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Résolution 1988 (2014) Version finale
Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques
1. L’Assemblée parlementaire déplore
profondément les événements dramatiques de Kiev (Maidan), entre le
18 et le 20 février 2014, qui ont coûté la vie à plus d’une centaine
de manifestants et à 17 policiers. De son point de vue, l’escalade
de violence sans précédent est largement imputable, ce qu’elle regrette,
à l’approche de plus en plus dure des autorités, notamment la soi-disant
action antiterroriste visant à réprimer les manifestations d’Euromaidan
par la force, contrairement à tous les conseils donnés par des interlocuteurs nationaux
et internationaux, y compris par l’Assemblée dans sa Résolution 1974 (2014) sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine.
2. L’Assemblée condamne avec force l’utilisation à cette occasion
par les autorités ukrainiennes de snipers et
de munitions à balles réelles à l’encontre des manifestants. De
telles actions sont inacceptables. Toutes les pertes en vies humaines,
et toutes les violations des droits de l’homme, qui se sont produites
dans le sillage des manifestations d’Euromaidan doivent faire l’objet
d’une enquête complète et leurs auteurs, y compris ceux qui faisaient
partie de la chaîne de commandement, doivent être traduits en justice.
Il ne peut y avoir d’impunité en matière de violations des droits
de l’homme, quels qu’en aient été les auteurs. Dans le même temps,
il est important que ces enquêtes soient impartiales et exemptes
de toute motivation politique ou de tout désir de vengeance. Elles
devraient être menées dans la transparence et dans le plein respect
des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE n° 5). Le comité consultatif proposé par
le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important en aidant
les autorités à faire en sorte que ces conditions soient remplies.
3. La Verkhovna Rada a joué un rôle important et constructif
pour résoudre la crise lorsque, dans l’unité et le consensus, elle
a géré le changement de pouvoir et l’application des principales
dispositions de l’accord du 21 février 2014, dans l’esprit des principes
généraux de l’accord et en tenant dûment compte des principes constitutionnels.
L’Assemblée reconnaît donc pleinement la légitimité des nouvelles
autorités de Kiev et la légalité de leurs décisions. Elle déplore
les tentatives de remise en question de la légitimité des nouvelles autorités,
qui ne peuvent servir qu’à déstabiliser le pays.
4. L’Assemblée estime que le nouveau contexte politique découlant
des événements intervenus à Maidan entre le 18 et le 21 février,
et le changement de pouvoir qui en a résulté ont ouvert une fenêtre
d’opportunité pour le développement démocratique de l’Ukraine. Il
est important maintenant d’exploiter cette fenêtre d’opportunité
pour instaurer un système de gouvernance véritablement démocratique
et inclusif, qui garantira et renforcera l’unité du pays. Afin de
complètement rétablir l’Etat de droit, l’Assemblée préconise le désarmement
immédiat des personnes et des groupes armés illégalement en Ukraine,
et la poursuite de l’action des autorités destinée à protéger les
citoyens ukrainiens contre la corruption endémique dans l’ensemble
du pays.
5. L’Assemblée prend note des amendements constitutionnels de
2004 qui ont été réinstaurés par la Verkhovna Rada avec la majorité
constitutionnelle. L’Assemblée rappelle et réitère ses préoccupations
à l’égard de ces amendements constitutionnels, telles qu’exprimées
dans diverses résolutions de l’Assemblée adoptées lors de la première
entrée en vigueur de ces amendements. Il est donc urgent d’introduire
d’autres réformes constitutionnelles. L’Assemblée invite vivement
la Verkhovna Rada à mettre à profit l’occasion unique que constitue
son unité, actuellement, pour adopter sans plus attendre les amendements
constitutionnels nécessaires pour établir un meilleur équilibre
du pouvoir entre le Président et le corps législatif et pour mettre la
Constitution du pays pleinement en conformité avec les normes et
principes du Conseil de l’Europe. A cet égard, l’Assemblée se félicite
de l’engagement clairement exprimé de toutes les forces politiques
en Ukraine en faveur de l’adoption de ces amendements constitutionnels
en première lecture avant la tenue de la prochaine élection présidentielle
et en dernière lecture au début de la prochaine session de la Verkhovna Rada,
en septembre 2014. Etant donné que le temps presse, l’Assemblée
invite la Verkhovna Rada à utiliser pleinement les avis déjà rendus
par la Commission européenne pour la démocratie pour le droit (Commission de
Venise) sur les projets et textes d’orientation antérieurs pour
une réforme constitutionnelle en Ukraine.
6. La légitimité de la Verkhovna Rada, issue des urnes en 2012
lors d’élections qui ont été observées, entre autres, par l’Assemblée,
ne saurait être remise en question. Dans le même temps, l’Assemblée
reconnaît que, du fait des développements politiques récents, notamment
la déroute du Parti des régions, plusieurs groupes de personnes
en Ukraine craignent d’être mal ou non représentées à la Verkhovna
Rada et par là même au niveau du gouvernement central. Pour garantir
la représentativité la plus complète possible de la Verkhovna Rada,
qui servira l’unité et la stabilité du pays, des élections législatives
anticipées devraient être organisées aussi tôt que cela sera possible
sur les plans technique et politique.
7. Les prochaines élections législatives devraient être menées
sur la base d’un nouveau code électoral unifié et d’un système régional
d’élection à la proportionnelle, comme l’ont recommandé à de nombreuses reprises
l’Assemblée et la Commission de Venise. Pour éviter tout retard
inutile dans l’adoption de ce code électoral, l’Assemblée recommande
que la Verkhovna Rada élabore un code électoral unifié en se servant
du projet qui avait été préparé par le groupe de travail Klioutchkovsky,
auquel avaient participé tous les courants politiques et qui avait
bénéficié de l’expertise de la Commission de Venise.
8. La réforme constitutionnelle et l’adoption d’un nouveau code
électoral unifié devraient certes constituer la priorité immédiate
des autorités ukrainiennes; cependant, une réforme judiciaire d’envergure
et la décentralisation du gouvernement, notamment le renforcement
des pouvoirs locaux et régionaux, devraient également être examinées
et mises en œuvre d’urgence.
9. Malheureusement, de récents événements ont aggravé le clivage
entre l’est et l’ouest de l’Ukraine, suscitant un malaise au sein
des populations des deux parties du pays. Aux yeux de l’Assemblée,
le clivage est principalement d’origine politique, indépendamment
des différences historiques et culturelles claires entre l’est et
l’ouest de l’Ukraine. L’Assemblée recommande donc que les autorités
établissent une stratégie globale et inclusive pour renforcer les
pouvoirs locaux et régionaux, et décentraliser le gouvernement.
Cette stratégie de décentralisation devrait reposer sur les principes
d’un Etat unitaire fort, doté d’un système efficace de gouvernance
centrale, avec une délégation de responsabilités et de pouvoirs
aux communautés locales et régionales. L’Assemblée conteste fermement
toute notion de fédéralisation de l’Ukraine et toutes pressions extérieures
en faveur de la poursuite de la fédéralisation dans l’avenir, car
cela affaiblirait substantiellement l’unité et la stabilité du pays.
10. Le manque d’indépendance de la justice et les déficiences
structurelles du système judiciaire préoccupent de longue date l’Assemblée.
Des réformes judiciaires de grande ampleur doivent être rapidement mises
en œuvre. L’Assemblée réitère ses recommandations formulées dans
des résolutions précédentes, qui sont toujours valables. Elle souligne
que des amendements constitutionnels sont nécessaires pour instaurer un
système judiciaire pleinement conforme aux normes européennes.
11. L’Assemblée prend note des conclusions du Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
qui s’est rendu en Ukraine du 21 au 26 mars 2014. Elle se félicite
que, en l’état actuel de la situation en Ukraine, aucune menace
immédiate ne pèse sur la jouissance des droits des minorités. Dans
le même temps, elle invite les autorités à se montrer proactives
en adoptant toutes les mesures possibles pour renforcer l’unité
du pays et à s’abstenir de tout acte ou propos qui pourrait semer
la discorde et saper – ou contribuer à saper – l’unité nationale.
Dans ce contexte, l’Assemblée regrette la décision de la Verkhovna
Rada d’abroger la loi sur les principes de la politique relative
à la langue d’Etat, même si cette décision n’a jamais été entérinée
ou mise en œuvre.
12. L’Assemblée se dit préoccupée par le nombre croissant de signalements
dignes de foi de violations des droits de l’homme des minorités
ethniques ukrainienne et tatare en Crimée, y compris refuser l'accès
à leurs propres maisons, après son annexion par la Russie. Elle
appelle les autorités russes à s’assurer qu’il soit immédiatement
mis un terme à ces violations et que tous leurs auteurs soient traduits
en justice. Le rapport du Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales, élaboré à la suite
de sa mission en Ukraine du 21 au 26 mars 2014, fait observer que
les personnes appartenant à la minorité des Tatars de Crimée sont
particulièrement exposées à des risques en Crimée. Les Tatars de
Crimée, qui ont déjà souffert de la déportation dans le passé, ont
un sentiment croissant de peur et d’incertitude concernant leur avenir.
Leurs craintes relatives à leur sécurité et à leur accès aux droits,
y compris la jouissance des droits culturels, linguistiques, à l’éducation
et de propriété, doivent être dûment prises en compte. En outre,
les représentants internationaux de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) chargés de suivre la situation
des droits de l’homme devraient pouvoir accéder à la région sans
restriction.
13. Les rumeurs fréquentes et non corroborées de violations des
droits des minorités en Ukraine, ainsi que l’image négative donnée
par certains médias nationaux et internationaux du nouveau gouvernement
de Kiev, ont affecté les relations interethniques en Ukraine, et,
en définitive, l’unité et la stabilité du pays. L’Assemblée invite
tous les médias à s’abstenir de propager de telles rumeurs sans
fondement et à couvrir les événements dans la région de manière
impartiale et factuelle. L’Assemblée invite les autorités à s’abstenir
de toute censure des médias. Elle appelle les autorités d’Ukraine
à reconsidérer la décision de mettre fin au fonctionnement de certaines
chaînes de télévision du pays et ses régions, et à s’abstenir de
toute censure des médias.
14. L’Assemblée déplore que les changements démocratiques et les
développements politiques en Ukraine aient été éclipsés par l’évolution
de la situation en Crimée. Elle condamne vigoureusement l’autorisation donnée
par le Parlement de la Fédération de Russie d’utiliser la force
militaire en Ukraine, l’agression militaire russe et l’annexion
ultérieure de la Crimée, qui constituent une violation manifeste
du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies,
de l’Acte final d’Helsinki de l’OSCE ainsi que du Statut et des principes
fondamentaux du Conseil de l’Europe.
15. Aux yeux de l’Assemblée, aucun des arguments que la Fédération
de Russie a fait valoir pour justifier ses actes ne résiste à l’examen
des faits et des preuves. Il n’y avait pas de prise de contrôle
du gouvernement central à Kiev par l’extrême droite, ni de menace
imminente à l’encontre des droits de la minorité ethnique russe
dans le pays en général, et en Crimée en particulier. Etant donné
que ni le sécessionnisme ni l’intégration à la Fédération de Russie
n’étaient une priorité à l’ordre du jour politique de la population
de Crimée, ni largement soutenus, avant l’intervention militaire
russe, l’Assemblée considère que le mouvement en faveur de la sécession
et de l’intégration à la Fédération de Russie a été provoqué et
incité par les autorités russes, sous couvert d’une intervention
militaire.
16. Le soi-disant référendum qui a été organisé en Crimée le 16
mars 2014 était contraire aux Constitutions de la Crimée comme de
l’Ukraine. En outre, la participation et les résultats annoncés
pour cette consultation ne sont pas plausibles. L’issue de ce référendum
et l’annexion illégale du territoire de la Crimée par la Fédération
de Russie n’ont donc pas d’effet juridique et ne sont pas reconnues
par le Conseil de l’Europe. L’Assemblée réaffirme son soutien déterminé
à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale
de l’Ukraine. Eu égard à la dénonciation par la Fédération de Russie
des accords, conclus avec l’Ukraine en 1997, sur le déploiement
de la flotte de la mer Noire en Crimée, l’Assemblée appelle la Russie
à retirer immédiatement ses troupes de Crimée.
17. L’Assemblée exprime sa grande préoccupation quant à la mobilisation
d’une forte présence militaire russe le long de la frontière avec
l’Ukraine, ce qui pourrait être un signe que la Fédération de Russie envisagerait
de poursuivre son agression militaire, sans qu’il y ait eu provocation,
contre l’Ukraine, ce qui est inacceptable.
18. Etant donné le risque de déstabilisation et la détérioration
du régime de sécurité de l’ensemble de la région qu’entraînerait
une escalade de l’agression militaire russe à l’encontre de l’Ukraine,
l’Assemblée recommande que les signataires de l’Accord de Budapest,
ainsi que d’autres Etats européens concernés, explorent la possibilité
d’accords de sécurité concrets pour garantir l’indépendance, la
souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine.