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Résolution 1519 (2006)

La situation culturelle des Kurdes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 4 octobre 2006 (28e séance) (voir Doc. 11006, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: Lord Russell-Johnston). Texte adopté par l’Assemblée le 4 octobre 2006 (28e séance).

1. Après ses rapports sur les Tsiganes en Europe (Doc. 6733, 1993), sur la culture yiddish (Doc. 7489, 1996), sur les Aroumains (Doc. 7728, 1997), sur les cultures minoritaires ouraliennes en danger (Doc. 8126, 1998) et sur la culture de la minorité csango en Roumanie (Doc. 9078, 2001), l’Assemblée parlementaire souhaite à présent attirer l’attention sur la situation culturelle des Kurdes.
2. L’Assemblée a abordé d’autres questions relatives aux Kurdes dans ses rapports sur le respect des obligations et engagements de la Turquie (Doc. 9120, 2001, et Doc. 10111, 2004), et sur la situation humanitaire de la population déplacée kurde en Turquie (Doc. 9391, 2002).
3. La question de l’origine exacte des Kurdes reste une énigme. Aux fins de la présente résolution, les Kurdes sont considérés comme un groupe ethnique de langue maternelle kurde. Ils sont avant tout originaires de la chaîne du Zagros-Taurus, zone montagneuse où convergent les frontières de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak.
4. On ne connaît pas le nombre de Kurdes puisque aucun des principaux pays où ils vivent (à savoir l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie) n’indique l’ethnie dans ses recensements. On estime que leur nombre est compris entre 25 et 30 millions, ce qui fait d’eux une des plus grandes «nations sans Etat» du monde.
5. Les Kurdes parlent le kurde, une langue qui fait partie de la subdivision nord-ouest de la branche iranienne de la famille des langues indo-européennes. C’est une langue fondamentalement différente de l’arabe (une langue sémitique) et du turc (une langue altaïque). Le kurde moderne comprend plusieurs grands groupes, dont le plus important est celui du kurmandji. Il s’y ajoute des dizaines de parlers.
6. La situation des Kurdes varie considérablement selon les pays où ils vivent. En Irak, environ 5 millions de Kurdes jouissent d’un statut de quasi-indépendance depuis la guerre du Golfe en 1991. L’Iran ne reconnaît pas aux Kurdes de droits autres que culturels: la musique et le folklore, mais non l’enseignement. En Syrie, ils n’ont absolument aucun droit et même leur musique est interdite.
7. Pendant des décennies, les Kurdes n’ont pas été reconnus par les autorités turques. En 2004, la situation a changé avec des émissions dans les dialectes kurdes à la télévision nationale turque et l’autorisation de cours de langue kurde. Les livres, les disques et les concerts en kurde ne sont plus interdits. Deux chaînes régionales privées de télévision et une station de radio ont commencé à diffuser de brèves émissions en kurde pour la première fois le 23 mars 2006.
8. Certains Kurdes ont été impliqués dans ce qu’il est convenu d’appeler des «crimes d’honneur», mais cette pratique barbare ne concerne pas uniquement les Kurdes. On l’observe dans les régions (rurales) les plus reculées du Proche-Orient. L’éducation et le développement économique s’accompagnent d’un recul de telles pratiques. Les associations de femmes jouent un rôle important en Irak et en Turquie. Le nouveau Code pénal turc supprime les circonstances atténuantes pour les «crimes d’honneur», qu’il requalifie d’homicides avec préméditation.
9. De nombreux habitants de la région tout entière doivent moderniser leurs attitudes. Les Kurdes dans leur grande majorité sont conscients de ce que l’Europe est une bonne chose et placent leurs espoirs dans un futur commun au sein de ou avec l’Europe. Ils doivent aussi savoir qu’un pays où les «crimes d’honneur» sont toujours acceptés par certains comme faisant partie de leurs «traditions» est un pays qui n’a pas sa place dans l’Europe des droits de l’homme. L’Assemblée salue les mesures juridiques, politiques et sociales prises par le Gouvernement turc, et espère qu’elles ouvriront la voie à une évolution durable dans la bonne direction.
10. Plus d’un million de Kurdes vivent en Europe occidentale, et des instituts culturels kurdes ont vu le jour dans la plupart des pays d’Europe où les Kurdes se sont installés en nombre. La diaspora kurde a également joué un rôle politique majeur en sensibilisant l’opinion publique occidentale au sort des Kurdes dans les différents pays d’origine.
11. L’Assemblée rappelle d’autres textes qu’elle a adoptés sur des questions connexes, et notamment sa Recommandation 928 (1981) relative aux problèmes d’éducation et de culture posés par les langues minoritaires et les dialectes en Europe, sa Recommandation 1283 (1996) relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire en Europe, et sa Recommandation 1740 (2006) sur la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire.
12. La diversité des cultures et des langues devrait être considérée comme une ressource précieuse, qui enrichit notre patrimoine européen et consolide l’identité des pays et de chacun. Une assistance d’envergure européenne, apportée en particulier par le Conseil de l’Europe, s’avère nécessaire pour préserver cette culture spécifique.
13. L’amélioration de la situation culturelle des Kurdes est directement liée à la stabilité politique dans la région. La paix et la stabilité sont nécessaires à l’amélioration de la situation culturelle des groupes ethniques.
14. L’Assemblée encourage la Turquie, en sa qualité d’Etat membre du Conseil de l’Europe, à traiter la «question kurde» d’une manière globale et à prendre les mesures nécessaires à une amélioration de la situation culturelle des Kurdes en Turquie.
15. Dans le domaine de la culture, l’Assemblée recommande que les autorités compétentes de la Turquie prennent les mesures suivantes:
15.1. garantir la protection des principales langues kurdes par la signature, la ratification et la mise en oeuvre de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) à l’égard des langues kurdes parlées en Turquie;
15.2. examiner la possibilité de suivre un enseignement dans la langue maternelle, en plus des cours dans la langue officielle;
15.3. informer les parents kurdes des différentes options linguistiques et publier des instructions sur les démarches permettant d’accéder aux possibilités offertes;
15.4. promouvoir des cours universitaires de langue et de littérature kurdes;
15.5. reconnaître et soutenir les associations culturelles kurdes, et entamer un dialogue avec celles-ci afin de collaborer à la protection de la langue et de la culture kurdes;
15.6. réexaminer les procédures administratives auxquelles sont confrontés les Kurdes dans leurs activités culturelles;
15.7. promouvoir l’accès des kurdophones aux moyens modernes de communication de masse. Il convient que la communauté kurde puisse apporter un soutien financier au développement de la presse écrite, de la radio et de la télévision;
15.8. créer en Turquie davantage de centres locaux de promotion de la culture kurde, chargés d’améliorer la sensibilisation aux minorités et le respect à l’égard de celles-ci.
16. Par ailleurs, l’Assemblée prie instamment les Gouvernements de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie de reconnaître que la langue et la culture kurdes font partie de leur patrimoine et qu’elles constituent une richesse qui mérite d’être préservée et non une menace contre laquelle il faut lutter, et leur demande de prendre les mesures nécessaires à la lumière de la présente résolution, en particulier dans le domaine linguistique.