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Résolution 1821 (2011)

L'interception et le sauvetage en mer de demandeurs d’asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 21 juin 2011 (22e séance) (voir Doc. 12628, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Díaz Tejera). Texte adopté par l’Assemblée le 21 juin 2011 (22e séance). Voir également la Recommandation 1974 (2011).

1. La surveillance des frontières méridionales de l’Europe est devenue une priorité régionale. Le continent européen doit en effet faire face à l’arrivée relativement importante de flux migratoires par la mer en provenance d’Afrique et arrivant en Europe principalement via l’Italie, Malte, l’Espagne, la Grèce et Chypre.
2. Des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile et d’autres personnes mettent leur vie en péril pour rejoindre les frontières méridionales de l’Europe, généralement dans des embarcations de fortune. Ces voyages, toujours effectués par des moyens irréguliers et pour la plupart à bord de navires sans pavillon, au risque de tomber entre les mains de réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains, sont l’expression de la détresse des personnes embarquées, qui n’ont pas de moyen régulier et surtout pas de moyen moins risqué de gagner l’Europe.
3. Même si le nombre d’arrivées par mer a drastiquement diminué ces dernières années, avec pour effet de déplacer les routes migratoires (notamment vers la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce), l’Assemblée parlementaire, rappelant notamment sa Résolution 1637 (2008) «Les boat people en Europe: arrivée par mer de flux migratoires mixtes en Europe du Sud», exprime à nouveau ses vives préoccupations concernant les mesures prises pour gérer l’arrivée par mer de ces flux migratoires mixtes. De nombreuses personnes en détresse en mer ont été sauvées et de nombreuses personnes tentant de rejoindre l’Europe ont été renvoyées, mais la liste des incidents mortels – aussi tragiques que prévisibles – est longue et elle augmente actuellement presque chaque jour.
4. Par ailleurs, les récentes arrivées en Italie et à Malte survenues à la suite des bouleversements en Afrique du Nord confirment la nécessité pour l’Europe d’être prête à affronter, à tout moment, l’arrivée massive de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur ses côtes méridionales.
5. L’Assemblée constate que la gestion de ces arrivées par mer soulève de nombreux problèmes, parmi lesquels cinq sont particulièrement inquiétants:
5.1. alors que plusieurs instruments internationaux pertinents s’appliquent en la matière et énoncent de manière satisfaisante les droits et les obligations des Etats et des individus, il semble y avoir des divergences dans l’interprétation de leur contenu. Certains Etats ne sont pas d’accord sur la nature et l’étendue de leurs responsabilités dans certains cas et certains Etats remettent également en question l’application du principe de non-refoulement en haute mer;
5.2. bien que la priorité absolue en cas d’interception en mer soit d’assurer le débarquement rapide des personnes secourues en «lieu sûr», la notion de «lieu sûr» ne semble pas être interprétée de la même manière par tous les Etats membres. Or, il est clair que la notion de «lieu sûr» ne saurait se limiter à la seule protection physique des personnes, mais qu’elle englobe nécessairement le respect de leurs droits fondamentaux;
5.3. ces désaccords mettent directement en péril la vie des personnes à secourir, notamment en retardant ou en empêchant les actions de sauvetage, et sont susceptibles de dissuader les marins de venir au secours des personnes en détresse en mer. De plus, ils pourraient avoir pour conséquence la violation du principe de non-refoulement à l’égard d’un nombre important de personnes, y compris à l’égard de personnes ayant besoin de protection internationale;
5.4. alors que l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) joue un rôle de plus en plus important en matière d’interception en mer, les garanties du respect des droits de l’homme et des obligations relevant du droit international et du droit communautaire dans le contexte des opérations conjointes qu’elle coordonne sont insuffisantes;
5.5. enfin, ces arrivées par la mer font peser une charge disproportionnée sur les Etats situés aux frontières méridionales de l’Union européenne. L’objectif d’un partage plus équitable des responsabilités et d’une plus grande solidarité en matière de migration entre les Etats européens est loin d’être atteint.
6. La situation est compliquée par le fait que les flux migratoires concernés sont à caractère mixte et qu’ils demandent donc des réponses spécialisées prenant en compte les besoins de protection et adaptées au statut des personnes secourues. Pour apporter aux arrivées par mer une réponse adéquate et conforme aux normes internationales pertinentes, les Etats doivent tenir compte de cet élément dans leurs politiques et activités de gestion des migrations.
7. L’Assemblée rappelle aux Etats membres leurs obligations relevant du droit international, notamment au terme de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 et de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, en particulier le principe de non-refoulement et le droit de demander l’asile. L’Assemblée rappelle également les obligations des Etats parties à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 et à la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.
8. Enfin et surtout, l’Assemblée rappelle aux Etats membres qu’ils ont l’obligation tant morale que légale de secourir les personnes en détresse en mer sans le moindre délai et réaffirme sans ambiguïté l’interprétation faite par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), selon laquelle le principe de non-refoulement s’applique également en haute mer. La haute mer n’est pas une zone dans laquelle les Etats sont exempts de leurs obligations juridiques, y compris de leurs obligations issues du droit international des droits de l’homme et du droit international des réfugiés.
9. L’Assemblée appelle donc les Etats membres, dans la conduite des activités de surveillance des frontières maritimes, que ce soit dans le contexte de la prévention du trafic illicite et de la traite des êtres humains ou dans celui de la gestion des frontières, qu’ils exercent leur juridiction de droit ou de fait:
9.1. à répondre sans exception et sans délai à leur obligation de secourir les personnes en détresse en mer;
9.2. à veiller à ce que leurs politiques et activités relatives à la gestion de leurs frontières, y compris les mesures d’interception, reconnaissent la composition mixte des flux de personnes tentant de franchir les frontières maritimes;
9.3. à garantir à toutes les personnes interceptées un traitement humain et le respect systématique de leurs droits de l’homme, y compris du principe de non-refoulement, indépendamment du fait que les mesures d’interception soient mises en œuvre dans leurs propres eaux territoriales, dans celles d’un autre Etat sur la base d’un accord bilatéral ad hoc, ou en haute mer;
9.4. à s’abstenir de recourir à toute pratique pouvant s’apparenter à un refoulement direct ou indirect, y compris en haute mer, en respect de l’interprétation de l’application extraterritoriale de ce principe faite par le HCR et des arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme;
9.5. à assurer en priorité le débarquement rapide des personnes secourues en «lieu sûr» et à considérer comme lieu sûr un lieu susceptible de répondre aux besoins immédiats des personnes débarquées, qui ne mette nullement en péril leurs droits fondamentaux; la notion de «sûreté» allant au-delà de la simple protection du danger physique et prenant également en compte la perspective des droits fondamentaux du lieu de débarquement proposé;
9.6. à garantir aux personnes interceptées ayant besoin d’une protection internationale l’accès à une procédure d’asile juste et efficace;
9.7. à garantir aux personnes interceptées victimes de la traite des êtres humains, ou risquant de le devenir, l’accès à une protection et à une assistance, y compris aux procédures d’asile;
9.8. à veiller à ce que le placement en rétention de personnes interceptées – en excluant systématiquement les mineurs et les groupes vulnérables –, indépendamment de leur statut, soit autorisé par les autorités judiciaires et qu’il n’ait lieu qu’en cas de nécessité et pour des motifs prescrits par la loi, en l’absence de toute autre alternative appropriée et dans le respect des normes minimales et des principes définis dans la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée sur la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe;
9.9. à suspendre les accords bilatéraux qu’ils peuvent avoir passés avec des Etats tiers si les droits fondamentaux des personnes interceptées n’y sont pas garantis adéquatement, notamment leur droit d’accès à une procédure d’asile, et dès lors qu’ils peuvent s’apparenter à une violation du principe de non-refoulement, et à conclure de nouveaux accords bilatéraux contenant expressément de telles garanties en matière de droits de l’homme et des mesures en vue de leur contrôle régulier et effectif;
9.10. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, les instruments internationaux pertinents susmentionnés et à tenir compte des directives de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur le traitement des personnes secourues en mer;
9.11. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) et les Protocoles dits «de Palerme» à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2000);
9.12. à veiller à ce que les opérations de surveillance aux frontières maritimes et les mesures de contrôle aux frontières n’entravent pas la protection spécifique accordée au titre du droit international aux catégories vulnérables telles que les réfugiés, les personnes apatrides, les enfants non accompagnés et les femmes, les migrants, les victimes de la traite ou les personnes risquant de le devenir, ainsi que les victimes de tortures et de traumatismes.
10. L’Assemblée est inquiète de l’absence de clarté en ce qui concerne les responsabilités respectives des Etats membres de l’Union européenne et de Frontex, et du manque de garanties adéquates du respect des droits fondamentaux et des normes internationales dans le cadre des opérations conjointes coordonnées par cette agence. Alors que l’Assemblée se félicite des propositions présentées par la Commission européenne pour modifier le règlement de cette agence afin de renforcer les garanties du plein respect des droits fondamentaux, elle les juge insuffisantes et souhaiterait que le Parlement européen soit chargé du contrôle démocratique des activités de cette agence, notamment eu égard au respect des droits fondamentaux.
11. L’Assemblée considère également qu’il est essentiel que des efforts soient entrepris pour remédier aux causes premières qui poussent des personnes désespérées à s’embarquer en direction de l’Europe au péril de leur vie. L’Assemblée appelle tous les Etats membres à renforcer leurs efforts en faveur de la paix, de l’Etat de droit et de la prospérité dans les pays d’origine des candidats à l’immigration et des demandeurs d’asile.
12. Enfin, étant donné les sérieux défis posés aux Etats côtiers par l’arrivée irrégulière par mer de flux mixtes de personnes, l’Assemblée appelle la communauté internationale, en particulier l’OMI, le HCR, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (y compris Frontex et le Bureau européen d’appui en matière d’asile):
12.1. à fournir toute l’assistance requise à ces Etats dans un esprit de solidarité et de partage des responsabilités;
12.2. sous l’égide de l’OMI, à déployer des efforts concertés afin de garantir une approche cohérente et harmonisée du droit maritime international, au moyen, notamment, d’un accord sur la définition et le contenu des principaux termes et normes;
12.3. à mettre en place un groupe interagences chargé d’étudier et de résoudre les problèmes principaux en matière d’interception en mer, y compris les cinq problèmes identifiés dans cette résolution, de fixer des priorités politiques précises, de conseiller les Etats et autres acteurs concernés, et de contrôler et évaluer la mise en œuvre des mesures d’interception en mer. Le groupe devrait être composé de membres de l’OMI, du HCR, de l’OIM, du Conseil de l’Europe, de Frontex et du Bureau européen d’appui en matière d’asile.