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Recommandation 1930 (2010) Version finale

Interdiction de la commercialisation et de l’utilisation du dispositif anti-jeunes «Mosquito»

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 juin 2010 (27e séance) (voir Doc. 12186, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Wach; et Doc. 12261, avis de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Volontè). Texte adopté par l’Assemblée le 25 juin 2010 (27e séance).

1. Le Forum européen de la jeunesse a attiré l’attention de l’Assemblée parlementaire sur le dispositif anti-jeunes «Mosquito» et lui a demandé de se prononcer sur son utilisation. Son impact sur la santé des enfants et des adolescents et son caractère discriminatoire à leur égard ont été mentionnés.
2. «Mosquito» est le nom commercial du dispositif sonore anti-jeunes actuellement commercialisé et utilisé dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, à savoir le Royaume-Uni, où 3 500 appareils sont en service, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas et la Suisse.
3. L’appareil «Mosquito» émet un puissant signal sonore pulsé ayant une pression de 75 à 95 décibels et une fréquence de 16 à 18,5 kilohertz. Ce type de son est audible par presque tous les jeunes de moins de 20 ans, mais difficilement perceptible par les personnes de plus de 25 ans. Le bruit produit par le «Mosquito» est extrêmement désagréable, et même souvent pénible pour une majorité de mineurs; il les incite à quitter rapidement la zone couverte par le dispositif.
4. Ce système est utilisé pour dissuader les adolescents indésirables de traîner dans des lieux où ils ne sont pas les bienvenus et où l’on estime qu’ils nuisent à l’image ou à l’ambiance recherchées, à savoir à l’extérieur des centres commerciaux, dans les ruelles et autres endroits où les jeunes aiment se retrouver et passer leur temps. Les appareils sont installés et utilisés par des administrations, des commerçants et parfois même par des établissements scolaires ou des particuliers. Dans la majorité des cas, aucun avertissement ou information préalable ne précède l’installation de ces dispositifs acoustiques.
5. Les personnes plus âgées n’ont pas conscience d’être exposées à des émissions acoustiques aussi fortes parce que celles-ci sont en dehors de leur champ d’audition. En revanche, de nombreux enfants, en particulier les bébés, ont des réactions spectaculaires à ce son. Ils se mettent souvent à pleurer ou à crier et se couvrent les oreilles, à la surprise de leurs parents qui, n’entendant pas le bruit, ne comprennent pas ce qui se passe.
6. Les adolescents exposés à ce type de bruit sont obligés de quitter les lieux. Ils ont l’impression que le «Mosquito» est utilisé comme une arme contre eux, quel que soit leur comportement. Ils se sentent persécutés et insultés, et s’estiment victimes d’un traitement clairement discriminatoire. Ils pensent être traités comme des fauteurs de troubles potentiels et des délinquants, ce qui renforce leur sentiment de mise à l’écart.
7. L’utilisation du dispositif «Mosquito» pose aussi un problème de santé publique. En effet, même si le niveau sonore produit par l’appareil n’excède généralement pas le niveau autorisé par la réglementation du travail pour des expositions de courte durée, ces règles ne s’appliquent pas aux enfants, aux mineurs ou aux femmes enceintes, qui devraient, de toute évidence, être bien mieux protégés que les travailleurs adultes.
8. A ce jour, il ressort des études menées dans ce domaine que l’exposition au son émis par le «Mosquito» ne fait pas courir aux adultes et aux jeunes de risque de perte d’audition. Cependant, bien qu’il n’existe aucun élément prouvant l’existence d’autres risques pour la santé liés à l’utilisation de cet appareil, des tests médicaux supplémentaires sont nécessaires. On ignore, par exemple, l’impact des sons de haute fréquence sur le fœtus. Le principe de précaution doit par conséquent s’appliquer.
9. L’Assemblée considère que l’utilisation d’appareils de type «Mosquito» constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit au respect de la vie privée – qui inclut le droit au respect de l’intégrité physique – tel que protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Même si cette ingérence ne résulte pas directement de l’action des pouvoirs publics, les Etats parties sont tenus de garantir efficacement ce droit et d’adopter, au besoin, des mesures de protection adéquates. L’emploi de ces dispositifs peut, en fonction des circonstances, constituer aussi une ingérence dans le droit à la liberté de réunion pacifique, garanti par l’article 11 de la Convention.
10. Pour l’Assemblée, les répulsifs sonores visant à disperser les adolescents, comme le «Mosquito», vont également à l’encontre de l’interdiction générale de la discrimination dans la jouissance de tout droit prévu par la loi, telle que garantie par l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention (STE no 177), et sont contraires à l’article 14 de la Convention, aux termes duquel la jouissance des droits et libertés reconnus par celle-ci doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur «la naissance ou toute autre situation». A la suite d’une campagne nationale menée en Grande-Bretagne contre le caractère discriminatoire du «Mosquito», une nouvelle version de l’appareil a été mise en vente en novembre 2008, qui permet à l’utilisateur de baisser la fréquence, permettant ainsi aux personnes de tous âges d’entendre le son émis. Toutefois, tant qu’il sera possible d’augmenter la fréquence de l’appareil, et compte tenu de sa finalité, l’emploi du «Mosquito» restera potentiellement discriminatoire.
11. L’Assemblée souligne, par ailleurs, que ces dispositifs, outre le fait qu’ils infligent des sons pénibles aux jeunes et les traitent comme des oiseaux ou des insectes indésirables, sont nocifs et extrêmement insultants, leur utilisation pouvant ainsi s’apparenter à un traitement dégradant tel qu’interdit par l’article 3 de la Convention. En vertu de cette disposition, les enfants et les autres personnes vulnérables ont le droit d’être protégés contre toute atteinte grave à leur intégrité physique et psychique.
12. En outre, l’Assemblée constate que les appareils «Mosquito» contreviennent à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, notamment en ce qui concerne le droit à la santé et à la sécurité. Les Etats parties sont tenus, en vertu de cette convention, de veiller à ce que «l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction» (article 2.2), de reconnaître le droit de l’enfant à la liberté de réunion pacifique (article 15) et de prendre «toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales» (article 19.1).
13. Enfin, le dispositif «Mosquito» ne constitue pas une réponse raisonnable au comportement antisocial de certains jeunes et ne fait que déplacer le problème – ailleurs, dans le même quartier. Il ne s’attaque pas à la racine du problème et n’est certainement pas de nature à encourager les jeunes à agir de manière responsable, bien au contraire.
14. L’Assemblée note avec satisfaction qu’un projet de loi est actuellement examiné par le Sénat belge en vue d’interdire la fabrication, la commercialisation et la vente de ces appareils, et se félicite des initiatives prises par certaines autorités locales, qui ont interdit le recours à tout dispositif de type «Mosquito». Elle déplore, cependant, qu’aucun Etat membre du Conseil de l’Europe n’ait à ce jour pris une telle décision. De surcroît, la Commission européenne a décidé en avril 2008 de ne pas interdire ces dispositifs.
15. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux parlements nationaux, aux gouvernements et aux autorités locales des Etats membres du Conseil de l’Europe, dans l’exercice de leurs fonctions et de leurs compétences respectives, de prendre des mesures appropriées, en vue:
15.1. d’interdire dans tous les lieux publics l’installation et l’utilisation d’appareils acoustiques de type «Mosquito», qui sont source de discrimination à l’égard des jeunes;
15.2. d’interdire la commercialisation et la vente de dispositifs anti-jeunes de type «Mosquito» ou, au moins, d’obliger les propriétaires ou les gérants de lieux non publics qui décident d’utiliser ce type d’appareil acoustique dans des lieux placés sous leur responsabilité à clairement le signaler;
15.3. de promouvoir, en consultation avec les forums de jeunes au niveau local, la mise en place d’aménagements intérieurs et extérieurs pour multiplier les possibilités d’activités récréatives, physiques et intellectuelles, dont des espaces verts, des gymnases, des piscines, des terrains de jeu, des bibliothèques et des bibliothèques multimédias.
16. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
16.1. d’inviter instamment les autorités nationales à adopter une législation interdisant tous les dispositifs anti-jeunes de type «Mosquito», en tant que condition nécessaire à la pleine protection des droits fondamentaux des jeunes;
16.2. de suivre étroitement l’évolution de la situation et d’encourager les initiatives visant à assurer que, dans les divers aspects de l’organisation de la vie sociale, les mineurs ne soient pas traités avec mépris et animosité, ni considérés comme des sources de nuisance, des fauteurs de troubles potentiels, voire des éléments hostiles de la société.