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Résolution 1685 (2009)
Allégations d'abus du système de justice pénale, motivée par des considérations politiques, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe
1. L’Assemblée
parlementaire souligne l’importance fondamentale, pour l’Etat de
droit et la protection de la liberté individuelle, de protéger à
travers l’Europe les systèmes de justice pénale de toute ingérence
motivée par des considérations politiques.
2. La réussite de la coopération entre les Etats membres du Conseil
de l’Europe en matière de justice pénale (dans des questions telles
l’extradition et l’obtention de preuves, comme énoncé dans les conventions pertinentes
du Conseil de l’Europe) dépend de la confiance mutuelle en l’équité
fondamentale des systèmes de justice pénale de tous les Etats membres
et de l’absence de toute pratique abusive motivée par des considérations
politiques.
3. L’indépendance du système judiciaire, en droit comme en fait,
est le principal rempart contre de tels abus.
3.1. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe reconnaissent,
en principe, l’indépendance des juridictions et de chaque juge individuellement.
Cela devrait également être retranscrit dans leurs Constitutions.
Il convient également de mettre en place certaines garanties de
droit et de fait pour rendre cette indépendance effective, notamment:
3.1.1. le recrutement et la promotion
des juges doivent être fondés sur le seul mérite (qualifications,
intégrité, compétence et performance);
3.1.2. la protection contre toute sanction disciplinaire abusive
(notamment contre la révocation) doit être efficace;
3.1.3. les salaires et les indemnités doivent être suffisants
pour éviter toute dépendance des juges et de leur famille à l’égard
du pouvoir exécutif en matière de logement et autres facilités;
3.1.4. l’indépendance des juges vis-à-vis des présidents de tribunaux
et des juges de juridictions supérieures doit être protégée, notamment
par la définition préalable de systèmes objectifs d’attribution
des affaires, l’établissement de règles strictes interdisant qu’un
juge soit dessaisi d’une affaire pour des raisons non expressément
prévues par la loi et une évaluation des performances basée sur
d’autres critères que le nombre de décisions confirmées ou annulées
par des instances supérieures.
3.2. Les procureurs doivent pouvoir exercer leurs fonctions
indépendamment de toute ingérence politique. Ils doivent être protégés
contre toutes instructions concernant une affaire donnée, tout au moins
si de telles instructions visent à empêcher que l’affaire soit traduite
en justice.
3.3. Afin de s’assurer que les garanties de fait de l’indépendance
de la justice sont efficaces, des conseils de la magistrature dotés
de pouvoirs forts pourraient jouer un rôle important pour contrôler
la mise en œuvre de cette indépendance:
3.3.1. les conseils de la magistrature doivent avoir une influence
décisive en matière de recrutement et de promotion des juges et
des procureurs, ainsi qu’en matière de mesures disciplinaires à
leur encontre, sans préjudice de toute voie de recours judiciaire
requise par certaines Constitutions;
3.3.2. les représentants élus parmi les juges et les procureurs
devraient être au moins aussi nombreux que les membres représentant
d’autres groupes de la société, nommés par des organes politiques.
Ces derniers devraient représenter l’ensemble des principaux courants politiques
du pays. La pratique existante utilisée dans beaucoup d’Etats, qui
consiste à impliquer des commissions parlementaires dans la procédure
de nomination de certains juges de rang élevé – également utilisée
pour l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme –
est également acceptable.
3.4. La répartition des tâches entre les juges et les procureurs
est déterminée par les traditions juridiques propres à chaque pays.
Le juste équilibre, à même de garantir la meilleure protection possible contre
toute ingérence motivée par des considérations politiques, dépend
également du niveau d’indépendance dont jouissent les procureurs
ainsi que des droits procéduraux et des ressources matérielles dont
dispose la défense.
3.4.1. Dans des
pays tels que le Royaume-Uni et l’Italie, où les procureurs jouissent
d’une grande indépendance et où la défense a accès au dossier et
au suspect en début de procédure, le rôle des juges peut être limité,
sans grand risque, à l’exercice d’un contrôle juridique et à la prise
de décision finale.
3.4.2. Dans des pays comme la France ou l’Allemagne, où les procureurs
sont plus étroitement liés à leur hiérarchie, les juges et les avocats
de la défense doivent pouvoir également jouer un rôle plus actif
au cours de l’instruction.
3.5. Afin d’assurer la réussite des réformes du système – telles
que le projet de suppression de la fonction du juge d’instruction
en France ou le renforcement du Bundesanwaltschaft en
Allemagne dans le cadre de la récente législation antiterroriste
–, il convient de maintenir un juste équilibre entre le rôle des
acteurs qui jouissent d’une pleine indépendance (juges, avocats
de la défense) et celui du ministère public et de la police. Ces
réformes pourraient également nécessiter le renforcement de l’indépendance du
parquet afin de garantir celle du système de justice pénale en général
et d’éviter toute ingérence motivée par des considérations politiques.
4. La situation des quatre pays étudiés en tant qu’exemples des
principaux types de systèmes de justice pénale en Europe, à savoir
le Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), la France, l’Allemagne
et la Fédération de Russie, se caractérise par les facteurs suivants:
4.1. Au Royaume-Uni:
4.1.1. un système accusatoire dans
lequel des ressources considérables, bien que de plus en plus réduites,
sont affectées à l’aide juridique afin de garantir l’égalité des
armes entre le ministère public et la défense;
4.1.2. une longue tradition d’indépendance et de professionnalisme
des juges et des procureurs, renforcée par leur statut social élevé
et, récemment, par la création d’une commission de nomination des
juges (Judicial Appointments Commission);
4.1.3. un contrôle traditionnellement actif du gouvernement par
le parlement et par des médias dynamiques, pluralistes et libres;
4.1.4. des affaires récentes, notamment l’affaire British Aerospace
et l’affaire Cash for honours (vente
de titres nobiliaires), qui ont révélé la nécessité de revoir et
de clarifier le rôle du procureur général (Attorney
General); une proposition de réforme dans ce sens est
actuellement à l’examen.
4.2. En France et en Allemagne:
4.2.1. des systèmes traditionnellement inquisitoires qui acquièrent
progressivement une certaine dimension accusatoire; dans les deux
pays, cependant, les ressources affectées à l’aide juridique n’ont
pas été augmentées en conséquence; en outre, en France, les avocats
de la défense ne bénéficient pas encore du même accès au suspect
et à l’enquête préliminaire que leurs collègues britanniques et
allemands;
4.2.2. une indépendance des juges qui est respectée en droit
et en pratique, mais un statut social qui s’est considérablement dégradé;
4.2.3. dans les deux pays, des procureurs qui jouissent d’une
indépendance beaucoup moins développée qu’au Royaume-Uni; en France,
des procureurs de haut niveau et des représentants élus de juges
et de procureurs ont récemment déploré une nette régression en pratique;
4.2.4. en France, un Conseil supérieur de la magistrature qui
joue un rôle important au niveau de la carrière et de la discipline
des juges et, dans une moindre mesure, des procureurs, et qui n’a
toujours pas d’équivalent en Allemagne; la France a récemment décidé
de doubler le nombre de membres nommés par le Président de la République
et les présidents des deux chambres du parlement, plaçant ainsi
les représentants élus par les juges et les procureurs en minorité;
4.2.5. en France, le projet de supprimer la fonction des juges
d’instruction et de transférer la plupart de leurs compétences au
ministère public est largement soupçonné d’être une manœuvre des
autorités politiques destinée à leur donner plus d’influence sur
le déroulement des enquêtes sur des affaires sensibles;
4.2.6. dans les deux pays, un parlement et des médias indépendants
qui constituent des garde-fous relativement fiables contre l’utilisation
abusive du système de justice pénale par le pouvoir exécutif.
4.3. En Fédération de Russie:
4.3.1. une nette amélioration du statut social des juges et des
procureurs ces dernières années, qui a quasiment permis de mettre
fin à leur dépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour ce qui
est du logement et d’autres besoins essentiels, et qui devrait contribuer
à réduire la corruption judiciaire;
4.3.2. des réformes législatives qui prennent en compte les normes
européennes, avec, notamment, la création d’un conseil fédéral de
la magistrature chargé des questions de carrière et de discipline,
et qui ont renforcé le statut des juges dans la loi;
4.3.3. la création d’un comité d’investigation distinct au sein
du bureau du procureur général, qui contribuera peut-être, avec
le temps, à atténuer l’influence écrasante de celui-ci dans les procédures
pénales;
4.3.4. plusieurs lois qui ont été adoptées récemment pour renforcer
l’indépendance du système judiciaire et la protection des avocats
de la défense contre des poursuites pénales injustifiées: de nouvelles
règles prévoient la nomination à vie des juges fédéraux, des dispositions
spécifiques pour engager des poursuites pénales à l’encontre d’avocats
de la défense ont été mises en place et un organe judiciaire spécial
(chambre disciplinaire) a été constitué afin d’examiner les recours
formés par des juges démis de leurs fonctions;
4.3.5. une attitude traditionnellement soumise de nombre de juges
et de procureurs héritée du passé et qui n’a pas encore complètement
disparu; au contraire, malgré un nouveau départ encourageant au
début des années 1990, les juges sont soumis à des pressions croissantes pour
qu’ils prononcent des condamnations dans la grande majorité des
affaires portées devant la justice par le ministère public;
4.3.6. des moyens de pression parmi lesquels figurent toujours
les anciennes méthodes officieuses («justice téléphonée») mais aussi
un système officiel d’évaluation de la performance et des mécanismes
disciplinaires. Le nombre de juges démis de leurs fonctions, pour
différents motifs, est relativement élevé. Les présidents de tribunaux
jouissent d’un pouvoir disproportionné par rapport aux autres juges,
notamment en raison de leur pouvoir d’attribution des affaires.
La protection juridique des juges qui résistent à ce type de pression
est très limitée, les conseils de la magistrature n’ayant pas encore
suffisamment d’indépendance et d’autorité;
4.3.7. des avocats qui continuent de faire l’objet de fouilles,
de confiscations et autres formes de pression contraires aux dispositions
juridiques russes et européennes;
4.3.8. plusieurs affaires très médiatisées, telles que le deuxième
procès de M. Khodorkovski et P. Lebedev, la procédure contre les
responsables et les avocats de HSBC/Hermitage, l’enquête sur le
meurtre de A. Politkovskaïa, le procès de Y. Samodurov et la révocation
du juge Kudeshkina et de plusieurs autres juges, qui font craindre
que la lutte contre le «nihilisme juridique» lancée par le Président
Medvedev soit loin d’être gagnée;
4.3.9. un parlement et des médias qui n’apportent toujours pas
suffisamment de garanties contre les abus, bien que, récemment,
des débats ouverts dans certains médias laissent augurer d’un avenir
meilleur.
5. Constatant que les systèmes de justice pénale de tous les
Etats membres sont soumis, à des degrés très divers, à des ingérences
motivées par des considérations politiques:
5.1. L’Assemblée invite tous les Etats membres:
5.1.1. à renforcer encore l’indépendance
de la justice et l’égalité des armes entre le ministère public et
la défense, notamment en allouant les ressources nécessaires au
système judiciaire, y compris pour l’aide juridique, en accordant
des droits procéduraux importants aux avocats de la défense, y compris
au cours de l’enquête préliminaire, et en renforçant l’autonomie
de la justice;
5.1.2. à veiller à ce que les instances compétentes en matière
d’extradition et autres types de coopération judiciaire tiennent
compte du degré d’indépendance dont jouit – dans les faits comme
dans le droit – la justice dans l’Etat requérant et refusent l’extradition
dès lors qu’il existe des raisons de penser qu’il est peu probable,
pour des motifs politiques, que la personne concernée bénéficiera
d’un procès équitable dans cet Etat.
5.2. L’Assemblée invite le Royaume-Uni:
5.2.1. à finaliser sans plus tarder la réforme du rôle du procureur
général (Attorney General) visant
à renforcer la responsabilité de celui-ci devant le parlement;
5.2.2. à mettre pleinement en œuvre la Convention de l’Organisation
de coopération et de développement économiques contre la corruption,
notamment son article 5;
5.2.3. à stopper la réduction récente des ressources affectées
à l’aide juridique afin d’éviter que ne s’instaure un système de
justice à deux vitesses où la capacité à payer d’un suspect détermine
la qualité de sa défense.
5.3. L’Assemblée invite la France:
5.3.1. à revoir le projet de suppression de la fonction des juges
d’instruction; si celle-ci
était confirmée, et si les compétences en la matière étaient transférées
au ministère public, à renforcer l’indépendance des procureurs et
à permettre aux avocats de la défense d’accéder à l’enquête préliminaire
conduite par le parquet, comme c’est actuellement le cas devant
les juges d’instruction;
5.3.2. à augmenter progressivement les salaires des juges et
des procureurs à la hauteur de la dignité et de l’importance de
leurs fonctions, jusqu’à ce que ces salaires soient alignés sur
la moyenne des autres pays européens (comparés aux revenus moyens
de la population);
5.3.3. à augmenter les ressources affectées à l’aide juridique
à mesure que le système de justice pénale acquiert une dimension
plus accusatoire;
5.3.4. à envisager de rétablir une majorité de juges et de procureurs
au sein du Conseil supérieur de la magistrature ou à veiller à ce
que parmi les membres nommés par les organes politiques figurent
également des représentants de l’opposition, et à donner également
force obligatoire à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature
pour les décisions visant les procureurs.
5.4. L’Assemblée invite l’Allemagne:
5.4.1. à envisager de créer un système d’autonomie de la justice,
en tenant compte de la structure fédérale du système judiciaire
allemand et en s’inspirant des conseils de la magistrature existant
dans la plupart des Etats européens, afin de garantir l’indépendance
de la justice à l’avenir;
5.4.2. à augmenter progressivement les salaires des juges et
des procureurs ainsi que les ressources affectées à l’aide juridique
(comme recommandé pour la France aux paragraphes 5.3.2 et 5.3.3
ci-dessus);
5.4.3. à abolir la possibilité pour les ministres de la Justice
de donner des instructions au parquet sur des cas individuels;
5.4.4. à renforcer, en droit et en pratique, le contrôle, par
les juges, de l’exercice des pouvoirs accrus des procureurs, en
particulier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
5.5. L’Assemblée invite la Fédération de Russie:
5.5.1. à renforcer l’indépendance des
juges en veillant à ce que l’évaluation des performances ne soit
pas basée sur le fond de leurs décisions;
5.5.2. à renforcer l’indépendance du Conseil de la magistrature
et la transparence de ses procédures;
5.5.3. à consolider le système de répartition des affaires entre
les tribunaux d’une part, et les différents juges ou chambres de
tribunal d’autre part, de telle sorte que le ministère public ne puisse
pas choisir le tribunal qui l’arrange, et que les présidents de
tribunaux ne puissent pas exercer de pouvoir discrétionnaire en
la matière;
5.5.4. à promouvoir le développement d’un esprit critique et
indépendant dans la formation en droit en général et dans la formation
initiale et continue des juges et des procureurs en particulier, et
à sanctionner sévèrement tout fonctionnaire local, régional ou fédéral
qui continuerait d’essayer de donner des instructions aux juges,
ainsi que tout juge qui solliciterait de telles instructions;
5.5.5. à protéger efficacement les avocats de la défense de toute
fouille ou confiscation de documents obtenus dans le cadre de la
relation privilégiée avocat-client ainsi que de toute autre pression,
notamment sous forme de poursuites abusives et de harcèlement administratif;
5.5.6. à contribuer au développement de l’indépendance des médias
quand ils enquêtent et attirent l’attention du public sur les abus
relevés dans le système de justice pénale.
6. L’Assemblée invite la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) et la Commission européenne
pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) à continuer de défendre
l’indépendance de la justice en Europe, à déclarer ouvertement leur
soutien aux collègues en difficulté et à dénoncer toute ingérence
motivée par des considérations politiques, où que ce soit.
7. L’Assemblée estime que le Comité des Ministres devrait revoir
les conventions du Conseil de l’Europe relatives à la coopération
juridique afin de s’assurer qu’elles ne peuvent pas être invoquées
à tort pour justifier l’introduction de poursuites motivées par
des considérations politiques, tant que l’ensemble des Etats membres
du Conseil de l’Europe n’a pas adopté de normes comparables en matière
d’indépendance de la justice, en droit et en pratique.
8. Enfin, l’Assemblée encourage la Cour européenne des droits
de l’homme à envisager d’accorder la priorité aux requêtes ayant
trait à des violations présumées de l’indépendance des juges et
à une utilisation abusive – motivée par des considérations politiques
– du système de justice pénale. L’existence d’une justice indépendante
étant fondamentale pour protéger les droits de l’homme au niveau
national, une telle politique pourrait contribuer à juguler l’afflux
de requêtes devant la Cour européenne.