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Résolution 1755 (2010) Version finale

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 5 octobre 2010 (31e séance) (voir Doc. 12357 et addendum, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), corapporteurs: Mmes Reps et Wohlwend). Texte adopté par l’Assemblée le 5 octobre 2010 (31e séance).

1. L’Assemblée parlementaire se félicite de l’accroissement de l’activité législative en Ukraine à la suite de l’élection présidentielle de 2010 et de la mise en place d’une nouvelle coalition au pouvoir, ce qui pourrait conduire à la stabilité politique. Elle considère que la stabilité politique est une condition essentielle à la consolidation de la démocratie en Ukraine. Elle demeure cependant préoccupée par sa fragilité relative, car les causes systémiques sous-jacentes de l’instabilité qui a frappé le pays ces dernières années n’ont pas encore été abordées.
2. L’Assemblée réaffirme que la stabilité politique ne peut être maintenue dans la durée qu’en révisant la Constitution de façon à instaurer une séparation claire des pouvoirs et un régime équilibrant dans de justes proportions l’exécutif, le législatif et le judiciaire, entre eux et en leur sein.
3. S’agissant des inquiétudes exprimées face à la concentration du pouvoir par les nouvelles autorités ukrainiennes, l’Assemblée estime que la consolidation du pouvoir par une administration nouvellement établie, lorsqu’elle l’a été conformément aux principes démocratiques, est compréhensible, voire souvent souhaitable, mais elle prévient qu’une telle consolidation ne doit pas se muer en monopolisation du pouvoir par une seule force politique, sous peine de compromettre l’avancée démocratique du pays.
4. L’Assemblée note avec satisfaction la volonté politique affichée par les autorités, et la priorité donnée au respect des engagements souscrits par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe et non encore honorés. L’Assemblée soutient pleinement les autorités dans leurs efforts pour mettre en œuvre le programme de réformes profondes et ambitieuses qui est nécessaire pour respecter les engagements et les obligations du pays en tant que membre du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée craint que la manière précipitée avec laquelle les autorités mènent ces réformes ne porte atteinte au respect des bons principes démocratiques et, en dernier ressort, à la qualité des réformes elles-mêmes. La réalisation des engagements pris lors de l’adhésion et non encore honorés exige de mettre en œuvre un programme de réformes complexes et profondes, qui auront un grand impact sur la société ukrainienne. Pour que la mise en œuvre de ces réformes soit un succès, elles doivent donc s’appuyer sur un large consensus politique et sur le soutien de la population. Or, cela ne peut se faire que dans le strict respect des procédures parlementaires et des principes démocratiques.
6. Une étroite coopération avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) s’avère indispensable pour garantir que les programmes de réformes législatives en cours d’élaboration satisfont pleinement aux normes et valeurs européennes. L’Assemblée invite donc les autorités et les dirigeants de la Verkhovna Rada ukrainienne à veiller à ce que l’avis de la Commission de Venise soit sollicité sur la version finale des projets de loi, avant leur adoption en dernière lecture.
7. Les différents domaines que couvre l’initiative récente pour les réformes ont déjà été largement traités par l’Assemblée dans des résolutions précédentes concernant l’Ukraine. Réaffirmant sa position sur ces réformes, l’Assemblée, eu égard en particulier:
7.1. à la réforme électorale:
7.1.1. réitère sa recommandation en faveur de l’adoption d’un code électoral unifié en Ukraine et constate avec satisfaction qu’un projet de code unifié est aujourd’hui présenté pour adoption à la Verkhovna Rada;
7.1.2. estime que la réforme électorale ne doit pas se borner à l’adoption d’un nouveau code électoral mais également établir un nouveau système électoral, et réitère sa recommandation en faveur de l’adoption d’un système électoral qui consiste en un scrutin proportionnel basé sur des listes ouvertes et sur des circonscriptions régionales multiples;
7.1.3. réaffirme que le mandat impératif mis en place par les amendements constitutionnels de 2004 va à l’encontre des normes démocratiques européennes;
7.1.4. invite toutes les forces politiques à tenir leur promesse de réforme du cadre juridique des élections, et à afficher dans cette perspective la volonté politique d’adopter un code électoral unifié et un nouveau système électoral, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et de l’Assemblée, bien avant la tenue des prochaines élections législatives;
7.1.5. invite instamment les autorités à adopter, dans la loi sur les partis politiques, des dispositions sur le financement des partis qui soient entièrement conformes aux normes européennes, notamment en ce qui concerne la transparence du financement des partis, et à envisager l’adoption de mesures supplémentaires qui permettraient de réduire la dépendance des partis politiques envers les intérêts économiques et commerciaux;
7.2. à la réforme de la Prokuratura:
7.2.1. rappelle que l’Ukraine, lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, s’est engagée comme suit: «le rôle et les fonctions du parquet seront modifiés (notamment en ce qui concerne l’exercice d’un contrôle général de légalité), de telle sorte que cette institution deviendra un organe conforme aux normes du Conseil de l’Europe», et déplore que cet engagement ne soit pas encore rempli;
7.2.2. réaffirme que la fonction générale de supervision du parquet en Ukraine va à l’encontre des normes européennes et lui confère ainsi des pouvoirs qui excèdent les pouvoirs nécessaires dans un Etat démocratique;
7.2.3. appelle les autorités et la Verkhovna Rada à adopter, dans les plus brefs délais et en consultation étroite avec la Commission de Venise, une loi sur le parquet qui satisfasse pleinement aux normes et valeurs européennes;
7.2.4. considère que des amendements constitutionnels s’imposent pour supprimer la fonction générale de supervision du parquet et réformer cette institution, conformément aux engagements souscrits par l’Ukraine lors de son adhésion;
7.2.5. recommande que, comme alternative à la fonction de supervision, le rôle du médiateur soit renforcé et qu’un système d’aide juridictionnelle gratuite soit mis en place;
7.3. à la réforme du système judiciaire:
7.3.1. considère que la consolidation d’un Etat de droit en Ukraine passe nécessairement par la réforme du système et du pouvoir judiciaires, et réaffirme que cette réforme devrait être entreprise dans le but notamment d’éliminer toutes les formes de corruption dans l’appareil judiciaire, tout en garantissant l’indépendance des tribunaux;
7.3.2. considère que la loi relative au système judiciaire et au statut des juges en Ukraine est la pierre angulaire de la réforme du système judiciaire et la garantie de l’indépendance du judiciaire. Elle déplore donc vivement que cette loi ait été adoptée et promulguée à la hâte en juillet 2010, sans attendre l’avis de la Commission de Venise qui avait été demandé par le ministre ukrainien de la Justice;
7.3.3. demande aux autorités de mettre le système de formation des juges et les instituts de formation en conformité avec les normes européennes. A cette fin, comme l’a recommandé la Commission de Venise, la formation judiciaire doit faire partie intégrante du système judiciaire et être contrôlée et supervisée par un organe indépendant de l’administration autonome judiciaire;
7.3.4. invite les autorités à s’assurer que la loi relative au système judiciaire et au statut des juges, et la loi portant modification de certains actes législatifs relatifs à la prévention des abus du droit de recours tiendront compte de toutes les recommandations et des questions soulevées dans les prochains avis de la Commission de Venise en la matière, par la voie de modifications si nécessaire;
7.3.5. considère que, en l’absence d’amendements constitutionnels, il ne sera pas possible de réformer le pouvoir judiciaire conformément aux normes et valeurs européennes;
7.3.6. invite instamment les autorités à réformer le barreau et à créer un ordre des avocats professionnel, conformément aux engagements souscrits lors de l’adhésion de l’Ukraine au Conseil de l’Europe;
7.3.7. demande aux autorités d’adopter sans tarder le nouveau code de procédure pénale et de solliciter l’expertise du Conseil de l’Europe sur ce projet de code, ainsi que de résoudre tous les problèmes éventuels avant de l’adopter en dernière lecture;
7.3.8. appelle les autorités à s’assurer que le système judiciaire est suffisamment financé par le budget de l’Etat, car le manque chronique de fonds renforce actuellement les possibilités de corruption et porte atteinte à l’Etat de droit;
7.4. à la lutte contre la corruption:
7.4.1. regrette la décision de la Verkhovna Rada reportant à 2011 l’entrée en vigueur de l’ensemble des lois anticorruption élaborées avec l’appui du Conseil de l’Europe, et le veto opposé par l’ancien Président à la loi contre le blanchiment de capitaux. L’Assemblée salue l’adoption par la Verkhovna Rada de la loi sur la prévention et la neutralisation du blanchiment des produits du crime, qui est entrée en vigueur le 20 août 2010;
7.4.2. se félicite de la priorité que le nouveau Président accorde à la lutte contre la corruption et l’invite instamment à veiller à ce que l’ensemble des lois anticorruption soit promulgué sans autre délai, et à ce que toutes les recommandations formulées par le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) dans son rapport d’évaluation des premier et deuxième cycles conjoints soient rapidement mises en œuvre;
7.4.3. invite la Verkhovna Rada à adopter la loi sur les conflits d’intérêts et l’éthique dans le service public, la loi sur la déclaration des biens des fonctionnaires et la loi sur l’accès aux informations publiques, toutes trois pendantes devant le parlement, après avoir obtenu un avis de la Commission de Venise sur ces projets;
7.5. à la société civile:
7.5.1. souligne l’importance de la société civile pour faire progresser la démocratie en Ukraine et demande donc aux autorités d’accélérer l’adoption d’une nouvelle loi sur les organisations civiques, afin de remédier aux lacunes observées dans le cadre juridique actuel des organisations non gouvernementales;
7.5.2. demande à la Verkhovna Rada d’adopter la loi sur les réunions pacifiques, en tenant compte des observations et des recommandations de la Commission de Venise.
8. L’Assemblée exprime sa préoccupation face au nombre croissant de rapports crédibles relatifs à l’ingérence indue des services de sécurité de l’Ukraine (SBU) dans les affaires politiques internes, y compris les pressions exercées sur les journalistes, les militants des partis et de la société civile, et leur famille. Elle considère de telles activités comme inacceptables dans une société démocratique et en appelle donc aux autorités pour qu’elles réforment les services de sécurité ainsi que leur rôle, conformément aux normes européennes.
9. L’Assemblée constate que les dispositions constitutionnelles actuelles freinent les réformes dans de nombreux domaines. Par conséquent, l’Ukraine ne pourra pas mettre en œuvre les réformes indispensables pour honorer ses engagements à l’égard du Conseil de l’Europe sans avoir préalablement révisé sa Constitution. L’Assemblée invite donc les autorités et l’opposition à engager conjointement un train de réformes constitutionnelles pour remédier aux déficiences actuelles, ainsi qu’aux causes sous-jacentes de l’instabilité politique systémique, conformément à ses recommandations précédentes. A cet égard, l’Assemblée continue de prôner une révision de l’actuelle Constitution plutôt que l’adoption d’un texte entièrement neuf.
10. L’Assemblée prend note de la décision du 1er octobre 2010 par laquelle la Cour constitutionnelle de l’Ukraine déclare inconstitutionnelle la loi no 2222 portant modification de la Constitution de 2004. L’Assemblée estime que cette décision devrait à présent inciter la Verkhovna Rada à engager un processus global de réforme en vue de mettre la Constitution de l’Ukraine en pleine conformité avec les normes européennes.
11. Le respect accru des droits et libertés démocratiques a été l’un des traits marquants de l’évolution démocratique de l’Ukraine ces dernières années. Tout recul dans le respect et la protection de ces droits serait inacceptable aux yeux de l’Assemblée.
12. L’Assemblée exprime sa préoccupation face au nombre croissant d’allégations et de rapports crédibles selon lesquels les droits et libertés démocratiques tels que la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté des médias font, ces derniers mois, l’objet de pressions. Elle estime que l’ingérence des organes de l’Etat, notamment les forces de l’ordre et les services de sécurité, dans le travail des journalistes et des organisations de médias est incompatible avec une société démocratique. L’Assemblée en appelle aux autorités pour qu’elles enquêtent pleinement sur tous les rapports relatifs à la violation des droits et libertés, et qu’elles remédient à toutes les violations qui auront été découvertes. Par ailleurs, elle en appelle aux autorités pour qu’elles veillent à ce que les procédures juridiques ne débouchent pas sur l’annulation sélective de fréquences radio et qu’elles réexaminent toute décision ou toute nomination qui risque d’entraîner un conflit d’intérêts, notamment dans le domaine de l’application de la loi et du judiciaire.
13. La liberté et le pluralisme des médias sont des pierres angulaires de la démocratie. L’Assemblée est donc préoccupée par des événements récents qui pourraient mettre à mal ces principes. Elle appelle les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la liberté et le pluralisme des médias en Ukraine, et à s’abstenir de toute tentative d’exercer un contrôle – directement ou indirectement – sur le contenu des informations véhiculées par les médias nationaux.
14. L’Assemblée s’inquiète de ce que les allégations d’une possible fraude électorale pourraient indiquer un manque de confiance des parties prenantes aux élections dans l’équité de la conduite et de l’administration des prochaines élections. Estimant que la confiance dans l’administration des élections est essentielle pour en garantir le caractère démocratique, elle invite instamment les autorités à veiller à ce que l’administration électorale soit, à tous les échelons, y compris à celui des postes à responsabilité, composée de manière équitable. Elle recommande aux autorités d’envisager l’adoption de mesures supplémentaires en vue d’inciter les candidats et les électeurs à avoir confiance dans le processus électoral.
15. L’Assemblée se déclare une nouvelle fois disposée à aider l’Ukraine à renforcer ses institutions démocratiques et à établir de manière stable une société fondée sur les principes de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de la prééminence du droit.