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Avis 190 (1995)

Demande d'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 26 septembre 1995 (26e séance) (voir Doc. 7370, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Masseret; Doc. 7398, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Németh; et Doc. 7396, avis de la commission des relations avec les pays européens non membres, rapporteuse: Mme Severinsen). Texte adopté par l'Assemblée le 26 septembre 1995 (26e séance).

1. L'Ukraine a déposé une demande d'adhésion au Conseil de l'Europe le 14 juillet 1992. Par sa Résolution (92) 29 du 23 septembre 1992, le Comité des Ministres a demandé à l'Assemblée parlementaire d'émettre un avis sur cette demande, conformément à la Résolution statutaire (51) 30 A.
2. Le 16 juillet 1990, l'Ukraine a fait une déclaration de souveraineté afin d'affirmer la primauté de ses propres lois sur celles de l'Union Soviétique. Le 24 août 1991, à l'approche de la dissolution de l'Union Soviétique, l'Ukraine a déclaré son indépendance. Celle-ci a reçu un large support de l'opinion publique lors du référendum du 1er décembre 1991. Une série d'amendements à la Constitution de 1978 a placé l'État sur la voie de la démocratie.
3. L'Assemblée parlementaire a octroyé le statut d'invité spécial au Parlement ukrainien le 16 septembre 1992.
4. Des élections législatives et présidentielles se sont déroulées en Ukraine au printemps et en été 1994. Lors du premier tour des élections législatives, les observateurs de l'Assemblée ont fait état «du bon déroulement de la procédure électorale et de la tenue d'élections libres et équitables, malgré une loi électorale apparemment imparfaite...». De nouvelles lois relatives aux élections et aux partis politiques sont actuellement en préparation.
5. Au cours de 1994, à la suite des visites séparées mais coordonnées effectuées à la demande de l'Assemblée, deux éminents juristes ont fait état «de progrès spectaculaires» dans la mise en conformité des dispositions constitutionnelles et de la législation ukrainienne avec les principes généraux du Conseil de l'Europe (notamment la Convention européenne des Droits de l'Homme). Ils ont conclu que des réformes profondes étaient encore nécessaires, mais qu'elles pourraient fort bien être effectuées «après l'adhésion». Ce rapport a été rendu public le 6 avril 1995. Celui-ci constituait le principal document de travail sur lequel se sont appuyés les trois rapporteurs de l'Assemblée pour organiser leur visite en Ukraine (Kiev et Crimée) du 10 au 14 avril 1995.
6. Depuis, la situation constitutionnelle a été clarifiée (notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs, la protection des droits de l'homme et la perspective de rapides réformes économiques) grâce à la signature par le Président et le Parlement d'Ukraine, le 8 juin 1995, d'un accord constitutionnel sur les principes fondamentaux de l'organisation et du fonctionnement des pouvoirs publics et de l'autonomie locale. Cet accord devrait être suivi par l'adoption d'une nouvelle Constitution conforme aux normes du Conseil de l'Europe, au plus tard le 8 juin 1996. Entre-temps, les dispositions et les principes de la Constitution de 1978 qui sont incompatibles avec ledit accord sont rendus inopérants.
7. La loi du 17 mars 1995, l'accord constitutionnel du 8 juin 1995 et un décret présidentiel du 19 août 1995 confirment le statut spécial de la Crimée. Les limites exactes de son autonomie devront être précisées dans la nouvelle Constitution de l'Ukraine ainsi que dans la Constitution de la Crimée que son Parlement rédige actuellement en vue de la soumettre à l'approbation du Parlement d'Ukraine.
8. Les relations de l'Ukraine avec la Fédération de Russie seront un facteur déterminant pour la sécurité du pays ainsi que pour la stabilité de la région. L'Ukraine est extrêmement dépendante de la Russie pour son énergie et a une lourde dette envers elle. Plus de 11 millions (22 %) des 52 millions d'habitants de l'Ukraine sont d'origine ethnique russe. Quatre millions de personnes d'origine ukrainienne vivent en Russie. En Crimée, rattachée administrativement à l'Ukraine en 1954, les Russes de souche représentent 70 % de la population. La Russie reste intéressée par l'accès aux ports de la mer Noire qui permettent à leur tour le passage vers la Méditerranée. Le 9 juin 1995, un accord a été signé entre le Président de l'Ukraine et le Président de la Russie sur le partage de la flotte anciennement soviétique de la mer Noire et sur l'accès aux installations navales de Sébastopol. Cet accord a supprimé une cause importante de tension et de méfiance. Il devrait contribuer à la conclusion d'un traité général d'amitié, de coopération et de partenariat, dont le texte provisoire a été paraphé le 8 février 1995.
9. Un accord de partenariat et de coopération entre l'Ukraine et l'Union européenne a été signé le 14 juin 1994. Malgré une évolution défavorable des conditions commerciales, des progrès dans la stabilisation macro-économique et dans la réforme structurelle ont permis la signature d'un «accord provisoire» ultérieur le 1er juin 1995. L'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce est envisagée.
10. Avec le soutien de l'Union européenne, de l'Agence internationale de l'énergie atomique et du G7, l'Ukraine prévoit de fermer la centrale nucléaire de Tchernobyl avant l'an 2000, selon un calendrier annoncé le 19 mai 1995. A la suite de la décision de transférer à la Fédération de Russie toutes les armes nucléaires tactiques et stratégiques héritées de l'ex-URSS, l'Ukraine a adhéré le 5 décembre 1994 au Traité de non-prolifération d'armes nucléaires, en tant État ne disposant pas de la force nucléaire. Des lois ont été adoptées pour combattre le trafic illégal des matériaux fissiles, après consultation de l'Agence internationale de l'énergie atomique et du Groupe de fournisseurs de matières nucléaires.
11. En conséquence, à la lumière des assurances fournies par les plus hautes autorités de État (lettre du 27 juillet 1995 adressée par le Président de l'Ukraine, le Président du Parlement et le Premier ministre), et compte tenu des éléments ci-dessous, l'Assemblée estime que l'Ukraine est capable et a la volonté, conformément à l'article 4 du Statut du Conseil de l'Europe, de se conformer aux dispositions de l'article 3 de ce Statut précisant les conditions requises pour pouvoir adhérer au Conseil de l'Europe: «Tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite (de ce) but...»:
11.1. depuis 1992, l'Ukraine s'est associée à plusieurs activités du Conseil de l'Europe - elle participe ainsi aux programmes intergouvernementaux d'assistance et de coopération (notamment dans le domaine des réformes juridiques et des droits de l'homme), et, par le biais de sa délégation d'invités spéciaux, aux travaux de l'Assemblée parlementaire et de ses commissions;
11.2. un «dialogue politique» entre l'Ukraine et le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a été engagé le 13 juillet 1994;
11.3. un programme commun de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe pour la réforme du système juridique et l'administration locale est en cours de préparation et sa mise en œuvre prévue pour l'automne 1995;
11.4. l'Ukraine a signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. En outre, elle a adhéré à la Convention culturelle européenne, à la Convention européenne dans le domaine de l'information sur le droit étranger et à son protocole additionnel, et à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales
11.5. la législation suivante, conforme aux normes du Conseil de l'Europe, sera mise en application dans un délai d'un an après l'adhésion:
  • une nouvelle Constitution;
  • une loi-cadre sur la politique juridique de l'Ukraine pour la protection des droits de l'homme;
  • une loi-cadre sur les réformes juridiques et judiciaires;
  • un nouveau Code pénal et un nouveau Code de procédure pénale;
  • un nouveau Code civil et un nouveau Code de procédure civile;
  • une nouvelle loi sur les élections et une loi sur les partis politiques;
11.6. le rôle et les fonctions du Parquet seront modifiés (notamment en ce qui concerne l'exercice d'un contrôle général de légalité), de telle sorte que cette institution deviendra un organe conforme aux normes du Conseil de l'Europe;
11.7. la responsabilité du système pénitentiaire, de l'application des jugements et de l'enregistrement des entrées et sorties en Ukraine sera transférée au ministère de la Justice avant la fin de l'année 1998;
11.8. l'indépendance du pouvoir judiciaire, conformément aux normes du Conseil de l'Europe, sera assurée, notamment en ce qui concerne la nomination et la titularisation des juges; l'association professionnelle des magistrats sera appelée à participer à la procédure de nomination des juges;
11.9. le statut de la profession juridique sera protégé par la loi et une association professionnelle (barreau) sera établie;
11.10. la Cour constitutionnelle de l'Ukraine sera compétente pour décider de la compatibilité des actes des autorités législatives et exécutives de la République autonome de Crimée avec la Constitution et les lois ukrainiennes;
11.11. une solution pacifique aux conflits existant au sein des Églises orthodoxes sera facilitée tout en respectant l'indépendance de l'Église vis-à-vis de État; un nouveau système de déclaration des Églises, sans caractère discriminatoire, et une solution juridique pour la restitution des biens de Église seront mis en œuvre;
11.12. l'état d'avancement de la réforme législative permettra la signature et la ratification, dans les délais indiqués, des conventions européennes énumérées ci-après;
11.13. des politiques à l'égard des minorités ethniques continueront à être élaborées sur la base de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et selon les principes de la Recommandation 1201 (1993) de l'Assemblée relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme sur cette question.
12. L'Assemblée parlementaire a pris note que l'Ukraine partage son interprétation des engagements pris, tels qu'énoncés au paragraphe 11, et a l'intention:
12.1. de signer la Convention européenne des Droits de l'Homme au moment de son adhésion; de ratifier la Convention et les Protocoles nos 1, 2, 4, 7 et 11 dans le délai d'un an; de reconnaître, en attendant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, le droit de recours individuel auprès de la Commission européenne ainsi que la juridiction obligatoire de la Cour européenne (articles 25 et 46 de la Convention);
12.2. de signer dans l'année et de ratifier dans les trois ans suivant son adhésion le Protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, et de mettre en place immédiatement après son adhésion un moratoire sur les exécutions;
12.3. en attendant la conclusion de nouvelles études sur la compatibilité des deux instruments juridiques, de ne pas signer la Convention sur les droits de l'homme de la Communauté d'États indépendants (CEI), ni d'autres documents de la CEI pertinents, étant donné que les requêtes individuelles introduites en application de cette convention pourraient rendre impossible l'exercice effectif du droit de requête individuelle prévu à l'article 25 de la Convention européenne des Droits de l'Homme;
12.4. de signer et ratifier dans l'année suivant son adhésion la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
12.5. de ratifier dans l'année suivant son adhésion la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et de fonder sa politique vis-à-vis des minorités sur les principes énoncés dans la Recommandation 1201 (1993) de l'Assemblée, et de l'incorporer dans le système et dans la pratique juridiques et administratifs du pays;
12.6. de signer et ratifier, tout en appliquant entre-temps leurs principes fondamentaux, les autres conventions du Conseil de l'Europe, notamment celles concernant l'extradition, l'entraide judiciaire en matière pénale, le transfèrement des personnes condamnées et le blanchiment, le dépistage, la saisie et la confiscation des produits du crime;
12.7. de signer et ratifier, dans un délai d'un an à compter de l'adhésion, la Charte européenne de l'autonomie locale et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, d'étudier la Charte sociale du Conseil de l'Europe en vue de sa ratification, et de mener entre-temps sa politique en conformité avec les principes à la base de ces conventions;
12.8. de s'efforcer de régler les conflits internationaux par des moyens pacifiques (obligation qui incombe à tous les États membres du Conseil de l'Europe);
12.9. de signer et ratifier, dans l'année suivant son adhésion, l'Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et ses protocoles additionnels;
12.10. de coopérer pleinement au processus de contrôle de la mise en œuvre de la Directive n° 508 (1995) de l'Assemblée relative au respect des obligations et engagements contractés par les États membres du Conseil de l'Europe, ainsi qu'aux processus de contrôle établis en vertu de la Déclaration du Comité des Ministres du 10 novembre 1994 (95e Session).
13. Pour ces motifs, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres:
13.1. d'inviter l'Ukraine à devenir membre du Conseil de l'Europe;
13.2. d'attribuer à l'Ukraine douze sièges à l'Assemblée parlementaire.