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Rapport | Doc. 13215 | 28 mai 2013

Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Liliane MAURY PASQUIER, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.12444, Renvoi 3739 du 24 janvier 2011. 2013 - Troisième partie de session

Résumé

Les stérilisations et les castrations imposées irréversibles constituent de graves violations des droits de le personne et de la dignité humaine et ne peuvent être acceptées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Il y a eu fort peu de cas de stérilisations forcées pratiquées dans les Etats membres dans le passé le plus récent: la plupart concernent des personnes handicapées, ainsi qu’un nombre certes réduit mais significatif de stérilisations et de castrations «imposées» visant avant tout les personnes transgenres, les femmes Roms et les délinquants sexuels condamnés. Il faut qu’elles cessent.

L’Assemblée parlementaire devrait donc inviter les Etats membres à réviser si nécessaire leur législation et leurs politiques pour faire en sorte que nul ne soit contraint de subir de quelque manière et pour quelque motif que ce soit une stérilisation ou une castration; à faire en sorte qu’une réparation appropriée soit prévue pour les victimes de stérilisation ou de castration imposées récentes (et futures); à présenter des excuses officielles et à offrir une indemnisation financière au moins symbolique aux survivants qui ont été victimes de programmes de stérilisations ou de castrations imposées; et à œuvrer pour éliminer les préjugés, les stéréotypes, l’ignorance et les attitudes paternalistes qui ont des effets négatifs sur la capacité du personnel médical à dispenser des soins aux personnes vulnérables reposant sur des données factuelles en respectant leur consentement libre et éclairée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 avril
2013.

(open)
1. Les stérilisations et les castrations imposées irréversibles constituent de graves violations des droits humains et de la dignité humaine et ne peuvent être acceptées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
2. Il ne va pas de soi de définir l’élément de coercition dans les stérilisations et les castrations, car celles-ci supposaient historiquement le recours à la force ou à des interventions pratiquées sans que la victime en ait connaissance ou sans qu’elle ait l’occasion de donner son consentement. La notion de «coercition» est en train d’évoluer dans le droit relatif aux droits de la personne, en partant de la définition de l’absence de consentement libre et éclairé. C’est pourquoi, même lorsqu’il est ostensiblement donné – y compris par écrit – le consentement n’est pas valide si la victime a fait l’objet de désinformation, d’intimidations ou de manipulations au moyen d’incitations financières ou autres. De nouveaux concepts comme «stérilisation imposée sous contrainte affective» et «pressions portant atteinte à l’autonomie du patient» sont en train d’apparaître. Certains de ces concepts vont jusqu’à considérer la coercition comme l’absence de liberté face à tout biais introduit consciemment ou non par des soignants et l’inégalité de pouvoir dans les rapports entre patient et soignant qui peut affecter la liberté de prendre des décisions, par exemple chez les personnes qui ne sont pas accoutumées à l’idée de s’opposer à des personnes en position d’autorité.
3. Au cours de la première moitié du XXe siècle, un nombre considérable d’Etats européens – et pas seulement l’Allemagne nazie – ont lancé des programmes souvent massifs de stérilisation et de castration imposées de nature eugénique, dont certaines des victimes sont encore en vie. Cinq groupes de personnes ont été particulièrement ciblés: les femmes roms, les délinquants sexuels condamnés, les personnes transgenres, les personnes handicapées et les personnes marginalisées, stigmatisées ou considérées comme incapable de se prendre en charge.
4. Fort peu de stérilisations pratiquées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe aujourd’hui et dans un passé très récent, et pratiquement aucune castration, peuvent être qualifiées clairement de «forcées» (forced): la plupart concernent des personnes handicapées. Cependant, un nombre certes réduit, mais significatif de stérilisations et de castrations ont été «imposées» (coerced), cet adjectif ayant reçu de multiples définitions. Elles ont visé avant tout les personnes transgenres, les femmes roms et les délinquants sexuels condamnés. Les stérilisations et castrations forcées ou imposées ne peuvent se justifier d’aucune manière au XXIe siècle: il faut qu’elles cessent.
5. L’Assemblée parlementaire estime qu’il faut mettre en place de solides garde-fous contre tout abus futur, y compris en menant des actions de prévention pour faire évoluer les mentalités: il convient de combattre les stéréotypes et les préjugés à l’encontre de ceux qui paraissent différents. Il importe aussi de combattre les attitudes paternalistes au sein du corps médical qui facilitent de tels abus.
6. L’Assemblée estime aussi qu’il faut assurer une réparation appropriée aux victimes de stérilisation et de castration imposées quelles qu’elles soient et quelle que soit la date à laquelle les abus se sont produits. Dans les cas récents, cela implique la protection et la réhabilitation des victimes et la poursuite des auteurs de ces actes. Cependant, dans tous les cas, aussi rares, individuels ou historiques soient-ils, il convient de faire des excuses officielles et d’accorder une indemnisation au moins symbolique.
7. L’Assemblée invite donc les Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à réviser si nécessaire leur législation et leurs politiques pour faire en sorte que nul ne soit contraint de subir de quelque manière et pour quelque motif que ce soit une stérilisation ou une castration;
7.2. à faire en sorte qu’une réparation appropriée soit prévue pour les victimes de stérilisation ou de castration imposées récentes (et futures), y compris la protection et la réhabilitation des victimes, la poursuite des auteurs de ces actes et une indemnisation financière qui soit proportionnée à la gravité des violations des droits de la personne subies;
7.3. à présenter des excuses officielles et à offrir une indemnisation financière au moins symbolique aux survivants qui ont été victimes de programmes de stérilisations ou de castrations imposées;
7.4. à œuvrer pour éliminer les préjugés, les stéréotypes, l’ignorance et les attitudes paternalistes qui ont des effets négatifs sur la capacité du personnel médical à dispenser des soins reposant sur des données factuelles en respectant le consentement libre et éclairée des personnes vulnérables, y compris par des campagnes de sensibilisation et l’éducation aux droits de la personne.
8. L’Assemblée encourage le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à continuer de suivre la question des stérilisations et des castrations imposées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

B. Exposé des motifs, par Mme Maury Pasquier, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. J'aimerais commencer cet exposé des motifs par une citation du premier paragraphe de la proposition de résolution 
			(2) 
			Doc. 12444. à l'origine du présent rapport parce qu'elle résume, à mon sens, la position que le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire devraient adopter sur le problème: «Les stérilisations et castrations forcées non réversibles constituent de graves violations des droits de l'homme et de la dignité humaine. Elles sont inacceptables dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.»
2. La commission des questions sociales, de la santé et de la famille avait été chargée à l’origine d'élaborer un rapport sur ce sujet sur la base de la proposition présentée par moi-même et par 21 collègues. Réunie à Paris le 16 septembre 2011, la commission a organisé une audition au cours de laquelle elle a entendu les expert(e)s suivant(e)s (ainsi qu'une victime de mon propre pays) 
			(3) 
			Le procès-verbal de
l’audition est consigné dans le document AS/Soc (2011) PV 6 add,
disponible auprès du secrétariat de la commission. :
  • Mme Gwendolyn Albert, activiste au sein d’une organisation non gouvernementale (ONG) (République tchèque)
  • Mme Bernadette Gächter, victime d’une stérilisation forcée (Suisse)
  • Dr David Gerber, Psychiatre consultant, National Health Service (NHS) Greater Glasgow and Clyde (Royaume-Uni)
  • M. Stefan Krakowski, membre du le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) (Suède)
L'audition a permis à la commission d'avoir une bonne vue d'ensemble de la question et des solutions possibles.
3. Sur décision de l’Assemblée, la commission des questions sociales, de la santé et de la famille a fusionné avec deux autres commissions à compter du premier jour de la partie de session de janvier 2012. C’est donc la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable nouvellement créée qui a examiné mon schéma de rapport 
			(4) 
			Document AS/Soc (2011)
48. pendant la partie de session de janvier 2012 et qui a autorisé une visite d’étude en Suède et en République tchèque. Ladite visite s’est déroulée les 6 et 7 novembre 2012 (Prague) et 8 et 9 novembre 2012 (Stockholm). Je remercie vivement mes collègues des parlements tchèque et suédois ainsi que les secrétariats des deux délégations à l’Assemblée pour l’excellente organisation de cette visite. Toutes les réunions que j’avais sollicitées ont été organisées, ce qui m’a permis de me forger un avis éclairé sur la situation dans les deux pays. Je tiens à préciser que le présent document n’est pas un rapport sur les stérilisations et castrations imposées en Suède et en République tchèque: il s’agit d’un rapport sur les stérilisations et castrations imposées dans toute l’Europe. En effet, la plupart, si ce n’est l’ensemble, des Etats membres du Conseil de l’Europe ont déjà pratiqué, à un moment ou à un autre, des stérilisations et castrations imposées.
4. Ce n'est pas la première fois que le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire traitent des stérilisations et castrations imposées. A ce jour, ils n'ont toutefois pas élaboré de rapport global sur le problème ou de synthèse sur ces pratiques. Ils se sont plutôt fondés sur des rapports concernant, par exemple, la discrimination à l'encontre des Roms (à l’Assemblée 
			(5) 
			Notamment le Doc. 12236, «La situation des Roms en Europe et les activités pertinentes
du Conseil de l'Europe», avis déposé au nom de la Commission sur
l'égalité des chances pour les femmes et les hommes (Rapporteure:
Mme Elvira Kovács, Serbie, PPE/DC). , ou dans de récents arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme 
			(6) 
			V.C.
c. Slovaquie (2011), N.B.
c. Slovaquie (2012), L.G.
et autres c. Slovaquie (2012).), la discrimination à l'encontre des transgenres (ancien Commissaire aux droits de l’homme Hammarberg), ou encore la situation dans des pays spécifiques (un rapport du CPT sur la République tchèque, à propos de délinquants sexuels condamnés).
5. La valeur ajoutée que j'espère apporter avec ce rapport est une approche globale, orientée sur les droits humains, présentant une perspective historique des stérilisations et des castrations imposées et soulignant le lien entre cette pratique et les peurs de certaines parties de la majorité face à tout ce qui est perçu comme «différent» – et donc inférieur voire, parfois, menaçant, au point de susciter dans cette majorité le désir de contrôler ces différences, ou du moins leur propagation et leur reproduction. J’ai été particulièrement impressionnée par les explications données par M. Maciej Zaremba, journaliste suédois, premier à s’être intéressé dans les années 1990 à l’histoire de la stérilisation eugénique dans le pays, qui m’ont convaincue que je ne n’avais pas tout à fait tort dans mon interprétation des faits actuels et passés. Il a bien voulu accepter de participer à un échange de vues avec la commission le 23 avril 2013 à Strasbourg; je cite plus loin dans le rapport certaines interventions faites lors de cette audition 
			(7) 
			Le procès-verbal est
disponible auprès du secrétariat, document AS/Soc (2013) PV 03 add
2..
6. Cinq groupes de personnes ont tout particulièrement fait l'objet de stérilisations et castrations imposées dans le passé: les femmes roms 
			(8) 
			Le terme
«Roms» employé au Conseil de l’Europe désigne les Roms, les Sintés
(Manouches), les Kalés (Gitans) et les groupes de population apparentés
en Europe, dont les Voyageurs et les branches orientales (Doms,
Loms); il englobe la grande diversité des groupes concernés, y compris
les personnes qui s’auto-identifient comme «Tsiganes»., les délinquants sexuels condamnés, les transgenres et les personnes handicapées (mobiles «eugéniques») ainsi que les personnes marginalisées, stigmatisées ou considérées comme inadaptées. Il me paraît évident que les stérilisations et castrations imposées constituent de graves violations des droits de la personne et de la dignité humaine, et qu'elles devraient être abolies une fois pour toutes, quelles que soient les motivations et les groupes ciblés. Même les pays ayant aboli la pratique ont parfois du mal à reconnaître avoir commis ces graves violations des droits humains par le passé. De très nombreuses victimes attendent donc encore une indemnisation ou des excuses de la part des autorités: j'espère que ce rapport contribuera à faire changer la situation.

2. Un bref historique des stérilisations et castrations imposées en Europe

7. L’histoire des stérilisations et castrations imposées remplit des rayons entiers de bibliothèques. Je me limiterai donc ici à résumer autant que faire se peut l’histoire de ces pratiques en Europe au XXe siècle dans l’optique d’expliquer comment une violation évidente des droits humains a pu être jugée socialement acceptable, voire souhaitable, dans de nombreux pays – avant (et parfois même après) l’horreur causée par la législation sur les stérilisations obligatoires adoptée par l’Allemagne nazie en 1933 (qui visait avant tout les Allemands atteints d’un handicap mental ou physique) et qui s’est soldée à partir de 1939 par des exécutions brutales dans le cadre d’opérations d’euthanasie pour des raisons eugéniques.
8. La stérilisation eugénique (et dans une mesure bien moindre, la castration) qui, pendant la première moitié du XXe siècle, était populaire en Europe mais aussi dans de nombreuses autres régions du monde, a été l’une des conséquences des nouvelles idées, modernes, diffusées dans le monde des sciences (dont les sciences sociales) en écho aux conditions sociales, matérielles et politiques régnant au début du siècle. Dans des sociétés souvent marquées par le développement rapide de «sous-classes» d’un type ou d’un autre (qu’il s’agisse de prolétaires des villes ou des campagnes, d’immigrés pauvres, de peuples indigènes, de minorités raciales ou autres), les conditions étaient propices à l’alliance de diverses idées, se renforçant mutuellement, qui légitimaient l’eugénisme aux yeux d’une majorité de la population. Une combinaison de (néo-)malthusianisme, de darwinisme social, de nationalisme, de racisme et même de ferveur réformiste et modernisatrice a rendu cette idée séduisante pour l’ensemble des forces de l’échiquier politique (de la gauche à la droite), tant dans les démocraties que dans les dictatures. Pour qu’une population puisse rester «en bonne santé» et «féconde» (y compris pour pouvoir rivaliser en tant que nation à l’ère de l’Etat-nation) et ne pas être infestée de pauvres et de criminels, il allait être indispensable d’encourager la reproduction des individus «aptes» et de contrôler le taux de natalité des individus «inaptes».
9. Au début, la théorie de l’eugénisme reposait sur une approche «positive» plutôt que «négative». Aux Etats-Unis, on organisait par exemple des concours de la «famille la plus adaptée» et d’autres manifestations semblables. Mais la peur d’une «dégénérescence» (le taux de natalité des personnes «inaptes» étant soi-disant hors de contrôle) et le fardeau susceptible de s’ensuivre pour la société ont conduit à la popularisation de l’eugénisme négatif et notamment de la stérilisation forcée comme alternative humaine à la «sélection naturelle» et à l’infanticide. Ce sont les Etats-Unis qui, avec la loi de l’Indiana de 1907, sont à l’origine de la vague de lois sur la stérilisation forcée adoptées au début du XXe siècle. C’est aussi aux Etats-Unis que dans l’arrêt majoritaire Buck c. Bell, rendu en 1927, un juge de la Cour suprême, Oliver Wendell Holmes, Jr, a confirmé de manière tristement célèbre la validité – jamais abrogée – de la législation instituant la stérilisation forcée eugénique:
«Nous avons vu à de maintes reprises que le bien-être public peut coûter la vie aux meilleurs des citoyens. Il serait étrange qu’il ne puisse pas exiger de ceux qui sapent déjà le pouvoir de l’Etat ce sacrifice, moins important, qui, souvent, n’est d’ailleurs pas ressenti comme tel par les personnes concernées afin de protéger la société contre un excès d’incompétence. Il est préférable pour tous qu’au lieu d’attendre le moment d’exécuter les rejetons des dégénérés pour leurs crimes ou celui où leur imbécillité les fera mourir de faim, la société puisse empêcher ceux qui sont manifestement inaptes de se reproduire. Le principe qui admet la vaccination obligatoire est assez large pour légitimer l’ablation des trompes de Fallope. Trois générations d’imbéciles, cela suffit 
			(9) 
			Cité dans: <a href='http://www.amazon.com/Harry-Bruinius/e/B001HCZXYS/ref=ntt_athr_dp_pel_1'>Harry
Bruinius</a>, Better for All the World: The Secret History of Forced
Sterilization and America's Quest for Racial Purity, 2007, <a href='http://betterforalltheworld.brown-bear.com/p3.htm'>http://betterforalltheworld.brown-bear.com/p3.htm</a>.
10. La stérilisation (pratiquée en particulier dans des institutions telles que les asiles, les prisons ou les hôpitaux) est ainsi devenue relativement répandue dans les années 1930, étant autorisée par la législation de nombreux Etats et provinces du Canada et des Etats-Unis, du canton suisse de Vaud, des pays scandinaves, d’Allemagne, du Japon, de Veracruz (Mexique), de Yougoslavie, de Hongrie, de Turquie, de Lettonie et de Cuba 
			(10) 
			Philippa
Levine et Alison Bashford, «Introduction: Eugenics and the Modern
World», dans: Oxford Handbook of the History
of Eugenics, Oxford University Press, 2010, version kindle.
Les auteurs font également figurer la Tchécoslovaquie sur leur liste
de pays autorisant les stérilisations, mais il semble qu’ils se
soient trompés. D’après la «Déclaration finale du Défenseur public
des droits sur les stérilisations réalisées au mépris de la loi
et sur les mesures de réparation proposées» (Brno, 23 décembre 2005,
JUDr. Otakar Motejl, Défenseur public des droits de la République
tchèque), «les idées et les propositions des eugénistes tchèques
sont pleinement comparables aux concepts élaborés ailleurs en Europe.
La seule différence réside dans le fait que le mouvement eugéniste
en Tchécoslovaquie n’est jamais parvenu à mettre ses idées en pratique
en raison des développements politiques» (p. 68). Des lois auraient
été élaborées jusqu’à la fin des années 1930, mais jamais appliquées:
«Des travaux législatifs plus détaillés ne sont jamais entrés en
vigueur en raison des événements politiques. Les guerres et les
développements politiques qui les ont suivies ont officiellement
fait tomber dans l’oubli le mouvement eugéniste tchécoslovaque»
(p. 71), 
			(10) 
			<a href='http://www2.ohchr.org/english/bodies/cerd/docs/ngos/Public-defender-rights.pdf'>http://www2.ohchr.org/english/bodies/cerd/docs/ngos/Public-defender-rights.pdf.</a>. Les groupes ciblés étaient constitués de manière disproportionnée de personnes pauvres, de couleur ou socialement marginalisées pour un autre motif 
			(11) 
			Susanne Klausen et
Alison Bashford, «Fertility control: Eugenics, Neo-Malthusianism,
and Feminism», dans: Oxford Handbook
of the History of Eugenics, Oxford University Press,
2010, version kindle.. De même, les femmes étaient plus souvent visées que les hommes.
11. Selon Harry Bruinius, la quête de pureté raciale des Américains a influencé les Nazis. Même si les Etats-Unis ont ouvert la voie en ce qui concerne les aspects juridiques, administratifs et techniques de la stérilisation eugénique, l’Allemagne nazie leur a emprunté leurs idées et les a appliquées de manière inédite 
			(12) 
			<a href='http://www.amazon.com/Harry-Bruinius/e/B001HCZXYS/ref=ntt_athr_dp_pel_1'>Harry
Bruinius</a>, Better for All the World: The Secret History of Forced
Sterilization and America's Quest for Racial Purity, op. cit. . La «Loi pour la prévention d’une descendance présentant des anomalies génétiques» de 1933 a été l’une des premières lois adoptées par le gouvernement national-socialiste d’Adolf Hitler. Au moins 375 000 personnes ont été stérilisées par les autorités allemandes, dont 5 000 seraient décédées des suites de complications 
			(13) 
			Paul Weindling, «German
Eugenics and the Wider World: Beyond the Racial State», dans: Oxford Handbook of the History of Eugenics,
Oxford University Press, 2010, version kindle.. Aux Etats-Unis, plus de 60 000 personnes ont subi une stérilisation forcée. Cette pratique a été abandonnée dans une large mesure à l’issue de la seconde guerre mondiale, mais la Caroline du Nord n’a mis officiellement un terme à son programme qu’en 1974. De la même manière, la législation suédoise relative à la stérilisation eugénique a fait plus de 60 000 victimes entre 1935 et 1975. En fait, s’il est vrai que la législation scandinave régissant la stérilisation n’autorisait pas l’usage de la force physique (contrairement à celle de l’Allemagne nazie), les lois eugéniques n’ont été abolies et remplacées par des lois de stérilisation reposant sur le libre consentement qu’en 1967 et 1973 au Danemark, en 1975 en Suède et en 1977 en Norvège 
			(14) 
			Matthias Tydén, «The
Scandinavian States: Reformed Eugenics applied», dans: Oxford Handbook of the History of Eugenics,
Oxford University Press, 2010, version kindle..
12. Les stérilisations et castrations imposées n’appartiennent pas au passé, nous le savons. Par contre, aujourd'hui, certains programmes ne sont pas eugéniques de par leur nature, et d’autres le sont mais pas ouvertement. Ils vont de la stérilisation imposée de femmes en Chine et en Ouzbékistan à celle de femmes porteuses du virus VIH dans de nombreuses parties du monde. Même si cette pratique touche aussi des hommes, les femmes en sont beaucoup plus souvent victimes du fait de situations de vulnérabilité inhérentes à leur condition de femme, comme à l’occasion d’un accouchement par exemple, qui les exposent davantage à des stérilisations sans consentement. Tout comme par le passé, ce sont les groupes de population marginalisés, moins bien protégés 
			(15) 
			Voir
campagne «Stop violence against women» d’Advocates for Human Rights
sur <a href='http://www.stopvaw.org/forced_coerced_sterilization'>www.stopvaw.org/forced_coerced_sterilization</a>., qui sont les plus fréquemment visés par les campagnes de stérilisation.

3. Les stérilisations et castrations imposées: de graves violations des droits de la personne, de la dignité humaine, ainsi que des droits sexuels et reproductifs

13. En 1999, la Rapporteure des Nations Unies chargée à l’époque de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, Mme Radhika Coomaraswamy, a qualifié la stérilisation forcée de violation des droits humains:
«La stérilisation forcée, qui constitue une grave atteinte aux droits génésiques de la femme, est un moyen médical d'ôter à celle-ci, malgré elle, la maîtrise de sa fécondité. Pratiquée essentiellement par des voies de fait – en portant atteinte à l'intégrité physique et à la sûreté de la victime – c'est aussi un acte de violence 
			(16) 
			Rapport
des Nations Unies «Intégration des droits fondamentaux des femmes
et de l'approche sexospécifique: la violence contre les femmes»,
rapport présenté par le Rapporteur spécial chargé de la question
de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences
(Mme Radhika Coomaraswamy), conformément à la Résolution 1997/44
de la Commission, Additif, Pratiques et politiques portant atteinte
aux droits génésiques des femmes et constituant des facteurs, des
causes ou des actes même de violence contre celles-ci, Conseil économique
et social, E/CN.4/1999/68/Add.4, du 21 janvier 1999.
14. Comme le souligne un récent article de Christina Zampas et d’Adriana Lamačková, les organes de surveillance de l’application des traités de l’ONU ont fait observer que la stérilisation forcée et imposée constituait une violation de plusieurs droits humains internationalement reconnus, dont le droit à la santé, le droit à l’intégrité physique, le droit de ne pas être soumis à la violence, le droit ne pas être soumis à la torture et à d’autres traitements inhumains ou dégradants, le droit de décider du nombre et de l’espacement des naissances et le droit de ne pas subir de discrimination 
			(17) 
			Christina Zampas et
Adriana Lamačková, «Forced and coerced sterilization of women in
Europe», dans: International Journal
of Gynecology and Obstetrics, 114 (2011), p. 163-166..
15. Dans son dernier rapport, publié le 1er février 2013 
			(18) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session22/A-HRC-22-53_FR.pdf'>www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session22/A-HRC-22-53_FR.pdf</a>. , le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan E. Méndez, qualifie de mauvais traitements interdits, les violences et abus commis dans les établissements de soins de santé. Citant la récente Observation générale n° 3 (2012) du Comité contre la torture concernant le droit à un recours et à réparation, il souligne que, d’après le Comité, l’obligation d’offrir un recours et d’accorder réparation s’applique à tous les types de mauvais traitements, de sorte qu’il importe peu que les abus commis dans les établissements de soins de santé répondent aux critères de la torture en tant que tels. Il considère que «ce cadre dégage de nouvelles possibilités d’évolutions sociales globales qui prennent en compte le vécu des personnes et qui se traduisent notamment par des mesures de satisfaction, des garanties de non-répétition et l’abrogation des dispositions législatives inacceptables 
			(19) 
			Ibid.,
paragraphe 84. ».
16. A la fin de son rapport, le Rapporteur spécial des Nations Unies recommande ainsi aux Etats membres de «mener rapidement des enquêtes impartiales et approfondies sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements dans des établissements de soins; lorsque les éléments de preuve le justifient, poursuivre et punir les auteurs; et offrir aux victimes un recours utile ainsi que des mesures de réparation et de satisfaction, des garanties de non-répétition et des mesures de restitution, d’indemnisation et de réadaptation» 
			(20) 
			Ibid., paragraphe 85, recommandation c.. Dans le corps de son rapport, le rapporteur spécial indique expressément que les stérilisations forcées, imposées ou non volontaires relèvent du champ de son étude, citant plusieurs exemples.
17. En Europe, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé, dans plusieurs affaires, que la stérilisation sans consentement de femmes roms représentait une violation des droits humains car contraire à l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») 
			(21) 
			Le
dernier arrêt – L.G. et autres c. Slovaquie –,
rendu le 13 novembre 2012 concernant deux femmes roms, est allé dans
le même sens que deux arrêts similaires précédents, V.C. c. Slovaquie (2011) et N.B.
c. Slovaquie (2012). Les requérantes avaient été stérilisées alors
qu’elles subissaient une césarienne dans un hôpital public. Pendant
leur hospitalisation, elles avaient été priées de signer un document,
soi-disant pour pouvoir bénéficier d’une césarienne, et ce n’est
que plusieurs années plus tard qu’elles ont appris, dans le cadre
d’une enquête, que le document en question était une demande de
stérilisation. Qui plus est, les deux requérantes étaient mineures
au moment des faits et l’hôpital avait négligé d’obtenir le consentement
de leurs tuteurs légaux.. Il n’empêche que, en novembre 2012, la Cour a malheureusement refusé une nouvelle fois de statuer sur la question de savoir si la stérilisation forcée de femmes roms en République slovaque constituait une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention. Dans une affaire sans rapport (ne concernant pas une femme rom), G.B. et R.B. c. République de Moldova, la Cour a considéré, le 18 décembre 2012, qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la Convention 
			(22) 
			Dans
cette affaire, la première requérante avait subi, sans avoir donné
son consentement, une ablation des ovaires et des trompes de Fallope
pendant une césarienne, ce qui avait provoqué une ménopause précoce
à l’âge de 32 ans..
18. La question du consentement est primordiale pour déterminer si une stérilisation ou une castration est contraire ou non aux droits humains. Lorsqu’il est fait usage de la force physique ou que la victime subit une stérilisation/castration sans le savoir ou sans avoir eu la possibilité de donner son consentement, la question est clairement tranchée: il s’agit d’une stérilisation forcée. Ceci étant, même lorsqu'il est officiellement obtenu, y compris par écrit, le consentement peut être invalide dès lors que la victime a été mal informée, intimidée ou manipulée au moyen d’une incitation financière ou autre. Ce type de stérilisation imposée constitue précisément la violation des droits humains dont le présent rapport traite.
19. Dans ses observations sur ma note introductive du 16 janvier 2013, la délégation parlementaire tchèque a estimé que la manière dont je définissais le mot «forcé» était «excessivement large et ne correspondait pas au sens commun de ce terme». En fait, je dirais que ma définition n’est même pas assez large. De récentes publications relatives aux droits humains (émanant de sources respectées telles qu’Amnesty international, le Center for Reproductive Rights (Centre pour les droits reproductifs) ou des publications universitaires telles que le Harvard Human Rights Journal) utilisent la notion de «emotionally coerced sterilization» (stérilisation imposée sous contrainte affective) ou évoquent des pressions portant atteinte à l’autonomie du patient. Une universitaire a estimé que pour préciser la notion de contrainte il fallait se demander quels types d’influence ou de pressions étaient exercés et à quel point elles privaient les actions et décisions de leur caractère autonome 
			(23) 
			Définition de Bonnie
Steinbock eu égard à la notion de contrainte et de contraceptifs
de longue durée, voir: «The Concept of Coercion and Long-Term Contraceptives»,
dans: Moral and Policy Challenges of
Long Acting Birth Control, Ellen H. Moskowitz et Bruce
Jennings, Editeurs, 1996.. Toutefois, le document le plus convaincant est sans doute le document programmatique intitulé “Bridging the Gap: Developing a Human Rights Framework to Address Coerced Sterilization and Abortion” (Pallier les lacunes: élaborer un cadre de protection contre la stérilisation et à l’avortement forcés fondé sur les droits de l’homme) établi par la Faculté de droit de l’Université (canadienne) de Toronto, document qui présente de manière détaillée les principes de décision libre et éclairée – y compris le droit d’être à l’abri du parti-pris, conscient ou inconscient, de prestataires de soins de santé, et se réfère en outre aux déséquilibres de pouvoir dans la relation patient-prestataire, déséquilibres susceptibles d’empêcher une décision libre, par exemple chez les femmes qui ne sont pas habituées à mettre en cause la parole de personnes en position d’autorité 
			(24) 
			<a href='http://www.law.utoronto.ca/documents/reprohealth/HC1-BridgingTheGapPolicyBrief.pdf'>www.law.utoronto.ca/documents/reprohealth/HC1-BridgingTheGapPolicyBrief.pdf</a>, p. 8-9. .
20. Quand M. Zaremba a communiqué à la commission, lors de la deuxième audition du 23 avril 2013, des informations sur l’expérience suédoise de stérilisation eugéniste, il a également répondu à la question de savoir comment les Suédois avaient été en mesure de poursuivre leur programme après la seconde guerre mondiale, qui aurait dû discréditer tout système fondé sur la contrainte. M. Zaremba a souligné le caractère insidieux de la loi: «En théorie, la stérilisation était “volontaire”; une personne devait faire une demande de stérilisation. En réalité, bien sûr, la stérilisation n’était en rien volontaire: les victimes étaient soumises à une pression irrésistible afin qu’elles signent le formulaire de consentement. Elles étaient menacées de perdre la garde de leurs enfants ou bien leur sortie de l’établissement où elles étaient placées dépendait de leur accord concernant la stérilisation. La honte d’être qualifiées d’êtres humains “inférieurs” était immense: la plupart des victimes se sont tues sur leur sort jusqu’à ce que le scandale éclate en 1997. Les mères célibataires pauvres, les vagabonds, les Tsiganes et les Gens du voyage, les malades mentaux et les personnes “faibles d’esprit” (des personnes en rupture avec les normes sociales) étaient ciblés car considérés comme “du matériau humain indésirable” (expression de l’époque). Il y avait un manque complet de transparence; une commission décidait de la stérilisation et il n’y avait aucune possibilité de faire appel contre une telle décision. 
			(25) 
			AS/Soc (2013) PV 03
add 2, p. 1-2.» Cet exemple est à mon sens instructif car il montre comment la stérilisation peut être considérée comme «volontaire» par certains, alors qu’elle est en réalité «imposée», voire «forcée».
21. Dans ce contexte, il est important de signaler que la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO) a élaboré des lignes directrices strictes sur la «Stérilisation féminine à visée contraceptive», tenant compte de la longue histoire de la stérilisation forcée et imposée de femmes marginalisées et énumérant des recommandations détaillées sur le moment et la manière de recueillir un consentement pour une stérilisation 
			(26) 
			Pour consulter le texte
complet des lignes directrices et des recommandations, voir: <a href='http://www.figo.org/files/figo-corp/English%20Ethical%20Issues%20in%20Obstetrics%20and%20Gynecology.pdf'>www.figo.org/files/figo-corp/English%20Ethical%20Issues%20in%20Obstetrics%20and%20Gynecology.pdf</a> (p. 122 ff).. Ces lignes directrices, réactualisées en 2011, énoncent, entre autres, les points suivants:
  • Seules les femmes elles-mêmes peuvent accorder un consentement valide du point de vue éthique à leur stérilisation. Les membres de la famille, dont le conjoint et les parents, les tuteurs légaux, les médecins et les fonctionnaires ne peuvent pas donner de consentement en leur nom.
  • La stérilisation ne devrait pas être pratiquée dans le cadre d’une stratégie ou d’un programme public ne reposant pas sur le consentement libre.
  • La stérilisation pour prévenir de futures grossesses n’est jamais une procédure d’urgence et ne justifie pas de déroger aux principes généraux du consentement libre et éclairé.
  • Le consentement à la stérilisation ne devrait pas être érigé en condition préalable à l’accès à des soins médicaux, tels qu’un traitement contre le VIH/SIDA, un accouchement ou une interruption de grossesse, ou à l'assurance maladie, l'assistance sociale, l'emploi ou l’autorisation de sortie d'une institution.
  • Le consentement à la stérilisation ne devrait pas être demandé lorsque la femme concernée se trouve en situation de vulnérabilité, par exemple lorsqu'elle demande une interruption de grossesse, ou pendant ou immédiatement après l’accouchement.
  • Les femmes envisageant la stérilisation doivent être informées du fait que la méthode est irréversible et qu’elle ne les protégera pas des maladies sexuellement transmissibles. Elles ont aussi droit à des informations sur les autres solutions contraceptives non définitives.
  • Les informations doivent être données dans une langue que la femme concernée comprend et, le cas échéant, être traduites. Elles doivent être formulées dans des termes simples, non techniques, et dans un format accessible, y compris le langage des signes ou le Braille.

4. Les stérilisations et castrations imposées dans un passé récent en Europe

4.1. Les femmes roms

22. Quelle que soit la région où elles vivaient, les femmes roms ont longtemps été victimes de marginalisation et de discrimination. Certains pays ont eu, dans le passé, des programmes de stérilisation plus ou moins officiels, financés par l’Etat, visant les femmes roms. Dans d’autres pays, les femmes roms ont subi les préjugés des professionnels de santé. Les cas de la République tchèque et de la République slovaque (et, dans une moindre mesure, de la Hongrie) sont bien connus, essentiellement en raison du militantisme dont les victimes ont fait preuve dans leur quête de justice. Pour autant, cela n’implique pas que la stérilisation imposée aux femmes roms est toujours une pratique courante dans ces pays ni qu'elle n'a pas cours dans d'autres pays. Comme la République tchèque a eu l’obligeance de m’accueillir pour une visite d’étude en novembre 2012, je décrirai la situation de ce pays plus en détail.

4.1.1. La République tchèque

23. Dans sa présentation à la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, en septembre 2011, Mme Gwendolyn Albert, militante d’une ONG en République tchèque, a expliqué qu’alors que la Tchécoslovaquie était dirigée par un régime communiste, des femmes roms ont été stérilisées de force à partir des années 1970. La pratique s’est poursuivie après la transition de 1989 vers la démocratie et la scission du pays en deux Etats, la République tchèque et la République slovaque 
			(27) 
			Se
reporter au procès-verbal déclassifié de l’audition, AS/Soc (2011)
PV 06 add.. Si les nombres exacts de victimes avancés par Mme Albert sont contestés, il est avéré que, sous le régime communiste, les travailleurs sociaux encourageaient la ligature des trompes surtout parmi les femmes roms pour remédier à ce qui était qualifié officiellement de taux de procréation «élevé» et «malsain» par comparaison avec les non-Roms. Soit ils promettaient des incitations financières, soit ils brandissaient la menace de diverses sanctions pour les y encourager ou les y contraindre. Après que le Procureur général tchécoslovaque eut réexaminé les incidents postérieurs à 1989, le versement d’incitations financières pour les stérilisations a été suspendu. Les cas ultérieurs de stérilisation forcée n’étaient pas liés aux travailleurs sociaux. Ce sont des médecins qui ont stérilisé des femmes roms lors d’accouchements par césarienne en leur racontant que non seulement la césarienne, mais la stérilisation elle-même avaient été des mesures d’urgence pour sauver leur vie 
			(28) 
			Ibid.,
p. 4-5..
24. Le cas de Mme Elena Gorolová, porte-parole du «Groupe de femmes victimes de stérilisation forcée», que j’ai eu la chance de rencontrer, est un bon exemple: après une grossesse à risque qui avait justifié des visites régulières chez son médecin, elle a été stérilisée sans le savoir pendant sa deuxième césarienne en 1990. Son médecin ne lui a indiqué avoir pratiqué une stérilisation que le lendemain. On lui avait demandé de signer deux documents juste avant de subir sa césarienne: le premier pour préciser le nom de son enfant et le second pour donner son consentement à la césarienne (et, comme elle l’a découvert plus tard, à la stérilisation). Elle a été l’une des premières femmes roms à s’exprimer et à soumettre la question au médiateur tchèque en 2004. Malheureusement, le silence est souvent la norme dans les cas de stérilisation imposée, car de nombreuses victimes ont peur, honte ou se sentent indignes, en particulier parce que la culture rom fait l’éloge des femmes qui ont beaucoup d’enfants, mais aussi parce qu’elles ont tendance à se méfier des autorités.
25. En novembre 2009, le Gouvernement tchèque a exprimé ses regrets pour des «erreurs individuelles» dans l’accomplissement de stérilisations par ligature des trompes. Des plaintes concernant ce programme ont été adressées au médiateur en 2004. Après lui avoir ordonné de mener une enquête, le médiateur a critiqué le ministère de la Santé en 2005 parce qu’il n’avait pas conclu que les procédures mises en évidence violaient non seulement les droits de la personne, mais aussi la loi. Les organismes internationaux de défense des droits humains se sont alors basés sur le rapport du médiateur pour recommander à l'Etat tchèque de prendre d'urgence des mesures visant à obtenir réparation pour les victimes de telles pratiques. Les enquêtes criminelles menées sur ces incidents ont été abandonnées et aucune des personnes mises en cause n’a été soumise à des sanctions civiles, pénales ou professionnelles. Les procédures civiles engagées individuellement n’ont que rarement conduit à une indemnisation pour cause de prescription 
			(29) 
			Voir le procès-verbal
de l’audition, AS/Soc (2011) PV 06 add, p. 5. J’ajouterais qu’il
est tout à fait possible que ces prescriptions aient été parmi les
raisons ayant dissuadé les victimes de porter les affaires en justice
en premier lieu. (je n’ai connaissance que de deux affaires qui ont abouti).
26. En revanche, en 2011, le Comité tchèque des droits de l’homme a recommandé qu’une indemnisation soit accordée aux victimes de stérilisation imposée. Cette proposition est toujours examinée actuellement dans la mesure où certains cas sont difficiles à prouver. Compte tenu du fait que le nombre de victimes ayant droit à une telle indemnisation serait relativement faible, j’espère que le pays décidera rapidement d’indemniser ces femmes (suite à un appel de demandes d’ONG, le ministère de la Santé estime que, sur un total de 89 demandes reçues, 77 seraient valides et que dans 12 cas, aucune stérilisation n’aurait été pratiquée),. En fait, pendant ma visite d’étude, j’ai acquis le sentiment que la nécessité de trancher rapidement cette question faisait largement consensus parmi la classe politique.
27. Le 1er avril 2012, la République tchèque a adopté une nouvelle loi sur la stérilisation, qui semble plus conforme aux lignes directrices de la FIGO sur la stérilisation féminine que la précédente (je traiterai dans d’autres chapitres de la question de la castration et de la stérilisation des femmes ne jouissant pas de la capacité juridique). Ladite loi instaure un délai d’attente obligatoire entre le moment où le médecin propose une stérilisation et celui où l’intervention est pratiquée, et exige un deuxième consentement de dernière minute le jour de l’intervention. L’âge minimum est fixé à 18 ans pour une stérilisation pour des raisons médicales et à 21 ans pour une stérilisation motivée par d’autres raisons (contraception). Il semble cependant, et c’est là l’aspect le plus important, que les médecins tchèques sont en train de changer de position à l’égard de la stérilisation, car ils sont plus sensibles aux possibles incidences d’une telle pratique pour les droits humains et commencent à adopter une attitude un peu moins paternaliste 
			(30) 
			Analyse de Mme Anna
Šabatová, Présidente du Comité Helsinki tchèque, que j’ai aussi
eu le privilège de rencontrer..

4.1.2. La République slovaque

28. Des femmes roms ont également été stérilisées de force à partir des années 1970 dans la partie slovaque de la Tchécoslovaquie. En 2002, des femmes roms étaient toujours stérilisées sans qu’elles aient donné leur consentement éclairé selon des militants des droits de l’homme. Le gouvernement a enquêté sur un éventuel «génocide», mais il n’a pu en établir la preuve. Les observateurs internationaux, dont la Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (Etats-Unis), ont estimé que l’enquête laissait à désirer, car des militants des droits de l’homme et des victimes potentielles avaient été menacés de poursuites pénales s’ils parlaient. La même année, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré qu’il avait trouvé crédibles les allégations et il a recommandé au gouvernement d’offrir aux victimes «des voies de recours rapides, équitables, efficaces et justes». En 2006, La Cour constitutionnelle slovaque a jugé que le rapport du gouvernement n’avait pas fait la lumière sur les faits comme il convient et elle a ordonné de rouvrir l’enquête sur les stérilisations forcées. Toutefois, en 2007, le procureur a annoncé, après avoir interrogé les auteurs des interventions et les victimes, qu’aucune infraction pénale n’avait été commise et qu’aucun droit n’avait été violé et il a classé la procédure. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment statué sur plusieurs affaires et rendu des arrêts favorables aux requérants (voir paragraphe 17).

4.2. Les délinquants sexuels condamnés

29. Comme Stefan Krakowski, membre suédois du CPT, l’a fait remarquer lors de l'audition de septembre 2011, une tendance de plus en plus forte en faveur de la castration des délinquants sexuels condamnés semble se dessiner dans les milieux politiques, tout au moins dans certains Etats membres. Même si elle reste légale dans de nombreux pays, la castration chirurgicale pour des indications autres que physiques n'est plus pratiquée ou est devenue extrêmement rare. L'une des raisons en est qu'il existe d'autres solutions combinant psychothérapie, traitements anti-androgènes et surveillance intensive 
			(31) 
			Se reporter au procès-verbal
déclassifié de l’audition, AS/Soc (2011) PV 06 add, p. 7-8..
30. Le CPT a exprimé son objection de principe au recours à la castration chirurgicale comme moyen de traitement des délinquants sexuels. Les raisons avancées par M. Krakowski au nom du CPT étaient les suivantes:

  • Premièrement, ce type d’intervention produit des effets physiques irréversibles; elle détruit la capacité de procréer de l’intéressé et peut avoir de graves séquelles physiques et mentales.
  • Deuxièmement, la castration chirurgicale n’est pas conforme aux normes internationales reconnues; plus précisément, elle n’est pas mentionnée dans les normes de traitement des délinquants sexuels adultes («Standards of Care for the Treatment of Adult Sexual Offenders») établies par l’Association internationale pour le traitement des délinquants sexuels (International Association for the Treatment of Sexual Offenders – IATSO), qui font autorité en la matière.
  • Troisièmement, rien ne garantit que le résultat recherché (c’est-à-dire la baisse du taux de testostérone) soit durable. Pour ce qui est des taux de récidive, les effets positifs supposés ne sont basés sur aucune évaluation scientifique solide. En tout état de cause, s’il est légitime de chercher à faire diminuer les taux de récidive, cet objectif doit être contrebalancé par des considérations éthiques liées aux droits fondamentaux de la personne humaine.
  • Quatrièmement, étant donné le contexte dans lequel l’intervention est proposée, on peut se demander si le consentement à la castration chirurgicale sera toujours véritablement libre et éclairé. On peut facilement arriver à une situation dans laquelle les patients obtempèrent plutôt qu’ils ne consentent, pensant que c’est la seule possibilité qu’ils ont d’éviter une détention illimitée. En bref, la castration chirurgicale est une intervention mutilante et irréversible qui ne peut être considérée comme une nécessité médicale dans le cadre du traitement des délinquants sexuels. Pour le CPT, la castration chirurgicale de délinquants sexuels emprisonnés pourrait facilement être considérée comme constitutive d’un traitement dégradant 
			(32) 
			Ibid..

31. Le CPT a critiqué la République tchèque et l’Allemagne 
			(33) 
			Selon M. Krakowski,
dans le cas de l’Allemagne, le recours à la castration chirurgicale
semble très rare, non seulement à Berlin, mais aussi dans le reste
du pays. Selon les statistiques officieuses dont dispose la commission,
au cours des dix dernières années, le nombre total de castrations
chirurgicales de délinquants sexuels en Allemagne aurait été inférieur
à cinq par an. De plus, à Berlin, plus de la moitié des demandes
déposées depuis 2001 (cinq sur neuf) ont été rejetées par une commission
d’expertise composée de deux médecins (dont un psychiatre) et d’un
magistrat; aucune nouvelle demande n’a été adressée à cette commission
au cours des deux dernières années. pour leur récent recours à la castration chirurgicale. Or, des lois introduisant la castration «chimique» forcée, en particulier pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, ont aussi tendance à être adoptées par certains Etats membres, dont la Pologne et le République de Moldova. Personnellement, je suis opposée à de telles lois, qui sont inefficaces et vont à l’encontre des droits humains. Ceci étant, la castration «chimique» est généralement considérée comme réversible, d’où une violation des droits moins grave que dans le cas de la castration chirurgicale. C’est pourquoi, à l’origine, j’avais décidé de me concentrer dans le présent rapport sur la castration chirurgicale imposée.
32. Cela étant, après m’être entretenue avec le Dr Jean-Georges Rohmer, psychiatre à l’Hôpital de Strasbourg et Chef régional du Centre Ressource pour l’aide à la prise en charge des auteurs de violence sexuelle, en marge de la 11ème réunion du Réseau des parlementaires de référence contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, le 22 janvier 2013, je voudrais souligner son point de vue selon lequel c’est souvent à tort qu’on considère que les crimes sexuels sont principalement liés au «sexe» (et sont motivés par des pulsions sexuelles). Comme on l’a établi à propos de la violence à l’égard des femmes, la principale raison pour laquelle un homme viole une femme est généralement liée à une question de pouvoir: en abusant d’une femme de la manière la plus intime qui soit, le dommage causé à la victime n’est pas seulement d’ordre physique et procure au violeur un sentiment de pouvoir absolu. (C’est aussi la raison pour laquelle il est fréquent, dans tous les établissements où il n’y a que des hommes, comme les prisons pour hommes, qu’un hétérosexuel viole un autre homme). Le Dr Rohmer a souligné qu’en traitant les pulsions sexuelles (à la fois par castration chimique ou chirurgicale), la principale pathologie du délinquant – celle qui consiste à vouloir dominer d’autres êtres humains – n’était pas soignée. Ces délinquants ont donc fortement tendance à récidiver en utilisant des moyens autres que sexuels, par exemple, en torturant leurs futures victimes.
33. A la suite de cette conversation, j’ai décidé d’inviter à la réunion de notre commission le 23 avril 2013 à Strasbourg l’experte la plus éminente sur la castration chimique et chirurgicale du CPT, Mme Veronica Pimenoff, originaire de Finlande, pour apporter un éclairage supplémentaire sur la question. Une section sur la question de la castration chimique figure ci-après.
34. La République tchèque se révèle être le seul Etat membre du Conseil de l'Europe à avoir largement pratiqué la castration chirurgicale dans un passé récent. Je me concentrerai donc sur les conclusions de la visite d’étude que j’ai effectuée dans ce pays en novembre 2012.

4.2.1. Castration chirurgicale: La République tchèque et la Finlande

35. Après m’être entretenue avec plusieurs médecins et responsables politiques éminents pendant ma visite, j’ai le sentiment qu’ils sont sincèrement convaincus que certains délinquants sexuels devraient être autorisés à choisir la castration chirurgicale comme traitement de dernier recours dans les rares cas où tous les autres traitements ont échoué.
36. Après avoir été diagnostiqués comme des «pervers» sexuels sur la base de la théorie tchèque des troubles du comportement sexuel, les délinquants sexuels condamnés sont soumis à un traitement «protecteur» forcé, soit après avoir purgé une peine d’emprisonnement soit directement, certains en tant que patients externes mais la plupart au sein d’un hôpital psychiatrique. Selon les membres de l'Association tchèque de sexologie que j'ai rencontrés 
			(34) 
			M. Petr Weiss et M.
Jaroslav Zvěřina., environ 10 % des délinquants sexuels sont des pervers sexuels qui ont besoin d’un tel traitement. Ils considèrent que dans la mesure où ces patients restent dangereux pendant toute leur vie, la seule possibilité de baisser substantiellement le risque élevé de porter atteinte à autrui et ainsi permettre leur réintégration dans la communauté est de leur offrir un traitement qui les aide à contrôler leurs pulsions sexuelles. Un tel traitement comprend en premier lieu une psychothérapie, une sociothérapie et l’utilisation de psychotropes et de médicaments anti-libido. Cependant, lorsqu’un tel traitement n’est pas efficace ou contre-indiqué pour des raisons de santé, il implique aussi une castration chirurgicale. Ils estiment que les effets secondaires de la castration chirurgicale sont minimes (tendance à l’obésité, à l’ostéoporose et à la dépression). La stérilisation n’est pas le but: la possibilité de stocker le sperme dans une banque de sperme est offerte, mais peu de délinquants y ont recours.
37. J’ai pu visiter la clinique psychiatrique de Bohnice, qui gère un programme résidentiel de 20 lits pour ce type de traitement «protecteur». Selon les explications fournies par son directeur, M. Martin Hollý, ce traitement global repose sur trois piliers: un traitement biologique (notamment la castration chimique, la castration chirurgicale n’étant qu’une solution de dernier recours), une psychothérapie et une sociothérapie. Dix castrations chirurgicales ont été pratiquées dans l’établissement en 10 ans, les trois dernières en février 2012. J’ai pu parler à un patient qui avait subi ce type d'intervention 18 mois auparavant, un jeune homme qui était traité dans cet hôpital depuis 2006 après avoir purgé une peine d’emprisonnement de huit ans pour avoir violé et assassiné une femme à l’âge de 16 ans. Il m’a expliqué qu’il était essentiellement confronté à un problème d’agressivité et de fortes pulsions sexuelles liées à un taux très élevé de testostérone. Il avait testé la castration chimique, mais avait été gêné par ses effets secondaires et n’avait pas été en mesure de contrôler ses pulsions sexuelles 
			(35) 
			D’après les observations
de la délégation parlementaire nationale tchèque sur ma note introductive
du 16 janvier 2013, le traitement repose sur une «thérapie d’adaptation
globale».. Il avait souhaité être «plus calme» et avait pris le temps de réfléchir pendant un mois avant de décider de subir une castration chirurgicale. Depuis, il ne ressentait plus autant d’agressivité ni de pulsions sexuelles aussi fortes, mais disait avoir une vie sexuelle satisfaisante et se sentir mieux. On lui avait proposé de stocker son sperme, mais il avait décidé qu’il ne souhaitait pas avoir d’enfants. Il devait bénéficier d’une libération conditionnelle à compter de janvier 2013.
38. La République tchèque fait état d’un faible niveau de récidive parmi les délinquants sexuels ayant subi une castration chirurgicale. Toutefois, les données qui m'ont été communiquées m'ont semblé périmées et/ou anecdotiques. Il est donc bienvenu qu’une nouvelle étude sur deux ans soit en cours de préparation pour le compte du gouvernement, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi le 1er avril 2012. Tout comme dans le cas de la stérilisation féminine, les changements ont pour but d’apporter plus de garanties contre les abus en matière de castrations chirurgicales pratiquées sur des délinquants sexuels – en réponse aux critiques formulées au niveau international mais aussi dans le pays 
			(36) 
			Pendant
notre rencontre, Mme Monika Šimǔnková, Commissaire tchèque aux droits
de l’homme, a souligné que le conseil gouvernemental du comité des
droits de l’homme contre la torture et les traitements inhumains
avait recommandé un moratoire sur la castration jusqu’à ce que le
gouvernement adopte la décision finale à cet égard. Selon Mme Anne Šabatová,
Présidente du Comité Helsinki tchèque, dans le passé, des délinquants
non violents auraient été victimes de castration chirurgicale.. Aucune castration chirurgicale n’a été réalisée depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle législation.
39. Pendant notre rencontre, le vice-ministre de la Santé m’a expliqué que la nouvelle loi soumet la castration chirurgicale aux conditions suivantes: la personne doit avoir commis un délit ou crime sexuel violent ainsi qu’avoir été diagnostiquée comme présentant une perversion sexuelle et un haut risque de récidive. Toutes les autres méthodes doivent avoir échoué ou être contre-indiquées. Sur demande écrite du patient et présentation de son consentement éclairé, une commission centrale du ministère de la Santé doit autoriser l’intervention après avoir entendu le patient. Désormais, l’intervention n’est plus autorisée en prison. L’âge minimum pour une castration chirurgicale est fixé à 25 ans. La castration ne peut pas être pratiquée sur des patients incapables.
40. Tout comme Mme Monika Šimǔnková, Commissaire tchèque aux droits de l’homme, que j’ai eu le plaisir de rencontrer, je me félicite de la nouvelle législation et des nouvelles règles, beaucoup plus strictes. En revanche, tout comme le CPT, je ne suis toujours par convaincue de l’efficacité de l’intervention ni de la validité du consentement libre d’une personne qui doit choisir entre passer toute sa vie dans une clinique psychiatrique et subir une castration chirurgicale. Je pense que chaque être humain a des droits inaliénables, y compris les délinquants, et que la société doit trouver une façon de préserver ces droits. C’est une question de dignité humaine.
41. Dans ce contexte, je souhaiterais évoquer également l’expérience finlandaise, que Mme Veronica Pimenoff, psychiatre et chef de service à l’Hôpital psychiatrique universitaire d’Helsinki (Finlande), a intégrée dans les informations générales qu’elle m’a communiquées à l’occasion de la deuxième audition tenue le 23 avril 2013. Mme Pimenoff a jusqu’à présent étudié 85 dossiers concernant des hommes qui, entre 1950 et 1970, en application de la loi de l’époque relative à la castration, auraient pu être castrés contre leur gré parce qu’ils avaient commis des infractions à caractère sexuel telles que l’inceste, la violence sexuelle à l’égard des enfants, l’homophilie (un crime à cette époque), la zoophilie ou le viol. Aucun de ces hommes n’a pourtant été castré parce que l’autorité médicale centrale a estimé qu’ils n’étaient pas dangereux. Ce qui est intéressant, c’est que les dossiers contiennent les réactions des hommes concernés, rédigées par eux-mêmes à la main. Ces avis sont plus ou moins longs et reflètent différents niveaux d’instruction. Les conséquences de la castration chirurgicale qui menaçait ces hommes leur avaient été expliquées; de plus, ils étaient nombreux à venir d’un milieu agricole et connaissaient la castration des animaux. Ils étaient tous (dans les 85 dossiers examinés jusqu’alors) fermement opposés à l’intervention. Beaucoup ont écrit qu’ils ne pourraient pas réintégrer la société et leur famille s’ils subissaient une castration chirurgicale, celle-ci allant d’après eux détruire leur vie et étant un châtiment pire que la mort. Il est très important de noter que l’ensemble de ces hommes étaient en prison (purgeant des peines allant de quelques mois à huit ans) et savaient qu’ils finiraient par être libérés. Ils n’avaient pas à choisir entre la liberté ou la castration, mais ils ont eu le sentiment qu’ils ne pourraient pas se confronter aux autres à l’extérieur en tant que citoyens reconnus s’ils étaient castrés. J’estime que cette expérience finlandaise, même si elle est historique, renforce mon argumentation sur la dignité humaine.

4.2.2. Castration «chimique»

42. Mme Pimenoff a souligné lors de la seconde audition de la commission le 23 avril 2013, que, d’après les données scientifiques dont on dispose, la castration d’un délinquant sexuel, qu’elle soit chirurgicale ou «chimique», ne garantit aucunement que celui-ci ne récidivera pas, en particulier s’il est dans le déni (comme c’est souvent le cas), puisqu’une simple injection de testostérone pourrait ramener son niveau hormonal à ce qu’il était avant la castration. Les seuls résultats garantis de la castration sont la perte de la capacité de procréation et, très probablement, la diminution de l’estime de soi. Mme Pimenoff a cité la définition donnée par la Cour européenne des droits de l’homme de ce qui constitue un traitement (ou une peine) dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. A son avis, la castration chirurgicale cadre avec cette définition, bien que la Cour européenne des droits de l’homme n’ait pas encore statué sur cette question. Elle a souligné que le droit d’être protégé contre tout traitement ou peine dégradant était un droit absolu auquel on ne pouvait déroger, si odieux que soit le crime commis.
43. Concernant la castration «chimique», Mme Pimenoff a souligné que, là encore, aucun élément probant ne permettait de démontrer qu’elle aurait un effet sur le taux de récidive bien que, en association avec une psychothérapie chez des patients motivés, cette méthode puisse s’avérer un complément utile. Toutefois, peut-on considérer ce traitement comme non dégradant pour la simple raison qu’il peut être interrompu? D’autant plus qu’il n’y a pas de garantie que toutes les fonctions sexuelles pourront être rétablies à l’issue d’un traitement de longue durée. C’est pourquoi la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201) protège les délinquants contre la castration imposée et n’autorise la castration «chimique» que si le délinquant est volontaire et a donné son consentement libre et éclairé.
44. Mme Pimenoff a donc confirmé les constats du CPT, que M. Krakowski avait déjà présentés il y a deux ans. D’ailleurs, elle m’a également fourni une impressionnante bibliographie scientifique sur laquelle elle fonde ses conclusions. Ainsi, je suis encore plus fermement convaincue qu’auparavant que même la castration «chimique», lorsqu’elle est imposée (ou prescrite par la loi), est une atteinte aux droits humains et à la dignité humaine, d’autant plus grave qu’elle est inefficace. A l’évidence, les lois prescrivant la castration «chimique» de certains délinquants sexuels (comme les auteurs de crimes violents contre des enfants), adoptées récemment en Pologne et en République de Moldova, ne vont donc pas dans la bonne direction. En tant qu’Assemblée parlementaire attachée aux droits humains, nous devons travailler avec les parlements de ces pays pour faire abroger ces lois au plus vite, sans attendre une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui pourrait venir trop tard pour réparer les dommages. Je sais que ma position sur cette question n’est pas populaire; en effet, une forte pression populiste s’exerce sur les parlementaires pour qu’ils «agissent résolument» afin de protéger les enfants contre la violence sexuelle, et nombreux sont les partisans de la castration obligatoire des délinquants sexuels. Toutefois, l’histoire nous a appris que la castration obligatoire – forcée ou imposée –, est une pente glissante… car l’étape suivante sera un appel à la peine de mort pour certains délinquants sexuels. Il nous incombe de mener une action de sensibilisation auprès du public pour expliquer qu’il existe des moyens de protéger les enfants contre la violence sexuelle qui sont à la fois plus efficaces et plus respectueux des droits humains.

4.3. Les personnes transgenres

45. Dans de nombreux pays européens, la stérilisation ou la chirurgie de réassignation sexuelle, ou bien les deux, sont une condition préalable pour que le pays reconnaisse légalement une personne transgenre dans son nouveau sexe. Selon RSFL, Fédération suédoise pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, 29 imposent la stérilisation. Selon le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan E. Méndez, dans 11 Etats dépourvus de législation régissant la reconnaissance légale du genre, la stérilisation forcée est encore pratiquée. Rares sont les pays aussi progressistes que le Royaume-Uni avec sa loi de 2004 sur la reconnaissance du genre, qui pourrait servir de législation modèle dans ce domaine. Je tiens à me concentrer ici sur le cas de la Suède, qui a bien voulu m'accueillir pour une visite d'étude alors qu’elle réformait en profondeur sa législation relative aux personnes transgenres.

4.3.1. Suède

46. La loi relative à la stérilisation des personnes transgenres, actuellement en vigueur en Suède, date de 1972. A l’époque, pour la première fois au niveau international, les personnes transgenres étaient légalement reconnus. Un ressortissant suédois de plus de 18 ans pouvait être légalement reconnu dans son nouveau sexe dès lors qu’il n’était pas marié (ce qui supposait un divorce pour certaines personnes) et qu’il était stérile (à la suite d’une stérilisation ou naturellement incapable de se reproduire). Selon les explications de la responsable du Conseil national suédois de la santé et de la protection sociale, la condition de la stérilisation découlait de la volonté du gouvernement de l’époque de «maintenir de l’ordre dans le système 
			(37) 
			Rencontre
avec Mme Linda Almqvist, conseillère juridique, Service des règlements
et autorisations, Conseil national suédois de la santé et de la
protection sociale.»; la stérilisation était un moyen d’éviter que des hommes ne puissent être en état de grossesse.
47. Il est difficile de déterminer combien de stérilisations ont été pratiquées sur des personnes transgenres depuis l’entrée en vigueur de la loi, mais près de 600 personnes ont déjà été enregistrées dans leur nouveau sexe. Il est vraisemblable que la plupart d’entre elles ont subi une stérilisation chirurgicale afin de pouvoir être légalement reconnues dans leur nouveau sexe. Actuellement, environ 50 demandes de changement de sexe sont reçues chaque année (dont seul un tout petit nombre est refusé suite à un refus de divorcer ou de subir une stérilisation). Il est intéressant de noter que la loi de 1972 ne soumet pas la reconnaissance légale du changement de sexe à une intervention de réassignation sexuelle 
			(38) 
			Probablement aussi
parce que, visiblement, les résultats d’une intervention subie par
une femme pour devenir un homme ne sont toujours pas très satisfaisants.. En revanche, la condition de la stérilisation introduite en 1972 est absolue: même le sperme ou les ovules stockés dans des banques doivent être détruits.
48. Le Conseil national suédois de la santé et de la protection sociale 
			(39) 
			Qui a
dirigé deux enquêtes sur le sujet, en 2007 et en 2010, lesquelles
ont abouti à des conclusions très différentes. reconnaît désormais le caractère imposé de ces stérilisations dans la mesure où les personnes concernées ne demandent pas à être stérilisées mais acceptent seulement de l’être afin que leur changement de sexe soit légalement reconnu. A l’issue d’un vaste débat national 
			(40) 
			Déclenché par le refus
d’un très petit parti minoritaire de la coalition au gouvernement,
les Chrétiens-démocrates, d’accepter l’abolition de la condition
de la stérilisation., le Parlement suédois a adopté une loi abolissant la condition de stérilisation à compter du 1er juillet 2013. De son côté, le Conseil médico-juridique (organe indépendant) du Conseil national suédois de la santé et de la protection sociale a décidé très récemment de ne pas faire appel d’un jugement de la Cour d’appel administrative, à savoir que la condition de stérilisation pour obtenir un changement légal de sexe est contraire au droit constitutionnel suédois et à la Convention européenne des droits de l’homme. En conséquence, le jugement est maintenu. En d’autres termes, quiconque demande un changement de sexe et de numéro d’identification personnel (demandé en Suède sur presque tous les formulaires utilisés par les autorités, les écoles, les universités, les partenaires contractuels et les prestataires de services) peut déjà le faire avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 1er juillet 2013. La condition imposant de ne pas être marié a déjà été abolie par une décision adoptée par le parlement en juin 2012, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2013 et qui élargit aussi le champ d’application de la loi aux résidents suédois.
49. La nouvelle question qui se pose désormais à la Suède est celle de savoir si les personnes transgenres victimes de stérilisation imposée devraient être indemnisés par l’Etat (comme l’ont été les victimes de l’ancien programme de stérilisation eugénique). Les collectifs de victimes et les ONG 
			(41) 
			Telle que la RFSL,
la Fédération suédoise pour les droits des personnes lesbiennes,
gays, bisexuelles et transgenres. demandent une indemnité de 200 000 couronnes suédoises 
			(42) 
			Les victimes du programme
de stérilisation eugénique ont touché en 1999 une indemnité de 175 000
couronnes suédoises. et des excuses officielles pour les souffrances subies. Ils espèrent que la législation suivra afin qu’une action collective et qu’une lutte devant les tribunaux puissent être évitées. Cependant, comme dans d’autres pays, l’un des problèmes rencontrés est lié à la mentalité rigide et paternaliste de certains professionnels de santé 
			(43) 
			Trois semaines à peine
avant notre visite d’étude de novembre 2012, un médecin a imposé
à un patient d’accepter d’être stérilisé pour pouvoir continuer
à bénéficier d’un traitement hormonal. Beaucoup de médecins sont
prompts à proposer la stérilisation – voire l’ablation des organes
génitaux – aussi bien aux transgenres qu’aux personnes intersexuées,
y compris en l’absence d’indications médicales. Certains considèrent
que le désir d’avoir des enfants est une contre-indication au diagnostic
de transsexualité (or, sans diagnostic officiel, il n’y a évidemment
pas de traitement officiel). Une personne transgenre que nous avons
rencontrée a fait observer de manière ironique qu’être transgenre
était considéré comme l’un des rares troubles mentaux susceptibles
d’être guéri par un traitement chirurgical.. En fait, l’accès des transgenres à des soins de qualité est difficile dans de nombreux pays, mais tel n’est pas le sujet du présent rapport.
50. Il est intéressant de noter que dans son dernier rapport, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants exhorte les Etats à abroger toute loi autorisant des traitements intrusifs et irréversibles, notamment les opérations chirurgicales de normalisation génitale forcées, la stérilisation sous la contrainte, les expérimentations contraires à l’éthique, les exhibitions de cas cliniques, les «thérapies réparatrices» ou les «thérapies de conversion», lorsqu’elles sont forcées ou pratiquées sans le consentement libre et éclairé de l’intéressé 
			(44) 
			Op.
cit. (note de bas de page n° 17), paragraphe 88.. Il exhorte également les Etats à interdire les stérilisations pratiquées de force ou imposées en toutes circonstances et à fournir une protection spéciale aux personnes appartenant à des groupes marginalisés. Il va de soi que je partage entièrement son opinion.

4.4. Les personnes handicapées

51. L’article 23(1) de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées impose aux Etats de veiller à ce que les «personnes handicapées, y compris les enfants, conservent leur fertilité, sur la base de l’égalité avec les autres».
52. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus d’un milliard de personnes à travers le monde, soit environ 15 % de la population mondiale, sont atteintes d’un handicap. Selon un rapport de l’OMS, les femmes handicapées sont particulièrement exposées aux stérilisations sans consentement. Les stérilisations forcées pratiquées sur des femmes handicapées sont souvent réalisées sous les auspices de services médico-juridiques ou avec le consentement de tuteurs désignés par un tribunal, qui sont habilités à prendre une décision au nom de la patiente. Différents motifs sont avancés pour justifier cette procédure, dont l’incapacité des femmes handicapées à exercer le rôle de parent, la protection contre l’exploitation et les abus sexuels, le contrôle de la population ou la soi-disant «gestion des cycles menstruels» 
			(45) 
			Malgorzata Stawecka,
Involuntary Sterilisation Threatens Rights of Disabled Women, 20
septembre 2012, 
			(45) 
			<a href='http://www.ipsnews.net/2012/09/involuntary-sterilisation-threatens-rights-of-disabled-women'>www.ipsnews.net/2012/09/involuntary-sterilisation-threatens-rights-of-disabled-women</a>. .
53. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants consacre une partie entière de son récent rapport aux «personnes atteintes d’un handicap psychosocial 
			(46) 
			Op. cit. (note de bas de page n°
17), section IV.D.». Dans ses recommandations, il recommande en particulier aux Etats membres, après avoir pris note de l’importante documentation relative à la stérilisation forcée des filles et des femmes porteuses d’un handicap 
			(47) 
			Op.
cit. (note de bas de page n° 17), paragraphe 89.d., de «modifier les dispositions de loi autorisant (…) toute intervention ou tout traitement imposé dans les établissements de soins de santé mentale en l’absence du consentement de la personne concernée 
			(48) 
			Dans quelques pays,
la loi autorise, selon son rapport, la stérilisation de mineurs
dont il est avéré qu’ils souffrent de graves déficiences intellectuelles.».
54. En 2011, cinq femmes handicapées mentales ont introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme (Gauer et autres c. France). Chacune avait subi contre son gré une ligature des trompes, sans avoir donné son consentement éclairé. Malheureusement, fin 2012, l’affaire a été déclarée irrecevable pour des raisons techniques. J’espère qu’un autre cas porté devant la Cour permettra de recevoir un jugement sur le fond de la question.

4.5. Les personnes marginalisées, stigmatisées ou considérées comme inadaptées

55. Pendant notre visite d’étude en Suède, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer M. Maciej Zaremba, journaliste dont les articles parus en 1997 avaient remis la législation sur la stérilisation eugénique des femmes au centre de l’actualité et déclenché un examen de conscience et un débat au niveau national, et qui a également présenté ses conclusions à la commission lors de la deuxième audition du 23 avril 2013. Même si ce programme de stérilisation appartient au passé et doit être considéré dans ce contexte historique (voir chapitre 2), je pense qu’il est utile de donner certaines précisions sur son fonctionnement.
56. Du fait d’une administration centralisée dès le départ, les dossiers de plus de 60 000 personnes ayant été stérilisées entre 1935 et 1975 sont toujours disponibles aux archives du Conseil national suédois de la santé. En examinant certains de ces dossiers, M. Zaremba a été frappé de constater qu’il fallait très peu de chose pour qu’une femme ou une jeune fille soit visée par une mesure de stérilisation. A titre d'exemples de motifs avancés, on retiendra: le fait de porter du vernis à ongles rouge, une apparence de «Carmen» (pouvant suggérer des origines tsiganes 
			(49) 
			Peu
de Sintés (et presque pas de Roms) vivaient en Suède. Les «Tatars»,
des voyageurs pauvres (rétameurs) considérés à l’époque comme des
«tsiganes» par la plupart des Suédois, mais qui étaient d’origine
locale, constituaient l’un des groupes visés. On estime à seulement
500 -1 000 le nombre de femmes tatars stérilisées, car elles évitaient
les autorités autant que possible. Certaines femmes de la minorité
same ont également subi une stérilisation.), ou le fait d’être une jeune vierge, pauvre, vivant à proximité d'une caserne militaire. M. Zaremba a souligné que la pratique visait essentiellement des femmes susceptibles de devenir une charge pour le système de protection sociale suédois en développement. Une moralité douteuse était rapidement interprétée comme un manque d’intelligence, comme l’a fait remarquer un autre éminent historien que nous avons rencontré, M. Matthias Tydén: les groupes ciblés par les stérilisations eugéniques – les «déficients mentaux» en particulier – étaient décrits comme inadaptés au rôle de parents et comme un fardeau pour la société. Par la suite, les personnes «socialement» ou génétiquement inadaptées sont venues grossir les rangs des personnes visées par des mesures de stérilisation. Ces dernières étaient pratiquées dans des hôpitaux psychiatriques et des institutions pour handicapés mentaux, mais aussi sur l’initiative de travailleurs sociaux locaux et même de pasteurs (luthériens) locaux, selon M. Zaremba.
57. En théorie, les lois étaient fondées sur le principe du libre consentement, hormis pour les interventions pratiquées «sans consentement» suite à la demande d’un tiers, en cas de «déficience mentale grave» ou «d’incapacité juridique». Il n'en reste pas moins qu'il s’agissait de stérilisation imposée, car la mesure était presque toujours imposée sous la pression, comme une condition préalable pour pouvoir sortir d’un établissement psychiatrique ou pour «faibles d'esprit» ou pour pouvoir bénéficier d’un avortement «eugénique». Au plus fort du programme (dans les années qui ont suivi 1945), 80 à 100 décisions – qui n’étaient pas susceptibles d’appel – étaient prises chaque jour par le Comité chargé d’ordonner les stérilisations 
			(50) 
			Il est quelque peu
ironique que, en même temps qu’autoriser l’usage de la force physique,
la loi allemande ait prévu (et appliqué) – contrairement à la loi
suédoise – un droit d’appel. Or, bien qu’évitant dans une large
mesure le recours à la force, elle parvenait à ses fins par le chantage
et la manipulation..
58. Comme dans beaucoup d’autres pays, les femmes qui avaient subi une stérilisation imposée dans le cadre du programme gardaient le silence – la stérilisation était considérée comme honteuse puisqu’elle visait les personnes jugées inférieures («minderwertig»). Lorsque la pratique a été rendue publique en 1997, des excuses officielles ont été présentées, qualifiant le programme de «barbare», et une commission a été rapidement mise en place pour examiner les faits en détail et formuler des recommandations, notamment en matière d’indemnisation. Au final, une indemnisation financière de 175 000 couronnes suédoises (environ 20 000 euros) a été accordée à quelque 1 600 personnes qui avaient été stérilisées contre leur gré ou dans des circonstances douteuses (sur plus de 2 000 demandes).

5. Conclusions et recommandations

59. Pendant l’audition de septembre 2011 devant la commission, j’ai été particulièrement émue par le témoignage de Mme Bernadette Gächter, victime en 1972 d’un avortement et d’une stérilisation forcés, à l’âge de 18 ans, dans mon propre pays, la Suisse 
			(51) 
			Voir le procès-verbal
de l’audition, document AS/Soc (2011) PV 6 add, ainsi que le livre
que Mme Gächter a écrit: <a href='http://www.medienarbeit.ch/buecher-widerspenstig.php'>www.medienarbeit.ch/buecher-widerspenstig.php.</a>. Son témoignage reflète en grande partie les éléments consignés dans les archives suédoises sur la stérilisation eugénique. Quand j’ai commencé à travailler sur ce rapport, elle n’avait jamais eu droit à des excuses officielles de l’Etat, ni même à une indemnisation, à la différence des victimes de Suède. Je suis heureuse de pouvoir dire que la situation a évolué: le 11 avril 2013, une cérémonie solennelle a eu lieu à Berne pour toutes les victimes de «mesures coercitives à des fins d’assistance», y compris la stérilisation forcée, pendant laquelle des excuses officielles ont été présentées au nom du Gouvernement suisse par Mme Simonetta Sommaruga qui en est membre. Une table ronde sous la présidence de M. Hansruedi Stadler, nouveau délégué aux victimes de mesures coercitives à des fins d’assistance, examinera maintenant la dimension juridique, historique et financière du problème. Je suis très heureuse de ces faits nouveaux et j’espère que les négociations de la table ronde arriveront rapidement à une conclusion satisfaisante.
60. Ce qui précède m’amène à une double conclusion:
  • Nous devons mettre fin aux stérilisations et castrations imposées. Qui peut lire le témoignage de Mme Gächter ou l’histoire de la stérilisation eugénique à travers l’Europe sans être submergé par un sentiment de «Plus jamais ça!»? Il est urgent que nous, parlementaires, révisions nos législations et réexaminions nos politiques nationales pour construire des garde-fous solides contre de futurs abus. Nous devons aussi empêcher les stérilisations et castrations imposées en encourageant un changement de mentalité: nous devons lutter contre les stéréotypes et les préjugés à l’encontre de ceux qui semblent «différents» et, de ce fait, parfois considérés par les personnes étroites d’esprit comme inférieurs, qu’il s’agisse de femmes roms, de délinquants sexuels, de personnes transgenres, de personnes handicapées ou de tout autre groupe marginalisé ou stigmatisé. Nous devons combattre les attitudes paternalistes parmi les professionnels de santé et sensibiliser l’opinion publique au fait que les stérilisations et castrations imposées constituent une violation grave des droits humains, qui ne déshonore pas les victimes mais ceux qui commettent de tels actes.
  • Nous devons obtenir réparation pour les victimes de stérilisation ou castration imposées quelles qu'elles soient et quel que soit le moment où cet abus a été commis. Dans les affaires récentes, il s’agit aussi, d’une part, de protéger et réhabiliter les victimes et, d’autre part, de poursuivre les coupables. En tout état de cause, que les cas d’abus aient été rares, isolés ou qu’ils soient anciens, il importe également de présenter des excuses officielles et d’accorder une indemnisation au moins symbolique. C’est alors seulement que nous aurons pleinement incarné les idéaux du Conseil de l’Europe.

Annexe – Avis divergent de Mme Kateřina Konečná, membre de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, au nom de la délégation de la République tchèque auprès de l’Assemblée parlementaire 
			(52) 
			En application de l’article
49.4 du Règlement de l’Assemblée («En outre, le rapport d’une commission
comporte un exposé des motifs établi par le rapporteur. La commission
en prend acte. Les avis divergents qui se sont manifestés au sein
de la commission y sont inclus à la demande de leurs auteurs, de
préférence dans le corps même de l’exposé des motifs, sinon en annexe
ou dans une note de bas de page»).

(open)

Concernant la castration chirurgicale, la rapporteure déclare qu’elle n’est toujours pas convaincue à la fois de l’efficacité de l’intervention et de la validité du consentement libre d’une personne qui doit choisir entre passer toute sa vie dans une clinique psychiatrique ou subir une castration chirurgicale. Il ressort de l’exposé des motifs que, si la possibilité d’être libéré fait partie des considérations du patient au moment d’opter pour un traitement tel que la castration médicale ou chirurgicale, le consentement qu’il donne ne peut être libre et, par conséquent, le traitement choisi est imposé. Dans cet avis divergent, nous expliquons les raisons pour lesquelles nous ne pouvons être d’accord avec ces affirmations.

Il ne fait aucun doute quant au risque réel que représente une personne souffrant de troubles mentaux pour elle-même et/ou pour les autres. C’est pourquoi il est généralement admis que dans les cas à haut risque, le patient peut être placé contre sa volonté en établissement psychiatrique. Une fois interné, le patient doit pouvoir bénéficier d’un traitement médical adapté à son état de santé, sur la base de son consentement libre et éclairé. Il va de soi qu’un tel traitement, prescrit à partir d’un diagnostic médical rigoureux, doit être efficace sur le plan thérapeutique et ne pas constituer une quelconque forme de châtiment ou uniquement un mécanisme de contrôle social (comme ce fut le cas pour les pratiques eugéniques).

Concernant les patients internés en établissement psychiatrique sur décision judiciaire, il est clair que compte tenu de la nature de leurs antécédents, ils sont à juste titre considérés comme vulnérables et devraient par conséquent faire l’objet de considérations éthiques particulières. Toutefois, à la condition qu’ils jouissent de leur capacité juridique, ils ne devraient pas être considérés incapables de prendre une décision libre et éclairée et ne devraient pas se voir refuser l’accès à un traitement qui présente un bénéfice thérapeutique. Un tel traitement devrait au contraire leur être proposé à la condition qu’il soit accompagné des garanties procédurales adéquates, comme un examen par un organe indépendant.

On néglige trop souvent que le groupe d’individus à qui diverses formes de traitement sont proposées, dont la castration médicale ou chirurgicale, ne sont pas des délinquants sexuels en général, mais seulement un petit nombre d’entre eux, qui souffrent de troubles paraphiliques. Ce sous-groupe est défini en premier lieu sur la base d’un diagnostic médical et non d’un comportement criminel. Ces individus sont d’ailleurs traités principalement en tant que patients et non en tant que délinquants.

Les troubles paraphiliques sont des troubles mentaux internationalement reconnus et répertoriés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Organisation mondiale de la santé 
			(53) 
			Selon la quatrième
édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux,
Texte révisé (DSM IV-TR) ou la Classification statistique internationale
des maladies (CIM-10), les paraphilies sont définies comme des troubles sexuels
caractérisés par «des fantasmes récurrents provoquant une intense
excitation sexuelle, des pulsions ou comportements sexuels (…) impliquant
généralement (1) des objets non humains, (2) la souffrance ou l'humiliation
pour le sujet lui-même ou son partenaire, ou (3) des enfants ou
d’autres personnes non consentantes – survenant au cours d’une période
d’au moins six mois», qui «induisent une souffrance cliniquement
significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel
ou dans d'autres domaines importants».. Leurs causes sont complexes et englobent divers facteurs psychologiques, organiques et d’autres natures. Par conséquent, leur traitement est également complexe et prend diverses formes, selon le type et l’intensité de l’affection.

Il est généralement admis que ce type de traitement consiste principalement en des séances de psychothérapie, sociothérapie et en l’utilisation de psychotropes. Les interventions sont principalement destinées à augmenter le contrôle volontaire de l’excitation sexuelle, à réduire la libido ou à enseigner la maîtrise de soi et l’aptitude à prévenir les rechutes chez les personnes ayant la volonté de lutter contre leurs instincts sexuels. Il est également reconnu que ces formes de traitement peuvent ne pas être efficaces en tant que telles en cas de patients atteints de troubles paraphiliques sévères. Dans de tels cas, la seule option pour soulager le patient est le traitement par privation androgénique (androgen deprivation therapy, ADT). Cette thérapie vise à réduire le taux de testostérone, soit par traitement hormonal («castration chimique» ou «castration médicale») soit, lorsque ce traitement n’est pas efficace ou est contre-indiqué pour des raisons de santé, par castration chirurgicale. Il est à noter que des deux formes d’ADT sont également utilisées dans le traitement du cancer de la prostate.

De nombreuses données scientifiques établissent que la récidive paraphilique peut être réduite grâce à l’ADT. En réduisant le taux de testostérone, l’ADT profite clairement au patient auquel il permet de renforcer sa maîtrise de soi, d’être soulagé de fantasmes érotiques obsessionnels importuns, et d’éviter de devoir être placé en établissement psychiatrique. Lorsqu’il est correctement administré, avec un protocole approprié permettant de prévenir ou de minimiser les effets secondaires éventuels, l’ADT ne comporte en général ni plus ni moins de risques que la plupart des autres formes d’agents psychopharmacologiques fréquemment prescrits. 
			(54) 
			Berlin
FS: Commentary: Risk/Benefit Ratio of Androgen Deprivation Treatment
for Sex Offenders, Journal de l’Académie américaine de Psychiatrie
et de droit, 2009. Dans le cadre d’une approche de réhabilitation, il est éthique de proposer l’ADT en tant que traitement à l’efficacité éprouvée, afin de parvenir à réduire l’action des androgènes et – éventuellement – de mieux contrôler les pulsions sexuelles, en améliorant ainsi l’état du patient.

La castration chirurgicale et le traitement pharmacologique hormonal ont des effets similaires dans la suppression de testostérone: en fait, le niveau de testostérone atteint avec la castration est repris comme point de comparaison pour évaluer l’efficacité de divers agents pharmacologiques employés dans le traitement hormonal. Il s’ensuit que, si l’on devait rejeter la castration au motif de sa prétendue inefficacité, il faudrait rejeter le traitement hormonal pour les mêmes raisons. Il est à noter que la castration médicale figure parmi les mesures efficaces qu’il conviendrait de rendre accessibles aux délinquants sexuels en vertu de la Convention de Lanzarote du Conseil de l’Europe.

Le caractère volontaire, en tant qu’élément du consentement éclairé, exige une absence de contrainte ou d’influence abusive. Il y a contrainte si l’une des parties – à dessein et avec succès – en influence une autre en brandissant la menace crédible de mauvais traitements indésirables et évitables si graves que la personne ne peut qu’accepter de s’exécuter pour y échapper 
			(55) 
			Faden, Beauchamp: A
History and Theory of Informed Consent, p. 339.. En revanche, il y a influence abusive en cas de proposition d’une récompense ou autre avance indécente, déplacée, injustifiée ou excessive, visant à l’obtempération 
			(56) 
			The
Belmont Report: Ethical Principles and Guidelines for the Protection
of Human Subjects of Research.. Les interventions médicales pour lesquelles le consentement du patient a été obtenu sous l’une ou l’autre de ces pressions extérieures sont involontaires et contraires aux droits humains du patient. La définition du terme «imposé» utilisé dans l’exposé des motifs est excessivement large et ne correspond pas à l’acception ordinaire du terme, tel que défini par la Cour européenne des droits de l’homme 
			(57) 
			Le terme «contrainte»
dans son acception ordinaire fait référence à une action destinée
à faire agir un individu contre sa volonté en usant de la force
ou de l’intimidation (Témoins de Jéhovah
de Moscou et autres c. Russie, arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme du 10 juin 2010, paragraphe 110). et d’autres sources faisant autorité.

Le choix auquel est confronté le patient est indubitablement difficile. Comme beaucoup d’autres traitements, la castration médicale ou chirurgicale a des effets secondaires, dont certains sont réversibles et d’autres pas (même si l’on peut remédier à la perte définitive de la capacité reproductive – le principal effet secondaire de la castration chirurgicale – en stockant le sperme dans une banque de sperme). Toutefois, la difficulté du choix ne supprime pas nécessairement le caractère volontaire de la décision. Le choix effectué par le patient paraphilique au sujet de son traitement ne peut être considéré comme «imposé» ou sinon involontaire, simplement parce que le traitement lui offre la possibilité d’exercer un contrôle sur son comportement dangereux et, par conséquent, la possibilité d’être libéré. C’est pourquoi la Convention de Lanzarote permet de proposer des interventions médicales sur une base volontaire aux délinquants sexuels détenus. Proposer un traitement qui porte la promesse de bénéfices thérapeutiques (et la possibilité inhérente d’une libération) ne peut être assimilé à l’exercice d’une contrainte ou d’une influence abusive. Cela ne peut non plus être considéré comme une violation de la dignité humaine. Au contraire, refuser l’accès à un tel traitement serait une atteinte au droit du patient à la santé et le condamnerait à des années supplémentaires de détention, et ce qui ne peut guère être qualifié comme une issue honorable.