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Recommandation 1591 (2003)

Les défis de la politique sociale dans nos sociétés vieillissantes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 janvier 2003 (4e séance) (voir Doc. 9615, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Hegyi). Texte adopté par l’Assemblée le 29 janvier 2003 (4e séance).

1. Alors que la fécondité continue de baisser et que l’espérance de vie augmente, l’Europe se trouve aujourd’hui au premier rang du processus de vieillissement de la population dans le monde. Au cours des deux dernières décennies, les taux de fécondité, en Europe, ont spectaculairement régressé jusqu’à une moyenne de 1,4 enfant par femme en âge de procréer et sont actuellement inférieurs au taux de remplacement de 2,1 dans la quasi-totalité des pays membres du Conseil de l’Europe. La population âgée de 60 ans ou plus représente aujourd’hui 20 % de la population en Europe et, d’ici à 2050, ce chiffre passera très probablement à 33 %.
2. Vue dans une perspective mondiale, toutefois, la population de la planète a atteint 6,1 milliards d’individus en 2000 et s’accroît actuellement à un taux annuel de 1,2 %. D’après les estimations démographiques des Nations Unies (révision 2000), la population mondiale devrait progresser jusqu’à 9,3 milliards en 2050, ce qui représenterait une augmentation de 50 %.
3. Le contexte européen du vieillissement de la population et de la dénatalité, d’une part, et le contexte mondial de l’accroissement démographique accéléré, d’autre part, constituent tous deux des défis économiques, sociaux, culturels et environnementaux considérables, et exigent une action politique concertée à court, à moyen et à long termes. Les politiques de l’éducation, du contrôle des naissances et de la migration requerront une attention particulière.
4. Le débat politique est déjà en cours en Europe. L’Assemblée parlementaire rappelle notamment sa Recommandation 1428 (1999) sur l’avenir des seniors: protection, participation, promotion et sa Recommandation 1254 (1994) relative à l’éthique et à la politique des droits des personnes âgées dans le domaine médical et social, et se félicite des initiatives lancées par les gouvernements européens ainsi que de l’orientation et de la coordination assurées par l’Organisation internationale du travail (OIT), par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), par la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-Onu) et par l’Union européenne.
5. L’Assemblée accueille avec satisfaction la Stratégie régionale d’exécution du Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement 2002, adoptée lors de la Conférence ministérielle sur le vieillissement, organisée du 10 au 13 septembre 2002 à Berlin par la CEE-Onu à la suite de la 2e Assemblée mondiale sur le vieillissement, tenue à Madrid, du 8 au 12 avril 2002. L’Assemblée soutient tout effort des Etats membres à mettre en œuvre cette stratégie multidimensionnelle et se félicite des actions pertinentes du Conseil de l’Europe sur le plan de la coopération intergouvernementale et interinstitutionnelle, entre différentes organisations internationales.
6. L’Assemblée considère que les réformes nécessaires pour relever les défis posés par les sociétés vieillissantes devraient s’inscrire dans un débat politique plus large. Tous les gouvernements européens sont actuellement confrontés à la tâche difficile d’harmoniser deux tendances relativement opposées: la pression d’une économie mondiale pour une limitation des dépenses publiques et une réduction du coût du travail afin de rester compétitif, et une demande justifiée des citoyens européens pour un renforcement du modèle social européen comme base d’une Europe stable et socialement prospère.
7. Le temps est venu de repenser les politiques sociales en Europe afin de relever ce défi. Si chaque pays diffère par sa structure démographique et possède des traditions culturelles, sociales et économiques spécifiques, l’Assemblée souligne néanmoins un certain nombre de principes communs qu’elle estime cruciaux pour l’orientation de la réforme en Europe.
8. Afin de préserver les systèmes de retraite, les systèmes de santé et la protection sociale à l’avenir, l’un des objectifs premiers de la réforme est de stabiliser ou de réduire le taux de dépendance entre la population économiquement active et la population sans activités professionnelles (chômeurs, retraités, jeunes, hommes ou femmes au foyer, ou malades de longue durée), ce qui requerra d’adopter une nouvelle approche en matière de politique de l’emploi.
9. Afin d’atteindre cet objectif, diverses politiques doivent être mises en place, notamment pour permettre aux personnes actives de travailler plus longtemps dans des conditions saines; d’assurer l’investissement privé et public dans la qualification et le reclassement des travailleurs sur le marché de l’emploi; d’offrir des incitations, surtout à l’emploi de la main-d’œuvre jeune ou âgée; et enfin d’encourager et de négocier des changements réels dans la culture de l’entreprise afin de reconnaître l’évolution des structures familiales et de permettre une plus grande compatibilité entre la vie de famille et le travail.
10. Le vieillissement de la population entraînera de nouvelles sollicitations pour le système de santé. Le coût médical du traitement des maladies qui surviennent à un âge très avancé augmentera de manière exponentielle à la suite des progrès scientifiques et technologiques de la médecine. Même si le vieillissement n’est pas en lui-même une maladie et si le grand âge ne devrait pas être considéré comme synonyme de fragilité et de maladie, l’accroissement de la demande dans le secteur de la santé est inévitable.
11. L’Assemblée souligne que la viabilité des systèmes de retraite ne saurait se réduire à la dimension financière, mais qu’ils sont soumis à un défi multiple: celui de répondre à leurs objectifs sociaux, d’assurer leur santé financière et de répondre aux besoins changeants de la société et des individus. Les normes minimales auxquelles les systèmes de retraite doivent satisfaire sont consignées dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe: la Charte sociale européenne (STE no 35), la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), le Code européen de sécurité sociale et son protocole (STE nos 48 et 48A), et le Code européen de sécurité sociale révisé (STE no 139). L’Assemblée insiste pour que ces normes ne soient jamais perdues de vue dans la réforme des systèmes de retraite.
12. La menace de l’extrême pauvreté et celle de la perte de la dignité pour les personnes âgées constituent une préoccupation majeure. L’Assemblée invite donc instamment les gouvernements à préserver le système fondamental de la solidarité par le biais des retraites d’Etat et par l’introduction d’un plan de retraite de base dans leur système de retraite.
13. Les modèles actuels de régimes de retraite dans les Etats membres comprennent, d’une part, des régimes par répartition, financés soit par des cotisations directes soit par l’impôt et, d’autre part, des régimes par capitalisation intégrale, reposant totalement sur le marché des capitaux. Il peut sembler prudent de diversifier le financement des régimes de retraite, mais à condition de ne pas compromettre les droits existants. En outre, le régime de sécurité sociale à «prestations définies» peut rester viable, à condition d’être adapté au régime à «cotisations définies» – suivant l’exemple de la réforme des retraites en Suède. En ce qui concerne la retraite anticipée, il faut prendre en compte la nature du travail en exigeant des cotisations plus élevées.
14. L’Assemblée se félicite de l’orientation assurée par l’OCDE et l’Union européenne dans l’élaboration de stratégies pour le vieillissement actif, la création d’incitations financières pour un départ tardif à la retraite, permettant aux personnes vieillissantes de rester actives sur le plan social et de l’emploi, la suppression des barrières juridiques et fiscales au passage graduel à la retraite, et la réglementation du travail à l’âge de la retraite. Elle considère toutefois que, si l’on veut partir plus tard à la retraite, l’âge de la retraite devrait être également plus différencié et tenir compte de différences telles que les années de cotisation et la nature du travail.
15. L’Assemblée encourage donc les Etats membres à engager un dialogue avec les partenaires sociaux et à militer activement pour une retraite tardive. Il convient d’envisager, à cet effet, différentes mesures incitatives en ce qui concerne la retraite tardive (par exemple des réductions d’impôts) et dissuasives en ce qui concerne la retraite anticipée. En outre, l’Assemblée estime crucial de réglementer les formes d’emploi «souples» (contrats de courte durée, emplois irréguliers, formes précaires d’activités non salariées, etc.) afin de garantir la couverture sociale des intéressés.
16. Si l’on veut maintenir une participation élevée des femmes au sein de la population active, il conviendrait de se préoccuper davantage de concilier l’activité rémunérée avec l’activité familiale, ce facteur pouvant influencer le comportement en matière de reproduction et le comportement familial. En outre, les changements sociétaux appellent un partage plus égal du travail rémunéré et du travail non rémunéré entre les hommes et les femmes.
17. Dans les pays développés dotés d’un important système de protection, l’amélioration de la situation des femmes et un plus grand soutien institutionnel se reflètent dans des modes de comportement «modernes», qui sont plus compatibles avec la fécondité. Cela signifie que les facteurs institutionnels peuvent aider à réconcilier le désir d’avoir des enfants avec les changements dans les types d’union, le report de la première naissance et l’aspiration des femmes à une vie familiale et professionnelle épanouissante.
18. L’Assemblée rappelle la Recommandation no R (96) 5 du Comité des Ministres sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, et le communiqué final de la 27e session de la Conférence des ministres européens responsables des affaires familiales sur le thème de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, qui s’est tenue du 20 au 22 juin 2001 à Ljubljana. Elle salue les travaux du Forum pour les enfants et les familles, et considère comme capital de développer des efforts collectifs entre les différents pouvoirs publics, les employeurs, les organisations d’employeurs et de travailleurs ainsi que la société civile, afin d’amener un changement réel des attitudes non seulement au sein des structures publiques mais également dans le secteur des entreprises et dans la société en général.
19. Dans un contexte donné de déclin à long terme de la population en âge de travailler en Europe, avec une main-d’œuvre et une population vieillissantes, et des taux de dépendance de personnes âgées en augmentation, il reste à voir si les conditions économiques et les changements technologiques futurs créeront des possibilités d’emploi supplémentaires et accroîtront la demande de main-d’œuvre. La réduction du coût de la main-d’œuvre, relativement élevé en Europe, peut être envisagée à moyen et à long termes en transférant sur des taxes environnementales une certaine partie du produit de l’impôt sur le revenu et de l’emploi.
20. A long terme, le processus de vieillissement nécessitera non seulement des réformes fiscales, des réformes dans les politiques de protection sociale, et des réformes dans les structures de l’emploi, mais également des changements d’attitudes, et la redéfinition des valeurs individuelles et sociétales. Les perceptions et les attitudes à l’égard des responsabilités familiales, des soins aux enfants, de la participation à la prise en charge informelle et au volontariat devront évoluer, elles aussi. La valeur sociale du travail non rémunéré devra être pleinement reconnue et se refléter dans de nouvelles structures plus souples de l’emploi pour les deux sexes.
21. Au niveau de la planète, l’augmentation prévue de 50 % de la population mondiale exercera une pression accrue sur les ressources naturelles et obligera à faire appel à la solidarité internationale pour rendre plus équitables la répartition des richesses, l’utilisation des ressources et l’empreinte écologique. L’Assemblée invite les Etats membres à honorer intégralement les engagements énoncés à l’occasion du dernier Sommet mondial sur le développement durable, tenu à Johannesburg en 2002.
22. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres:
22.1. d’inviter les Etats membres à tenir dûment compte des principes énoncés plus haut;
22.2. de charger les organes compétents du Conseil de l’Europe:
a. d’apporter une orientation et d’aider les Etats membres dans leurs efforts pour réformer les systèmes de retraite nationaux;
b. d’inviter les Etats membres et leurs partenaires sociaux à organiser un débat paneuropéen sur les réformes des retraites;
c. de poursuivre leurs travaux sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, et sur un partage moins inégal entre les sexes du travail rémunéré et non rémunéré;
d. de poursuivre et de développer leurs activités concernant les personnes âgées, notamment en vue de garantir leurs droits fondamentaux;
e. d’accélérer la recherche de politiques destinées à renforcer la solidarité sociale, notamment entre les générations et les sexes;
f. d’examiner les politiques de migration en Europe et l’impact éventuel de politiques d’immigration appropriées comme moyen de surmonter les effets négatifs du vieillissement et de la dénatalité sur la main-d’œuvre telle que projetée en Europe.