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Rapport | Doc. 12720 | 19 septembre 2011

Combattre les «images d'abus commis sur des enfants» par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteur : M. Agustín CONDE, Espagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12385 et Doc. 12396, Renvoi 3724 du 12 novembre 2010. 2011 - Quatrième partie de session

Résumé

Les images d’abus commis sur des enfants ne sont pas de simples images. Bien que la plupart d’entre elles puissent être trouvées dans un «monde virtuel», il ne faut jamais oublier que, derrière chaque image, il y a au moins un enfant victime d’abus sexuels dans la vie réelle. Les images d’abus commis sur des enfants englobent une série d’infractions allant de la sollicitation, la corruption ou la traite d’enfants à des fins sexuelles, ainsi que diverses formes d’abus sexuels commis sur des enfants, jusqu’à la diffusion, la collecte et la consultation d’images de l’abus commis.

A la lumière de la fréquence de telles infractions dans nos sociétés, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre des mesures fortes dans le but de renforcer la législation nationale et les normes internationales, développer des politiques nationales ciblées en coopération avec le secteur privé, et échanger et coopérer sur un plan international. A long terme, tous les Etats membres devraient ériger en infraction pénale la consultation intentionnelle d’images d’abus commis sur des enfants. Ils devraient aussi rendre obligatoire le blocage de sites web comme mesure complémentaire – à entreprendre selon des procédures transparentes et dans le plein respect des droits humains – dès lors que leur suppression rapide se révèle impossible.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 septembre
2011.

(open)
1. Les «images d’abus commis sur des enfants» ou la «pornographie enfantine» ne sont pas de simples images. Les deux termes renvoient à une série d’infractions, depuis la sollicitation, la corruption ou la traite d’enfants (de moins de 18 ans) à des fins sexuelles jusqu’à la diffusion, la collecte et la consultation d’images de l’abus perpétré, en passant par diverses formes d’abus sexuels commis sur des enfants – conduisant parfois même à leur mort.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par l’ampleur de telles infractions dans notre société et de la manière dont celles-ci sont facilitées par l’internet et d’autres technologies d’information et de la communication qui révèlent leur «face sombre» dès lors qu’il s’agit d’images d’abus commis sur des enfants. Elle rappelle qu’en raison de l’anonymat de l’internet, il est extrêmement difficile de découvrir et de poursuivre efficacement les délinquants, ainsi que d’identifier et d’aider les victimes. Aussi l’Assemblée parlementaire en appelle-t-elle à une action internationale engagée, coordonnée et transversale pour combattre tous les types de délits liés à des images d’abus commis sur des enfants.
3. Bien que la plupart des images fassent partie d’un «monde virtuel», il ne faut jamais oublier que derrière chaque image d’abus commis sur des enfants, il y a au moins un enfant victime d’abus sexuels dans la vie réelle.
4. Les images d’abus commis sur des enfants peuvent non seulement être le résultat et la représentation visuelle d’abus, mais aussi inciter de nouveaux délits et, ainsi, devenir un «multiplicateur» d’abus sexuels et d’exploitation sexuelle des enfants. Pour cette raison, déjà le «simple» fait de regarder des images d’abus commis sur des enfants devrait être érigé en infraction pénale dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
5. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201) constitue aujourd’hui la norme la plus complète et la plus avancée dans ce domaine avec la Convention sur la cybercriminalité (Convention de Budapest, STCE no 185). Elles seront bientôt complétées par la prochaine directive de l’Union européenne relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie, qui devrait être adoptée par le Parlement européen et le Conseil avant la fin 2011. Ces textes constituent une solide base juridique, mais ils doivent être renforcés sur certains aspects tels que l’incrimination de la consultation intentionnelle d’images d’abus commis sur des enfants (en ce qui concerne la Convention de Lanzarote) et l’obligation de blocage des sites web en cas de suppression impossible, ce que, au regret de l’Assemblée parlementaire, ne prévoit pas le projet final de directive de l’Union européenne.
6. De nombreux Etats membres ont commencé à traiter la question en mettant en place une législation et des politiques fermes. Le renforcement des échanges d’informations et de bonnes pratiques à l’échelon européen devrait permettre de mener une lutte plus efficace contre les images d’abus commis sur des enfants. Pour mieux refléter la complexité du problème, les notions d’«images d’abus commis sur des enfants» ou de «matériels relatifs aux abus commis sur des enfants» devraient, à long terme, remplacer le terme «pornographie enfantine» dans tous les textes juridiques et débats politiques.
7. A la lumière de la coopération fructueuse avec le secteur privé, l’engagement des fournisseurs de services internet (FAI) et du secteur financier devrait être davantage encouragé à l’avenir, de manière à inciter toutes les entreprises à adopter des approches d’autorégulation et de signalement systématique des contenus internet illégaux aux autorités.
8. Ainsi, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. en ce qui concerne la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (Convention de Budapest):
8.1.1. à signer et à ratifier ces conventions dès que possible, si ce n’est déjà fait et, s’agissant des Etats membres de l’Union européenne, à les mettre en œuvre de manière coordonnée en tenant compte de la prochaine directive de l’Union;
8.1.2. à renforcer leur législation nationale dans ce domaine, notamment en créant une base juridique solide autorisant les services de répression à intervenir selon des procédures transparentes et totalement respectueuses des principes démocratiques et des droits humains;
8.1.3. à soutenir le renforcement de la Convention de Lanzarote par un Protocole additionnel visant à couvrir de façon plus détaillée les délits liés à des images d’abus commis sur des enfants; 
8.2. en ce qui concerne les mesures politiques à prendre:
8.2.1. à mettre en place des politiques nationales globales traitant le problème sous tous les angles possibles tout en adoptant une «approche centrée sur les victimes» afin d’identifier victimes et délinquants aussi rapidement que possible, d’arrêter les abus et d’aider les victimes, y compris dans le cadre de systèmes de justice adaptés aux enfants, à développer selon les lignes directrices pertinentes du Conseil de l’Europe adoptées en novembre 2010;
8.2.2. à établir des mécanismes efficaces permettant d’interrompre la diffusion en ligne, commerciale et non commerciale, d’images d’abus commis sur des enfants, et ce en donnant la priorité au retrait rapide des contenus illégaux chaque fois que possible, mais en prévoyant le blocage des sites web comme mesure complémentaire s’il y a lieu;
8.2.3. à renforcer le dialogue avec le secteur privé dans le but d’engager sa responsabilité à signaler immédiatement les images d’abus commis sur des enfants et à coopérer avec les services de répression;
8.2.4. à favoriser, d’une part, des échanges d’informations plus systématiques aux niveaux européen et international et, d’autre part, des recherches ultérieures quant aux images d’abus commis sur des enfants et aux infractions associées.
8.3. en ce qui concerne une sensibilisation générale à la question des images d’abus commis sur des enfants et aux délits associés:
8.3.1. à renforcer le dialogue général par une «approche multipartite»: autorités publiques, services de répression, organisations de la société civile, établissements d’enseignement et, au niveau individuel, la famille et l’enfant, y compris les victimes de délits commis dans le passé;
8.3.2. à responsabiliser enfants et adolescents pour leur permettre de se protéger quand c’est possible, à renforcer leur sensibilisation aux médias et à sensibiliser la société en général à l’impact et aux dangers d’une «sexualisation» croissante des enfants dans les médias;
8.3.3. à soutenir la Campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants (2010-2014) en contribuant activement à ses activités européennes (y compris par le soutien financier de sa dimension parlementaire) et en développant des activités nationales dans le cadre de la campagne ou des liens directs avec les politiques nationales existantes, y compris au niveau parlementaire, local et régional.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 16 septembre
2011.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2011) «Combattre les "images d’abus commis sur des enfants" par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée», l’Assemblée parlementaire recommande au Conseil de l’Europe d’adopter une position forte quant aux mesures à prendre pour lutter contre les images d’abus commis sur des enfants. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201) compte parmi les normes les plus complètes et avancées dans ce domaine, avec le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (Convention de Budapest, STE no 185) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STE no 197).
2. Toutefois, les articles de la Convention de Lanzarote concernant les questions de «pornographie enfantine» devraient être renforcés en vue de toute la série des délits liés aux images d’abus commis sur des enfants, y compris leur production, diffusion, collecte et consultation. Le fait que l’article 20 (paragraphe 1.f) de la convention fournisse aux Etats membres une clause échappatoire leur permettant de ne pas ériger en infraction pénale «le fait d’accéder, en connaissance de cause et par le biais des technologies de l’information et de la communication, à de la pornographie enfantine» n’est pas acceptable pour l’Assemblée parlementaire. Il convient de développer les dispositions relatives aux mesures juridiques et politiques à prendre pour combattre efficacement les images d’abus commis sur des enfants et les infractions associées. Ces dispositions devraient inclure l’obligation de bloquer des sites web à contenu illégal lorsqu’il n’est pas possible de les supprimer rapidement.
3. Au niveau national, la Convention de Lanzarote et la prochaine directive de l’Union européenne relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie, qui devrait être adoptée par le Parlement européen et le Conseil avant la fin 2011, devraient être mises en œuvre de manière coordonnée afin d’assurer un impact maximal de ces instruments sur la législation nationale et, enfin, la protection de chaque enfant.
4. L’Assemblée salue l’engagement général du Comité des Ministres en faveur de la protection des droits de l’enfant, notamment à travers le lancement de la Campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants (2010-2014). Elle se félicite également de la forte implication du Conseil de l’Europe dans le «Dialogue européen sur la gouvernance de l’internet (EuroDIG)», et elle encourage le Comité des Ministres à maintenir un haut niveau d’activités dans ce domaine, notamment en guise de contribution européenne unifiée au débat international.
5. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
5.1. de continuer à promouvoir la ratification et la mise en œuvre des Conventions de Lanzarote et de Budapest dans tous les Etats membres;
5.2. de compléter la Convention de Lanzarote en élaborant et en adoptant, dès que possible, un protocole additionnel sur les images d’abus commis sur des enfants et les délits associés dans le but de couvrir les infractions de façon plus détaillée et de renforcer les dispositions pertinentes, en particulier en érigeant en infraction pénale non seulement la production et la diffusion d’images mais aussi leur consultation intentionnelle, et en définissant le blocage des sites web illégaux en tant que mesure complémentaire mais obligatoire lorsqu’il n’est pas possible de les supprimer;
5.3. de lancer des travaux intergouvernementaux sur la responsabilité juridique des acteurs privés –notamment les fournisseurs de services internet (FAI) – dans le cadre, d’une part, du nouveau programme du Conseil de l’Europe sur des questions d’Etat de droit et, d’autre part, du Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (CDMC);
5.4. de développer et renforcer la Campagne UN sur CINQ afin de permettre au Conseil de l’Europe et aux Etats membres concernés de traiter de manière adéquate les questions spécifiques d’exploitation et d’abus sexuels des enfants;
5.5. d’assurer que les activités du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits de l’enfant et de droit à la libre expression soient bien coordonnées, entres autres, en créant des liens plus étroits entre le programme «Construire une Europe pour et avec les enfants» du Conseil de l’Europe sous sa nouvelle stratégie (2012-2014) et le travail intergouvernemental entrepris par le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de la communication, et ce, en impliquant l’Assemblée le plus tôt possible quand il conviendra.

C. Exposé des motifs, par M. Conde Bajén, rapporteur

(open)

1. Introduction

«Mais je ne faisais que regarder…» 
			(3) 
			«But I Was Only Looking… », titre
d’une intervention de John McCarthy, directeur du programme néo-zélandais SAFE,
à la conférence Safety & Security
in a Networked World: Balancing Cyber-Rights & Responsibilities,
Oxford, 8-10 septembre 2005.

1. La question de la «pornographie enfantine» est une question complexe. Elle renvoie à une série d’infractions commises contre des enfants, depuis la sollicitation, la corruption ou la traite d’enfants à des fins sexuelles et la traite des enfants jusqu’à la diffusion, la collecte et la consultation d’images d’abus commis sur ces enfants, en passant par diverses formes d’abus sexuels perpétrés sur des enfants, conduisant parfois même à leur mort. Cette série d’infractions, déjà suffisamment effrayante en elle-même, peut aussi conduire à de nouvelles infractions: les personnes qui consultent des «images d’abus commis sur des enfants» peuvent être incitées à en produire elles-mêmes, soit parce que ces images sont le dernier élément déclencheur d’un potentiel criminel, soit parce qu’elles vont leur permettre d’accéder à certains des cercles fermés dans lesquels ces images circulent souvent aujourd’hui.
2. La «pornographie enfantine» peut donc non seulement être le résultat et la représentation visuelle d’abus commis sur des enfants, mais aussi un «multiplicateur» des abus sexuels et de l’exploitation des enfants. En tant que rapporteur du présent rapport, je suis horrifié par cette série de crimes interconnectés et leurs multiples causes et conditions dans nos sociétés, qui sont pas perçus par la plupart d’entre nous. Je suis déterminé à éclairer d’un jour nouveau cette question complexe, dans le but de proposer certaines mesures politiques et juridiques concrètes.
3. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201), ouverte à la signature en octobre 2007 et entrée en vigueur le 1er juillet 2010, définit l’expression «pornographie enfantine» comme «tout matériel représentant de manière visuelle un enfant se livrant à un comportement sexuellement explicite, réel ou simulé, ou toute représentation des organes sexuels d’un enfant à des fins principalement sexuelles». En outre, la convention définit comme «enfant» toute personne de moins de 18 ans, définition que nous adoptons pour le présent rapport. Bien que l’expression «pornographie enfantine» soit largement utilisée au niveau international et dans les législations nationales et qu’elle apparaisse également dans le titre proposé à l’origine pour le présent rapport, je suggère d’adopter une terminologie mieux adaptée.
4. Depuis de nombreuses années, les organismes internationaux de protection de l’enfance et les services de répression demandent une modification de la terminologie afin de remplacer l’expression «pornographie enfantine» par «images d’abus commis sur des enfants» (y compris également les images animées, les dessins et les images d’enfants fictifs), car la première expression ne décrit pas suffisamment bien la gravité des abus perpétrés contre les enfants, tandis que la seconde renvoie également aux effets sur l’enfant et traduit donc mieux la complexité du problème. Pour mon rapport, j’aimerais utiliser ces termes, aussi reflétés par le nouveau titre que je suggère. A long terme, cette énonciation – ou même celle de «matériels relatifs aux abus commis sur des enfants» (y compris les textes) – devrait être employée dans tous les textes juridiques et les débats politiques afin que l’action européenne repose sur une compréhension commune et un ensemble de définitions communes. Autre expression complémentaire souvent utilisée par les experts des services de répression: «matériel servant à l’exploitation des enfants», qui désigne tout matériel ne représentant pas un acte sexuel impliquant un enfant mais, néanmoins, montre un enfant dans une pose sexualisée.
5. Il ne semble pas exister de définition universelle de l’abus sexuel sur un enfant. Reste que la plupart des cas d’abus présentent une caractéristique fondamentale: la position dominante d’un adulte qui permet à celui-ci de forcer ou de contraindre un enfant à pratiquer une activité sexuelle (de divers types). L’abus sexuel sur un enfant ne se limite pas au contact physique; il peut s’agir d’un abus sans contact, comme l’exposition, le voyeurisme et la pornographie enfantine. L’abus par des pairs existe aussi 
			(4) 
			Selon l’American Psychological
Association, Washington 2011, www.apa.org. . En ce qui concerne l’expression «exploitation sexuelle des enfants», elle désigne généralement des formes plus systématiques, voire commerciales, d’abus sexuel sur des enfants 
			(5) 
			Par
exemple, selon ECPAT International, <a href='http://www.ecpat.net/'>www.ecpat.net</a>. . En cela, elle est distincte de la définition employée par les services de répression considérant que l’«exploitation» désigne des formes d’abus sans contact physique.
6. La Campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, mentionnée dans la proposition initiale pour ce rapport (Doc. 12385), a pour but de sensibiliser l’opinion publique et de lutter contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants sous leurs multiples formes et degrés. C’est ce qu’elle fait, notamment en encourageant tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à signer, ratifier et mettre en œuvre la Convention de Lanzarote, ainsi que les autres Etats qui souhaitent y adhérer. Grâce à mon rapport, j’aimerais étudier l’un des problèmes «modernes» de l’abus et de l’exploitation des enfants, qui risque de croître proportionnellement au développement de l’internet et des autres nouveaux médias. Des informations détaillées provenant de plusieurs experts internationaux sont prises en compte dans ce rapport afin d’éclairer cette question complexe en toute objectivité et de permettre à l’Assemblée d’apporter sa contribution à cet important débat 
			(6) 
			En particulier, les
experts entendus lors de l’audition du 22 mars 2011 organisée par
la commission des questions sociales, de la santé et de la famille
à Paris: Mme Cristiana De Paoli, chef de l’unité «Enfants et nouveaux
médias » (Save the Children, Italie); M. Frédéric Malon, commissaire
divisionnaire, chef de l’Office central pour la répression des violences
aux personnes (OCRPV); M. Arturo Canalda, médiateur pour les enfants
de la Communauté (gouvernement régional) de Madrid. Toute information
sans mention de source spécifique dans le texte provient de l’un
de ces experts. D’autres experts entendus lors des réunions du réseau
des parlementaires de référence de la Campagne UN sur CINQ sont
mentionnés plus loin dans ce texte..

2. «Images d’abus commis sur des enfants»: plus que de simples images

7. Les expressions de «pornographie enfantine» et d’«images d’abus commis sur des enfants» ne reflètent ni l’une ni l’autre complètement l’ampleur du problème et toutes les infractions qu’il recouvre. En réalité, ces expressions ne se réfèrent pas seulement à l’existence et à la consultation d’images d’abus commis sur des enfants, comme on pourrait le penser. Derrière chaque image d’abus commis sur des enfants – que la plupart d’entre nous ne verrons jamais ou ne souhaiterons jamais voir – se cache un abus physique d’au moins un enfant victime, ainsi que toute une série d’infractions qui y sont liées. Dans certains pays, toutes les activités liées à des images d’abus commis sur des enfants sont érigées en infractions pénales, y compris les activités entraînant les enfants dans l’abus (mise en confiance ou grooming, corruption d’enfants et traite des enfants), l’abus sexuel avéré d’enfants à des fins de production d’images, la diffusion d’images d’abus commis sur des enfants et, enfin, la possession ou la consultation de ce type d’images. Toutefois, alors qu’infliger un réel abus physique à un enfant est unanimement considéré comme un délit, il est à noter que le fait de consulter ou de regarder de la «pornographie enfantine» sur internet n’est pas encore jugé ni traité comme une infraction pénale dans tous les pays, ni selon toutes les normes européennes.
8. Les images d’abus commis sur des enfants ne sont certainement pas un phénomène datant du XXIe siècle. Les représentations de la sexualité infantile existent depuis des centaines d’années, mais elles sont devenues socialement inacceptables au XVIIIe siècle avec la reconnaissance croissante du droit des enfants à la protection de leur intégrité physique et morale. Cependant, aujourd’hui, la production et la diffusion d’images d’abus commis sur des enfants sont largement facilitées et alimentées par de nouveaux médias, en particulier l’internet. Pour chaque image de ce type produite, l’on peut s’attendre à ce que de nombreuses infractions soient commises, car la diffusion en ligne multiplie de manière exponentielle le nombre des délits contre l’intégrité sexuelle des enfants victimes. Alors qu’en 1995, année souvent citée comme «année 0» avant l’explosion d’internet dans de nombreux pays, Interpol avait connaissance au total de quelque 4 000 images d’abus commis sur des enfants, des chiffres récents suggèrent que des dizaines de milliers d’enfants sont concernés dans le monde entier et que chaque enfant figure dans de multiples images ensuite reproduites sans fin. Au Royaume-Uni, la base de données du CEOP (Child Exploitation and Online Protection Center) stocke actuellement à elle seule 850 000 images d’abus commis sur des enfants 
			(7) 
			«Online
Crimes against Children», article rédigé par John Carr sur le site <a href='http://www.freedomfromfearmagazine.org/'>www.freedomfromfearmagazine.org</a>, citation extraite du rapport présenté par le CEOP (Child
Exploitation and Online Protection Centre) devant le parlement en janvier
2010 (<a href='www.official-documents.gov.uk/document/cm77/7785/7785.pdf'>www.official-documents.gov.uk/document/cm77/7785/7785.pdf</a>)..
9. La circulation d’images d’abus commis sur des enfants a essentiellement lieu au sein de réseaux fermés, auxquels les délinquants ne peuvent accéder que via des systèmes sécurisés, souvent en fournissant leurs propres images. Il s’agit de réseaux «de pair à pair» (peer-to-peer) pour la première génération, suivis de réseaux (ouverts et fermés) plus sophistiqués utilisant des «systèmes virtuels» ou des «nuages» (clouds; implantés dans plusieurs pays), ou bien divisant les images en plusieurs fichiers électroniques à reconstituer uniquement par l’utilisateur final autorisé 
			(8) 
			John Carr, op. cit.. Retracer toute l’histoire et la méthodologie de la diffusion en ligne d’images d’abus commis sur des enfants dépasserait le cadre de ce rapport; la démarche revient à ceux qui doivent examiner la question plus en profondeur.
10. L’anonymat de l’internet lève les barrières sociales et les tabous, créant le cadre idéal pour perpétrer des infractions liées à des images d’abus commis sur des enfants et, en même temps, il fournit des structures qui rendent l’identification des victimes et des auteurs – et la poursuite de ces derniers – extrêmement difficile. Par ailleurs, dans la plupart des cas la production d’images d’abus commis sur des enfants semble intervenir dans les cercles de confiance des enfants et les images sont échangées via des circuits non commerciaux, et non, comme on pourrait le croire, dans le cadre d’activités d’exploitation commerciale. Dans leur environnement direct, les enfants sont entraînés vers l’abus sexuel par un subtil mélange entre enseignement («c’est une bonne chose»), menaces, confiance et récompense. Du fait que les enfants se voient souvent entraînés dans l’abus sexuel par des personnes en qui ils ont confiance, le pourcentage de femmes participant à des délits liés à des images d’abus commis sur des enfants est en augmentation. Certains experts proposent de classer les délinquants intervenant sur internet, y compris ceux liés à des images d’abus commis sur des enfants, selon une typologie pyramidale: simples spectateurs, amateurs affichés, amateurs clandestins et experts – le degré de spécialisation allant croissant d’un niveau à l’autre 
			(9) 
			Michael Moran, Online Child Abuse Material Offenders: Are
we assigning Law Enforcement Expertise Appropriately?,
School of Computer Science and Informatics, University College,
Dublin, 8 novembre 2010. Michael Moran est aussi officier de renseignements
criminels Interpol, sous-direction de la traite des êtres humains,
en détachement de la police irlandaise.. Il est intéressant de noter que cette typologie, également employée par Interpol aujourd’hui, range les «simples spectateurs» parmi les délinquants en ligne. Cette position, adoptée par nombre de services de répression, devrait finir par s’imposer dans toutes les normes internationales et européennes, y compris la Convention de Lanzarote.
11. Les auteurs de délits sexuels, quelle que soit leur forme, agissent pour différents motifs et ne constituent pas un groupe homogène. Des études menées il y a déjà quelques années mais toujours valables ont révélé quelques-unes des raisons incitant à collectionner les images d’abus commis sur des enfants: obtenir une excitation et un plaisir sexuels, justifier un comportement pédophile partagé par beaucoup, «préserver» la jeunesse de l’enfance sous forme d’images, utiliser ces images comme moyen d’échange avec d’autres amateurs, faire du chantage (utiliser ces images pour faire pression sur des enfants et sur leurs familles), accéder au marché des images d’abus via des réseaux d’échanges et, enfin, tirer profit de ces images. Si certains délinquants amateurs de «pornographie enfantine» représentent une menace directe pour les enfants (en abusant d’eux), d’autres participent indirectement aux abus par leur seule demande d’images, laquelle ne peut être satisfaite qu’en abusant sexuellement des enfants 
			(10) 
			John McCarthy, op. cit.. Pour être efficaces, les stratégies de prévention devront certainement examiner la motivation des diverses catégories de délinquants de manière plus approfondie pour déterminer l’action adéquate à mener.
12. Les chiffres récents sur les images d’abus commis sur des enfants sont effrayants:pour 2010, l’International Association of Internet Hotlines (INHOPE – association internationale de services d’assistance en ligne) constate que plus de 24 000 signalements de matériels relatifs à des abus commis sur des enfants ont été traités, spécifiant que 71 % des enfants étaient prépubères, 25 % pubères et 4 % étaient des enfants en bas âge. INHOPE indique par ailleurs que 77 % des victimes sont des filles et 11 % des garçons, que 12 % des images impliquent les deux sexes, et que 78 % des sites internet signalés sont des sites non commerciaux et 22 % des sites commerciaux, à savoir nécessitant un paiement sous quelque forme que ce soit 
			(11) 
			International Association
of Internet Hotlines (INHOPE), rapport annuel 2010, Amsterdam, <a href='http://www.inhope.org/'>www.inhope.org</a>.. Certains experts affirment que les images d’enfants plus jeunes soumis à des actes sexuels sans cesse plus violents et dépravés se multiplient nettement 
			(12) 
			John Carr, op. cit.. Selon des spécialistes américains, en 2006, les bénéfices engendrés par des images de pédopornographie étaient estimés à 21 milliards de dollars, ce qui donne juste une idée de l’ampleur du commerce de ces images sur internet, même s’il ne faut pas oublier que la plupart des échanges d’images d’abus commis sur des enfants revêtent un caractère non commercial. En règle générale, les chiffres sont à manipuler avec prudence: selon des experts, les taux élevés fournis par les autorités nationales concernant les victimes ou les délinquants identifiés ne signifient pas nécessairement que les cas d’abus sont plus nombreux dans un pays donné que dans d’autres, mais peuvent aussi refléter une plus grande sensibilisation du pays à ce problème et une plus grande volonté de partager ses chiffres à un niveau international. Autre raison expliquant peut-être la variation des chiffres (taux de détection, par exemple) d’un pays à l’autre: les images ne sont pas pareillement prises en compte. En effet, là où certains pays enquêteront sur toutes les images identifiées, d’autres négligeront des images où la personne représentée semble avoir atteint l’âge de la maturité (sexuelle). Cette problématique très sensible se trouve parmi celles qui doivent être clarifiées dans chaque Etat membre ainsi que dans le cadre de futurs échanges internationaux et des efforts d’harmonisation d’ordre législatif et politique.
13. Dans de nombreux cas, la production d’images d’abus commis sur des enfants est étroitement liée à d’autres formes d’abus sexuels sur des enfants ou d’exploitation sexuelle des enfants, comme le «tourisme sexuel».Il n’est donc pas surprenant que, souvent, la production d’images d’abus commis sur des enfants implique l’exploitation d’enfants originaires de pays plus pauvres par des délinquants originaires de pays plus riches.Cette question est par ailleurs indirectement liée à des formes «plus modérées» d’exploitation des enfants, comme celles qui ont été récemment observées dans les pays asiatiques, où les enfants sont de plus en plus exposés en tant qu’objets sexualisés dans des spectacles de variétés, où ils sont contraints de s’habiller ou de se comporter comme des adultes 
			(13) 
			«Comment la télé dégrade
l’image de l’enfance» («How television
degrades the image of childhood»), Courrier international,
no 1069, 28 avril-4 mai 2011. (et d’où proviennent de nombreux enfants exploités à des fins de «pornographie enfantine» ou de «tourisme sexuel»).La «sexualisation» générale des médias est également illustrée par de récents rapports en Suisse qui ont montré que 37 % des enfants entre 10 et 12 ans avaient déjà vu des images pornographiques 
			(14) 
			«Les enfants du porno»
(«The porno children»), émission
du 7 avril 2011 de la Télévision suisse romande, <a href='http://www.tsr.ch/'>www.tsr.ch</a>. . Dans le monde entier, les abus et l’exploitation sexuels d’enfants interviennent dans un contexte où les enfants sont de plus en plus «sexualisés» par les médias, par le secteur du divertissement ou par la publicité.Il ne sera pas possible d’aborder toutes ces questions dans le présent rapport, mais il est important d’en être conscient pour comprendre la nécessité d’une approche globale.

3. Nécessité de prendre des actions plus engagées contre les images d’abus commis sur des enfants

14. Le phénomène des images d’abus commis sur des enfants est à la fois de nature locale et mondiale: les victimes sont bien réelles et les abus sont perpétrés au sein de nos communautés locales, tandis que les images sont potentiellement visibles par le monde entier. Pour s’attaquer au problème de manière efficace, ces deux dimensions doivent être prises en compte. Selon les organes européens de services répressifs, il existe quatre angles principaux sous lesquels aborder le problème des images d’abus commis sur des enfants: 1. les producteurs de ces images; 2. les sites web hébergeant les images; 3. les images elles-mêmes; et 4. les flux financiers générés par les sites web commerciaux.
15. La manière de procéder avec des images d’abus commis sur des enfants engloberait deux axes. Avant toute chose, les images (ou les sites web les hébergeant) seraient identifiées, très souvent par le biais de permanences téléphoniques affectées au signalement à la police des images d’abus commis sur des enfants, mais de plus en plus via des programmes spécialisés qui détectent automatiquement certains mots clés liés à des sites web. Des services de répression nationaux et internationaux (les forces de police nationales en coopération avec Europol et Interpol) identifieraient ensuite les fournisseurs de services internet (FAI) hébergeant ces sites web et, par leur intermédiaire, essaieraient de découvrir l’origine et les producteurs des images, c’est-à-dire les délinquants sexuels, afin de les poursuivre en justice. En second lieu, des services de répression saisiraient et consigneraient le matériel et s’emploieraient à supprimer d’internet les images en cause. A partir des images saisies, ils tenteraient d’identifier les victimes pour arrêter dès que possible les abus qu’elles ont subis et, autant que faire se peut, pour empêcher de nouveaux abus. Malheureusement, il semble que tous les services de répression nationaux ne déploient pas les mêmes efforts pour l’identification des victimes et des délinquants, ni pour la coopération internationale requise. En particulier, le blocage immédiat des sites web pour éviter la «re-victimisation» des enfants toutes les fois où leur image est consultée n’est pas encore une pratique aussi répandue qu’elle le devrait.
16. La complexité et la difficulté de la lutte contre les crimes liés à des images d’abus commis sur des enfants se reflètent dans le fossé qui existe entre les images recensées et les enfants véritablement identifiés: la base internationale de données rassemblant des images sur l’exploitation sexuelle des enfants (ICSE DB) d’Interpol 
			(15) 
			INTERPOL est la plus
importante organisation internationale de police au monde, et compte
188 pays membres. Créée en 1923, elle facilite la coopération transfrontalière
entre les services de police, et apporte son soutien et son assistance
à tous les services, organisations et autorités ayant pour mission
de prévenir et de combattre la criminalité internationale. Son siège
se trouve à Lyon (France) (<a href='http://www.interpol.int/'>www.interpol.int</a>). contient près de 650 000 images d’abus commis sur des enfants et constitue un outil majeur pour la coopération internationale en vue d’identifier les enfants victimes. Les services répressifs nationaux, comme l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRPV) de la police judiciaire en France, ont en général directement accès à la base de données d’Interpol, ce qui facilite la tâche pour l’identification des victimes et des producteurs d’images. Cependant, on estime que seules 850 victimes ont été identifiées dans le monde jusqu’à ce jour, dont 95 en France. Dans bon nombre de pays, des services de police spécialement formés sont chargés de découvrir de nouveaux sites web hébergeant des contenus illégaux. Cela nécessite souvent l’intervention d’agents infiltrés qui, eux-mêmes, doivent posséder un stock minimal d’images d’abus commis sur des enfants afin de pouvoir pénétrer les réseaux «de pair à pair» (peer-to-peer) ou d’autres réseaux fermés. Ce personnel spécialisé exige attention et suivi, non seulement pour assurer sa résistance psychologique face aux images qu’il doit voir, mais aussi pour garantir qu’aucun pédophile n’infiltre les forces de police concernées pour satisfaire un désir personnel. On le voit, de multiples ressources doivent être mobilisées pour combattre efficacement les délits liés à des images d’abus commis sur des enfants.
17. Selon Interpol, toute politique visant à lutter efficacement contre les images d’abus commis sur des enfants et les délits associés doit suivre une solide «approche centrée sur les victimes». Dans sa Recommandation no 4 (2011), la Conférence régionale européenne OIPC-INTERPOL rappelle, d’une part, que l’identification de la victime et du délinquant met un terme à l’abus, et de ce fait réduit la quantité du matériel associé circulant sur internet, et, d’autre part, qu’Interpol coordonne un réseau international de spécialistes de l’identification des victimes et – avec sa base de données internationale rassemblant des images sur l’exploitation sexuelle des enfants (ICSE DB, citée plus haut) – possède un instrument clé. La conférence régionale a également encouragé tous les pays membres de la région européenne «à mettre en place des procédures visant à collecter et à enregistrer systématiquement tout matériel pédopornographique saisi ou autrement découvert au sein de leur juridiction, ainsi qu’à créer une équipe nationale d’identification des victimes […] autorisée à se connecter […] avec la base de données ICSE» 
			(16) 
			ERC-2011/REC-04, Recommandation
no 4 adoptée par la 40e Conférence régionale européenne OIPC-INTERPOL tenue
à Malte du 11 au 13 mai 2011..
18. Une affaire récente illustre le succès des efforts communs déployés pour enquêter sur des images d’abus commis sur des enfants. Europol, l’organisme chargé de la répression au sein de l’Union européenne (et siégeant à La Haye), a récemment réussi – après des années d’enquête – à détruire l’un des plus vastes réseaux de «pornographie enfantine» au monde: 670 suspects, 230 enfants victimes et près de 200 arrestations 
			(17) 
			Massive Dutch-run child pornography ring revealed,
Radio Netherlands Worldwide (RNW, station radio internationale des
Pays-Bas), 16 mars 2011, <a href='http://www.rnw.nl/'>www.rnw.nl</a>.. Il reste que les victimes et les producteurs d’images d’abus commis sur des enfants sont difficiles à trouver car, bien souvent, ils sont originaires de régions lointaines et agissent sous le couvert d’organisations criminelles complexes. La tendance générale, comme cela a déjà été indiqué, concerne des enfants de pays ou de classes sociales plus pauvres exploités par des personnes de pays plus riches ou dans le but de produire des images à commercialiser dans des pays plus riches. La répartition géographique des sites web d’abus sexuels commis sur des enfants, connue grâce à une étude de la Internet Watch Foundation (IWF) 
			(18) 
			Internet Watch Foundation
(IWF), IWF Operational Trends,
2010, <a href='http://www.iwf.org.uk/'>www.iwf.org.uk</a>. , en 2010, montre que la plupart des images sont hébergées aux Etats-Unis (42 %), en Europe (y compris la Russie, 41 %) et dans les pays asiatiques (17 %), ce qui donne une indication du lieu où elles sont produites. Certes, il existe une coopération internationale avec et entre les pays où sont identifiées des images d’abus commis sur des enfants, mais elle est complexe et passe très souvent par de longues procédures. En conséquence, les politiques futures doivent traiter cette question et rendre la coopération internationale plus efficace et réactive, étant donné que, via l’internet, les images et les délits associés transcendent toutes les frontières géographiques.
19. A l’avenir, outre l’identification et l’arrêt des réseaux pédopornographiques existants, il sera important de développer des stratégies de prévention plus fortes et plus globales. Pour ce faire, de nouvelles recherches dans les différents Etats membres et au niveau international s’imposeront pour mieux appréhender le «profil» des abus commis dans le but de produire des images pédopornographiques. Pour combattre la production d’images d’abus commis sur des enfants, il faudra assurément s’en prendre aux causes profondes de l’abus sexuel des enfants en général, mieux armer les enfants contre les tentatives d’abus sexuel à leur encontre et, en particulier, protéger ceux d’entre eux qui sont les plus vulnérables. Enfin, la participation constante et renforcée du secteur privé est de toute première importance. En ce qui concerne les images d’abus commis sur des enfants, les acteurs privés apparaissent à la fois comme des «facilitateurs» de la diffusion de contenus illégaux sur l’internet et comme d’actifs participants à la lutte contre ces contenus. Ils doivent être associés à des politiques publiques suivant les principes les plus rigoureux possibles, et ils doivent être tenus responsables de toute action pouvant nuire aux enfants – par exemple, publier sur internet en toute connaissance cause des images d’abus pédophiles ou ne pas signaler ce type d’images où qu’elles soient identifiées. Cette question n’ayant pas encore été pleinement explorée au niveau du Conseil de l’Europe, il convient de la porter à l’ordre du jour des prochains travaux intergouvernementaux concernant les médias et les nouveaux services de communication.

4. Instruments juridiques, textes de référence et approches

20. Certains pays ont déjà développé une législation solide concernant les images d’abus commis sur des enfants diffusées sur internet, d’ordinaire selon des dispositions juridiques concernant la «pornographie enfantine» en général. Cependant, il semble y avoir de grandes différences entre les législations nationales quant à la légalité des actes individuels et aux sanctions qui en découlent, ce qui conduit à des vides juridiques qui réussissent toujours à être exploités par les producteurs, les distributeurs et les collecteurs d’images d’abus commis sur des enfants. Une étude de 2010 réalisée par le Centre international pour les enfants exploités ou disparus (International Centre for Missing and Exploited Children – ICMEC) montre que, sur 196 pays analysés, 89 n’avaient aucune législation portant spécifiquement sur les matériels relatifs aux abus commis sur les enfants et que, dans les pays qui en possédaient, 33 n’érigeaient pas en infraction la possession de matériel pédopornographique (indépendamment de l’intention de le diffuser), tandis que 52 autres ne définissaient même pas la notion juridique de pornographie enfantine 
			(19) 
			International Centre
for Missing & Exploited Children (ICMEC) / The Koons Family
Institute on International Law & Policy, Child
Pornography – Model Legislation & Global Review,
2010, <a href='http://www.icmec.org/'>www.icmec.org</a>.. Compte tenu de ces résultats, la plupart des experts s’accordent à dire qu’il est urgent de faire preuve de davantage de cohérence et de mettre en place des cadres juridiques communs et une action internationale coordonnée.

4.1. Cadre juridique européen et international et textes de référence

21. A ce jour, il existe trois instruments juridiques internationaux principaux traitant expressément des images d’abus commis sur des enfants: le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants; la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (Convention de Budapest, STE no 185); et la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201). Il s’agit là de trois outils efficaces pour lutter contre l’exploitation sexuelle et les abus commis contre des enfants parce qu’ils contiennent des définitions précises des infractions, ainsi que des dispositions qui incriminent le comportement correspondant et permettent d’engager des poursuites contre les auteurs de ces actes. Selon des experts internationaux, le protocole facultatif des Nations Unies et la Convention de Lanzarote peuvent aussi servir de base pour élaborer des mécanismes juridiques dont ont besoin les gouvernements pour mettre en œuvre et fournir des services d’aide aux enfants victimes et à leurs familles 
			(20) 
			Ibid.. En général, la Convention de Lanzarote est considérée comme l’instrument le plus complet et le plus avancé pour la protection des enfants contre les abus sexuels de toute forme 
			(21) 
			Voir le Manuel à l’usage des parlementaires. La Convention
du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (Convention de Lanzarote), édité
par l’Assemblée parlementaire en janvier 2011.. D’autres textes de référence importants concernant les images d’abus commis sur des enfants et les délits associés, ainsi que la violence sexuelle à l’égard des enfants de manière générale, sont la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies (article 34) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197).
22. Toutefois, même ces instruments juridiques particulièrement ambitieux reflètent un certain manque de cohérence entre les approches nationales concernant certains aspects – par exemple, la question de savoir où commence vraiment l’abus sexuel sur des enfants. Ainsi, dans son article 20 sur la «pornographie enfantine», la Convention de Lanzarote érige en infractions pénales toute la série des délits liés à la «pornographie enfantine», y compris sa production, sa mise à disposition, sa diffusion et sa transmission, ainsi que le fait de se la procurer ou de la procurer à autrui et sa possession. Toutefois, en vertu de l’article 20, paragraphe 1.f, elle permet à chaque Partie de se réserver le droit de ne pas ériger en infraction pénale «le fait d’accéder, en connaissance de cause et par le biais des technologies de communication et d’information, à de la pornographie enfantine». De la même manière, la Convention de Budapest, dont l’article 9 couvre la «pornographie enfantine», permet aux Parties de ne pas appliquer les paragraphes qui érigeraient en infraction pénale le fait de procurer ou de posséder de la «pornographie enfantine» via des systèmes informatiques. Autrement dit, de nombreux pays ne sanctionneront pas la «simple» consultation d’images d’abus commis sur des enfants via internet, bien que la demande pour ce type d’images soit connue pour stimuler de nouveaux abus.
23. En qualité de rapporteur, j’estime donc que, dans le but de renforcer et d’harmoniser la législation nationale en Europe et au-delà, l’accès intentionnel à de la pornographie enfantine devrait être érigé en infraction pénale dans tous les pays. A cet égard, l’Assemblée devrait appeler à l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention de Lanzarote pour renforcer et spécifier les mesures à prendre contre les images d’abus commis sur des enfants, et ce afin de créer un instrument adapté à la complexité de cette question. Les futurs changements qu’il sera peut-être nécessaire d’apporter à la Convention de Budapest pour «ré-harmoniser» les deux textes, ne seront pas traités plus en détail ici ni dans la recommandation à soumettre au Comité des Ministres, afin de ne pas «diluer» le message central du présent rapport.
24. Au niveau de l’Union européenne, une nouvelle directive relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie est en cours d’élaboration. Une fois adoptée par le Parlement européen, cette directive remplacera à terme la législation actuelle de l’Union européenne, et notamment la décision-cadre 2004/68/JHA. Les Etats membres auront alors deux ans pour transposer les nouveaux règlements dans leurs législations nationales. Bien que le projet de directive semble reposer sur un large consensus entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, de longues négociations en «trilogue», dont neuf réunions informelles en 2011, ont été nécessaires pour aboutir au texte de compromis final en raison de la question très controversée du blocage des sites web (voir ci-après).
25. D’autres références, plus ou moins directes, aux images d’abus commis sur des enfants et aux contre-mesures ad hoc figurent parmi les textes adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Sa Recommandation CM/Rec(2008)6 sur les mesures visant à promouvoir le respect de la liberté d’expression et d’information au regard des filtres internet développe un ensemble détaillé de lignes directrices assurant que les filtres internet visant à protéger certains groupes (en particulier les enfants) contre des contenus préjudiciables sont appliqués de manière transparente et démocratique, et que leur efficacité, leur proportionnalité et leur légitimité sont régulièrement réévaluées. La Déclaration du Comité des Ministres sur la protection de la dignité, de la sécurité et de la vie privée des enfants sur l’internet (adoptée le 20 février 2008) couvre encore un autre aspect, souvent oublié, de la protection de l’enfant sur internet: les risques liés aux contenus que les enfants mettent eux-mêmes en ligne et qui peuvent compromettre leur dignité, leur sécurité ou leur vie privée, ou les rendre vulnérables. La déclaration invite donc les Etats membres à prévoir le plus rapidement possible des solutions pour supprimer ce type de contenus.
26. Ces dernières années, l’Assemblée a adopté plusieurs textes liés à la liberté d’expression sur internet et à la protection des enfants contre les contenus préjudiciables. Dans sa Recommandation 1882 (2009) sur la promotion d’internet et des services de médias en ligne adaptés aux mineurs, elle met particulièrement l’accent sur des contenus potentiellement préjudiciables auxquels des enfants ou des adolescents essaieraient d’accéder, alors que, s’agissant des images d’abus commis sur des enfants, le préjudice pour l’enfant aurait lieu en amont, c’est-à-dire lors de la production de ces images. Reste que la recommandation appelle déjà à une plus grande responsabilité juridique des fournisseurs de services internet (FAI). Dans la Résolution 1757 (2010) et la Recommandation 1936 (2010) sur les droits de l’homme et les entreprises, l’Assemblée invite les Etats membres à promouvoir la mise en œuvre des principes relatifs aux droits de l’homme au sein des entreprises et fournit des références intéressantes sur la coopération générale avec le secteur privé. Enfin, dans sa Résolution 1733 (2010) visant à renforcer les mesures à l’encontre des délinquants sexuels, l’Assemblée appelle à améliorer la coopération internationale et les échanges d’informations concernant les délinquants sexuels connus dans chaque pays (sans favoriser un registre européen des délinquants sexuels) et concernant les enlèvements d’enfants (via des systèmes d’alerte ad hoc).
27. Félicitons-nous que le Conseil de l’Europe traite aussi largement la question de la protection des enfants sur internet et ce, depuis de nombreuses années. Toutefois, il est important de veiller à ce que les messages transmis aux Etats membres et autres parties prenantes restent cohérents et à ce qu’il n’y ait pas de contradictions entre les positions respectives adoptées vis-à-vis des questions de liberté d’expression, notamment via l’internet, et de protection de l’enfance contre toutes les formes de violence. De même, il sera de la toute première importance que les différents textes internationaux et européens soient mis en œuvre de manière coordonnée, afin d’assurer que la prochaine directive de l’Union européenne – qui privilégie le droit pénal matériel – et la Convention de Lanzarote du Conseil de l’Europe – qui apporte un cadre juridique plus vaste – puissent produire dans l’avenir des effets complémentaires. Les Etats membres de l’Union européenne qui ne l’ont encore fait doivent être invités à manifester leur engagement politique, non seulement en transposant la directive de l’Union européenne, mais aussi en signant, en ratifiant et en mettant en application la Convention de Lanzarote.

4.2. Le débat européen sur le blocage des sites internet

28. Le moyen le plus efficace d’éliminer des contenus illégaux de l’internet reste la suppression «à la source» des sites web concernés. Toutefois, lorsque cela se révèle impossible – par exemple, parce que le site est hébergé à l’étranger et que la coopération avec les autorités compétentes est difficile –, le blocage de sites web pornographiques est un outil complémentaire important qui permet d’empêcher immédiatement l’accès à des images d’abus commis sur des enfants et, ainsi, d’interrompre leur échange via un site web donné.
29. La question du blocage a reçu une grande attention, y compris de la part des médias, durant les négociations se rapportant au projet de directive précédemment cité élaboré au sein de l’Union européenne. A travers son texte initial, résolument soutenu par Mme Cecilia Malström, commissaire responsable des affaires intérieures, la Commission européenne souhaitait imposer à tous les Etats membres l’obligation de bloquer l’accès aux contenus pédopornographiques lorsque leur retrait immédiat se révélerait impossible 
			(22) 
			Questions et réponses
sur la suppression ou le blocage des pages pédopornographiques sur
internet (<a href='http://www.europarl.europa.eu/en/pressroom/background'>www.europarl.europa.eu/en/pressroom/background</a>).. La Commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement européen, en votant un rapport le 14 février 2011 (rapporteure: Roberta Angelilli, Italie, PPE), a proposé un certain nombre d’amendements au projet de directive, y compris à l’article 21 pour assurer que le blocage continuerait d’être facultatif dans les Etats membres, comme c’est le cas aujourd’hui. Dans son argumentation, la Commission LIBE a insisté pour que toute mesure prise par des Etats membres «respecte les droits fondamentaux et les libertés des personnes physiques, garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les principes généraux du droit communautaire» 
			(23) 
			Parlement européen
(2009-2014), Commission des libertés civiles, de la justice et des
affaires intérieures, 2010/0064, 24 janvier 2011, «Projet de rapport
sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants
et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI »
(rapporteure: Roberta Angelilli, PPE).. Parallèlement aux discussions menées au niveau européen, certains pays (l’Allemagne, par exemple) ont désormais renoncé à leur projet de blocage systématique des sites web contenant des images d’abus commis sur des enfants mais privilégieront, à l’avenir, la suppression de ce type d’images aussi rapidement que possible 
			(24) 
			«Bundesregierung
hebt Sperrgesetz gegen Kinderpornos auf» («Le Gouvernement fédéral
abolit la loi relative au blocage prévue contre la pornographie
enfantine»), article du journal allemand Die Zeit, 25 mai 2011, <a href='http://www.zeit.de/'>www.zeit.de</a>. , tandis que d’autres (par exemple, l’Italie, la France, la Suède ou le Royaume-Uni) pratiquent le blocage depuis plusieurs années.
30. Dans leur argumentation, les représentants du Parlement européen se rapprochent beaucoup des fournisseurs de services internet (FAI), généralement opposés à l’obligation juridique du blocage des sites web, démarche qu’ils jugent inefficace. Leur principal argument est que les sites web concernés sont régulièrement transférés vers de nouvelles adresses IP (Internet Protocol) et, par conséquent, les «listes noires» devraient elles aussi faire l’objet d’une mise à jour très régulière, quasiment quotidienne. Ils ajoutent qu’une grande partie des échanges d’images d’abus commis sur des enfants a lieu au sein de réseaux fermés, uniquement accessibles aux «initiés». De ce fait, ils estiment que le blocage des sites web n’empêche pas les délinquants sexuels d’échanger leur matériel illégal en ligne et que, dans la lutte contre le matériel pédopornographique, le retrait à la source reste la seule mesure technique efficace. D’autres arguments contre le blocage sont avancés par ceux qui veillent au droit à la liberté d’expression sur internet et à la protection des données confidentielles, car ils craignent que l’introduction de mécanismes de blocage ou de filtrage n’ouvre la porte à des abus autrement motivés (motifs politiques, religieux…), en particulier dans des sociétés moins démocratiques (voir ci-après le chapitre 4.3). L’Association paneuropéenne des fournisseurs de services internet (EuroISPA), adoptant une approche d’autorégulation, appelle à la mise en place de procédures de coopération internationale strictes permettant de supprimer à la source les contenus illégaux, et affirme l’intention de ses membres de poursuivre leur coopération avec les services de répression internationaux 
			(25) 
			EuroISPA, Effectively Fighting the Online Distribution
of Sexual Child Abuse Material, septembre 2010, <a href='http://www.euroispa.org/'>www.euroispa.org</a>..
31. Les organisations de protection de l’enfance, telles que Save the Children, ECPAT ou l’association britannique NSPCC (National Society for the Prevention of Cruelty to Children) – beaucoup étant organisées conjointement dans le cadre des «ONG européennes pour la sécurité des enfants sur internet» (Alliance for Child Safety Online, eNASCO) – ont toujours défendu ardemment le blocage immédiat des sites pédopornographique identifiés. Elles estiment que chaque consultation d’une image d’abus commis sur des enfants «re-victimise» les enfants représentés, encourage la création de nouvelles victimes et doit être évitée afin de pouvoir interrompre immédiatement les échanges de matériel pédopornographique et réduire le parc de clients des sites web illégaux. Au cours des processus de négociation au niveau de l’Union européenne, les organisations de protection de l’enfant ont donc fait pression en faveur d’une disposition faisant du blocage des sites web pédopornographiques une mesure juridique obligatoire.
32. Dans leur position, les organisations de protection de l’enfance rejoignent entièrement l’approche suivie par Interpol, dont les experts apportent de nombreux arguments en faveur du blocage. En bonne place figure l’argument selon lequel le blocage est une mesure préventive que seuls les plus résolus à accéder à des images d’abus commis sur des enfants tenteront de circonvenir, acte qui leur interdirait alors de prétendre avoir effectué un «accès accidentel et involontaire». En outre, Interpol souligne que le recours au blocage des accès libérera des ressources policières pour travailler à identifier les victimes d’abus sexuel au lieu de gérer les innombrables rapports, fournis par le public ou des organisations non gouvernementales (ONG), signalant la diffusion à répétition de contenus sur des pages web diverses. Toutefois, Interpol privilégie une solution de blocage qui réorienterait le trafic internet vers une «page stop», ce qui aurait alors non seulement l’effet pédagogique de rappeler à l’internaute l’illégalité de sa transaction, mais fournirait aussi un mécanisme de recours ad hoc (et rendrait la procédure de blocage plus démocratique) 
			(26) 
			Voir le site web d’Interpol: <a href='http://www.interpol.int/'>www.interpol.int</a>..
33. Face à l’argument de la possible difficulté technique ou de l’inefficacité du blocage, des experts favorables au blocage affirment que ce type de technologie est couramment employé par les fournisseurs de contenus d’appel pour protéger leurs droits (relatifs aux sports, aux films et à la musique), et ils ne voient pas pourquoi les fournisseurs de services internet ne devraient pas déployer une technologie semblable pour garantir que leurs services ne diffusent pas des images d’abus commis sur des enfants 
			(27) 
			Save
the Children, commentaires sur la révision de la décision-cadre
relative à la lutte contre l’abus et l’exploitation sexuels des
enfants et contre la pédopornographie, Bruxelles, 15 octobre 2008, <a href='http://www.savethechildren.org/'>www.savethechildren.org</a>. . Ainsi, au Royaume-Uni, British Telecom a été le premier à bloquer l’accès à ce type d’images, dénombrant 45 000 tentatives d’accès en 2009, ce qui représenterait 58 millions de tentatives potentielles par an à travers le monde; cela laisse penser que le blocage peut aussi s’effectuer à grande échelle 
			(28) 
			Selon M. John Carr
– conseiller-expert principal auprès de l’Union internationale des
télécommunications, Initiative de protection de l’enfance en ligne
(Royaume-Uni), «Combattre la pornographie enfantine sur internet »
–, dans la présentation qu’il a faite devant les parlementaires
de référence de la Campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre
la violence sexuelle à l’égard des enfants, à Strasbourg le 13 avril
2011.. Néanmoins, même les organisations de protection de l’enfance admettent que le blocage n’est qu’une des mesures complémentaires dans la lutte contre le matériel pédopornographique sur internet, la suppression des images à la source restant de loin la meilleure réponse 
			(29) 
			Selon
Mme Cristiana De Paoli, Save the Children Italie, lors de l’audition
du 22 mars 2011, à Paris, organisée par la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille..
34. Nombre d’experts et de décideurs ont examiné la question du blocage des sites web de manière approfondie sans aboutir à un consensus final sur l’efficacité d’une telle mesure. Après avoir passé en revue les diverses positions adoptées sur ce sujet complexe, et notamment à la lumière de la solide expérience des services de répression en la matière, je suis convaincu que le blocage des sites web illégaux doit devenir obligatoire en tant que mesure complémentaire dès lors que la suppression immédiate des contenus pédopornographiques n’est pas possible. A cet égard, je regrette profondément que, à l’occasion de son projet de directive en cours d’élaboration, l’Union européenne n’ait pas demandé à tous ses Etats membres de transposer ce règlement dans leur législation nationale, et il me semble que l’Assemblée doit aussi exprimer son regret sur cette question. En revanche, j’approuve le Comité des Ministres (voir la Recommandation CM/Rec(2008)6 sur les mesures visant à promouvoir le respect de la liberté d’expression et d’information au regard des filtres internet) lorsqu’il affirme que de telles mesures doivent respecter les conditions exposées à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence applicable de la Cour européenne des droits de l’homme. Tous les Etats membres doivent veiller à ce que, dès lors que des sites web sont bloqués ou inscrits sur une «liste noire», cela se produise de la manière la plus démocratique qui soit. Des institutions spécialisées devraient assurer un suivi indépendant des procédures pertinentes, si possible avec la participation des services de répression nationaux, afin de veiller à ce que le blocage intervienne dans le plein respect des dispositions juridiques, des principes démocratiques et des droits de l’homme, et en prévoyant des mécanismes de recours effectifs pour éviter que les mesures de blocage ne soient utilisées à mauvais escient 
			(30) 
			John Carr, op. cit..
35. Pour toute mesure répressive conduisant au filtrage ou au blocage de sites web, et pour éviter l’abus illégal de telles mesures (pour des motifs politiques, par exemple), la Recommandation 1897 (2010) de l’Assemblée sur le respect de la liberté des médias prévoit quelques points de référence intéressants. Parallèlement aux mesures juridiques prises pour bloquer certains sites web, il convient de promouvoir dans tous les Etats membres des mécanismes et des outils de filtrage plus individuels (sous forme de programmes conçus pour des ordinateurs individuels). En général, une sensibilisation aux médias, notamment pour les enfants, doit être favorisée par diverses mesures et campagnes, comme c’est le cas dans de nombreux pays, par exemple dans le cadre de la Journée pour un internet plus sûr (Safer Internet Day, SID) 
			(31) 
			Voir le site: <a href='www.saferinternet.org/web/guest/safer-internet-day'>www.saferinternet.org/web/guest/safer-internet-day</a>. soutenue par l’Union européenne et avec le Manuel de maîtrise de l’Internet, publié (et très régulièrement mis à jour) par le Conseil de l’Europe à l’intention des enseignants, des parents et des jeunes.

4.3. Le rôle du secteur privé et le débat européen sur la «liberté de l’internet»

36. Le secteur privé est un partenaire important des autorités publiques dans le combat contre les images en ligne d’abus commis sur des enfants, étant donné que l’internet est largement fondé sur les services de sociétés privées, comme les fournisseurs de services internet qui contribuent déjà à la lutte contre les contenus illégaux dans différents contextes. Sur le plan international, ces fournisseurs sont organisés dans le cadre de l’Association internationale de services d’assistance en ligne (International Association of Internet Hotlines,INHOPE), aux côtés d’un certain nombre d’ONG qui gèrent des hotlines nationales. Ces partenaires poursuivent le but commun de signaler régulièrement des sites web pédopornographiques via le Report Management System INHOPE (IHRMS), système spécial de collecte de données, opérationnel depuis janvier 2010 (voir également les chiffres fournis dans l’introduction de ce rapport). Il existe d’autres organisations au niveau national, telle l’Internet Watch Foundation (IWF) au Royaume-Uni, directement impliquée dans les mécanismes nationaux de blocage 
			(32) 
			Internet Watch Foundation,
Annual and Charity Report 2010, <a href='www.iwf.org.uk'>www.iwf.org.uk</a>.. L’autorégulation des fournisseurs de services internet est également promue par le biais de diverses associations professionnelles, à l’échelon national ou européen, telles les Associations européennes des fournisseurs de services internet (EuroISPA), qui condamnent ouvertement la diffusion de matériel pédopornographique 
			(33) 
			EuroISPA, Effectively Fighting the Online Distribution
of Sexual Child Abuse Material, septembre 2010. <a href='www.euroispa.org'>www.euroispa.org</a>.. De grandes sociétés de l’internet, telles que Microsoft, ont déjà adopté une approche proactive pour traiter ce problème – selon ses propres informations, Microsoft «[applique] des outils de filtrage et [emploie] plus de 100 experts spécialement formés pour aider à détecter, classer et signaler les images d’abus commis sur des enfants» 
			(34) 
			Microsoft, Combating Child Pornography Online,
publication adressée aux responsables politiques, février 2011, <a href='http://www.microsoft.com/TrustOnline'>www.microsoft.com/TrustOnline</a>. . D’autres entreprises doivent être encouragées à suivre cet exemple à l’avenir ou à mettre en place d’autres mesures proactives, telles que des labels de qualité pour les sites web et les services internet.
37. Plus généralement, la discussion sur les moyens de combattre les images pédopornographiques s’inscrit au sein d’un plus vaste débat concernant la liberté d’expression sur internet ou «la liberté de l’internet». Dans de nombreux cas, l’internet peut réellement favoriser l’exercice de la plupart des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et en particulier du droit à la liberté d’expression. Mais l’internet peut aussi être utilisé d’une manière qui met ces droits et ces libertés en péril, de même que le droit à la vie privée et au secret de la correspondance, et qui fait outrage à la dignité humaine – dans ces cas, l’internet révèle véritablement sa «face sombre» 
			(35) 
			Selon
Mme Bissera Zankova, représentante du Gouvernement bulgare au Comité
directeur sur les médias et les nouveaux services de communication,
lors de l’audition organisée par la commission des questions sociales,
de la santé et de la famille le 22 juin 2011 à Strasbourg.. Il faut se réjouir que le Conseil de l’Europe contribue activement à des débats importants dans ce domaine par le biais de diverses activités, telles la récente organisation du quatrième «Dialogue européen sur la gouvernance de l’internet» (EURODIG), à Belgrade les 30 et 31 mai 2011, l’élaboration en cours de la déclaration du Comité des Ministres sur les «principes de la gouvernance de l’internet» (pour l’automne 2011) et l’élaboration de la stratégie du Conseil de l’Europe sur la gouvernance de l’internet 2012-2015, qui sera adoptée à Vienne les 24 et 25 novembre 2011. L’Assemblée doit résolument soutenir l’«approche multipartite» suivie par le Conseil de l’Europe lui-même et l’étroite coopération avec le secteur privé, ainsi qu’envisager de participer plus activement à ce débat dans l’avenir. La présence du Conseil de l’Europe dans ce débat est de la plus haute importance, notamment pour assurer que les pays européens parlent tous d’une même voix dans des plates-formes internationales telles que le Forum sur la gouvernance de l’internet (IGF).
38. Même dans cette optique et dans les débats sur «la liberté de l’internet», beaucoup d’experts conviendront que le droit à la liberté d’expression doit être juridiquement restreint dès lors qu’entre en jeu le problème des images d’abus commis sur des enfants, tout comme il en va du «discours de haine» dans de nombreux pays. Reste, il est vrai, que toute limitation de l’accès à l’internet ferait inévitablement courir des risques au droit à la liberté d’expression. C’est pourquoi les risques et les préjudices que l’internet peut infliger aux enfants doivent faire l’objet de politiques globales, à fonder sur trois piliers: respect des droits de l’homme, approches associant divers acteurs (y compris les enfants eux-mêmes) et coopération internationale. Les mesures restrictives sont à examiner du point de vue de leur proportionnalité, de leur efficacité et de leur transparence, et leurs conséquences doivent être communiquées aux Etats membres pour que ceux-ci puissent les intégrer à leurs politiques globales 
			(36) 
			Ibid.. Bien que je souscrive pleinement à ces politiques globales, je tiens à rappeler que le droit à la liberté d’expression ne doit pas être garanti au prix du droit des enfants à être protégés contre «toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle», tel que stipulé dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant 
			(37) 
			Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, article 34, <a href='www2.ohchr.org/french/law/crc.htm'>www2.ohchr.org/french/law/crc.htm</a>. .

5. Conclusions

39. A la lumière des résultats de cette analyse, l’Assemblée devrait exiger une législation plus forte, une action politique plus engagée et une coopération internationale renforcée entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et d’autres pays, afin de garantir à nos enfants une meilleure protection contre toute la série de crimes effroyables liés aux images pédopornographiques. Parmi les actions à entreprendre au niveau européen, notamment au Conseil de l’Europe, il faudrait d’abord renforcer les normes juridiques via un protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels.
40. Dans cette perspective, il conviendrait d’adopter une terminologie commune et précise, en substituant «images d’abus commis sur des enfants» à «pornographie enfantine», ainsi qu’en s’accordant sur une compréhension commune de ce type d’images et sur des critères communs pour les enquêtes. Certaines questions cruciales restent à préciser: par exemple, comment traiter les images où il est difficile de clairement déterminer l’âge du jeune, comment traiter les cas où l’abus sexuel est commis par des délinquants mineurs, ou lorsque des images sexuellement explicites sont mises en ligne (sur des sites de réseaux sociaux, par exemple) par des adolescents – non conscients de l’illégalité et des conséquences de leur acte.
41. Parmi les mesures politiques visant à combattre les images d’abus commis sur des enfants et les infractions associées, la Campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants est un important vecteur pour mieux sensibiliser au problème et pour inviter les Etats membres à renforcer leur action contre les images d’abus commis sur des enfants au niveau national. Dans toute action menée au niveau du Conseil de l’Europe, il est important de transmettre des messages cohérents et de pleinement coordonner différentes activités (normalisation, promotion et assistance, etc.) dans ces deux domaines: protection des droits de l’enfant et protection de la liberté d’expression (notamment via l’internet).
42. Tous les Etats membres devraient être prêts à appliquer les mesures les plus ambitieuses pour lutter contre la production, la diffusion et la consultation d’images d’abus commis sur des enfants, y compris le blocage de sites web à contenu illégal s’il y a lieu. Les autorités publiques des Etats membres devraient être prêtes à imposer ce type de mesures complémentaires envers et contre les puissants arguments de l’industrie internet qui, parfois, revendique le droit à la «liberté de l’internet» pour éviter, selon elle, les procédures complexes et onéreuses inhérentes au blocage de l’accès à des sites web illégaux. Il reste que la priorité devrait aller aux mesures permettant d’identifier les sites web hébergeant des images d’abus commis sur des enfants, puis au retrait rapide de ces images et à l’identification et aux poursuites judiciaires des délinquants. C’est seulement si ce processus ne peut être assuré dans des délais relativement brefs, qui restent à définir, que le blocage devrait intervenir en guise de mesure complémentaire. Le blocage serait à effectuer de manière absolument transparente et démocratique au moyen de procédures supervisées, garanties contre les abus, en assurant la protection des données privées et en prévoyant des mécanismes de recours adaptés.
43. Toute mesure prise à l’encontre d’images d’abus commis sur des enfants devrait également s’inscrire au sein de stratégies nationales et internationales globales qui prennent en compte la dimension à la fois locale et globale du problème, qui impliquent des mesures juridiques et politiques et, enfin, qui renforcent la coopération internationale formelle et informelle dans ce domaine, ainsi que l’étroite coopération avec le secteur privé. Même s’ils s’intéressent à des problèmes spécifiques (par exemple, les images d’abus commis sur des enfants ou le tourisme sexuel), tous les acteurs impliqués devraient continuer à viser un objectif: résoudre les causes profondes de l’abus sexuel sur des enfants. Il faut multiplier les ressources disponibles pour étudier les phénomènes et les causes de l’abus sexuel sur des enfants et pour apporter un soutien aux victimes, ainsi que pour soutenir la police et les services sociaux chargés d’enquêter sur les affaires pédopornographiques et de prévenir de futurs abus. Ces ressources devraient aussi servir à mettre en place des approches solides centrées sur les victimes, notamment les cadres institutionnels requis (unités spécialisées dans l’identification des victimes, par exemple), car l’identification des victimes et des délinquants est le seul moyen de mettre un terme définitif aux abus liés à des images d’abus commis sur des enfants. Dans le but de tout bonnement empêcher les délits associés aux images d’abus commis sur des enfants, le rôle du secteur de l’éducation est crucial depuis le très jeune âge.
44. Bien que l’autorégulation et les actions de signalement soient déjà le fait de quelques fournisseurs de services internet et autres sociétés, les autorités publiques devraient encourager les actions privées suivant des approches proactives. Au niveau du Conseil de l’Europe, la question de la responsabilité juridique des sociétés privées, en particulier parmi les fournisseurs de services internet, devrait continuer d’être explorée dans le cadre des organes intergouvernementaux compétents.
45. Il faut sensibiliser la société dans son ensemble au fait que la «sexualisation» accrue des enfants dans le cadre des médias et des publicités compte parmi les facteurs qui favorisent la production et la consommation d’images d’abus commis sur des enfants. En conséquence, toute «sexualisation» des enfants dans les médias et ailleurs est à éviter et à combattre, car elle constitue une première étape vers la représentation de nos enfants comme objets sexuels qui, alors, se voient exposés aux abus et à l’exploitation par des délinquants sexuels individuels et par des groupes de criminels. Il reste que les médias doivent accorder davantage d’attention et de place aux droits de l’enfant, ainsi qu’aux images pédopornographiques en tant qu’infraction pénale.
46. Enfin, nos enfants eux-mêmes doivent recevoir une éducation qui les rende conscients, de manière respectueuse, des dangers qui pèsent sur leur intégrité physique et mentale. Il faut donner à l’enfant les moyens de se protéger lorsque c’est possible, et de solliciter l’aide d’adultes en qui il a confiance quand il en a besoin. Néanmoins, cela ne doit jamais dispenser les adultes responsables d’enfants et les décideurs publics d’assumer l’entière responsabilité de la protection des enfants dont ils ont la charge.