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Résolution 1941 (2013) Version finale
Demande d’ouverture d’une procédure de suivi pour la Hongrie
1. L’Assemblée parlementaire prend
note du rapport sur la demande d’ouverture d’une procédure de suivi à
l’égard de la Hongrie, qui a été établi à la suite de la proposition
de résolution «Graves revers dans le domaine de la prééminence du
droit et des droits de l’homme en Hongrie» (Doc. 12490). Elle prend note de l’avis
du Bureau de l’Assemblée qui n’est pas favorable à l’ouverture d’une
procédure de suivi à l’égard de la Hongrie. De ce point de vue,
l’Assemblée salue la poursuite du dialogue régulier entre la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Gouvernement
hongrois.
2. La Constitution et les lois organiques y afférentes sont le
fondement du fonctionnement juridique et démocratique d’un pays.
Elles établissent les règles démocratiques de base et le cadre pour
la protection des droits de l’homme de ses citoyens et pour le respect
de l’Etat de droit. Du point de vue de l’Assemblée, le cadre constitutionnel
doit donc être stable et s’appuyer sur une large acceptation de
la société et un vaste consensus politique. A l’issue des élections
de 2010, une coalition a remporté une majorité de plus des deux
tiers au Parlement hongrois, ce qui, du point de vue des normes
européennes communes, lui confère une légitimité suffisante pour
amender la Constitution.
3. L’Assemblée note que le nouveau Parlement hongrois a, pour
la première fois dans l’histoire de la Hongrie libre et démocratique,
amendé son ancienne Constitution – héritée d’un parti unique –,
pour en faire une nouvelle Loi fondamentale moderne, à l’issue d’une
procédure démocratique et d’intenses débats au parlement, et avec
des contributions de la société civile hongroise.
4. L’Assemblée appuie l’avis de la Commission de Venise en relevant
que le nombre de sujets soumis à une majorité des deux tiers n’a
pas augmenté depuis l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale.
Afin que l’application de ces lois bénéficie du soutien le plus
large possible dans la société civile, l’Assemblée appelle la majorité
au pouvoir et tous les partis d’opposition à poursuivre leur coopération
sur ces questions.
5. Un cadre constitutionnel devrait se fonder sur des valeurs
largement acceptées dans la société. L'Assemblée note que plusieurs
dispositions préoccupent une partie de la société hongroise. Ces
dispositions se fondent toutefois sur des valeurs européennes traditionnelles,
sont énoncées dans les Constitutions de nombreux autres pays européens
et ont été adoptées par la majorité démocratique des deux tiers
du Parlement hongrois. Cette situation porte atteinte à la légitimité
démocratique et à l’acceptabilité sociale du cadre constitutionnel,
ce qui est source de préoccupation.
6. L’Assemblée est profondément inquiète de l’érosion de l’équilibre
démocratique entre les différents pouvoirs, qui résulte du nouveau
cadre constitutionnel en Hongrie. Ce nouveau cadre a introduit une concentration
excessive des pouvoirs, accru les pouvoirs discrétionnaires et réduit
à la fois l’obligation de nombreuses institutions de l’Etat et d’organismes
réglementaires de rendre compte, et le contrôle légal auxquels ils
sont soumis.
7. Pour l’Assemblée, la réduction des pouvoirs et des compétences
de la Cour constitutionnelle, qui est une institution importante
d’équilibrage et de stabilisation du système politique en Hongrie,
est une preuve supplémentaire de l’érosion du système de séparation
des pouvoirs dans ce pays. Dans ces circonstances, le fait que la
coalition au pouvoir ait utilisé sa majorité des deux tiers au parlement
pour passer outre des décisions de la Cour constitutionnelle et
réintroduire dans la Constitution des dispositions qui avaient été invalidées
par cette cour a suscité des inquiétudes.
8. Entre mai 2010 et l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale,
le 1er janvier 2012, l’ancienne Constitution
a été modifiée 12 fois. Depuis cette date, la nouvelle Loi fondamentale
a déjà été modifiée à quatre reprises, la dernière fois dans des
proportions considérables. La modification incessante de la Constitution
au nom d’intérêts politiques partisans étroits porte atteinte à
la stabilité dont a besoin le cadre constitutionnel. De plus, l’Assemblée
tient à souligner que la principale raison justifiant qu’une majorité
qualifiée des deux tiers soit requise en matière constitutionnelle
est de protéger le cadre constitutionnel de modifications frivoles
par un parti au pouvoir et de garantir que la Constitution est fondée
sur le consensus le plus large possible entre l’ensemble des forces
politiques en ce qui concerne les fondements juridiques et démocratiques
de l’Etat. Le fait de disposer
d’une majorité des deux tiers ne dégage jamais un parti ou une coalition
au pouvoir de l’obligation de rechercher un consensus et de respecter
les vues et intérêts de la minorité, et d’en tenir compte. La tentative
de la coalition gouvernementale en Hongrie d’utiliser sa majorité
exceptionnelle des deux tiers pour faire passer en force des réformes
était contraire à ces principes démocratiques.
9. L’Assemblée déplore l’adoption récente de ce qui est appelé
le «quatrième amendement » à la Constitution en dépit des recommandations
de nombreux experts nationaux et internationaux, et à l’encontre de
l’avis explicite des partenaires internationaux de la Hongrie. Le
fait que ce quatrième amendement comporte intentionnellement plusieurs
dispositions précédemment déclarées inconstitutionnelles par la
Cour constitutionnelle hongroise et/ou épinglées comme contraires
aux normes et principes européens par la Commission de Venise est
inacceptable et amène à s’interroger sur la volonté des autorités
en place de respecter les normes et standards européens.
10. L’Assemblée prend acte de l’avis de la Commission de Venise
sur le quatrième amendement constitutionnel; les conclusions et
les constatations qu’il contient confirment les préoccupations exprimées
par l’Assemblée dans la présente résolution, ainsi que dans le rapport
de la commission de suivi. Elle exhorte les autorités hongroises,
en étroite coopération avec la Commission de Venise, à répondre
pleinement à ces préoccupations et à mettre en œuvre les recommandations
contenues dans l’avis.
11. Les analyses de la Constitution et de plusieurs lois cardinales
effectuées par des experts de la Commission de Venise et du Conseil
de l’Europe soulèvent un certain nombre de questions quant à la compatibilité
de certaines dispositions avec les normes et standards européens,
y compris avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme. L’Assemblée appelle les autorités hongroises à poursuivre
leur dialogue ouvert et constructif avec la Commission de Venise
et avec toutes les autres institutions européennes.
12. De plus, l’Assemblée appelle les autorités hongroises, en
ce qui concerne:
12.1. la loi sur
la liberté de religion et le statut des Eglises:
12.1.1. à
supprimer des compétences du parlement, qui est par nature un organe
politique, le droit de reconnaître à un groupe confessionnel le
statut d’Eglise et à veiller à ce que ce type de décision soit pris
par une autorité administrative impartiale, sur la base de critères
juridiques clairs;
12.1.2. à définir, pour la reconnaissance d’une Eglise, des critères
juridiques clairs qui soient pleinement conformes aux normes internationales,
notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme;
12.1.3. à prévoir une possibilité d’appel contre toute décision
d’accepter ou de rejeter une demande de reconnaissance en tant qu’Eglise
devant une juridiction ordinaire, aussi bien sur le fond que pour
des motifs de procédure;
12.2. la loi sur l’élection des membres du parlement:
12.2.1. à veiller à ce que le découpage des circonscriptions électorales
soit établi par une autorité indépendante, sur la base de critères
juridiques clairs;
12.2.2. à veiller à ce que les limites mêmes des circonscriptions
ne soient pas fixées par la loi, en particulier par une loi cardinale.
En outre, l’Assemblée recommande aux autorités de s’efforcer de
parvenir à un large consensus entre tous les partis politiques au
sujet de la formule des «compensations» attribuées et de permettre
aux électeurs appartenant à des minorités de choisir jusqu’au jour
du scrutin s’ils veulent voter pour un parti ordinaire ou pour une
liste minoritaire. L’Assemblée note que, en adoptant la loi sur
l’élection des membres du parlement, les autorités ont répondu aux
recommandations de la Commission de Venise et à la décision de la
Cour constitutionnelle concernant le problème des écarts de taille
entre circonscriptions;
12.3. la loi sur la Cour constitutionnelle:
12.3.1. à
supprimer la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle
en matière économique;
12.3.2. à supprimer de la Constitution l’interdiction faite à
la Cour constitutionnelle de se référer à sa jurisprudence antérieure
au 1er janvier 2012;
12.3.3. à introduire une période de pause obligatoire pour les
membres du parlement, à l’instar de ce qui existe déjà pour les
membres du gouvernement, les dirigeants de partis politiques et les
dirigeants de l’Etat, entre la fin du mandat politique et la prise
de nouvelles fonctions, avant qu’ils ne soient éligibles en tant
que juge à la Cour constitutionnelle;
12.4. les lois relatives au système judiciaire, nonobstant les
améliorations apportées aux lois concernées en coopération avec
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe:
12.4.1. à retirer
des compétences reconnues au président de l’Office national de la
justice la possibilité de transférer des affaires;
12.4.2. à retirer de la loi la possibilité reconnue au président
de l’Office national de la justice d’annuler le résultat de concours
de nomination de juges;
12.4.3. à prévoir, dans la loi, que toutes les décisions du président
de l’Office national de la justice puissent faire l’objet d’un recours
devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des motifs
de procédure;
12.5. la législation applicable aux médias:
12.5.1. à
annuler les conditions fixées pour l’enregistrement des médias de
la presse écrite et de la presse en ligne;
12.5.2. à séparer, fonctionnellement et juridiquement, le Conseil
des médias de l’Autorité des médias;
12.5.3. à prévoir, dans la loi, que toutes les décisions du Conseil
des médias ou de l’Autorité des médias puissent faire l’objet d’un
recours devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des
motifs de procédure.
13. L’Assemblée considère que chacun des sujets de préoccupation
exposés ci-dessus est, en soi, grave en termes de démocratie, de
prééminence du droit et de respect des droits de l’homme. Pris séparément, chacun
mériterait déjà un examen approfondi par l’Assemblée. En fait, ce
qui est frappant en l’espèce, c’est l’accumulation de réformes visant
à établir un contrôle politique sur la plupart des institutions
essentielles tout en affaiblissant le système d’équilibre des pouvoirs.
14. En adhérant au Conseil de l’Europe, la Hongrie s’est volontairement
engagée à respecter les normes les plus exigeantes possibles en
matière de fonctionnement des institutions démocratiques, de protection
des droits de l’homme et de respect de la prééminence du droit.
Malheureusement, les développements exposés ci-dessus suscitent
de profondes et vives inquiétudes quant à la mesure dans laquelle
le pays satisfait encore à ces obligations. L’Assemblée décide toutefois
de ne pas ouvrir de procédure de suivi à l’égard de la Hongrie, mais
de suivre de près l’évolution de la situation en Hongrie et de dresser
le bilan des progrès accomplis dans la mise en œuvre de la présente
résolution.