projets de résolution et de recommandation amendés); et Résolution 1605 et Recommandation 1831.