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Résolution 1551 (2007)
Equité des procédures judiciaires dans les affaires d’espionnage ou de divulgation de secrets d’Etat
1. L’Assemblée parlementaire considère que l’intérêt légitime de l’Etat de protéger les secrets
officiels ne doit pas devenir un prétexte pour restreindre indûment la liberté d’expression et
d’information, la coopération scientifique internationale, et le travail des avocats et d’autres
défenseurs des droits de l’homme.
2. Elle rappelle l’importance de la liberté d’expression et d’information dans une société
démocratique, dans laquelle il doit être possible de dénoncer librement la corruption, les violations
des droits de l’homme, la destruction de l’environnement et tout autre abus de pouvoir.
3. Le progrès scientifique dépend de manière déterminante de la libre circulation de l’information
entre scientifiques, lesquels doivent pouvoir coopérer à l’échelon international et prendre part au
processus scientifique sans crainte d’être poursuivis.
4. Les avocats et les autres défenseurs des droits de l’homme doivent aussi pouvoir remplir le rôle
indispensable qui est le leur sans être menacés de poursuites pénales, pour établir la vérité et amener
les auteurs de violations des droits de l’homme à rendre des comptes.
5. L’Assemblée constate que la législation de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe
relative au secret d’Etat est plutôt vague ou couvre un champ trop large, ce qui fait qu’elle peut être
interprétée de manière à englober toute une série d’activités légitimes des journalistes, des
scientifiques, des avocats ou d’autres défenseurs des droits de l’homme.
6. Dans le même temps, dans la plupart des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe,
les poursuites pour violation du secret d’Etat sont très rares et les peines prononcées sont, le cas
échéant, généralement clémentes. M. Shayler, ancien agent secret britannique, qui avait publié un
récit détaillé de ses activités, s’est vu infliger une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’un
sursis partiel, tandis qu’un tribunal allemand abandonnait purement et simplement, en juillet 2006, les
poursuites à l’encontre d’un journaliste, M. Schirra, qui avait publié des informations provenant de dossiers secrets du Bundesnachrichtendienst (BND, services secrets allemands). La Cour européenne
des Droits de l’Homme, pour sa part, a conclu que l’interdiction faite à la presse par la justice
britannique de publier des articles rendant compte d’un livre (Spycatcher) censé contenir des
informations secrètes était «disproportionnée», étant donné que l’ouvrage était déjà diffusé à
l’étranger.
7. En revanche, plusieurs affaires d’espionnage à grand retentissement impliquant des scientifiques,
des journalistes et des avocats en Fédération de Russie ont causé bien des souffrances aux personnes
concernées et à leurs familles, et ont eu un effet dissuasif sur d’autres membres de ces groupes
professionnels. Le climat d’«espionite» entretenu par ces affaires et les déclarations controversées de
hauts responsables gouvernementaux font obstacle au bon développement de la société civile dans ce
pays.
8. L’Assemblée est également préoccupée par les récentes menaces de poursuites, ou même par les tentatives en ce sens, faites par l’Administration américaine, ainsi que par les autorités allemandes, suisses et italiennes à l’encontre de rédacteurs en chef, de journalistes ou d’autres personnes qui avaient dénoncé des abus (whistle-blowers), en raison de prétendues violations de secrets d’Etat, notamment dans le contexte des récents rapports sur les activités illégales de la CIA (voir la Résolution 1507 (2006) et la Recommandation 1754 (2006) sur les allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe) et d’autres scandales touchant les services secrets.
9. Elle appelle les autorités judiciaires de tous les pays concernés et la Cour européenne des Droits de
l’Homme à trouver un équilibre approprié entre, d’une part, l’intérêt des pouvoirs publics à protéger
le secret d’Etat et, d’autre part, la liberté d’expression et la libre circulation des informations dans le
domaine scientifique ainsi que l’intérêt que présente, pour la société, la dénonciation des abus de
pouvoir.
10. L’Assemblée constate que les procédures pénales pour violation du secret d’Etat sont
particulièrement sensibles et sujettes à des abus motivés par des raisons politiques. En conséquence,
elle considère que les principes suivants revêtent, pour toutes les personnes et les instances
concernées, un caractère vital pour garantir l’équité de ces procédures:
10.1. les informations qui sont déjà du domaine public ne peuvent être considérées
comme des secrets d’Etat et leur divulgation ne peut être assimilée à de l’espionnage et
réprimée à ce titre, même si la personne concernée collecte, résume, analyse ou
commente ces informations. Il en est de même pour la participation à la coopération
scientifique internationale et pour la dénonciation de la corruption, de violations des
droits de l’homme, de la destruction de l’environnement ou de tout autre abus de la part
des pouvoirs publics (whistle-blowing);
10.2. la législation relative au secret d’Etat, y compris les listes d’informations secrètes
pouvant servir de base aux poursuites pénales, doit être claire et, avant tout, publique.
Des arrêtés secrets pouvant justifier des responsabilités pénales ne peuvent pas être
considérés comme compatibles avec les normes juridiques du Conseil de l’Europe et devraient être abrogés dans tous les Etats membres;
10.3. les services secrets, dont le rôle est de protéger les secrets d’Etat et qui sont généralement eux-mêmes victimes des atteintes à de tels secrets, ne doivent pas être en même temps chargés d’effectuer des enquêtes criminelles et d’intenter des poursuites contre les auteurs présumés de ces violations. L’Assemblée regrette que la Fédération de Russie n’ait toujours pas respecté l’engagement, pris lors de son adhésion, de modifier la loi relative au Service fédéral de sécurité (FSB) à cet égard (voir la Résolution 1455 (2005) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie, paragraphe 13.x.a);
10.4. les procès doivent avoir lieu rapidement et il convient d’éviter de longues
périodes de détention préventive;
10.5. les tribunaux devraient veiller à garantir l’équité des procès en prêtant une
attention particulière au principe de l’égalité des armes entre le ministère public et la
défense, ce qui suppose en particulier:
10.5.1. que la défense doit être correctement représentée lors de la
sélection des experts conseillant le tribunal sur la nature secrète des
informations en jeu;
10.5.2. que les experts aient un degré élevé de compétences
professionnelles et soient indépendants des services secrets;
10.5.3. que la défense soit autorisée à interroger les experts devant le
jury et à remettre leurs témoignages en question par le biais d’experts
nommés par la défense, y compris étrangers;
10.6. les procédures doivent être aussi ouvertes et transparentes que possible, de
manière à renforcer la confiance du public dans leur équité; à tout le moins, les
jugements doivent être rendus publics;
10.7. de plus, les civils ne doivent pas, en règle générale, être jugés par des juridictions
militaires; et il faut souligner que tous les procès doivent être conduits par des cours et
des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux, selon des procédures conformes
aux principes internationaux d’équité;
10.8. les changements de juges et de jurys doivent être permis seulement dans des
circonstances exceptionnelles, bien définies et pleinement motivées, afin d’éviter de
donner l’impression que le choix est opportuniste ou que les tribunaux ne sont pas
indépendants;
10.9. la question de savoir si l’information divulguée relevait déjà du domaine public
doit toujours être considérée comme une question de fait à trancher par le jury et, lorsque le jury répond par l’affirmative, le juge doit toujours instruire le jury à acquitter
l’accusé.
11. L’Assemblée estime que, dans plusieurs affaires d’espionnage à grand retentissement en
Fédération de Russie, dont celles de M. Soutiaguine et de M. Danilov, plusieurs éléments portent
fortement à croire que les principes susmentionnés (paragraphe 10) n’ont pas été respectés, et elle
observe que les peines de prison prononcées (respectivement quatorze et quinze ans) sont, en tout état
de cause, sans commune mesure avec la pratique d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe; elle
relève en particulier les éléments suivants:
11.1. comme dans les affaires précédentes concernant M. Nikitine, M. Pasko (voir la Résolution 1354 (2003) sur la condamnation de Grigory Pasko) et M. Moïsseïev, les procédures à l’encontre de M. Soutiaguine et de M. Danilov ont duré de nombreuses années, années que les accusés ont passées pour l’essentiel en détention, pendant que le FSB menait les enquêtes pénales;
11.2. les juges et les jurys ont été changés de façon répétée, sans que des raisons
valables aient été données;
11.3. la défense a été dans l’impossibilité d’interroger devant le jury les experts chargés
de se prononcer sur la nature secrète des informations concernées;
11.4. il apparaît que certains de ces experts n’avaient pas l’indépendance nécessaire;
11.5. les procédures ont manqué de transparence; dans l’affaire Danilov, le jugement
même était secret. Dans plusieurs affaires, les tribunaux semblent s’être appuyés sur un
décret secret (no 055-96) pour prononcer des sanctions pénales.
12. L’Assemblée se félicite vivement de la déclaration faite par la Chambre publique de la Fédération
de Russie, le 30 juin 2006, qui reconnaît le caractère inadapté de la législation actuelle relative au
secret d’Etat et qui regrette l’impact négatif, sur le moral de la communauté scientifique, de la
sévérité avec laquelle cette législation est appliquée.
13. L’Assemblée invite la communauté scientifique internationale à établir une typologie des
pratiques acceptées dans le cadre de la coopération scientifique internationale à l’égard des
informations potentiellement sensibles.
14. Elle exhorte tous les Etats membres à s’abstenir de poursuivre les scientifiques qui agissent en
fonction de ces pratiques acceptées et à réhabiliter tous ceux qui ont été sanctionnés pour avoir agi
conformément à ces pratiques.
15. L’Assemblée appelle en particulier les organes compétents de la Fédération de Russie à recourir à
tous les moyens légaux disponibles pour libérer sans délai MM. Soutiaguine, Danilov et Trepachkine,
et, en attendant leur libération, à leur prodiguer les soins médicaux nécessaires.