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Résolution 1922 (2013) Version finale

La traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 janvier 2013 (9e séance) (voir Doc. 13086, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Groth; et Doc. 13108, avis de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Mattila). Texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier 2013 (9e séance).Voir également la Recommandation 2011 (2013).

1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par l’ampleur de la traite des êtres humains. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), au moins 20,9 millions de personnes dans le monde – 3 sur 1 000 – sont réduites à un travail forcé dans le monde et 44 % d’entre elles (9,1 millions) sont des victimes de la traite. La traite des êtres humains peut être considérée comme l’activité criminelle organisée qui se développe le plus vite et qui est la source de profit la plus importante provenant de la criminalité transnationale. La quasi-totalité des pays seraient touchés, que ce soit en tant que pays d’origine, de transit et/ou de destination.
2. Il importe non seulement de mettre l’accent sur la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi d’appréhender la dimension plus large du problème que constitue la traite à des fins de travail forcé, qui touche l’«industrie du sexe», le secteur agricole, le bâtiment, l’industrie textile, l’hôtellerie et la restauration, l’industrie manufacturière, l’esclavage et la servitude domestiques (y compris dans des ménages de diplomates), la mendicité et le vol à la tire forcés, et le trafic d’organes.
3. Interpol estime que les autorités n’ont connaissance que de 5 à 10 % des cas et que la proportion des victimes de la traite qui sont identifiées est encore plus faible. Les migrants en situation irrégulière, les personnes déplacées de force et d’autres catégories comme les Roms sont particulièrement exposés à la traite, y compris à des fins de travail forcé. Les femmes et les jeunes filles sont les victimes les plus nombreuses, et 90 % des victimes sont exploitées dans le secteur privé.
4. Cette activité criminelle qui présente peu de risques pour une rentabilité élevée attire à tous les niveaux des réseaux criminels et des individus qui profitent des lacunes des politiques nationales concernant les migrants et l’emploi. L’Assemblée est préoccupée de constater que les auteurs de la traite et les utilisateurs finaux de ce type d’exploitation sont rarement identifiés et traduits en justice. Peu d’affaires donnent lieu à des poursuites en tant que cas de traite.
5. Les autorités considèrent en général que les affaires de traite à des fins de travail forcé ayant des migrants comme victimes relèvent du trafic illicite et de la violation du droit national de l’immigration ou de celui du travail. Cette approche erronée, qui place les victimes en position de criminels, se trompe de cible et fait obstacle à une lutte efficace contre les trafiquants et la traite.
6. L’Assemblée reconnaît qu’il est essentiel de s’attaquer aux racines de la traite à des fins de travail forcé, notamment la réduction de la pauvreté et la création d’emplois dans les pays d’origine des victimes de la traite. Elle souligne aussi l’importance de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’encouragement de l’autonomie des victimes potentielles, en particulier des femmes et des jeunes filles. De plus, il est nécessaire de sensibiliser davantage aux risques de traite à des fins de travail forcé et de faciliter la réintégration effective des victimes au sein de la société.
7. L’Assemblée est parfaitement consciente de l’importance de renforcer la coopération et le partage d’informations, y compris les bonnes pratiques, entre l’ensemble des acteurs de la lutte contre la traite. Ces acteurs comprennent les autorités nationales des pays d’origine, de transit et de destination, les juges, les procureurs, les inspecteurs du travail, les forces de police, les gardes-frontière, les autorités fiscales, les services de santé, les représentants de la société civile y compris les organisations non gouvernementales (ONG), le tiers secteur et les syndicats.
8. En conséquence, l’Assemblée recommande aux Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, et aux partenaires de la démocratie:
8.1. de lutter contre le phénomène de traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé, en tenant compte de la vulnérabilité particulière de ces personnes, par les mesures suivantes:
8.1.1. mettre en place un cadre juridique solide afin de poursuivre les utilisateurs finaux et les auteurs de la traite, y compris les ménages privés, et veiller à qualifier d’infraction pénale toutes les formes de travail forcé;
8.1.2. désigner un rapporteur national indépendant sur la traite des êtres humains, chargé de suivre et d'adresser au gouvernement et au parlement des rapports périodiques sur la situation dans le pays;
8.1.3. encourager des inspections régulières et coordonnées dans les secteurs à risque par les organisations responsables de la régulation de l’emploi, de la santé et de la sécurité, inciter les travailleurs à s’organiser et associer également les agences pour l’emploi aux mesures prises pour lutter contre la traite des êtres humains;
8.1.4. renforcer le rôle des inspecteurs du travail et affecter des ressources humaines et financières suffisantes pour leur permettre de réguler effectivement l’emploi, notamment le travail domestique et le fonctionnement des entreprises et des lieux de travail informels, où les pratiques de travail forcé prédominent;
8.1.5. prendre des mesures pour décourager la demande de services de personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé, en particulier dans les travaux domestiques et dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de la construction, de l’hôtellerie, des soins et du nettoyage;
8.1.6. combattre la corruption des fonctionnaires impliqués dans des infractions liées à la traite;
8.1.7. adopter des plans d'action contre la traite des êtres humains et travailler en étroite coopération avec les parlements à l'élaboration de ces plans, à leur mise en œuvre et au suivi de cette mise en œuvre;
8.1.8. veiller à ce que les professionnels compétents, y compris les juges et les procureurs, les inspecteurs du travail, les fonctionnaires de police, les gardes-frontières, les agents des services d’immigration, le personnel qui travaille dans les centres de rétention d’immigrés, les fonctionnaires territoriaux, le personnel diplomatique et consulaire, les professionnels de santé et les travailleurs sociaux reçoivent une formation complète et multidisciplinaire afin de repérer les victimes de la traite à des fins de travail forcé, de les assister et de les protéger conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197);
8.1.9. ratifier et appliquer, si ce n’est pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et la Convention de l’Organisation internationale du travail concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques;
8.1.10. doter le Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) de ressources humaines et financières suffisantes, et assurer l'indépendance des experts nommés;
8.2. de revoir leurs politiques en matière d’immigration et de retour pour les aligner sur les recommandations du GRETA afin de s’assurer que les personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé sont traitées d’abord comme des victimes qui ont besoin d’être protégées plutôt que comme des personnes ayant violé le contrôle des migrations, en prenant les mesures suivantes:
8.2.1. préciser clairement les canaux de migration régulière et diffuser des informations précises sur les conditions qui permettent d’entrer et de séjourner régulièrement dans le pays;
8.2.2. intensifier les efforts pour identifier les victimes potentielles de la traite, y compris aux frontières et dans les centres de rétention, en donnant accès aux organes de contrôle et aux organisations spécialisées, y compris les ONG;
8.2.3. faire en sorte que les victimes potentielles de la traite ne soient pas punies pour des infractions liées à l’immigration au cours de la procédure d’identification;
8.2.4. faciliter la délivrance aux migrants victimes de la traite de permis de séjour temporaires et renouvelables pour des motifs humanitaires, si possible associés à des permis de travail;
8.2.5. garantir le droit des travailleurs domestiques migrants à un statut d’immigré, indépendamment de tout employeur;
8.2.6. garantir effectivement aux victimes de la traite une période de rétablissement et de réflexion d’au moins trente jours pour leur permettre d’être à nouveau en pleine possession de leurs moyens et d’échapper à l’influence des trafiquants;
8.2.7. assurer aux victimes l’accès aux tribunaux et leur garantir un accès effectif à l’aide juridictionnelle et aux services d’interprétation;
8.2.8. offrir une protection effective aux victimes qui participent aux procédures pénales;
8.2.9. considérer les mesures spéciales pour le retour des victimes de la traite comme faisant partie intégrante d’une politique de lutte contre la traite, en garantissant leurs droits, leur sécurité, leur dignité et leur protection contre la possibilité de redevenir une nouvelle fois des victimes de la traite en cas de retour ou de réadmission, et en recourant à des programmes de retours volontaires assistés.