1. Etat de la
procédure à ce jour
1. La commission des questions juridiques et des droits
de l'homme a proposé de choisir comme thème principal du débat sur
la situation des droits de l'homme en Europe, programmé pour la
partie de session de juin 2011, le thème suivant: «Les parlements
nationaux, garants des droits de l'homme en Europe», conformément
aux priorités définies par la
Résolution
1547 (2007), et la
Recommandation
1791 (2007) sur la situation des droits de l'homme et
de la démocratie en Europe. Le Bureau de l’Assemblée parlementaire
a accepté cette proposition lors de sa réunion du 8 octobre 2010.
La commission des questions juridiques et des droits de l'homme
m’a nommé rapporteur sur cette question le 17 novembre 2010.
2. Lors de sa réunion du 14 avril 2011, la commission a procédé
à une audition avec les experts suivants:
- M. Martin Kuijer, conseiller juridique des droits de l’homme
du ministre de la Sécurité et de la Justice, Pays-Bas
- Mme Almut Wittling-Vogel, agente des droits de l’homme
auprès du ministère fédéral allemand de la Justice;
- M. Alexey Ivanovich Aleksandrov, président de la commission
de législation constitutionnelle du Conseil de la Fédération de
Russie;
- M. Murray Hunt, conseiller juridique, commission parlementaire
mixte des droits de l’homme, Royaume-Uni.
3. Un questionnaire portant sur le contrôle parlementaire des
normes européennes en matière de droits de l'homme
a été adressé en anglais, français, allemand
et russe aux parlements de l'ensemble des 47 Etats membres du Conseil
de l'Europe le 30 novembre 2010. Il visait à obtenir des informations
sur les structures parlementaires mises en place au niveau national
pour assurer le suivi et l’évaluation de façon régulière de l’application
des normes internationales en matière de droits de l'homme:
- Quelles sont les structures
parlementaires qui existent pour assurer de façon régulière le suivi
et l’évaluation de la mise en œuvre des normes internationales en
matière de droits de l'homme? Y a-t-il des (sous-)commissions spéciales
pour assurer cette évaluation et ce suivi réguliers? S’il n’existe
pas de telles structures, quelles sont les mesures qui sont prises
pour en créer?
- Existe-t-il dans votre structure parlementaire des groupes
parlementaires informels? Le cas échéant, veuillez préciser, en
indiquant aussi les arrangements ad hoc avec des organisations non gouvernementales
(ONG) et des institutions nationales de défense des droits de l'homme.
- Quelle formation particulière est assurée aux parlementaires
et/ou à leurs collaborateurs en ce qui concerne les droits de l'homme?
Les parlementaires et leurs collaborateurs bénéficient-ils du soutien d'experts
juridiques indépendants spécialistes des droits de l'homme? Veuillez
préciser.
4. Trente-six Etats membres ont répondu à ce questionnaire. Le
présent rapport expose les principales conclusions de cette enquête.
2. Objet
du présent rapport
5. Le respect des droits de l'homme est une condition
préalable indispensable à l’existence d’une démocratie effective
, et inversement; il semble donc
indispensable que les parlements jouent un rôle déterminant en matière
de droits de l'homme.
6. Toutefois, en dépit de leur rôle crucial dans toute démocratie,
les parlements sont souvent oubliés dans le débat sur les droits
de l'homme. C’est, en effet, le pouvoir judiciaire, en charge au
quotidien des recours contre les violations des droits de l'homme,
qui est le plus souvent désigné comme le garant de ces droits. En outre,
même la société civile, par l’intermédiaire de diverses ONG et des
médias, semble bien souvent plus soucieuse de la protection des
droits de l'homme que les parlements.
7. L’examen plus attentif de la réalité de la situation montre
pourtant que les parlements et les parlementaires devraient se situer,
et se trouvent effectivement, au cœur de la protection des droits
de l'homme. Les parlements, expression de la représentation du peuple,
définissent le cadre législatif dans lequel les sociétés fonctionnent.
Un tel cadre législatif doit se conformer aux normes nationales
et internationales en matière de droits de l'homme et de primauté
du droit. La législation permet certes de garantir les droits de l'homme,
mais elle peut également être à l'origine de leur violation. Comme
les parlements adoptent les lois qui sont ensuite appliquées par
l’administration et interprétées par les tribunaux, ils devraient
également en contrôler l'application par l'exécutif.
8. Les parlements et leurs membres incarnent le lien entre le
peuple, sujet des droits de l'homme, et les pouvoirs publics. Ils
ont le pouvoir de jouer un rôle majeur dans la protection des droits
de l'homme dans une société démocratique.
9. Ce rapport vise à examiner les divers moyens dont disposent
les parlements en matière de protection des droits de l'homme et
à souligner leur rôle dans ce domaine.
10. Il traite des parlements nationaux européens. Toutefois, compte
tenu du rôle exceptionnel du Parlement européen, qui exerce une
influence croissante sur la politique relative aux droits de l'homme
des Etats membres de l’Union européenne, d’une part, et de l’adhésion
prochaine de l’Union européenne à la Convention européenne des droits
de l'homme («la Convention»), d’autre part, le rapport évoquera
aussi les mécanismes et les pratiques du Parlement européen en la
matière.
11. A l’exception de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
le rapport n’étudiera pas les organes parlementaires internationaux
comme l’Association parlementaire du Commonwealth ou l’Assemblée parlementaire
de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
12. Dans le système européen de protection des droits de l'homme,
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme («la
Cour») revêt une importance capitale. C’est au Comité des Ministres
qu’il incombe avant tout de contrôler l'exécution des arrêts de
la Cour
. L’Assemblée
y contribue néanmoins fortement depuis 2000
.
13. Le rôle joué par les parlements nationaux dans l'exécution
des arrêts de la Cour retient moins l'attention. Dans mon dernier
rapport sur l'exécution des arrêts de la Cour, je soulignais l'importance
que revêt la participation des parlements nationaux à l'exécution
des arrêts de la Cour
. Cette thèse est ici reprise et développée.
14. La plupart des parlements nationaux n’exercent pas un contrôle
régulier et effectif sur l'exécution des arrêts de la Cour. Le présent
rapport recense les exemples de bonnes pratiques de certains Etats,
qui pourraient servir de modèle aux autres.
3. Définition et fonctions
3.1. Définition du parlement
15. Le parlement est la réunion des représentants du
peuple. Le terme lui-même provient du mot latin parliamentum et du mot français parlement, qui découle du premier
et désigne le fait de s’exprimer. Il s'agit donc d'une assemblée
de personnes qui s’expriment et discutent des affaires de l'Etat.
16. D'après l'Union interparlementaire (UIP), un parlement fondé
sur les principes démocratiques doit présenter les caractéristiques
suivantes: 1) être représentatif socialement et politiquement de
la diversité de la population et garantir l'égalité des chances
et la protection de l'ensemble de ses membres (représentativité); 2)
être ouvert à la nation par le biais de différents médias et transparent
dans la conduite de ses affaires (transparence); 3) être accessible
au public, ce qui suppose la participation des associations et des mouvements
de la société civile (accessibilité); 4) les parlementaires sont
tenus de rendre compte à l'électorat de l'exercice de leurs fonctions
et de l'intégrité de leur conduite, ce que garantissent la procédure
parlementaire et la tenue d’élections régulières (obligation de
rendre compte); enfin, 5) le parlement doit organiser efficacement
ses activités dans le respect des valeurs démocratiques et exercer
ses fonctions législatives et de contrôle dans l'intérêt de l'ensemble
de la population (effectivité)
.
17. L’article 3 du premier Protocole à la Convention européenne
des droits de l'homme précise que les Hautes Parties contractantes
s'engagent à organiser à intervalles raisonnables des élections
libres à bulletin secret, sous réserve qu'elles garantissent la
libre expression de l'opinion des citoyens dans le choix du corps législatif
.
3.2. Fonctions du parlement
18. Conformément à la doctrine de la séparation des pouvoirs,
la puissance publique est exercée par des institutions distinctes
et indépendantes les unes des autres, afin d'éviter toute concentration
du pouvoir par une seule et même personne ou institution. Selon
cette doctrine, le pouvoir législatif est exercé par le parlement, le
pouvoir exécutif est confié à un gouvernement chargé d'élaborer
et de mettre en œuvre une politique pour le bien commun de la société,
tandis que le pouvoir judiciaire est détenu par les tribunaux, qui
veillent à ce que la législation soit correctement appliquée et
à ce que toute faute soit sanctionnée de façon adéquate
.
19. Les parlements équilibrent les pouvoirs exécutif et judiciaire
en débattant de la législation, en l’adoptant et en assurant son
suivi. Ils définissent le cadre dans lequel s'exerce l'action de
l'exécutif et du pouvoir judiciaire, notamment en adoptant le budget
de l'Etat.
20. Les fonctions des parlements sont par conséquent les suivantes.
En premier lieu, ils légifèrent, c'est-à-dire qu'ils adoptent la
législation qui régit la société. Cette activité englobe la ratification
ou l'autorisation de ratification des conventions internationales,
ainsi que le fait de veiller à ce que les normes énoncées par ces conventions
soient transposées en droit interne et mises en œuvre. Deuxièmement,
ils approuvent le budget et définissent les priorités de la politique
nationale. Ils s’assurent dans ce cas que des fonds suffisants sont consacrés
à la mise en œuvre des droits de l'homme et que ces fonds sont utilisés
à bon escient. Troisièmement, ils surveillent l'action de l'exécutif
et l'examinent attentivement, afin de veiller à ce que le gouvernement,
l'administration et les autres instances étatiques respectent les
obligations en matière de droits de l'homme. Quatrièmement, les
parlementaires peuvent contribuer, en leur qualité de guides de
l'opinion publique, à l’instauration d’une culture des droits de
l'homme dans leur pays.
21. Nous examinerons à présent comment traduire dans les structures
parlementaires une politique en faveur des droits de l'homme, eu
égard aux fonctions que nous venons d'exposer.
4. Intégration de
la politique relative aux droits de l'homme dans les structures
parlementaires
4.1. Liberté d'expression
et d’information des parlementaires
22. La garantie de la liberté d'expression et de réunion
des parlementaires est indispensable à la qualité des débats, qui
constituent le principal instrument des parlements. Les parlementaires
doivent également être libres de rechercher, d'obtenir et de communiquer
des informations, ainsi que d'exprimer des idées sans crainte de
représailles, dans les limites de leur responsabilité devant les
électeurs. Leur statut d'indépendance et d'autonomie, qui leur permet
d'agir sans subir de pressions, exception faite des dispositions
internes prises par les partis, doit être protégé. Les privilèges
et immunités parlementaires sont à cet égard primordiaux. Les parlementaires
n'ont de compte à rendre qu’aux électeurs. Leur fonction doit être
inviolable. Ils ne peuvent être arrêtés, détenus et poursuivis (au
pénal ou plus rarement au civil) au cours de leur mandat qu'avec
le consentement du parlement
.
Ce principe a, à l'évidence, ses limites. Inviolabilité ne signifie
pas impunité. Elle permet uniquement au parlement de vérifier que
les poursuites engagées à l'encontre de ses membres sont fondées
en droit
.
En conséquence, les immunités ne sauraient en aucun cas permettre
d'empêcher qu'une enquête effective, indépendante et impartiale
soit ouverte au sujet de graves violations des droits de l'homme
.
4.2. Structures de gestion
des parlements
23. Les Constitutions nationales définissent les caractéristiques
essentielles des attributions et de l'organisation des parlements
et confèrent pour l'essentiel à ces derniers la compétence d'organiser
à leur guise leurs travaux et leurs procédures
.
24. Les parlements présentent en règle générale une structure
de gestion à deux niveaux
. La structure politique
est chargée de prendre les décisions qui ont trait aux questions
politiques soumises au parlement. Cette structure traduit la configuration
politique du parlement: les partis de la majorité et de l'opposition
y sont représentés. Elle est dirigée par un président. La structure
administrative seconde le processus de prise de décision politique.
Cette fonction est d’ordinaire assurée par un secrétariat placé
sous l'autorité du président, qui fournit les services administratifs
et autres services d'assistance aux parlementaires. Les agents du secrétariat
sont habituellement recrutés en fonction de leurs compétences et
rémunérés par le parlement. Ils sont indépendants vis-à-vis des
autorités politiques et sont tenus d'exercer leurs fonctions sans
tenir compte de l'apparentement politique des parlementaires concernés.
25. Les travaux des parlements s'effectuent principalement par
le biais des commissions, qui en sont les organes. Elles assument
les fonctions législatives et de contrôle, préparent le travail
de la plénière, examinent attentivement les textes de loi proposés
et soumettent des recommandations. Ces commissions peuvent être permanentes
ou non (ad hoc). Les premières, qui fonctionnent de façon continue
d'un mandat parlementaire à l'autre, assument l'essentiel des activités
parlementaires, tandis que les dernières sont constituées pour enquêter
ou faire rapport sur une question précise
. Les parlements
composés de deux chambres mettent souvent en place des commissions
mixtes chargées d'étudier les questions d'intérêt commun et d'en
rendre compte.
4.3. Législation: les
commissions des droits de l'homme, transversales ou spécialisées
26. Les parlements sont en principe libres de légiférer
selon les idées de leurs membres. C'est là l’une de leurs principales
fonctions, comme nous l'avons souligné tout à l'heure. Ils façonnent
le mode de fonctionnement des sociétés et définissent le cadre législatif.
Cependant, comme ils s’inscrivent au sein d'un Etat, ils sont également
tenus de respecter la Constitution et les obligations supranationales
et internationales. Les droits de l'homme touchent à l'ensemble
de ces secteurs. La question est donc de savoir comment organiser
les structures des parlements pour garantir le respect des obligations
nationales, supranationales et internationales en matière de droits
de l'homme au cours de la procédure législative.
27. Il existe, en gros, deux manières d’aborder les droits de
l'homme au sein des structures parlementaires et au moyen des commissions
parlementaires.
28. Dans le premier modèle, les droits de l'homme sont envisagés
comme une question transversale et horizontale, qui doit être prise
en compte («intégrée») dans les travaux de l'ensemble des commissions parlementaires.
Chaque commission parlementaire est ainsi considérée comme une «commission
des droits de l'homme». C'est la solution retenue en Andorre
,
Autriche
, Belgique
, au Danemark
,
en Estonie
, Union européenne
,
Finlande, France, Islande, aux Pays-Bas, en Norvège, Fédération
de Russie, République slovaque
,
Slovénie
,
Espagne
,
Suède et Suisse
.
29. Le deuxième modèle suppose de créer une commission parlementaire
spécialement chargée des droits de l'homme ou d'ajouter ce mandat
des droits de l'homme à la compétence d'une commission déjà existante. Cette
commission a souvent pour tâche de veiller à ce que les autres commissions
parlementaires agissent dans le respect des droits de l'homme. Ces
commissions existent dans les pays suivants: Bosnie-Herzégovine, Croatie
,
Chypre
,
République tchèque
, Géorgie
, Allemagne, Grèce, Hongrie
,
Irlande, Italie
, Lettonie
,
Lituanie, Luxembourg
, «l'ex-République yougoslave de
Macédoine», Moldova
, Pologne
, Roumanie,
Serbie
, Turquie
et Royaume-Uni.
30. Les informations recueillies et l'expérience montrent, selon
moi, que ce deuxième modèle présente d'indéniables avantages. Il
centralise les compétences et définit des axes. Je reviendrai plus
en détail sur ce point dans les propositions que je formule plus
loin.
4.4. Ratification des
conventions relatives aux droits de l'homme
31. Les conventions internationales relatives aux droits
de l'homme sont habituellement négociées et signées par les représentants
du pouvoir exécutif des Parties contractantes. Afin d'assurer leur
validité au sein d'un ordre juridique donné, elles peuvent être
ensuite ratifiées conformément aux obligations constitutionnelles spécifiques
des divers ordres juridiques. Dans la plupart des Etats, cette démarche
suppose la participation du parlement. Compte tenu du fait que les
parlementaires nationaux ne prennent en général pas directement
part à l'élaboration des conventions internationales ou au processus
décisionnel qui y est associé
,
l'UIP préconise une plus grande participation des parlementaires
nationaux à la négociation des instruments internationaux relatifs
aux droits de l'homme, dans la mesure où il leur appartient en définitive
d'adopter la législation pertinente et de veiller à sa mise en œuvre.
Ils devraient intervenir bien en amont de la ratification et participer, avec
les représentants du gouvernement, à l'élaboration des nouveaux
instruments au sein des instances délibératives internationales
.
32. Je ne puis que souscrire à ce souhait, que j'adresse à mon
tour aux Etats membres du Conseil de l'Europe. Les Etats membres
pourraient ainsi s'inspirer de la procédure prévue par le Protocole
n° 1 au traité de Lisbonne sur le rôle des parlements nationaux
dans l’Union européenne
,
qui met en place un mécanisme de rapport aux parlements nationaux
sur les textes de loi en cours d'élaboration au sein des institutions
de l’Union européenne.
33. Le processus d'élaboration de la Convention du Conseil de
l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (STCE n° 210) offre une excellente
illustration de la participation anticipée des parlementaires à
l'établissement d'un traité international. En l'espèce, la Déclaration
de Vienne de 2008, qui demandait au Conseil de l'Europe d'établir
un avant-projet, préconisait déjà la participation des parlements
.
A cet égard, le Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (CAHVIO) a régulièrement
tenu compte des contributions des parlements nationaux, par l'intermédiaire
de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
de l’Assemblée. Une campagne spécifique, intitulée «Stop à la violence
domestique faite aux femmes (2006-2008)», prévoyait une structure
informelle et efficace. Des parlementaires de référence ont été
désignés pour chaque parlement. Cette campagne a ensuite abouti
à la constitution du réseau de parlementaires de référence de l'Assemblée
parlementaire chargés de la lutte contre la violence à l'égard des
femmes, dont la mission consistait à intervenir au sein de leurs
parlements respectifs en faveur de la signature et de la ratification
de la convention
.
34. Cette convention est par ailleurs le premier instrument international
à prévoir la participation des parlements à la procédure de suivi.
Cette participation est double: à l'échelon national, les parlements
prennent part au suivi des mesures adoptées pour mettre en œuvre
la convention; à l’échelon européen, l'Assemblée parlementaire sera
invitée à faire régulièrement le point sur la convention.
35. Le réseau de parlementaires de référence constitué dans le
cadre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection
des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201)
représente un projet similaire. Là encore, l'Assemblée a mis en
place un réseau de parlementaires chargés d'associer les membres
des parlements nationaux à la dimension parlementaire de la Campagne
du Conseil de l'Europe «Un sur cinq contre la violence sexuelle
à l'égard des enfants», afin de coordonner l'action parlementaire
nationale, européenne et internationale en faveur de la lutte contre
les violences sexuelles commises sur les enfants, de faciliter le
partage des meilleures pratiques mises en œuvre dans chaque Etat
membre sur le plan de l'action législative et politique et de promouvoir
la signature et la ratification de la convention
.
36. Il conviendra à l’avenir de suivre ces exemples.
4.5. Contrôler l'action
de l'exécutif
37. Il incombe aux parlements de demander des comptes
à l'exécutif, en contrôlant son action et en veillant à ce qu'il
ne porte pas atteinte aux droits des citoyens. Ils peuvent, à cette
fin, demander à l'exécutif de leur remettre des rapports réguliers
sur ses activités, poser des questions aux ministres, créer des
commissions spéciales et organiser des visites sur le terrain, pour
enquêter sur l'action de l'exécutif et proposer des mesures rectificatives
.
38. Ces activités sont courantes et exigent une vigilance de chaque
instant. Le Parlement suisse a récemment offert un remarquable exemple
à cet égard: à propos de la constitution de listes noires par le Conseil
de sécurité des Nations Unies, il a adopté, contre l'avis du gouvernement,
une proposition qui imposait à la Suisse de ne plus appliquer les
sanctions pertinentes lorsque, à l'issue d'une période de trois
ans, l'intéressé n'avait pas été déféré devant une autorité judiciaire
ou n'avait pu saisir d'un recours une autorité indépendante. La
proposition a été adoptée à l'unanimité par le Conseil des Etats
(Sénat) et à une large majorité par la Chambre basse. Le Gouvernement
suisse a de ce fait été contraint de notifier cette décision au Conseil
de sécurité des Nations Unies
.
4.6. Contentieux
39. Dans certains ordres juridiques, les parlements nationaux
peuvent prendre part à la protection des droits de l'homme par le
biais du contentieux. Ainsi, en droit allemand, le tribunal constitutionnel
fédéral a compétence pour statuer sur une demande déposée par un
quart des députés du Bundestag, en cas de désaccord ou de doute
au sujet de la compatibilité sur la forme ou sur le fond du droit
fédéral ou du droit d’un Land avec la Constitution ou à propos de
la conformité du droit d’un Land avec le reste de la législation fédérale
.
Ce type de recours concerne souvent les droits fondamentaux consacrés
par la Constitution.
40. Les parlements devraient utiliser les possibilités de défense
des droits de l'homme que leur offre la procédure.
4.7. Liens avec les
institutions nationales chargées des droits de l'homme
41. Un certain nombre de pays ont mis en place des institutions
nationales indépendantes chargées des droits de l'homme
et
fondées sur les «Principes de Paris». Ces principes
,
qui ont été entérinés par la Commission des droits de l'homme des
Nations Unies
et l'Assemblée générale
des Nations Unies
, sont devenus
la référence internationalement admise, qui fixe les normes minimales
essentielles applicables au fonctionnement des institutions nationales
chargées des droits de l'homme. Elles exigent que les institutions nationales
compétentes en matière de droits de l'homme aient un mandat clairement
défini et élargi, fondé sur les normes universelles relatives aux
droits de l'homme; qu'elles jouissent d'une indépendance garantie
par la législation ou la Constitution et d'une autonomie par rapport
au gouvernement; qu'elles soient l'expression d'un pluralisme, y
compris au travers de leur composition, qui doit être le reflet
de la société dans ses grandes lignes; que des pouvoirs d'enquête
adéquats leur soient conférés et qu'elles bénéficient de moyens
suffisants.
42. Il convient d'étudier de façon plus approfondie les relations
avec ces institutions, car elles présentent un énorme potentiel
de protection des droits de l'homme à l'échelon national. A cet
égard, j'aimerais attirer l'attention de l'Assemblée sur les «lignes
directrices d’Abuja», établies en 2004 à Abuja (Nigeria), qui visent
à renforcer la coopération entre les institutions nationales chargées
des droits de l'homme et les parlements
.
4.8. Formation des parlementaires
et de leur personnel
43. Une protection suffisante des droits de l'homme ne
peut être assurée que si les parlementaires et leurs collaborateurs
connaissent et comprennent leur existence et leur portée. Comme
les parlementaires sont des guides d'opinion dont l’exemple compte,
la mise en place d'une culture parlementaire des droits de l'homme est
de la plus haute importance pour intégrer efficacement les préoccupations
relatives aux droits de l'homme dans tous les aspects de l'action
parlementaire. Rares sont les parlements qui offrent une telle formation:
c'est le cas en Bosnie-Herzégovine, au Danemark
,
en Estonie, dans l’Union européenne
,
en Finlande
,
en Géorgie
et dans «l'ex-République yougoslave
de Macédoine»
.
En Bosnie-Herzégovine, par exemple, la fondation allemande Konrad
Adenauer organise à l'intention des parlementaires et des agents
une série de séminaires sur les droits de l’homme, et notamment
sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.
44. Les parlements devraient dispenser davantage de formations
à leurs parlementaires et agents, comme le fait la Bosnie-Herzégovine.
Il convient, par ailleurs, de fournir aux nouveaux parlementaires
et agents des manuels sur les droits de l'homme.
45. A cet égard, le double mandat des membres de l'Assemblée,
qui sont à la fois membres de l'Assemblée et de leur parlement national,
présente un intérêt particulier pour sensibiliser leurs collègues
aux questions relatives aux droits de l'homme. J'estime qu'il est
de notre devoir à tous de contribuer à cette sensibilisation à tous
les niveaux possibles. Nous avons en la matière une responsabilité
particulière.
4.9. Promouvoir une
culture des droits de l'homme
46. L'intégration de la politique relative aux droits
de l'homme dans les structures parlementaires peut prendre de nombreuses
autres formes.
47. Les groupes informels qui transcendent les appartenances politiques
pour défendre des intérêts communs sont extrêmement utiles. Bien
qu'ils n’aient pas le pouvoir conféré aux commissions officielles,
leur caractère informel leur permet souvent de s'exprimer plus franchement,
ce qui les autorise à exercer leur influence au profit des questions
relatives aux droits de l'homme. Les données recueillies grâce au questionnaire
sur ce point sont peu nombreuses. Ces groupes informels sont extrêmement
rares au sein des parlements. On en trouve à l'Union européenne
,
en Pologne
, en Serbie
, en Suède
,
en Suisse
, en Turquie
et au Royaume-Uni
.
48. Les groupes informels sont un excellent instrument de promotion
et de compréhension des droits de l'homme. Ils fournissent aux parlementaires
des informations spécifiques sur un thème commun. Ils transcendent
bien souvent les divisions entre les partis politiques. J'espère
que davantage de ces groupes verront le jour au sein de nos parlements
respectifs.
49. Les parlementaires peuvent avoir une forte influence sur la
sensibilisation aux droits de l'homme, du fait de leur statut et
de leur caractère public. Dans les milieux politiques, les
«Early Day Motions» du Royaume-Uni
offrent un moyen efficace d'attirer l'attention des médias sur une
question, en l’inscrivant à l'ordre du jour
. Lorsqu'ils
intègrent les droits de l'homme dans le programme de partis politiques,
les parlementaires s'obligent à œuvrer en faveur du renforcement
de la culture des droits de l'homme. Les propositions conjointes
des principaux partis ou des principales coalitions et de l’opposition
démontrent l'importance de cette question au grand public, qui réalise
que l'ensemble des responsables politiques collaborent main dans
la main à la protection et à la promotion des droits de l'homme.
Parallèlement, les activités des parlementaires qui ont trait aux
droits de l'homme peuvent également améliorer la manière dont les
citoyens perçoivent leurs représentants, puisque ces activités leur
offrent de multiples occasions de démontrer leur prise de position humaniste
et fidèle à un certain nombre de principes.
50. Enfin, l'attribution de prix qui récompensent la défense des
droits de l'homme renforce considérablement la sensibilisation en
la matière. Depuis 1988, l’Union européenne décerne le Prix Sakharov
pour la liberté de l'esprit à des personnalités ou des organisations
pour leur dévouement exceptionnel à la cause des droits de l'homme.
Ce prix est décerné par le Parlement européen, dont les membres
ont ainsi le pouvoir de braquer les projecteurs sur les droits de
l'homme en sélectionnant et en examinant les éventuels lauréats
.
Les parlements nationaux attribuent des prix similaires, par exemple
en France, aux Pays-Bas ou au Portugal. Enfin et surtout, le Prix
des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire récompense l'action exceptionnelle
de la société civile en faveur de la défense des droits de l'homme
en Europe
.
5. Le contrôle du
respect des obligations relatives aux droits de l'homme
5.1. Rôle de l'Assemblée
à l'échelon européen
51. Le joyau du système européen de protection des droits
de l'homme est sans conteste la Convention européenne des droits
de l'homme, telle qu'interprétée par la Cour de Strasbourg. Sa jurisprudence
donne en effet corps et vie aux articles concis de la Convention.
L'exécution scrupuleuse, vigilante et consciencieuse des arrêts
par les Etats membres est une condition préalable indispensable
pour que les citoyens tirent parti de l'action menée par la Cour.
52. Bien que le contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour
incombe avant tout au Comité des Ministres en vertu de l'article
46, paragraphe 2, de la Convention, l'Assemblée contribue depuis
plusieurs années à l'exécution effective des arrêts de la Cour,
en exerçant une pression politique sur les gouvernements des Etats dans
lesquels les délais d'exécution des arrêts sont particulièrement
longs. Cela permet à l'Assemblée de montrer qu'elle prend ses responsabilités
pour protéger les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe et veiller
à ce que les Etats membres respectent soigneusement les normes de
la Convention.
53. Sans entrer dans les détails, j'aimerais souligner que l'Assemblée
a adopté depuis 2000 sept résolutions et six recommandations, qui
visent à aider les Etats à surmonter leurs faiblesses structurelles
et à accélérer le processus de respect scrupuleux des arrêts de
la Cour
.
5.2. Rôle crucial des
parlements nationaux
54. Il convient de ne pas faire abstraction du rôle capital
des parlements nationaux dans ce domaine, même s'il retient moins
l'attention.
55. Les autorités nationales ont l'obligation de garantir le respect
des droits et libertés consacrés par la Convention européenne des
droits de l'homme et ses protocoles. L'article 1 de la Convention
précise expressément que «les Hautes Parties contractantes reconnaissent
à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés
définis au titre I de la présente Convention». Il appartient donc
à chaque instance de l’Etat, qu'elle fasse partie du pouvoir exécutif,
judiciaire ou législatif, de prévenir les violations des droits
de l'homme commises à l'échelon national et d’y remédier.
56. Les parlementaires nationaux sont, en leur qualité de représentants
démocratiquement élus du peuple, bien placés pour examiner attentivement
l'action du gouvernement, de manière à garantir l'exécution rapide
et effective des arrêts de la Cour. Ils doivent veiller à ce que
les autorités compétentes adoptent les mesures nécessaires à l’exécution
d'un arrêt de la Cour défavorable à l'Etat concerné, puis examiner
attentivement le véritable contenu de ces mesures.
57. Dans le dernier rapport que j'ai consacré à l'exécution des
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme en janvier 2011,
après avoir constaté que dans les Etats où l’exécution des arrêts
est considérable les acteurs parlementaires prennent une part active
au processus d'exécution
,
je soulignais que la participation des parlements nationaux était
un instrument capital pour l'exécution des arrêts de la Cour
. Je déplorais également que les Etats
soient aujourd'hui aussi rares à s'engager activement dans cette
voie
.
58. De même, la Déclaration d'Interlaken du 19 février 2010
invite
au renforcement du principe de subsidiarité et à l'amélioration
de l'efficacité du système de contrôle de l'exécution des arrêts
de la Cour. Dans son préambule, elle mentionne expressément le rôle
joué par les parlements [nationaux] dans la garantie et la protection
des droits de l'homme à l'échelon national. Cette mention particulière
des parlements a été ajoutée à la déclaration juste avant la conférence
et on peut affirmer de façon catégorique que cette insertion est
le fruit de l'action menée par la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme de l'Assemblée sous la présidence de mon
prédécesseur, Mme Herta Däubler-Gmelin
.
Ma collègue, Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, a également fait
part de ses regrets: «il est quelque peu étrange de constater que
les documents adoptés à Interlaken ne fassent aucunement mention
de l’Assemblée, et à peine du rôle des parlements nationaux»
.
59. Il est notamment décevant de constater que l'actuel débat
sur l'avenir du système de la Convention ne semble pas tenir compte
du rôle joué par les parlements nationaux dans le contrôle de l'exécution
des arrêts de la Cour. A cette fin, la déclaration adoptée au terme
de la dernière conférence consacrée à cette question, qui s'est
tenue à Izmir les 26 et 27 avril 2011
,
mentionne le contrôle de l'exécution des arrêts, mais uniquement
sous l'angle du rôle du Comité des Ministres
.
60. L'établissement de structures parlementaires pertinentes progresse
lentement. Il existe néanmoins des raisons d'espérer, comme j'aimerais
vous le montrer au travers des quelques exemples de bonnes pratiques en
la matière.
5.3. Exemples de bonnes
pratiques
5.3.1. Le Royaume-Uni
61. Au sein du Parlement britannique, le principal mécanisme
de surveillance est assuré par la commission mixte des droits de
l'homme (Joint Committee on Human Rights): cette commission spéciale
se compose de 12 membres, dont six de la Chambre des communes et
six de la Chambre des Lords
.
Son mandat est étendu: elle est chargée d'examiner les questions
relatives aux droits de l'homme au Royaume-Uni (mais pas les affaires
individuelles). Son secrétariat compte deux experts indépendants
en droits de l'homme. Les autres commissions parlementaires examinent
à l'occasion les questions relatives aux droits de l'homme lorsque celles-ci
s'avèrent pertinentes pour leur mission, mais leur surveillance
n’est pas axée sur les droits de l'homme et elles ne sont pas assistées
par des experts indépendants en droits de l'homme.
62. Depuis sa création en 2001, la commission mixte des droits
de l'homme a élaboré plusieurs méthodes différentes d'assistance
au parlement, destinées à surveiller la mise en œuvre des normes
relatives aux droits de l'homme au Royaume-Uni. Les principales
d'entre elles consistent à examiner attentivement et systématiquement
tous les textes législatifs et réglementaires du gouvernement pour
vérifier leur compatibilité avec les obligations du Royaume-Uni
en matière de droits de l'homme, et notamment avec la Convention européenne
des droits de l'homme; procéder au suivi régulier de la réaction
du gouvernement face aux arrêts rendus par les juridictions dans
le domaine des droits de l'homme, aussi bien la Cour européenne
des droits de l'homme que les juridictions britanniques; réaliser
des enquêtes thématiques sur des questions précises relatives aux
droits de l'homme (par exemple le décès de prévenus en détention
provisoire, les affaires et les droits de l'homme, le droit des
personnes handicapées à mener une existence indépendante); donner
suite aux recommandations des instances internationales chargées
de contrôler le respect des droits de l'homme, comme les commissions
de contrôle des Nations Unies.
63. La nouvelle commission formée à la suite des élections législatives
de 2010 a poursuivi l'essentiel de ce travail, bien que sa capacité
à le faire ait été atténuée par les restrictions budgétaires
.
64. La ligne de conduite adoptée par la commission pour procéder
au suivi de la réaction du Gouvernement britannique face aux décisions
de justice ayant trait aux droits de l'homme est définie dans les recommandations
adressées aux ministères sur les suites à donner aux décisions de
justice portant sur les droits de l'homme
(Guidance
for Departments on Responding to Court Judgments on Human Rights),
publiées par la précédente commission mixte des droits de l'homme
en mars 2010, mais adoptées par la commission actuelle
. La commission attend du gouvernement
qu'il réagisse rapidement et pleinement aux décisions de justice
qui constatent l’incompatibilité du droit ou de la politique britannique
avec les droits de l'homme. Elle a établi un calendrier pour l’adoption
des mesures destinées à remédier à ces situations et entend connaître
les raisons de tout retard pris par rapport à ce calendrier. Les
intentions de la commission sont notamment les suivantes:
- elle attend du gouvernement
qu'il lui notifie rapidement toutes les décisions de justice pertinentes;
- elle entend que, dans un délai de quatre mois à compter
de la décision de justice, le gouvernement l’informe en détail de
l'attitude qu'il compte adopter à la suite de cette décision, notamment
des mesures générales qu'il se propose, le cas échéant, de prendre
et d'un calendrier établi à titre indicatif;
- elle attend du gouvernement qu'il prenne, dans un délai
de six mois à compter de la décision de justice, une décision définitive
sur le moyen de porter remède à cette incompatibilité constatée.
La commission examine attentivement les raisons invoquées par le
gouvernement pour justifier le non-respect du calendrier;
- la commission peut demander des preuves de la réponse
que le gouvernement propose d'apporter à la décision de justice,
écrire au gouvernement à ce sujet, interroger oralement le ministre
et faire rapport au parlement sur le fond de la mesure corrective
en question, notamment en lui indiquant si elle porte remède à l’incompatibilité
constatée et en lui faisant part de toute autre préoccupation sur
la manière dont la législation ou la politique concernée a été modifiée
à la suite de la décision de justice. La commission peut entendre
des témoins oraux sur les questions soulevées par des décisions
de justice précises;
- le gouvernement répond aux demandes particulières et a
désormais accepté de faire rapport chaque année en juillet;
- la commission mixte des droits de l'homme fait rapport
au parlement environ une fois par an sur les réponses faites par
le gouvernement à ses demandes;
- la commission peut proposer des modifications à apporter
à la législation afin que les décisions de justice produisent leurs
effets.
65. La commission mixte des droits de l'homme surveille essentiellement
la mise en œuvre des normes internationales relatives aux droits
de l'homme, y compris celles de la Convention européenne des droits
de l'homme, en examinant attentivement la compatibilité des textes
législatifs et réglementaires du gouvernement avec les droits de
l'homme. Elle examine ainsi soigneusement tous les projets de loi
du gouvernement et entend faire rapport suffisamment tôt sur un
projet de loi déposé devant le parlement, de manière à éclairer
les débats sur les éventuelles modifications du texte justifiées
par le respect des droits de l'homme. La commission agit de plus
en plus en amont dans son travail d'examen attentif des projets
de loi. Elle recense les textes susceptibles de poser problème sur
le plan des droits de l'homme et demande que leur bien-fondé lui
soit démontré avant leur publication. Les experts en droits de l'homme
de la commission rencontrent, lorsque cela s'avère possible, les
agents du gouvernement qui établissent le projet de loi, afin de
déceler les questions qui pourraient être soulevées en matière de
droits de l'homme par l’objet du texte. Les ministères transmettent désormais
fréquemment à la commission une note détaillée relative aux droits
de l'homme, qui expose précisément les motifs sur lesquels repose
la conviction qu’a le gouvernement de la compatibilité du texte
avec les obligations en matière de droits de l'homme du Royaume-Uni.
La commission demande par écrit au gouvernement de lui donner davantage
d'informations ou des éclaircissements sur l'explication qu'il avance
ou de lui préciser le fondement juridique de son point de vue. Elle
fait rapport au parlement à la lumière de la réponse du gouvernement
et son échange de courrier avec ce dernier est publié pour éclairer
le débat. Les rapports de la commission peuvent préconiser les modifications
à apporter au projet de loi pour que les recommandations de la commission
produisent leurs effets. Les membres de la commission peuvent déposer en
leur nom propre des amendements, la commission n'étant pas elle-même
habilitée à le faire.
5.3.2. Les Pays-Bas
66. Comme la plupart des autres Etats membres du Conseil
de l'Europe, les Pays-Bas ne disposent pas d'une procédure parlementaire
particulière de vérification de la compatibilité des projets de
loi avec la Convention européenne des droits de l'homme. Les fonctionnaires
chargés de rédiger les projets de loi doivent néanmoins tenir compte
d'«instructions» spécifiques en la matière, qui les obligent à préciser
pour quelle raison ce projet de loi est jugé compatible avec les
normes internationales applicables en matière de droits de l'homme.
Cette obligation conduit bien souvent le service des droits de l'homme
du ministère de la Justice à vérifier la compatibilité du texte
avec la Convention
.
67. En outre, lorsque le parlement fait part de ses doutes au
sujet de la compatibilité du projet de loi avec les droits de l'homme,
une disposition est ajoutée au texte, qui prévoit l'obligation de
procéder à son évaluation à l'issue d'un certain nombre d'années.
68. S'agissant du contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour
européenne des droits de l'homme, l'agent du gouvernement auprès
de la Cour présente chaque année au parlement un rapport sur les
arrêts rendus par la Cour contre les Pays-Bas. Ce rapport comporte
désormais, à la suite de la demande du Sénat en 2006, des informations
sur les mesures adoptées pour l'exécution des arrêts défavorables
de la Cour. Il comprend aussi des arrêts contre d'autres Etats parties
qui pourraient avoir un effet direct ou indirect sur le système
juridique néerlandais
.
69. Les résultats de cette méthode sont tangibles: à plusieurs
reprises, des arrêts rendus par la Cour dans des affaires qui portaient
sur la législation néerlandaise ou sur son application ont abouti
à la modification de la législation ou de la politique nationale.
Plusieurs modifications importantes ont ainsi été apportées à diverses dispositions
du Code pénal et du Code de procédure pénale, du droit administratif
et du Code de procédure administrative, de la législation applicable
aux ressortissants étrangers, du droit de la famille, du droit de
la sécurité sociale, du Code de procédure civile, du Code disciplinaire
militaire et de la législation relative à l'internement en hôpital
psychiatrique.
70. En outre, les arrêts rendus par la Cour contre d'autres Hautes
Parties contractantes peuvent également entraîner la modification
du droit interne. Un exemple récent illustre cette situation: immédiatement
après le prononcé de l'arrêt
Salduz , un débat parlementaire a conduit à entreprendre
les modifications qu'il convenait d'apporter à la législation néerlandaise.
5.3.3. Allemagne
71. Le Bundestag dispose de plusieurs mécanismes de rapport,
fort utiles. Premièrement, depuis 2007, conséquence directe de l'action
de l'Assemblée
, le ministre de la Justice
rend chaque année un rapport écrit au parlement sur les arrêts et
les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et leur
exécution en Allemagne. Depuis l’an dernier, un autre rapport présente
les affaires pertinentes qui concernent les Etats autres que l'Allemagne.
Deuxièmement, la commission des droits de l'homme et de l'aide humanitaire
participe à l'établissement des rapports destinés à diverses instances
des Nations Unies
.
Troisièmement, le gouvernement présente tous les deux ans un rapport
général sur les droits de l'homme au parlement et lui soumet un
plan d'action pour les améliorations à apporter
.
Enfin, le gouvernement rend souvent, de façon ponctuelle, des rapports
oraux et écrits sur les questions relatives aux droits de l'homme
à la commission parlementaire des droits de l'homme et de l'aide
humanitaire.
72. Les deux rapports annuels sur la jurisprudence de la Cour
de Strasbourg traitent de trois aspects: 1) l'ensemble des arrêts
et décisions rendus au cours d’une année donnée contre l'Allemagne;
2) les mesures prises pour l'exécution des arrêts rendus contre
l'Allemagne; et 3) les arrêts et décisions rendus contre d'autres Etats
et susceptibles de présenter une importance pour l'Allemagne. Ces
rapports sont transmis non seulement au parlement, mais également
aux autres services et personnes concernés. Ils sont publiés sur
le site web du ministère fédéral de la Justice
.
73. Il convient de noter qu'il s'agit là d'une évolution très
récente. Bien que les rapports consacrés aux arrêts et décisions
rendus contre l'Allemagne soient établis depuis 2004, les mesures
prises pour l'exécution des arrêts de la Cour n'y ont été intégrées
qu'à partir de 2007, à la demande du parlement.
74. Ces rapports s'avèrent particulièrement importants lorsqu'un
arrêt constate l'incompatibilité d'un texte de loi allemand avec
la Convention européenne des droits de l'homme. En pareil cas, la
modification du texte est normalement indispensable. La compétence
de suivi de l'exécution des arrêts par le gouvernement, assumée par
le parlement, rejoint sur ce point la compétence législative qui
représente l'essentiel de son action.
75. L'Allemagne a commencé à faire rapport sur la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme dans les affaires portant
sur d'autres pays à partir de l'an dernier. Ce rapport, établi par
un institut universitaire, est financé par le ministère fédéral
de la Justice et publié sur le site web du ministère
.
76. En outre, le ministère fédéral de la Justice évalue la compatibilité
avec les droits de l'homme, le droit de l'Union européenne et l'ordre
constitutionnel en vigueur en Allemagne de l'ensemble des projets
de loi. Lorsque ceux-ci portent sur d'importantes questions relatives
aux droits de l'homme, les conclusions de cette évaluation sont
présentées dans l'exposé des motifs officiels, qui est soumis au
parlement avec le projet de loi. Le gouvernement fédéral a l'obligation
de rendre compte de cette évaluation au cours des délibérations consacrées
au projet de loi dans les commissions parlementaires concernées
et de répondre aux questions des parlementaires.
77. Je salue tout particulièrement le mécanisme de rapport mis
en place pour les arrêts de la Cour, y compris pour les arrêts constatant
des violations commises par d'autres Etats, mais qui pourraient
avoir une incidence sur l'ordre juridique national. Cette pratique
reconnaît à bon droit l'autorité interprétative
(«res interpretata») des arrêts
de la Cour. J'ai déjà fait l'apologie de cette pratique lors de
la Conférence sur le principe de subsidiarité, qui s'est tenue à
Skopje les 1er et 2 octobre 2010
.
Ces rapports s'avèrent extrêmement utiles, puisque les arrêts qui
constatent des violations commises dans un Etat peuvent être d'un
grand secours pour prévenir la commission de nouvelles violations
des droits de l'homme, qui donneraient naissance à un grand nombre
de requêtes supplémentaires introduites devant la Cour par les citoyens
d'autres Etats.
5.3.4. Finlande
78. En Finlande, la commission de droit constitutionnel
publie une déclaration sur la constitutionnalité des projets de
loi et d'autres points soumis à son examen, ainsi que sur leur rapport
avec les conventions internationales relatives aux droits de l'homme;
l'appréciation des textes de loi se fait essentiellement au regard de
cet instrument international qu'est la Convention. Par ailleurs,
une fois par an, le gouvernement soumet un rapport aux parlements
sur la politique en matière de droits de l'homme de la Finlande.
La commission des affaires étrangères entend à cette occasion les
experts issus de différentes organisations et ONG et établit un rapport
de commission pour la plénière.
5.3.5. Roumanie
79. L'évolution constatée en Roumanie est prometteuse.
A la suite d'une initiative prise par l'Assemblée
, la Chambre des députés roumaine
a créé en 2007 une sous-commission de sa commission des questions juridiques,
spécialement chargée de contrôler l'exécution des arrêts de la Cour.
Elle se compose de sept parlementaires représentant l'ensemble des
groupes politiques. Lors d'une réunion de la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée tenue en avril
2011, M. Tudor Panţiru, président élu de la nouvelle sous-commission
roumaine et ancien juge à la Cour européenne des droits de l'homme,
a indiqué que la sous-commission avait commencé à travailler en
procédant à des auditions sur des questions spécifiques.
5.3.6. «L’ex-République
yougoslave de Macédoine»
80. D'après les informations écrites recueillies par
le secrétariat lors de la préparation de ce rapport, le parlement
de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» compte une commission
d'enquête permanente pour la protection des droits et libertés civils,
qui vérifie de plein droit la conformité de la législation avec
le droit international, et notamment la Convention européenne des
droits de l'homme. En outre, l’agent du gouvernement auprès de la
Cour de Strasbourg fait rapport chaque année à cette commission.
5.3.7. Italie
81. En Italie, la «loi Azzolini»
de
2006 constitue le fondement juridique d'une procédure de contrôle spéciale
de l'exécution des arrêts par le gouvernement et le parlement. Le
Premier ministre a l'obligation de communiquer immédiatement aux
deux chambres du parlement les arrêts rendus par la Cour européenne
des droits de l'homme au titre de l'Italie, afin qu'ils puissent
être examinés par les commissions parlementaires permanentes compétentes,
et soumet un rapport annuel au parlement sur les suites données
à propos de l'exécution de ces arrêts. Par ailleurs, les présidents
des deux chambres du parlement ont pris des circulaires qui soulignent
l'importance d'une vérification systématique de la compatibilité
des projets de loi avec la Convention, en vue d'anticiper et de
prévenir plus efficacement les violations.
5.3.8. Ukraine
82. Au cours d'une visite effectuée en Ukraine dans le
cadre de l'établissement d'un précédent rapport, un mémorandum d'accord
sur les suites données par l'Ukraine aux arrêts définitifs de la
Cour européenne des droits de l'homme a été signé le 9 juillet 2009
par M. Kivalov, président de la commission de la justice de la Verkhovna
Rada et membre de la commission des questions juridiques et des
droits de l'homme de l'Assemblée, et moi-même; ce document jugeait
souhaitable que la commission de la justice et une de ses sous-commissions
assurent le suivi de l'exécution des arrêts de la Cour qui concernent
l'Ukraine, ainsi que de toute autre jurisprudence pertinente de
la Cour. M. Kivalov a plus spécialement indiqué que la nouvelle
sous-commission de l'application des normes internationales de la
commission de la justice entreprendrait bientôt une analyse complète
de la situation de l'exécution des arrêts de la Cour en Ukraine.
83. Bien que ces éléments paraissent encourageants, je n'ai pas
pour l'instant été informé d'un quelconque fait nouveau à ce sujet.
5.3.9. Autres bonnes pratiques
84. La commission de la justice de la Chambre belge des
représentants a été chargée par la Conférence des présidents de
veiller à l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits
de l'homme. En Bosnie-Herzégovine, la commission constitutionnelle
et législative vérifie systématiquement la constitutionnalité des lois,
et notamment leur compatibilité avec la Convention européenne des
droits de l'homme, compte tenu du statut constitutionnel que cette
dernière a dans le pays.
85. En Grèce, la compatibilité des projets de loi avec la Convention
est vérifiée par le service scientifique du parlement, qui établit
un rapport non contraignant distribué aux parlementaires avant le
débat consacré à l'examen du projet de loi.
86. En Lituanie, la commission des questions juridiques vérifie
la constitutionnalité des projets de loi et leur conformité avec
les conventions internationales, dont la Convention européenne des
droits de l'homme.
87. En Fédération de Russie, le Conseil de la Fédération a créé
un centre de contrôle de la législation, en vue d’atténuer les atteintes
aux droits de l'homme. La commission de législation constitutionnelle
du Conseil de la Fédération assure le suivi des arrêts de la Cour
constitutionnelle russe qui n’ont pas été exécutés. J'espère que
ce suivi sera étendu au contrôle de l'exécution des arrêts de la
Cour européenne des droits de l'homme.
88. Il convient également de mentionner la Norvège, où une commission
informelle créée en 2009 est chargée de proposer une révision de
la Constitution, en vue d’y renforcer la place des droits de l'homme
. J'espère
que ses réflexions porteront aussi sur les mécanismes de contrôle
parlementaire.
89. En Irlande, une commission des droits de l'homme chargée de
promouvoir et de protéger les droits de l'homme dans la législation,
la politique et la pratique examine les projets de loi, publie des
déclarations de principe sur les questions relatives aux droits
de l'homme et adresse des recommandations au gouvernement. Elle
est cependant associée à un service du gouvernement et non au parlement,
ce qui atténue de façon regrettable l'influence exercée par le parlement
sur la définition d’une politique conforme aux normes applicables
en matière de droits de l'homme.
6. Conclusion et
propositions
90. Les bonnes pratiques que nous venons de décrire montrent
que, pour ce qui est de la création au sein des parlements nationaux
de procédures spécifiques de contrôle du respect des obligations
en matière de droits de l'homme, des progrès ont été réalisés au
cours de ces dernières années, notamment pour les mécanismes de
contrôle de l'exécution des arrêts de la Cour. Ils traduisent une
tendance positive et donnent des raisons d'espérer.
91. Pour autant, la situation est loin d'être satisfaisante. La
plupart des parlements nationaux n'exploitent pas, tant s'en faut,
la pleine mesure de leur capacité en la matière. Il est indispensable
de renforcer d'urgence la capacité des parlements nationaux à exercer
une surveillance efficace de la mise en œuvre des droits de l'homme.
92. Il convient de prendre des mesures plus audacieuses pour que
les parlements deviennent les véritables garants des droits de l'homme.
Le moment est venu de coordonner les initiatives et d’énoncer des
principes directeurs clairs. Nous avons vu les répercussions que
les «Principes de Paris» ont eues sur l'apparition et la rationalisation
des institutions nationales indépendantes chargées des droits de
l'homme. Il importe de définir un ensemble de principes fondamentaux
comparables à ceux-ci. C'est la raison pour laquelle je propose l'adoption
de ces principes fondamentaux:
Principes fondamentaux du contrôle
parlementaire des normes internationales relatives aux droits de l'homme:
1. Cadre et attributions adéquats
Les parlements nationaux établissent des structures parlementaires
adéquates pour garantir le suivi et le contrôle rigoureux et régulier
du respect des obligations internationales en matière de droits
de l'homme, qu'il s'agisse de commissions des droits de l'homme
spécifiques ou de structures analogues adéquates, dont les compétences
doivent être clairement définies et consacrées par la loi.
Ces compétences devraient englober, notamment:
- la vérification systématique
de la compatibilité des projets de loi avec les obligations internationales
en matière de droits de l'homme;
- l’obligation faite aux gouvernements de soumettre régulièrement
des rapports consacrés aux arrêts pertinents de la Cour européenne
des droits de l'homme et à leur exécution;
- l'initiative de propositions de loi et d'amendements à
la législation;
- des pouvoirs d'assignation de témoins et de communication
de documents dans le cadre de leurs compétences.
Ces commissions sont chargées de veiller à ce que les parlements
soient convenablement conseillés et informés sur les questions relatives
aux droits de l'homme. Il convient également de dispenser aux parlementaires
et à leur personnel une formation aux droits de l'homme.
2. Conseils indépendants
Les commissions des droits de l'homme, ou les structures analogues
adéquates, ont accès à une expertise indépendante dans le domaine
des droits de l'homme.
Des ressources suffisantes sont également mises à leur disposition
pour leur offrir l'appui d'un secrétariat spécialisé.
3. Coopération avec les autres institutions et la société
civile
Une coopération et un dialogue régulier sont maintenus, le
cas échéant, avec les instances nationales (par exemple, les institutions
nationales chargées des droits de l'homme, les membres des commissions parlementaires)
et internationales (par exemple, l'Assemblée parlementaire, le Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, les instances européennes
et les autres instances internationales chargées du suivi des droits
de l'homme) pertinentes, ainsi qu'avec les représentants d'organisations
non gouvernementales reconnues ayant une expérience significative
et pertinente.
93. J'aimerais encourager chacun d'entre nous à agir
en faveur de la mise en œuvre de ces principes fondamentaux, afin
que nos parlements deviennent de véritables garants des droits de
l'homme en Europe.