Imprimer
Autres documents liés
Recommandation 1611 (2003)
Trafic d’organes en Europe
1. Les progrès rapides de la médecine et de la technologie ont converti les transplantations d’organes, et les greffes de reins en particulier, en interventions médicales de routine pratiquées par les hôpitaux du monde entier. La plupart des programmes de transplantation d’organes atteignent à 70 % des taux de survie de cinq ans, ce qui engendre une rapide augmentation de la demande de dons d’organes.
2. La recherche médicale a démontré qu’une greffe de rein augmente l’espérance de vie des patients. L’obtention d’organes à partir de donneurs décédés, mais surtout de donneurs vivants, est très limitée et strictement réglementée en Europe. Rien qu’en Europe occidentale, 120 000 patients sont régulièrement en dialyse et près de 40 000 patients attendent une greffe de rein. En raison de la pénurie chronique d’organes, de 15 à 30 % des patients inscrits sur les listes d’attente décèdent avant de pouvoir être greffés. Le délai pour obtenir une greffe est d’environ trois ans actuellement et devrait atteindre près de dix ans en 2010.
3. Les organisations criminelles internationales ont repéré ce «créneau» lucratif généré par le décalage entre l’offre et la demande d’organes, et accentuent la pression sur des personnes en situation d’extrême pauvreté pour les inciter à vendre leurs organes.
4. A l’échelle de la planète, le trafic d’organes n’est pas un problème nouveau. Dans les années 1980, des experts ont commencé à remarquer une pratique baptisée par la suite «tourisme de transplantation»: de riches Asiatiques se rendaient en Inde et dans d’autres régions du Sud-Est asiatique pour obtenir des organes de donneurs pauvres. Depuis, d’autres destinations ont vu le jour, telles que le Brésil et les Philippines. Selon certaines allégations, la Chine ferait commerce des organes prélevés sur les détenus exécutés. La vente d’organes se poursuit en Inde malgré les nouvelles lois du pays, qui rendent cette pratique illégale dans la plupart des régions.
5. Si les estimations actuelles montrent que le trafic d’organes se maintient à un niveau relativement modeste en Europe, ce problème ne perd rien de sa gravité, car il est très probable que, avec les nouveaux progrès de la médecine, le décalage entre l’offre et la demande d’organes continuera de se creuser.
6. La pauvreté a poussé des jeunes gens de certaines régions d’Europe orientale à vendre un de leurs reins pour 2 500 à 3 000 $US, alors que les receveurs verseraient de 100 000 à 200 000 $US pour la greffe. Il est très préoccupant de constater que, après la transplantation illicite, l’état de santé du donneur se dégrade généralement à moyen terme faute de tout suivi médical, et à cause de son travail physiquement éprouvant doublé d’un mode de vie malsain caractérisé par une malnutrition et une forte consommation d’alcool. La plupart des donneurs illicites risquent donc, à terme, de vivre sous dialyse ou d’attendre eux-mêmes une greffe de rein.
7. Cette situation soulève plusieurs questions d’ordre éthique: convient-il que les pauvres pourvoient à la santé des riches? La pauvreté peut-elle être soulagée en échange de la santé humaine? La pauvreté peut-elle compromettre la dignité humaine et la santé? Et, en matière d’éthique médicale, l’aide aux receveurs peut-elle être apportée au détriment des donneurs et en négligeant ces derniers?
8. C’est pourquoi l’Assemblée parlementaire condamne la tendance récente de certains pays d’Europe occidentale à adopter des lois laxistes qui autorisent plus facilement le don d’organes par des donneurs vivants non apparentés aux receveurs.
9. Le trafic d’organes – à l’instar de la traite des êtres humains et du trafic de drogue – est déterminé par la demande. Les pays d’Europe orientale ne peuvent pas assumer seuls la responsabilité de la lutte contre ce type de criminalité. Parmi les mesures que tous les Etats membres devraient prendre pour limiter autant que possible l’incidence du trafic d’organes en Europe, on peut citer à titre d’exemples: la réduction de la demande, la promotion plus efficace du don d’organes, le maintien d’une législation stricte dans le domaine des donneurs vivants non apparentés aux receveurs, les mesures visant à assurer la transparence des registres nationaux et des listes d’attente, la définition d’une responsabilité légale des professions médicales dans la recherche des irrégularités et le partage des informations.
10. Par conséquent, l’Assemblée rappelle la Recommandation no R (97) 16 du Comité des Ministres sur la transplantation du foie prélevé sur des donneurs vivants apparentés et la Recommandation Rec (2001)5 sur la gestion des listes d’attente et des délais d’attente en matière de transplantation d’organe, et se félicite de la Recommandation Rec(2003)12 relative aux registres de donneurs d’organes.
11. Le principe selon lequel le corps humain et ses divers éléments ne peuvent en tant que tels faire l’objet de bénéfices fait partie des «acquis» juridiques du Conseil de l’Europe. Ce principe, qui figurait déjà dans la Résolution (78) 29 du Comité des Ministres et qui a, en particulier, été confirmé par la déclaration finale de la 3e Conférence des ministres européens de la Santé, tenue à Paris, en 1987, a été consacré par l’article 21 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164). Ce principe a été réaffirmé dans son Protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE no 186), ouvert à la signature en janvier 2002.
12. Alors que l’interdiction du trafic d’organes est légalement établie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, il existe encore dans la plupart des pays des lacunes juridiques en la matière. Rares sont les codes pénaux nationaux dans lesquels la responsabilité pénale pour le trafic d’organes est clairement spécifiée. La responsabilité pénale doit concerner les fournisseurs, les intermédiaires, le personnel hospitalier/infirmier et les techniciens de laboratoire impliqués dans la procédure de transplantation illégale. Le personnel médical qui encourage et qui favorise l’information en matière de «tourisme de transplantation» doit aussi être passible de poursuites. Le personnel médical qui participe au suivi des patients ayant acheté des organes doit être tenu pour responsable s’il ne prévient pas les autorités sanitaires de la situation.
13. Tout comme la plupart des activités criminelles, le trafic d’organes est difficile à démontrer. Les médias ne devraient pourtant pas être les seuls à mener les enquêtes. Les Etats membres ont la responsabilité commune de s’attaquer ouvertement à ce problème au plan national mais aussi, par le biais de la coopération multilatérale à l’échelle européenne, grâce à la collaboration des ministères de la Santé, de l’Intérieur et de la Justice.
14. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres:
invite tous les Etats membres:a. à signer et à ratifier la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, ainsi que son Protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine;b. à signer et à ratifier la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, car le trafic d’organes est étroitement lié à la traite des personnes;c. à reconnaître leur responsabilité commune en matière de lutte contre le trafic d’organes, en renforçant les mécanismes de coopération déjà en place au niveau du Conseil de l’Europe – par le Comité d’experts sur les aspects organisationnels de la coopération en matière de transplantation d’organes (SP-CTO) – et en augmentant le budget consacré aux activités d’assistance menées dans ce domaine, qui sont un moyen essentiel de favoriser la création de systèmes de transplantation efficaces;d. à adopter et à mettre en oeuvre les recommandations figurant dans la déclaration de l’Association médicale mondiale (AMM) sur le don et la transplantation d’organes et de tissus humains, adoptée par la 52e Assemblée générale de l’AMM à Edimbourg, en Ecosse, en octobre 2000;
engage les Etats membres à intensifier leur coopération sous les auspices d’Interpol et d’Europol afin d’améliorer l’efficacité de la lutte contre le problème du trafic d’organes, et à augmenter les crédits correspondants accordés à ces deux agences, ce qui est tout aussi déterminant, car toutes deux disposent de moyens financiers et humains extrêmement faibles dans ce domaine;
invite les pays dits «donneurs»:a. àaméliorer la prévention primaire grâce à la sensibilisation et à l’éducation par les pairs, notamment dans les zones rurales, en partenariat avec les ONG, les médias et les institutions internationales pertinentes;b. à mener des actions visant à améliorer les soins de santé primaires;c. à prendre des mesures afin d’identifier les donneurs illicites et d’assurer leur suivi médical;d. à consolider, avec l’assistance du Conseil de l’Europe, les structures existantes en matière de transplantation;e. avec l’aide juridique des services compétents du Conseil de l’Europe, à modifier, s’il y a lieu, leurs codes pénaux, pour sanctionner de façon adéquate les responsables du trafic d’organes, y compris le personnel médical qui pratique des transplantations résultant d’un trafic illégal d’organes;f. à limiter les dons d’organes ou de tissus faits par les prisonniers et autres détenus, à l’exception des dons destinés à des membres de leur famille proche, car les personnes détenues ne sont pas en mesure de donner librement leur consentement et peuvent être soumises à des coercitions;g. à prendre des véritables mesures efficaces pour lutter contre le trafic en général;h. à prévoir des dispositifs spéciaux aux frontières en vue d’identifier des victimes potentielles;i. à mettre en oeuvre des programmes nationaux de lutte contre la corruption;j. à lancer des stratégies nationales de réduction de la pauvreté et à générer des conditions propices aux investissements;
invite les pays dits «receveurs»:a. à conserver des lois strictes en matière de transplantation à partir de donneurs vivants non apparentés;b. à refuser le remboursement, par les régimes d’assurance médicale nationaux, des transplantations illégales pratiquées à l’étranger;c. à refuser le financement, par les régimes d’assurance nationaux, du suivi médical des transplantations illégales, sauf si ce refus met en péril la vie ou la santé du patient qui n’est pas en mesure de prendre en charge personnellement les coûts relatifs à un traitement vital;d. à améliorer la sensibilisation des donneurs en organisant des campagnes nationales et en soutenant activement l’organisation régulière de la Journée européenne du don et de la transplantation d’organes;e. à prendre les mesures appropriées pour encourager les citoyens à indiquer dans des «testaments de vie» leur volonté de faire don de leurs organes après leur mort, pour accroître la disponibilité d’organes et de tissus humains prélevés sur les cadavres;f. à garantir le contrôle strict et la transparence des registres d’organes et des listes d’attente, et à définir clairement les responsabilités dans la recherche des irrégularités;g. à harmoniser les données et à renforcer les mécanismes de coopération dans l’attribution d’organes lors des procédures de don;h. à prendre des mesures pour repérer les publicités des «fournisseurs» (dans les journaux, dans les agences, etc.);i. à coopérer avec les pays des «donneurs» et à partager avec eux le savoir-faire en matière de lutte contre la traite des êtres humains et le trafic d’organes;j. à assurer la circulation des informations relatives à des affaires similaires et à apporter le soutien nécessaire à Interpol et à Europol dans ce domaine;
charge les organes pertinents du Conseil de l’Europe:a. de concevoir, en collaboration avec les organisations compétentes, une stratégie européenne de lutte contre le trafic d’organes et d’envisager, dans le cadre de l’élaboration de la future convention européenne sur la traite des êtres humains, d’inclure un protocole additionnel relatif au trafic des organes et des tissus d’origine humaine;b. de fournir aux Etats membres une orientation et une assistance relative aux mesures organisationnelles nécessaires pour mettre en place des structures efficaces de transplantation permettant de réduire autant que possible l’incidence du trafic d’organes;c. de fournir une assistance juridique dans la rédaction d’amendements spécifiques aux codes pénaux nationaux;d. d’étendre, dans tous les domaines pertinents, leurs activités en cours pour y inclure le trafic d’organes;
use de son influence, par le biais d’une coopération régionale plus spécifique en Europe du Sud- Est, pour élargir les activités du Groupe d’action du Pacte de stabilité sur la traite des êtres humains (table III) afin d’y inclure le problème du trafic d’organes;
appelle tous les Etats membres à faire jouer la solidarité européenne en faveur des pays d’Europe orientale les plus durement frappés par le cercle vicieux de la pauvreté et de les assister, en collaboration avec les établissements financiers internationaux et la communauté internationale des donateurs, dans la conception de mesures susceptibles de réduire la pauvreté et de générer un environnement financier sûr, propice aux investissements.