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Recommandation 1641 (2004)

Service public de radiodiffusion

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2004 (3e séance) (voirDoc. 10029Doc. 10029, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Mooney). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2004 (3e séance).

1. Le service public de radiodiffusion, qui est un élément vital de la démocratie en Europe, se trouve menacé. Il se heurte aux intérêts politiques et économiques, à la concurrence croissante des médias commerciaux, à la concentration des médias et à des difficultés financières. Il est confronté, en outre, au défi de l’adaptation à la mondialisation et aux nouvelles technologies.
2. Le service public de radiodiffusion, qu’il soit géré par des organismes publics ou par des sociétés privées, se distingue de la radiodiffusion à motivations purement commerciales ou politiques par sa mission spécifique, qui est essentiellement de fonctionner en toute indépendance des centres du pouvoir économique et politique. Il permet à la collectivité tout entière de s’informer, de se cultiver, d’acquérir des connaissances et de se distraire; il renforce la citoyenneté sociale, politique et culturelle, et stimule la cohésion sociale. A ces fins, il a la caractéristique d’être universel en termes de contenu et d’accès; il garantit l’indépendance et l’impartialité rédactionnelles; il fournit des critères de qualité; il offre divers programmes et services répondant aux besoins de tous les groupes de la société, et il doit rendre compte publiquement de ses activités. Ces principes s’appliquent quelles que soient les modifications nécessaires pour faire face aux exigences du XXIe siècle.
3. On constate avec inquiétude que beaucoup de pays européens n’ont pas jusqu’ici respecté l’engagement de maintenir et développer un système public de radiodiffusion fort, engagement pris par les gouvernements européens lors de la 4e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse, tenue à Prague en 1994. Il est également inquiétant de noter que le principe fondamental de l’indépendance du service public de radiodiffusion, énoncé dans la Recommandation no R (96) 10 du Comité des Ministres, n’est pas encore solidement établi dans certains Etats membres. En outre, dans l’ensemble du continent, des gouvernements sont en train de réorienter leur politique relative aux médias à la lumière du développement de la technologie numérique, au risque d’attribuer un soutien insuffisant au service public de radiodiffusion.
4. Le service public de radiodiffusion a vu le jour en Europe occidentale et y a évolué en s’adaptant tout naturellement aux besoins d’une démocratie parvenue à maturité. En Europe centrale et orientale, il n’est pas encore socialement enraciné, car il a été «transplanté» dans un environnement où la culture nécessaire en matière de politique et de gestion faisait défaut, où la société civile est encore faible, ne dispose que des ressources inadéquates et n’est pas très attachée aux valeurs du service public.
5. La situation varie selon les pays européens. A l’un des extrêmes, la radiodiffusion nationale continue à être strictement contrôlée par le gouvernement et l’introduction par la voie législative d’un service public de radiodiffusion n’est guère probable dans un avenir proche. En Fédération de Russie, par exemple, l’absence de service public de radiodiffusion indépendant a été mentionnée par la mission internationale d’observation des élections comme un facteur majeur, qui a contribué à l’absence de débat politique équilibré dans la campagne menant aux récentes élections parlementaires. Peu de progrès ont été faits vers l’adoption de la législation nécessaire à un service public de radiodiffusion répondant aux normes du Conseil de l’Europe en Azerbaïdjan, en Géorgie et en Ukraine.
6. En Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, le service public de radiodiffusion continue à fonctionner selon des règles imposées de l’extérieur par la communauté internationale. L’adoption d’une loi appropriée a été retardée en Bosnie-Herzégovine en raison de la résistance interne aux changements structuraux et au Kosovo par des tentatives pour empêcher le financement du service public de radiodiffusion.
7. Dans d’autres Etats, des lois sur le service public de radiodiffusion ont été adoptées, mais certaines dispositions et pratiques sont contraires aux normes européennes. En Arménie, tous les membres du Conseil de la radiotélévision publique sont nommés par le Président de la République. Il reste à déterminer si la Teleradio-Moldova parviendra à l’indépendance dans son fonctionnement quotidien, après deux modifications de la loi en 2003. La constitution d’un Conseil serbe de radiodiffusion a été entachée de scandales, auxquels on n’a pas encore remédié.
8. Des progrès plus substantiels ont été faits dans d’autres pays, même si des problèmes continuent à se poser. Des modifications des lois sur la radiodiffusion, en vue d’améliorer l’indépendance politique et la viabilité financière des organes compétents, ont été recommandées par le Conseil de l’Europe à la Bulgarie et à «l’ex-République yougoslave de Macédoine». On relève encore des tentatives pour modifier les lois, de sorte qu’elles conviennent mieux à la majorité au pouvoir: tel est le cas de la nouvelle loi sur la radiotélévision croate. Le service public de radiodiffusion connaît de graves difficultés financières dans la République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie.
9. En Europe occidentale, le service public de radiodiffusion est également confronté à des pressions politiques. Le Gouvernement britannique a critiqué la BBC pour la manière dont elle avait couvert la guerre en Irak. En Grèce, en Italie, au Portugal et en Espagne, des situations définies, selon les cas, comme du «clientélisme politique», du «paternalisme d’Etat» et une «partitocratie» ont empêché les diffuseurs de service public de se dégager d’un contrôle politique direct. La manipulation de l’information sous influence politique a entraîné la condamnation sans précédent de la TVE pour sa couverture de la grève générale qui a eu lieu en Espagne en juin 2002. La politisation de la RAI, due à la répartition unique de ses trois chaînes de télévision entre les principaux partis politiques italiens, s’est encore aggravée sous le gouvernement actuel.
10. On observe une tendance croissante à aller au-delà des formes de réglementation du service public de radiodiffusion qui existaient jusqu’ici et à en définir les obligations plus précisément, souvent par contrat dont l’observation fait l’objet d’un rapport au parlement, au gouvernement et/ou à un organe réglementaire. Les aspects financiers du fonctionnement des diffuseurs de service public retiennent de plus en plus l’attention. Si de telles démarches doivent être jugées positives, dans la mesure où elles donnent plus de stabilité aux organisations de service public de radiodiffusion, il faut veiller à ce que les gouvernements ne les utilisent pas pour nuire à la situation financière et statutaire de ces organisations. Les décisions prises récemment par les Gouvernements des Pays-Bas et de la France ont sérieusement affecté le financement de leur diffuseur de service public.
11. Certains gouvernements examinent des changements structurels qui toucheraient à la nature même du service public de radiodiffusion. Des plans de privatisation ont été débattus au Danemark, au Portugal et en Italie dans le cadre de la législation sur la radiodiffusion récemment proposée («loi Gasparri»), qui a été depuis renvoyée devant le parlement par le Président de la République. Au Royaume-Uni, l’attitude du gouvernement concernant le renouvellement de la charte de la BBC provoque une inquiétude croissante, alimentée par la querelle bien connue du public entre l’organisme de radiodiffusion et le gouvernement.
12. Dans la grande majorité des pays, les chaînes numériques ne sont pas encore définies dans la législation sur la radiodiffusion. De même, les dispositions juridiques concernant les activités du service public de radiodiffusion sur Internet font défaut dans la plupart des pays. Tout cela pourrait influer sur son aptitude à s’élargir à de nouvelles plates-formes.
13. La coexistence de médias publics et commerciaux a largement contribué à l’innovation et à la diversification de l’offre de contenus, et a eu un impact positif sur la qualité. Toutefois, des intérêts commerciaux tentent de réduire au minimum la concurrence du secteur public. La législation de l’Union européenne sur la concurrence est souvent utilisée pour s’attaquer aux modalités de financement du service public de radiodiffusion. A cet égard, l’Assemblée se félicite de la décision de la Cour européenne de justice dans l’affaire Altmark, concernant la compensation due au titre des obligations de service public, et souhaite vivement que cet arrêt contribue à clarifier la situation des services publics de radiodiffusion. Les radiodiffuseurs commerciaux tentent également de limiter l’expansion du service public de radiodiffusion dans de nouveaux domaines et services. On peut citer, parmi les exemples récents, les activités de la BBC sur Internet et les projets de la chaîne allemande ARD, désireuse de faire d’Internet son «troisième pilier», qui ont dû être abandonnés à cause de pressions commerciales.
14. Les radiodiffuseurs commerciaux prétendent également que la possibilité offerte par la numérisation de passer à une radiodiffusion à la demande, sur des chaînes multiples, permettra au marché de répondre à tous les besoins et donc de remplir également les obligations de service public assignées pour l’instant aux institutions publiques de radiodiffusion. Or, il n’existe aucune garantie de la qualité et de l’indépendance de cette offre, et il n’est pas certain non plus qu’elle soit gratuite, universellement accessible et constante.
15. Il est admis qu’il peut y avoir des doubles emplois avec la radiodiffusion commerciale s’agissant des émissions populaires. Toutefois, la commercialisation et la concentration croissantes du secteur des médias et l’effondrement général de la qualité qui en résulte donnent raison, lorsqu’ils touchent les radiodiffuseurs de service public, à ceux qui critiquent l’utilisation de l’argent public à de telles fins. Le service public de radiodiffusion souffre d’une crise d’identité, car souvent il cherche à combiner ses obligations de service public avec la recherche de taux d’écoute élevés et la nécessité d’avoir de bons résultats à l’Audimat pour justifier son caractère «public» ou simplement attirer les recettes publicitaires.
16. Les pays européens et la communauté internationale en général doivent participer plus activement aux efforts pour définir des normes et de bonnes pratiques d’ensemble, en tant que lignes directrices des politiques nationales en la matière.
17. Par conséquent, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
17.1. d’adopter un nouveau document d’orientation majeur sur le service public de radiodiffusion, faisant le bilan de l’évolution depuis la conférence ministérielle de Prague et définissant des normes et des mécanismes de responsabilité pour le futur service public de radiodiffusion. La préparation d’un tel document pourrait figurer dans le plan d’action de la prochaine conférence ministérielle sur la politique des communications de masse, à Kyiv;
17.2. de mobiliser les structures pertinentes du Conseil de l’Europe pour qu’elles assurent un suivi approprié et transparent, fournissent une assistance et, le cas échéant, exercent des pressions, afin que les Etats membres prennent les mesures législatives, politiques et pratiques voulues pour soutenir le service public de radiodiffusion;
17.3. d’envisager des dispositions spécifiques pour faire en sorte qu’une législation conforme aux normes européennes soit adoptée le plus tôt possible dans ce domaine en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Fédération de Russie et en Ukraine;
17.4. de veiller à une étroite coopération avec les autres organisations internationales pour maintenir les normes qu’il a établies concernant la liberté d’expression;
17.5. de continuer à demander instamment que les services audiovisuels ne soient pas considérés comme une simple marchandise dans les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS);
17.6. de tout mettre en œuvre pour que le Sommet mondial sur la société de l’information reconnaisse le service public de radiodiffusion comme un élément important du développement de cette société, susceptible d’autre part d’amortir le choc des changements rapides qu’il impliquera;
17.7. d’inviter les gouvernements des Etats membres:
17.7.1. à réaffirmer leur volonté de maintenir un service public de radiodiffusion indépendant, fort et vivant, tout en l’adaptant aux demandes de l’ère numérique, par exemple à l’occasion de la prochaine conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse, en 2004, à prendre des mesures concrètes pour réaliser cet objectif politique et à s’abstenir de toute ingérence dans l’indépendance éditoriale et l’autonomie institutionnelle des radiodiffuseurs du service public;
17.7.2. à définir un cadre juridique, institutionnel et financier pour le fonctionnement du service public de radiodiffusion, ainsi que pour son adaptation et pour sa modernisation, afin de répondre aux besoins du public et aux défis de l’ère numérique;
17.7.3. à établir à l’intention des journalistes des programmes d’éducation et de formation adaptés à l’environnement médiatique numérique.