Imprimer
Autres documents liés
Rapport | Doc. 12747 | 05 octobre 2011
La situation politique dans les Balkans
Commission des questions politiques et de la démocratie
Résumé
Malgré une évaluation positive globale de la situation dans les Balkans occidentaux, le récent regain des tensions et l'impasse politique dans certaines parties de la région suscitent des inquiétudes.
Le rapport résume les développements inquiétants dans le nord du Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, ainsi que les développements récents en Albanie où une longue crise politique semble avoir touché à sa fin. Il propose une série de recommandations pour résoudre les problèmes dans la région.
A. Projet de résolution
(open)1. L’Assemblée parlementaire constate que, malgré une
évaluation positive globale de la situation dans les Balkans, la
récente aggravation des tensions et de l’impasse politique dans
certaines parties de la région provoque des inquiétudes. Elle est
préoccupée en particulier par:
1.1. les
affrontements violents dans le nord du Kosovo aux
points de passage administratifs avec la Serbie, qui ont fait un
mort au cours de l’été, et la persistance des tensions et des éruptions
de violence aujourd’hui encore, ce qui bloque tout progrès dans
les négociations entre Pristina et Belgrade sous la médiation de
l’Union européenne;
1.2. l’impasse politique en Bosnie-Herzégovine, qui, un an
après les élections générales d’octobre 2010, ne dispose toujours
pas de gouvernement au niveau étatique, ce qui constitue la crise
politique la plus grave depuis la fin de la guerre en 1995.
2. En ce qui concerne le regain de tensions et de violences dans
le nord du Kosovo, l’Assemblée:
2.1. regrette
vivement les actes les plus récents de violence touchant le personnel
de la Force de paix au Kosovo (KFOR) qui sert sous commandement
de l’OTAN;
2.2. réclame d'urgence l'ouverture d'une enquête objective
sur l'incident survenu au point de passage administratif de Jarinje
le 27 septembre 2011, où six personnes ont essuyé des tirs;
2.3. invite les habitants du nord du Kosovo à faire preuve
de retenue et à coopérer sans délai dans un esprit constructif avec
la KFOR et avec la Mission Etat de droit de l’Union européenne au
Kosovo (EULEX);
2.4. invite les autorités de Pristina à apporter une réponse
positive et attentive à toute préoccupation légitime des minorités
dans la région;
2.5. exhorte les autorités de Belgrade et de Pristina à reprendre
le dialogue sous la médiation de l’Union européenne sur toutes les
questions en souffrance, dans un esprit de coopération et de réconciliation,
y compris la situation dans le nord du Kosovo; tout doit être fait
pour que, dans les Balkans occidentaux, le nord du Kosovo ne reste
pas un trou noir échappant au contrôle des autorités à la fois de
Pristina et de Belgrade;
2.6. en appelle aux Etats membres du Conseil de l’Europe pour
qu’ils exhortent les autorités de Belgrade et de Pristina à rechercher
une solution pacifique à la question du nord du Kosovo;
2.7. invite son Comité des présidents à envisager d'envoyer
une mission dans la région pour intensifier le dialogue et surmonter
les tensions;
2.8. souligne que les priorités des acteurs régionaux et internationaux
dans la région doivent rester la sécurité, la stabilité, le respect
des droits de l’homme et l'intégrité des frontières internationalement reconnues,
à la fois au Kosovo et dans toute la région.
3. S’agissant de l’impasse politique en Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée:
3.1. note que, en raison de querelles
d’ordre ethnique sur la répartition des postes ministériels entre les
dix membres du Conseil des ministres, cette impasse a entraîné de
graves conséquences: les agences financières internationales ont
abaissé la note du pays; les investissements directs étrangers ont
baissé de 75 % depuis 2009; le chômage frappe plus de 43 % de la
population active; l’Etat fonctionne avec un budget provisoire étant
donné que le budget de l’Etat n’a toujours pas été adopté;
3.2. regrette que le gouvernement sortant n’ait pas été en
mesure de lancer les réformes nécessaires pour que la Bosnie-Herzégovine
se prépare à adhérer à l’Union européenne, si bien que l’accord
de stabilisation et d’association, ratifié par l’ensemble des Etats
membres de l’Union européenne depuis octobre 2010, n’est toujours
pas entré en vigueur;
3.3. exhorte tous les dirigeants de partis politiques à trouver
sans délai une solution à l’impasse politique, ce qui offrirait
au pays la perspective d’une intégration européenne et d’une coopération régionale
renforcée;
3.4. invite, une fois de plus, les autorités à exécuter sans
délai l’arrêt Sejdic et Finci de
la Cour européenne des droits de l’homme en garantissant aux minorités
ou aux «autres» personnes qui ne font pas partie des «trois peuples
constituants» (les Bosniaques, les Croates et les Serbes) le droit
de se présenter aux élections;
3.5. exhorte tous les Etats membres du Conseil de l'Europe
à proposer une assistance aux autorités de Bosnie-Herzégovine pour
qu'elles surmontent l'impasse politique et la détérioration de la
situation économique et respectent leurs obligations et engagements
auprès de l’Organisation.
4. En ce qui concerne la situation en Albanie, l’Assemblée:
4.1. se félicite que les élections
locales de 2011 soient officiellement achevées maintenant et que
leur résultat ait été accepté par les électeurs albanais;
4.2. note l’engagement du chef du parti socialiste de mettre
fin au boycott du parlement par son parti;
4.3. encourage l’ensemble des partis à œuvrer sans délai pour
renforcer leur fonctionnement démocratique interne et pour normaliser
la situation politique et entamer un dialogue politique au sein du
parlement sur les priorités et les réformes nécessaires à réaliser,
mais aussi à le faire dans l’optique des négociations d’adhésion
à l’Union européenne;
4.4. salue le récent accord conclu entre le parti démocrate
et le parti socialiste pour faire avancer la réforme électorale
et les exhorte à veiller à ce que la réforme remédie aux carences
constatées lors des élections législatives et locales et donne davantage
de chances aux petits partis d’entrer au parlement, de façon à mettre
fin à la bipolarisation politique qui a marqué la vie politique
en Albanie et qui a laissé le peuple albanais insatisfait ces dernières
décennies. L’avis de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) devrait être recherché dans
le processus de réforme électorale.
5. L’Assemblée décide de continuer à suivre de près la situation
dans les Balkans occidentaux et notamment au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine
et en Albanie.
B. Exposé des motifs, par M. von Sydow, rapporteur
(open)1. Introduction
1. A la suite de la demande d’un débat suivant la procédure
d’urgence sur la situation politique dans les Balkans, la commission
des questions politiques m’a désigné rapporteur le 3 octobre 2011.
Cette décision a été dictée par l’aggravation récente des tensions
et de l’instabilité politique dans les Balkans, en particulier par les
violents affrontements dans le nord du Kosovo aux
points de passage administratifs avec la Serbie, qui ont fait un
mort pendant l’été, entretenu la tension et favorisé une explosion
de violence jusqu’à aujourd’hui encore, bloquant tout progrès dans
les négociations engagées sous la médiation de l’Union européenne
entre Pristina et Belgrade; et également par l’impasse politique
en Bosnie-Herzégovine qui, un an après les élections générales d’octobre
2010, reste sans gouvernement au niveau de l’Etat, ce qui constitue
la crise politique la plus longue du pays depuis la fin de la guerre
en 1995.
2. En Albanie, la longue crise politique qui a suivi les dernières
élections locales semble s’être terminée par l’achèvement officiel
des élections locales et la décision du dirigeant du parti socialiste
de mettre fin au boycott du parlement par son parti.
3. Il convient de rappeler que, le 26 janvier 2011, l'Assemblée
parlementaire a adopté la Résolution
1786 (2011) et la Recommandation
1954 (2011) sur la réconciliation et le dialogue politique
entre les pays de l’ex-Yougoslavie dans lesquelles elle soutient
les efforts des pays de l’ex-Yougoslavie pour se réconcilier et
pour reconstruire une nouvelle relation entre eux, et se félicite
de leur engagement à l’égard de la coopération régionale, qui témoigne
d’une plus forte volonté de surmonter les séquelles du passé. Elle
estime que des efforts renouvelés de la part de tous les gouvernements
de la région sont nécessaires afin de parvenir à une véritable réconciliation
et à leur intégration euro-atlantique. Les récentes tensions dans
le nord du Kosovo et l'impasse politique en Bosnie-Herzégovine représentent
une menace pour le processus de réconciliation et d'intégration
euro-atlantique.
2. Kosovo
4. Il convient de rappeler que depuis la déclaration
unilatérale d’indépendance du 17 février 2008, les institutions
du Kosovo se considèrent comme les autorités souveraines et légitimes
du territoire et qu’elles ont pris des mesures pour affirmer le
statut d’Etat du Kosovo. 84 Etats membres des Nations Unies ont
reconnu l’indépendance du Kosovo. Pour sa part, la Serbie revendique
le Kosovo comme faisant partie de son propre territoire souverain.
5. L’Assemblée a exprimé tout récemment son point de vue sur
le Kosovo en adoptant la Résolution
1739 (2010) et la Recommandation
1923 (2010) sur la situation au Kosovo et le rôle du
Conseil de l’Europe, sur la base d’une approche de neutralité quant
au statut du Kosovo .
6. Responsable du rapport sur cette question, j’ai depuis lors
continué à suivre la situation. Je me suis ainsi rendu au Kosovo
en novembre 2010 avant la tenue des élections.
7. Dans sa réponse à la recommandation de l’année dernière, le
Comité des Ministres a mis en relief les programmes de coopération
déjà engagés au Kosovo (pour l’essentiel dans le cadre de projets
communs Conseil de l’Europe – Union européenne). Il a reconnu que
tout processus de suivi concernant la situation au Kosovo n’aurait
de sens que si les autorités compétentes du territoire y participaient
directement et étaient responsables des suites données aux recommandations.
Il convient de saluer tout particulièrement la volonté exprimée
par les Délégués des Ministres de lancer une étude de faisabilité
sur la mise en œuvre des mécanismes de suivi des conventions du
Conseil de l’Europe au Kosovo.
8. Le nord du Kosovo désigne une région située dans le nord du
territoire où une majorité de Serbes de souche jouit d’une large
autonomie face au reste du territoire contesté, qui est habité par
une majorité d’albanophones. Des institutions serbes parallèles
existent dans cette région pour les Serbes qui y vivent, situation
qui est manifestement contestée par les institutions kosovares.
La Force de paix au Kosovo (KFOR), sous commandement de l’OTAN,
assure la sécurité contre les menaces extérieures et intérieures
dans tout le territoire du Kosovo.
9. A la fin de juillet 2011, les tensions se sont aggravées dans
le nord du Kosovo en raison de la décision du Gouvernement kosovar
d’envoyer des forces de police spéciales prendre le contrôle de
deux points de passage à la frontière administrative avec la Serbie
pour faire respecter l’interdiction de l’importation de produits
serbes. Les points de passage étaient gardés jusque-là par des membres
serbes de la police kosovare. Le Gouvernement kosovar les soupçonnait
de ne pas mettre en vigueur les contrôles douaniers. La volonté
des autorités kosovares de prendre le contrôle des points de passage
s’est heurtée à la résistance des Serbes de souche du nord du territoire.
Ces derniers ont bloqué des routes pour exiger qu’une solution soit trouvée
à la question du contrôle des postes. Un officier de police kosovar
a été tué le 25 juillet 2011 et des violences ont éclaté. Le 28 juillet
2011, alors que la tension montait, les deux points de passage ont
été déclarés zones militaires à accès restreint par la KFOR.
10. En dépit d’une demande de la Serbie au Conseil de sécurité
des Nations Unies d’empêcher les autorités kosovares de prendre
le contrôle des points de passage, le 16 septembre 2011, la Mission
Etat de droit de l’Union européenne au Kosovo (EULEX) a déployé
des fonctionnaires des douanes et de la police des frontières, protégés
par les forces de la KFOR.
11. A ce jour, les tensions restent vives dans le Nord et se traduisent
par des éruptions de violence entre les forces de la KFOR et les
Serbes du Kosovo, qui rejettent toujours la présence de fonctionnaires
des douanes du Kosovo aux points de passage entre le Kosovo et la
Serbie.
12. En raison de l’escalade de la tension, une série de négociations
entre Belgrade et Pristina, qui devaient avoir lieu les 27 et 28 septembre
2011 à Bruxelles grâce aux bons offices de l’Union européenne, ont
été ajournées sine die. A
l’origine, les autorités serbes voulaient sortir de l’impasse en
mettant la question à l’ordre du jour du dialogue qui se déroule
régulièrement avec Pristina par l’entremise de l’Union européenne,
mais le Gouvernement kosovar a refusé de l’aborder. Le 28 septembre
2011, la Serbie s’est retirée de la réunion de dialogue prévue avec
la médiation de l’Union européenne après avoir déclaré qu’elle ne
parlerait que de la situation à la frontière. Il sera probablement
extrêmement difficile de reprendre les négociations tant que la situation
ne sera pas réglée dans le nord du Kosovo.
13. Il y a eu une vive réaction internationale aux derniers événements
qui se sont produits au Kosovo.
14. Catherine Ashton, Haut Représentant de l’Union européenne
pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a exhorté
les deux parties à s’abstenir de prendre d’autres mesures et à rechercher
une solution pacifique au problème par le dialogue. Les Etats-Unis
ont accusé les Serbes de provoquer des violences, tandis que le
ministère russe des Affaires étrangères a exprimé sa profonde préoccupation
au sujet de la situation au Kosovo en soulignant que le conflit,
largement perçu comme un incident frontalier, pourrait déstabiliser
la situation dans toute la région.
15. Le 28 septembre, les membres du Conseil de sécurité des Nations
Unies se sont réunis pour des consultations d’urgence à New York
afin de discuter de la situation dans le sud de la Serbie, mais
ils ne sont pas parvenus à trouver une position commune sur le conflit.
16. A Pristina, le gouvernement et l’opposition étaient unanimes
à faire valoir que les actions des autorités kosovares étaient légitimes
et qu’elles devraient être poursuivies jusqu’à ce que le contrôle
des postes-frontières soit pleinement assuré. Le 29 septembre, Bajram
Rexhepi, ministre de l’Intérieur du Kosovo, a déclaré que les barrages
routiers installés par les Serbes du cru seraient supprimés, tout
en promettant que les autorités kosovares ne prendraient pas de
mesure unilatérale et que toute action serait menée en coordination
avec les forces de la KFOR et la mission de l’Union européenne.
17. Le Gouvernement serbe a fermement condamné les violences au
Kosovo. Il a invité la KFOR et l’EULEX à garantir la sécurité sur
le territoire et à ne pas tolérer les mesures unilatérales de Pristina.
Il a également déclaré qu’il ne renoncerait pas à rechercher une
solution pacifique à la question kosovare.
18. Il est malheureux de constater que la question du contrôle
de la frontière du nord du Kosovo est maintenant examinée dans un
contexte de crise et de tensions.
19. 19. Cependant, il convient de saluer le fait que les autorités
serbes ont montré qu’elles sont attachées au dialogue et qu’elles
sont disposées à rechercher une solution à des problèmes spécifiques.
20. Alors que l’arrestation, plus tôt cette année, de Radko Mladic,
l’ex-chef militaire des Serbes de Bosnie, et celle de Goran Hadzic,
le chef des Serbes de Croatie, semblaient avoir levé les derniers
obstacles à la reconnaissance à la Serbie du statut de candidat
à l’Union européenne, le 22 août, la chancelière allemande Angela
Merkel a annoncé qu’elle exigerait que la Serbie devienne un facteur
de stabilisation dans les Balkans, en particulier en apaisant ses
relations avec le Kosovo. Elle espérait que la coalition gouvernementale
pro-occidentale conduite par le parti démocrate du Président Boris
Tadic abandonnerait sa politique paradoxale consistant à demander
à adhérer à l’Union européenne tout en contestant l’indépendance
du Kosovo.
21. Il semble peu probable que la Serbie avance considérablement
sur la voie d'une normalisation de ses relations avec le Kosovo
avant les élections qui y sont prévues en 2012. L'objectif de la
coalition au pouvoir sera de trouver un juste équilibre entre l'obtention
du statut de pays candidat à l'Union européenne et la résistance
aux pressions qui visent à faire reconnaître le Kosovo. Cet équilibre
devrait sensiblement renforcer la position des partenaires de la
coalition actuelle lors des prochaines échéances électorales. Cela
étant, si la Serbie obtient le statut de candidat mais ne satisfait
pas aux exigences de la chancelière Merkel, l'Union européenne perdra
ses moyens de pression vis-à-vis de la Serbie dans ses efforts de
stabilisation des Balkans.
22. En même temps, la situation au nord du Kosovo retarde l’avancement
du Kosovo lui-même vers l’intégration européenne, y compris le processus
de libéralisation des visas pour la population du Kosovo.
23. Je crois que la solution réside dans la recherche d’un compromis
entre les deux parties, qui devraient faire des concessions. Un
accord politique sur l’administration du nord du territoire est
une condition préalable à une solution durable. Il est essentiel
d’y parvenir, au nom de la stabilité dans les Balkans, mais aussi
des demandes d’adhésion de Belgrade et de Pristina à l’Union européenne.
3. Bosnie-Herzégovine
24. Le 3 octobre 2011 marque le premier anniversaire
des élections générales tenues en octobre 2010. Un an plus tard,
la Bosnie-Herzégovine n’a toujours pas de gouvernement au niveau
de l’Etat. C’est la crise politique la plus longue depuis la fin
de la guerre en 1995.
25. Le gouvernement sortant s’occupe des affaires courantes, mais
il ne peut introduire les réformes nécessaires pour que la Bosnie-Herzégovine
soit en position de rejoindre l’Union européenne. L’Accord de stabilisation
et d’association (ASA), ratifié par tous les Etats membres de l’Union
européenne depuis octobre 2010, n’a toujours pas été mis en œuvre,
car la Bosnie-Herzégovine se trouverait immédiatement en infraction avec
l’accord, pour n'avoir pas adopté de loi sur le recensement, de
loi sur les aides d’Etat ni de réforme constitutionnelle visant
à éliminer la discrimination que la Cour européenne des droits de
l’homme a estimée contraire à la Convention européenne des droits
de l’homme dans l’affaire Sejdic et Finci,
en décembre 2009.
26. Une telle situation a des conséquences désastreuses: les agences
de notation internationales ont abaissé les cotes de crédit du pays;
les investissements directs étrangers ont chuté de 75 % depuis 2009;
le chômage est à plus de 43 % de la population active; l’Etat fonctionne
avec des financements temporaires, étant donné qu’aucun budget de
l’Etat n’a encore été adopté; et, bien sûr, la réputation du pays
à l’étranger a été sérieusement mise à mal. La lutte entre les différents
niveaux de gouvernement (Etat, entités, cantons) au sujet de la
répartition des 96 millions d’euros affectés par l’Union européenne
dans le cadre de l’Instrument de préadhésion (IPA) pour 2011 pourrait
se traduire par une réaffectation partielle des crédits aux programmes régionaux,
tandis que le Fonds monétaire international pourrait ne pas pouvoir
verser la deuxième tranche de l’accord de confirmation de 1,2 milliard
d'euros. La faillite et le surendettement menacent dans les deux
entités.
27. La cause fondamentale de ce problème est la querelle d'ordre
ethnique sur la répartition des postes ministériels au sein du Conseil
des ministres, composé de 10 membres. Il y a neuf ministères (et
neuf vice-ministres), plus un Président, et ces postes doivent être
partagés entre les principaux partis ethniques représentant les
trois peuples constituants: les Bosniaques, les Serbes et les Croates .
28. Rappelons que le principal gagnant des élections d’octobre
2010 est le Parti social-démocrate multiethnique. La coalition qu’il
forme avec le principal parti bosniaque (le SDA) et deux petits
partis croates (le HSP et le NSRzB) détient 17 des 42 sièges du
parlement de l’Etat et revendique par conséquent le poste de Président
du Conseil des ministres. Son candidat, M. Slavo Kukic, un croate
ethnique sans étiquette, n’a cependant pas été confirmé par le parlement
en juillet 2011, en raison de l’opposition des partis serbes et
des partis croates du courant majoritaire.
29. La loi sur le Conseil des ministres prévoit que la présidence,
composée de trois membres, aurait dû présenter de nouveaux candidats
au poste de Président du Conseil des ministres dans un délai de
huit jours. Or, à ce jour, les membres de la présidence attendent
la conclusion d’un accord entre partis sur la répartition des postes.
Le 26 septembre 2011, à Brčko, la dernière réunion des dirigeants
des six principaux partis n’a donné aucun résultat, bien que les
principaux partis serbes (le SNSD et le SDS ) aient
fait preuve d’un peu plus de souplesse qu’auparavant. L’obstacle
essentiel reste celui de la répartition des postes «réservés» aux Croates:
aussi bien l’Union démocratique croate (HDZ) que le sécessionniste
HDZ-1990 qui, à eux deux, détiennent quatre sièges au parlement
de l’Etat, soutiennent qu’ils sont les seuls représentants «légitimes» des
Croates de Bosnie-Herzégovine et exigent par conséquent trois ministères,
notamment le poste de Président du Conseil des ministres. Ils n’acceptent
pas que les Croates ethniques membres du Parti social-démocrate
multiethnique puissent être des représentants légitimes du peuple
croate, étant donné que certains d’entre eux, notamment le membre
croate de la présidence, ont été élus avec l’aide de voix bosniaques.
30. L’impasse politique ne favorise pas la confiance multiethnique
et le sens du bien commun pour le pays. Elle a, en outre, renforcé
l’allégation des autorités de la Republika Srpska, selon lesquelles
une «séparation pacifique» serait une meilleure solution. Pour sa
part, la communauté croate, qui représente entre 10 % et 12 % de
la population totale (tandis que les Bosniaques représentent de
40 % à 48 % des 3,9 millions d’habitants du pays), craint d’être
marginalisée et de perdre son importance politique.
31. Si les dirigeants des partis n’agissent pas rapidement pour
régler les problèmes, la Bosnie-Herzégovine risque de devenir un
trou noir dans les Balkans occidentaux: en effet, la Constitution
de l’Etat et sa législation électorale ne prévoient pas la possibilité
de tenir des élections anticipées. L’impasse politique pourrait
en théorie durer jusqu’aux prochaines élections générales, prévues
en 2014.
32. En outre, la situation affecte la coopération régionale. Les
relations avec la Serbie se sont améliorées lentement au cours des
dernières années, mais la Bosnie-Herzégovine, qui est le seul pays
de la région à ne pas avoir reconnu le Kosovo, violait jusqu’il
y a peu l’Accord de libre-échange centre-européen (ALECE) en refusant
de reconnaître les tampons des douanes portant les symboles du Kosovo
ou l’inscription «Service des douanes du Kosovo» (tels que reconnus
par la MINUK). Par ailleurs, le processus dit de Sarajevo visant
à trouver une solution globale au problème des réfugiés et des personnes
déplacées dans la région n’est pas encore suffisamment monté en
puissance.
33. La Bosnie-Herzégovine n’a pas non plus respecté ses obligations
et ses engagements à l’égard du Conseil de l’Europe. En particulier,
près de deux ans après l’arrêt rendu par la Cour européenne des
droits de l’homme, il n’y a pas eu d’efforts crédibles en vue d’assurer
l’exécution de l’arrêt Sejdic et Finci
c. Bosnie-Herzégovine. Les minorités ou les «autres»
n’appartenant pas aux «trois peuples constituants» (les Bosniaques,
les Croates et les Serbes) ne peuvent toujours pas présenter de
candidats aux élections.
4. Albanie
34. L'Albanie a récemment connu une grave crise politique
à propos des résultats de l'élection municipale de Tirana, laquelle
trouvait déjà son origine dans une crise politique survenue à la
suite des élections législatives de juin 2009.
35. Le parti socialiste, alléguant des fraudes dans un certain
nombre de circonscriptions, a fait appel des résultats des élections
législatives de 2009 auprès de la Commission électorale centrale,
puis devant le Collège électoral .
Dans les deux cas, les recours du parti socialiste ont été rejetés.
Pour protester contre l'issue des élections, le parti socialiste
a décidé de boycotter les travaux du parlement et d'un certain nombre d'institutions
publiques. Etant donné que la majorité au pouvoir n'a pas la majorité
qualifiée des trois cinquièmes nécessaire pour procéder à des modifications
constitutionnelles et organiques, ce boycott a eu des effets négatifs
sur la mise en œuvre d'un certain nombre de réformes importantes,
indispensables dans la perspective de l'éventuelle adhésion du pays
à l'Union européenne, qui est l'une des principales priorités politiques
de l'Albanie. Le parti socialiste a fini par mettre fin à son boycott
du parlement et l'a remplacé par une «relation conditionnelle avec
le parlement». Cette décision était essentiellement dictée par le
souhait de ne pas perdre ses mandats parlementaires, ce qui aurait
été le cas si ses membres n'avaient pas prêté serment dans un délai
de six mois après les élections. Le parti socialiste était certes
revenu officiellement au parlement sans pour autant mettre fin,
en réalité, à l'immobilisme et à l'impasse politique. Cette situation
a, à son tour, marqué la préparation des élections locales qui se
sont tenues le 8 mai 2011.
36. A la suite de ces élections, le 23 juin 2011, M. Lulzim Basha
(parti démocrate) a été officiellement déclaré vainqueur du scrutin
pour la mairie de Tirana avec une avance de 93 voix sur son rival,
le maire sortant Edi Rama (parti socialiste). Les décisions de la
Commission électorale centrale ont été vivement contestées et ont
fait l’objet de plusieurs recours. Le parti socialiste a exigé un
nouveau scrutin auprès du Collège électoral. Cependant, celui-ci
a rejeté ces recours et ces exigences pour des motifs juridiques.
Le 1er août 2011, M. Basha est devenu le nouveau maire de Tirana.
37. Selon les informations communiquées par les corapporteurs
de la commission de suivi sur l'Albanie, M. Jirsa et M. Petrenco,
concernant leur récente mission d'information à Tirana (30 juin
- 1er juillet 2011) ,
les élections locales de 2011 en Albanie sont désormais officiellement
terminées et il semble que les résultats aient été acceptés par
la population albanaise, si ce n'est par l'ensemble de ses dirigeants
politiques.
38. Il est encourageant de voir que la communauté internationale
a agi à l'unisson sous la coordination des ambassadeurs de l'Union
européenne, des Etats-Unis et de l'OSCE.Cela
a été fort utile pour éviter l'escalade et l'internationalisation
de la crise et a contribué à l'acceptation finale des résultats
de ces élections par les partenaires électoraux, y compris et surtout
par les électeurs albanais.
39. Le dirigeant du parti socialiste, M. Rama, a expressément
promis que son parti ne boycotterait plus le parlement et qu'il
participerait de nouveau aux travaux de celui-ci après la pause
estivale.Il importe désormais que
tous les partis s'emploient à normaliser la situation politique
et qu'ils entament, au sein du parlement, un dialogue politique
sur les priorités du pays, également en vue des négociations d'adhésion
à l'Union européenne.
40. Je salue aussi l'accord que le parti démocrate au pouvoir
et le parti socialiste ont récemment conclu pour poursuivre la réforme
électorale en vue de remédier aux insuffisances mises au jour lors
des élections législatives et des élections locales. Il conviendrait
également que cette réforme offre aux petits partis davantage de
possibilités d'entrer au parlement, ce qui permettrait de renforcer
la représentativité et le pluralisme et mettrait fin à la bipolarisation
qui caractérise la scène politique albanaise depuis plusieurs dizaines
d'années et crée dans la population une grande frustration. Il importe
tout autant de mettre un terme aux pratiques de négociation et de
modification du code électoral à la veille de chaque élection.
41. A ce propos, on peut noter que le Secrétaire Général du Conseil
de l'Europe a écrit aux autorités albanaises, les informant de son
intention de demander à la Commission de Venise un avis sur la manière d'éviter
à l'avenir les insuffisances constatées pendant les élections locales.
Ce geste a été considéré par certains interlocuteurs des corapporteurs
comme une forme possible d'ingérence dans les procédures judiciaires
internes. Je considère pour ma part que les intentions du Secrétaire
Général ont été mal comprises et je soutiens sans réserve sa proposition
qui vise à améliorer le Code électoral et à le rendre plus clair
en vue d'élections futures.
42. Je crois savoir que les corapporteurs de la commission de
suivi ont l'intention de se rendre à nouveau en Albanie en vue d'évaluer
les progrès accomplis par le pays pour honorer toutes les obligations
et tous les engagements souscrits lors de son adhésion au Conseil
de l'Europe. Il est très important que l'impasse politique ne continue
pas de paralyser les procédures législatives et l'adoption des réformes
indispensables pour le pays, notamment pour entamer les négociations
d'adhésion à l'Union européenne.
5. Nécessité de suivre de près la situation
43. L’Albanie et la Bosnie-Herzégovine font l’objet d’une
procédure de suivi par l’Assemblée. La situation dans ces deux pays
est et devrait continuer à être suivie de près par la commission
de suivi.
44. Pour sa part, la commission des questions politiques suit
de près la situation au Kosovo. Une nouvelle visite doit être prochainement
organisée et nous devrions tenir un échange de vues sur la situation
générale au Kosovo avec des représentants des forces politiques
élues à l’Assemblée du Kosovo, selon les termes de la Résolution 1739 (2010),
lors d’une de nos prochaines réunions.
45. Par conséquent, sur la base des travaux de sa commission des
questions politiques, d’un côté, et de sa commission de suivi, de
l’autre, l’Assemblée doit continuer à suivre de près la situation
dans ces pays et, le cas échéant, dans d’autres pays des Balkans
afin de promouvoir la sécurité, la stabilité et le respect de la démocratie,
de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Des recommandations
concrètes sont faites dans le projet de résolution.