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Rapport | Doc. 13593 | 12 septembre 2014

Faire barrage aux manifestations de néonazisme

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Marietta de POURBAIX-LUNDIN, Suède, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12661, Renvoi 3816 du 3 octobre 2011. 2014 - Quatrième partie de session

Résumé

Il ne faut pas ignorer les néonazis ni en faire des martyrs.

Le rapport insiste sur la responsabilité première des représentants gouvernementaux et des responsables politiques démocratiques et les appelle à s'unir autour d'un «consensus démocratique» pour s'opposer de concert à l'idéologie néonazie et aux partis politiques qui plaident en sa faveur, au sein et hors des parlements. Tous les responsables politiques sont ainsi invités à débattre avec les mouvements néonazis afin de les démasquer publiquement en rejetant et condamnant leur idéologie et rhétorique. D'autres mesures devraient prévoir l'engagement de la responsabilité pénale des dirigeants et membres des partis, y compris des parlementaires, qui prônent des discours de haine, et devraient également empêcher le financement de tels partis.

La commission des questions politiques et de la démocratie souligne que, dans la lutte contre le néonazisme, il faudrait se concentrer sur la prévention, par l'éducation et la prise de conscience. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient concevoir des stratégies sociale, économique et culturelle afin de réduire les terrains fertiles pour l'idéologie néonazie.

Afin de perpétuer la mémoire des victimes de l'attaque tragique du 22 juillet 2011, commise par un néonazi en Norvège, la commission invite l'Assemblée à soutenir l'initiative de jeunes militants visant à faire du 22 juillet la Journée européenne des victimes de crimes de haine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 4 septembre
2014.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire condamne sans équivoque les manifestations toujours plus nombreuses de néonazisme (extrémisme de droite) et la montée des partis et mouvements néonazis en Europe, dont certains ont fait leur entrée au parlement au niveau national ou européen. Il ne s'agit pas d'un phénomène isolé propre à quelques Etats membres du Conseil de l'Europe, mais d'un problème aux dimensions paneuropéennes. Il est souvent en sommeil dans la société en attendant que les conditions propices à son émergence soient réunies. C'est pourquoi seul le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre les Etats membres permet de le combattre efficacement.
2. Si la déception de la société face à la situation économique difficile et la frustration liée à l'incapacité des gouvernements à mettre en œuvre des politiques migratoires globales peuvent, dans certains cas, expliquer en partie le regain de popularité des partis néonazis symbolisant un «vote de protestation», cette situation ne fait que renforcer la responsabilité des représentants gouvernementaux et des responsables politiques démocratiques, qui devraient faire face et s'unir pour défendre les valeurs démocratiques. Il ne faut pas ignorer les néonazis ni en faire des martyrs.
3. En dépit de l'utilisation persistante de symboles et structures du passé, tels que des logos de parti rappelant les croix gammées, les stratégies mises en œuvre par les militants néonazis dans la sphère publique sont de plus en plus sophistiquées, et donc plus difficiles à identifier et à combattre. Le recours sans cesse croissant à internet comme principale plateforme de propagande et de coordination des extrémistes rend toute surveillance ou action de lutte encore plus délicate.
4. L'Assemblée note que la plupart des jeunes qui adhèrent à des groupes extrémistes le font au début de l'adolescence ou même avant. Les partis néonazis ont aussi tendance à développer des programmes et des structures visant spécifiquement les enfants n'ayant pas encore l'âge de voter, dans les écoles ou les camps de vacances.
5. L'Assemblée est de ce fait d'avis que la lutte contre le néonazisme doit être axée sur la prévention, au travers de l'éducation et de la sensibilisation, et sur une réaction précoce sur le terrain à toutes les manifestations, violentes ou non, de néonazisme, qu'elles soient le fait de groupes organisés ou d'individus radicalisés. L'identification des signes avant-coureurs devrait permettre de mener des actions opportunes pour éviter la radicalisation et stopper sur le champ les activités néonazies, avant que le problème ne devienne incontrôlable.
6. L'expérience a montré que pour être efficace, une action opportune devrait être coordonnée par l'ensemble de la communauté et accompagnée d’un message politique clair, délivré au plus haut niveau, selon lequel toute manifestation néonazie, y compris les crimes et discours de haine, ne saurait être tolérée dans un pays démocratique régi par l'Etat de droit. Des mesures d'aide aux victimes et d'assistance aux personnes désireuses de quitter les mouvements extrémistes sont également indispensables pour faire barrage au néonazisme.
7. A la lumière de ces considérations, et en référence à des exemples concrets d'expériences et de bonnes pratiques, l'Assemblée appelle les Etats membres:
7.1. à concevoir des stratégies transsectorielles pour prévenir et combattre l'idéologie néonazie, y compris des stratégies sociales, économiques et culturelles afin de réduire les terrains fertiles pour cette idéologie;
7.2. à développer des plans d'action nationaux et à désigner des coordinateurs nationaux chargés de la lutte contre l'extrémisme de droite, afin d'établir un cadre pour la coordination entre les institutions publiques à tous les niveaux et les initiatives de la société civile;
7.3. à promouvoir et soutenir, grâce à un financement public régulier, des initiatives et projets spécifiques de la société civile destinés à prévenir et combattre le néonazisme ou les autres formes de racisme, de haine et d'antisémitisme, dans la sphère locale et la vie de tous les jours, y compris en ligne;
7.4. à renforcer la recherche, y compris pédagogique, ainsi que la coopération internationale et les échanges de bonnes pratiques dans le domaine de la prévention et de la lutte contre le néonazisme;
7.5. à continuer de soutenir, y compris par des contributions volontaires, ou à commencer à mettre en œuvre (selon le cas) la campagne du Conseil de l'Europe intitulée «Mouvement contre le discours de haine», à laquelle participent des jeunes de toute l'Europe.
8. Plus spécifiquement, l'Assemblée demande aux Etats membres:
8.1. s'agissant de la prévention:
8.1.1. d'encourager et de soutenir, grâce à des financements publics, des actions opportunes conjointes et bien coordonnées contre la radicalisation, menées par la communauté dans son ensemble, notamment la police locale et les divers acteurs de la société tels que les écoles, les services de garde d'enfants, les groupes de parents, les maires et les services municipaux pertinents, les églises, les syndicats et les organisations professionnelles, ainsi que les groupes de la société civile, dont les associations bénévoles, les groupes d'aide aux victimes, les conseils de réfugiés et les représentants de la jeunesse;
8.1.2. de former spécialement les agents des forces de l'ordre aux actions de prévention et de proposer et soutenir les mesures policières préventives (par exemple les «entretiens de responsabilisation») destinées plus spécialement aux adolescents qui montrent des signes de radicalisation et à leurs familles;
8.1.3. d'assurer la poursuite du développement de stratégies et de technologies afin de réduire l'influence des médias sociaux dans le recrutement et la promotion du néonazisme;
8.1.4. de veiller au partage de toutes les données ou analyses fournies et notamment des signes avant-coureurs détectés par les acteurs locaux et la société civile avec les institutions publiques et les forces de l'ordre engagées dans la prévention ou la lutte contre le néonazisme, et à leur prise en considération prompte et adéquate au niveau politique;
8.2. s'agissant de l'éducation:
8.2.1. de renforcer l'éducation à la citoyenneté démocratique et les mesures de sensibilisation aux droits de l'homme dans les écoles, dès l'enseignement primaire, afin de permettre aux enfants de soutenir au plus tôt les valeurs démocratiques; cette démarche devrait également inclure une éducation contre le discours de haine et notamment à ses dimensions en ligne;
8.2.2. de renforcer l'enseignement de l'histoire du 20e siècle, en particulier celui de la période entourant la seconde guerre mondiale;
8.2.3. de former les enseignants à la citoyenneté démocratique et aux droits de l'homme et d'aider les parents à soutenir activement leurs enfants;
8.2.4. d'appuyer les projets éducatifs et les méthodes pédagogiques visant à s'attaquer aux idéologies antidémocratiques telles que le néonazisme et l'antisémitisme, un phénomène allant bien au-delà des groupes néonazis;
8.3. s'agissant de l'application de la loi:
8.3.1. de fournir et mettre en œuvre efficacement un cadre juridique complet sur les crimes et les discours de haine, conformément aux recommandations spécifiques faites par l'Assemblée dans sa Résolution 1967 (2014) sur une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe, et à celles formulées par d'autres organes du Conseil de l'Europe, en particulier la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) et le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe;
8.3.2. d'engager de manière opportune et efficace la responsabilité pénale des dirigeants et membres des partis, y compris des parlementaires, qui prononcent des discours de haine ou commettent des crimes de haine ou toute autre infraction pénale;
8.3.3. d'assurer la formation des juges, procureurs et agents des forces de l'ordre aux crimes et discours de haine pour qu'ils puissent également identifier les crimes à connotation néonazie;
8.3.4. d'assurer une coopération et une coordination efficaces, fondées sur un échange régulier d'informations, entre les divers organes en charge de l'application de la loi;
8.3.5. de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger la liberté d'expression et le droit à la vie privée des membres de groupes d'extrême-droite et les droits fondamentaux des groupes démocratiques qui souhaitent réagir et empêcher ou bloquer des manifestations organisées par des extrémistes;
8.3.6. de mettre en œuvre des procédures accélérées d'enquête, de poursuite et de jugement des affaires portant sur des actes de violence néonazie commis par des adolescents, en coopération avec les familles des auteurs et les réseaux de la société civile, de manière à renforcer l'effet dissuasif sur les autres adolescents;
8.3.7. de concevoir des stratégies pour les services de police et de renseignement, y compris des activités policières en ligne, afin de faire face aux défis particuliers posés par les discours de haine néonazis en ligne;
8.4. s'agissant du soutien aux victimes et de la protection des témoins:
8.4.1. d'encourager les victimes et les témoins du néonazisme à s'exprimer conformément aux recommandations spécifiques formulées par l'Assemblée dans sa Résolution 1967 (2014);
8.4.2. de renforcer les mesures d'aide aux victimes, de promouvoir les groupes de soutien aux victimes et d'assurer un financement public régulier à cet effet;
8.4.3. de fournir une protection spécifique aux immigrants illégaux qui ont été victimes de crimes de haine, jusqu'à ce qu'une décision judiciaire finale soit rendue;
8.5. s'agissant du soutien aux personnes souhaitant quitter les mouvements extrémistes:
8.5.1. de concevoir des stratégies et des programmes pour aider et soutenir ceux qui souhaitent quitter les mouvements néonazis, ainsi que leurs familles, en proposant notamment une autre perspective de la vie, un emploi ou une formation professionnelle;
8.5.2. de recourir à d'ex-militants de la sphère néonazie dotés des qualités personnelles et de la motivation requises pour amener d'autres à quitter ces mouvements;
8.5.3. de promouvoir et de soutenir, notamment grâce à un financement public régulier, les projets «exit» de la société civile.
9. L'Assemblée invite instamment:
9.1. les responsables politiques, tant au plan national qu'européen, à débattre avec les mouvements néonazis et à les démasquer publiquement en remettant en cause, rejetant et condamnant clairement et sans équivoque l'idéologie et la rhétorique néonazies;
9.2. les partis démocratiques à s'unir autour d'un «consensus démocratique» et à faire barrage, en bloc, aux partis néonazis au sein et hors des parlements;
9.3. les parlements nationaux:
9.3.1. à s'assurer qu'aucun financement public ne soit octroyé à des partis prônant des discours de haine et des crimes de haine;
9.3.2. à adopter des codes de conduite incluant des garanties contre les crimes et discours de haine, sur quelque motif que ce soit.
10. L'Assemblée invite ses membres à rejoindre et soutenir les activités:
10.1. de l'Alliance parlementaire contre la haine et de tous les groupes de parlementaires qui travaillent pour le même objectif;
10.2. des comités nationaux créés dans le cadre du Mouvement contre le discours de haine du Conseil de l'Europe.
11. Afin de perpétuer la mémoire des victimes de l'attaque tragique du 22 juillet 2011, commise par un néonazi à Oslo et sur l’île d'Utøya, et dans le but de renforcer la sensibilisation, l'Assemblée soutient pleinement l'initiative de jeunes militants visant à faire du 22 juillet la Journée européenne des victimes de crimes de haine.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l'unanimité par la commission le 4 septembre
2014.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution ... (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme», dans laquelle elle condamne sans équivoque les manifestations de plus en plus nombreuses de néonazisme (extrémisme de droite) et le regain de popularité des partis néonazis en Europe.
2. Considérant qu'il ne s'agit pas d'un phénomène isolé, propre à quelques Etats membres du Conseil de l'Europe, mais d'un problème aux dimensions paneuropéennes qui reste souvent en sommeil dans la société en attendant que les conditions propices à son émergence soient réunies, l'Assemblée est d'avis que seul le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre les Etats membres permet de le combattre efficacement.
3. L'Assemblée invite par conséquent le Comité des Ministres:
3.1. à étudier les possibilités pour le Conseil de l’Europe d'assurer la coordination des actions entreprises par différents Etats membres contre l'extrémisme de droite, en particulier en garantissant l'échange des expériences et des bonnes pratiques;
3.2. à soutenir les Etats membres dans leur lutte contre l'extrémisme de droite au moyen de programmes de coopération déterminés par la demande;
3.3. à porter à l'attention des gouvernements des Etats membres les recommandations spécifiques figurant dans la Résolution ... (2014).

C. Exposé des motifs, par Mme de Pourbaix-Lundin, rapporteure

(open)

1. Cadre et objectifs du rapport

1. Le présent rapport s'inspire d'une proposition de résolution déposée en juin 2011 par M. Kosachev et plusieurs de ses collègues, intitulée «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et de xénophobie» (Doc. 12661). Suite à ma nomination en tant que rapporteure en novembre 2011, deux autres propositions de résolution ont été formellement incluses dans mon mandat, en l'occurrence «Mesures pour lutter contre la popularité croissante de l'extrémisme de droite, de la xénophobie et de l'antisémitisme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe» (Doc. 13103, déposée par M. Montag et d'autres membres de l'Assemblée en janvier 2013) et «La montée des partis néonazis en Europe: nécessité de mettre en place des principes juridiques pour défendre la démocratie pluraliste et les droits de l'homme» (Doc. 13332, déposée par M. Triantafyllos et d'autres membres de l'Assemblée en octobre 2013).
2. Au cours de la première discussion de la commission des questions politiques et de la démocratie consacrée à l'objet de mon rapport, en septembre 2013, la commission a approuvé ma proposition de me limiter aux mesures destinées à faire barrage aux manifestations de néonazisme et d'éviter toute référence au problème plus général de la xénophobie, afin de ne pas faire double emploi avec les travaux entrepris par d'autres instances du Conseil de l'Europe. En particulier, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), un organe composé d'experts indépendants, a pour mandat spécial de suivre entre autres les problèmes de xénophobie et d'antisémitisme dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe 
			(3) 
			Voir, par exemple,
le <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/activities/Annual_Reports/Rapport annuel 2013.pdf'>Rapport
annuel 2013 de l'ECRI</a>, listant les grandes tendances en 2013.. Par ailleurs, l'Assemblée a récemment discuté du rapport de M. Jonas Gunnarsson «Une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe» et a adopté la Résolution 1967 (2014) et la Recommandation 2032 (2014). C'est pourquoi j’ai suggéré d'adapter et limiter le titre du rapport comme suit: «Faire barrage aux manifestations de néonazisme».
3. Comme je l'avais déjà déclaré à la commission en septembre 2013, afin d'éviter toute longueur et imprécision, j'ai choisi de me limiter à une présentation d'exemples de bonnes pratiques concernant les mesures destinées à empêcher les individus – et notamment les jeunes – de rejoindre les organisations néonazies (qu'il s'agisse de partis politiques, de mouvements sociaux ou de groupes issus de sous-culture) et/ou les mesures visant à aider les personnes à quitter ces organisations.
4. En vue de recueillir ces bonnes pratiques, j'ai effectué des visites d'information en Grèce les 25 et 26 novembre 2013 et en Allemagne du 13 au 15 mai 2014. J'avais également prévu de me rendre en Fédération de Russie, mais cette visite a dû être reportée. J'ai par ailleurs organisé deux échanges de vues, à Paris en septembre 2013 et à Stockholm en mars 2014, au cours desquels les participants ont présenté les mesures et bonnes pratiques mises en œuvre en Suède et en Norvège 
			(4) 
			Plus
spécifiquement, l'échange de vues à Paris a réuni M. Robert Örell,
Directeur d'EXIT Fryshuset, Stockholm, et M. Hans Martens, Directeur
exécutif, European Policy Centre, Bruxelles, alors que l'audition
à Stockholm a réuni Mme Birgitta Ohlsson, Ministre suédoise des
Affaires européennes et de la Démocratie, M. Hans J. Røsjorde, Secrétaire
d'Etat norvégien au ministère de la Justice et de la Sécurité publique,
M. Thomas Hammarberg, conseiller aux droits de l'homme et ancien
Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, et M.
Christer Mattsson, chef de service de la municipalité de Kungälv
en Suède.. Un questionnaire avait été envoyé auparavant (en avril 2012) à tous les chefs des délégations parlementaires.
5. Lors de ma visite en Allemagne, j'ai ajouté à mon rapport une nouvelle ligne d'action, à savoir les mesures d'aide aux victimes. En effet, de nombreux interlocuteurs, issus notamment de groupes de la société civile spécialisés dans ce domaine, ont fait valoir de manière convaincante l'importance des mesures de soutien aux victimes appliquées parallèlement aux politiques visant à faire sortir les militants de ces mouvements. S'il est assurément déterminant d'offrir le choix et un soutien aux personnes qui quittent les organisations néonazies, il est encore plus essentiel d'aider celles qui en ont été victimes, ces dernières étant en outre apparemment plus nombreuses. Le fait d'axer les politiques sur les victimes plutôt que sur les auteurs présente également un caractère hautement symbolique.
6. Un dernier échange de vues sur l'antisémitisme a été organisé à Strasbourg en juin 2014, dans le cadre de l'élaboration du présent rapport, même si, comme déjà évoqué, cette question n'en constitue pas le principal sujet. Etant donné que l'antisémitisme est une plaie plus vaste que le néonazisme, soulevant des problématiques particulières, je crois qu'un rapport séparé de l'Assemblée devrait traiter spécifiquement de l'antisémitisme.
7. Je tiens à établir clairement que mon rapport n'entend pas décrire ou analyser la situation s'agissant de la présence de partis ou d'organisations néonazis dans l'ensemble ou dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe ou faire expressément référence à tel ou tel parti néonazi européen. Il est consacré aux moyens de «faire barrage», c'est-à-dire aux mesures de lutte contre le néonazisme, et, comme expliqué précédemment, je m'attache plus particulièrement aux mesures de prévention, à celles visant à faire sortir les militants de ces mouvements et aux mesures d'assistance aux victimes. En présentant des exemples de bonnes pratiques susceptibles d'inspirer les gouvernements, les parlements mais aussi la société civile dans tous les Etats membres, je souhaite contribuer de manière constructive et pratique à la lutte contre le néonazisme en Europe, plutôt que d'entreprendre une quelconque analyse de pays spécifique 
			(5) 
			Des informations pertinentes
sur des pays spécifiques sont disponibles dans les rapports par
pays établis par le <a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner'>Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe</a> ainsi que de l'<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/default_FR.asp?'>ECRI</a>. Parmi les autres publications proposant des analyses
par pays, voir par exemple: «Right-Wing
Extremism in Europe: Country analyses, Counter-Strategies and Labor-Market
Oriented Exit Strategies», édité pour la Fondation Friedrich-Ebert
par Ralf Melzer et Sebastian Serafin, Forum Berlin, Projet «Combatting
Right-Wing extremism», Berlin, 2013 (<a href='http://publication.fes-gegen-rechtsextremismus.de/book.php'>http://publication.fes-gegen-rechtsextremismus.de/book.php</a>); un rapport de situation thématique intitulé «Racism,
discrimination, intolerance and extremism: learning experiences
in Greece and Hungary», publié par l'Agence des droits fondamentaux
(FRA) de l'Union européenne en 2013 (<a href='http://fra.europa.eu/fr/news/2014/la-fra-publie-les-points-forts-des-developpements-cles-en-matiere-de-droits-fondamentaux'>http://fra.europa.eu/fr/news/2014/la-fra-publie-les-points-forts-des-developpements-cles-en-matiere-de-droits-fondamentaux</a>)..
8. S'agissant de mes visites en Grèce et en Allemagne visant précisément à recueillir des bonnes pratiques et non pas à discuter de la situation individuelle dans ces deux pays, elles ont été remarquablement et efficacement organisées respectivement par les présidents des délégations parlementaires grecque et allemande auprès de l'Assemblée parlementaire, Mme Dora Bakoyannis et M. Axel Fischer. Je tiens à remercier particulièrement les secrétaires des deux délégations, Mme Voula Syrigos et M. Michael Hilger. Les deux visites incluaient toutes les réunions que j'avais proposées avec les représentants des autorités et de la société civile.
9. Concernant ma visite en Grèce, je voudrais particulièrement évoquer ma réunion avec le Ministre de l'Ordre public et de la Protection des citoyens, M. Nikolaos Dendias, ancien collègue à l'Assemblée et ex-président de la Commission des migrations. Compte tenu de son rôle déterminant dans les récentes poursuites judiciaires engagées contre les dirigeants et membres de «l'Aube dorée», le parti politique néonazi grec, il était essentiel de le rencontrer. Je remercie également le président du Parlement grec, notre ancien collègue M. Vangelis Meimarakis qui, en dépit d'un calendrier particulièrement chargé, m'a reçue au parlement. La réunion avec le maire d'Athènes, M. Yiorgos Kaminis, ancien médiateur de la Grèce, ainsi qu'avec deux médiateurs adjoints du pays, M. Vassilis Karidis et M. George Moschos, s'est également avérée très instructive.
10. Concernant ma visite en Allemagne, j'ai particulièrement apprécié les échanges de vues tenus avec divers représentants des pouvoirs publics, notamment notre collègue du Bundestag, Mme Ute Finckh-Krämer, ainsi qu'avec des représentants de la société civile à Berlin, à la fois au niveau fédéral et au niveau de l'Etat, mais aussi à Potsdam, capitale du Brandebourg, et à Schwerin, capitale du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, un des deux Länder dont les parlements comptent des membres appartenant au Parti national-démocrate, le NPD (l'autre étant la Saxe). Je remercie le Dr Hans-Georg Maaßen, Directeur de l'Office fédéral de protection de la Constitution, pour la discussion hautement intéressante consacrée notamment à des questions de terminologie et de définition.

2. Définir le néonazisme

11. Comment définir le néonazisme? Aux fins de ce rapport, je voudrais partager la définition proposée par le Dr Hans-Georg Maaßen, faisant principalement référence à une idéologie ou à un ensemble de croyances.
12. Le point de repère fondamental et constant de la sphère néonazie est le national-socialisme historique, avec ses aspects idéologiques caractéristiques que sont le racisme, l'antisémitisme, le darwinisme social, le chauvinisme, et l'anti-pluralisme. L'objectif des néonazis est l'instauration d'un Etat dictatorial homogène sur le plan ethnique. Les droits individuels, la diversité d'opinions et le pluralisme n'ont pas leur place au sein de la «communauté nationale» qu'ils cherchent à créer et qui exclut les personnes provenant d'autres cultures et celles décrites comme «des vies sans valeur» en raison de leur handicap, de leur orientation sexuelle ou de leur marginalisation sociale. L'individu est censé se soumettre à la volonté générale préétablie. Les faits historiques sont réinterprétés sous un éclairage révisionniste pouvant aller jusqu'à la négation de l'Holocauste. Selon le point de vue des néonazis, la diversité ethnique et la pluralité de la société représentent une menace pour l'existence de leur propre peuple. La démocratie constitutionnelle est rejetée dans son ensemble et dénoncée comme un «régime d'occupation».
13. Il convient de ce fait d'établir une distinction entre le néonazisme, évoqué en tant «qu'extrémisme de droite», et d'autres formes de la droite radicale, notamment des partis ou mouvements racistes, nationalistes, xénophobes ou populistes, qui ne partagent pas l'idéologie du national-socialisme (fascisme). La montée de ces partis dans plusieurs Etats membres et leur présence au sein de parlements aux plans national ou européen, voire même de coalitions gouvernementales, constitue un phénomène extrêmement préoccupant évoqué dans le Rapport annuel 2013 de l'ECRI comme l'une des grandes tendances de l'année 
			(6) 
			Voir
pages 7-8 du rapport de l'ECRI, op. cit.. Cependant, dans la mesure où ces partis ne peuvent être définis comme néonazis, ils n'entrent pas dans le champ du présent rapport.
14. Malgré une idéologie fondamentale commune, la sphère néonazie n'est pas homogène, certains aspects idéologiques variant au sein des divers groupes. La vision du monde des néonazis, en particulier chez les jeunes, est dominée par des opinions antiaméricaines, anticapitalistes et anti-impérialistes – et donc, dans une certaine mesure, antimondialistes. Ce milieu s'étend de groupes issus d'une forme de sous-culture à des activistes et groupes qui continuent de prôner la restauration du national-socialisme historique, en passant par un nombre croissant de groupes ouverts à des variantes idéologiques de la doctrine nationale-socialiste et par l'adoption de nouveaux comportements. Il est à noter également que le néonazisme est souvent en sommeil dans la société en attendant que les conditions propices à son émergence soient réunies, telles que des conditions de crise économique ou sociale.
15. Du point de vue de l'organisation, on peut d'une manière générale distinguer trois grandes catégories: a) les groupes qui tentent d'obtenir une charge publique, en s'organisant via des partis politiques et en menant des campagnes électorales; b) les groupes qui ne désignent pas de candidats à des fonctions publiques mais tentent de mobiliser un soutien par l'intermédiaire de mouvements sociaux plus larges auxquels ils s'identifient; c) des groupes ou sous-cultures de moindre importance qui opèrent de manière relativement indépendante des partis et des mouvements sociaux plus grands, ne sont pas organisés de façon formelle et sont généralement plus enclins à recourir à la violence 
			(7) 
			Voir
«Right-Wing Extremism in Europe», op.
cit..
16. Les cibles des néonazis sont généralement les étrangers, notamment les migrants et les demandeurs d'asile, les juifs, les Roms, les homosexuels, les représentants de l'Etat (policiers, juges, procureurs) et souvent les journalistes.
17. Au cours des dernières années, le néonazisme est apparu sous de multiples formes. L'époque du «nazi skinhead typique», facilement identifiable, est bien révolue. Les stratégies mises en œuvre par les militants néonazis dans la sphère publique sont de plus en plus sophistiquées.
18. D'autres paramètres ont également changé. Ainsi, l'augmentation importante et récente des effectifs féminins de ces groupes constitue un phénomène inquiétant, au même titre que celle de familles entières embrassant cette idéologie.
19. Les néonazis tentent également de propager leur idéologie dans des contextes apparemment inoffensifs, travaillant ainsi sur des questions socialement ou politiquement pertinentes sans pour autant dévoiler leurs affiliations politiques. Citons comme exemples les campagnes contre la maltraitance des enfants, les actions concrètes de solidarité à l'égard des personnes âgées ou des victimes des inondations, les questions environnementales, etc.
20. Les extrémistes de droite s'efforcent de diffuser leur idéologie lors de manifestations ou de concerts. La musique, aux paroles teintées d'extrémisme de droite, continue de jouer un rôle majeur, servant en particulier à recruter de nouveaux adeptes, à renforcer le sentiment d'appartenance au milieu et à mobiliser les partisans dans le cadre de manifestations publiques.
21. Les néonazis ont de plus en plus recours à internet en tant que principale plateforme de diffusion, de communication et de coordination à l'échelle mondiale.
22. Enfin, je tiens à souligner qu'une évaluation de l'attrait du néonazisme fondée sur les seuls résultats électoraux peut s'avérer trompeuse. Dans certains Etats membres, les partis néonazis peuvent enregistrer des scores électoraux faibles malgré des attitudes néonazies assez répandues au sein de la population générale. Les manifestations non partisanes de néonazisme peuvent être autant si ce n'est plus dangereuses que la montée des partis de cette mouvance, dans la mesure où elles sont susceptibles d'échapper plus facilement à l'attention publique et au contrôle étatique.
23. La tuerie à motivation politique perpétrée le 22 juillet 2011 à Oslo et sur l'île d'Utoya en Norvège par un individu qui n'était pas un membre actif d'un groupe extrémiste, et la série de meurtres d'immigrés commis au début des années 2000 par le groupe terroriste allemand «Nationalsozialistischer Untergrund» (NSU) et élucidée en novembre 2011 seulement, en sont des illustrations dramatiques. En Allemagne, les résultats électoraux du néonazi NPD restent faibles et en Norvège, le nombre d'extrémistes de droite est relativement bas comparativement à la plupart des autres pays européens. Par ailleurs, dans les pays où les partis néonazis ont récemment bénéficié d'un important soutien électoral comme l'Aube dorée en Grèce, le score obtenu ne traduit pas nécessairement des motivations idéologiques; pour un pourcentage important des électeurs, il est plutôt à interpréter comme l'expression de la déception de la société et une manifestation de protestation contre les mesures d'austérité sévères, bien que probablement inévitables, et la hausse du chômage (qui s'élève à 60 % chez les jeunes), après plusieurs années consécutives de récession économique, ainsi que le fruit d'une certaine frustration après les échecs répétés des gouvernements à mettre en œuvre des politiques migratoires efficaces. De toute évidence, la discussion relative aux moyens de faire barrage au néonazisme ne peut se limiter aux partis politiques et doit inclure l'ensemble de la société.

3. Mettre l'accent sur la prévention

24. Je suis fermement convaincue qu'en matière de lutte contre le néonazisme, il convient de privilégier la prévention plutôt que la répression. L'identification des signes avant-coureurs devrait permettre de mener des actions opportunes pour éviter la radicalisation.
25. Mes interlocuteurs allemands ainsi que les représentants des gouvernements norvégien et suédois qui ont participé à l'audition organisée à Stockholm par la commission ont fait part de l'expérience de leur pays en termes de mesures préventives. Parmi les stratégies pertinentes mises en œuvre, citons notamment des plans d'action et programmes nationaux, des initiatives locales, des actions policières préventives, des projets éducatifs et des initiatives de la société civile. Certains exemples sont énumérés ci-après.

3.1. Plans d'action et programmes nationaux

26. Nos interlocuteurs à Berlin nous ont informés de l'existence de plusieurs plans, programmes et stratégies mis en œuvre aux niveaux fédéral et du Land pour prévenir et combattre les idéologies d'extrême droite, xénophobes et néonazies et nous ont aussi fourni des informations sur les institutions qui en ont la charge. L'accent est mis sur la prévention plutôt que sur la condamnation car les mesures de répression et les sanctions à elles seules ne sont pas considérées comme les moyens les plus efficaces pour lutter contre l'extrémisme de droite. A cet égard, les autorités fédérales et du Land s'appuient grandement sur la société civile. Des programmes fédéraux comme Civitas, Xenos et Entimon ont été conçus afin de subventionner, à l'aide de fonds publics, la conduite d'activités auprès de la société civile visant à prévenir l'extrémisme de droite et à développer une culture démocratique de la tolérance.
27. Dans le Land de Berlin, un plan transsectoriel intégré de renforcement d'une culture urbaine démocratique est mis en œuvre depuis 2008. Intitulé «Démocratie – Diversité – Respect: concept du Land de Berlin pour lutter contre l'extrémisme de droite, le racisme et l'antisémitisme», il fournit un cadre pour les initiatives de la société civile et les institutions du Land. L'objectif d'ensemble est de concrétiser la vision d'une ville cosmopolite caractérisée par la diversité, le respect et la dignité humaine, une culture de la reconnaissance mutuelle et la non-discrimination.
28. En Grèce, les représentants du Secrétariat général de la jeunesse m'ont présenté les politiques et programmes visant à lutter contre la discrimination, la violence et le fascisme. Ainsi le projet IRIS «Combattre les stéréotypes et la discrimination: actions de promotion de la participation, de l'inclusion et de la diversité» constitue un partenariat entre les instances publiques et la société civile, conçu dans le but de travailler en synergie pour garantir un impact optimal et tirer parti de l'expérience déjà acquise en matière de lutte contre les discriminations.
29. En Norvège, un nouveau plan d'action de lutte contre l'extrémisme violent a été présentée en mai de cette année. Elle consiste à communiquer massivement sur le phénomène et à informer les municipalités des pratiques optimales à mettre en œuvre afin de relever les défis posés. Inspirée par une initiative finlandaise antérieure, elle a également pour objectif de lutter contre les menaces en ligne et l'utilisation d'internet comme espace de radicalisation 
			(8) 
			Voir également les
conclusions de la présidence de la conférence organisée à Oslo sur
«L'extrémisme de droite et les crimes de haine», 14-15 mai 2013, <a href='http://www.rehc2013.org/'>www.rehc2013.org/</a>..
30. En Suède, à l'issue de plusieurs années de recherche sur l'extrémisme violent, le premier plan d'action national visant à protéger la démocratie contre l’extrémisme faisant l’apologie de la violence a été lancé en 2011. Ayant mobilisé 65 millions de couronnes suédoises (quelques 8 millions d'euros) pour une période de deux ans (2012-2014), le plan d'action met l'accent sur la prévention, l'identification des signes avant-coureurs de la radicalisation et le renforcement de la coopération ainsi que sur le soutien à apporter aux personnes désireuses de quitter les groupes extrémistes. Il s'efforce d'associer la société civile, les communautés confessionnelles, les écoles, les services sociaux et les forces de l'ordre et vise à promouvoir la recherche et une meilleure coopération internationale. La Ministre Ohlsson, à l'origine du lancement de ce plan d'action, nous a indiqué avoir comme autre objectif d'améliorer la coordination aussi bien nationale que locale du travail préventif et de mettre en place à cet effet un coordinateur national chargé de la prévention soutenue de toutes les formes d'extrémisme faisant l'apologie de la violence 
			(9) 
			La Suède mène aussi
actuellement un projet de lutte contre l'extrémisme de droite au
niveau de l’Union européenne. Celui-ci a pour objet de répertorier
les mesures fructueuses engagées à différents niveaux au sein de
10 pays européens sélectionnés: la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas,
la Finlande, le Danemark, l'Allemagne, la Pologne, la Hongrie, la République
slovaque et la Norvège. Financé par la Commission européenne pour
une période de deux ans (2012-2014), le projet vise à identifier
les mesures prises au niveau politique et de la société civile et
à recueillir les bonnes pratiques en matière de prévention de l'extrémisme
de droite et de riposte à ce phénomène..

3.2. Stratégies communautaires et actions policières préventives

31. Tous nos interlocuteurs rencontrés en Allemagne ainsi que les représentants norvégiens et suédois qui ont participé à l'échange de vues avec la commission ont insisté sur l'importance, pour la communauté dans son ensemble, de réagir de manière opportune pour lutter contre et mieux prévenir la violence des extrémistes de droite et/ou l'émergence dans une commune ou région d'un nouveau groupe néonazi. Parallèlement à la police, les écoles, les services de garde d'enfants, les maires et les services municipaux pertinents, les organisations bénévoles, les églises, les groupes d'assistance aux victimes et les représentants de la jeunesse (les clubs de jeunes et les clubs sportifs) peuvent également contribuer à ce processus. L'expérience a montré qu'en l'absence de réaction opportune conjointe de la police et des divers acteurs de la société, le problème peut rapidement devenir incontrôlable. Quelques-uns des exemples fructueux sont indiqués ci-après.
32. En Allemagne, dans le Land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale (un des deux Länder où le parti néonazi NPD est représenté au parlement), une double stratégie de prévention et de répression est mise en œuvre par l'intermédiaire du programme «Promouvoir ensemble la démocratie et la tolérance». Nous avons été informés d'une évolution positive: les maires jouent de plus en plus un rôle central dans la promotion des valeurs démocratiques et la lutte contre les tendances extrémistes, ils sont souvent des membres éminents des comités d'action locaux et participent activement aux réseaux. Les actions contre l'extrémisme de droite sont conjointement encouragées par divers acteurs de la société, par exemple les églises, les syndicats, la fédération des associations professionnelles ou le conseil du tourisme. Tous ces organes coopèrent par ailleurs avec la police, les procureurs et les centres régionaux au sein des réseaux de conseils régionaux. Le gouvernement du Land préconise un renforcement des actions dans les domaines suivants: le développement de structures durables de la société civile dans les régions économiquement défavorisées du Land, notamment les zones rurales; l'éducation politique et civique à l'école et en dehors; le renforcement des offres démocratiques au niveau municipal (comités municipaux de prévention, etc.) et la formation continue des responsables à l'échelon municipal pour leur permettre de faire face aux défis posés par l'extrême droite.
33. A Potsdam, capitale du Land de Brandebourg, nos interlocuteurs nous ont informés du succès du modèle dit «de Brandebourg» pour combattre la violence et les crimes de haine perpétrés par l'extrême droite 
			(10) 
			Voir aussi «Taming
Uncivil Societies: Violent Rightist Extremism, Police Responses,
and Preventive Public Policy in East Germany», Lars Rensemann, Christophe
Kopke et Gideon Botsch dans Policing: a Journal of Policy and Practice, vol.
3, n° 3, 2009.. Des agents de police spécialement formés, proactifs et sensibilisés, employant des stratégies sociales innovantes, associés à des ministères publics engagés et à des politiques publiques préventives, ont permis de réduire le nombre de crimes violents dans le Land, caractérisé dans le passé par les taux les plus élevés d'agressions racistes et d'homicides liés à l'extrême droite. Des unités mobiles spéciales de lutte contre la violence et la violence anti-étrangers (MEGA) remplissent une fonction essentiellement préventive, assurant un service de renseignement effectif et indépendant et collectant et échangeant systématiquement toutes sortes d'informations sur les membres des milieux d'extrême droite, leurs points de rencontre, leurs modalités d'organisation et leurs structures.
34. L'expérience du Brandebourg a montré l'importance d'agir rapidement face aux violences perpétrées par l'extrême droite, en particulier par des adolescents. Des procédures accélérées menées par des services de poursuite spéciaux et une étroite coopération entre les procureurs, les juges, la police et les enquêteurs facilitent des mises en accusation rapides, qui ont par ailleurs un effet dissuasif. La coopération de la police avec les familles des délinquants et les réseaux de la société civile a également été développée. Les forces de police soutiennent et coordonnent des actions de prévention de la criminalité et des mesures de lutte contre la violence dans les forums locaux de promotion de la tolérance et dans le cadre d'autres initiatives de la société civile. Les représentants de l'Alliance pour l'action contre la violence, l'extrémisme de droite et la xénophobie à Brandebourg nous ont appris que le réseau réunissait des représentants de clubs sportifs et de jeunesse, des directeurs d'établissements scolaires, des juges, des syndicats, des églises, des organisations non gouvernementales (ONG), des conseils de réfugiés et des groupes de soutien aux victimes. A son démarrage en 1997, l'administration du Land était également partie prenante, mais compte tenu des difficultés à parvenir à un consensus dans tous les domaines, elle s'est retirée par la suite tout en continuant de financer le réseau. Plus important encore, les autorités du Land accordent la plus haute priorité à la poursuite des crimes liés à l'extrême droite et ne tentent pas de minimiser le problème, confiant ainsi un mandat politique clair à la police et aux initiatives pertinentes de la société civile.
35. L'expérience norvégienne nous propose des exemples similaires de mesures policières préventives ayant notamment joué un rôle déterminant face aux groupes extrémistes et violents. Il convient en particulier de mentionner l'outil «entretien de responsabilisation» mis en œuvre en Norvège depuis 1998 par des policiers chargés de mener des actions préventives au plan local: tant les jeunes (de moins de 18 ans), que leurs parents sont tenus de par la loi de se présenter ensemble au commissariat de police dès lors que la police a été informée de la participation de l'intéressé à des activités illicites. Au cours de ce type «d'entretiens», le jeune et ses parents sont avertis de ce à quoi il s'expose et des conséquences potentiellement destructrices pour son avenir. Les policiers locaux cherchent à nouer le dialogue avec les mineurs avant qu'ils ne se soient rendus coupables d'une infraction pénale et proposent aux jeunes motivés de l'aide pour sortir de cet environnement extrémiste et/ou criminel. Dans ce dernier cas, la police peut également demander l'assistance des services municipaux. L'avertissement dispensé et l'aide offerte suffisent souvent à dissuader certains jeunes de rallier des milieux violents ou extrémistes ou d'y rester 
			(11) 
			Voir
aussi «Right-Wing Extremism in Norway: Prevention and Intervention»,
Katrine Fangen et Yngve Carlsson dans «Right-Wing
Extremism in Europe», op.
cit..
36. L'expérience en Norvège a également montré combien la constitution de groupes de parents peut s'avérer utile. D'un côté, bon nombre des nouvelles recrues des mouvements extrémistes sont encore suffisamment jeunes pour écouter leurs parents, notamment lorsque ces groupes établissent des règles communes raisonnables pour encadrer les tenues vestimentaires, les musiques et activités extérieures de leurs enfants. D'un autre côté, grâce à ces groupes, les parents peuvent s'entraider et se convaincre mutuellement de ne pas tourner le dos à leurs enfants même lorsque ces derniers adoptent des comportements offensants voire commettent des actes violents. En cas de rejet par leurs parents, les jeunes n'auront pas d'autre alternative que de chercher soin et attention auprès des membres de groupes extrémistes. Un intervenant extérieur doté des connaissances et de l'expérience requises assistera habituellement les groupes de parents et jouera le rôle de facilitateur. Par ailleurs, l'expérience a prouvé en Norvège que la mobilisation des parents afin d'organiser des «rondes de nuit» est susceptible de prévenir la violence 
			(12) 
			Ibid..

3.3. Education à la citoyenneté démocratique et mesures de sensibilisation dans les écoles

37. L'éducation scolaire est considérée comme l'un des outils les plus efficaces pour prévenir et combattre l'extrémisme de droite en favorisant la démocratie et la tolérance. C'est d'autant plus vrai que selon les statistiques, la plupart des jeunes qui adhèrent à des groupes extrémistes le font au début de l'adolescence ou même avant. Il convient également de noter que les partis néonazis ont tendance à développer des programmes et des structures visant spécifiquement les enfants, n'ayant pas encore l'âge de voter, dans les écoles ou les camps de vacances. Les écoles ont par conséquent un rôle extrêmement important à jouer, pour mettre en lumière le caractère inadmissible des idéologies qui déshumanisent les immigrants, les réfugiés, les personnes juives, les Roms ou les homosexuels et délégitimer ainsi la violence à leur égard.
38. Les études ont mis en avant la forte corrélation entre le comportement des étudiants et le nombre de cours dédiés à la démocratie et aux droits de l'homme. En d'autres termes, la mesure dans laquelle un élève a été amené à réfléchir à des questions telles que les droits de l'homme dans un contexte historique détermine grandement ses attitudes.
39. Ainsi par exemple, nous avons été informés au cours de notre visite en Allemagne que dans tous les types d'établissements scolaires de Berlin, des mesures de sensibilisation familiarisent les enfants dès le plus jeune âge avec les valeurs et attitudes démocratiques et leur permettent d'en prendre la défense. Ces mesures sont mises en œuvre dans les salles de classe et dans le cadre de projets spécifiques s'adressant à divers groupes d'âge. D'autres actions visent également à aider les parents à soutenir activement leurs enfants au cours de leur scolarité. Elles guident par ailleurs ces derniers et les aident à prendre le contrôle de leurs propres processus d'apprentissage.
40. L'éducation à la citoyenneté démocratique commence dès l'école primaire pour les enfants de 5 ans et couvre un vaste éventail de domaines, dont les droits de l'homme et l'éducation à la paix, la prévention de la violence, l'éducation à l'égalité des hommes et des femmes, l'éducation interculturelle et l'apprentissage de la vie en société, dans le but de s'attaquer aux idéologies antidémocratiques telles que l'extrémisme de droite et l'antisémitisme. Les élèves développent leur aptitude à vivre ensemble dans la tolérance et une culture de communication démocratique, par exemple grâce à la mise en place de conseils de classe, de parlements d'école et à diverses formes d'apprentissage coopératif et de médiation. Les principaux projets sont intitulés «Hands for Kids» dans les écoles primaires et «Hands across the Campus» dans les écoles secondaires.
41. Les rapports techniques du ministère de l'Education, de la Jeunesse et de la Science du Land de Berlin, en coopération avec l'Institut du Land de Berlin-Brandebourg pour l'éducation et les médias, informent régulièrement les enseignants des sujets pertinents, par exemple: «Renforcer la démocratie – Combattre l'extrémisme de droite», «Action! Lutter contre les nazis» et «Respect: les classes des écoles signent l'engagement de Berlin».
42. De même en Norvège, l'éducation à la citoyenneté dispensée dans les écoles est censée prévenir la radicalisation. Les établissements scolaires inculquent aux élèves les valeurs de la démocratie, leur apprennent à interagir les uns avec les autres de manière respectueuse et leur permettent de développer une compréhension multiculturelle, de les sensibiliser aux différences ethniques et d'acquérir des compétences sociales. Par ailleurs, le Prix Benjamin (du nom du jeune Benjamin Hermasen, victime d'un meurtre raciste en 2001) est décerné chaque année à une école pour son travail de lutte contre le racisme et la discrimination.
43. En Suède, dans le cadre du plan national d'action 2011, 22 ateliers consacrés à la démocratie, la tolérance et les droits de l'homme ont notamment été élaborés pour être mis en œuvre dans les salles de classe. Les discussions sont axées sur les valeurs, les normes et les groupes de pression.
44. Le «projet Tolérance», mené dans la municipalité de Kungälv en Suède, a été présenté à la commission lors de la réunion à Stockholm par M. Christer Mattsson, chef de service de la municipalité et enseignant. Communément appelé le «modèle Kungälv», il s'agit d'une méthode pédagogique susceptible d'être mise en œuvre en milieu scolaire et qui s'adresse aux jeunes ayant une vision intolérante du monde. Ce projet à long terme a été lancé en 1995 après le meurtre brutal d'un jeune garçon de 14 ans à Kungälv par quatre néonazis. Le projet Tolérance met spécifiquement l'accent sur l'avenir. Il est mis en œuvre parallèlement à l'enseignement ordinaire et s'attache à la réussite scolaire, car l'achèvement des neuf années de scolarité obligatoire et le passage dans le deuxième cycle du secondaire sont susceptibles d'inciter les jeunes à quitter des environnements destructeurs. Des étudiants d'horizons très divers, s'assoient côte à côte, et découvrent la cohabitation et prennent connaissance de l'utilité de participer au collectif démocratique aux moyens de l'enseignement et de la réflexion. Le modèle Kungälv permet ainsi de renforcer la tolérance et de réduire les attitudes racistes et l'intolérance chez les jeunes de la municipalité.
45. M. Mattsson a par ailleurs expliqué l'influence des visites des camps de concentration d'Auschwitz effectuées par les élèves dans le cadre du projet. Elles ont généralement pour effet de modifier leur vision du monde. Je tiens en particulier à citer les termes de M. Mattsson soulignant que nous n'avons pas forcément besoin de les convaincre des valeurs démocratiques. Il suffit de «semer le doute dans leur esprit». Le simple fait qu'en dépit de l'existence de mouvements néonazis à Kungälv depuis avant la seconde guerre mondiale, le recrutement de jeunes dans la commune a aujourd'hui totalement disparu dans la municipalité, contrairement aux communes voisines, reflète à lui seul la réussite du projet 
			(13) 
			Voir l'étude socioéconomique
«The price for Tolerance», menée par Eva Nilsson Lundmark et Ingvar
Nilsson, qui démontre les avantages au plan économique pour la commune
de promouvoir le modèle Kungälv: <a href='http://www.teskedsorden.se/wp-content/uploads/2014/05/Intoleransenspris-Eng.pdf'>www.teskedsorden.se/wp-content/uploads/2014/05/Intoleransenspris-Eng.pdf</a>..
46. En Grèce, les deux médiateurs adjoints que j'ai rencontrés ont mis en avant l'importance de l'éducation à la citoyenneté démocratique et de la sensibilisation aux droits de l'homme tant pour les élèves que leurs parents, ainsi que la nécessité de former les enseignants à la lutte contre le néonazisme, compte tenu de l'activité déployée par les membres de l'Aube dorée au sein des écoles.

4. Exemples d'initiatives citoyennes pour prévenir ou combattre le néonazisme

4.1. Consultations itinérantes contre l'extrémisme de droite à Berlin (MBR)

47. Depuis 2001, l'équipe mobile de conseil contre l'extrémisme de droite (MBR – Mobile Beratung gegen Rechtsextremismus in Berlin) offre ses conseils et son soutien aux habitants de Berlin ayant l'envie ou le besoin de s'engager dans la lutte contre l'extrémisme de droite, le racisme et l'antisémitisme. L'équipe se dit itinérante du fait qu'elle va à la rencontre des personnes qui demandent de l'aide sur leur lieu de travail ou à leur domicile. Sa valeur ajoutée est donc de mettre ses membres, ses conseils et ses consultations au cœur de la réalité quotidienne des personnes déjà engagées ou désireuses de se mobiliser. Les groupes clients les plus fréquents de la MBR sont des groupes de jeunes (en particulier ceux qui sont visés par la violence et la domination des extrémistes de droite), des groupes d'action civique, des ONG, des enseignants, des travailleurs sociaux ainsi que des autorités civiles et des responsables politiques aux niveaux municipal et fédéral. La MBR travaille également avec les propriétaires fonciers et a élaboré un modèle type de bail afin d'éviter la location de locaux à des organisations néonazies.
48. La motivation poussant à agir contre les tendances discriminatoires et antidémocratiques dépend du degré de sensibilisation à ces problèmes, que ce soit dans son environnement proche ou dans la société en général. L'objet et le but à long terme de ces travaux est de repousser l'extrémisme de droite en défendant les idéaux démocratiques et en veillant au développement d'une culture démocratique au niveau local et dans la vie de tous les jours. La MBR encourage donc la culture démocratique chez les jeunes dans la région de Berlin et travaille avec plusieurs groupes autonomes de jeunes. Les quartiers ayant reçu le soutien de la MBR ont mis en place des réseaux d'action d'initiative locale pérennes. Ces personnes ont appris à surveiller l'évolution de la situation locale et sont capables d'agir rapidement pour bloquer immédiatement les activités néonazies.

4.2. Initiative ENDSTATION RECHTS et projet Storch Heinar en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale

49. Lorsque le NPD est entré pour la première fois au parlement d'un Land après les élections de 2004 en Saxe, la société allemande est tombée de haut. Le deuxième succès du NPD lors des élections régionales de 2006 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale était quant à lui attendu. En réponse à la propagande agressive du NPD s'appuyant principalement sur la xénophobie, les jeunes sociaux-démocrates ont lancé l'initiative «ENDSTATION RECHTS» («Terminus à droite») visant à mener une campagne contre le NPD en s'attaquant aux slogans et à l'idéologie du parti néonazi et en révélant des informations sur les candidats. A la suite du succès électoral du NPD (qui a obtenu 7,3 % des suffrages et est entré au parlement du Land), ENDSTATION RECHTS s'est mué en un portail d'informations en ligne qui fournit des renseignements actualisés sur les stratégies et les activités modernes des extrémistes ainsi que sur les mesures actuellement élaborées pour les contrer.
50. «Storch Heinar» (Heinar la cigogne) est un projet particulier géré par des bénévoles et financé par des donateurs privés. Il a été élaboré en 2008 en réaction au succès de la marque de vêtements «Thor Steinar» qui était (et est toujours) très prisée dans les milieux d'extrême droite et qui joue sur des références à la mythologie nordique ainsi que sur le nom du général SS Felix Steiner («Division Thor Steinar»). L'objectif du projet était de créer une marque humoristique et démocratique qui prenne le contrepied de l'original, tourne en dérision les slogans néonazis et sensibilise aux tendances culturelles marginales racistes, xénophobes, homophobes ou révisionnistes qui sont exprimées en portant certains vêtements et en écoutant une certaine musique. Ces marques distinctives sont souvent exploitées par les idéologues d'extrême droite pour recruter de nouveaux sympathisants et les faire adhérer à leur vision du monde antiparticipative. Storch Heinar a donc commencé comme une parodie de l'idéologie nazie. A grand renfort d'ironie, la cigogne s'est imposée comme une image représentative de la lutte contre les néonazis.
51. La page Facebook «Storch Heinar» est suivie par plus de 85 000 personnes. En parallèle, une personne en costume de cigogne accompagnée par une fanfare dont les membres portent des déguisements pseudo-militaires organisent des actions contre les néonazis dans la rue en jouant des marches militaires aux textes humoristiques. Dans la lutte actuelle contre le néonazisme et le racisme, l'ironie semble être l'une des armes les plus affûtées pour affronter l'ennemi. Les extrémistes de droite semblent incapables de trouver une parade.
52. Le principal objectif de Storch Heinar est d'attirer, de susciter et de développer la participation démocratique, en particulier chez les jeunes, en leur donnant des informations fiables au sujet des stratégies actuelles des néonazis et en leur fournissant au quotidien des solutions pour adopter une attitude démocratique et rejeter la propagande néonazie, en portant simplement, par exemple, une chemise Storch Heinar ou en «décorant» les affiches de propagande avec des autocollants Heinar. Cette initiative permet ainsi d'attirer dans la lutte pour la démocratie des jeunes qui auraient été autrement indifférents à ces questions ou qui n'auraient pas souhaité rejoindre un parti ou un mouvement à long terme. Son expérience avec les écoles révèle aussi que les jeunes sont plus attirés par les idéaux démocratiques si ces derniers leur sont présentés grâce à une approche pédagogique différente, fondée sur la parodie, la satire, l'humour et la créativité.
53. Au cours de ma visite à Schwerin, j'ai pu constater à quel point les affiches de Storch Heinar collées juste à côté de celles du NPD pouvaient affaiblir le message néonazi et démontrer son absurdité. C'est avec plaisir que j'ai appris que le NPD avait perdu 35 % de ses sièges aux conseils municipaux après les élections locales de mai 2014 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.

5. Application de la loi et mise en œuvre efficace de la législation sur le crime de haine et le discours de haine

54. Dans la lutte contre le néonazisme, une coopération et une coordination efficaces entre les divers organes en charge de l'application de la loi sont essentielles.
55. A titre d'exemple, nos interlocuteurs à Berlin nous ont déclaré que la coopération étroite entre les Offices de protection de la Constitution (services de renseignement) et la police a joué un rôle déterminant dans la décision du ministère public fédéral d'ouvrir plusieurs enquêtes pour suspicion de formation d'une organisation terroriste.
56. Selon le rapport de 2013 sur la protection de la Constitution, la difficulté pour les services de renseignement consiste à identifier ceux qui sont susceptibles de prendre à cœur la devise du NSU «des actes, pas des mots» et ce dans les rangs d'un groupe de personnes faisant leur des arguments irrationnels, poursuivant des fantasmes violents et véhiculant des images apocalyptiques. De même, dans son évaluation annuelle de la menace menée en 2013, l'Agence norvégienne de sécurité de la police, notant que les groupes d'extrême droite restent petits en taille et consistent en des réseaux sans grande cohésion, souligne comme principal défi l'identification des extrémistes potentiels qui ne font pas partie de l'extrême droite organisée (à l'instar de Breivik), car ces individus sont difficiles à détecter.
57. Faisant référence au dossier NSU, nos interlocuteurs à Berlin ont évoqué à cet égard le rapport de 1 000 pages publié en décembre 2013 par la commission parlementaire d'enquête spéciale et ont insisté notamment sur la nécessité d'une coopération et coordination plus efficaces entre les diverses instances chargées de l'application de la loi. Le chef de la police de Berlin, M. Klaus Kandt, et le directeur de l'Office de protection de la Constitution, M. Bernd Palenda, nous ont indiqué qu'un grand nombre d'enseignements avait été tirés de l'affaire NSU.
58. Dans le même temps, le représentant du Land de Berlin a attiré notre attention sur la difficulté à trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger la liberté d'expression et le droit à la vie privée (protection des données) des extrémistes et les droits fondamentaux des groupes démocratiques qui souhaitent réagir et par exemple empêcher ou bloquer des manifestations organisées par des extrémistes.
59. Une mise en œuvre efficace et stricte de la législation sur le crime de haine et le discours de haine s'avère elle aussi indispensable pour combattre le néonazisme. Cependant, en dépit de leur existence dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe, les lois pertinentes n'y sont pas toujours appliquées efficacement. Le défaut de mise en œuvre de ces lois peut résulter d'un manque de volonté politique, mais il peut aussi être simplement le fruit d'un manque de connaissance et d'expérience dans l'identification des infractions à connotation raciste, aussi est-il nécessaire de mettre en place des formations spéciales sur les crimes et discours de haine destinées aux juges, procureurs et membres de la police.
60. Le rapport de M. Gunnarsson «Une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe» (Doc. 13385) contient une analyse approfondie des concepts de crime et de discours de haine ainsi qu'un aperçu de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, des travaux entrepris par d'autres instances du Conseil de l'Europe notamment l'ECRI, ainsi que des informations du terrain. Je renvoie à la Résolution 1967 (2014) pour des recommandations spécifiques adressées aux Etats membres dans la lutte contre le crime et le discours de haine.
61. Je tiens pour ma part à souligner que, pour renforcer l'effet dissuasif de l'action des organes en charge de l'application de la loi, les sanctions individuelles devraient être accompagnées d'un message clair délivré par les responsables politiques et des institutions indépendantes, par exemple les médiateurs des droits de l'homme, mais aussi par les organisations de la société civile et les médias (y compris les médias sociaux), indiquant que les crimes et les discours de haine ne sauraient être tolérés dans une société démocratique fondée sur l'Etat de droit. L'ensemble de la société doit réagir à un stade précoce, avant que ce phénomène ne prenne des proportions démesurées et devienne incontrôlable. Bon nombre de mes interlocuteurs en Grèce ont par exemple déclaré que les crimes de haine et les nombreuses manifestations de discours de haine par des parlementaires et des partisans de l'Aube dorée n'auraient pas eu lieu si l'Etat et la société dans son ensemble avaient réagi suffisamment tôt.
62. A l'initiative de jeunes militants dans le cadre du Mouvement contre le discours de haine du Conseil de l'Europe (voir ci-dessous), une pétition a été lancée pour faire du 22 juillet la Journée européenne pour les victimes des crimes de haine 
			(14) 
			Voir pétition: <a href='http://blog.nohatespeechmovement.org/fr/petition-2/'>http://blog.nohatespeechmovement.org/fr/petition-2/</a>. . La pétition s'adresse aux parlementaires nationaux, notamment aux membres de l'Assemblée parlementaire, et aux parlementaires européens. L'initiative a récemment reçu l'appui du Groupe national de soutien aux victimes des attentats du 22 juillet en Norvège ainsi que de plusieurs ministères et autres organes. Comme énoncé dans la pétition, qui a recueilli pour l'heure plus de 3 500 signatures, l'initiative vise à perpétuer la mémoire des victimes de crimes de haine et de celles qui ont perdu la vie dans des agressions de cette nature, à faire preuve de solidarité, à sensibiliser et à éduquer le grand public aux crimes de haine et à leurs répercussions pour la société. A titre personnel, je considère cette initiative excellente et estime qu'elle devrait bénéficier du soutien plein et entier de notre Assemblée.

6. Combattre les discours de haine néonazis en ligne

63. Internet est de plus en plus utilisé par les extrémistes de droite comme plateforme de communication et organe de propagande extrémiste, mais aussi pour coordonner leurs activités. Internet garantit une diffusion rapide et une portée énorme associées à une vaste liberté de création. Le matériel pouvant être publié de manière anonyme, les opinions extrémistes y sont exprimées ouvertement et de manière éhontée.
64. Les manifestations en ligne de discours de haine sont plus difficiles à contrôler, mesurer et combattre. Il est délicat aussi d'estimer et d'évaluer leur impact car ces discours sont souvent tenus à titre individuel et parfois de manière anonyme. L'impact est généralement perceptible quand le mal est déjà fait, s'agissant notamment des enfants et des jeunes ciblés par des discours de haine combinés à la cyberintimidation.
65. Le discours de haine en ligne pose des problèmes particuliers à la police et aux services de renseignement qui doivent nouer le dialogue sur internet pour tenter d'identifier les personnes radicalisées ou en voie de radicalisation. N'oublions pas, par exemple, qu'internet a joué un rôle central dans le processus de radicalisation d'Anders Breivik et la planification de ses crimes.
66. Mais au-delà des actions policières en ligne, il convient de prendre des mesures pour sensibiliser et éduquer le public à la lutte contre le discours de haine et à la prévention de ses conséquences. Il convient d'enseigner aux enfants et aux jeunes leurs responsabilités civiques en ligne ou hors ligne. Il est important par ailleurs que les programmes d'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme prennent également en compte les dimensions en ligne du discours de haine.
67. Le Conseil de l'Europe contribue concrètement à la lutte contre le discours de haine en ligne par l'intermédiaire de sa campagne contre le discours de haine. Je vais évoquer brièvement cette campagne car je pense qu'elle est cruciale pour combattre le néonazisme et mérite le soutien plein et entier de l'Assemblée parlementaire et de tous les Etats membres.

6.1. La campagne contre le discours de haine du Conseil de l'Europe 
			(15) 
			Voir le site web de
la campagne: <a href='http://www.nohatespeechmovement.org/'>www.nohatespeechmovement.org</a>. Je remercie le Service Jeunesse du Conseil de l'Europe
pour les informations fournies à propos de la campagne, qui m'ont
permis de rédiger la section concernée.

68. Le Mouvement contre le discours de haine est une campagne paneuropéenne conçue par les jeunes au sein du Conseil de l'Europe. Il a pour objectif de faire prendre conscience du discours de haine en ligne, et de le combattre. Le Mouvement comprend des campagnes nationales qui se mettent en place en Europe et qui impliquent des jeunes aussi bien en ligne qu'hors ligne. Il se focalise sur l'éducation aux droits de l'homme, en y incluant les écoles. Son objectif est de faire d'internet un espace sûr pour les droits de l'homme, à la disposition de tous, partout.
69. La campagne vise à réduire l'acceptation du discours de haine en ligne comme phénomène «normal» et inévitable. La toute première étape, consacrée à la sensibilisation, doit être suivie par une mobilisation des autorités publiques et de la société civile afin qu'elles agissent et invitent à l'action. La campagne cible tout particulièrement les communautés scolaires et a donné lieu à l'élaboration d'un manuel éducatif – «Bookmarks». Elle offre également aux jeunes la possibilité de développer leur propre projet, d'agir en tant qu'éducateurs de leurs pairs et de renforcer leur appropriation de l'espace internet. Parallèlement à cet aspect éducatif, elle appelle également à mettre au point des moyens de contrôler et réagir aux discours de haine en ligne au plan national (car une contextualisation des réponses s'impose).
70. Démarrée le 22 mars 2013, la campagne se poursuivra jusqu'à la fin du mois de mars 2015. Elle est désormais mise en œuvre dans 39 Etats membres 
			(16) 
			Voir
liste: <a href='http://www.nohatespeechmovement.org/national-campaign-committees'>www.nohatespeechmovement.org/national-campaign-committees</a>.. La campagne a démontré qu'il y a un réel besoin de lignes directrices normatives claires pour lutter contre le discours de haine aux niveaux national et européen.
71. Il convient selon moi de soutenir sa mise en œuvre dans tous les Etats membres et d'appeler des contributions volontaires pour pallier le manque de financements. L'implication des parlementaires à l'échelon national dans les comités nationaux de campagne serait une valeur ajoutée hautement appréciable.
72. A cet égard, il est à noter que notre commission sur l'égalité et la non-discrimination a proposé, au titre du suivi de la Résolution 1967 (2014) de l'Assemblée sur une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe, la création d'une Alliance parlementaire contre la haine. Cette alliance se composera d'un réseau de parlementaires engagés à prendre position ouvertement, fermement et de manière proactive contre le racisme, la haine et l'intolérance et à participer à un certain nombre d'activités dans leurs pays respectifs. Une Charte des engagements des membres de l'Alliance a été établie, que chaque membre devra approuver et signer au moment de son adhésion. La Charte comporte l'engagement de soutenir et participer au travail des comités nationaux du «Mouvement contre le discours de haine» du Conseil de l'Europe 
			(17) 
			Voir documents AS/Ega/Inf
(2014) 10 et AS/Ega/Inf (2014) 17.. Pour ma part, je souhaite lancer un appel en faveur de cette Alliance et j'encourage tous mes collègues à la rejoindre et à soutenir ses activités.

6.2. La fondation Amadeu Antonio et le projet «No-nazi.net»

73. «No-nazi.net» est un projet-pilote mis en œuvre depuis 2011 principalement au niveau national, sous l'égide de la fondation Amadeu Antonio 
			(18) 
			Pour
plus de détails: <a href='http:/:www.amadeu-antonio-stiftung.de'>www.amadeu-antonio-stiftung.de</a>, notamment des références au projet le plus récent et hautement
intéressant intitulé «Overlooked and Underrated: Women in Right-Wing
Extremist Groups in Germany» [Négligées et sous-estimées: les femmes
dans les groupes d'extrême droite en Allemagne]. à Berlin. Il repose sur le constat simple de l'importance d'internet pour les jeunes, et sur le fait que le web est la principale plate-forme de la propagande d'extrême droite. Une équipe de cinq personnes suit régulièrement tout ce qui se passe dans les milieux d'extrême-droite en Allemagne et au niveau international et assiste un réseau de bénévoles qui surveillent et combattent les discours de haine en ligne. En outre, ces personnes conçoivent et testent des outils et des modules éducatifs en ligne sur les droits de l'homme et les valeurs démocratiques, en vue de recruter, de former et d'aider de jeunes militants en ligne. Ces outils sont notamment des blogs, des vidéos, des graphiques, des quiz, des textes, des liens internet, etc. La plupart sont conçus comme des outils à court terme mais visent un engagement à long terme des jeunes militants, en leur apportant une aide durable.
74. L'équipe cherche à nouer des contacts avec les jeunes sur internet dont l'expression témoigne d'un processus de radicalisation. A la différence des travaux pédagogiques traditionnels, le projet No-nazi.net prend le pari d'établir un lien avec son public cible, en l'absence de communication directe. Outre les travaux avec les jeunes, l'équipe a établi de solides partenariats avec des sociétés et des organisations comme Facebook, Google et de plus petits fournisseurs nationaux en Allemagne. De nombreux enseignants, et travailleurs de jeunesse utilisent ses supports pour en apprendre davantage et se former mutuellement au sujet de l'extrême droite et des autres formes d'hostilité à l'encontre de certains groupes en ligne.
75. La fondation Amadeu Antonio est en contact avec le Service Jeunesse du Conseil de l'Europe (responsable de la campagne européenne du «Mouvement contre le discours de haine»).

7. Combattre l'anti sémitisme

76. Au cours de l'audition sur l'antisémitisme tenue à Strasbourg en juin 2014, un mois après le tragique assassinat de quatre ressortissants juifs au Musée juif de Bruxelles, le Dr Gideon Botsch du Centre d'études juives européennes Moses Mendelssohn de l'Université de Postdam en Allemagne, a évoqué, entre autres, les défis spécifiques posés par l'antisémitisme dans le contexte du nationalisme radical et de l'extrémisme de droite xénophobe 
			(19) 
			Pour le discours complet
de M. Botsch, veuillez vous référer au document <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2014/FpdocInf20-14.pdf'>AS/Pol/Inf
(2014) 20</a>.. Les organisations néonazies en particulier, mais aussi différents groupes d'extrême droite, distillent régulièrement un antisémitisme militant qui se traduit aussi par des slogans contre les juifs, les dégradations de biens appartenant à des juifs et les agressions violentes. Désormais, de tels groupes nationalistes et antisémites sont même représentés au Parlement européen. Il existe en outre des sous-cultures de jeunesse, par exemple dans le domaine des supporters de football ou de la musique, où les slogans, les chansons ou les symboles antisémites sont très courants. Cet antisémitisme radical et nationaliste sert de fondement à la négation ou à la relativisation des campagnes de meurtres organisés à l'encontre des juifs durant la seconde guerre mondiale 
			(20) 
			Voir également l'étude
sur la discrimination et les crimes de haine contre les juifs dans
les pays membres de l’Union européenne: Expériences et perceptions
de l'antisémitisme, financé par l'Agence des droits fondamentaux
de l'Union européenne et publié en novembre 2013: <a href='http://fra.europa.eu/en/publication/2013/discrimination-and-hate-crime-against-jews-eu-member-states-experiences-and'>http://fra.europa.eu/en/publication/2013/discrimination-and-hate-crime-against-jews-eu-member-states-experiences-and</a>..
77. Le Dr Botsch a également souligné que les actes antisémites sont plus fréquents en période de regain de tension entre Arabes et Israéliens au Proche-Orient – avec une tragique intensité maximale lors de la deuxième Intifada au début des années 2000, mais aussi dans le contexte du conflit militaire au Liban, dans la bande de Gaza, etc. Cette tendance semble avoir été confirmée suite à l'escalade récente du conflit entre Israël et les Palestiniens à Gaza dans la mesure où des rapports en provenance de pays européens indiquent un accroissement des attaques contre les personnes juives ces derniers mois. En règle général, ces attaques et cette hostilité ne sont pas des réponses à des provocations et elles sont plus souvent dirigées contre la communauté juive ou des Juifs à titre individuel plutôt que contre les institutions de l'Etat d'Israël.
78. Dans le contexte des expériences tant positives que négatives en matière de lutte contre l'extrémisme de droite, que le Centre Moses Mendelssohn a étudié, et en prenant notamment l'exemple du Land allemand de Brandebourg (voir également plus haut), le Dr Botsch a suggéré les actions suivantes dans le cadre de la lutte contre l'antisémitisme.
79. Premièrement, pour obtenir un rejet sans équivoque de l'antisémitisme dans la politique et dans la société, il faut un consensus contre cet antisémitisme. Deuxièmement, il faut une solidarité sans équivoque avec les victimes de l'antisémitisme, qui ne doit pas s'accompagner d'une quelconque marque de compréhension à l'égard des auteurs de tels faits. Et j'ajouterais que ceci est d’autant plus pertinent en période d'escalade de tension au Moyen-Orient, comme c'est le cas présent. Troisièmement, il faut œuvrer à la prise de conscience et à la reconnaissance de l'antisémitisme, à tous les niveaux et sous toutes ses formes, en tant que problème social et politique en Europe. Quatrièmement, le problème doit aussi être documenté de manière régulière et complète et faire l'objet de recherches empiriques, et les conclusions devraient être publiées dans des rapports périodiques. Cinquièmement, des mesures coordonnées et énergiques doivent être prises pour combattre l'antisémitisme: à la fois par la prévention des infractions et violences à caractère antisémite et par des sanctions légales, administratives et matérielles; par la promotion des initiatives de la société civile contre l'antisémitisme visant à faire de celui une question transversale, comme pour l'extrémisme de droite, la xénophobie et d'autres formes de discrimination; et enfin, par des mesures éducatives appropriées dans le cadre des programmes d'enseignement, en dehors de ceux-ci et dans l'éducation pour adultes.

8. Mesures de protection des victimes et des témoins du néonazisme

80. Comme je l'ai déjà évoqué, plusieurs de mes interlocuteurs en Allemagne ont insisté sur le fait que je devais accorder une attention particulière à la nécessité de renforcer les mesures d'aide aux victimes. Autonomiser les victimes a également un fort effet dissuasif.
81. Six groupes d'aide aux victimes dans l'ancienne Allemagne de l'Est (le premier a été créé dans le Brandebourg) et à Berlin ainsi que des groupes moins importants dans l'ancienne Allemagne de l'Ouest ont apporté leur soutien à plusieurs milliers de victimes de l'extrémisme de droite, ainsi qu'à des témoins dans des affaires qui ont finalement été portées devant la justice. Il est important de comprendre que les néonazis font partie de la société au niveau local dans les régions où ils ont une assise solide. Ils sont par exemple bien intégrés dans les clubs de sport. C'est pourquoi les groupes de la société civile ont souvent plus de facilité à les identifier que la police. Les mesures d'aide et de soutien aux victimes encouragent la population à sortir du silence et luttent contre le sentiment d'impunité.
82. Ces initiatives citoyennes sont toutefois perçues comme des «projets pilotes» et leur financement n'est pas garanti. Il conviendrait d'agir sur ce point pour faire en sorte qu'ils disposent d'un financement régulier. Il est particulièrement important de mettre l'accent sur les victimes plutôt que sur les auteurs des faits.
83. Parmi les nombreux exemples de structures d'aide aux victimes à Berlin, on peut citer:
  • le Commissaire berlinois aux victimes, désigné pour la première fois en octobre 2012, notamment en vue de coordonner et de renforcer la coopération entre les diverses organisations de soutien ainsi que de donner davantage de poids politique aux préoccupations des victimes 
			(21) 
			<a href='http://www.berlin.de/sen/justiz/opferbeauftragter/startseite.php'>www.berlin.de/sen/justiz/opferbeauftragter/startseite.php</a>.;
  • le centre de conseil ReachOut, destiné aux victimes de violences extrémistes de droite, racistes et antisémites à Berlin. Depuis 2002, il photographie des scènes de crime, publie des informations concernant des agressions et réalise des expositions de ces clichés. Les clients bénéficient d'une expertise juridique et d'un soutien psychologique ainsi que d'une escorte pour se rendre au commissariat ou au tribunal. Dans une interview, des membres de l'équipe ont évoqué ce genre inhabituel de travail de publicité, les agressions dans les parties ouest et est de la ville et la raison pour laquelle la parole est la première étape de la guérison 
			(22) 
			<a href='http://www.reachoutberlin.de/'>www.reachoutberlin.de/</a>.;
  • l'association WEISSER RING e.V., créé en 1976, est le seul réseau d'aide aux victimes actif dans tout le pays 
			(23) 
			<a href='https://www.weisser-ring.de/internet/weisser-ring/index.html.'>www.weisser-ring.de/internet/weisser-ring/index.html.</a>.

9. Mesures pour aider les personnes à quitter les mouvements néonazis: les projets «exit»

84. L'idée d'utiliser des individus issus de la sphère néonazie (mais qui ont décroché) qui possèdent les qualités personnelles et la motivation nécessaire pour amener d'autres membres à quitter ces mouvements a été lancée en Norvège en 1997 et adoptée l'année suivante en Suède, avec la création d'EXIT Suède, composé d'anciens militants d'extrême droite. Ces derniers ont aidé des jeunes en nouant avec eux des relations personnelles qui leur ont permis de créer un réseau de «décrocheurs au service des décrocheurs» (Conseil suédois de prévention de la criminalité, 2011). Le projet suédois a également porté assistance à des extrémistes norvégiens de droite qui souhaitaient quitter ce milieu et a inspiré des actions similaires en Allemagne.
85. Au cours de la réunion de la commission à Paris en septembre 2013, nous nous sommes entretenus avec le directeur du projet suédois EXIT (EXIT Frysguset). Durant son adolescence, M. Örell a été impliqué dans un mouvement «pouvoir blanc». Selon lui, les nombreux jeunes qui adhèrent à des groupes de pouvoir blanc dans le monde entier sont davantage attirés par l'appartenance à un groupe, la protection et la volonté de donner un sens à leur vie plutôt que par l'idéologie. Beaucoup de personnes quittent ces mouvements néonazis ou de pouvoir blanc avant l'âge adulte. Le problème essentiel est posé par les plus de vingt ans qui continuent d'y adhérer. L'organisation qu'il dirige dispose d'un vaste réseau composé notamment d'anciens membres de groupes néonazis et de travailleurs sociaux professionnels. L'ONG mène des activités de prévention et de conseil auprès des parents et aide les jeunes à quitter des groupes criminels.
86. M. Örell a insisté sur deux messages. L'un s'adresse à la société: «Il est possible de comprendre et de réagir aux milieux prônant la suprématie de la race blanche à condition d'avoir une bonne connaissance de la radicalisation et des réseaux relationnels». Le deuxième s'adresse aux membres de ces mouvements: «Il est possible d'en sortir et de réintégrer la société. Ce changement est à votre portée.»
87. Au cours de notre visite à Berlin, nous avons eu un échange de vues fort intéressant avec M. Bernd Wagner, criminologue et ancien inspecteur de police, cofondateur (avec l'ancien leader néonazi Ingo Hasselbach) de l'initiative fédérale «Exit-Allemagne: des solutions pour sortir de l'extrémisme» 
			(24) 
			<a href='http://www.exit-deutschland.de/EXIT/Navigation/Ueber-EXIT/About-EXIT-Germany/About-EXIT-Germany-E1287.htm'>www.exit-deutschland.de/EXIT/Navigation/Ueber-EXIT/About-EXIT-Germany/About-EXIT-Germany-E1287.htm</a>., et ses collaborateurs, parmi lesquels M. Christian Ernst Weißgerber, ancien leader néonazi qui nous a expliqué comment il était entré dans le néonazisme et comment il en était sorti.
88. Fondée en 2000, Exit-Allemagne a été la première initiative de ce type en Allemagne, bénéficiant des travaux antérieurs sur l'extrême droite menés dès les années 1990. Exit-Allemagne aide les personnes qui veulent quitter les mouvements d'extrême droite et commencer une nouvelle vie. S'appuyant sur les valeurs de la liberté individuelle et de la dignité, Exit-Allemagne a aidé quelque 500 personnes à rompre avec le néonazisme («décrochage»). Dans 12 cas seulement, les personnes concernées sont retournées vers des structures extrémistes similaires. Pour Exit-Allemagne, «le parcours Exit n'est achevé qu'au terme d'une réflexion critique, d'une réévaluation et d'une remise en cause de l'ancienne idéologie. Il signifie davantage (...) que le simple fait de quitter un parti ou un groupe. Il ne s'agit pas simplement de changer de mode d'expression ou de renoncer à la violence. Pour que le parcours Exit soit un succès, il faut avoir abandonné les idéologies et les finalités qui inspiraient les actions passées».
89. Pour aider les personnes à tourner le dos à l'extrême droite, Exit-Allemagne établit un dialogue individuel et travaille sur la biographie des personnes souhaitant décrocher et sur les raisons pour lesquelles elles sont devenues des néonazis. L'initiative apporte une aide en cas de danger ou de menace d'agression physique ou de persécution. Si nécessaire, elle rend visite en prison aux personnes qui «ont décroché» et travaille avec elles à ce qu'elles abandonnent leur ancienne vision du monde et posent un regard différent sur leur passé, y compris leurs délits éventuels. L'organisation les aide aussi à développer de nouvelles compétences et idées en renforçant tous les outils de promotion personnelle. Elle travaille avec ces personnes à ce qu'elles recréent des liens personnels et à les réorienter dans leur vie quotidienne, comme à l'école ou au travail, et leur propose de nouveaux modes de pensée tout en précisant que le fait de quitter l'extrême droite ne les empêchera pas de continuer de critiquer la société actuelle. L'organisation noue des contacts avec d'anciens militants d'extrême droite et contribue à la tenue de débats avec des personnes ayant connu la dictature. Le parcours Exit peut durer en moyenne entre un et trois ans, mais aussi parfois jusqu'à sept ou huit ans. Quelque 30 à 40 personnes bénéficient de cet accompagnement chaque année.
90. La structure offre une assistance aux enseignants, aux policiers, aux institutions et à toute personne ayant besoin d'aide et de conseils. Elle soutient aussi les familles touchées par l'extrémisme de droite. En offrant de nouveaux parcours, elle ouvre des possibilités et combat le sentiment d'impuissance et la peur. Par ailleurs, une caractéristique unique de l'initiative Exit-Allemagne est l'«atelier des anciens militants d'extrême droite», qui mettent leur vision et leurs connaissances irremplaçables au service d'études et de la recherche de solutions concrètes. Il est de la plus haute importance que les personnes qui ont quitté l'extrême droite s'expriment publiquement et en encouragent d'autres à suivre leur exemple.
91. Lorsque nous l'avons rencontré, M. Weißgerber a cité les raisons purement idéologiques pour lesquelles il était tout d'abord devenu néonazi, jusqu'à en devenir un membre influent, étant l'un des instigateurs, à la fois, des changements dans la manière de faire de la politique et de s'habiller. Cependant, il a progressivement commencé à se méfier de termes comme «Folke» ou «Nation» et à s'en dissocier. Un an plus tard, il a pris contact avec Exit-Allemagne et a rejoint le projet, avec un ami. Les membres de l'équipe qu'il a rencontrés ont su déconstruire son cadre idéologique et l'aider à se déradicaliser. Cependant, dès qu'il a commencé à s'éloigner ouvertement du milieu néonazi, il a été stigmatisé, a perdu des amis et a même été menacé. Exit-Allemagne l'a aussi aidé de ce point de vue. Il a concédé qu'il aurait peut-être été plus difficile de quitter le néonazisme s'il n'avait pas effectué tout ce parcours avec un ami.
92. D'après M. Wagner, la lutte contre le néonazisme doit être intersectorielle et s'attaquer d'une part à l'idéologie et d'autre part à la structure des mouvements néonazis. L'éducation dispensée dans les écoles est également selon lui l'un des outils les plus efficaces.
93. Toujours en Allemagne, le programme «Exit to Enter» est spécifiquement axé sur l'assistance aux personnes souhaitant décrocher dans le contexte du marché du travail. Créé sous l'égide du programme XENOS – Intégration et diversité du gouvernement fédéral et représentant un volet de son plan d'action national en faveur de l'intégration, le programme «Exit to Enter» combine des systèmes et des idées conçus pour aider les personnes à quitter les mouvements d'extrême droite et à intégrer le marché du travail ou à suivre une formation professionnelle leur permettant de retrouver un emploi 
			(25) 
			Voir Labor-Market Oriented
Exit-Support Work to Combat Right-Wing Extremism: the XENOS special
programme «Exit to Enter» (Ausstieg zum Einstieg), Petra Boumaiza
dans «Right-Wing Extremism in Europe», op. cit., p. 307-325..

10. Bref aperçu des mesures prises face aux partis néonazis

94. Je rappelle que dans une proposition distincte incluse dans mon mandat, M. Montag et d'autres membres de l'Assemblée ont spécifiquement évoqué la récente hausse de popularité «des partis dont les programmes contiennent des éléments xénophobes, racistes et antisémites, notamment le parti grec Chrysi Avgi [Aube dorée] et le parti hongrois Jobbik, et des responsables politiques qui affichent des points de vues fascistes et néonazis et usent d'un langage raciste» (voir Doc. 13103 et ci-dessus, chapitre 1).
95. M. Montag note que, dans ce contexte, les symboles et structures des partis nazis et fascistes du passé, tels que des logos de parti rappelant les croix gammées, sont à nouveau utilisés et des groupes de voyous qui attaquent les immigrés se constituent. Les principales préoccupations suscitées par la montée des partis néonazis en Europe ont aussi été soulevées dans une troisième proposition présentée par M. Triantafyllos (voir Doc. 13332 et ci-dessus, chapitre 1).
96. Comme le souligne à juste titre M. Montag, les partis promouvant l'idéologie néonazie n'arrivaient auparavant qu'à remporter une petite proportion des votes. Or, ils ont aujourd'hui réussi à entrer dans les parlements ou au Parlement européen.
97. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a également à plusieurs reprises attiré l'attention sur ce phénomène inquiétant, appelant les responsables politiques nationaux et la Communauté européenne à agir face au risque supplémentaire de renforcement de ces partis à l'échelon européen par le biais d'alliances. A titre d'exemple et comme cité dans le rapport annuel 2013 sur la protection de la Constitution, le fait que les néonazis allemands considèrent le succès du parti grec l'Aube dorée comme un signal encourageant pour tous les groupes nationalistes montre bien que «les foules endormies peuvent être réveillées si les conditions s'y prêtent». Alors que le parti allemand NPD a enregistré un net recul au cours des dernières élections régionales, son entrée pour la première fois au Parlement européen en a choqué beaucoup.
98. Fait encourageant, des mesures gouvernementales et judiciaires ont été prises au quatrième trimestre 2013 pour démanteler l'un des partis néonazis les plus notoires en Europe, Aube dorée.
99. Bien que ce sujet ne figure pas parmi mes principaux objectifs, comme je l'ai expliqué au début du présent rapport, je souhaite néanmoins évoquer brièvement les discussions que j'ai eues en Grèce et en Allemagne concernant les mesures juridiques prises à l'encontre de partis néonazis ainsi que certaines réflexions et un exemple de pratique parlementaire tiré du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, l'un des deux Länder allemands (avec la Saxe) où le NPD est représenté au parlement.

10.1. Mesures juridiques

100. En Grèce comme en Allemagne, mes discussions ont inévitablement tourné autour de la question de savoir si l'interdiction des partis néonazis présents dans ces deux pays était la voie à suivre. Dans les deux pays, cette question était au cœur de l'actualité.
101. En fait, je me suis rendue en Grèce deux mois seulement après la mise en œuvre des mesures de répression prises par le gouvernement contre Aube dorée (le 28 septembre 2013), après le meurtre, dix jours plus tôt (le 18 septembre 2013), d'un rappeur populaire, Pavlos Fyssas, par un militant de ce parti. Ce meurtre tragique est venu s'ajouter aux nombreux incidents dans lesquels des membres de l'Aube dorée, dont des parlementaires, ont été impliqués dans certaines des affaires de discours de haine et de brutalités physiques les plus abominables, des deux dernières années. Comme me l'a expliqué le Ministre de l'Ordre public et de la Protection des citoyens, notre ancien collègue M. Dendias, l'établissement d'un lien direct entre le crime et un parlementaire d'Aube dorée, et donc le parti lui-même et ses dirigeants, a permis contrairement aux affaires précédentes de réagir à l'assassinat du rappeur. Les responsables du parti et certains de ses membres ont fait l'objet de poursuites pénales pour une série d'actes criminels, allant du meurtre et de blessures corporelles au blanchiment de capitaux, à la corruption et à la participation à une organisation criminelle. Les poursuites étaient également dirigées contre Mme Eleni Zaroulia, ex-membre de la délégation grecque auprès de notre Assemblée.
102. Dans un développement distinct bienvenu, le Parlement grec a voté une loi suspendant le financement public de l'Aube dorée (dont le montant se serait élevé à 1,2 million d'euros par an).
103. Le Secrétaire Général et le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe ont salué les mesures prises par le gouvernement à l'encontre de l'Aube dorée et la suspension de son financement public. Dans son précédent rapport sur la Grèce, le Commissaire aux droits de l'homme avait préconisé un réexamen de la législation grecque afin de permettre l'interdiction de l'Aube dorée. Pour diverses raisons historiques, juridiques et principalement politiques, les autorités ont préféré agir sur la base du droit pénal contre les dirigeants et les membres du parti, plutôt que contre le parti lui-même. Il m'a été rapporté que d'éminents constitutionnalistes et la plupart des partis politiques étaient également opposés à l'interdiction en tant que telle.
104. Je tiens à résumer leurs principaux arguments politiques, car ils sont également applicables à d'autres pays: a) la crainte de voir l'Aube dorée, en cas d'interdiction, continuer d'opérer hors du parlement. Le parti pourrait tout simplement entrer dans la clandestinité et devenir ainsi encore plus dangereux; b) l'interdiction n'empêchera pas le parti d'être présent sur la scène politique. Comme l'ont montré les expériences antérieures dans d'autres pays, l'Aube dorée sera remplacée par un parti moins ouvertement extrémiste, portant une autre dénomination, qui risque de recueillir le soutien d'électeurs moins extrémistes tout en continuant de promouvoir des positions extrémistes; c) dernier point et non des moindres: l'interdiction risque de diviser les partis et responsables politiques démocratiques et d'affaiblir ainsi le front contre l'Aube dorée.
105. J'ai été personnellement convaincue par les arguments de mes interlocuteurs grecs et je pense que, à ce stade, le système politique ne devrait pas s'immiscer dans les poursuites pénales en cours et le traitement judiciaire de ces affaires. Les juges et les procureurs devraient pouvoir continuer leur travail sans qu'il soit entravé par des considérations politiques. Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe a également soutenu cette approche lors de sa visite en Grèce en octobre 2013.
106. En Allemagne, une proposition d'interdiction du NPD a été déposée en décembre 2013 par le Conseil fédéral (le Bundesrat) devant la Cour constitutionnelle, un des trois organes du pays habilités à interdire un parti. Une proposition similaire déposée quelques années auparavant avait échoué parce que la minorité qualifiée de la Cour avait estimé que la présence d'agents des services de renseignement intérieur au sein du NPD brouillait sa capacité à statuer.
107. Nous avons appris que les citoyens trouvaient scandaleux qu'en raison du système de financement des partis en Allemagne, un parti tel que le NPD bénéficie de fonds du budget de l'Etat au titre de sa représentation dans des institutions démocratiques qu'il vise à abolir. Le parti reçoit annuellement près de 1,7 million d'euros, qu'il emploie entre autres pour mener des activités contre l'ordre constitutionnel. J'ai cru comprendre que la législation allemande actuelle ne permet pas la suspension du financement public tant que le parti concerné n'est pas interdit. De même, après le scandale de la NSU, l'idée d'interdire le NPD a refait surface.
108. Le Dr Hans-Georg Maaßen, directeur de l'Office fédéral de protection de la Constitution, m'a indiqué que l'interdiction du parti engendrerait sa stigmatisation et découragerait les éventuels futurs adhérents. L'absence de financement public compliquerait la tâche du parti pour recruter de nouveaux membres et limiterait sa capacité à atteindre ses buts.
109. Cependant, les partis politiques allemands semblent divisés sur la question de l'interdiction du NPD. Seul le parti de la gauche (Die Linke) est unanimement en faveur de son interdiction, les autres partis étant divisés ou y étant opposés. En tout état de cause, interdire un parti risque de renforcer les actions clandestines et ne résoudra pas le problème des associations locales, les «Kameradschaften», qui sont les plus dangereuses. Certains prétendent qu'il vaudrait mieux poursuivre la lutte contre les extrémistes plutôt que de les interdire. Des arguments similaires à ceux entendus en Grèce contre l'interdiction ont également été avancés par plusieurs de mes interlocuteurs allemands.
110. Du point de vue juridique, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les lignes directrices de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur l'interdiction et la dissolution de partis politiques et les mesures analogues, adoptées par la Commission de Venise en 1999 
			(26) 
			Voir document
CDL-INF(2000)1, adopté par la Commission de Venise lors de sa 41e
session plénière, Venise, 10-11 décembre 1999. Voir également la Résolution 1754 (2010) de l’Assemblée «Lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses
et échecs» et Doc. 12265., l'interdiction d'un parti politique ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. Ceci ne remet pas en cause la responsabilité pénale des dirigeants et membres de partis, y compris des parlementaires, qui prononcent des discours de haine ou se rendent coupables de crimes de haine ou autres infractions pénales.
111. A mon sens, en tant que responsable politique et non juriste, même si l'interdiction d'un parti politique est compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) (et les lignes directrices de la Commission de Venise), elle ne doit intervenir en tant que telle qu'en tout dernier ressort, lorsqu'aucune autre action ne suffit pour lutter contre les effets négatifs de ses actes. En tout état de cause, il ne suffit pas d'une interdiction pour faire barrage aux manifestations de néonazisme par des partis politiques pour toutes les raisons évoquées précédemment, notamment le fait que les partis concernés peuvent réapparaître sous une autre dénomination ou poursuivre leurs activités dans la clandestinité. Comme le note également M. Gunnarsson dans son rapport, «il convient de garder à l'esprit une question simple: pourquoi les électeurs ont-ils voté pour l'Aube dorée? Ce qui importe réellement est de s'attaquer aux causes profondes» 
			(27) 
			Voir Doc. 13385, paragraphe 66.. Le succès électoral de l'Aube dorée aux élections locales et européenne de mai 2014 renforce également la valeur de cet argument. Et ceci me confirme dans l'idée qu'il faut se concentrer sur la prévention et que les actions opportunes doivent viser principalement les individus, dirigeants ou membres de ces partis, et engager notamment la responsabilité pénale des auteurs de crime et discours de haine ou de toute autre infraction pénale.
112. Dans ce contexte, j'aimerais conclure en rappelant la position exprimée par l'ancien Commissaire aux droits de l'homme, M. Thomas Hammarberg, lors de notre audition à Stockholm, largement partagée par les membres de notre commission. Selon lui, il est essentiel de débattre avec les mouvements néonazis, qu'ils soient représentés ou non au parlement, et de les démasquer publiquement. «Il ne faut pas les ignorer ni en faire des martyrs», a-t-il affirmé et je partage totalement son point de vue.

10.2. Un exemple de pratique parlementaire: «l'accord de Schwerin»

113. A Schwerin, capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, nous avons eu une discussion très intéressante avec M. Julian Barlen, membre du parlement du Land et porte-parole du groupe parlementaire SPD sur les questions liées à l'extrémisme de droite. En plus des informations communiquées par M. Barlen et ses collaborateurs concernant diverses initiatives visant à lutter contre l'extrémisme de droite en Allemagne en général et dans leur Land en particulier, M. Barlen nous a également informés des mesures convenues par les groupes parlementaires démocratiques après l'entrée au parlement du Land pour la première fois en 2006, de cinq membres du NPD.
114. En nous présentant «l'accord de Schwerin», M. Barlen a insisté sur le fait que ces mesures ont été prises pour démontrer l'unité de toutes les forces démocratiques contre un parti opposé au système de démocratie libérale de la République fédérale d'Allemagne (comme cité dans le rapport annuel 2013 susmentionné sur la protection de la Constitution) et qui a ouvertement pour objectif d'abolir la démocratie parlementaire. Il a rappelé que la chute de la République de Weimar a montré que l'absence d'unité des démocrates à cette époque était en partie responsable de la prise du pouvoir par Hitler. Ainsi, les 65 parlementaires des quatre groupes démocratiques représentés au parlement du Land ont décidé les mesures tactiques suivantes:
  • un seul député des groupes parlementaires démocratiques s'oppose systématiquement à chaque proposition déposée par le NPD. Cela signifie que les propositions du NPD sont non seulement rejetées mais également contrées par une analyse de fond de l'idéologie inhumaine des extrémistes de droite;
  • chaque proposition soumise par le NPD est rejetée à l'unanimité par les groupes parlementaires démocratiques: le NPD n'étant pas considéré comme un parti politique «normal», les interactions habituelles lui sont refusées;
  • les parlementaires démocratiques participent à des débats et à des événements d'information à la condition expresse qu'aucun représentant du NPD ne soit invité: les forces démocratiques se défendent de placer le NPD sur un pied d'égalité et de le légitimer progressivement.
115. Il convient de noter qu'une telle approche, fondée sur un «consensus démocratique» et sur le fait de ne pas traiter le NDP comme un parti «normal», est également partagée par les organisations de la société civile dans les régions où le NDP n'est pas représenté au parlement.
116. A l'issue des élections de districts tenues en mai 2014 dans le Land, le NPD a enregistré une lourde perte (35 % de ses sièges); il n'est plus représenté au conseil du district de Schwerin et ne peut plus constituer son propre groupe dans aucun des conseils de district. Ceci a été considéré comme une importante victoire des forces démocratiques dans le Land.

11. Remarques conclusives

117. L'extrémisme de droite est un problème aux dimensions paneuropéennes, contre lequel il convient d'intensifier la lutte dans l'Europe entière.
118. Si le fascisme et le nazisme comptent parmi les heures les plus sombres de l'histoire européenne, ils ne doivent en aucun cas faire partie du futur de l'Europe.
119. Nous devons concentrer nos efforts sur la prévention, plutôt que sur le renforcement de la coordination une fois que le mal est fait.
120. A cet effet, après avoir présenté quelques exemples de bonnes pratiques, un projet de résolution adresse aux Etats membres du Conseil de l'Europe, aux parlements nationaux, aux partis politiques, et aux hommes politiques sur un plan général une série de recommandations axées sur la prévention grâce à l'éducation et la sensibilisation, et à une réaction conjointe et opportune de la société aux signes de radicalisation. Des mesures d'aide aux victimes, de protection des témoins, et d'assistance aux personnes désireuses de quitter les mouvements extrémistes sont également proposées.
121. Il est proposé par ailleurs que l'Assemblée condamne sans équivoque la montée des manifestations et des partis néonazis. Je tiens à souligner la responsabilité première qui incombe aux représentants gouvernementaux mais également à nous tous, en tant que responsables politiques démocratiques, de faire face et de nous unir pour défendre les valeurs démocratiques. Nous pourrions ainsi nous opposer de concert à l'idéologie néonazie et aux partis politiques qui plaident en sa faveur, dans et en dehors des parlements.
122. Dernier point, mais pas le moindre, dans le projet de recommandation, il est proposé que le Conseil de l'Europe joue un rôle de coordination pour assurer le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre les pays membres dans leurs efforts pour combattre l'extrémisme d'extrême droite, par exemple comme partie de la stratégie contre le racisme, la haine et l'intolérance en Europe proposé par la Recommandation 2032 (2014) de l’Assemblée «Une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe». Ceci pourrait être fait par la désignation d'un coordinateur spécial ou autre, selon les contraintes budgétaires.