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Résolution 1622 (2008) Version finale
Fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie: développements récents
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que, dans sa Résolution
1380 (2004) sur le respect des obligations et engagements
de la Turquie, elle avait décidé de clore la procédure de suivi
pour la Turquie, reconnaissant les progrès réalisés dans le processus
de réformes et exprimant sa confiance aux autorités turques pour poursuivre
et consolider ces réformes, dont la mise en œuvre nécessiterait
un important travail d’adaptation de la loi et de la réglementation
dans les années à venir. L’Assemblée a décidé de poursuivre, par
le biais de sa commission pour le respect des obligations et engagements
des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi),
le dialogue postsuivi avec les autorités turques sur les 12 points
que la Turquie était invitée à prendre en compte dans le cadre du
processus de réformes engagé par ses autorités.
2. L’Assemblée note avec satisfaction que le Gouvernement turc,
dirigé par M. Erdoğan, a défendu, depuis plus de cinq ans, une croissance
économique forte et des réformes politiques qui ont permis au pays
de s’attirer les faveurs d’investisseurs grâce au maintien de la
stabilité macroéconomique et à la poursuite des privatisations,
et ont rendu possible l’ouverture, en octobre 2005, des négociations
en vue de l’adhésion à l’Union européenne. Depuis lors, la Turquie
s’efforce sans relâche de satisfaire aux critères de Copenhague, notamment
à la nécessité de parvenir à une «stabilité des institutions garantissant
la démocratie, la prééminence du droit et les droits de l’homme»,
conformément également aux obligations statutaires qui lui incombent
en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe.
3. Toutefois, les réformes ont été stoppées au printemps 2007
alors qu’éclatait une crise politique résultant de l’incapacité
de la Grande Assemblée nationale de Turquie (ci-après «le parlement»)
à élire un nouveau Président de la République. Cette crise a suscité
la tenue d’élections législatives anticipées en juillet 2007, considérées
par l’Assemblée et d’autres observateurs internationaux comme généralement
conformes aux engagements contractés par la Turquie à l’égard du
Conseil de l’Europe et aux normes européennes s’appliquant à la
tenue d’élections libres et équitables. L’Assemblée relève que le
taux de participation élevé témoigne de la confiance accordée au
processus démocratique en Turquie.
4. Remportant 46,6 % des voix lors du scrutin de juillet 2007,
le Parti pour la justice et le développement (ci-après «Parti AK»)
du Premier ministre Erdoğan s’est assuré une large majorité absolue.
L’Assemblée, tout en regrettant que les autorités turques n’aient
pas donné suite à ses appels précédents les invitant à abaisser le
seuil électoral de 10 %, note que l’actuel parlement est plus représentatif
de la diversité politique du pays que le précédent, car il reflète
près de 90 % des opinions de l’électorat.
5. Néanmoins, l’adoption par le parlement le 9 février 2008 de
modifications de la Constitution et de la loi sur l’enseignement
supérieur qui lèverait l’interdiction du foulard islamique à l’université
a déclenché une nouvelle crise. Le 5 juin 2008, la Cour constitutionnelle,
estimant les amendements contraires aux principes laïques, les a
déclarés inconstitutionnels.
6. Dans l’intervalle, le 14 mars 2008, des poursuites judiciaires
ont été engagées par le procureur général de la Cour suprême de
Turquie en vue de dissoudre le parti au pouvoir, le Parti AK, au
motif que ce dernier était devenu le «foyer d’activités antilaïques»,
et d’interdire durant cinq ans toute activité politique à 71 de
ses membres dont le Président Gül et le Premier ministre Erdoğan,
ainsi qu’à 39 membres du parlement. L’affaire est en instance devant
la Cour constitutionnelle.
7. L’Assemblée est fermement attachée à la laïcité de l’Etat
dans les pays membres du Conseil de l’Europe. Le laïcisme ne peut
toutefois pas s’appliquer aux partis politiques, car il existe de
nombreux exemples de tels partis inspirés par les valeurs morales
d’une religion dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe.
Quand un tel parti est au gouvernement, et que ce dernier adopte
des décisions anticonstitutionnelles, toute action en justice devrait
viser ces décisions, et non le parti politique qui les a inspirées.
8. L’Assemblée est préoccupée par le fait que, indépendamment
de son aboutissement, l’action judiciaire engagée contre le parti
au pouvoir, le Premier ministre et le Président de la République
nuit sérieusement à la stabilité politique du pays, ainsi qu’au
fonctionnement démocratique des institutions de l’Etat, et qu’elle
retarde l’adoption de réformes économiques et politiques urgentes.
9. Parallèlement, l’Assemblée souligne que la séparation effective
des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire sont des principes
fondamentaux d’une démocratie fondée sur l’Etat de droit qui devraient être
garantis par toutes les institutions étatiques. Aucune influence
ne saurait être exercée sur la Cour constitutionnelle du pays. A
cet égard, l’Assemblée exprime sa confiance à cette dernière pour
appliquer les normes européennes relatives à la dissolution des
partis politiques, résultant de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme (la Cour) sur les articles 10 (liberté d’expression)
et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne
des droits de l’homme (la Convention – STE no 5)
et des Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des
partis politiques et les mesures analogues, adoptées par la Commission
européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe
(Commission de Venise) en décembre 1999.
10. L’Assemblée note que le respect du principe de proportionnalité
est de la plus haute importance en matière de dissolution de partis
politiques, compte tenu de leur rôle essentiel pour garantir le
pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie. Elle rappelle
que la Cour a déclaré à maintes reprises que la dissolution d’un
parti politique, assortie d’une interdiction temporaire pour ses
dirigeants d’exercer des responsabilités politiques, était la mesure
la plus radicale et qu’une mesure d’une telle sévérité ne pouvait
s’appliquer qu’aux cas les plus graves.
11. L’Assemblée rappelle également sa Résolution 1308 (2002) sur les restrictions
concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe, dans laquelle elle souligne que, bien que les démocraties
aient le droit de se défendre contre des partis extrémistes, la
dissolution de partis politiques ne peut être qu’une mesure d’exception,
ne se justifiant que dans les cas où le parti concerné fait usage
de violence ou menace la paix civile et l’ordre constitutionnel
démocratique du pays.
12. L’Assemblée note que, par le passé, la Turquie a fréquemment
procédé à la dissolution de partis politiques; dans la quasi-totalité
des cas, cela a donné lieu à un constat de violation de l’article
11 de la Convention. Dans sa Résolution
1380 (2004) clôturant la procédure de suivi de la Turquie,
l’Assemblée, tout en soulignant que la fréquence des cas de dissolution
de partis politiques était une réelle source de préoccupation, exprimait
l’espoir que les modifications constitutionnelles d’octobre 2001
ainsi que celles apportées à la loi sur les partis politiques «limiteraient
à l’avenir le recours à une mesure aussi extrême que la dissolution».
13. Elle relève, par ailleurs, qu’à la lumière de ces mêmes réformes
le Comité des Ministres a, en 2007, suspendu la surveillance de
l’exécution des arrêts de la Cour dans toutes les affaires concernant
la dissolution de partis politiques en Turquie entre 1991 et 1997,
s’estimant satisfaite de l’exécution des arrêts pertinents. Ce faisant,
le Comité des Ministres a vivement encouragé les autorités turques
à poursuivre leurs efforts visant à assurer l’effet direct de la
jurisprudence de la Cour dans la mise en œuvre du droit turc.
14. Les poursuites actuellement engagées contre le Parti AK, indépendamment
de leur aboutissement, donnent lieu à un nouveau débat sur le fondement
juridique de la dissolution de partis politiques dans le pays et
montrent que, en dépit des réformes susmentionnées, la question
de la dissolution des partis politiques en Turquie n’est pas close.
L’Assemblée constate que la nécessité d’engager à cet égard des
réformes constitutionnelles et législatives est désormais manifeste.
15. Une révision complète de la Constitution de 1982 qui, en dépit
des modifications successives, continue de porter les marques du
coup d’Etat militaire de 1980 ainsi qu’un examen détaillé de la
loi sur les partis politiques sont indispensables pour mettre ces
textes en pleine conformité avec les normes européennes. En poursuivant
ces réformes, les autorités turques devraient en particulier envisager
l’introduction de critères plus stricts pour la dissolution de partis
politiques, tels que l’apologie ou l’incitation à la violence ou
des menaces claires contre les valeurs essentielles de la démocratie,
conformément aux lignes directrices précitées de la Commission de
Venise.
16. L’Assemblée rappelle que, au moment de l’adoption de sa Résolution
1380 et de la clôture de la procédure de suivi, elle avait invité
la Turquie, dans le cadre de son processus de réformes, «à procéder
à une refonte de la Constitution de 1982, avec l’assistance de la
Commission de Venise, afin d’achever son adaptation aux normes européennes
en vigueur». La nécessité d’une nouvelle Constitution, civile, est
devenue plus évidente que jamais.
17. A cet égard, l’Assemblée note l’initiative du gouvernement
d’élaborer une nouvelle Constitution et considère que cela ouvre
des perspectives à un vaste débat national impliquant les différents
acteurs de la société. Elle encourage le gouvernement à finaliser
ce processus en étroite coopération avec la Commission de Venise.
La nouvelle Constitution devrait notamment garantir un système adéquat
de freins et de contrepoids, et accorder une place de choix à la
protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
conformément aux normes européennes, afin d’assurer pleinement le
fonctionnement démocratique des institutions turques et de consolider
son processus de modernisation et de réformes.
18. Par ailleurs, l’Assemblée, soulignant l’importance d’une séparation
effective des pouvoirs, invite instamment toutes les institutions
de l’Etat à respecter leurs compétences respectives et à travailler
de concert afin de poursuivre, avec une vigueur renouvelée, les
réformes économiques et politiques tant nécessaires qui permettront
de faire de la Turquie une démocratie moderne.
19. Toutes les institutions des Etats membres sont liées par les
obligations, les engagements et les principes du Conseil de l’Europe.
Tout en gardant à l’esprit la séparation des pouvoirs judiciaire
et politique, l’Assemblée rappelle que les autorités judiciaires
sont elles aussi tenues de respecter ces normes et principes, et
d’agir en conséquence.
20. L’Assemblée demande à sa commission de suivi d’intensifier
son dialogue postsuivi avec la Turquie, de suivre de près l’évolution
du fonctionnement démocratique de ses institutions d’Etat et, en
particulier, le processus de rédaction de la Constitution, et de
considérer sérieusement, le cas échéant, la possibilité de rouvrir
la procédure de suivi de la Turquie.