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Résolution 1675 (2009)

Situation des droits de l’homme en Europe: nécessité d’éradiquer l’impunité

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 juin 2009 (22e séance) (voir Doc. 11934, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteuse: Mme Däubler-Gmelin; et Doc. 11964, avis de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteuse: Mme Čurdová). Texte adopté par l’Assemblée le 24 juin 2009 (22e séance). Voir également la Recommandation 1876 (2009).

1. L’Assemblée parlementaire demande instamment que tous les auteurs de violations graves des droits de l’homme aient à répondre de leurs actes.
2. Cela s’applique également aux commanditaires et aux organisateurs de tels crimes, comme l’a récemment affirmé l’Assemblée dans sa Résolution 1645 (2009) concernant l’affaire Gongadze.
3. L’Assemblée rappelle en outre qu’il est internationalement reconnu depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo, tenus au lendemain de la seconde guerre mondiale, que l’obéissance à des ordres ou instructions émanant de supérieurs hiérarchiques ne saurait justifier des violations graves des droits de l’homme.
4. Ainsi, dans des affaires concernant des réfugiés tués près du mur de Berlin, la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) a confirmé les condamnations tant des membres du bureau politique de la RDA ayant donné l’ordre de tirer que des gardes-frontière ayant exécuté cet ordre.
5. L’impunité des auteurs de violations graves de droits de l’homme dans les Etats membres et les Etats observateurs du Conseil de l’Europe prend différentes formes.
5.1. Les cas les plus graves comportent des exactions à grande échelle commises par les forces de sécurité dans des situations de conflit. Des exemples choquants de tels abus en Europe se retrouvent dans les affaires concernant les conflits et/ou la lutte contre le terrorisme en Irlande du Nord, dans le sud-est de la Turquie et en République de Tchétchénie de la Fédération de Russie, dans lesquelles la Cour a conclu à des violations à grande échelle de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention – STE no 5), parmi lesquelles le recours aveugle à la force, les disparitions forcées, la torture ou le traitement inhumain et dégradant de détenus. La Cour a souvent jugé que les enquêtes sur de tels abus étaient manifestement insuffisantes.
5.2. Les rapports de l’Assemblée sur les restitutions et les détentions secrètes ont fourni de nombreuses indications de violations graves des droits de l’homme – parmi lesquelles des tortures, des enlèvements et des détentions – commises dans le cadre de ce qu’on a appelé la «guerre contre la terreur» par ou avec la participation, le consentement ou l’assentiment de responsables d’Etats membres du Conseil de l’Europe sur leur territoire ou ailleurs. Pourtant, dans de nombreux Etats, les autorités n’ont pas veillé à ce que des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces soient menées, ni à ce que les auteurs de ces violations soient traduits en justice.
5.3. L’insuffisance des enquêtes est également la cause de l’impunité dans les affaires où des agents de l’Etat sont soupçonnés d’avoir ordonné, fomenté ou couvert des crimes commis par des acteurs non étatiques. Cela pourrait être le cas de nombreuses affaires de meurtre de journalistes et de militants des droits de l’homme par des «auteurs inconnus».
5.4. Souvent, les crimes tels que l’homicide par imprudence grave ou par négligence, ou les mauvais traitements infligés aux détenus par des membres peu scrupuleux des forces de sécurité ne font pas l’objet d’enquêtes ni de poursuites en bonne et due forme en raison d’une «culture de solidarité» mal inspirée entre collègues. La Cour a conclu à plusieurs reprises à des violations de la Convention au vu de la passivité totale ou de l’indulgence excessive des services répressifs et des juridictions confrontés à de telles affaires. A cet égard, l’Assemblée renvoie à sa Résolution 1742 (2006) relative aux droits de l’homme des membres des forces armées, dans laquelle elle déplorait la tolérance inacceptable des pratiques de bizutage au sein des forces armées de nombreux pays, qui constituent une violation grave de la dignité humaine, voire dans certains cas du droit à la vie des jeunes soldats.
5.5. D’autres types de crimes, bien que clairement commis par des acteurs non étatiques, sans aucune participation des autorités, doivent être traités comme des problèmes d’impunité en raison de la passivité ou de l’indulgence excessive des organes chargés de l’application de la loi dans ces affaires, attitudes motivées par le mépris des droits fondamentaux des femmes, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, l’islamophobie, l’homophobie, le sexisme ou d’autres formes d’intolérance.
5.5.1. La violence à l’égard des femmes et des filles – y compris la violence domestique, le viol, les mariages forcés, les crimes dits «d’honneur» et les mutilations sexuelles féminines – n’est souvent pas poursuivie avec la sévérité requise, et parfois même pas du tout, en raison d’une méconnaissance générale des droits fondamentaux des femmes et de l’absence d’égalité entre les sexes, ainsi que d’attitudes sexistes qui peuvent exister parmi les policiers, les procureurs ou les juges, ou d’attitudes culturelles archaïques plaçant l’«honneur» de la famille au-dessus du droit à la liberté individuelle, du droit à l’intégrité physique, voire du droit à la vie.
5.5.2. La violence à l’égard des étrangers ou des personnes d’apparence étrangère motivée par le racisme et la xénophobie est en augmentation dans de nombreux Etats membres, aggravée encore par la crise économique actuelle. La police n’intervient pas pour protéger les victimes, voire participe aux actes d’agression, d’intimidation et de dénigrement.
5.5.3. La population rom est particulièrement touchée, dans bon nombre de pays européens, par de tels comportements inacceptables.
5.5.4. Le spectre hideux de l’antisémitisme a fait sa réapparition dans un certain nombre de pays, y compris sous une forme nouvelle, en recrudescence depuis la récente aggravation du conflit au Proche-Orient, qui consiste en l’expression par des extrémistes de leur haine contre Israël à travers des actes de violence à l’égard de la population juive locale.
5.5.5. La violence motivée par l’homophobie est également trop souvent tolérée, voire encouragée, par des membres complaisants ou homophobes des organes chargés de l’application de la loi et du judiciaire.
5.5.6. La corruption, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, est un phénomène répandu qui reste largement impuni; elle affaiblit l’Etat de droit et constitue une grave menace pour la prospérité de nos pays et leurs institutions démocratiques.
5.6. Dernier point, et non des moindres: les acteurs internationaux tels que les militaires des forces de maintien de la paix ont encore moins à rendre compte de leurs actes que leurs collègues agissant dans leur propre pays, les victimes d’éventuelles violations rencontrant des difficultés d’accès aux recours juridiques nationaux ou internationaux.
6. L’Assemblée considère que la lutte contre l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’homme est une priorité pour le Conseil de l’Europe et tous les organes chargés de l’application de la loi aux niveaux national et international. L’impunité doit être éradiquée à la fois en termes de justice individuelle et en tant que moyen de dissuasion de nouvelles violations des droits de l’homme.
7. L’Assemblée se félicite de l’abondante jurisprudence établie par la Cour sur la question de l’impunité, en particulier l’obligation positive imposée aux Etats membres d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme et d’exiger de leurs auteurs qu’ils rendent des comptes.
8. L’exécution rapide et intégrale des arrêts de la Cour dans les affaires d’impunité est essentielle pour combattre ce fléau dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
8.1. Lorsque la Cour conclut à une absence d’enquête efficace, l’exécution de l’arrêt ne peut se limiter au versement de la satisfaction équitable accordée par la Cour. Une enquête en bonne et due forme doit aussi être menée et des mesures générales doivent être prises pour traiter les causes profondes de la violation.
8.2. L’Assemblée et ses membres dans leurs parlements nationaux ont un rôle important à jouer pour assurer l’exécution rapide des arrêts de la Cour.
8.3. L’Assemblée félicite le Comité des Ministres pour sa position constante concernant l’obligation persistante de mener des enquêtes efficaces lorsque des violations procédurales de l’article 2 de la Convention ont été constatées par la Cour. Il importe que ces mêmes règles s’appliquent à l’ensemble des Etats, sans qu’il y ait deux poids, deux mesures.
8.4. La communication aux Etats concernés par la Cour, en temps voulu, des requêtes pour défaut d’enquête envoie un signal fort aux autorités compétentes, leur permettant de prendre des mesures d’investigation avant que des éléments de preuve soient irrémédiablement perdus.
9. En conséquence, l’Assemblée invite instamment tous les Etats membres et Etats observateurs à faire de la lutte contre l’impunité une priorité:
9.1. en affirmant clairement, au plus haut niveau politique, que les violations graves des droits de l’homme commises par des agents de l’Etat ou avec leur complicité ou assistance ne seront en aucun cas tolérées;
9.2. en veillant à ce que le secret d’Etat et les immunités n’empêchent pas la conduite d’enquêtes efficaces, indépendantes et impartiales sur les violations graves des droits de l’homme – y compris au sujet des détentions secrètes et des transferts interétatiques illégaux d’individus qui ont eu lieu sur ou à travers le territoire européen – et que leurs auteurs aient à en répondre;
9.3. en octroyant aux organes nationaux chargés de l’application de la loi les ressources nécessaires pour mener des enquêtes efficaces sur les violations des droits de l’homme commises par des acteurs non étatiques, y compris des poursuites ex officio;
9.4. en mettant fin aux préjugés et attitudes culturelles inacceptables de la part des membres des organes chargés de l’application de la loi, à l’origine d’une impunité répandue quant aux violences à l’égard des femmes, aux crimes dits «d’honneur», et aux crimes motivés par le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, l’islamophobie, l’homophobie, le sexisme ou d’autres formes d’intolérance;
9.5. en développant des modules de formation initiale et continue des agents des services de sécurité et des magistrats, centrés sur la prise en charge des victimes de violations des droits de l’homme et sur la lutte contre les préjugés et les stéréotypes;
9.6. en mettant en œuvre les précédentes résolutions et recommandations de l’Assemblée sur différentes questions liées à l’impunité.
10. L’Assemblée invite instamment le Comité des Ministres à accélérer et à intensifier ses travaux sur l’élaboration de lignes directrices relatives à la lutte contre l’impunité, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sur ses propres travaux concernant l’exécution des arrêts, sur les résolutions et recommandations pertinentes de l’Assemblée ainsi que sur les travaux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et sur ceux des Nations Unies et des organisations non gouvernementales actives dans ce domaine.
11. L’Assemblée invite également la Cour européenne des droits de l’homme à continuer à faire de la lutte contre l’impunité une priorité.
12. L’Assemblée appelle les parlements des Etats membres et des Etats observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que leurs membres individuels, à jouer un rôle moteur dans la lutte contre l’impunité, en vérifiant que des textes de lois appropriés existent dans la législation, en assurant leur mise en œuvre et en se servant de leur proximité avec l’électorat, et donc de leurs capacités de sensibilisation et de leadership, pour modifier les attitudes sous-jacentes dans la société, qui rendent effectivement possibles ces crimes et violations des droits fondamentaux.
13. L’Assemblée décide d’examiner l’opportunité d’établir une commission européenne indépendante pour enquêter sur des allégations sérieuses de violations graves et systématiques des droits de l’homme.