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Résolution 1765 (2010) Version finale

Demandes d’asile liées au genre

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 8 octobre 2010 (36e séance) (voir Doc. 12350, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Zernovski; et Doc. 12359, avis de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, rapporteuse: Mme Hägg). Texte adopté par l’Assemblée le 8 octobre 2010 (36e séance). Voir également la Recommandation 1940 (2010).

1. Cinquante-deux pour cent de l’ensemble des réfugiés en Europe sont des femmes ou des filles. Elles sont nombreuses à demander l’asile pour échapper à des persécutions subies pour des raisons propres à leur condition de femme. Elles méritent d’être traitées de telle manière que leurs besoins particuliers ainsi que toute persécution et toute violence dont elles ont pu être victimes en raison de leur genre soient reconnus.
2. La persécution liée au genre, où les victimes sont persécutées parce qu’elles sont des femmes, et la violence fondée sur le genre, telle que le viol, peuvent donner lieu à des demandes de protection internationale. Selon des organisations non gouvernementales (ONG) et des organisations internationales, les Etats ne prennent pas toujours en compte la dimension du genre lors de l’examen des demandes d’asile. La persécution subie par les femmes et les filles est souvent différente de celle vécue par les hommes, mais le système d’asile continue de la percevoir à travers le prisme des expériences masculines.
3. Les femmes et les filles peuvent être confrontées à diverses formes de préjudice, de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre. Celles-ci englobent l’exploitation sexuelle, le mariage forcé, les crimes dits «d’honneur», ainsi que l’avortement, la grossesse et la stérilisation forcés. Au cours de conflits armés, les femmes et les filles peuvent être victimes de violences physiques, sexuelles et psychologiques, notamment de viol. Les mutilations génitales féminines et la traite des êtres humains sont deux autres formes de préjudice qui peuvent toucher les femmes et les filles en particulier. Enfin, ces dernières peuvent être victimes de crimes d’honneur. Les auteurs d’actes de violence (ou de préjudices) fondés sur le genre peuvent être des acteurs étatiques ou non étatiques.
4. Les gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels sont également confrontés à des formes particulières de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre, et doivent souvent taire leur orientation sexuelle au risque sinon d’être harcelés, voire frappés ou tués dans les cas les plus extrêmes.
5. L’Assemblée parlementaire a déjà traité auparavant de différentes formes de violence fondée sur le genre, en particulier dans ses Résolution 1635 (2008) «Combattre la violence à l’égard des femmes: pour une convention du Conseil de l’Europe» et Résolution 1662 (2009) «Agir pour combattre les violations des droits de la personne humaine fondées sur le sexe, y compris les enlèvements de femmes et de filles». Bien que de nombreux Etats membres intensifient leurs travaux en vue d’intégrer la dimension de genre dans les prises de décision, les politiques et les actions publiques, cet effort ne se répercute pas toujours dans les procédures d’asile.
6. Outre le fait que, lors du traitement des demandes d’asile, les problèmes spécifiques liés au genre ne sont pas assez pris en compte, la procédure d’asile des Etats membres ne permet pas toujours aux femmes de raconter toute leur histoire. Face à un enquêteur ou à un interprète masculin, une femme peut avoir du mal à parler librement et à donner le récit complet des violences qu’elle a subies, qu’elles soient ou non fondées sur le genre. En outre, n’ayant pas de formation adéquate sur les problèmes spécifiques liés au genre, les agents publics en charge de la procédure d’asile ne posent pas toujours les bonnes questions et n’analysent pas toujours correctement les preuves qui leur sont présentées. A cela peut s’ajouter l’utilisation d’informations sur le pays d’origine qui ne tiennent pas compte des problèmes spécifiques aux femmes ou qui ne sont guère pertinentes au regard du genre. En outre, la situation sociale d’une femme dans une procédure de demande d’asile peut également se retourner contre elle, en fonction de sa situation, en rétention ou au sein de la société du pays d’accueil, où elle peut continuer de se heurter à différentes formes de discrimination, voire de violence.
7. L’Assemblée rappelle les recommandations énoncées dans sa Résolution 1695 (2009) «Améliorer la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe». Elle rappelle également sa Résolution 1662 (2009) et souligne l’importance de ces textes dans la prise en compte de la question de la violence fondée sur le genre et de la persécution liée au genre dans les demandes d’asile.
8. Les femmes et les filles qui demandent l’asile dans les Etats membres du Conseil de l’Europe ont droit à ce que leurs demandes de protection soient examinées par un système d’asile qui tienne dûment compte, dans tous les aspects de son organisation et de son fonctionnement, des formes particulières de persécution et de violation des droits fondamentaux auxquelles les femmes sont confrontées en raison de leur genre. L’Assemblée appelle donc les Etats membres:
8.1. à veiller à ce que la violence fondée sur le genre soit prise en compte dans les cinq motifs de persécution (race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou opinions politiques) dans toute procédure d’asile, et que le «genre» soit expressément inclus dans la notion de «certains groupes sociaux» au sens de la définition du réfugié que donne la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés adoptée en 1951 (Convention de Genève), de préférence dans la loi, et à tout le moins dans la pratique;
8.2. à tenir compte du fait que les femmes et les filles ne sont pas les seules confrontées à des actes de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre, les hommes et les garçons pouvant également en être victimes;
8.3. à tenir compte du fait que les gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels sont de plus en plus confrontés à des actes de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre.
9. Afin de veiller à ce que les demandes liées au genre soient dûment prises en compte dans les procédures d’asile, l’Assemblée recommande en outre aux Etats membres:
9.1. d’identifier le plus tôt possible les femmes et les filles pouvant avoir été victimes de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre, et de veiller au besoin à ce qu’elles déposent leur demande d’asile à titre individuel afin qu’elles restent indépendantes, dans leur demande, par rapport à leur époux ou aux membres masculins de leur famille;
9.2. de veiller à accorder aux femmes qui souffrent de traumatismes à la suite d’actes de violence fondée sur le genre ou autres un temps de réflexion et de rétablissement suffisant avant le début de la procédure d’asile, si nécessaire par le biais d’un permis de séjour temporaire, ce dernier ne devant toutefois jamais exclure ou remplacer un permis de séjour à long terme dont l’octroi est possible après la reconnaissance du statut de réfugié;
9.3. de veiller à ce que les femmes bénéficient systématiquement d’une assistance et de services d’interprétation assurés par des femmes pour présenter leur demande d’asile et remplir les formulaires requis;
9.4. de veiller à ce que les dossiers de demande d’asile soient remplis par les femmes elles-mêmes, et non pas, à leur place, par leur époux ou par d’autres membres de leur famille;
9.5. de même, d’éviter la présence du conjoint ou de proches pendant l’entretien de demande d’asile, et de garantir la confidentialité de la procédure de demande d’asile si la victime de violences liées au genre ou d’autres formes de violences le demande, ou si la sensibilité de l’affaire l’exige, y compris en prévoyant des audiences à huis clos pendant les procédures d’appel;
9.6. de faire en sorte que les enquêteurs et les interprètes qui ont affaire aux femmes demandeuses d’asile soient toujours de sexe féminin. Si, pour une raison ou une autre, cela n’était pas possible, la femme demandeuse d’asile devrait être informée de son droit de disposer d’un enquêteur ou d’un interprète de sexe féminin;
9.7. de veiller à ce que les entretiens, lors de la demande d’asile, tiennent dûment compte des considérations de genre et, en particulier, que des questions touchant à la violence fondée sur le genre et à la persécution liée au genre soient posées;
9.8. de veiller à ce que les femmes ne rencontrent pas d’obstacles à l’accès aux procédures d’asile du fait de l’absence de solutions de garde d’enfants, de problèmes de files d’attente ou de difficultés à obtenir un rendez-vous pour le dépôt de leur demande d’asile, etc.
10. Pour que le processus de décision soit suffisamment réceptif aux demandes d’asile liées au genre, l’Assemblée recommande également aux Etats membres:
10.1. de veiller à ce que les informations sur le pays d’origine soient à jour en ce qui concerne les questions de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre;
10.2. de veiller à ce que l’examen des demandes d’asile soit conduit par un agent dûment formé, afin de détecter les cas de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre pouvant ouvrir droit au statut de réfugié ou à un autre statut;
10.3. de tenir pleinement compte du fait que la majorité des actes de violence fondée sur le genre et de persécution liée au genre sont le fait d’acteurs privés, mais qu’il appartient à l’Etat de protéger les victimes, qu’il ait ou non les moyens de le faire;
10.4. de ne pas oublier qu’une femme qui a choisi de ne pas se prévaloir de la protection de l’Etat qu’elle a quitté a peut-être agi ainsi par crainte de représailles et de violences supplémentaires (par exemple de la part de membres masculins de sa famille), et de veiller à ce que cela ne compromette pas l’issue de sa demande de statut de réfugié;
10.5. de restreindre le recours à la possibilité de refuge intérieur (internal flight alternative) pour les demandeurs d’asile qui invoquent des motifs liés au genre, et de tenir dûment compte de l’existence d’une protection de l’Etat dans la région de transfert et de la sécurité du trajet, ainsi que des conditions sociales et culturelles qui règnent dans le pays, et des possibilités de gagner sa vie;
10.6. d’assurer que les demandes d’asile liées au genre sont examinées sur la base de procédures pertinentes pour l’octroi du statut de réfugié prévu par la Convention de Genève de 1951; cependant, si ces demandes sont rejetées, il devrait être possible de les examiner dans le cadre de la protection complémentaire;
10.7. de considérer les violences sexuelles généralisées dans le contexte des conflits armés comme une forme de persécution susceptible d’être couverte par la Convention de Genève de 1951 et, au moins, comme un motif suffisant pour accorder une protection complémentaire;
10.8. de reconnaître les discriminations cumulées comme une forme de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 et, au moins, comme un motif suffisant pour accorder une protection complémentaire;
10.9. de reconnaître que certaines formes de violence domestique peuvent constituer une persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 et/ou justifier l’octroi d’une protection complémentaire, notamment quand cette violence atteint une certaine intensité et quand les autorités ne peuvent ou ne souhaitent pas protéger la victime.
11. L’Assemblée considère que, dans le processus d’asile, les Etats membres devraient en particulier tenir compte des problèmes que rencontrent:
11.1. les victimes de la traite, notamment les femmes et les filles, et à cet effet:
11.1.1. veiller à ce que la traite des êtres humains, en particulier à des fins d’exploitation sexuelle, soit considérée comme une forme de persécution pouvant fonder une demande d’asile;
11.1.2. veiller à ce que la coopération des femmes et des filles concernées avec la police, le procureur ou la justice ne devienne pas une condition préalable à l’octroi de l’asile ou de toute autre forme complémentaire de protection internationale;
11.2. les victimes ou victimes potentielles de mutilations génitales féminines, et à cet effet:
11.2.1. reconnaître les mutilations génitales féminines et le risque de mutilations génitales féminines comme des motifs possibles de demande d’asile;
11.2.2. tenir compte d’une crainte bien fondée de mutilations génitales féminines concernant une fille née après la fuite de ses parents, même si ces derniers vivent dans le pays d’asile depuis un certain temps;
11.3. les victimes de viol, de tortures et de violences sexuelles et, notamment, garantir qu’elles sont dispensées des procédures d’asile accélérées et qu’elles peuvent accéder à un soutien social et psychologique adapté;
11.4. les victimes ou victimes potentielles de stérilisation forcée et, à cet effet, veiller à ce que la stérilisation forcée soit reconnue comme un motif possible de demande d’asile.
12. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des femmes demandeuses d’asile, liée à leur condition sociale et juridique avant, pendant et après la procédure d’asile, les Etats membres devraient faire en sorte:
12.1. de garantir la sécurité physique des femmes et des filles demandeuses d’asile, notamment en cas d’hébergement collectif ou de placement en rétention;
12.2. d’accorder un permis de travail aux femmes demandeuses d’asile pour favoriser leur indépendance et éviter d’accroître leur vulnérabilité et d’en faire des cibles d’exploitation.
13. Afin que la violence fondée sur le genre et la persécution liée au genre soient dûment prises en compte dans leur procédure d’asile, l’Assemblée recommande vivement aux Etats membres:
13.1. de rendre leur système et leur procédure d’asile réceptifs aux considérations de genre, notamment en dispensant une formation obligatoire aux agents concernés;
13.2. de conduire une évaluation de l’impact par genre de toutes les politiques et procédures d’asile actuelles et envisagées, et d’effectuer des ajustements pour remédier aux éventuels effets discriminatoires ou négatifs liés au genre;
13.3. de rassembler et d’analyser des statistiques relatives à la violence fondée sur le genre et à la persécution liée au genre dans les demandes d’asile;
13.4. de veiller à ce que toutes les statistiques relatives à l’asile soient ventilées par sexe;
13.5. de publier la jurisprudence nationale concernant les demandes d’asile motivées par la violence fondée sur le genre et la persécution liée au genre, afin de sensibiliser à ces questions et de renforcer la qualité et la cohérence des systèmes d’asile européens.
14. L’Assemblée recommande aux Etats membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’attaquer aux racines de la violence fondée sur le genre et de la persécution liée au genre, tant à l’intérieur de leurs frontières que dans les pays d’origine.