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Résolution 1755 (2010) Version finale
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine
1. L’Assemblée parlementaire se félicite
de l’accroissement de l’activité législative en Ukraine à la suite
de l’élection présidentielle de 2010 et de la mise en place d’une
nouvelle coalition au pouvoir, ce qui pourrait conduire à la stabilité
politique. Elle considère que la stabilité politique est une condition
essentielle à la consolidation de la démocratie en Ukraine. Elle
demeure cependant préoccupée par sa fragilité relative, car les
causes systémiques sous-jacentes de l’instabilité qui a frappé le
pays ces dernières années n’ont pas encore été abordées.
2. L’Assemblée réaffirme que la stabilité politique ne peut être
maintenue dans la durée qu’en révisant la Constitution de façon
à instaurer une séparation claire des pouvoirs et un régime équilibrant
dans de justes proportions l’exécutif, le législatif et le judiciaire,
entre eux et en leur sein.
3. S’agissant des inquiétudes exprimées face à la concentration
du pouvoir par les nouvelles autorités ukrainiennes, l’Assemblée
estime que la consolidation du pouvoir par une administration nouvellement
établie, lorsqu’elle l’a été conformément aux principes démocratiques,
est compréhensible, voire souvent souhaitable, mais elle prévient
qu’une telle consolidation ne doit pas se muer en monopolisation
du pouvoir par une seule force politique, sous peine de compromettre
l’avancée démocratique du pays.
4. L’Assemblée note avec satisfaction la volonté politique affichée
par les autorités, et la priorité donnée au respect des engagements
souscrits par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe
et non encore honorés. L’Assemblée soutient pleinement les autorités
dans leurs efforts pour mettre en œuvre le programme de réformes
profondes et ambitieuses qui est nécessaire pour respecter les engagements
et les obligations du pays en tant que membre du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée craint que la manière précipitée avec laquelle
les autorités mènent ces réformes ne porte atteinte au respect des
bons principes démocratiques et, en dernier ressort, à la qualité
des réformes elles-mêmes. La réalisation des engagements pris lors
de l’adhésion et non encore honorés exige de mettre en œuvre un
programme de réformes complexes et profondes, qui auront un grand
impact sur la société ukrainienne. Pour que la mise en œuvre de
ces réformes soit un succès, elles doivent donc s’appuyer sur un large
consensus politique et sur le soutien de la population. Or, cela
ne peut se faire que dans le strict respect des procédures parlementaires
et des principes démocratiques.
6. Une étroite coopération avec la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) s’avère indispensable
pour garantir que les programmes de réformes législatives en cours d’élaboration
satisfont pleinement aux normes et valeurs européennes. L’Assemblée
invite donc les autorités et les dirigeants de la Verkhovna Rada
ukrainienne à veiller à ce que l’avis de la Commission de Venise
soit sollicité sur la version finale des projets de loi, avant leur
adoption en dernière lecture.
7. Les différents domaines que couvre l’initiative récente pour
les réformes ont déjà été largement traités par l’Assemblée dans
des résolutions précédentes concernant l’Ukraine. Réaffirmant sa
position sur ces réformes, l’Assemblée, eu égard en particulier:
7.1. à la réforme électorale:
7.1.1. réitère sa recommandation en
faveur de l’adoption d’un code électoral unifié en Ukraine et constate
avec satisfaction qu’un projet de code unifié est aujourd’hui présenté
pour adoption à la Verkhovna Rada;
7.1.2. estime que la réforme électorale ne doit pas se borner
à l’adoption d’un nouveau code électoral mais également établir
un nouveau système électoral, et réitère sa recommandation en faveur
de l’adoption d’un système électoral qui consiste en un scrutin
proportionnel basé sur des listes ouvertes et sur des circonscriptions
régionales multiples;
7.1.3. réaffirme que le mandat impératif mis en place par les
amendements constitutionnels de 2004 va à l’encontre des normes
démocratiques européennes;
7.1.4. invite toutes les forces politiques à tenir leur promesse
de réforme du cadre juridique des élections, et à afficher dans
cette perspective la volonté politique d’adopter un code électoral unifié
et un nouveau système électoral, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise et de l’Assemblée, bien avant la tenue
des prochaines élections législatives;
7.1.5. invite instamment les autorités à adopter, dans la loi
sur les partis politiques, des dispositions sur le financement des
partis qui soient entièrement conformes aux normes européennes,
notamment en ce qui concerne la transparence du financement des
partis, et à envisager l’adoption de mesures supplémentaires qui
permettraient de réduire la dépendance des partis politiques envers
les intérêts économiques et commerciaux;
7.2. à la réforme de la Prokuratura:
7.2.1. rappelle que l’Ukraine, lors de son adhésion au Conseil
de l’Europe, s’est engagée comme suit: «le rôle et les fonctions
du parquet seront modifiés (notamment en ce qui concerne l’exercice
d’un contrôle général de légalité), de telle sorte que cette institution
deviendra un organe conforme aux normes du Conseil de l’Europe»,
et déplore que cet engagement ne soit pas encore rempli;
7.2.2. réaffirme que la fonction générale de supervision du parquet
en Ukraine va à l’encontre des normes européennes et lui confère
ainsi des pouvoirs qui excèdent les pouvoirs nécessaires dans un
Etat démocratique;
7.2.3. appelle les autorités et la Verkhovna Rada à adopter,
dans les plus brefs délais et en consultation étroite avec la Commission
de Venise, une loi sur le parquet qui satisfasse pleinement aux
normes et valeurs européennes;
7.2.4. considère que des amendements constitutionnels s’imposent
pour supprimer la fonction générale de supervision du parquet et
réformer cette institution, conformément aux engagements souscrits
par l’Ukraine lors de son adhésion;
7.2.5. recommande que, comme alternative à la fonction de supervision,
le rôle du médiateur soit renforcé et qu’un système d’aide juridictionnelle
gratuite soit mis en place;
7.3. à la réforme du système judiciaire:
7.3.1. considère que la consolidation d’un Etat de droit en Ukraine
passe nécessairement par la réforme du système et du pouvoir judiciaires,
et réaffirme que cette réforme devrait être entreprise dans le but
notamment d’éliminer toutes les formes de corruption dans l’appareil judiciaire,
tout en garantissant l’indépendance des tribunaux;
7.3.2. considère que la loi relative au système judiciaire et
au statut des juges en Ukraine est la pierre angulaire de la réforme
du système judiciaire et la garantie de l’indépendance du judiciaire.
Elle déplore donc vivement que cette loi ait été adoptée et promulguée
à la hâte en juillet 2010, sans attendre l’avis de la Commission
de Venise qui avait été demandé par le ministre ukrainien de la
Justice;
7.3.3. demande aux autorités de mettre le système de formation
des juges et les instituts de formation en conformité avec les normes
européennes. A cette fin, comme l’a recommandé la Commission de
Venise, la formation judiciaire doit faire partie intégrante du
système judiciaire et être contrôlée et supervisée par un organe
indépendant de l’administration autonome judiciaire;
7.3.4. invite les autorités à s’assurer que la loi relative au
système judiciaire et au statut des juges, et la loi portant modification
de certains actes législatifs relatifs à la prévention des abus du
droit de recours tiendront compte de toutes les recommandations
et des questions soulevées dans les prochains avis de la Commission
de Venise en la matière, par la voie de modifications si nécessaire;
7.3.5. considère que, en l’absence d’amendements constitutionnels,
il ne sera pas possible de réformer le pouvoir judiciaire conformément
aux normes et valeurs européennes;
7.3.6. invite instamment les autorités à réformer le barreau
et à créer un ordre des avocats professionnel, conformément aux
engagements souscrits lors de l’adhésion de l’Ukraine au Conseil
de l’Europe;
7.3.7. demande aux autorités d’adopter sans tarder le nouveau
code de procédure pénale et de solliciter l’expertise du Conseil
de l’Europe sur ce projet de code, ainsi que de résoudre tous les
problèmes éventuels avant de l’adopter en dernière lecture;
7.3.8. appelle les autorités à s’assurer que le système judiciaire
est suffisamment financé par le budget de l’Etat, car le manque
chronique de fonds renforce actuellement les possibilités de corruption
et porte atteinte à l’Etat de droit;
7.4. à la lutte contre la corruption:
7.4.1. regrette la décision de la Verkhovna Rada reportant à
2011 l’entrée en vigueur de l’ensemble des lois anticorruption élaborées
avec l’appui du Conseil de l’Europe, et le veto opposé par l’ancien
Président à la loi contre le blanchiment de capitaux. L’Assemblée
salue l’adoption par la Verkhovna Rada de la loi sur la prévention
et la neutralisation du blanchiment des produits du crime, qui est
entrée en vigueur le 20 août 2010;
7.4.2. se félicite de la priorité que le nouveau Président accorde
à la lutte contre la corruption et l’invite instamment à veiller
à ce que l’ensemble des lois anticorruption soit promulgué sans autre
délai, et à ce que toutes les recommandations formulées par le Groupe
d’Etats contre la corruption (GRECO) dans son rapport d’évaluation
des premier et deuxième cycles conjoints soient rapidement mises
en œuvre;
7.4.3. invite la Verkhovna Rada à adopter la loi sur les conflits
d’intérêts et l’éthique dans le service public, la loi sur la déclaration
des biens des fonctionnaires et la loi sur l’accès aux informations
publiques, toutes trois pendantes devant le parlement, après avoir
obtenu un avis de la Commission de Venise sur ces projets;
7.5. à la société civile:
7.5.1. souligne
l’importance de la société civile pour faire progresser la démocratie
en Ukraine et demande donc aux autorités d’accélérer l’adoption
d’une nouvelle loi sur les organisations civiques, afin de remédier
aux lacunes observées dans le cadre juridique actuel des organisations
non gouvernementales;
7.5.2. demande à la Verkhovna Rada d’adopter la loi sur les réunions
pacifiques, en tenant compte des observations et des recommandations
de la Commission de Venise.
8. L’Assemblée exprime sa préoccupation face au nombre croissant
de rapports crédibles relatifs à l’ingérence indue des services
de sécurité de l’Ukraine (SBU) dans les affaires politiques internes,
y compris les pressions exercées sur les journalistes, les militants
des partis et de la société civile, et leur famille. Elle considère
de telles activités comme inacceptables dans une société démocratique
et en appelle donc aux autorités pour qu’elles réforment les services
de sécurité ainsi que leur rôle, conformément aux normes européennes.
9. L’Assemblée constate que les dispositions constitutionnelles
actuelles freinent les réformes dans de nombreux domaines. Par conséquent,
l’Ukraine ne pourra pas mettre en œuvre les réformes indispensables pour
honorer ses engagements à l’égard du Conseil de l’Europe sans avoir
préalablement révisé sa Constitution. L’Assemblée invite donc les
autorités et l’opposition à engager conjointement un train de réformes
constitutionnelles pour remédier aux déficiences actuelles, ainsi
qu’aux causes sous-jacentes de l’instabilité politique systémique,
conformément à ses recommandations précédentes. A cet égard, l’Assemblée
continue de prôner une révision de l’actuelle Constitution plutôt
que l’adoption d’un texte entièrement neuf.
10. L’Assemblée prend note de la décision du 1er octobre
2010 par laquelle la Cour constitutionnelle de l’Ukraine déclare
inconstitutionnelle la loi no 2222 portant modification de la Constitution
de 2004. L’Assemblée estime que cette décision devrait à présent
inciter la Verkhovna Rada à engager un processus global de réforme
en vue de mettre la Constitution de l’Ukraine en pleine conformité
avec les normes européennes.
11. Le respect accru des droits et libertés démocratiques a été
l’un des traits marquants de l’évolution démocratique de l’Ukraine
ces dernières années. Tout recul dans le respect et la protection
de ces droits serait inacceptable aux yeux de l’Assemblée.
12. L’Assemblée exprime sa préoccupation face au nombre croissant
d’allégations et de rapports crédibles selon lesquels les droits
et libertés démocratiques tels que la liberté de réunion, la liberté
d’expression et la liberté des médias font, ces derniers mois, l’objet
de pressions. Elle estime que l’ingérence des organes de l’Etat,
notamment les forces de l’ordre et les services de sécurité, dans
le travail des journalistes et des organisations de médias est incompatible
avec une société démocratique. L’Assemblée en appelle aux autorités
pour qu’elles enquêtent pleinement sur tous les rapports relatifs
à la violation des droits et libertés, et qu’elles remédient à toutes
les violations qui auront été découvertes. Par ailleurs, elle en
appelle aux autorités pour qu’elles veillent à ce que les procédures
juridiques ne débouchent pas sur l’annulation sélective de fréquences
radio et qu’elles réexaminent toute décision ou toute nomination
qui risque d’entraîner un conflit d’intérêts, notamment dans le
domaine de l’application de la loi et du judiciaire.
13. La liberté et le pluralisme des médias sont des pierres angulaires
de la démocratie. L’Assemblée est donc préoccupée par des événements
récents qui pourraient mettre à mal ces principes. Elle appelle
les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger
la liberté et le pluralisme des médias en Ukraine, et à s’abstenir
de toute tentative d’exercer un contrôle – directement ou indirectement –
sur le contenu des informations véhiculées par les médias nationaux.
14. L’Assemblée s’inquiète de ce que les allégations d’une possible
fraude électorale pourraient indiquer un manque de confiance des
parties prenantes aux élections dans l’équité de la conduite et
de l’administration des prochaines élections. Estimant que la confiance
dans l’administration des élections est essentielle pour en garantir
le caractère démocratique, elle invite instamment les autorités
à veiller à ce que l’administration électorale soit, à tous les
échelons, y compris à celui des postes à responsabilité, composée
de manière équitable. Elle recommande aux autorités d’envisager
l’adoption de mesures supplémentaires en vue d’inciter les candidats
et les électeurs à avoir confiance dans le processus électoral.
15. L’Assemblée se déclare une nouvelle fois disposée à aider
l’Ukraine à renforcer ses institutions démocratiques et à établir
de manière stable une société fondée sur les principes de la démocratie,
du respect des droits de l’homme et de la prééminence du droit.