Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 12185 | 23 mars 2010

Discrimination sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: le Doc. 12087, Renvoi 3647 du 29 janvier 2010. 2010 - Deuxième partie de session

Résumé

L’orientation sexuelle – hétérosexualité, bisexualité ou homosexualité – est une part profonde de l’identité de chacun de nous, souligne la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Au regard du droit international, personne ne doit faire l'objet de traitement discriminatoire à cause de son orientation sexuelle. Pourtant, partout en Europe, les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles ou transgenres continuent de se heurter à des préjugés bien ancrés et à une discrimination largement répandue. Cela peut se manifester par des violences physiques (y compris, dans les cas les plus graves, des assassinats), des crimes inspirés par la haine, des atteintes à la liberté d’expression, l’interdiction de manifestations, des ingérences de l’Etat dans la vie privée ou encore un traitement inéquitable à l’école ou sur le lieu de travail.

Les personnes transgenres se voient refuser un traitement de conversion sexuelle ou ne peuvent obtenir une reconnaissance juridique de leur nouveau sexe, ce qui contribue aux forts taux de suicide observés dans ce groupe.

Selon la commission, il faut mettre un terme à ces violations des droits de l’homme, ainsi qu’aux discours de haine de certaines personnalités qui incitent à les commettre. Parallèlement, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont appelés à garantir la reconnaissance juridique des couples de même sexe en prévoyant notamment le statut de « proche » et la possibilité d’une responsabilité parentale commune à l’égard des enfants de chacun des deux partenaires.

Le dialogue entre toutes les instances, fondé sur le respect mutuel, est crucial pour améliorer la compréhension mutuelle, combattre les préjugés et faciliter les débats publics et les réformes sur les questions concernant les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles ou transgenres.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet de résolution adopté à l’unanimité
par la commission le 16 mars 2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que l’orientation sexuelle est une part profonde de l’identité de chaque être humain, et qu’elle englobe l’hétérosexualité, la bisexualité et l’homosexualité. L’Assemblée rappelle également que cette dernière est désormais dépénalisée dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. L’identité de genre désigne l’expérience intime et personnelle de son genre telle que vécue par chacun. Une personne transgenre est quelqu’un dont l’identité de genre ne correspond pas au genre qui lui a été assigné à sa naissance.
2. Au regard du droit international, tous les êtres humains sont nés libres et égaux en dignité et en droits. L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont reconnues comme des motifs de discrimination interdits. Au regard de la Cour européenne des droits de l’homme, une différence de traitement est discriminatoire si elle n’a aucune justification objective ni raisonnable. L’orientation sexuelle constituant un aspect très intime de la vie privée d’une personne, la Cour considère que les différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle ne peuvent se justifier que par des raisons particulièrement graves. Dans son arrêt de 1999 dans l’affaire Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni, elle a souligné que les comportements négatifs de la part d’une majorité hétérosexuelle à l’encontre d’une minorité homosexuelle ne sauraient constituer une justification suffisante, pas plus que le même type de comportements négatifs envers un sexe, une race, une origine ou une couleur différent.
3. Pourtant, les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT), de même que les défenseurs des droits de l’homme œuvrant pour les droits des personnes LGBT, se heurtent à des préjugés, à une hostilité et à une discrimination profondément enracinés et largement répandus dans toute l’Europe. Le manque de connaissances et de compréhension au sujet de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre est un défi que doit relever la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, car il engendre de nombreuses violations des droits de l’homme qui touchent à la vie de millions de personnes. Parmi les principaux sujets de préoccupation figurent la violence physique et verbale (crimes et/ou discours de haine), les restrictions injustifiées de la liberté d’expression, de réunion et d’association, les violations du droit au respect de la vie privée et familiale, les violations des droits à l’éducation, au travail et à la santé, ainsi que la stigmatisation récurrente. Par conséquent, dans toute l'Europe, de nombreuses personnes LGBT vivent dans la crainte et doivent cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.
4. Les personnes transgenres se trouvent confrontées à un cycle de discrimination et de privation de leurs droits dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe en raison d’attitudes discriminatoires et des obstacles qu’elles rencontrent pour obtenir un traitement de conversion sexuelle et une reconnaissance juridique de leur nouveau sexe. De ce fait, les taux de suicide sont relativement élevés parmi les personnes transgenres.
5. La discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre peut être exacerbée en raison du sexe et du genre, les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres, en particulier, courant un risque accru de violence. La communauté LGBT elle-même n’est pas à l’abri de la discrimination sexuelle.
6. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la violation des droits à la liberté de réunion et d’expression des personnes LGBT dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe puisque ces droits sont des piliers de la démocratie. Cette situation a été illustrée par l’interdiction (ou les tentatives d’interdiction) de rassemblements ou de manifestations pacifiques de personnes LGBT et de leurs sympathisants, ainsi que par le soutien ouvert ou tacite apporté par certains responsables politiques à des contre-manifestations violentes.
7. Les discours de haine prononcés par certains responsables politiques, religieux et autres représentants de la société civile et les discours de haine véhiculés par les médias et Internet sont aussi un grave sujet de préoccupation. L’Assemblée rappelle qu'il est du devoir ultime de tous les pouvoirs publics non seulement de protéger de manière pratique et efficace les droits stipulés par les instruments des droits de l’homme, mais aussi de s’abstenir de discours susceptibles de légitimer et d’alimenter la discrimination ou la haine fondées sur l’intolérance. La frontière entre le discours de haine incitant au crime et la liberté d’expression doit être définie conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
8. L’homophobie et la transphobie ont des conséquences particulièrement graves pour les jeunes LGBT. Ils se trouvent couramment confrontés à des brutalités, à des enseignants parfois peu coopératifs et hostiles et à des programmes scolaires qui ignorent les questions relatives aux LGBT ou propagent des attitudes homophobes ou transphobes. Attitudes discriminatoires au sein de la société et rejet de la famille peuvent être extrêmement préjudiciables à la santé mentale des jeunes LGBT, comme en attestent des taux de suicide beaucoup plus élevés que dans le reste de la population jeune.
9. Il faut également remédier au déni des droits des «familles LGBT» de fait dans de nombreux Etats membres, notamment par la reconnaissance juridique et la protection de ces familles.
10. Par ailleurs, l’Assemblée se félicite que dans certains cas, les autorités politiques et judiciaires aient pris des mesures de lutte contre la discrimination qui affecte les personnes LGBT.
11. Dans cette perspective, l’Assemblée salue les travaux du Comité des Ministres qui élabore actuellement une recommandation sur les mesures visant à lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, à faire respecter les droits fondamentaux des personnes LGBT et à promouvoir la tolérance envers ces personnes, la haute priorité accordée à cette question par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi que les récents rapports de l’Agence pour les droits fondamentaux de l’Union européenne sur l’homophobie et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans les Etats membres de l’Union européenne.
12. Rappelant ses Recommandations 1474 (2000) sur la situation des lesbiennes et des gays dans des Etats membres du Conseil de l’Europe et 1117 (1989) sur les conditions des transgenres, l’Assemblée réitère sa condamnation des diverses formes de discrimination subies par les personnes LGBT dans les États du Conseil de l’Europe. Les personnes LGBT ne devraient pas avoir à craindre d’être stigmatisées ni persécutées, tant dans la sphère publique que privée.
13. L’Assemblée estime que le Conseil de l’Europe a le devoir de promouvoir un message clair de respect et de non-discrimination, afin que tout un chacun puisse vivre dans la dignité dans tous ses Etats membres.
14. Par ailleurs, l’éradication de l’homophobie et de la transphobie nécessite la volonté politique des Etats membres de mettre en œuvre une approche cohérente en matière de droits de l’homme et de se lancer dans un vaste éventail d’initiatives. À cet égard, l’Assemblée souligne que les parlementaires ont la responsabilité spécifique d’initier et de soutenir des changements dans la législation et les politiques appliquées par les Etats membres du Conseil de l’Europe.
15. Par conséquent, l’Assemblée appelle les Etats membres à traiter ces questions et, en particulier :
15.1. à assurer le respect des droits fondamentaux des personnes LGBT, notamment la liberté d’expression, de réunion et d’association, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme ;
15.2. à prévoir des recours juridiques pour les victimes et mettre un terme à l’impunité de ceux qui violent les droits fondamentaux des personnes LGBT, en particulier leur droit à la vie et à la sécurité ;
15.3. à reconnaître que les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres courent un risque accru de violence fondée sur le genre (notamment le viol, la violence sexuelle et le harcèlement, ainsi que les mariages forcés) et leur offrir une protection en rapport avec le risque accru ;
15.4. à condamner les discours de haine et les déclarations discriminatoires, et assurer une protection efficace des personnes LGBT contre ces déclarations tout en respectant le droit à la liberté d'expression, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ;
15.5. à adopter et appliquer une législation anti-discrimination incluant l’orientation sexuelle et l’identité de genre parmi les motifs de discrimination prohibés et des sanctions pour les infractions ;
15.6. à abroger les dispositions législatives non conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ;
15.7. à garantir que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre peuvent être effectivement signalées à des instances judiciaires et non judiciaires, et veiller à ce que des structures nationales de défense des droits de l’homme et des organes de promotion de l’égalité traitent ces questions ;
15.8. à signer et ratifier le Protocole n°12 à la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit une interdiction générale de la discrimination ;
15.9. à garantir la reconnaissance juridique des couples de même sexe, comme déjà recommandé par l’Assemblée en 2000, en prévoyant :
15.9.1. les mêmes droits et obligations pécuniaires que ceux établis pour les couples hétérosexuels ;
15.9.2. le statut de « proche » ;
15.9.3. lorsque l’un des partenaires d’un couple de même sexe est étranger, des mesures permettant à ce partenaire de bénéficier des mêmes droits de résidence que ceux dont bénéficierait un partenaire étranger dans un couple hétérosexuel ;
15.9.4. la reconnaissance des dispositions adoptées par d’autres Etats membres qui produisent des effets similaires ;
15.10. à prévoir la possibilité d’une responsabilité parentale commune des enfants de chacun des deux partenaires ;
15.11. à veiller à ce que la législation relative à l’adoption d’enfants non apparentés par des personnes seules soit appliquée sans distinction fondée sur l’orientation sexuelle, conformément à l’arrêt 2008 E.B. c. France rendu par la Cour européenne des droits de l’homme ;
15.12. à traiter la discrimination et les violations des droits de l’homme visant les personnes transgenres et, en particulier, garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes :
15.12.1. à la sécurité ;
15.12.2. à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d'autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ;
15.12.3. à un traitement de conversion sexuelle et à l’égalité de traitement en matière de soins de santé ;
15.12.4. à l’égalité d’accès à l’emploi, aux biens, aux services, au logement et autres, sans discrimination ;
15.12.5. à la reconnaissance des unions, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ;
15.13. à mettre en place ou développer des programmes anti-discrimination et des programmes de sensibilisation favorisant la tolérance, le respect et la compréhension des personnes LGBT, en particulier à l’intention des agents publics, des instances judiciaires, des forces de l’ordre et des forces armées, mais aussi des établissements d’enseignement, des médias, de la profession médicale et des milieux sportifs ;
15.14. à promouvoir la recherche en matière de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, ainsi qu’établir et/ou entretenir des contacts réguliers avec les défenseurs des droits de l’homme œuvrant pour les droits des personnes LGBT et consulter ces instances sur les questions liées à ce type de discrimination ;
15.15. à encourager le dialogue fondé sur un respect mutuel entre les institutions nationales de défense des droits de l’homme, les organes de promotion de l’égalité, les défenseurs des droits de l’homme œuvrant pour les droits des personnes LGBT et les institutions religieuses, afin de faciliter les débats publics et les réformes sur les questions concernant ces personnes ;
15.16. à reconnaître la persécution des personnes LGBT comme motif d’asile et appliquer la note d’orientation publiée en 2008 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés concernant les demandes de reconnaissance du statut de refugié relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.
16. Les Etats membres peuvent exempter les institutions et organisations religieuses seulement lorsque ces institutions et organisations sont engagées dans des activités religieuses, si ces exceptions sont compatibles avec à la Convention européenne des droits de l’homme, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme. 

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation adopté
à l’unanimité par la commission le 16 mars 2010.

(open)
1. Faisant référence à la Résolution … (2010), l’Assemblée parlementaire félicite le Comité des Ministres d’avoir décidé, le 2 juillet 2008, d'élaborer une recommandation concernant les mesures de lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
2. L’Assemblée estime que le Conseil de l’Europe a, en effet, le devoir de promouvoir un message clair de respect et de non-discrimination. En outre, le Conseil de l’Europe est particulièrement bien placé pour élaborer des normes en matière de droits de l’homme, pour proposer une expertise et des conseils et pour servir de forum de discussion sur des questions liées à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
3. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres :
3.1. d’adopter la recommandation en cours d’élaboration sur les mesures visant à lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, à faire respecter les droits fondamentaux des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres et à promouvoir la tolérance envers ces personnes et, ensuite, de contrôler sa mise en œuvre ;
3.2. de définir de nouvelles actions à mener par Conseil de l’Europe dans ce domaine, en particulier :
3.2.1. charger un organe concerné du Conseil de l’Europe d’examiner et de traiter les questions liées à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les Etats membres, et lui fournir les ressources nécessaires pour mener sa tâche à bien ;
3.2.2. mieux intégrer les questions liées à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans ses activités, et diffuser la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, notamment par le biais de publications et de matériel de formation ;
3.2.3. dans le cadre de ses travaux sur l’enfance et la violence, traiter la question spécifique des violences homophobes et transphobes à l’école ;
3.2.4. renforcer les programmes anti-discrimination et les programmes de sensibilisation favorisant la tolérance, le respect et la compréhension des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres et, en particulier, organiser une campagne de lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
3.3. de demander au Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (CAHVIO) d’inclure dans la future convention du Conseil de l’Europe les formes les plus sévères et les plus répandues de la violence à l’égard des femmes, conformément à la Recommandation 1847 (2008) de l’Assemblée, et de reconnaître que les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres courent un risque accru de violence fondée sur le genre (notamment le viol, la violence sexuelle et le harcèlement, ainsi que les mariages forcés) et leur offrir une protection appropriée en rapport avec ce risque accru.

C. Exposé des motifs par M. Gross, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Portée du rapport

1. Le 16 septembre 2005, j’ai été nommé rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur la question de la « Reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe » sur la base d’une proposition de recommandation (Doc. 10640) présentée par M. Jurgens et plusieurs de ses collègues. En 2006, une nouvelle proposition de résolution relative à la « Liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels dans les États membres du Conseil de l'Europe » (Doc. 10832) a été renvoyée à la commission pour être intégrée dans mon rapport sur la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe.
2. En janvier 2008, une troisième proposition de recommandation (Doc. 11423) relative à la « Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre » a été renvoyée pour rapport à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. En avril 2008, l’Assemblée a estimé que cette proposition devrait être intégrée dans le rapport car elle couvrait les deux thèmes sur lesquels je travaillais.
3. Par conséquent, il fut décidé de prendre comme nouveau cadre de ce rapport la proposition de recommandation la plus large, à savoir celle qui concerne la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre et, dans ce nouveau cadre, de modifier le titre du rapport en conséquence, et de mettre notamment l’accent sur les questions relatives à la liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels et à la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe.

1.2. Terminologie

4. La terminologie suivante sera utilisée dans le rapport:
  • L’orientation sexuelle renvoie à la capacité de chacun de ressentir à l’égard de personnes du sexe opposé, du même sexe ou de plus d’un sexe, une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle et d’entretenir avec ces personnes des relations intimes et sexuelles 
			(3) 
			Voir
les «Principes sur l’application de la législation internationale
des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité
de genre» (Principes de Yogyakarta), introduits en novembre 2006,
ainsi que le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne sur l’homophobie et la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle dans les Etats membres de l’Union européenne. ; L’orientation sexuelle est une part profonde de l’identité de chaque être humain ; elle englobe l’hétérosexualité, la bisexualité et l’homosexualité. Cette dernière est désormais dépénalisée dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
  • L’identité de genre désigne l’expérience intime et personnelle de son genre telle que profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au genre assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps (qui peut également impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d’autres expressions du genre comme la façon de s’habiller, de parler et de se comporter 
			(4) 
			Idem.
Voir aussi le site Web «TransGender Europe» (TGEU), <a href='http://tgeu.net/'>http://tgeu.net/</a>..
  • Le terme « personne transgenre » (ou, simplement, « personne trans ») concerne toute personne dont l’identité de genre ne correspond pas au genre assigné à la naissance et/ou qui veut établir une distinction entre son identité de genre et le genre qui lui a été échu à la naissance ; ce terme désigne aussi les personnes qui sentent qu’elles doivent ou préfèrent – que ce soit à travers des codes vestimentaires, des accessoires, des cosmétiques ou des modifications corporelles – se présenter à l’opposé des attentes du rôle associé au sexe qui leur a été attribué à la naissance.
  • Transsexuel : personne qui préfère un autre sexe que celui de sa naissance et qui éprouve le besoin d’apporter des modifications physiques à son corps pour exprimer ce sentiment (par exemple, traitement hormonal et/ou chirurgie).
  • L’expression « personnes LGBT » s’emploie pour décrire les personnes qui se définissent comme lesbiennes, gay, bisexuelles ou transgenres ; elle ne suggère pas qu’il y ait une seule et même identité «LGBT» 
			(5) 
			Le
terme «minorité sexuelle» est parfois employé comme raccourci, en
particulier lorsque les termes «lesbienne, gay, bisexuel(le) et
transgenre» sont moins bien compris. Toutefois, il n’est pas utilisé
dans ce rapport car il n’est pas pertinent dans un cadre relatif
aux droits de l’homme centré sur l’égalité et la non-discrimination.
De fait, les personnes LGBT ne revendiquent pas de droits minoritaires
ni de droits spécifiques. Elles veulent simplement jouir des mêmes
droits fondamentaux que tous les autres individus..
  • Homophobie : sentiment irrationnel de peur et d'aversion à l'égard de l'homosexualité et des personnes lesbiennes, gay et bisexuelles, fondé sur des préjugés 
			(6) 
			Voir le rapport de
l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne..
  • Transphobie : peur irrationnelle de la non-conformité ou de la transgression du genre.

1.3. Élaboration du rapport

Dans le cadre des mandats concernant la liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels et la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe

5. Dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, j’ai effectué une visite en Espagne (mai 2006) et en Lettonie (octobre 2007), j’ai présenté en juin 2007 à la commission une note introductive sur la « Reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe » et, en mars 2008, une note d'information sur « La liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels dans les États membres du Conseil de l'Europe et la reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe » 
			(7) 
			Documents AS/Jur (2007)
30 et AS/Jur (2008) 11, ce dernier a été déclassifié par la commission
le 7 mars 2008..
6. Vu les réactions vives et la forte opposition que soulève ce sujet dans plusieurs pays, j’ai proposé en janvier 2008 à la commission de tenir un échange de vues avec des experts en la matière, en vue de mettre en évidence les facteurs qui ont contribué à l’évolution (positive) des mentalités et de la législation dans plusieurs pays, ainsi que les difficultés rencontrées dans ces domaines. Cet échange de vues a eu lieu le 7 mars 2008 avec la participation des experts suivants 
			(8) 
			Voir
le procès-verbal de l’audition dans le document AS/Jur (2008) 22,
déclassifié par la commission le 7 mars 2008. :
  • M. Jeffrey Weeks, Professeur de sociologie, Directeur de recherche, Université de Londres South Bank
  • M. Louis-Georges Tin, universitaire, fondateur de l'IDAHO (Journée internationale contre l’homophobie)
  • Mme Joke Swiebel, ancienne membre du Parlement européen et Présidente du Groupe LGBT du Parlement européen
  • M. Maxim Anmeghichean, Directeur de programmes, ILGA Europe (International Lesbian and Gay Association)
  • M. Dennis van der Veur, Conseiller, Bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe

Dans le cadre du mandat actuel concernant la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre

7. Puisque mon mandat a été étendu à la question plus vaste de la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, la commission a tenu un second échange de vues avec des experts, afin de compléter la première audition tenue en 2008, qui mette notamment en exergue les normes des droits de l’homme concernant ces questions, ainsi que les questions portant sur l’identité de genre. Cet échange de vues a eu lieu à Berlin le 24 mars 2009 avec la participation des experts suivants :
  • M. Hans Ytterberg, Directeur général, Ministère de l’intégration et de l’égalité entre les femmes et les hommes, président du Comité d’experts (intergouvernemental) sur la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de gendre (DH-LGBT) du Conseil de l’Europe, ancien médiateur suédois chargé de la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle
  • Mme Julia Ehrt, TransGender Europe (TGEU) (Berlin)
  • Professeur Igor Kon, chercheur, Institut d’ethnologie et d’anthropologie, Académie des sciences russe (Moscou)
  • M. Ioannis Dimitrakopoulos, Chef du département Egalité et Droits des citoyens, Agence européenne pour les droits fondamentaux de l’Union européenne
  • M. Dennis van der Veur, Conseiller, Bureau du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
8. J’ai également effectué des visites en Pologne (novembre 2008) et en Lituanie (avril 2009). Malheureusement la visite prévue en Moldova en mai 2009 a dû être annulée en raison de la situation politique dans le pays.

1.4. But du rapport

9. Il importe de souligner que le présent rapport n’entend pas être un rapport de suivi car son but n’est pas d’évaluer la situation dans des pays déterminés. Le rapport a plutôt pour objet de présenter les problèmes qui se posent, les raisons qui sous-tendent la diversité observée dans les Etats membres du Conseil de l'Europe sur ces questions et les facteurs qui ont déjà permis des changements positifs dans un certain nombre de pays, ou qui pourraient contribuer à susciter de tels changements, tant dans les attitudes à l’égard des personnes LGBT que dans la mise en place d’une législation assurant l’égalité. En d’autres termes, j’entends insister sur le processus susceptible de conduire à une approche des personnes LGBT compatible avec les droits de l'homme et souligner que le Conseil de l’Europe a le devoir de promouvoir un message clair de tolérance, de respect et de non-discrimination.
10. En outre, compte tenu des très nombreux préjugés et du manque de connaissances sur les questions en jeu, j’estime que le présent rapport a une forte dimension «éducative». Il devrait aussi donner aux membres de l’Assemblée parlementaire et au grand public l’occasion de tenir des débats ouverts et directs sur ces sujets, au vu des normes internationales pertinentes en matière de droits de l'homme.

2. Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre

2.1. Une discrimination largement répandue dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

11. L’homosexualité est désormais dépénalisée dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Toutefois, les attitudes homophobes et transphobes étant profondément enracinées dans la majorité de ces Etats, les personnes LGBT, ainsi que les défenseurs des droits de l'homme qui s’occupent de promouvoir les droits de ces personnes, se heurtent à des préjugés bien ancrés, à une hostilité et à une discrimination largement répandue dans toute l’Europe. Cette discrimination se manifeste dans les secteurs juridique, politique et/ou social et ne se limite pas à la sphère publique mais a aussi pour cadre la famille, en particulier dans le cas des jeunes.
12. Le manque de connaissances et de compréhension concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre est un défi à relever dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, car il entraîne de nombreuses violations des droits de l’homme, qui touchent à la vie de millions de personnes. Parmi les principaux sujets de préoccupation, citons la violence physique et verbale (crimes et discours de haine), les restrictions injustifiées de la liberté d’expression, de réunion et d’association, les violations du droit au respect de la vie privée et familiale, les violations des droits à l’éducation, au travail et à la santé, ainsi que la stigmatisation récurrente.
13. L’homophobie et la transphobie ont des conséquences particulièrement graves pour les jeunes LGBT : brutalités fréquentes, enseignants parfois peu coopératifs ou hostiles et, enfin, programmes scolaires qui ignorent les questions relatives aux LGBT ou propagent des comportements homophobes ou transphobes. Comme l’a déjà souligné l’Assemblée, des attitudes discriminatoires au sein de la société alliées au rejet de la famille peuvent être extrêmement préjudiciables à la santé mentale des jeunes LGBT, comme en attestent des taux de suicide beaucoup plus élevés que dans le reste de la population jeune 
			(9) 
			Voir le rapport de
l’APCE sur le suicide des enfants et des adolescents en Europe :
un grave problème de santé publique, Doc. 11547, paragraphe 22..
14. À cet égard, un rapport publié en 2009 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) sur l’homophobie et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle (voir aussi la section III ci-après) fournit une analyse très utile de la situation dans les Etats membres de l’Union européenne. Il conclut que la discrimination et le harcèlement à l’encontre des personnes LGBT sont largement répandus à travers l’Union européenne. Le rapport note également que le discours de haine prononcé par des personnalités publiques est un phénomène particulièrement alarmant. À l’instar d’autres formes de crimes de haine, peu de crimes homophobes et transphobes sont déclarés aux autorités publiques. Toujours selon la FRA, les exemples les plus inquiétants relevés dans les médias présentent les personnes LGBT comme des pervers ou associent l’homosexualité à la pédophilie. Quant aux personnes transgenres, elles se trouvent confrontées à des comportements encore plus négatifs que les personnes LGB.
15. Les organisations non gouvernementales signalent aussi une discrimination largement répandue dans des Etats membres hors-Union européenne (voir, en particulier, la section IV ci-après), affirmant que, lorsque la présence de personnes LGBT se manifeste peu dans un pays, c’est simplement le signe évident de leur situation difficile.
16. Etant donné le manque de données précises concernant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les Etats membres du Conseil de l’Europe n’appartenant pas à l’Union européenne, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a lancé la proposition de compléter l’étude réalisée par l’Union européenne en vue de couvrir les États du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne.
17. Les personnes transgenres se trouvent confrontées à un cycle vicieux de discrimination et de privation de leurs droits dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe en raison de comportements discriminatoires, mais aussi des obstacles qu’elles rencontrent pour obtenir un traitement de conversion sexuelle et une reconnaissance juridique. Cette situation a pour conséquence, entre autres, un taux de suicide relativement élevé.
18. En effet, les personnes dont la représentation de genre, l’identité de genre ou le rôle de genre diffèrent de la norme admise dans la société sont victimes de discrimination, de moquerie, de harcèlement ou, même, de violence physique. Aussi, de nombreuses personnes transgenres participent peu, voire pas du tout, à la vie sociale et publique, tandis que beaucoup d’autres sont tellement traumatisées et effrayées par l’hostilité rencontrée qu’elles se trouvent dans l’incapacité de mener une vie normale dans la dignité. Lorsqu’elles sont représentées, leur image – dans les médias, les programmes éducatifs et l’art – repose sur des idées fausses, sur l’ignorance et sur un manque de connaissance.
19. La discrimination à l’égard des personnes transgenres se manifeste essentiellement dans le secteur de la santé et sur le marché du travail, et elles sont très exposées aux crimes de haine. Il semblerait que beaucoup de gens, y compris des médecins et des enseignants, ne savent tout simplement pas de quoi il s’agit et associent le phénomène à de la prostitution dans des lieux exotiques.
20. Les effets de la discrimination sont aggravés par les difficultés qu’ont ces personnes à obtenir que soit pratiquée l’intervention médicale nécessaire à la réalisation de leur identité de genre et que soit juridiquement reconnu leur changement de sexe. Ces difficultés peuvent grandement entraver la jouissance d’autres droits, en particulier le droit au travail ; de ce fait, de nombreuses personnes transgenres se retrouvent dans la pauvreté et, dans certains Etats membres, n’ont d’autre solution que de travailler dans l’industrie du sexe. Cette exclusion sociale extrême entraîne de graves risques pour la santé et une grande vulnérabilité aux mauvais traitements susceptibles d’être infligés par la police ou des délinquants.
21. Le 10 mars 2009, un militant des droits de l'homme transgenres reconnu, personnalité de premier plan de l’association Lambda Istanbul, a été tué à l’arme blanche. C’est le deuxième assassinat récent d’un membre de cette organisation. Entre janvier et mai 2009, l’on a signalé le meurtre de cinq personnes transgenres en Turquie, faits qui s’inscrivent dans une constante – par exemple, 15 hommes gay et personnes transgenres auraient été assassinées entre janvier et octobre 2007 
			(10) 
			Human Rights Watch,
mai 2008, rapport intitulé « We need a law for liberation – Turkey » ;
voir aussi Lambda Istanbul, Call for action, avril 2009.. Les ONG ont dénoncé ce climat de violence fondée sur l’identité de genre en Turquie. Enquêter sur les actes de violence perpétrés contre les personnes LGBT, poursuivre en justice les suspects et adopter une législation efficace pour assurer l’égalité sont toutes des mesures essentielles à prendre pour mettre fin à ces assassinats.
22. En dehors du respect de leurs droits à la vie et à la sécurité, changer de nom et de genre est essentiel dans la vie des personnes transgenres. Pourtant, cette « entrée » dans la société n’existe pas – ou est rendue très difficile – dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, qui violent ainsi la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (droit au respect de la vie privée, article 8, voir l’affaire B c. France). Sans reconnaissance du nom et du genre, les personnes transgenres sont marquées comme telles (sur leurs papiers d’identité, cartes bancaires, diplômes scolaires et/ou universitaires, etc.), ce qui entraîne une stigmatisation dans tous les aspects de la vie et rend pratiquement impossible toute participation à la vie sociale (voyages, recherche d’emploi, etc.). En conséquence, il s’avère nécessaire :
  • de garantir aux personnes transgenres les droits à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et à la dignité ;
  • d’inclure l’identité de genre dans la législation anti-discrimination ;
  • d’assurer aux personnes transgenres la possibilité de changer de nom et de genre ;
  • de garantir aux personnes transgenres un accès aux traitements médicaux dont elles ont besoin pour réaliser leur identité préférée, financés comme à n’importe quel autre traitement médical nécessaire.
23. L’ONG TransGender Europe a identifié de la sorte huit droits humains essentiels pour les personnes transgenres :
23.1. le droit à la sécurité en public et en privé ;
23.2. Un même droit à obtenir et à garder un emploi, sans préjugé ;
23.3. le droit à des documents et papiers officiels qui reflètent la réalité des personnes vivant dans un rôle de genre choisi, y compris :
a. le droit de changer de nom, y compris pour adopter un nom du genre opposé (dans les pays où le genre des noms est « marqué »), sans obligation de traitement médical préalable ;
b. le droit de changer de genre dans tous les documents officiels sans obligation de traitement médical préalable ;
23.4. le droit d’être reconnu pour toutes les circonstances officielles et/ou à caractère juridique dans le rôle de genre choisi, sans obligation de traitement médical préalable ;
23.5. le droit de bénéficier de traitements de conversion sexuelle de qualité acceptable ;
23.6. le droit d’être traité à égalité dans tous les autres secteurs de santé, sans préjugé aucun ;
23.7. le droit d’accéder à égalité à l’emploi, aux biens, aux services, au logement et autres dispositifs, sans préjugé ;
23.8. le droit à la reconnaissance des unions entre personnes (y compris le mariage), ainsi qu’à fonder une famille et à subvenir à ses besoins.
24. Dans ce cadre, deux récents arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») à propos de personnes transgenres méritent d’être cités : l’un concerne la Suisse, l’autre la Lituanie, l’un des pays où je me suis rendu. En janvier 2009, la Cour a condamné la Suisse (Schlumpf c. Suisse, requête n° 29002/06) dans une affaire concernant le refus d’une compagnie d’assurance de prendre en charge une opération de conversion sexuelle. Dans son arrêt, la Cour a mentionné, en particulier, l’importance de questions concernant l’un des aspects les plus intimes de la vie privée, à savoir l’identité de genre d’une personne, pour faire la part entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu. S’agissant de l’affaire lituanienne (L. c. Lituanie, arrêt définitif du 31 mars 2008), la Cour a estimé qu’à cause d’un vide juridique en matière de conversion sexuelle des personnes transgenres, le requérant s’était retrouvé dans une situation de pénible incertitude quant à sa vie privée et à la reconnaissance de son identité réelle. Pour ce qui est de ce vide juridique, j’ai appris, lors de mon séjour en Lituanie, que les autorités n’avaient pas l’intention d’adopter de législation sur la conversion sexuelle des transsexuels malgré l’arrêt rendu par la Cour, en 2008, condamnant la Lituanie. Cette législation est nécessaire pour mettre en œuvre le droit prévu par le nouveau code civil depuis 2003. J’espère que des collègues courageux du Parlement lituanien se saisiront de cette question et proposeront une telle loi, conforme à l’arrêt de la Cour.
25. Sur une note plus positive, notons qu’en mai 2009, la France a annoncé que la transsexualité ne serait plus considérée comme une affection psychiatrique.
26. Une grande partie de la discrimination à laquelle les personnes LGBT sont en butte découle du refus de certains éminents responsables politiques, « leaders » d’opinion et chefs religieux d’admettre que les personnes LGBT doivent jouir des mêmes droits que les autres êtres humains. Un discours extrêmement homophobe et transphobe imprègne la sphère publique dans certains Etats membres et donne une légitimité à ces agents de l’Etat – policiers, gardiens de prison, procureurs, juges, fonctionnaires locaux et même médiateurs – qui ne défendent pas, et même parfois pourfendent, les droits des personnes LGBT.
27. Les personnes LGBT sont parfois perçues comme une « menace » pour le reste de la société. À l’occasion de ma visite d’information en Lettonie, des responsables politiques ont qualifié l’homosexualité et les Marches des fiertés (« Gay Prides ») de « fléau envahissant » et de « problème importé de l’étranger », refusant d’admettre qu’il s’agissait d’une question de droits de l’homme. Heureusement, ces points de vue ont été vigoureusement contestés par d'autres parlementaires que j'ai rencontrés.
28. Dans beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe, les personnes LGBT ne sont pas protégées par une législation contre la discrimination ou contre les crimes de haine du fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne figurent pas explicitement parmi les motifs de discrimination. De plus, parfois les personnes LGBT ne trouvent pas de réponse adéquate auprès des forces de l’ordre.
29. Cette situation a des conséquences particulièrement graves non seulement pour les militants LGBT, souvent les premiers ciblés, mais parfois aussi pour ceux qui contribuent à promouvoir les droits des LGBT (responsables politiques, avocats, syndicalistes, etc.) – qui, d’ailleurs, à des fins de discrédit, se voient eux-mêmes « accusés » d’homosexualité. Cela se vérifie particulièrement pour les questions de liberté d’expression, d’association et de réunion, les autorités interdisant alors les marches et manifestations des LGBT dans un certain nombre de pays, allant même, parfois, jusqu’à essayer d’empêcher les débats publics sur l’homosexualité. Ainsi, en Lettonie, des militants pour les droits des LGBT ont vu leurs informations personnelles publiées sur des sites web. En conséquence, trop souvent, comme j’ai pu le constater lors de mes visites dans certains pays, trop peu de gens, même parmi les principaux défenseurs des droits de l’homme, s’opposent à l’homophobie et à la transphobie.
30. Les responsables politiques et religieux prétendent parfois que les sociétés ne sont pas prêtes à accepter l’homosexualité. Pourtant, comme l’ont souligné les participants à l’audition de mars 2008, il s’avère que ces responsables sont eux-mêmes parfois la source de l’intolérance constatée dans la société. Leurs déclarations, en attisant la haine et la violence, peuvent même quelquefois mettre en danger la vie des personnes LGBT. Parmi les auteurs de discrimination, beaucoup justifient leur attitude en invoquant la « moralité » ou des questions liées à l’ordre public, à la liberté de pensée, de conscience et de religion. À cet égard, la Cour apporte une référence cruciale. Elle considère, en particulier, que les différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle ne peuvent se justifier que pour des raisons particulièrement graves (voir ci-après). Pour ma part, j’estime que les parlementaires ont le devoir d’informer convenablement les citoyens sur ces questions, ainsi que d'améliorer la protection des droits de l’homme, tout particulièrement en faveur des personnes les plus exposées.
31. À l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, le 17 mai 2009, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a déclaré : « […] je m’inquiète plus encore des convictions des dirigeants de certains partis politiques. On ne peut accepter que des personnes investies d’une autorité officielle ou morale en Europe se conduisent encore comme si la Convention européenne des droits de l'homme ne s’appliquait pas aux homosexuels ».
32. En Lituanie, en avril 2009, j’ai appelé les autorités à ne pas adopter une proposition d’amendement à la Loi relative à la protection des mineurs face aux effets préjudiciables de l’information publique visant à interdire la « propagande en faveur de l’homosexualité et de la bisexualité » auprès des jeunes. Cet amendement mettait l’homosexualité sur le même plan que, par exemple, la représentation de violences physiques ou psychologiques ou le vandalisme, et interdisait les discussions sur l’homosexualité dans les écoles et toute référence à l’homosexualité dans des informations publiques accessibles aux enfants. Amnesty International a rappelé, en juin 2009, que cet amendement violerait les droits de l’homme et renforcerait l’homophobie, et qu’il s’inscrivait dans un « climat croissant d’intimidation et de discrimination prévalant en Lituanie à l’encontre des personnes LGBT » . L’amendement a ensuite été adopté, puis mis en veto par le Président lithuanien (sortant), en juin 2009, mais le parlement a rejeté le veto présidentiel. Toutefois, fin juillet 2009, la nouvelle Présidente aurait estimé que la loi devait être examinée par des experts en droits de l’homme. Je soutiens fermement une révision de la loi, conformément aux normes des droits de l’homme. Enfin, en août 2009, j'ai été informé que de nouveaux projets d’amendements au Code pénal et au Code administratif concernant les relations homosexuelles soulèvent eux aussi de vives inquiétudes. A nouveau, j'appelle mes collègues lituaniens à adopter une législation conforme aux normes en matière de droits de l'homme (voir le paragraphe 40 ci-dessous).
33. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de s’attaquer à ces questions car elles concernent des dizaines de millions d’Européens dont les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme sont bafoués du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
34. Il convient toutefois de saluer, dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, l’existence de bonnes pratiques telles que réunions et auditions avec des personnes LGBT et des prises de position vigoureuses contre la discrimination, ainsi que l’ont souligné des experts lors de l’audition de 2009 organisée par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (à ce sujet, voir aussi le rapport de la FRA).
35. Selon la FRA, la lutte contre les violations des droits fondamentaux exige, en tout premier lieu, un solide engagement politique envers les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, ainsi qu’une réelle prise de position contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans cette perspective, la FRA estime que les travaux de normalisation menés par le Conseil de l’Europe, ainsi que la jurisprudence de la Cour, sont d’une importance cruciale. En second lieu, ce combat nécessite une bonne connaissance de la situation avec des données fiables à l’appui. Dans bon nombre d’Etats membres, les organes de promotion de l’égalité et autres organismes spécialisés doivent encore mettre en place des mécanismes de collecte des données et encourager activement les personnes LGBT à se manifester et à porter plainte en cas de discrimination. Des campagnes s’imposent pour informer le public sur la diversité et la non-discrimination. La FRA a invité les responsables politiques de l’Union européenne à réviser la législation sur l’égalité et à assurer l’exactitude des informations, afin d’améliorer la situation.

2.2. L’homosexualité – en finir avec les préjugés

36. Comme indiqué plus haut, selon la FRA, les exemples les plus inquiétants relevés dans les médias, en ce qui concerne les Etats membres de l’Union européenne, représentent les personnes LGBT comme des pervers ou associent l’homosexualité à la pédophilie.
37. Le tableau ci-après présente certains préjugés sur l’homosexualité parmi les plus courants et donne un exemple concret de la façon dont on peut contrer ces préjugés par des arguments précis. Les réponses apportées par le droit international des droits de l'homme sont présentées dans un autre tableau au chapitre III ci-dessous.

PREJUGES LES PLUS COURANTS

REPONSE

«L’homosexualité est une maladie»

L’Organisation mondiale de la santé a reconnu il y a presque 20 ans que l’homosexualité n’est pas une maladie. 
			(11) 
			En 1991, l'Organisation
mondiale de la santé a retiré l'homosexualité de la Classification
internationale des maladies.

«L’homosexualité est anormale»

«c’est un déséquilibre de la personnalité»

La communauté scientifique et médicale estime majoritairement que l’homosexualité est une variante naturelle du comportement humain.*

* «Malgré la persistance des stéréotypes selon lesquels les gays, les lesbiennes et les bisexuels seraient perturbés, plusieurs décennies de recherche et d’expériences cliniques ont conduit toutes les grandes organisations médicales et psychiatriques de ce pays à conclure que ces orientations sont des formes normales de l’expérience humaine.» (American Psychological Association) 
			(12) 
			<a href='http ://www.apa.org/topics/sorientation.html#whatcauses'>http ://www.apa.org/topics/sorientation.html#whatcauses</a>

«L’homosexualité est immorale»

Il s’agit là d’un point de vue subjectif, le plus souvent lié à une croyance religieuse, qui ne peut justifier une limitation des droits de quiconque dans une société démocratique.

«L’homosexualité se développe»

Le nombre de gays, de lesbiennes et de bisexuels n’augmente pas mais ils deviennent plus visibles.*

* Le gouvernement britannique estime que les gays, les lesbiennes et les bisexuels représentent entre 5 et 7 % de la population. Avec la baisse de la discrimination, ces personnes révèlent plus facilement leur orientation sexuelle, ce qui donne l’impression que leur nombre augmente.

«L’homosexualité aggrave la crise démographique et menace l’avenir de la nation»

Il est manifestement illogique de reprocher à une petite minorité le déclin démographique d’un pays et cela ne sert qu’à empêcher de traiter les véritables causes de ce déclin.*

* Le déclin démographique n’a rien à voir avec la défense des droits des gays, des lesbiennes et des bisexuels. En réalité, les pays nordiques 
			(13) 
			La cohésion
sociale face aux défis démographiques, doc 10923, commission des
migrations, des réfugiés et de la population, 3 mai 2006, paragraphe
30 : « [les pays nordiques] ont le mieux réussi à créer un cadre
politique favorable aux femmes, aux enfants et à la famille, atteignant
ainsi des taux de fécondité relativement élevés. », qui font partie des pays d’Europe ayant le mieux réussi à l’enrayer, ont été parmi les premiers à octroyer des droits à ces personnes alors que beaucoup des pays les plus répressifs envers elles connaissent actuellement des problèmes démographiques graves.

«La reconnaissance juridique des couples homosexuels met en danger la famille traditionnelle»

La reconnaissance juridique des couples homosexuels n’a aucun effet sur le mariage et le nombre d’enfants des hétérosexuels.*

* La famille dite «traditionnelle» (couple hétérosexuel marié avec enfants) est en perte de vitesse dans beaucoup de pays européens parce que de plus en plus d’hétérosexuels choisissent de ne pas se marier, parce que le nombre de divorces augmente et parce que davantage de couples hétérosexuels mariés choisissent de ne pas avoir d’enfants. La reconnaissance juridique des couples homosexuels ne modifiera cette tendance que dans la mesure où elle réduira le nombre de gays et de lesbiennes qui se sentent obligées de contracter un mariage hétérosexuel, et le nombre de divorces douloureux qui s’ensuivent.

«La propagande peut convertir de jeunes

gens à l’homosexualité»

Rien n’étaye cette théorie.*

* Si 1600 ans de persécutions – y compris la peine de mort, l’emprisonnement, la discrimination et l’exclusion sociale – n’ont pas réussi à «convertir» les homosexuels à l’hétérosexualité, la simple diffusion d’informations sur l’homosexualité ne va certainement pas influencer l’orientation sexuelle des hétérosexuels, quel que soit leur âge. 
			(14) 
			L'homosexualité aurait
été interdite pour la première fois par la loi en Europe en l’an
390 de notre ère.

«Les homosexuels sont dangereux pour les enfants»

Les enfants ne sont pas plus menacés par les gays, les lesbiennes et les bisexuels que par les hétérosexuels.*

* «D’après l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, rien ne prouve que les gays et les lesbiennes présentent, en tant que tels, une menace pour le développement des enfants ou des adolescents, et condamne toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle en matière d’emploi ou de prestation de services, s’agissant plus précisément de postes dans lesquels des services doivent être fournis ou des traitements appliqués à des enfants et à des adolescents.» 
			(15) 
			Déclaration de principes
de l'association médicale American Academy of Child and Adolescent
Psychiatry, adoptée en octobre 1992.

38. La position de la Cour européenne des droits de l’homme dans certains de ses arrêts concernant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est exposée ci-après.

3. Application des principes des droits de l'homme à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre

3.1. Les droits des personnes LGBT au regard du droit international

39. L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas explicitement mentionnées parmi les motifs de discrimination dans les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme (à l’exception, dans une certaine mesure, des traités de l’Union européenne 
			(16) 
			La discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle est couverte par l'article 19 du Traité
de Lisbonne et interdite par la Directive sur l'égalité de traitement
en matière d'emploi et de travail (2000/78/EC) et par l’Article
21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.), mais elles sont néanmoins couvertes. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la jurisprudence des traités en matière de droits de l'homme établissent que les droits de l'homme sont universels et indivisibles : ils s’appliquent à chacun et personne ne doit en être exclu, car tous les êtres humains sont nés libres et égaux en dignité et en droits. La non-discrimination et l’égalité sont donc des composantes fondamentales du droit international des droits de l’homme. Au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les motifs de discrimination prohibés comprennent « la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Dans son Commentaire général n° 20 sur la non-discrimination adopté en mai 2009, le Comité des Nations Unies a fourni une liste d’autres motifs prohibés, parmi lesquels figurent l’orientation sexuelle et l’identité de genre L’article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit toute forme de discrimination dans la jouissance des droits et des libertés reconnus par la Convention, et son Protocole n° 12 comporte une interdiction générale de la discrimination.
40. Par conséquent, les experts invités à l’audition tenue en mars 2008 ont souligné que les personnes LGBT ne revendiquent pas de droits particuliers. Elles veulent simplement jouir des mêmes droits que tous les autres citoyens des Etats membres du Conseil de l'Europe, droits consacrés dans des instruments internationaux, notamment dans la Convention européenne des droits de l'homme, comme ceux de ne pas être soumis à la torture, de jouir de la liberté d’expression et de réunion, du respect de sa vie privée, etc.
41. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, comme celle de la Cour européenne de justice, constitue de fait un cadre de référence essentiel concernant ces questions. Au regard de la Cour européenne des droits de l’homme, une différence de traitement est discriminatoire si elle n’a aucune justification objective ni raisonnable. L’orientation sexuelle constituant un aspect très intime de la vie privée d’une personne, la Cour considère aussi que les différences de traitement fondées sur l’orientation sexuelle ne peuvent se justifier que pour des raisons particulièrement graves (voir, en particulier, l’affaire Karner c. Autriche). Enfin, il ne s’agit pas d’une affaire d’opinion : les attitudes négatives de la part d’une majorité hétérosexuelle à l’encontre d’une minorité homosexuelle ne sauraient constituer une justification suffisante, pas plus que le même type d’attitudes négatives envers les personnes de race, origine ou couleur différentes (voir, en particulier, l’affaire Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni). Ainsi la Cour a-t-elle pris d’importantes décisions :
  • les relations sexuelles librement acceptées en privé et entre adultes de même sexe ne doivent pas être pénalisées ; voir l’affaire Dudgeon c. Royaume-Uni (1981) ;
  • l’âge de consentement pour les actes homosexuels et hétérosexuels doit être le même ; voir l’affaire S.L. c. Autriche (2003) dans laquelle la Cour a rappelé que l’orientation sexuelle était un concept couvert par l’article 14) ;
  • les autorités publiques ne peuvent opérer de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans les cas de garde des enfants, de l’emploi (forces armées) et de liberté de réunion :
    • voir l’affaire Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni (1999): interdiction faite aux homosexuels d’entrer dans l’armée ;
    • voir l’affaire Salgueiro Da Silva Mounta c. Portugal (1999) : refus d’accorder la garde à un parent vivant une relation homosexuelle, au prétexte de l’intérêt de l’enfant ;
    • voir l’affaire Baczkowski et autres c. Pologne (2007) : violation du droit à la liberté de réunion des personnes LGBT ;
  • les concubins de même sexe doivent bénéficier des mêmes droits/avantages que les concubins de sexes différents ; voir l’affaire Karner c. Autriche (2004) : droits de bail inégaux pour les couples hétérosexuels et homosexuels ;
  • si des personnes hétérosexuelles seules ont droit à l’adoption, il doit en être de même pour les personnes homosexuelles seules ; voir l’affaire E.B c. France (2008) : refus de donner suite à une demande d’adoption présentée par une femme vivant une relation homosexuelle, et ce en raison de son orientation sexuelle ;
  • reconnaissance juridique du genre acquis et droit des transgenres au mariage ; voir l’affaire Christine Goodwin c.Royaume-Uni (2002) : déni de la reconnaissance juridique du genre acquis et du droit des transsexuels au mariage ;
  • obligation de donner la possibilité à des personnes transgenres de bénéficier des traitements médicaux nécessaires à leur conversion sexuelle, ainsi que de prévoir le financement de tels traitements en raison de leur nécessité médicale ; voir les affaires Van Kück c. Allemagne (2003) :refus d’ordonner le remboursement de coûts supplémentaires pour traitement de conversion sexuelle d’une personne transgenre ; L. c. Lituanie (2008) : vide juridique concernant la chirurgie de conversion sexuelle ; Schlumpf c. Suisse (2009) :refus d’une compagnie d’assurance de prendre en charge la chirurgie de conversion sexuelle.
42. Plusieurs préjugés courants concernant les droits des lesbiennes, gays et bisexuel(le)s, et la réponse apportée par le droit international des droits de l’homme, sont répertoriés ci-dessous.

PREJUGES

RÉPONSES APPORTÉES PAR LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

«Pour une bonne partie de la société, l’homosexualité est inacceptable au regard des normes sociales et religieuses, ce qui justifie la discrimination»

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les attitudes correspondant aux préjugés d’une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle ne peuvent justifier aucune discrimination. 
			(17) 
			Lustig-Prean et Beckett
c. Royaume-Uni (1999), paragraphe 90 ; S.L. c. Autriche (2003),
paragraphe 44.

«Les restrictions contre les homosexuels sont justifiées et ne constituent pas une discrimination»

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est, en général, tout aussi inacceptable que la discrimination fondée sur le sexe, la race ou la religion. 
			(18) 
			Sexe (S.L. c. Autriche),
race (Smith et Grady c. Royaume-Uni, Lustig-Prean et Beckett c.
Royaume-Uni) et religion (Mouta c. Portugal).

«Les homosexuels exigent des droits spéciaux»

Les droits revendiqués sont ceux garantis à tous les êtres humains par le droit international des droits de l’homme, ni plus ni moins.

«Accorder des droits aux homosexuels, c’est en retirer à d’autres, en particulier aux croyants»

Le seul «droit» retiré est celui de discriminer, qui n’en est pas un ! Des exceptions limitées sont envisageables si la nécessité de protéger la liberté religieuse les justifie.

«On peut empêcher la propagande au sujet de l’homosexualité car ce n’est pas la même chose que l’exercice de la liberté de réunion ou d’expression»

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le fait de désapprouver la «propagande au sujet de l’homosexualité» ne justifie pas de priver quiconque de la liberté de réunion ou d’expression. 
			(19) 
			Bazckowski c. Pologne
(2008).

«La protection des plus jeunes exige un traitement discriminatoire»

La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté cette justification, estimant que les adolescents du sexe masculin ne pouvaient être «embrigadés» dans la communauté gay sous l’influence d’expériences homosexuelles et que, dans la plupart des cas, l’orientation sexuelle était fixée avant l’âge de la puberté. 
			(20) 
			S.L. c. Autriche (2003),
paragraphe 43.

«La protection de la famille traditionnelle justifie la discrimination contre les couples homosexuels»

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les pouvoirs publics devaient démontrer en quoi le fait de refuser aux couples homosexuels les droits ou les prestations accordés aux familles traditionnelles protège ces dernières. 
			(21) 
			Karner c. Autriche
(2003).

«Les homosexuels ne sont pas aptes à élever des enfants»

La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les gays et les lesbiennes doivent être traités de la même manière que les hétérosexuels en ce qui concerne la garde d’enfants et les conditions à remplir pour l’adoption. 
			(22) 
			Mouta
c. Portugal (1999), sur le droit d’un gay à avoir la garde de sa
fille biologique ; E.B. c. France (2008), qui concerne le droit
d’une femme lesbienne d’être considérée comme un parent adoptif
potentiel.

43. Comme l’a souligné le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, « l’élément nouveau, aujourd’hui, est la demande de plus en plus importante dans le sens d’une application cohérente de ces principes universels. L’idée fondamentale est de rendre encore plus évidente l’évidence suivante : les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels ont les mêmes droits que toute autre personne. Les normes internationales s’appliquent également à toutes ces catégories. En d’autres termes, toute discrimination à l’égard d’un individu pour des raisons d’orientation sexuelle ou d’identité de genre constitue un cas de violation des droits de l'homme ». Lors de l’audition de la commission, M. Ytterberg a conclu en rappelant que l’égalité en dignité et en droits était un droit humain fondamental, non pas une concession négociable.
44. Il convient, dans ce contexte, de mentionner l’introduction des « principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre » datant de novembre 2006. Ces principes ont été conçus et adoptés à l’unanimité par un groupe d’éminents spécialistes des droits de l'homme originaires de différentes régions du monde et venant d’horizons divers 
			(23) 
			Pour
des informations plus précises et une liste exhaustive des principes,
voir : <a href='http ://www.yogyakartaprinciples.org'>http ://www.yogyakartaprinciples.org</a>.. C’est un instrument important pour définir les obligations des Etats en ce qui concerne le respect, la protection et l’application des droits de l'homme pour toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Ces principes rappellent également que les droits de l'homme sont au service de la dignité humaine.
45. Lorsqu’il s’est adressé aux participants à la réunion du Comité d’experts (intergouvernemental) sur la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, tenue le 18 février 2009, au Conseil de l'Europe, à Strasbourg, M. Michael O’Flaherty, rapporteur sur les principes de Jogjakarta, a conclu son intervention par le message d’un blogueur anonyme commentant les principes de Jogjakarta :
« Hier, je n’étais personne/rien. Aujourd’hui, après avoir lu ces principes, je me rends compte que selon le droit international en matière de droits de l'homme, je suis officiellement un être humain ».
46. Cependant, les tentatives pour instaurer une législation interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre rencontrent encore souvent des résistances. Par exemple, au début du mois de mars 2009, un projet de loi antidiscrimination qui interdisait notamment la discrimination fondée sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle a été retiré du calendrier des travaux du Parlement serbe, mais par la suite il a été présenté à nouveau devant le parlement et finalement adopté. La responsabilité des parlements nationaux en matière de lutte contre la discrimination est essentielle 
			(24) 
			Voir
également Doc. 11743, «Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle»,
Question écrite n° 555 au Comité des ministres, relative à Monaco.. Le commissaire aux droits de l'homme n’a cessé d’appeler à la mise en place d’une législation antidiscrimination complète dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe.

3.2. Le devoir du Conseil de l'Europe de promouvoir un message clair de tolérance et de non-discrimination

47. « Plus jamais ça ! ». Le Conseil de l’Europe est né de cette volonté d’éviter à tout prix que l’histoire ne se répète. Il a donc pour mission d’assurer une garantie efficace des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit et de promouvoir un message clair de tolérance et de lutte contre les discriminations. A cet égard, n’oublions pas que les homosexuels étaient eux aussi des victimes des Nazis.
48. En pratique, le Conseil de l'Europe a toujours œuvré pour l’égalité et la diversité et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a déjà condamné à plusieurs reprises la discrimination en Europe fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre 
			(25) 
			Voir notamment les Rec 1117 (1989) - La condition des transsexuels ; Rec 1470 (2000) - Situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires
en matière d'asile et d'immigration dans les Etats membres du Conseil
de l'Europe ; Rec 1474
(2000) - Situation des lesbiennes et des gays dans les Etats
membres du Conseil de l’Europe ; et Rec 1635 (2003) - Les lesbiennes et les gays dans le sport. (voir également ci-dessous).
49. Le commissaire aux droits de l'homme (qui a fait de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre l’un des domaines prioritaires de son Bureau), le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe ainsi que le Secrétaire Général de l’Organisation ont, à plusieurs reprises, traité ces questions et condamné l’homophobie et la transphobie.
50. Dans ses réponses aux recommandations de l’Assemblée parlementaire et du Congrès et, plus récemment, aux questions écrites des membres de l’Assemblée, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a également rappelé le principe de l’égalité de jouissance des droits de l'homme, indépendamment de toute considération comme l’orientation sexuelle et l’identité de genre et a évoqué principalement les questions de liberté d’expression, de réunion et d’association et le discours homophobe. Il a, en outre, réaffirmé que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle n’était pas compatible avec la valeur de tolérance et le principe d’égalité que tous les Etats membres sont tenus de respecter 
			(26) 
			Voir
notamment la réponse du Comité des ministres (CM) à la question
écrite n° 524 que lui a adressée Mme Acketoft sur
le thème « Interdiction d’une manifestation d’homosexuels à Chişinău »,
adoptée le 7 novembre 2007 ; la réponse du CM à la question écrite
n°567 de M. Jensen « Droits des homosexuels en Russie », adoptée
le 23 septembre 2009 ; et la réponse du CM à la Question écrite
N° 568 de M. Jensen : « Droits des homosexuels en Lettonie », adoptée
le 23 septembre 2009..
51. En outre, en juillet 2008, le Comité des Ministres a souligné le profond attachement du Conseil de l'Europe aux principes de l’égalité des droits et de la dignité de tous les êtres humains, dont les personnes LGBT. Il a réaffirmé que les normes du Conseil de l'Europe sur la tolérance et la non-discrimination s’appliquaient à toutes les sociétés européennes et que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’était pas compatible avec ces normes.
52. Dans ce contexte, il a été décidé d’élaborer une recommandation du Comité des Ministres (aux Etats membres) sur les mesures de lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ; sa rédaction est en cours. Le Comité des ministres a aussi lancé des travaux sur la question des diverses formes conjugales et non conjugales de partenariat et de cohabitation en vue de déterminer d’éventuelles mesures à prendre pour prévenir la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre (voir ci‑dessous).
53. De plus, le Comité des ministres a adressé un message à tous les comités participant à la coopération intergouvernementale au Conseil de l'Europe en les invitant à accorder une attention particulière, dans leurs activités, à la nécessité pour les Etats membres de prévenir toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et d’y remédier, lorsqu’elle se produit. Ces comités ont été, en outre, chargés de formuler des propositions d’activités pour renforcer l’égalité des droits et la dignité des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres et combattre les attitudes discriminatoires à leur égard au sein de la société.

3.3. Initiatives récentes d’autres forums internationaux pour lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

54. En décembre 2008, 66 Etats, dont 41 sont membres du Conseil de l'Europe, ont, à l’Assemblée générale des Nations Unies, approuvé une Déclaration sur les droits de l'homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre qui condamne les violations fondées sur ces critères comme les assassinats, les actes de torture, les arrestations arbitraires et la privation des droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à la santé. En juin 2008, l’Organisation des Etats américains a aussi publié une déclaration sur « Les droits de l'homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre ».
55. La première partie du rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur « L’homophobie et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans les Etats membres de l’Union européenne » (voir ci-dessus), une étude comparative juridique, a été publiée en juin 2008. La deuxième partie, une étude comparative sociale, a été publiée le 31 mars 2009. En juillet 2008, la Commission européenne a proposé une directive antidiscrimination qui garantirait une protection égale de tous contre la discrimination fondée sur divers critères, dont l’orientation sexuelle.
56. En janvier 2009, le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de veiller à ce que les Etats membres accordent l’asile aux personnes qui fuient les persécutions dont elles font l’objet dans leur pays d’origine à cause de leur orientation sexuelle, de prendre des initiatives aux niveaux bilatéral et multilatéral pour mettre fin aux persécutions du fait de l’orientation sexuelle des personnes, et de lancer une étude sur la situation des personnes transgenres dans les Etats membres et les pays candidats, concernant, en particulier, les risques de harcèlement et de violence.

4. Liberté de réunion et d’association et liberté d’expression 
			(27) 
			Voir les travaux du
Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe
sur la liberté de réunion et d’expression pour les lesbiennes, gays,
bisexuels et transsexuels, Résolution n° 230(2007), Recommandation n° 211(2007)
et document CPL(13)9 Partie 2, du 15 janvier 2007. : des droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l'homme

4.1. Développements récents

57. Le droit des personnes LGBT à la liberté de réunion et d’association et à la liberté d’expression a rencontré une vaste opposition dans bon nombre d’États membres du Conseil de l'Europe, y compris dans des pays membres de l’Union européenne. Cette opposition s’est manifestée de diverses manières, notamment par l’interdiction des marches, l’utilisation par certains chefs politiques et représentants religieux d’un discours intolérant ou malveillant, des agressions violentes de manifestants (comme en Lettonie en 2005, en Russie en 2007, en Moldova en mai 2008 et en Hongrie en juillet 2008) et l’absence de protection adéquate de la part de la police. En 2008, en Bosnie‑Herzégovine, de nombreuses publications ont appelé à « lyncher et lapider » les organisateurs du « Queer Festival » (Festival LGBT) de Sarajevo et huit personnes ont été blessées à l’ouverture de la manifestation. En Lituanie, en 2007, les autorités de Vilnius ont même refusé d’accorder l’autorisation à un camion anti-discrimination de l’Union européenne de faire étape dans la ville comme initialement prévu dans le cadre de l’Année de l’égalité des chances pour tous.
58. Dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe – par exemple, en Lituanie et en Moldova – des organisations LGBT ont renoncé à tenir une Marche des fiertés en 2009. En Russie, la Marche des fiertés de Moscou s’est à nouveau vue interdite en 2009. En mai 2009, la police a violemment dispersé les manifestants lors de la Marche slave des fiertés à Moscou (interdite), arrêtant un certain nombre de militants qui protestaient contre la discrimination des personnes LGBT. Toujours en Russie, en mai 2009, dans une quarantaine de villes, des militants ont organisé une mobilisation éclair (« Rainbow Flashmob ») en l’honneur de la Journée internationale contre l’homophobie, arborant des slogans contre leur invisibilité (comme à Saint-Pétersbourg, par exemple). En Ukraine, les autorités municipales de la ville de Mykolayiv ont interdit le festival « Rainbow spring 2009 » pour la deuxième année consécutive.
59. Dans certains cas, cependant, les tribunaux ont finalement réussi à annuler les interdictions imposées par les autorités municipales.Ainsi, en Lettonie, en mai 2009, l’interdiction de la Marche balte des fiertés a finalement été levée et la manifestation s’est déroulée dans le calme.En mai 2008, un tribunal d’Istanbul a ordonné la dissolution de l’association LGBT dénommée Lambda Istanbul.Cette décision a finalement été annulée en appel par la Cour suprême en novembre 2008.
60. Comme l’a souligné le Congrès en 2007 à l’occasion de son débat sur la liberté de réunion et d’expression des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels, les récents incidents homophobes survenus dans plusieurs États membres ont montré que non seulement les droits fondamentaux de la communauté LGBT étaient systématiquement bafoués, mais aussi que bien souvent les autorités ayant l’obligation positive de protéger les citoyens contre la discrimination sont les mêmes qui en réalité cautionnent, voire dans certains cas soutiennent activement ou commettent ces injustices. En revanche, dans certains Etats membres de l’Union européenne, des organisations LGBT ont célébré des «Marches des fiertés» avec la participation de ministres, de partis politiques et, parfois, d’instances religieuses. En Suède, le ministre des Affaires européennes a ouvert l’EuroPride 2008 de Stockholm, événement qui a attiré plus de 80 000 participants, dont l'Eglise luthérienne suédoise 
			(28) 
			Voir le rapport de
la FRA, section II, sur la situation sociale...
61. Il est manifestement nécessaire de réaffirmer les normes dans ce domaine et d’exhorter les autorités concernées à les appliquer.

4.2. Les normes 
			(29) 
			L’ONG Article 19 élabore
actuellement un manuel de défense répertoriant des principes et
des politiques à suivre pour appliquer les normes internationales
en matière de liberté d’expression et les bonnes pratiques en matière d’orientation
sexuelle et d’identité de genre.

62. La liberté d’expression et la liberté d’association et d’assemble sont consacrées par la Convention européenne des droits de l’homme (articles 10 et 11), qui a été ratifiée par l’ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. En outre, la Convention interdit la discrimination dans l’application des droits qui y sont énoncés (article 14). Par conséquent, toute personne doit pouvoir jouir du droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, sans discrimination. En d’autres termes, les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transsexuels jouissent du même droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion que tout autre personne dans les États membres du Conseil de l'Europe.
63. Toute restriction concernant l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion doit être prévue par la loi et nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui.
64. Les autorités jouent un rôle central dans la défense du droit à la liberté de réunion et d’expression. Ce rôle comprend l’obligation positive de l’État d’assurer une protection efficace et de veiller au respect des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels qui souhaitent se réunir et s’exprimer, même si leurs opinions sont impopulaires ou ne sont pas partagées par la majeure partie de la société.
65. Comme l’a souligné le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe en janvier 2008, « selon la jurisprudence établie de la Cour européenne des Droits de l’Homme, une manifestation pacifique, qu’elle soit en faveur des droits des personnes LGBT ou d’autres personnes, ne peut pas être interdite uniquement en raison de l’existence de comportements hostiles envers les manifestants ou les causes qu’ils défendent. Au contraire, il incombe à l’Etat d’adopter des mesures raisonnables et appropriées afin d’assurer le déroulement pacifique des manifestations licites. Dans plusieurs de ses arrêts, la Cour a souligné que toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est contraire à la Convention. Tous les Etats membres doivent respecter la Convention lorsqu’ils appliquent leur législation nationale, notamment à la lumière de la jurisprudence de la Cour » 
			(30) 
			CM/Cong(2008)Rec211
final, Réponse du Comité des Ministres à la Recommandation n° 211(2007)
du Congrès, 18 janvier 2008, paragraphe 3. Voir aussi la réponse
du Comité des Minstres du 7 novembre 2007 à la question écrite n° 524
de Mme Acketoft : «Interdiction d’une
manifestation d’homosexuels à Chişinau» et la réponse du Comité
des Ministres du 6 février 2008 à la question écrite n° 527 de M. Huss :
«Interdiction d’une manifestation de lesbiennes, de gays, de bisexuels
et de transsexuels à Moscou en 2007». Voir aussi les directives
OSCE/BIDDH sur la liberté de réunion..
66. Le Comité des Ministres 
			(31) 
			Voir
CM/Cong(2008)Rec211 final, réponse du Comité des Ministres à la
Recommandation n° 211(2007) du Congrès, 18 janvier 2008, paragraphe 4. a également invité tous les États membres à mettre en œuvre ses Recommandations n° R (97) 20 relative au « discours de haine » et n° R (97) 21 relative aux « médias et à la promotion d’une culture de tolérance » pour ce qui concerne les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels. La Recommandation relative au discours de haine affirme qu’ « une responsabilité particulière incombe (…) aux autorités et institutions publiques (…) de s'abstenir d'effectuer des déclarations (…), un discours (…) et d'autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l'intolérance », en particulier lorsqu’ils sont propagés à travers les médias. Toute ingérence dans la liberté d'expression devrait être « étroitement limitée et appliquée de façon non arbitraire conformément au droit, sur la base de critères objectifs (et) faire l’objet d'un contrôle judiciaire indépendant ».
67. En 2007, dans l’affaire Bączkowski et autres c. Pologne 
			(32) 
			N° 1543/06, arrêt définitif
le 24 septembre 2007., la Cour des droits de l’homme a rendu son premier arrêt portant spécifiquement sur le droit à la liberté de réunion des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels. Elle a jugé que l’interdiction en 2005 de la parade de l’égalité par les autorités de Varsovie constituait une violation de la Convention (articles 11 et 14). La Cour a attiré l’attention sur l’obligation positive de l’État de garantir la jouissance effective des droits de la Convention, en soulignant que «cette obligation [revêtait] une importance particulière pour les personnes ayant des points de vue impopulaires ou appartenant aux minorités, parce qu’elles [étaient] plus vulnérables à la victimisation ». Faisant référence à une déclaration publique du maire de Varsovie d’alors, selon laquelle il refuserait d’autoriser la tenue de ces parades, la Cour a rappelé que l’exercice de la liberté d’expression par les élus « [entraînait] une responsabilité particulière ».

5. Reconnaissance juridique des couples de même sexe en Europe : des situations contrastées

68. Au regard du droit international, la décision du législateur visant à accorder aux couples de même sexe l’accès au mariage et/ou une forme de partenariat enregistré, ainsi que l’extension de privilèges à ces institutions, sont laissées à la libre appréciation de l’Etat. Toutefois, les pays de l’Union européenne sont tenus à certaines obligations : pour respecter l’interdiction de discrimination imposée par la législation de l’Union européenne, les Etats membres qui autorisent une forme d’union comparable au mariage aux couples de même sexe doivent garantir que ceux-ci jouissent des mêmes droits que les couples mariés.

5.1. Evolution de la législation en Europe

69. Dans l’Europe actuelle, il n’y a pas de consensus parmi les États membres du Conseil de l’Europe et la situation varie considérablement selon les pays en ce qui concerne la reconnaissance juridique des couples de même sexe. Dans certains pays, les partenaires de même sexe peuvent conclure un mariage civil, tandis que dans d’autres ils peuvent, en enregistrant leur partenariat et/ou en établissant un contrat officiel de cohabitation, obtenir la reconnaissance juridique et la protection de la plupart ou d’une partie des droits accordés aux couples hétérosexuels mariés. Toutefois, dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe, il n’existe aucune loi dans ce sens (voir le tableau ci-après). En outre, certains pays comme la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine et plus récemment la Lettonie, ont interdit le mariage homosexuel dans leur Constitution en définissant le mariage comme une union entre un homme et une femme.
70. La reconnaissance juridique des couples de même sexe est une question qui suscite de vives polémiques, et l’on constate des différences d’opinion à la fois entre les États membres et au sein de la population de chaque État. Pour certaines personnes, les couples de même sexe sont perçus comme étant « contre nature », une « menace » à la famille traditionnelle et/ou une atteinte à « l’ordre moral ». Dans le même temps, il faut également admettre que le refus de reconnaître les couples homosexuels entraîne un traitement discriminatoire dans l’application des droits inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme et laisse souvent les personnes concernées dans des situations d’incertitude et de détresse.
71. Au cours de l’audition de la commission juridique organisée en 2008, les experts ont estimé que la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe était un indicateur des progrès accomplis en matière d’égalité, de citoyenneté pleine et entière et de justice sociale. Ils ont présenté l’exemple du Royaume-Uni qui, au départ, était très hostile à la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe mais est devenu, depuis 2005, l’un des pays les plus libéraux en la matière. Les principaux facteurs qui ont facilité l’évolution de la législation et des attitudes seraient :
  • le degré de développement de la communauté LGBT;
  • la détermination d’un parti politique ou d’une coalition;
  • le rôle des organisations religieuses.
72. Au Royaume-Uni, la communauté LGBT a essentiellement appelé à la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe au nom de l’égalité des droits et des devoirs mais aussi de la nécessité de démontrer leur attachement mutuel et de voir cet attachement publiquement reconnu.
73. Malgré l’absence de consensus, les pays sont de plus en plus nombreux à adopter une forme de législation relative au statut des couples de même sexe. Comme l’a récemment souligné le Parlement européen, il conviendrait de prendre des mesures pour « faire en sorte que les partenaires de même sexe jouissent du même respect, de la même dignité et de la même protection que le reste de la société » 
			(33) 
			Résolution du Parlement
européen du 18 janvier 2006 sur l’homophobie en Europe.. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe a également déclaré que la reconnaissance juridique des couples de même sexe était nécessaire et que les prestations sociales et droits patrimoniaux doivent être accordés de manière non discriminatoire 
			(34) 
			Commissaire aux droits
de l’homme, Rapport annuel 2006 et Rapport sur sa visite en Slovénie
CommDH(2006)8..

Aperçu de la situation dans les États membres du Conseil de l'Europe 
			(35) 
			Pour plus de détails
sur la situation dans chaque État membre du Conseil de l'Europe,
voir le site Web de l’ILGA-Europe : <a href='http://www.ilga-europe.org'>www.ilga-europe.org</a>. Voir aussi «Sexual orientation discrimination in the
EU : national laws and the Employment Equality Directive», de Kees
Waaldijk et Matteo Bonini-Baraldi, La Haye : Editions Asser 2006
(voir <a href='http://www.emmeijers.nl/experts'>www.emmeijers.nl/experts</a>), ainsi que «The Chronological overview of the main
legislative steps in the process of legal recognition of homosexuality
in 45 European countries», de Kees Waaldijk, et «All’s well that
ends registered? The substantive and private international law aspects
of non-marital registered relationships in Europe», de Ian Curry-Sumner,
Antwerp/Oxford : 2005, partie 11. Voir aussi le rapport de l’Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne.

(les dates correspondent à l’entrée en vigueur de la législation pertinente)

Aucune reconnaissance juridique des couples de même sexe

Reconnaissance partielle de la cohabitation des couples de même sexe, mais absence d’enregistrement formel du partenariat ou du mariage

Enregistrement formel d’un partenariat ouvert aux partenaires homosexuels ET hétérosexuels

Enregistrement formel d’un partenariat ouvert UNIQUEMENT aux couples de même sexe

Accès des couples de même sexe au mariage civil

Albanie

Arménie

Azerbaidjan

Bosnie-Herzégovine

Bulgarie

Chypre

Estonie

Géorgie

Grèce

Italie

Lettonie

Liechtenstein

Lituanie

Malte

Moldova

Monaco

Monténégro

Pologne

Roumanie

Fédération de Russie

Saint-Marin

Serbie

Slovaquie

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

Turquie

Ukraine

Autriche (1998)

Croatie (2003)

Portugal (2001)

Statut quasi- équivalent à celui des couples mariés :

Pays-Bas (1998)

Statut inférieur à celui des couples mariés :

Andorre (2005)

Belgique (2000)

France (1999)

Luxembourg (2004)

Législation en préparation :

Irlande

Statut quasi- équivalent à celui des couples mariés) :

Danemark (1989)

Finlande (2002)

Allemagne (2001)

Islande (1996)

Royaume-Uni (2005)

Suisse (2007)

_____________

Statut inférieur à celui des couples mariés :

République tchèque (2006)

Slovénie (2005)

Hongrie (2009)

Belgique (2003)

Pays-Bas (2001)

Espagne (2005)

Norvège (2009)

Suède (2009)

[NB : Le Canada, l’Afrique du Sud et certains États des Etats-Unis ont adopté une telle législation]

74. Les partenariats enregistrés peuvent engendrer presque tous les avantages relatifs au mariage – c’est pourquoi l’on peut parler de « quasi-mariage » comme dans le cas du Royaume-Uni – ou bien seulement d’un nombre limité d’entre eux.

5.2. La dimension internationale 
			(36) 
			Le 19 novembre 2008,
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté une résolution
sur la non-discrimination (article 3 du Statut du personnel). Cette
résolution vise à accorder aux membres du personnel vivant en partenariat
enregistré et ne pouvant se marier tous les avantages dont bénéficient
leurs collègues mariés.

75. En 2000, l’Assemblée a exhorté les Etats membres à réviser leurs politiques en matière de droits sociaux et de protection des migrants afin de s’assurer que les partenariats et familles d’homosexuels sont traités sur un pied d’égalité avec les partenariats et familles d’hétérosexuels et à prendre les mesures nécessaires pour que les couples binationaux de lesbiennes et de gays jouissent des mêmes droits de séjour que les couples binationaux d’hétérosexuels. Plus récemment, le 14 janvier 2009, le Parlement européen a invité les Etats membres de l’Union européenne qui se sont dotés d’une législation relative aux partenariats entre personnes de même sexe à reconnaître les dispositions qui, adoptées par d’autres Etats membres, produisent des effets similaires ; il a, en outre, appelé les Etats membres à proposer des lignes directrices pour la reconnaissance mutuelle entre les Etats membres de la législation en vigueur afin de garantir que le droit à la libre circulation dans les pays de l’Union européenne des couples de même sexe s’applique dans des conditions égales à celles applicables aux couples hétérosexuels. En outre, il a exhorté les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à prendre, au nom du principe d’égalité, des mesures législatives pour combattre la discrimination à laquelle se heurtent certains couples du fait de leur orientation sexuelle.

5.3. Obligations/droits patrimoniaux et obligations/droits parentaux 
			(37) 
			Cette section s’appuie
essentiellement sur des informations fournies par des experts lors
des auditions tenues en 2008 et 2009 ainsi qu’à l’occasion de la
conférence organisée à Strasbourg, le 15 mai 2009, sur les familles
LGBT.

76. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,l’attribution de certains droits pécuniaires (prestations telles que pensions, allocations de décès, droits au bail, etc.) reste beaucoup moins problématique que l’octroi de droits de parentalité. Le cas de la Belgique illustre bien cette situation : alors que les couples homosexuels ont obtenu le droit de se marier civilement en 2003, leur droit d’adopter des enfants n’a pas été reconnu avant 2006.
77. Dans l’affaire Karner c. Autriche (2004) concernant une inégalité au niveau des droits de bail des couples hétérosexuels et homosexuels, la Cour a conclu que des « raisons particulièrement graves » devaient être fournies pour pouvoir exclure les couples de fait homosexuels des droits et obligations applicables aux couples de fait hétérosexuels.
78. À l’heure actuelle, dans deux affaires portées devant la Cour, des requérants avancent que les couples de même sexe devraient être dispensés de l’obligation de se marier pour prétendre à tel ou tel droit ou avantage 
			(38) 
			M.W.
c. Royaume-Uni (n°11313/02, irrecevable) et Schalk et Kopf c. Autriche
(n°30141/04)..
79. L’existence de couples de même sexe est un fait dans tous les États membres du Conseil de l'Europe. S'agissant du concept de la famille, il faut souligner qu'il a évolué au fil du temps dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe. L’idée traditionnelle de « la famille » représentée par la famille nucléaire –un couple hétérosexuel marié et ses enfants – s’écarte de plus en plus de la réalité vécue par une foule de familles européennes. En effet, dans maints pays, comme la Lettonie, m’a-t-on dit, les familles traditionnelles ne sont plus majoritaires. Il existe un grand nombre de familles monoparentales, de familles sans enfant, de cas d'enfants élevés par leurs grands-parents et de familles de même sexe (avec ou sans enfant). Tant au niveau national qu’européen, les efforts se multiplient pour reconnaître de nouveaux modèles familiaux et, plus particulièrement, pour protéger les droits des enfants élevés en dehors d’unités familiales traditionnelles fondées sur le mariage.
80. En outre, il ne faut pas oublier que certains couples de même sexe ont bel et bien des enfants (soit issus de relations hétérosexuelles antérieures, soit par le biais d’une conception assistée, d’une insémination artificielle ou d’une adoption). Les familles en question existent de fait et sont souvent appelées «familles LGBT». Rappelons-le, il s’agit là d’un fait sociétal, qui ne peut être simplement ignoré.
81. Bien souvent, la législation internationale et nationale ne reconnaît pas la réalité des relations familiales des enfants élevés dans une famille LGBT, ce qui constitue un danger potentiel pour leur sécurité juridique. À ce jour, la Cour n’ayant guère eu à se pencher sur les droits de ces enfants. Ce sont les Etats qui décident de la reconnaissance juridique à accorder, le cas échéant, à ces familles et de la protection à apporter à ces enfants. Si la plupart des enfants élevés dans des familles non traditionnelles partagent une certaine vulnérabilité juridique quant à leurs liens familiaux, pour les enfants grandissant au sein de familles LGBT, cette vulnérabilité fait presque invariablement partie de la vie ; par exemple, dans la majorité des pays, il n’existe aucune disposition législative permettant de reconnaître et de protéger la relation d’un enfant avec un « coparent » LGBT 
			(39) 
			Terme
employé pour désigner le parent non biologique d’un enfant élevé
dans une famille LGBT.. Ainsi, de nombreux enfants de parents LGBT se voient privés de la jouissance des droits familiaux que le droit international des droits de l’homme reconnaît à égalité à tous les enfants. La discrimination et le préjudice subis par les enfants de familles LGBT peuvent prendre une variété de formes. En particulier, ces enfants peuvent se voir privés de leur droit à vivre avec leurs parents et du respect de l'intégrité de leur vie familiale. En l’absence de reconnaissance juridique, les coparents LGBT se voient refuser la possibilité de prendre part à des décisions importantes – concernant, par exemple, le traitement médical et l’éducation de l’enfant. Ces conditions influent aussi sur la qualité des services sociaux dont bénéficient ces enfants. Leur sort peut devenir particulièrement dramatique en cas de décès du parent biologique. À l’évidence, cette situation ne coïncide pas avec l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel, selon la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, doit être la considération primordiale dans toutes les actions le concernant. C'est pourquoi la reconnaissance juridique de la situation des enfants nés ou élevés dans des familles LGBT est essentielle. Dans de nombreux cas, d’ailleurs, la législation ne ferait qu’entériner une réalité sociale. Ignorer cette réalité ne fait pas disparaître la réalité de leur existence, mais prive seulement ces enfants de la pleine jouissance de leurs droits 
			(40) 
			Pour plus d’informations,
voir le site «The rights of children raised in lesbian, gay, bi-sexual
or transgender families : a European perspective» - ILGA-Europe,
octobre 2008. Voir aussi l’étude sur les droits et le statut juridique
des enfants élevés dans différentes formes maritales ou non maritales
de partenariat et de cohabitation, Comité d’experts (intergouvernemental)
sur le droit de la famille, CJ-FA(2008)5..
82. L’adoption d’un enfant par des personnes homosexuelles est certainement l’une des questions suscitant le plus de doutes, d’opposition ou d’hostilité. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, la situation concernant l’adoption varie. Même dans les pays où elle est possible, il existe différents types de situations. Dans certains pays, le législateur a introduit une distinction entre l’adoption d’enfants non apparentés et l’adoption des enfants du partenaire : les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Islande et désormais également le Danemark (loi adoptée le 17 mars 2009) autorisent les partenaires homosexuels à adopter ensemble des enfants non apparentés, tandis que l’Allemagne et la Norvège autorisent un partenaire homosexuel enregistré à adopter l’enfant de son partenaire.
83. L’adoption individuelle par une personne non mariée, qu’elle soit ou non homosexuelle, est cependant plus largement permise, mais ce droit n’existe souvent que sur le papier. Dans la pratique, la plupart des personnes qui ne cachent pas leur homosexualité se voient refuser par les autorités l’autorisation d’adopter, souvent en raison de l’absence de modèle du rôle paternel/maternel favorable au développement harmonieux de l’enfant adopté. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment rendu un arrêt 
			(41) 
			Arrêt de la Grande
Chambre E.B. c. France, 22 janvier 2008. en la matière à propos du refus des autorités françaises d’accorder l’autorisation d’adopter à une femme homosexuelle. La requérante a allégué que ce refus était fondé sur son orientation sexuelle et qu’elle était victime d’une discrimination sur la base de son homosexualité. La Cour a conclu que la décision des autorités françaises allait à l’encontre de la Convention (violation de l’interdiction de la discrimination et du droit au respect de la vie privée et familiale).
84. Il est souvent avancé qu’accorder des droits parentaux tendrait à banaliser l’homosexualité et même à la rendre plus attrayante, et élever des enfants dans une famille LGBT ferait d’eux des homosexuels en puissance.Lors des auditions de la commission en 2008 et 2009, les experts ont souligné que le pourcentage d'enfants qui, élevés par des couples de même sexe, deviennent eux-mêmes homosexuels n'est ni supérieur, ni inférieur au pourcentage d'enfants qui, élevés par des couples hétérosexuels, deviennent homosexuels 
			(42) 
			Les
recherches approfondies de l’American Psychological Association
ont montré que les enfants élevés par des parents gay ou lesbiens
ne subissaient pas de conséquences négatives du point de vue de
leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. D’après
les études menées, les relations sociales de ces enfants avec les
autres enfants et avec les adultes correspondent à des modèles de
développement classique. Voir Lesbian and Gay Parents and their
Children : Summary of Research Findings, American Psychological
Association, 2005, 
			(42) 
			<a href='http ://www.apa.org/pi/lgbc/publications/lgparenting.pdf'>http ://www.apa.org/pi/lgbc/publications/lgparenting.pdf</a>. Par ailleurs, les enfants élevés par des parents homosexuels sont généralement plus tolérants.
85. De surcroît, comme le démontrent les exemples italien et espagnol, il n'y a pas de rapport de cause à effet entre la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe et le taux de natalité d'un pays, ainsi qu’il est souvent suggéré. Comme indiqué dans le tableau sur les préjugés ci-dessus, les pays nordiques, qui font partie des pays d’Europe ayant le mieux réussi à résoudre les problèmes démographiques, ont été parmi les premiers à octroyer des droits aux personnes LGB, alors que beaucoup des pays les plus répressifs envers elles connaissent des problèmes démographiques graves.
86. Au cours de mes visites, j’ai parfois entendu soutenir que la reconnaissance juridique des partenariats de même sexe et/ou le fait d’accorder des droits parentaux constituent un danger pour les « familles traditionnelles » (c’est-à-dire les couples hétérosexuels mariés avec enfants). Or, rien n’empêche les deux types de familles d’exister et de se développer au sein d’une même société ou dans le même pays. Si la famille dite « traditionnelle » (couple hétérosexuel marié avec enfants) est en perte de vitesse dans beaucoup de pays européens, en voici les raisons : de plus en plus d’hétérosexuels choisissent de ne pas se marier, le nombre de divorces augmente et davantage de couples hétérosexuels mariés choisissent de ne pas avoir d’enfants.
87. En 2004, l’Assemblée a recommandé au Comité des Ministres d’appliquer, dans la mesure du possible, une interprétation large de la notion de famille et, en particulier, d’inclure dans cette définition les membres de la famille naturelle, les concubins (y compris partenaires de même sexe), les enfants nés hors mariage, les enfants en garde conjointe, les enfants majeurs à charge et les parents à charge 
			(43) 
			Recommandation 1686 (2004), Mobilité humaine et droit au regroupement familial.. Comme déjà indiqué ci‑dessus, en juillet 2008, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a entrepris des travaux sur la question des diverses formes conjugales et non conjugales de partenariat et de cohabitation afin de déterminer d'éventuelles mesures à prendre pour prévenir la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.
88. En tant que rapporteur, j’estime qu’il est essentiel que les enfants grandissent entourés d’affection, ce qui peut certainement être tout aussi bien assuré par des familles « traditionnelles » que « non traditionnelles ». Quant aux droits familiaux des enfants élevés dans des familles LGBT, ils doivent être pleinement respectés. À cet effet, il est donc primordial et urgent que soit mis en place le cadre juridique nécessaire. À mon avis, cette démarche exige la reconnaissance juridique des couples de même sexe, en établissant, au minimum, la responsabilité parentale commune des enfants de chacun des partenaires en toute égalité avec les couples hétérosexuels, voire aussi le droit de chaque partenaire à adopter les enfants de l’autre partenaire.

6. Perspective historique et facteurs pouvant favoriser une approche respectueuse des droits de l’homme

89. À l’occasion de mes visites d’information et au cours des auditions tenues par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, des experts ont souligné qu’un certain nombre de facteurs sont essentiels pour favoriser l’évolution des comportements, ainsi que de la législation et des mesures pouvant empêcher ou combattre la discrimination. Certains ont également insisté sur la nécessité d’examiner la question dans une perspective historique, afin d’illustrer l’évolution des préjugés et de la discrimination existant dans telle ou telle société.

6.1. Quelques perspectives historiques

90. Comme il a été rappelé lors de l’audition tenue en 2008, il fut un temps (pas si lointain) où les personnes à cheveux roux et les gauchers se voyaient stigmatisés, discriminés pour des motifs qui paraissent aujourd’hui ridicules. De même, dans un certain nombre de pays, étaient stigmatisés les enfants nés hors mariage, ou dont les parents étaient divorcés ou qui étaient élevés par un parent seul, tout comme aujourd’hui les enfants grandissant dans des «familles LGBT».
91. Il est intéressant de noter que le Parlement européen définit l’homophobie comme « un sentiment irrationnel de peur et d'aversion à l'égard de l'homosexualité et des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et ‘transgenres’, fondé sur des préjugés et comparable au racisme, à la xénophobie, à l'antisémitisme et au sexisme » 
			(44) 
			Résolution du Parlement
européen sur l’homophobie en Europe, 18 janvier 2006..
92. À noter également que, dans le cadre d’un programme de suivi sur les discours de haine réalisé en Lettonie en 2006-2007, des déclarations homophobes émanant de personnalités publiques ont été comparées à des déclarations nazies contre les juifs ; il semblerait que la publication de ce rapport de suivi ait donné lieu à des améliorations.
93. Comme l’a rappelé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en mai 2009, « Tout le monde sait que des homosexuels ont été arrêtés et envoyés dans des camps de concentration par les nazis, mais on sait moins que beaucoup d’entre eux ont dû purger leur peine de détention après leur libération des camps. Cela peut paraître choquant, mais cette réaction s’inscrivait dans la logique de la discrimination profonde dont étaient victimes les homosexuels à cette époque en Europe […]. Il a fallu attendre 1990 pour que l’Organisation mondiale de la santé retire l’homosexualité de sa liste des maladies mentales et, il y a quelques années encore, l’homosexualité était toujours considérée dans plusieurs pays d’Europe comme une infraction criminelle ».

6.2. Facteurs favorables à une évolution de la législation et des attitudes

94. Il semble qu'une diversité de facteurs, et parfois une combinaison d'entre eux, peuvent jouer un rôle clé dans l'évolution des attitudes et de la législation. Reste que l’engagement en faveur des droits de l’homme et des principes de non-discrimination est certainement le facteur le plus déterminant.
a. Connaissance des questions en jeu et attachement aux droits de l’homme et aux principes de l'égalité de traitement et de la non‑discrimination :
  • le rôle des ONG et le degré de développement de la communauté LGBT ;
  • la capacité des personnes LGBT à s’organiser collectivement et à faire du lobbying auprès des principaux partis et organisations ;
  • les informations disponibles et le rôle des médias ;
  • le suivi (« monitoring ») de la situation des personnes LGBT en matière de droits de l'homme ;
  • un climat social et politique ouvert et, plus particulièrement, la quête de l'égalité ;
  • le rôle de certaines personnes (notamment le soutien apporté par les autorités politiques) ;
  • le degré de compréhension de ces questions et de connaissance objective des faits, notamment parmi les responsables politiques/législateurs ;
  • l'engagement d'un parti politique ou d'une coalition et la volonté de changement ;
  • la prise de conscience du fait que la législation doit reconnaître la réalité sociale ;
  • la compréhension des questions de droits de l'homme en jeu et le ferme engagement à promouvoir la dignité de tous les êtres humains, la tolérance et le respect ;
  • une opposition ferme à la discrimination à l'égard des personnes LGBT et la suppression de l'impunité pour les violations des droits de l'homme dont les personnes LGBT sont la cible ;
  • l'éducation au sens le plus large ;
  • les organes de promotion de l'égalité et les structures nationales de défense des droits de l'homme (médiateurs) dont les missions et pratique couvrent la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
b. Autres facteurs en jeu dans certains cas
  • le rôle des Eglises, leur degré d'« interventionnisme » sur ces questions et leur influence ;
  • la décentralisation, le rôle des pouvoirs locaux et le soutien de l'opinion publique ;
  • l’acceptation de la diversité et son caractère « traditionnel » ;
  • la participation des citoyens et les droits de décision collective.
c. La dimension internationale
  • les normes et valeurs des organisations internationales, notamment des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, qui soulignent que les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont universels ;
  • la jurisprudence des organes judiciaires internationaux ;
  • la reconnaissance de la nature internationale des questions considérées (notamment la reconnaissance des partenariats entre personnes de même sexe d'un pays à l'autre).

6.3. Exemples concrets

  • A Chypre, une décision de la Cour européenne des droits de l'homme a conduit à la dépénalisation de l'homosexualité.
  • En Espagne, pays pourtant doté d'une forte tradition catholique, le mariage civil est désormais ouvert aux couples de même sexe. Les principaux facteurs ayant facilité l'évolution de la législation et des attitudes seraient :
    • l’engagement d'un parti politique ;
    • la mobilisation de la communauté LGBT ;
    • le fait qu'un certain nombre de personnes ont pris leurs distances par rapport à l'Eglise catholique 
			(45) 
			En Pologne, mes interlocuteurs
ont souligné la différence entre l’Espagne et la Pologne à cet égard.
Ils ont rappelé que l’Eglise catholique en Pologne était toujours
perçue comme un fort vecteur de l’identité nationale, notamment
en raison du rôle qu’elle a joué pour vaincre le totalitarisme ;
par conséquent, elle jouit toujours d’une haute considération par la
majorité de la population. du fait de la position de certaines autorités religieuses sous le régime de Franco.
  • En Suisse, où la société est plutôt conservatrice, les cantons et les référendums d'initiative populaire sont à l'origine de l'évolution vers une reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe.
  • Au Royaume-Uni, (comme indiqué ci‑dessus) les principaux facteurs ayant facilité l'évolution de la législation et des attitudes seraient les suivants :
    • le degré de développement de la communauté LGBT ;
    • la détermination d'un parti politique ou d'une coalition;
    • le rôle des institutions à base religieuse.

6.4. L’importance du dialogue

95. À l’occasion de l’audition tenue par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme à Berlin en mars 2009, la question de la religion et de l’homosexualité a été soulevée, notamment quant à la possibilité d’un dialogue avec les institutions religieuses. À la demande de certains membres, j’ai indiqué que mon rapport traiterait brièvement cette question.
96. Les attitudes des autorités religieuses envers les personnes LGBT et leurs droits sont extrêmement variables. Selon le rapport de la FRA sur l’homophobie et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre (La situation sociale) en ce qui concerne les Etats membres de l’Union européenne :
  • Dans bon nombre d’Etats membres de l'Union européenne, les institutions religieuses conservatrices n’hésitent pas à s’élever contre les personnes LGBT, affirmant généralement que cet état est contraire à la doctrine religieuse et doit être combattu et non encouragé.Ces institutions vont parfois jusqu’à faire pression sur la législation qui protège plus spécialement les personnes LGBT et à faire campagne contre les événements LGBT ;
  • En revanche, il existe aussi des exemples de dialogue instauré entre personnes LGBT et des institutions et organisations religieuses. Certaines églises (ou branches confessionnelles) ont accueilli des personnes LGBT au sein de leurs communautés et tenté de désamorcer l’intolérance fondée sur des croyances religieuses. Ainsi, aux Pays-Bas en 1995, le synode de l'Eglise réformée néerlandaise a publié une déclaration selon laquelle les membres de l'Eglise jouissent de droits égaux, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur mode de vie. En Finlande, depuis 1999, la paroisse de Kallio à Helsinki, accueillerait des personnes LGBT et organiserait des messes dans le cadre de la Marches des fiertés dans plusieurs lieux. En Suède, l'Eglise luthérienne a participé à la Marche des fiertés 2008.
97. Certaines églises autorisent la bénédiction des couples de même sexe – telles, au Danemark, l’Eglise luthérienne dès 1997. Dans l’Eglise anglicane, au Royaume-Uni, les questions de la bénédiction des couples de même sexe et de l’ordination de prêtres gay et lesbiennes ont soulevé débats et controverses 
			(46) 
			Pour des informations
détaillées, voir «Imagine there’s a heaven!? The situation of Lesbians,
and Gays in the Churches of Europe» (la situation des lesbiennes
et des gays dans les Eglises d’Europe), par Randi O. Solberg, juin
2005. Voir aussi «Let Our Voices Be Heard! Christian Lesbians in
Europe telling their Stories» (Que nos voix soient entendues! Des
chrétiennes lesbiennes d’Europe racontent leur histoire), publié
en Allemagne, 2004. .
98. J'estime que le dialogue entre toutes les instances – pouvoirs publics, institutions nationales de défense des droits de l’homme, organismes chargés de promouvoir l’égalité, défenseurs des droits de l’homme œuvrant pour les droits des personnes LGBT et institutions religieuses –, fondé sur le respect mutuel, doit être encouragé afin d’améliorer la compréhension mutuelle et la protection des droits des personnes LGBT.

7. Conclusion

99. Le manque de connaissances et de compréhension concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre est un défi à relever dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, car il entraîne toute une série de violations des droits de l’homme.
100. L’éradication de l’homophobie et de la transphobie nécessite la volonté politique des Etats membres de mettre en œuvre une approche cohérente en matière de droits de l’homme et de se lancer dans un vaste éventail d’initiatives. L'éducation au sens le plus large est essentielle pour susciter des changements. Il incombe tout particulièrement aux parlementaires d’initier et de soutenir des changements dans la législation, les pratiques et les politiques appliquées par les Etats membres du Conseil de l’Europe. Le Conseil de l’Europe a aussi le devoir de promouvoir un message clair en matière de respect et de non-discrimination, afin que tout un chacun vive dans la dignité et le respect dans tous ses Etats membres.
101. Il convient de prendre des mesures concrètes pour combattre la discrimination spécifique dont sont victimes les personnes transgenres et pour éliminer les obstacles qui les empêchent de « vivre dans la dignité et le respect, conformément à l'identité sexuelle choisie par elles au prix de grandes souffrances » 
			(47) 
			Arrêt de la Cour, affaire
Christine Goodwin v. Royaume-Uni [Grand chambre], n°28957/95, paragraphe 91..
102. Le dialogue entre toutes les instances, fondé sur le respect mutuel, est également crucial pour améliorer la compréhension mutuelle, combattre les préjugés et faciliter les débats publics et les réformes sur les questions concernant les personnes LGBT.