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Résolution 1568 (2007)

Programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - 1. Discussion par l’Assemblée le 1er octobre 2007 (29e séance) (voir Doc. 11350, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Greenway). Texte adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2007 (29e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par le nombre considérable de migrants en situation irrégulière vivant en Europe. D’après les estimations, l’Union européenne compterait à elle seule 5,5 millions de migrants en situation irrégulière et la Fédération de Russie 8 millions supplémentaires.
2. Il apparaît de plus en plus clairement qu’une large proportion de ces personnes restera en Europe et qu’il ne sera pas possible de les renvoyer de force dans leur pays d’origine ou de les amener à y retourner de leur plein gré.
3. La question est donc de savoir comment traiter ces migrants en situation irrégulière qui vivent en Europe où ils sont, dans une large mesure, tolérés mais n’ont pas de statut juridique, ni le droit de rester.
4. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont, par le passé, lancé des programmes dits de régularisation qui ont permis aux migrants en situation irrégulière de régulariser leur situation. Ces vingt-cinq dernières années, au sein de la seule Union européenne, plus de 20 programmes de régularisation ont été menés à bien, permettant à 4 millions de migrants en situation irrégulière d’obtenir des permis de séjour et de travail temporaires ou permanents.
5. Tout un éventail de différents types de programmes de régularisation ont été testés: programmes humanitaires exceptionnels, programmes de regroupement familial, programmes permanents ou continus, programmes non renouvelables et programmes de régularisation au mérite.
6. Quoique tous les pays européens soient concernés par le problème de l’immigration irrégulière et notamment par la mise en œuvre des programmes de régularisation, ils n’ont entrepris aucune démarche pour mettre en commun leurs expériences ou bien adopter une position ou des lignes directrices communes sur le recours à de tels programmes tant au niveau du Conseil de l’Europe qu’à celui de l’Union européenne.
7. L’application des programmes de régularisation s’est révélée une question extrêmement controversée. Les opposants prétendent que ces programmes récompensent les contrevenants à la loi et constituent une mesure incitative pour de nouveaux migrants en situation irrégulière. Ils affirment, en outre, que de nombreuses personnes régularisées retombent dans l’illégalité.
8. Les partisans des programmes de régularisation soutiennent qu’ils constituent une solution au regard de la protection des droits de l’homme et de la dignité humaine des migrants en situation irrégulière. Ils font également valoir que ces dispositifs permettent de limiter le nombre de sans-papiers, de favoriser les migrations circulaires, de diminuer les risques d’exploitation des immigrés, de réduire l’ampleur de l’économie souterraine et qu’ils ont un effet positif sur les recettes fiscales et les cotisations de sécurité sociale.
9. Tout en reconnaissant que les avis sont très partagés sur les programmes de régularisation, l’Assemblée considère qu’il faut distinguer entre la notion de programmes de régularisation, qui sont souvent ciblés sur des groupes spécifiques de migrants en situation irrégulière, et celle d’amnisties générales, qui s’appliquent à tous les migrants en situation irrégulière. Selon l’Assemblée, davantage d’études devraient être menées sur l’impact de ces programmes.
10. L’Assemblée prend acte en particulier du récent programme de régularisation que l’Espagne a réalisé en 2005 et qui a conduit à régulariser plus de 570 000 personnes; elle estime que l’Europe peut tirer des leçons de cette expérience. En Espagne, le programme de régularisation a été accueilli avec satisfaction par les migrants en situation irrégulière, par la société civile, par les employeurs et par les syndicats, aussi bien que par la majorité des responsables politiques.
11. L’Assemblée considère que le succès de ce programme est à mettre au crédit des réponses qu’il a apportées à un certain nombre de besoins pressants. Les employeurs et les syndicats souhaitaient que des salariés puissent être engagés légalement et désiraient échapper au risque de poursuites pénales; les migrants en situation irrégulière souhaitaient trouver la sécurité et un meilleur niveau de protection de leurs droits; et le gouvernement devait s’attaquer à l’économie souterraine, augmenter les cotisations de sécurité sociale et les prélèvements fiscaux, et promouvoir l’Etat de droit.
12. Toutefois, l’une des failles majeures du programme de régularisation espagnol tient au fait que les autorités espagnoles ont négligé d’informer leurs partenaires européens de leur projet de lancer un tel programme. Il en a résulté des malentendus sur sa nature ainsi que des réactions hostiles à de tels programmes dans un certain nombre de pays européens.
13. L’Assemblée est sensible aux critiques formulées par certains, y compris en Espagne, selon lesquelles les programmes de régularisation auraient un effet incitatif sur les migrants en situation irrégulière. L’Assemblée a, toutefois, le sentiment que ce facteur serait exagéré. Si l’on prend l’exemple de l’Espagne, on s’aperçoit qu’un certain nombre d’autres facteurs importants interviennent dans la cause des migrations irrégulières, à savoir: la situation géographique de l’Espagne, son histoire coloniale et ses liens linguistiques, la forte demande de main-d’œuvre non qualifiée et les faibles possibilités de migration régulière. Un autre facteur est la difficulté qu’éprouve l’Espagne à renvoyer des migrants en situation irrégulière et le fait qu’elle doit remettre en liberté ceux qui n’ont pas été renvoyés au bout de quarante jours de rétention administrative.
14. Le récent programme espagnol de régularisation a été réalisé à l’initiative des employeurs, ce qui est l’une de ses caractéristiques notables. L’Assemblée estime que le fait d’avoir répondu aux besoins de nombreux migrants en situation irrégulière, comme à ceux de la société espagnole en général, a grandement contribué à le faire accepter et à assurer son succès.
15. S’inspirant de l’expérience des programmes de régularisation mis en œuvre à ce jour sur le continent européen, l’Assemblée a un certain nombre de recommandations à adresser aux Etats membres à ce sujet. L’Assemblée considère que les Etats membres devraient s’efforcer:
15.1. d’éviter qu’un grand nombre de personnes vivent en situation irrégulière sur leur territoire. S’il s’avère impossible de les renvoyer dans leur pays, les Etats membres devraient envisager de régulariser leur situation;
15.2. de répertorier précisément le nombre de personnes vivant en situation irrégulière et d’évaluer si ces personnes sont susceptibles de retourner ou d’être renvoyées dans leur pays d’origine, ou s’il est probable qu’elles resteront dans les Etats membres du Conseil de l’Europe;
15.3. d’évaluer la situation des personnes vivant en situation irrégulière d’un point de vue humanitaire et des droits de l’homme, et d’examiner l’impact que pourrait avoir la régularisation sur leur situation, notamment au regard de leur intégration sociale et de leur retour potentiel dans leur pays d’origine;
15.4. d’analyser les besoins de l’économie en termes de travailleurs migrants et d’apprécier dans quelle mesure ces besoins sont actuellement satisfaits par les migrants en situation irrégulière; d’évaluer, en outre, la contribution économique des migrants en situation irrégulière ainsi que les conséquences que la régularisation de leur situation peut avoir sur l’économie informelle, les cotisations de sécurité sociale et les recettes d’impôts.
16. L’Assemblée reconnaît, en outre, la nécessité de mener des études approfondies sur les résultats des programmes de régularisation passés et notamment sur des questions comme l’éventuel effet incitatif suscité par ces programmes, les conséquences sur l’économie informelle, les cotisations de sécurité sociale et les prélèvements fiscaux ainsi que sur la vie des personnes régularisées et la question de savoir si ces personnes sont retombées dans l’illégalité. L’Assemblée recommande, par conséquent, aux Etats membres qui ont déjà réalisé de tels programmes d’effectuer ce type d’études en priorité.
17. L’Assemblée estime que, lors de la mise en œuvre des programmes de régularisation, les Etats membres devraient adopter un certain nombre de mesures d’accompagnement, à savoir:
17.1. renforcer les services administratifs afin de pouvoir faire face au nombre potentiellement élevé de demandes de régularisation;
17.2. veiller à ce qu’il y ait le moins possible de formalités administratives à remplir;
17.3. se prémunir contre toute procédure frauduleuse;
17.4. élaborer des programmes d’intégration pour les migrants régularisés;
17.5. consulter les employeurs, les salariés, les migrants en situation irrégulière et la société civile pour l’élaboration et la mise en œuvre des programmes;
17.6. veiller à ce que les programmes soient portés à la connaissance des migrants en situation irrégulière;
17.7. faire en sorte que les programmes et leurs avantages soient bien expliqués aux médias et au public en général;
17.8. tenir leurs partenaires européens informés des projets de programme de régularisation et de leur mise en œuvre.
18. L’Assemblée juge particulièrement intéressants les programmes de régularisation à l’initiative des employeurs en tant que moyen de répondre aux besoins de nombreux migrants en situation irrégulière, d’employeurs, de syndicats et de la société en général.
19. Elle juge aussi favorablement le processus de régularisation au mérite, selon lequel les migrants en situation irrégulière obtiennent le droit d’être régularisés en démontrant leur contribution à la société, en s’initiant à la langue et aux coutumes locales, en apportant la preuve qu’ils travaillent et paient des cotisations de sécurité sociale et des impôts, et en remplissant d’autres critères aboutissant à l’intégration.
20. L’Assemblée estime que les Etats membres devraient également prendre des mesures pour réduire le risque et la nécessité de lancer régulièrement des programmes de régularisation. Plusieurs mesures devraient être adoptées avant d’appliquer des programmes de régularisation si les Etats souhaitent régler la situation des migrants irréguliers en «remettant les compteurs à zéro». L’Assemblée invite, par conséquent, les Etats membres:
20.1. à offrir des possibilités accrues de migration régulière afin de réduire le nombre de migrants en situation irrégulière;
20.2. à lutter contre le travail clandestin et l’exploitation y afférente, notamment en renforçant l’inspection du travail et en mettant en place des systèmes d’amendes et de sanctions pour ceux qui proposent du travail au noir;
20.3. à renforcer, s’il y a lieu, les contrôles aux frontières et le contrôle des visas;
20.4. à fournir une assistance aux pays d’origine des migrants en situation irrégulière, en vue de lutter contre les facteurs d’incitation à l’immigration clandestine, qu’ils soient économiques ou environnementaux, en favorisant notamment le codéveloppement, ainsi que d’autres mesures;
20.5. à lutter contre la traite qui est liée aux migrations irrégulières, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197);
20.6. à protéger les victimes de la traite en vue de leur éviter une double souffrance: en tant que victime de la traite et en tant que migrant en situation irrégulière.
21. L’Assemblée estime que, s’agissant des migrants en situation irrégulière qui ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays d’origine, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent leur offrir une chance de régulariser leur situation et de s’intégrer dans la société.
22. Quant aux migrants en situation irrégulière qui sont en mesure d’être renvoyés dans leur pays, l’Assemblée réaffirme qu’elle souhaite que leur retour se fasse uniquement sur une base volontaire ou conformément aux 20 principes directeurs sur le retour forcé adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en mai 2005. Pour ce qui est des migrants irréguliers qui restent en Europe, ils devraient jouir au moins des droits minimaux énoncés dans la Résolution 1509 (2006) de l’Assemblée sur les droits fondamentaux des migrants irréguliers, jusqu’à ce qu’ils puissent régulariser leur situation ou soient renvoyés.
23. L’Assemblée encourage la Commission européenne à approfondir sa réflexion sur le recours aux programmes de régularisation dans l’Union européenne, en tenant compte des recommandations formulées dans la présente résolution et notamment des sérieuses préoccupations liées aux questions humanitaires et aux droits de l’homme que suscitent la situation et l’exploitation des migrants en situation irrégulière en Europe.
24. L’Assemblée invite le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à encourager les Etats membres à mettre en œuvre des programmes de régularisation comme moyen de sauvegarder la dignité humaine et les droits de l’homme d’un groupe de personnes particulièrement vulnérable dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
25. L’Assemblée propose d’examiner périodiquement la question des programmes de régularisation dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, compte tenu de ce que peuvent apporter de tels dispositifs à la gestion de l’immigration irrégulière et à la protection des droits des migrants en situation irrégulière.