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Rapport | Doc. 12948 | 07 juin 2012

Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Andrej HUNKO, Allemagne, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12633, Renvoi 3785 du 24 juin 2011. 2012 - Troisième partie de session

Résumé

On craint de plus en plus que les approches restrictives actuelles de consolidation budgétaire suivies dans de nombreux pays européens n’atteignent pas leurs objectifs mais aggravent encore plus la crise. Les mesures d’austérité appliquées à travers l’Europe sont perçues de manière de plus en plus critique par les experts internationaux et les organisations internationales car elles peuvent porter atteinte aux droits démocratiques et sociaux, notamment pour les catégories les plus vulnérables de la population.

L’Assemblée parlementaire devrait émettre un signal fort en appelant à une profonde réorientation des programmes d'austérité afin que l’accent ne soit plus placé quasi exclusivement sur la réduction des dépenses dans des domaines sociaux comme les retraites, les services de santé ou les allocations familiales. L’action nationale future devrait également inclure des mesures ayant pour but d’accroître les revenus publics en imposant davantage les catégories à plus hauts revenus et la richesse foncière, en renforçant l’assiette fiscale ainsi qu’en améliorant le recouvrement des impôts, l’efficacité de l’administration fiscale et la lutte contre la fraude fiscale, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, la corruption et l’économie souterraine.

Les programmes de consolidation budgétaire actuels devraient par ailleurs être complétés par des mesures encourageant une croissance économique durable, y compris la création de nouveaux emplois de qualité et un soutien particulier à fournir aux jeunes générations dans la période de transition entre formation et emploi.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 22 mai 2012.

(open)
1. Depuis 2009, des programmes d'austérité stricts ont été appliqués à travers l'Europe dans l'intention de consolider les budgets publics. Plus récemment, tant l'efficacité économique des mesures d'austérité que les causes profondes de la crise sont de plus en plus remis en question par les experts internationaux et les organisations internationales. Les effets négatifs à court et à long terme des mesures sur les processus démocratiques et les normes en matière de droits sociaux ont également été critiqués.
2. L’Assemblée parlementaire s’inquiète des conséquences profondes des programmes d'austérité actuels sur les normes en matière de démocratie et de droits sociaux. Elle est préoccupée par le risque que les approches restrictives actuellement poursuivies, essentiellement fondées sur des coupes budgétaires dans les dépenses sociales, n’atteignent pas leurs objectifs de consolider les budgets publics, mais aggravent encore plus la crise et nuisent aux droits sociaux puisqu’elles touchent principalement les classes aux plus bas revenus et les catégories les plus vulnérables de la population.
3. Dans ce contexte, l'Assemblée appelle à une nouvelle évaluation de la crise actuelle, qui reconnaisse parmi ses causes profondes le rôle joué par les plans de sauvetage de grande ampleur consentis aux banques européennes. L’Assemblée estime qu’il est nécessaire de dissocier la question à long terme de l’équilibre des finances publiques de celle des marchés financiers et de leurs dynamiques et intérêts à court terme spécifiques. Dans le cadre de l’Union européenne, l’interdiction du financement monétaire des Etats par la Banque centrale européenne devrait être débattue.
4. Face aux conséquences d’un libéralisme économique «effréné», le modèle social européen et ses diverses expressions nationales devraient être protégés en tant que vision européenne commune et l'Etat providence devrait être renforcé davantage, y compris par de nouveaux partenariats sociaux plaçant l’être humain au centre des préoccupations. Le modèle social européen doit se caractériser par le principe de «l’économie sociale de marché» et non par un libéralisme économique «effréné».
5. La mise en œuvre des mesures d’austérité est souvent liée à des organes dont le caractère soulève des questions de contrôle et légitimité démocratique, tel que la «troïka» du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, ou des gouvernements technocratiques tels que ceux récemment mis en place dans plusieurs Etats membres. Il est attendu que la décision la plus récente d’établir le Mécanisme européen de stabilité et le Traité fiscal européen, tous deux interconnectés, intensifiera davantage la pression sur les Etats membres pour poursuivre de nouveaux cycles de mesures d’austérité.
6. L'Assemblée recommande une profonde réorientation des programmes d'austérité actuels, pour mettre fin à l’accent quasi exclusif mis sur la réduction des dépenses dans des domaines sociaux comme les retraites, les services de santé ou les allocations familiales. Elle recommande de prendre des mesures visant à accroître les revenus publics en imposant davantage les catégories à plus hauts revenus et la richesse foncière, en renforçant l’assiette fiscale ainsi qu’en améliorant le recouvrement des impôts, l’efficacité de l’administration fiscale et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
7. Afin de surmonter la crise actuelle et de garantir un développement économique durable, à la place d’une approche d'austérité, des mesures énergiques en faveur de la reprise économique devraient être prises, fondées sur la création de nouvelles possibilités d'emploi de qualité, l’égalité dans l'accès à l'emploi et le soutien aux jeunes dans la transition entre leur formation et leur carrière professionnelle.
8. Bien que nombre des décisions relatives à ladite «crise de la dette souveraine» soient prises dans le cadre des institutions de l'Union européenne et de la zone euro, de nombreux pays de la Grande Europe ressentent la nécessité de poursuivre la consolidation de leurs budgets publics pour diverses raisons, tout comme ils continuent de ressentir les effets de cette crise économique persistante. Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient donc s'impliquer activement dans la recherche de solutions communes pour surmonter la crise actuelle de la manière la plus démocratique et avec le plus grand respect des droits sociaux.
9. S'agissant de la protection des droits humains (y compris des droits sociaux), la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) reste la principale référence, tandis que la Stratégie pour l'innovation et la bonne gouvernance au niveau local, qui contient 12 Principes de «bonne gouvernance démocratique», élaborée par le Conseil de l'Europe en 2007, devrait être davantage promue en tant que référence importante pour les démocraties modernes.
10. A la lumière de cette évaluation, l’Assemblée parlementaire invite les Etats membres du Conseil de l'Europe:
10.1. à empêcher de porter atteinte aux normes démocratiques existantes lors de la prise de décisions liées à la «crise de la dette souveraine» et lors d’éventuelles actions communes européennes, en laissant la latitude maximale possible aux gouvernements nationaux et autres institutions nationales démocratiquement légitimées, en particulier aux parlements;
10.2. à réfléchir à la manière dont ces processus pourraient être rendus plus démocratiques à l'avenir, en tenant compte également de l'élaboration des futures politiques économiques au niveau européen et, en attendant, agir avec la plus grande transparence lorsqu'on prend des décisions de vaste portée qui affectent profondément les économies nationales et la vie des populations;
10.3. le cas échéant, à initier un débat public sur les conséquences sociales et l’impact sur la souveraineté démocratique si le Mécanisme européen de stabilité et le Traité fiscal européen devaient entrer en vigueur;
10.4. à envisager des mesures visant à moderniser les structures et processus démocratiques en ayant recours à de nouvelles formes de participation et de consultation des citoyens, comme les référendums, lorsque la Constitution ou la législation prévoient de telles possibilités;
10.5. à évaluer avec précision les programmes d'austérité actuels du point de vue de leurs effets à court et à long terme sur les processus décisionnels démocratiques et les normes relatives aux droits sociaux, les systèmes de sécurité sociale et les services sociaux, tels que les systèmes de retraite et de santé, les services à la famille ou les services d'assistance aux groupes les plus vulnérables (personnes handicapées, migrants, personnes sans emploi, etc.);
10.6. à concevoir des programmes de consolidation budgétaire fondés non seulement sur les économies à appliquer aux budgets gouvernementaux à divers niveaux et aux dépenses sociales en particulier, mais aussi sur des revenus plus élevés à générer, en particulier grâce à des impôts accrus sur les groupes à hauts revenus et les larges bénéfices des entreprises et une lutte plus acharnée contre l’évasion fiscale, la fraude fiscale, les paradis fiscaux, la corruption et l’économie souterraine;
10.7. si possible, à compléter les programmes de consolidation budgétaire par des mesures encourageant une croissance économique durable, y compris des mesures visant à créer de nouveaux emplois de qualité et les conditions et l’environnement économique permettant de développer, avec succès, des initiatives individuelles et l’entrepreneuriat, étant donné que l’emploi est une pré-condition pour de futures recettes fiscales;
10.8. à lancer de vastes programmes de relance économique visant à lutter contre les forts taux de chômage et leurs conséquences économiques et sociales négatives, y compris des mesures spécifiques visant à soutenir les jeunes générations dans la période de transition entre formation et emploi;
10.9. à poursuivre et soutenir les efforts entrepris pour renforcer la réglementation du secteur financier, et de structures financières dont la taille, l’intégration systémique, la complexité ou l’interconnexion pourraient compromettre la stabilité financière et la capacité des régulateurs à résister à leurs demandes, y compris des mesures concernant le système bancaire parallèle, comme celles demandées par le Parlement européen et initiées actuellement par la Commission européenne;
10.10. à étudier les possibilités de mettre en place de nouveaux impôts sur certains types d’opérations financières en Europe.

B. Exposé des motifs, par M. Hunko, rapporteur

(open)

1. Introduction: Pourquoi examiner les mesures d’austérité sous l’angle de la démocratie et des droits sociaux?

«La grande illusion de l'Europe consiste en la conviction que la crise venait d'une gestion irresponsable des budgets.» – Paul Krugman, économiste des Etats-Unis d'Amérique (prix Nobel 2008), Der Spiegel, 23 avril 2012.

1. Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe ont subi d’une certaine façon l'impact et les conséquences de la crise financière et économique actuelle. Financière au départ en 2008, la crise est rapidement devenue économique. Alors que la reprise semblait se profiler en 2010, la crise s’est transformée en ladite «crise de la dette souveraine». Dans ce contexte, des décisions politiques et économiques stratégiques sont actuellement prises dans de nombreux pays. Beaucoup de pays européens établissent ou appliquent d’ores et déjà des programmes d’austérité qui supposent très souvent des coupes sombres dans les dépenses publiques et les rémunérations des fonctionnaires, des privatisations, des baisses des salaires minimums, une baisse des effectifs du secteur public, ou encore des augmentations des taxes sur la consommation; mesures prises pour des raisons politiques (idéologiques) ou économiques (obligations découlant de leur appartenance à la zone euro ou demandes de créanciers internationaux).
2. Dans un rapport sur sa visite en Irlande en juin 2011, publié le 15 septembre de la même année, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, relevait que les coupes budgétaires effectuées en Irlande pouvaient compromettre la protection des droits de l'homme. Il est donc crucial d’éviter ce risque, en particulier pour les groupes de personnes les plus vulnérables 
			(2) 
			Hammarberg, Thomas,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe: Rapport
sur sa visite en Irlande du 1er au 2
juin 2011, Strasbourg, 15 septembre 2011, CommDH(2011)27 (anglais
uniquement).. A la lumière des premières mesures prises dans les Etats membres à partir de 2010, il est rapidement devenu évident que les mesures d’austérité s’accompagnent d’une réduction des prestations sociales (pensions, pensions d’invalidité, prestations chômage, etc.) et de la qualité des services sociaux en général (santé, éducation, garde d’enfants, etc.). Or, ce sont souvent des catégories de la population déjà défavorisées d’un point de vue économique et social qui subissent ces conséquences, de sorte que la question des mesures d’austérité devient un problème de cohésion sociale et aussi de protection des groupes vulnérables.
3. Les modalités selon lesquelles nombre de gouvernements soumettent leurs budgets nationaux à des programmes d’austérité devraient être analysées sous l’angle des normes démocratiques. Très souvent, la souveraineté des Etats et gouvernements qui sont confrontés à des situations de crise diminue; les décisions sont prises sur la base de considérations à très court terme, de supposées nécessités impérieuses et dans le cadre de procédures urgentes alors que les éléments de transparence et de processus démocratique sont négligés. Dans certains cas, les créanciers internationaux (Fonds monétaire international (FMI), Union européenne) conditionnent l’octroi de nouveaux prêts à des programmes d’austérité. Ceci a été le cas d’une manière dramatique en Grèce, où la supposée «troïka» du FMI, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne (BCE) a imposé des mesures d’austérité drastiques. Compte tenu de ces tendances, le rapporteur estime que les gouvernements devraient consulter les citoyens pour savoir si, comment et quand, la dette publique devrait être réduite, et devraient respecter leurs obligations et engagements internationaux en ce qui concerne les normes démocratiques.
4. Face aux conséquences des programmes d’austérité nationaux pour les services sociaux et les processus de décision démocratiques, des voix se sont élevées dans le monde entier durant l’année 2011. Parmi les principaux «noyaux» de ce mouvement appelé «mouvement d’occupation» qui ont bénéficié de la plus large couverture médiatique figurent notamment le mouvement espagnol des Indignés, formé en mai 2011 à Madrid, le mouvement «Occupons Wall Street», formé en septembre 2011 et le campement «Occupons Londres», constitué en octobre 2011. En Grèce, au Portugal et en Espagne, notamment, les mesures d'austérité ont donné lieu à des manifestations de masse. Pour dresser le tableau le plus complet possible, le rapporteur voulait également entendre ce que certains représentants de ces mouvements avaient à dire sur les réponses politiques à apporter à la crise mondiale. Les deux auditions d’experts organisées sur la question par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable en janvier et en mars 2012 illustrent son approche large 
			(3) 
			La commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable a entendu les
personnes suivantes: (1) le 24 janvier 2012: M. Heiner Flassbeck,
directeur de la Division de la mondialisation et des stratégies
de développement, Conférence des Nations unies sur le commerce et
le développement (CNUCED); Mme Rebeca
Mayorga Fernández, journaliste dans l’audiovisuel et étudiante,
Madrid (membre des Indignés); Mme Sonia
Mitralia, membre de l’Initiative des femmes contre la dette et les
mesures d’austérité, Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde
– CADTM, Grèce. (2) le 22 mars 2012: Mme Monika
Queisser, directrice de la Division des politiques sociales, Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE); le professeur
Arne Heise, faculté d’Economie et des Sciences sociales, université
de Hambourg, Allemagne; Mme Madi Sharma,
membre britannique du Groupe d’employeurs du Comité européen économique
et social (CEES) de l'Union européenne, M. Luca Scarpiello, vice-président,
Forum européen de la jeunesse..
5. Lorsqu’elle a adopté, en avril 2011, son avis intitulé «Surendettement des Etats – un danger pour la démocratie et les droits de l'homme», l’ancienne commission des questions sociales, de la santé et de la famille a proposé d’élaborer un rapport distinct qui traiterait des mesures d’austérité prises par un certain nombre d’Etats membres. Donnant suite à cette proposition, l'Assemblée parlementaire l’a récemment transmise à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable.
6. Sur la base de ce mandat, le rapporteur entend étudier les objectifs et les conséquences des divers programmes d’austérité dans les Etats membres. Etant donné que, au début de l’année 2012, de nouvelles conséquences des politiques d’austérité actuelles ont émergé quasiment chaque semaine, le présent rapport pourrait être mis à jour continuellement – une tâche évidemment impossible. L’objet de ce travail sera donc de fournir une vue globale des conséquences des mesures d’austérité qui sont déjà devenues visibles jusqu’à fin mai 2012, et d’élaborer, sur cette base, une série de recommandations. Ces dernières visent à contribuer à la gestion publique et à des approches économiques fondées sur le long terme, des processus de décision transparents et démocratiques, tout en assurant le plein respect des normes européennes relatives aux droits humains, y compris de celles qui ont trait aux droits sociaux, tels qu’entérinés dans la Charte sociale européenne révisée (STE no 163).

2. Les programmes d’austérité en Europe et leurs objectifs

7. L’argument central en faveur des programmes d’austérité en Europe était qu’ils étaient nécessaires pour surmonter les gros déficits budgétaires publics, ayant été causés semble-t-il par d’importantes dépenses au titre des budgets des services sociaux pendant la crise financière et économique. De plus en plus fréquemment, cependant, des experts et organisations internationales ont remis en cause l'efficacité de tels programmes de consolidation et ont commencé à reconnaître que la crise financière et les énormes plans de sauvetage pour les banques européennes étaient l’une des causes premières de la situation de crise, et non pas l’une de ses conséquences.

2.1. Contexte: développements ayant conduit à la «crise de la dette souveraine» qui se poursuit en 2012

8. La crise financière et économique, dont les premiers effets en Europe se sont fait sentir en 2007, montait en puissance depuis la fin 2006 avec l'effondrement du marché immobilier aux Etats-Unis. Elle a atteint l'un de ses sommets le 15 septembre 2008 avec la faillite de la banque américaine d'investissement Lehman Brothers qui a plongé les marchés financiers internationaux dans la tourmente. Au cours de la période 2008 et 2009, sa nature et son ampleur ont évolué et elle s’est transformée en crise économique plus générale dans de nombreux pays, tandis que la crise financière sous-jacente se poursuivait et que les gouvernements du monde entier, en particulier dans le cadre du G20, se penchaient sur les réformes et la réglementation à adopter concernant les marchés financiers. En attendant, la dernière analyse de stabilité financière par la BCE note que «les risques liés à la stabilité financière de la zone euro ont augmenté de manière significative lors du deuxième semestre 2011, alors que la crise de la dette souveraine et son interaction avec le secteur bancaire ont empiré dans un contexte de perspectives de croissance macro-économique faiblissantes» et que «la transmission de tensions entre dettes souveraines, à travers les banques et entre les deux, s’est intensifiée jusqu'à atteindre les proportions d’une crise systémique qui n’avaient plus été vues depuis l’effondrement de Lehman Brothers il y a trois ans 
			(4) 
			Banque centrale européenne
(BCE): «Financial Stability Review» [Analyse de stabilité financière],
présentée à la conférence de presse par le vice-président, M. Constâncio,
Francfort, 19 décembre 2011 (disponible en anglais uniquement; traduction
informative par le Secrétariat de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable), <a href='http://www.ecb.int/'>www.ecb.int</a>.».
9. A partir de fin 2009 s’est développée une crise dite de la «dette souveraine» apparue en raison de la hausse du niveau des dettes publiques dans le monde, crise qui s’est aggravée début 2010 et ultérieurement. Selon d’autres chiffres de la BCE, la dette publique brute globale n’a cessé de croître depuis 2007, avec une hausse importante entre 2008 et 2010 et une augmentation moins élevée mais constante du ratio dette publique globale sur produit intérieur brut (PIB), qui est passé de 66,2 % du PIB (en 2007) à 88,5 % (attendu pour 2012) 
			(5) 
			Banque centrale
européenne (BCE): «The size and composition of government debt in
the euro area», Occasional Paper Series no 132,
octobre 2011, <a href='http://www.ecb.int/'>www.ecb.int</a>. (en anglais). Dès le tout début, l'argent public a été mis à contribution pour éviter le naufrage du système financier et les ratios d'endettement, qui ne soulevaient jusque-là guère d’inquiétude, ont alors été considérés comme trop élevés. Les investisseurs ont perdu confiance en raison de rapports alarmants établis par les agences de notation privées dont l’influence sur les marchés est significative.
10. Une des causes profondes à examiner de plus près est le dysfonctionnement du Pacte de stabilité et de croissance de l'Union européenne 
			(6) 
			Des informations détaillées
sont disponibles sur le site internet de l’Union européenne, <a href='http://europa.eu/'>http://europa.eu</a> («Pacte de stabilité et coordination des politiques
économiques»).. Il visait initialement à ce que les Etats membres respectent la discipline budgétaire prévue par le pacte, qui fixe une limite annuelle (3 % du PIB) et un déficit public global, ainsi que ledit principe de «non-sauvetage». Ces règles n’ont souvent pas été respectées, ou ont même été contournées, par de nombreux Etats membres, y compris lesdits pays «centraux» tels que l’Allemagne et la France. Une situation qui s’explique par ce qui est un des points faibles de l'Union monétaire depuis l’origine: la distinction entre une politique monétaire commune et des politiques budgétaires décentralisées qui restent entre les mains de chaque gouvernement 
			(7) 
			Dombret, Andreas (membre
du Conseil d’administration de la Bundesbank/Banque fédérale d’Allemagne): «Europäische
Staatsschuldenkrise – Ursachen und Lösungsansätze» (Crise de la
dette souveraine en Europe – causes profondes et moyens de la régler),
conférence présentée à l’association allemande Alumni, Francfort,
20 décembre 2012..

2.2. Réponses européennes à la «crise de la dette souveraine»

11. La «crise de la dette souveraine» s'est ensuite aggravée avec la dégradation de la dette souveraine de différents pays par les trois principales agences de notation établies aux Etats-Unis, à savoir Standard and Poor's, Moody's et Fitch Ratings – tout d’abord la Grèce, le Portugal et l'Irlande, puis les Etats-Unis (en août 2011) et neuf pays de la zone Euro (en janvier 2012). Les experts ont alors commencé à lancer des appels en faveur d'une amélioration de la réglementation des agences de notation de façon à assurer davantage de transparence et de compétitivité 
			(8) 
			Alessi, Christopher
et Wolverson, Roya «The Credit Rating Controversy», Council of foreign
relations, New York, 19 janvier 2012, <a href='http://www.cfr.org/'>www.cfr.org</a>..
12. Dans ce contexte, les gouvernements des Etats membres de l'Union européenne ont créé, le 9 mai 2010, le Fonds de stabilité financière européen (FESF), prévoyant notamment une enveloppe de secours d'au moins 440 milliards d'euros pour préserver la stabilité financière européenne. Pour s'acquitter de cette mission, le FESF a été autorisé à lever les fonds nécessaires à l’octroi de prêts aux pays en difficulté financière et à financer la recapitalisation des institutions financières par l’octroi de prêts aux gouvernements, y compris dans les pays qui ne relevaient pas du programme.
13. Cependant, toute aide financière à un pays dans le besoin est liée à des conditions très strictes énoncées dans un mémorandum d’accord entre le pays concerné et ladite «troïka» incluant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI); ces conditions incluent souvent des mesures comme la demande d’augmenter les impôts et de réduire les dépenses publiques ou des mesures structurelles destinées à libéraliser le marché du travail et certains secteurs protégés. Les décisions concernant le montant maximal d’un prêt, sa marge et sa maturité, et le nombre d’échéances à décaisser sont prises à l’unanimité par les ministres des Finances des Etats membres de la zone euro. Si un pays en difficulté n'arrive pas à respecter ces conditions, les décaissements du prêt et le programme du pays seront interrompus jusqu'à ce que l'étude du programme de ce pays et le mémorandum d'accord soient renégociés. 
			(9) 
			Renseignements complets
sur le site internet du FESF: <a href='http://www.efsf.europa.eu/'>www.efsf.europa.eu</a>.
14. Les dirigeants européens ont aussi convenu d'adopter une règle d'équilibre budgétaire. 
			(10) 
			«European
fiscal union: what the experts say» (Union fiscale européenne: ce
que disent les experts), The Guardian, 2 décembre
2011, www.guardian.co.uk. Alors que les taux d’intérêt n’atteignaient des niveaux alarmants que dans quelques pays de la zone euro comme la Belgique, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Portugal et l'Espagne 
			(11) 
			Agence
centrale de renseignement américaine (CIA), The World Factbook:
Public debt by country (en pourcentage de PIB), information trouvée
le 14 mars 2012 (mise à jour hebdomadaire), <a href='http://www.cia.gov/'>www.cia.gov</a>., on a toujours considéré que la «crise de la dette souveraine» était un problème qui touchait l’ensemble de la zone euro 
			(12) 
			«Comment
l’Euro est devenu le principal danger pour l’Europe», Der Spiegel, 20 juin 2011, <a href='http://www.spiegel.de/international/europe'>www.spiegel.de/international/europe</a>.. Outre le FESF, un mécanisme européen de stabilité (ESM), mécanisme permanent de règlement des crises, a été mis en place par le Conseil européen le 24 juin 2011; il doit être ratifié avant la mi-2012 à la suite d’une décision prise fin mars 2012 
			(13) 
			Renseignements
complets sur le site Internet du FESF: <a href='http://www.efsf.europa.eu/'>www.efsf.europa.eu</a>..

2.3. Perception et interprétation des programmes d’austérité de plus en plus controversées

15. Quand la «crise de la dette souveraine» a débuté en 2009, les mesures d'austérité appliquées par chaque Etat membre étaient imposées comme des conditions préalables à la baisse de l’endettement public, à la consolidation des budgets publics, à l'amélioration de la compétitivité internationale et, enfin, à la reprise économique. Cette démarche, préconisée par le FMI et par les institutions de l'Union européenne, a été suivie par les gouvernements de la plupart des Etats membres. Des programmes d'austérité ont donc été mis en place dans toute l'Europe, et pas uniquement dans les pays qui étaient les plus concernés par la crise, en particulier en raison de la pression que les Etats membres de la zone euro exercent les uns sur les autres pour qu’une même voie soit suivie 
			(14) 
			Pietras,
Jennifer, «Austerity measures in the EU – A country by country table»,
The European Institute, <a href='http://www.europeaninstitute.org/'>www.europeaninstitute.org</a> (information du 13 mars 2012)..
16. C'est seulement début mars 2012 que la Grèce a bénéficié d’une annulation de sa dette, consentie par les détenteurs de titres de créance de droit grec représentant 85,8 % de la dette et par les créanciers internationaux à hauteur de 69 %, ce qui a entraîné l’octroi par l'Union européenne et le FMI d’un nouveau plan de sauvetage d'un montant de 130 milliards d'euros. Ce renflouement de la Grèce était toutefois conditionné par l’application d’un nouveau train de mesures d'austérité, incluant une diminution des salaires minimums, la réduction de 150 000 fonctionnaires d’ici à 2015, la poursuite des privatisations, et l’interdiction de négociations collectives de salaires à l’encontre des droits stipulés dans la Charte sociale européenne révisée, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des accords respectifs de l’Organisation internationale du travail (OIT) 
			(15) 
			«Greece
to go ahead with crucial debt swap», BBC News (Business), 9 mars
2012, <a href='http://www.bbc.co.uk/'>www.bbc.co.uk</a>.. A la base de cette tendance, les intérêts à court terme du secteur financier semblent toujours l’emporter sur les intérêts à long terme des politiques publiques visant à stimuler une reprise économique durable.
17. Nombre d'experts internationaux et d'organisations internationales ont exprimé des doutes quant à l'efficacité des mesures d'austérité à court et à long terme (voir ci-dessous, chapitre 3). Certains commentateurs sont même allés jusqu'à dire que ces programmes d'austérité étaient «une idéologie déguisée en politique économique» 
			(16) 
			«Britain’s self-inflicted
misery», éditorial, New York Times/The
Opinion pages, 14 octobre 2011, <a href='http://www.nytimes.com/'>www.nytimes.com</a>.. Début 2012, même le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce ont lancé un avertissement sur les risques économiques et sociaux des programmes d'austérité dans un «appel à l'action» destiné à stimuler la croissance et à lutter contre le protectionnisme; dans leur déclaration commune, ils ont invité les Etats membres à «obtenir une consolidation budgétaire visant à promouvoir plutôt qu’à réduire les perspectives de croissance et d'emploi» et à l'appliquer «de manière socialement responsable». 
			(17) 
			Larry Elliot, «IMF
warns of threat to global economies posed by austerity drives», The Guardian, 20 January 2012, <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>. Ils ont été très récemment rejoints sur ce point par l'OIT qui, dans son «Rapport sur le travail dans le monde 2012», estime la situation mondiale de l'emploi «préoccupante» et met en garde contre les «conséquences désastreuses» des mesures d'austérité, qui sont jugées contre-productives par rapport à leurs objectifs de soutien de la confiance et de réduction des déficits publics 
			(18) 
			«UN Agency
Slams European Austerity Measures» [une institution des Nations
Unies fustige les mesures d'austérité en Europe], Der Spiegel, 30 avril 2012, <a href='http://www.spiegel.de/international/world'>www.spiegel.de/international/world</a>; «UN-Organisation warnt vor Folgen der Sparpolitik»
[l‘Organisation des Nations Unies met en garde contre les conséquences
de la politique d'austérité], Die Zeit Online,
30 avril 2012, <a href='http://www.zeit.de/'>www.zeit.de</a>.. Enfin, plusieurs dirigeants européens, notamment Angela Merkel et François Hollande, ont récemment marqué leur accord avec la proposition du président de la BCE, Mario Draghi, de compléter les mesures d'austérité du pacte budgétaire européen par un «pacte de croissance», même s'il ne semble pas y avoir de consensus sur les lignes précises à suivre 
			(19) 
			Kaiser, Stefan, «Austerity
Backlash Unites European Leaders» [Vives réactions des leaders européens
contre l’austérité], Der Spiegel,
27 avril 2012, <a href='http://www.spiegel.de/international/europe'>www.spiegel.de/international/europe</a>..
18. On peut déjà observer, dans certains pays qui appliquent des programmes d'austérité depuis 2010 – Grèce, Irlande ou Portugal – que les mesures prises se sont soldées par une récession économique ultérieure qui frappe des groupes de population de plus en plus importants, aggravant la crise sans nécessairement produire les effets escomptés sur les finances publiques et, de manière plus générale, sur l'économie. En outre, la crise entre dans une nouvelle phase en Espagne, où l’on s'attend à devoir renflouer une nouvelle fois le secteur bancaire avant la fin de l'année. Parallèlement, le taux de chômage atteint presque 25 % et les budgets d'austérité ont notablement poussé à la hausse les frais d'éducation et de santé, ce qui a creusé davantage encore les revenus des ménages et prolongé la récession 
			(20) 
			Burgen,
Stephen et Inman, Phillip: «Spain faces crisis ‘of huge proportions’
over unemployment and banks» [l'Espagne est face à une crise «massive»
dominée par le chômage et le secteur bancaire], The Guardian, 27 avril 2012, <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>.. De même, la récession en Italie devrait être plus longue et plus profonde que prévu, compte tenu de l'effondrement de la consommation, qui fait suite aux coupes intervenues dans les salaires, les prestations et les pensions 
			(21) 
			Inman, Phillip, «Italy’s
recession set to be longer and deeper than expected» [La récession
en Italie devrait être plus longue et plus profonde que prévu], The Guardian, 4 mai 2012, <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>.. Le taux de chômage moyen des jeunes est en hausse dans toute l'Union européenne et il reste supérieur à 50 % en Espagne et en Grèce en particulier 
			(22) 
			Broughton, Andrea,
«EU unemployment stable but still high and youth unemployment rising»
[Le taux de chômage dans l'UE est stable mais toujours élevé – le
chômage des jeunes est en augmentation], observation de l'Institute
for Employment Studies (IES), Brighton, 2 mai 2012, <a href='http://www.employment-studies.co.uk/'>www.employment-studies.co.uk</a>..
19. Cependant, les Etats membres continuent d’adopter des approches fondées sur la stricte austérité, notamment celle qui est préconisée par la BCE, dont le président a attendu février 2012 pour déclarer que le modèle européen de protection sociale était obsolète et que les mesures d'austérité devaient être strictement appliquées pour empêcher une réaction immédiate des marchés, appelant ainsi les gouvernements à placer les considérations d’ordre financier au cœur de leur dispositif politique 
			(23) 
			Blackstone
Brian, Karnitschnig Matthew, Thomson Robert, «Draghi spricht sich
für harte Linie bei Sparkurs aus» [Draghi se dit tenant d’une ligne
dure en matière de politique d’austérité], Wall
Street Journal, 23 février 2012, <a href='http://www.wallstreetjournal.de/'>www.wallstreetjournal.de</a>.. Les effets à long terme et auto-stimulants de ces tendances ne doivent pas être sous-estimés: pour l'ancien Commissaire aux droits de l'homme, Thomas Hammarberg, «les mesures d'austérité qui aggravent les inégalités ne feront que repousser les problèmes et, dans certains domaines, rendre plus coûteuses encore les mesures à prendre pour les régler» 
			(24) 
			Thomas Hammarberg,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans son
discours intitulé «The potential of equality bodies in times of
economic crisis» prononcé lors de la réunion de l’Equinet High-Level
Meeting with Heads of National Equality Bodies, Bruxelles, 29 novembre
2011, CommDH/Speech(2011)15..

3. Impact négatif des mesures d’austérité sur la démocratie et les droits sociaux

20. Les programmes d'austérité appliqués depuis 2010 dans un certain nombre d'Etats européens sont largement justifiés comme un mal nécessaire. Il n’en reste pas moins que la controverse austérité/croissance s'invite de plus en plus dans le débat politique où l'idée que des programmes de relance économique généreux et positifs sont requis gagne du terrain contre l’approche défensive face aux exigences des marchés financiers selon laquelle il faut procéder à de nouvelles coupes dans les services sociaux, premiers à pâtir des programmes d'austérité 
			(25) 
			Pignal, Stanley et
Spiegel, Peter, «EU austerity critic’s views gain credence», Financial Times, 5 mars 2012, <a href='http://www.ft.com/'>www.ft.com</a>. Heise, Arne et Lierse, Hanna, «Budget Consolidation
and the European Social Model», étude réalisée pour la Friedrich
Ebert Stiftung (Fondation Friedrich Ebert), mars 2011, <a href='http://www.fes.de/'>www.fes.de</a>.. L’on constate de surcroît, avec les premières manifestations des conséquences négatives des mesures d'austérité, et à la manière dont certaines décisions importantes ont été prises, que des groupes de population de plus en plus vastes se sentent menacés de façon croissante dans leurs droits sociaux et s’inquiètent de l'état de la démocratie.

3.1. Idée erronée que la crise est une des causes profondes de l'inefficacité des programmes d'austérité

21. Il est d'ores et déjà évident que certains programmes d'austérité appliqués depuis 2010 (en particulier en Grèce) n'atteindront pas leurs objectifs initiaux et qu’il faudra les remplacer par des approches plus positives à la reprise économique. Le rapporteur considère notamment que certaines analyses de fond de la situation actuelle étaient erronées: les plans de sauvetage des banques européennes sont parmi les causes de la crise actuelle, ou ils rétroagissent sur les budgets des Etats en affectant les droits sociaux (qui comptent parmi les droits humains) et les processus démocratiques. C’est pourquoi le rapporteur est convaincu que les programmes d'austérité appliqués à l’heure actuelle à travers l’Europe n'atteindront pas leurs objectifs mais continueront d’aggraver la crise avec ses implications pour les catégories sociales vulnérables, sauf si des mesures complémentaires visant à promouvoir la reprise économique sont prises.
22. Cette analyse est confirmée par des études récentes réalisées par des organismes économiques internationaux. Ainsi, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a indiqué dans son rapport de 2011 sur le commerce et le développement que: (1) les déséquilibres budgétaires, loin d’alimenter la crise, étaient une de ses conséquences; et (2) la hausse significative du niveau d'endettement public dans la plupart des pays européens concernés n'a été constaté qu'après la crise et pas avant.
23. Les conclusions de la CNUCED indiquent que les politiques d’austérité imposées à certains pays par le FMI – actuellement et par le passé – ont eu, dans de nombreux cas, un effet négatif sur la croissance du PIB et sur les équilibres fiscaux en modifiant profondément les sources de revenus publics, ce qui a annulé les effets positifs escomptés. Des études ont montré que les véritables résultats de ces programmes restaient très en deçà des prévisions initiales du FMI et que les effets positifs de ses programmes étaient par conséquent largement surestimés 
			(26) 
			CNUCED (TDR 2011),
Rapport sur le commerce et le développement, 2011, «Post-crisis
policy challenges in the world economy», Publications des Nations
Unies, numéro de vente E11.II.D.3, New York et Genève.. L’organisation estime que la dévaluation monétaire est un moyen plus sûr de renforcer la compétitivité économique. Comme la dévaluation est impossible dans la zone euro, les seules mesures possibles étaient soit une dévaluation interne (par une baisse des salaires et des charges sociales), ce qui aboutit immédiatement à une réduction de la demande interne, soit la mise en place de mesures de relance. Enfin, pour que les mesures d’austérité soient efficaces, elles doivent viser les segments de population les plus riches et augmenter les impôts sur les hauts revenus et l’immobilier, ces mesures n'ayant qu’une faible incidence sur la dépense privée et s’accompagnant ainsi de meilleurs «effets multiplicateurs».
24. La perception d’une certaine inefficacité des programmes d’austérité est renforcée par une récente étude de la fondation allemande Friedrich-Ebert (Friedrich-Ebert-Stiftung) présentée à la commission en mars 2012 par l'un de ses auteurs, le professeur Arne Heise. Selon lui, nombre des programmes d'austérité actuels (dont sept ont été étudiés de manière approfondie en tant qu'exemples) se concentrent trop fortement sur les coupes dans les dépenses et ont eu des effets redistributeurs néfastes. Ils ont donc catalysé la crise et n’ont pas réussi à fournir des solutions à long terme aux problèmes européens les plus urgents tels que le chômage, la pauvreté, les déséquilibres régionaux ou les infrastructures publiques. L'étude a également renforcé l'hypothèse selon laquelle les mesures d'austérité appliquées dans le contexte de la «crise de la dette souveraine» ont été, dans de nombreux pays, utilisées comme prétexte pour procéder à des coupes dans les dépenses sociales qui avait été planifiées auparavant.
25. Dans le contexte de cette étude, l'exemple de l'Islande était particulièrement intéressant car c’est semble-t-il l’un des pays qui a mis un accent particulier non seulement sur les coupes budgétaires en tant que mesures de consolidation, mais aussi sur les augmentations d'impôts en vue d’atteindre un équilibre primaire positif dans les délais les plus brefs possibles. A cet égard, le gouvernement islandais a pris un certain nombre de mesures socialement positives: il a non seulement augmenté les contributions sociales de 5,34 % à 7 %, augmenté la TVA d'un demi point de pourcentage, mais a aussi augmenté un certain nombre d'impôts à la consommation et l’impôt sur les revenus des capitaux de 10 % à 15 %; de même, il a introduit un impôt supplémentaire sur les hauts revenus, tout en prévoyant une augmentation de l'impôt sur les sociétés. Par ailleurs, l’introduction de mécanismes de surveillance plus forts du secteur financier ainsi que la nationalisation de banques privées ont joué un rôle essentiel pour surmonter la crise. Bien que l'Islande, en tant que pays hors zone euro, et donc non soumis aux mêmes contraintes que certains Etats membres, soit dans une situation particulière, elle a néanmoins choisi une approche ambitieuse et positive de la consolidation budgétaire dont devraient dans l'ensemble s’inspirer tous les Etats membres du Conseil de l'Europe 
			(27) 
			Budget
Consolidation and the European Social Model, op.
cit.. En mai 2012, les indicateurs économiques du pays étaient au plus haut: la croissance s'était stabilisée à 3 % en 2011, l'inflation était inférieure à 3 % et le taux de chômage était redescendu à 7 %. Selon des décideurs islandais, cette réussite s'explique par la «résistance» aux pressions venant de l'Union européenne et par le respect du principe politique selon lequel les pertes du secteur privé ne doivent pas être «nationalisées» 
			(28) 
			Wolff, Reinhard, «Der
demokratische Weg als Rettung» [la voie démocratique comme plan
de sauvetage], Die Tageszeitung (TAZ),
1er mai 2012, <a href='http://www.taz.de/'>www.taz.de</a>..
26. Malgré les premières voix critiques qui se sont élevées concernant les réponses à la crise et les premiers exemples où des mesures alternatives ont été mises en œuvre avec succès, la plupart des pays semblent continuer à suivre les recommandations faites par la Commission européenne en 2010, selon lesquelles la consolidation budgétaire fondée sur la réduction des dépenses est considérée comme plus efficace et comme ayant un effet plus durable que la consolidation par les augmentations d'impôts quelle que soit leur nature 
			(29) 
			Commission européenne,
Direction générale des affaires économiques et financières, «Les
finances publiques dans l’UEM – 2010», Economie européenne 04/2010,
Bruxelles, <a href='http://ec.europa.eu/'>http://ec.europa.eu</a>.. Cependant, plus récemment, cette approche n’a cessé d’être remise en question par les analystes économiques et les décideurs politiques. La commission CRIS du Parlement européen (Commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale), dans une résolution de 2011, par exemple, recommandait une action plus vaste à la crise reposant sur le principe du renforcement de l'intégration européenne et le renforcement de l’Etat providence en soutenant l’inclusion sociale, la création d’emplois et la croissance durable. Elle a par ailleurs appelé à une vision à long terme pour l'Europe, à «un ensemble de réformes globales, solidaires et axées sur l'intégration sociale, destinées à s'attaquer aux faiblesses du système financier» et visant à encourager les investissements à long terme en faveur d'une croissance durable et de la création d'emplois, tout en réglementant de manière plus stricte le secteur financier et ses acteurs. 
			(30) 
			Parlement européen,
Commission CRIS, Résolution finale, adoptée en plénière le 6 juillet
2011, Résumé, <a href='http://www.europarl.europa.eu/'>www.europarl.europa.eu</a>.

3.2. Effets sur les processus démocratiques

27. Comme l'Assemblée l'a déjà affirmé dans sa Résolution 1832 (2011) «La souveraineté nationale et le statut d'Etat dans le droit international contemporain: nécessité d'une clarification», l'intégration européenne, notamment la mise en place de l'euro, comporte le transfert à l'Union européenne d'un certain nombre de secteurs qui relevaient traditionnellement de la souveraineté nationale, particulièrement en matière de politique économique et monétaire, et influe de plus en plus sur les choix en matière fiscale et sociale. Cette intégration économique croissante produit des effets similaires, même sur des pays non membres de la zone euro ou de l'Union européenne. En temps de crise et de programmes d'austérité, l'on peut donc observer une diminution manifeste de l'autonomie nationale, ce qui signifie que des décisions politiques cruciales ne relèvent plus de processus démocratiques nationaux mais d'un niveau de décision bien plus éloigné du citoyen.
28. Le problème majeur de la gouvernance économique européenne est l'absence de responsabilité démocratique. La question fondamentale est de savoir comment les gouvernements des Etats membres peuvent se dire les uns les autres ce qu'il convient de faire, alors que certains d'entre eux ont été démocratiquement élus pour faire quelque chose d'autre. Dans ce contexte, il y a régulièrement des appels en faveur d'un gouvernement économique démocratique de la zone euro, qui avait été déjà été suggéré par certains dans les premières années de la construction monétaire. 
			(31) 
			Collignon,
Stefan, «Democratic Requirements for a European Economic Government»,
International Policy Analysis, Friedrich Ebert Stiftung (Fondation
Friedrich Ebert), décembre 2010, <a href='http://www.fes.de/'>www.fes.de</a>.
29. On a récemment pu observer que les processus de décision étaient compromis à plusieurs égards dans différents pays. Par exemple en Allemagne, pays d'origine du rapporteur, la Chancelière Angela Merkel a souligné en 2011 dans une déclaration à la presse concernant le Fonds de stabilité financière européen, qu'il fallait trouver les moyens de «concevoir une participation parlementaire attentive au marché en lui envoyant les signaux appropriés 
			(32) 
			«Pressestatements von
Bundeskanzlerin Angela Merkel und dem Ministerpräsidenten der Republik
Portugal, Pedro Passos Coelho» [communiqué de presse de la Chancelière
fédérale et du Premier ministre de la République portugaise], Berlin,
1er septembre 2011 (établi sur la base
du compte-rendu de la conférence de presse), <a href='http://www.bundesregierung.de/'>www.bundesregierung.de</a>.». En 2010, d’inquiétantes nouvelles provenaient déjà d'Espagne où le gouvernement avait proclamé l'état d'urgence en application de la loi militaire pour faire face à des grèves importantes de contrôleurs aériens qui réagissaient aux pressions exercées sur leur salaire et leurs conditions de travail, ainsi qu'à la volonté du gouvernement de privatiser certains aéroports 
			(33) 
			«Spanische Regierung
ruft Alarmzustand aus» [Le gouvernement espagnol proclame l’état
d’urgence], Welt Online, 4 décembre
2010, <a href='http://www.welt.de/'>www.welt.de</a>..
30. Pour le rapporteur, tout processus de décision concernant la crise actuelle devrait faire l'objet d'un contrôle parlementaire approfondi. Ce contrôle devrait également s’étendre aux agences de notation internationales. Un autre outil à envisager, lorsqu'il est opportun et prévu par la Constitution, pourrait être le référendum autorisant la participation directe des citoyens aux grandes décisions. Actuellement, ces mesures sont fortement contestées parmi les dirigeants européens. En avril 2011, les électeurs islandais ont rejeté le plan de remboursement de la dette qui avait été approuvé par le gouvernement et le parlement, dans le but de rembourser les 3 milliards exigés par le Royaume-Uni et les Pays-Bas depuis l’effondrement du système bancaire en 2008 
			(34) 
			«Icelandic
voters reject Icesave debt repayment plan», The
Guardian, 10 avril 2011, <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>.. A l'automne 2011, nombre d'entre eux ont été pris de court par l'annonce du Premier Ministre grec de tenir un référendum sur la proposition d'«annulation de la dette» et les mesures d'austérité en découlant 
			(35) 
			«Papandreou irritiert
Griechen mit Abstimmungsplan» [Papandreou irrite les Grecs avec
son projet de référendum], Spiegel Online, 1er novembre
2011, <a href='http://www.spiegel.de/'>www.spiegel.de</a>.; une mesure qui a été abandonnée par le Premier Ministre Papandréou lui-même peu de temps après au vu des critiques nationales et internationales. 
			(36) 
			«Doch kein Referendum
in Griechenland» [Pas de référendum en Grèce finalement], Frankfurter Allgemeine Zeitung,
3 novembre 2011, <a href='http://www.faz.net/'>www.faz.net</a>.
31. Néanmoins, la question des référendums est revenue à l’ordre du jour politique en février 2012, lorsque le Premier ministre irlandais Kenny a annoncé que l'Irlande, probablement le seul Etat européen, organiserait (en mai 2012) un référendum sur le nouveau traité budgétaire de l'Union européenne 
			(37) 
			«Ireland
referendum on EU pact to be held on 31 May», BBC
News Europe, 27 mars 2012, <a href='http://www.bbc.co.uk/'>www.bbc.co.uk</a>.. Selon des mouvements activistes comme Attac, qui portent un regard très critique sur les tendances néolibérales, le pacte budgétaire de l'Union européenne actuellement en discussion limiterait fortement l'un des principaux droits des parlements nationaux, la compétence budgétaire, afin d’en transférer une grande partie à la Commission européenne. Dans une lettre ouverte aux membres du Bundestag allemand, Attac a donc invité les députés à refuser d’emblée ce traité en première lecture, le 25 mars 2012 
			(38) 
			Lettre ouverte d’Attac
Allemagne à tous les membres du Bundestag, 23 mars 2012..
32. Le rapporteur soutient pleinement la voie choisie par des pays comme l'Irlande, étant donné que, selon certains experts juridiques, le processus de pacte budgétaire contourne actuellement les procédures légales qui auraient garanti la participation et l'acceptation des parlements nationaux ainsi que du Parlement européen. 
			(39) 
			«Irish referendum crucial
to challenge EU austerity treaty», Transnational Institute, mars
2012, <a href='http://www.tni.org/'>www.tni.org</a>.Il attire l'attention sur la façon dont les processus démocratiques traditionnels sont menacés par des processus de prise de décision rapide justifiés par l'urgence de la «crise de la dette souveraine» et se prononce vivement contre tout ce qui pourrait compromettre l'acquis démocratique en Europe. Une tentative visant à préserver les processus démocratiques traditionnels est actuellement en cours (printemps 2012) dans le pays même du rapporteur, l'Allemagne, où le Bundestag étudie la possibilité de garantir sa participation dans des décisions liées au mécanisme ESM et au pacte budgétaire européen à travers une loi spéciale de participation au pacte budgétaire (Fiskalpakt-Beteiligungsgesetz (FBG) 
			(40) 
			Deutscher Bundestag
[Parlement allemand], «Vorschläge für Begleitgesetze zum ESM-Vertrag
sowie zum Fiskalpakt im Ältestenrat vorgestellt» [Propositions de
lois d’accompagnement au contrat ESM et au pacte budgétaire présentées
au Conseil des anciens], communiqué de presse, 22 mars 2012, <a href='http://www.bundestag.de/'>www.bundestag.de</a>..
33. Il n’y a guère d'instruments contraignants sur les normes démocratiques au niveau du Conseil de l’Europe, mais la Stratégie pour l'innovation et la bonne gouvernance au niveau local élaborée en 2007 et approuvée la même année par la Conférence des ministres responsables des collectivités locales et régionales pourrait se révéler utile. Cette stratégie comporte 12 principes universels relatifs à la «bonne gouvernance démocratique» – participation, transparence, conduite éthique et orientation sur le long terme – qui pourraient être utiles à toute démocratie moderne.

3.3. Effets sur la garantie des normes relatives aux droits humains, y compris sur les normes relatives aux droits sociaux, dans la «Grande Europe»

34. L'analyse de diverses situations nationales révèle que le respect des normes relatives aux droits sociaux est gravement compromis dans certains des pays concernés. En effet, les mesures d'austérité visent souvent les services et programmes publics sociaux, ce qui tend ainsi à avoir des répercussions sur les personnes dépendantes de l'aide sociale ou désavantagées, notamment du point de vue de l’accès à des services plus onéreux comme les assurances complémentaires santé.
35. Des études récentes ont montré que la crise financière et économique touchait disproportionnellement les femmes. Tout d'abord, dans la mesure où elles ne participent pas au processus de décision dans des conditions d'égalité, elles ne peuvent s'affirmer et faire valoir leurs propres priorités politiques. Ensuite, pour ce qui est des réformes touchant aux impôts et aux prestations, un rapport de l'Institut des études fiscales du Royaume-Uni a montré que les femmes étaient plus souvent touchées que les hommes. C’était en particulier le cas des mères célibataires qui perdent davantage que les hommes en termes de pourcentage de revenus, ce qui s’explique surtout par le fait que 90 % des parents seuls sont des femmes et que les parents seuls forment un groupe qui a beaucoup perdu en raison des changements fiscaux et en matière de prestations 
			(41) 
			Browne, James, «How
could the government perform a gender impact assessment of tax and
benefit changes?», Observations: reflections on current events,
Institute for fiscal studies, Londres, juin 2011, <a href='http://www.ifs.org.uk/'>www.ifs.org.uk</a>.. Enfin, les femmes subissent également les conséquences négatives d'autres coupes dans les services sociaux, notamment les allocations familiales et les garderies d’enfants, ce qui affecte de manière disproportionnée les mères célibataires et les femmes ayant de faibles revenus.
36. Un autre rapport de l'Institut d’études fiscales, commandé par l'Institut de la famille et de l'éducation (Family and Parenting Institute), montre que beaucoup de familles souffrent particulièrement des programmes d’austérité. En effet, une fois encore, l’on prévoit qu’au Royaume-Uni, les revenus des foyers avec enfants accuseront une baisse de 4,2 % en termes réels entre 2010-11 et 2015-16. Quant aux familles avec trois enfants, leurs revenus chuteront de 6,8 % d'ici à 2015-16, contre 3,3 % pour les familles avec enfant unique. Ainsi, les experts prévoient que plus de 500 000 enfants basculeront dans la pauvreté absolue entre 2010-11 et 2015-16, la plupart d'entre eux étant issus de foyers où l'enfant le plus jeune est âgé de moins de cinq ans 
			(42) 
			«UK Recession: Families
‘Shouldering Austerity Burden’ says Institute for Fiscal Studies», TheHuffington
Post, United Kingdom, 4 janvier 2012, <a href='http://www.huffingtonpost.co.uk/'>www.huffingtonpost.co.uk</a>..
37. La Charte européenne sociale révisée est l'instrument juridiquement contraignant le plus important au niveau européen; elle assure une protection complète des droits sociaux et comporte notamment des dispositions relatives à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale (article 30), ainsi qu’au droit au logement (article 31). Plusieurs pays n'ont toutefois pas encore ratifié cet instrument révisé. Parmi eux, figurent notamment certains Etats qui ont appliqué des politiques d'austérité en matière de finances publiques et continuent dans cette voie, comme l'Allemagne, la Grèce, l'Espagne ou le Royaume-Uni. Face à la persistance de ces politiques d'austérité, ces pays devraient continuer d'être exhortés à ratifier la Charte révisée et à respecter des règles minima en matière de droits sociaux dans le cadre de toute décision prise pour faire face a la crise. En outre, la situation spécifique des groupes ayant besoin d'une protection particulière comme les parents seuls, les personnes âgées ou les enfants, appelle une attention spéciale.
38. Au niveau européen, ces données ont été confirmées par une étude de l'OCDE datant de 2011, qui fait le bilan des tendances et inégalités en matière de revenus à travers l'Europe, présentée à la commission en mars 2012 par Mme Monika Queisser, Chef de la division de la politique sociale, de l'OCDE. 
			(43) 
			OECD, «Divided we stand:
why inequality keeps rising», Paris, 2011, <a href='http://www.oecd.org/'>www.oecd.org</a>.S'agissant de la «crise de la dette souveraine», elle a souligné que, si les réponses initiales à la crise posaient généralement la question de la protection sociale, la réforme des retraites et les réductions des niveaux des retraites ont fini par creuser l'écart entre les revenus, affectant principalement les pauvres. Elle a estimé que les systèmes d’imposition actuels pouvaient être améliorés en rendant les impôts plus progressifs, à savoir en augmentant le poids relatif de l’imposition pour les hauts revenus.
39. Plus récemment, des experts, tels que Cephas Lumina, expert indépendant des Nations Unies sur la dette extérieure et les droits de l'homme, ont souligné les graves répercussions sociales des politiques d'austérité. Pour l’intéressé, «la mise en œuvre du second cycle de mesures d'austérité et de réformes structurelles, qui prévoit notamment la privatisation massive d'entreprises et d'avoirs publics, est susceptible d'avoir des conséquences graves pour les services sociaux élémentaires et, de ce fait, sur l'exercice des droits humains par la population grecque, en particulier les groupes les plus vulnérables de la population comme les pauvres, les personnes âgées, les personnes sans emploi et les personnes handicapées 
			(44) 
			«Greek
austerity measures could violate human rights, UN expert says»,
Centre d'actualités de l'ONU, 30 juin 2011, <a href='http://www.un.org/'>www.un.org</a>.».
40. Le présent rapport ne développera pas les situations nationales spécifiques, mais la consultation de diverses sources a montré qu’au-delà des Etats membres de la zone euro et de l'Union européenne, de nombreux Etats membres de la «Grande Europe» unis au sein du Conseil de l'Europe ont d'une certaine manière été affectés par la récente crise financière et économique, et qu'ils sont également touchés par la «crise de la dette souveraine» en cours, d'une manière ou d'une autre. Pour l'Ukraine, par exemple, on a récemment estimé que la croissance économique risquait de ralentir cette année et pourrait même fortement ralentir si les prix des matières premières chutaient en conséquence de la récession dans la zone euro.
41. Même les pays qui n'appartiennent pas à cette zone y sont donc étroitement liés du point de vue de leur développement économique 
			(45) 
			Bozadzhieva, Martina,
«Austerity Measures, Weakening Growth in Central and Eastern Europe
in 2012», Emerging Markets Insight, un blog de Frontier Strategy
Group, 7 février 2012, <a href='http://blog.frontierstrategygroup.com/'>http://blog.frontierstrategygroup.com</a>.. Les effets de la crise financière et économique ont également été confirmés par le Rapport mondial sur les salaires 2010/2011 de l'OIT, qui a montré que les effets les plus importants de la crise financière et économique mondiale sur les salaires pouvaient être observés en Europe centrale et orientale et en Asie centrale 
			(46) 
			Bureau
international du travail, «Rapport mondial sur les salaires 2010/2011.
Politiques salariales en temps de crise», Genève 2011, <a href='http://www.ilo.org/'>www.ilo.org</a>.. Pour cette raison, tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient renforcer leur consultation et coopération afin de promouvoir le progrès économique et social, du fait non seulement que chacun d’eux peut apprendre des bonnes pratiques des autres, mais aussi que les situations sont fortement corrélées. A noter par ailleurs un aspect qui, s’il n'est pas du tout abordé dans le présent rapport, n’en est pas moins une source de préoccupation croissante pour le futur de l'Europe: celui de la migration intra-européenne, qui, à défaut de réponses politiques spécifiques, laissera à la traîne le développement et la croissance de pays tout entiers 
			(47) 
			Berger,
Jens, «Demographische Folgen der Eurokrise» [conséquences démocratiques
de la crise de l’euro], NachDenkSeiten – Die kritische Website,
26 avril 2012, <a href='http://www.nachdenkseiten.de/'>www.nachdenkseiten.de</a>..

3.4. Images de la crise et des politiques d'austérité «sur le terrain»

42. Les échanges de vues menés avec des représentants d’ONG de certains des pays les plus concernés ont permis à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de se faire une idée de la manière dont la crise financière et économique a changé ou a continué de changer la vie quotidienne sur le terrain. Concernant l'Espagne, par exemple, Mme Rebeca Mayorga Fernández, journaliste dans l'audiovisuel et étudiante à Madrid, une des premières à avoir rejoint le mouvement espagnol dit des Indignés, a donné des éléments d’information sur la situation économique dans laquelle se trouvent la plupart de ceux qui appartiennent à sa génération, y compris elle-même. Elle a expliqué que des jeunes hautement qualifiés ne pouvaient pas trouver d'emploi permanent et qu’ils étaient contraints d'aller d'emploi précaire en emploi précaire, de poursuivre leurs études aux frais de leurs parents, de demander directement l'aide sociale ou de quitter le pays pour travailler à l'étranger lorsqu'ils étaient suffisamment diplômés (et fortunés) pour pouvoir le faire. Pour accroître encore la flexibilité des marchés du travail, les gouvernements continuaient de servir les intérêts financiers, les principaux intéressés étant complètement écartés des processus de décision.
43. Le point de vue des Indignés a été confirmé par M. Luca Scarpiello, Vice-Président du Forum européen de la jeunesse, qui, en mars 2012, a fait remarquer à la commission combien il était important de faciliter en particulier le moment de la transition entre la formation et l'emploi pour les jeunes et d'éviter que leurs futures carrières ne soient marquées par des années passées dans des stages au début de leur vie professionnelle. Il a également rappelé que l'absence de soutien aux jeunes affecte profondément la société à long terme: le Forum a estimé que les pertes financières liées au chômage des jeunes – en termes d’allocations sociales qui leur sont versées, de leur non-contribution au système de la sécurité sociale ou de l'exclusion de la consommation –représentaient 100 milliards d’euros par an rien que dans les pays de l'Union européenne. Par la même occasion, Mme Madi Sharma, chef d’entreprises britannique représentant le Comité européen économique et social (CEES) de l'Union européenne, a rappelé aux élus l'importance de développer l'esprit d'entreprise, précisant qu'environ 98 % de la croissance était générée par les petites et moyennes entreprises, qui n'étaient ni suffisamment prises au sérieux par de nombreuses banques, ni suffisamment impliquées dans les premiers stades de l'élaboration des politiques.
44. Aux renseignements sur l'Espagne s’ajoute un rapport analogue sur la Grèce, établi par Mme Sonia Mitralia, représentante de l'Initiative du mouvement des femmes contre la dette et les mesures d'austérité (partie intégrante de la Commission pour l'annulation de la dette des pays du tiers-monde – ADTM et son réseau). Selon elle, les dirigeants grecs reconnaissaient, pendant la même période, qu’il fallait s’attendre à ce que les «recettes» appliquées soient largement inefficaces: l'objectif actuel des mesures d'austérité était d'atteindre un niveau de dette publique de 120 % du PIB en 2020, c'est-à-dire le même niveau qu’en 2009 lorsque la crise a commencé. Les coupes sociales opérées au moyen des politiques d'austérité avaient touché les classes moyennes de manière croissante, de sorte qu’elles avaient perdu l'essentiel de leur pouvoir d'achat. Il en résultait notamment que beaucoup d’enfants n'étaient pas nourris dans les cantines scolaires, que le nombre de sans-abris augmentait, que le taux de chômage global atteignait 20 %, et plus de 50 % pour les jeunes, que des services publics étaient supprimés et que des services médicaux élémentaires, comme ceux qui sont liés à la maternité, étaient devenus inabordables pour certains. Les jeunes femmes, les personnes âgées, et les familles monoparentales comptaient parmi les groupes de population les plus touchés.
45. La presse européenne offre presque quotidiennement d'autres exemples de ces répercussions négatives: pas plus tard qu'à la fin janvier, le Ministre grec de l'éducation à annoncé que les bourses alimentaires seraient remises aux élèves les plus durement touchés par la crise, et à leurs familles, après que des reportages ont été faits sur des élèves sous-alimentés victimes de malaises pendant les classes (reportages à propos desquels le ministre a reproché aux syndicats d'enseignants d'avoir diffusé de la propagande populiste contre les mesures d'austérité prises par l'Etat) 
			(48) 
			«Lebensmittelcoupons
für griechische Kinder» [«Bons alimentaires pour les enfants grecs»], DieTageszeitung
junge Welt (Source AFP), 12 mars 2012, <a href='http://www.jungewelt.de/'>www.jungewelt.de</a>.. «Les suicides enregistrés ont presque doublé depuis avant la crise (…) selon le ministère de la santé grecque et une œuvre de bienfaisance appelée Kimaam» en septembre 2011 
			(49) 
			Walker, Markus: Greek
Crisis Exacts the Cruelest Toll, The
Wall Street Journal, 20 septembre 2011, <a href='http://online.wsj.com/'>http://online.wsj.com</a>.. Leur lien avec la crise économique, sociale et politique devient visible à travers le suicide tragique d’un pharmacien grec à la retraite qui a exprimé dans sa lettre d’adieu sa vision d’un gouvernement d’occupation qui l’a empêché de survivre avec une pension décente.

4. Conclusions et recommandations

46. Le rapporteur est convaincu que les politiques financières et économiques, les mesures d'austérité et la question de la réglementation du secteur de la finance ont une incidence croissante sur les droits humains (y compris les droits sociaux) en Europe, ainsi que sur le fondement même de la démocratie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Le rapporteur invite par conséquent l'Assemblée à leur envoyer un message fort.
47. La Charte sociale européenne révisée est un texte important qu’un certain nombre d'Etats membres n’ont pas encore ratifié. Il existe peu de normes contraignantes en matière de démocratie à l'échelon européen. En outre, la Stratégie pour l'innovation et la bonne gouvernance au niveau local, et ses 12 principes sur la bonne gouvernance démocratique, élaborée par le Conseil de l'Europe en 2007, pourrait certainement, au-delà de la démocratie locale, servir de base générale à toute démocratie moderne.
48. Nombre des décisions qui ont été prises récemment concernant la «crise de la dette souveraine» ou qui devraient l’être dans un futur proche ne répondent pas aux normes démocratiques les plus élevées, car elles sont, sous prétexte de la nécessité d’agir dans l’urgence, prises rapidement par des institutions qui manquent de légitimité démocratique et agissent loin des préoccupations des populations européennes. Les voix critiques qui ont tenté de s’élever dans le cadre de référendums ou de mouvements de protestation sont très souvent ignorées, dénigrées ou écartées. La prise de conscience sur ces menaces qui pèsent sur la démocratie devrait être soulevée à chaque occasion possible et les normes démocratiques européennes, qui font partie des valeurs européennes fondamentales, devraient être protégées et même développées, aspirant à des normes supérieures plus modernes de démocratie, d’inclusion et de participation.
49. D'un point de vue économique, les coupes dans les dépenses publiques, la sécurité sociale ou les salaires ne sont pas efficaces contre la crise actuelle parce qu’elles touchent en particulier ceux qui perçoivent les plus bas salaires, ce qui ne fait que limiter encore davantage leur pouvoir d'achat et leurs moyens de subvenir à leurs besoins par eux-mêmes. Au lieu d’essayer d’atteindre des budgets équilibrés par le biais des réductions de dépenses publiques, il sera nécessaire de viser les groupes sociaux les plus riches par une augmentation des impôts auxquels ils sont soumis et par une introduction de nouvelles taxes. Ces mesures n’ont que des conséquences limitées pour les dépenses privées et ont par conséquent des «effets multiplicateurs» plus élevés.
50. Le rapporteur est convaincu que, au lieu d’améliorer la situation, les plans de sauvetage qui ont été ou sont mis en œuvre en Europe ont aggravé la crise et qu’ils ne rendent pas suffisamment responsables ceux qui en sont à l'origine, comme, entre autres, les institutions financières mondiales. Il convient de bien distinguer la question des finances publiques sur le long terme de celle des marchés financiers privés et leurs dynamiques spécifiques et intérêts à court terme. Par ailleurs, le rapporteur soutient vivement l’idée de renforcer la réglementation du secteur financier telle qu’elle est actuellement discutée au niveau de l’Union européenne, où un débat a été lancé par le Commissaire européen pour le marché intérieur et les services, M. Michel Barnier, qui a fait très récemment des propositions pour limiter les risques des services financiers et réglementer le secteur financier en Europe, notamment ledit marché bancaire parallèle 
			(50) 
			Parlement européen:
«M. Barnier compte sur le Parlement pour soutenir la réglementation
du secteur financier», communiqué de presse de la Commission des
affaires économiques et monétaires, 21 mars 2012, <a href='http://www.europarl.europa.eu/'>www.europarl.europa.eu</a>; Commission européenne, Livre vert sur le système bancaire
parallèle, 19 mars 2012, Com(2012)102final, <a href='http://ec.europa.eu/'>http://ec.europa.eu</a>..
51. Lorsque des politiques visant à réduire des déficits budgétaires sont jugées nécessaires, il faut veiller à ce qu'elles n’affectent pas de manière disproportionnée les classes moyennes et les classes à faibles revenus, ainsi que les groupes de population ayant besoin d'une protection spéciale (enfants, personnes âgées, personnes handicapées, migrants, etc.), ou ne réduisent pas leur niveau de vie. On devrait plutôt envisager des coupes dans les lignes budgétaires dont les conséquences seraient limitées, comme les politiques d’armement. Enfin, les conséquences à long terme de certaines mesures de consolidation doivent être prises en compte: certains programmes d’austérité incluent la privatisation massive des services publics, ce qui pourrait ensuite aboutir à un manque de transparence et de contrôle démocratique, ainsi qu’à une menace pour la qualité et l’égalité d’accès à certains de ces services, comme les services de santé ou les services à la famille.
52. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient aussi adopter des mesures de relance favorables à un développement économique sociale, durable et écologique, ainsi que des programmes favorisant une reprise économique globale, notamment en faveur des jeunes générations qui ont de plus en plus de mal à accéder à des emplois stables et à contribuer à l’économie européenne de manière durable.
53. A la lumière de ces conclusions, le rapporteur suggère que l'Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l'Europe:
  • d'empêcher de porter atteinte aux normes démocratiques existantes lors de la prise de décisions liées à la «crise de la dette souveraine» et lors d’éventuelles actions communes européennes;
  • de réfléchir à la manière dont ces processus pourraient être rendus plus démocratiques à l’avenir, en tenant également compte de l’élaboration des futures politiques économiques au niveau européen, et, en attendant, agir avec la plus grande transparence lorsqu’on prend des décisions de vaste portée qui affectent profondément l’économie d’un pays;
  • d'envisager des mesures visant à moderniser les structures et processus démocratiques moyennant de nouvelles formes de participation et de consultation des citoyens, comme les référendums, lorsque la Constitution ou la législation prévoient ces possibilités;
  • de réexaminer les programmes d'austérité actuels en tenant compte du fait qu’ils peuvent être préjudiciables au respect des normes relatives aux droits sociaux;
  • de réorienter, le cas échéant après cet examen, les programmes d'austérité vers une croissance économique durable en conformité avec les normes sociales et écologiques;
  • de lancer de vastes programmes de relance économique positifs visant à lutter contre les forts taux de chômage, notamment chez les jeunes, et toutes leurs conséquences économiques et sociales négatives;
  • de distinguer la question des finances publiques sur le long terme de celle des marchés financiers et leurs dynamiques spécifiques et intérêts à court terme;
  • de poursuivre et soutenir les efforts entrepris pour renforcer la réglementation du secteur financier;
  • de soumettre les revenus élevés à de nouveaux impôts et envisager des mesures complémentaires destinées à accroître les ressources publiques à l’avenir;
  • d'envisager d'appliquer une approche plus stricte en matière de paradis fiscaux et d'introduire de nouveaux impôts sur les transactions financières à travers l'Europe; ces deux aspects ne sont pas développés davantage ici étant donné que le premier a été traité de manière approfondie dans un rapport débattu par l'Assemblée en avril 2012 
			(51) 
			Voir Doc. 12894 et Résolution
1881 (2012)., et que le dernier sera traité dans le cadre d'un rapport préparé actuellement par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable.
54. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient, de manière générale, coordonner leur action pour faire face à la crise actuelle, de sorte que les réponses politiques qui y sont apportées soient cohérentes et efficaces. La mutualisation des dettes et les négociations conjointes avec les institutions financières par les différents Etats membres de l’Union européenne est une approche possible. Ces mesures devraient toutefois être prises dans un contexte d’expansion de la démocratie jusqu’aux niveaux européens, dans la mesure où elles peuvent autrement se solder par une nouvelle atteinte à l'autonomie des gouvernements en matière de réponse à la crise et d'élaboration des politiques économiques.
55. Au-delà des mesures individuelles de ce type, des réponses politiques coordonnées pourraient peut-être, sur le long terme, favoriser l’émergence d’une vision renouvelée de l’avenir économique européen et d’un nouveau modèle social européen fondé sur les droits sociaux en tant que partie intégrante des droits humains.
56. L’Assemblée parlementaire, forum parlementaire et «conscience démocratique» de la Grande Europe, devrait lancer un appel aux Etats membres afin qu’ils respectent les droits de participation de tous les organes et mouvements démocratiques existant dans un pays donné, en particulier les parlements nationaux, et qu'ils recherchent de nouveaux moyens permettant aux citoyens de faire entendre leur voix dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures de politique fiscale et économique dont l’incidence sur les conditions de vie de la population est significative.