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Résolution 1988 (2014) Version finale

Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 9 avril 2014 (15e séance) (voir Doc. 13482, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), corapporteures: Mme Mailis Reps et Mme Marietta de Pourbaix-Lundin). Texte adopté par l’Assemblée le 9 avril 2014 (15e séance).

1. L’Assemblée parlementaire déplore profondément les événements dramatiques de Kiev (Maidan), entre le 18 et le 20 février 2014, qui ont coûté la vie à plus d’une centaine de manifestants et à 17 policiers. De son point de vue, l’escalade de violence sans précédent est largement imputable, ce qu’elle regrette, à l’approche de plus en plus dure des autorités, notamment la soi-disant action antiterroriste visant à réprimer les manifestations d’Euromaidan par la force, contrairement à tous les conseils donnés par des interlocuteurs nationaux et internationaux, y compris par l’Assemblée dans sa Résolution 1974 (2014) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine.
2. L’Assemblée condamne avec force l’utilisation à cette occasion par les autorités ukrainiennes de snipers et de munitions à balles réelles à l’encontre des manifestants. De telles actions sont inacceptables. Toutes les pertes en vies humaines, et toutes les violations des droits de l’homme, qui se sont produites dans le sillage des manifestations d’Euromaidan doivent faire l’objet d’une enquête complète et leurs auteurs, y compris ceux qui faisaient partie de la chaîne de commandement, doivent être traduits en justice. Il ne peut y avoir d’impunité en matière de violations des droits de l’homme, quels qu’en aient été les auteurs. Dans le même temps, il est important que ces enquêtes soient impartiales et exemptes de toute motivation politique ou de tout désir de vengeance. Elles devraient être menées dans la transparence et dans le plein respect des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5). Le comité consultatif proposé par le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important en aidant les autorités à faire en sorte que ces conditions soient remplies.
3. La Verkhovna Rada a joué un rôle important et constructif pour résoudre la crise lorsque, dans l’unité et le consensus, elle a géré le changement de pouvoir et l’application des principales dispositions de l’accord du 21 février 2014, dans l’esprit des principes généraux de l’accord et en tenant dûment compte des principes constitutionnels. L’Assemblée reconnaît donc pleinement la légitimité des nouvelles autorités de Kiev et la légalité de leurs décisions. Elle déplore les tentatives de remise en question de la légitimité des nouvelles autorités, qui ne peuvent servir qu’à déstabiliser le pays.
4. L’Assemblée estime que le nouveau contexte politique découlant des événements intervenus à Maidan entre le 18 et le 21 février, et le changement de pouvoir qui en a résulté ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour le développement démocratique de l’Ukraine. Il est important maintenant d’exploiter cette fenêtre d’opportunité pour instaurer un système de gouvernance véritablement démocratique et inclusif, qui garantira et renforcera l’unité du pays. Afin de complètement rétablir l’Etat de droit, l’Assemblée préconise le désarmement immédiat des personnes et des groupes armés illégalement en Ukraine, et la poursuite de l’action des autorités destinée à protéger les citoyens ukrainiens contre la corruption endémique dans l’ensemble du pays.
5. L’Assemblée prend note des amendements constitutionnels de 2004 qui ont été réinstaurés par la Verkhovna Rada avec la majorité constitutionnelle. L’Assemblée rappelle et réitère ses préoccupations à l’égard de ces amendements constitutionnels, telles qu’exprimées dans diverses résolutions de l’Assemblée adoptées lors de la première entrée en vigueur de ces amendements. Il est donc urgent d’introduire d’autres réformes constitutionnelles. L’Assemblée invite vivement la Verkhovna Rada à mettre à profit l’occasion unique que constitue son unité, actuellement, pour adopter sans plus attendre les amendements constitutionnels nécessaires pour établir un meilleur équilibre du pouvoir entre le Président et le corps législatif et pour mettre la Constitution du pays pleinement en conformité avec les normes et principes du Conseil de l’Europe. A cet égard, l’Assemblée se félicite de l’engagement clairement exprimé de toutes les forces politiques en Ukraine en faveur de l’adoption de ces amendements constitutionnels en première lecture avant la tenue de la prochaine élection présidentielle et en dernière lecture au début de la prochaine session de la Verkhovna Rada, en septembre 2014. Etant donné que le temps presse, l’Assemblée invite la Verkhovna Rada à utiliser pleinement les avis déjà rendus par la Commission européenne pour la démocratie pour le droit (Commission de Venise) sur les projets et textes d’orientation antérieurs pour une réforme constitutionnelle en Ukraine.
6. La légitimité de la Verkhovna Rada, issue des urnes en 2012 lors d’élections qui ont été observées, entre autres, par l’Assemblée, ne saurait être remise en question. Dans le même temps, l’Assemblée reconnaît que, du fait des développements politiques récents, notamment la déroute du Parti des régions, plusieurs groupes de personnes en Ukraine craignent d’être mal ou non représentées à la Verkhovna Rada et par là même au niveau du gouvernement central. Pour garantir la représentativité la plus complète possible de la Verkhovna Rada, qui servira l’unité et la stabilité du pays, des élections législatives anticipées devraient être organisées aussi tôt que cela sera possible sur les plans technique et politique.
7. Les prochaines élections législatives devraient être menées sur la base d’un nouveau code électoral unifié et d’un système régional d’élection à la proportionnelle, comme l’ont recommandé à de nombreuses reprises l’Assemblée et la Commission de Venise. Pour éviter tout retard inutile dans l’adoption de ce code électoral, l’Assemblée recommande que la Verkhovna Rada élabore un code électoral unifié en se servant du projet qui avait été préparé par le groupe de travail Klioutchkovsky, auquel avaient participé tous les courants politiques et qui avait bénéficié de l’expertise de la Commission de Venise.
8. La réforme constitutionnelle et l’adoption d’un nouveau code électoral unifié devraient certes constituer la priorité immédiate des autorités ukrainiennes; cependant, une réforme judiciaire d’envergure et la décentralisation du gouvernement, notamment le renforcement des pouvoirs locaux et régionaux, devraient également être examinées et mises en œuvre d’urgence.
9. Malheureusement, de récents événements ont aggravé le clivage entre l’est et l’ouest de l’Ukraine, suscitant un malaise au sein des populations des deux parties du pays. Aux yeux de l’Assemblée, le clivage est principalement d’origine politique, indépendamment des différences historiques et culturelles claires entre l’est et l’ouest de l’Ukraine. L’Assemblée recommande donc que les autorités établissent une stratégie globale et inclusive pour renforcer les pouvoirs locaux et régionaux, et décentraliser le gouvernement. Cette stratégie de décentralisation devrait reposer sur les principes d’un Etat unitaire fort, doté d’un système efficace de gouvernance centrale, avec une délégation de responsabilités et de pouvoirs aux communautés locales et régionales. L’Assemblée conteste fermement toute notion de fédéralisation de l’Ukraine et toutes pressions extérieures en faveur de la poursuite de la fédéralisation dans l’avenir, car cela affaiblirait substantiellement l’unité et la stabilité du pays.
10. Le manque d’indépendance de la justice et les déficiences structurelles du système judiciaire préoccupent de longue date l’Assemblée. Des réformes judiciaires de grande ampleur doivent être rapidement mises en œuvre. L’Assemblée réitère ses recommandations formulées dans des résolutions précédentes, qui sont toujours valables. Elle souligne que des amendements constitutionnels sont nécessaires pour instaurer un système judiciaire pleinement conforme aux normes européennes.
11. L’Assemblée prend note des conclusions du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, qui s’est rendu en Ukraine du 21 au 26 mars 2014. Elle se félicite que, en l’état actuel de la situation en Ukraine, aucune menace immédiate ne pèse sur la jouissance des droits des minorités. Dans le même temps, elle invite les autorités à se montrer proactives en adoptant toutes les mesures possibles pour renforcer l’unité du pays et à s’abstenir de tout acte ou propos qui pourrait semer la discorde et saper – ou contribuer à saper – l’unité nationale. Dans ce contexte, l’Assemblée regrette la décision de la Verkhovna Rada d’abroger la loi sur les principes de la politique relative à la langue d’Etat, même si cette décision n’a jamais été entérinée ou mise en œuvre.
12. L’Assemblée se dit préoccupée par le nombre croissant de signalements dignes de foi de violations des droits de l’homme des minorités ethniques ukrainienne et tatare en Crimée, y compris refuser l'accès à leurs propres maisons, après son annexion par la Russie. Elle appelle les autorités russes à s’assurer qu’il soit immédiatement mis un terme à ces violations et que tous leurs auteurs soient traduits en justice. Le rapport du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, élaboré à la suite de sa mission en Ukraine du 21 au 26 mars 2014, fait observer que les personnes appartenant à la minorité des Tatars de Crimée sont particulièrement exposées à des risques en Crimée. Les Tatars de Crimée, qui ont déjà souffert de la déportation dans le passé, ont un sentiment croissant de peur et d’incertitude concernant leur avenir. Leurs craintes relatives à leur sécurité et à leur accès aux droits, y compris la jouissance des droits culturels, linguistiques, à l’éducation et de propriété, doivent être dûment prises en compte. En outre, les représentants internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) chargés de suivre la situation des droits de l’homme devraient pouvoir accéder à la région sans restriction.
13. Les rumeurs fréquentes et non corroborées de violations des droits des minorités en Ukraine, ainsi que l’image négative donnée par certains médias nationaux et internationaux du nouveau gouvernement de Kiev, ont affecté les relations interethniques en Ukraine, et, en définitive, l’unité et la stabilité du pays. L’Assemblée invite tous les médias à s’abstenir de propager de telles rumeurs sans fondement et à couvrir les événements dans la région de manière impartiale et factuelle. L’Assemblée invite les autorités à s’abstenir de toute censure des médias. Elle appelle les autorités d’Ukraine à reconsidérer la décision de mettre fin au fonctionnement de certaines chaînes de télévision du pays et ses régions, et à s’abstenir de toute censure des médias.
14. L’Assemblée déplore que les changements démocratiques et les développements politiques en Ukraine aient été éclipsés par l’évolution de la situation en Crimée. Elle condamne vigoureusement l’autorisation donnée par le Parlement de la Fédération de Russie d’utiliser la force militaire en Ukraine, l’agression militaire russe et l’annexion ultérieure de la Crimée, qui constituent une violation manifeste du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies, de l’Acte final d’Helsinki de l’OSCE ainsi que du Statut et des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe.
15. Aux yeux de l’Assemblée, aucun des arguments que la Fédération de Russie a fait valoir pour justifier ses actes ne résiste à l’examen des faits et des preuves. Il n’y avait pas de prise de contrôle du gouvernement central à Kiev par l’extrême droite, ni de menace imminente à l’encontre des droits de la minorité ethnique russe dans le pays en général, et en Crimée en particulier. Etant donné que ni le sécessionnisme ni l’intégration à la Fédération de Russie n’étaient une priorité à l’ordre du jour politique de la population de Crimée, ni largement soutenus, avant l’intervention militaire russe, l’Assemblée considère que le mouvement en faveur de la sécession et de l’intégration à la Fédération de Russie a été provoqué et incité par les autorités russes, sous couvert d’une intervention militaire.
16. Le soi-disant référendum qui a été organisé en Crimée le 16 mars 2014 était contraire aux Constitutions de la Crimée comme de l’Ukraine. En outre, la participation et les résultats annoncés pour cette consultation ne sont pas plausibles. L’issue de ce référendum et l’annexion illégale du territoire de la Crimée par la Fédération de Russie n’ont donc pas d’effet juridique et ne sont pas reconnues par le Conseil de l’Europe. L’Assemblée réaffirme son soutien déterminé à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Eu égard à la dénonciation par la Fédération de Russie des accords, conclus avec l’Ukraine en 1997, sur le déploiement de la flotte de la mer Noire en Crimée, l’Assemblée appelle la Russie à retirer immédiatement ses troupes de Crimée.
17. L’Assemblée exprime sa grande préoccupation quant à la mobilisation d’une forte présence militaire russe le long de la frontière avec l’Ukraine, ce qui pourrait être un signe que la Fédération de Russie envisagerait de poursuivre son agression militaire, sans qu’il y ait eu provocation, contre l’Ukraine, ce qui est inacceptable.
18. Etant donné le risque de déstabilisation et la détérioration du régime de sécurité de l’ensemble de la région qu’entraînerait une escalade de l’agression militaire russe à l’encontre de l’Ukraine, l’Assemblée recommande que les signataires de l’Accord de Budapest, ainsi que d’autres Etats européens concernés, explorent la possibilité d’accords de sécurité concrets pour garantir l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine.