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Rapport | Doc. 13596 | 15 septembre 2014

Les droits des femmes et les perspectives de coopération euro­méditerranéenne

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Fatiha SAÏDI, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13218, Renvoi 3976 du 28 juin 2013. 2014 - Quatrième partie de session

Résumé

Trois ans après les soulèvements qui ont ouvert le «Printemps arabe», le bilan est contrasté: le statut des femmes et son évolution varient profondément d’un pays à l’autre, tout comme le cadre politique général. La Tunisie et le Maroc, par des parcours différents, parviennent à améliorer et consolider progressivement leurs acquis. La Libye au bord de la guerre civile et l’Egypte qui peine à retrouver la stabilité n’ont pas encore consacré aux droits des femmes les efforts nécessaires. En Algérie, sur fond d’un cadre politique presque figé, les progrès en matière de statut de la femme sont encore insuffisants. Dans tous ces pays, des avancées sont possibles et souhaitables, à travers la mise en œuvre du principe d’égalité prévu dans les constitutions respectives.

Le Maroc et la Tunisie ont jusqu’ici représenté des interlocuteurs prioritaires du Conseil de l’Europe. Il est souhaitable que ces relations fructueuses continuent dans le futur. Ces deux pays ont la possibilité de jouer un rôle exemplaire de modernisateur dans la région ainsi qu’au sein de la communauté des pays à majorité musulmane. Ils démontrent qu’il est possible de progresser vers l’égalité entre les femmes et les hommes sans renoncer à ses racines culturelles et religieuses.

La coopération du Conseil de l’Europe avec les pays de la région, notamment avec les outils de la coopération interparlementaire et le «Programme sud», devrait être renforcée et l’amélioration du statut des femmes devrait être intégrée de façon transversale dans tous les programmes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 8 septembre 2014.

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1. Trois ans après les soulèvements qui ont ouvert le «Printemps arabe», le bilan en matière de statut des femmes sur la rive Sud de la Méditerranée est mitigé. Il est, en outre, profondément diversifié entre les différents pays: d’une part le Maroc et la Tunisie, en créant ou consolidant des institutions démocratiques, ont accompli des progrès significatifs sur ce terrain; de l’autre, l’Egypte, qui peine à retrouver la stabilité, et la Libye, au bord de la guerre civile, n’ont pas avancé dans ce domaine. L’Algérie progresse de manière insuffisante.
2. L’égalité entre les femmes et les hommes est un indicateur du degré de démocratisation d’un pays et de sa volonté et capacité d’inclure tous les citoyens sans discriminations. De même, les atteintes aux droits des femmes constituent souvent une sonnette d’alarme qui révèle que les droits et libertés de tous sont menacés.
3. Le Maroc et la Tunisie ont, jusqu’à présent, représenté des interlocuteurs prioritaires du Conseil de l’Europe et il est souhaitable que ces relations fructueuses se perpétuent dans le futur. En même temps, ces pays peuvent jouer un rôle modernisateur exemplaire au sein des enceintes internationales telles que l’Organisation de la coopération islamique, en démontrant qu’il est possible de progresser vers l’égalité entre les femmes et les hommes sans renoncer à ses racines culturelles et religieuses traditionnelles.
4. L’Assemblée parlementaire salue la consécration du principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans les nouvelles constitutions adoptées par l’Egypte et la Tunisie et en 2014. La mise en œuvre effective de ce principe demandera un effort considérable de la part des gouvernements et des législateurs de ces pays au cours des prochaines années.
5. Une attitude attentive et vigilante quant à la situation des femmes dans les pays de la région demeure nécessaire puisqu’en matière de droits humains des reculs sont toujours possibles et que le cadre politique et institutionnel sont particulièrement instables dans certains de ces pays.
6. La société civile, y compris les organisations de femmes, a joué un rôle crucial dans les processus de transition ou consolidation démocratique et doit être soutenue par les institutions nationales et les acteurs de la coopération internationale.
7. De manière générale, les médias ont également un rôle important à jouer pour moderniser la société et soutenir l’égalité entre les sexes; ceci est encore plus vrai dans des sociétés où l’analphabétisme demeure (tradition orale). Ils ont une influence puissante sur les mentalités et devraient l’exercer pour y ancrer le principe d’égalité et éradiquer les stéréotypes de genre.
8. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée réitère les recommandations adressées aux pays de la région, dans leur ensemble et individuellement, dans la Résolution 1873 (2012) «L'égalité entre les femmes et les hommes: une condition du succès du Printemps arabe». De plus, elle appelle les pays de la région:
8.1. à mettre en œuvre le principe d’égalité consacré dans leur constitution de manière cohérente et approfondie, y compris par le biais de politiques et de programmes spécifiques;
8.2. à s’assurer que le droit de la famille et des successions soit conforme avec le principe d’égalité, notamment en ce qui concerne le rôle du chef de famille, l’autorité parentale, le divorce, la garde des enfants et l’héritage;
8.3. à lutter contre la violence à l’égard des femmes par le biais d’un cadre juridique fondé sur la prévention de la violence, la protection des victimes et la répression des auteurs, visant sur le plan pénal toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, les mutilations génitales féminines, le délaissement des filles, les crimes dits «d’honneur» et la violence sexuelle; cette législation doit être mise en œuvre avec cohérence et faire l’objet d’évaluations régulières;
8.4. à éliminer toute barrière qui entrave l’accès effectif des femmes à la justice et à leur garantir l’accès et la participation aux mécanismes de justice transitionnelle;
8.5. à soutenir la société civile, y compris les organisations des femmes, et à l’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre de lois et politiques susceptibles d’avoir un impact sur le statut des femmes;
8.6. à promouvoir la pleine participation des femmes et des organisations de femmes à la vie publique et politique, notamment en introduisant dans la législation électorale des dispositions visant à promouvoir la représentation de femmes élues dans les instances publiques. Au sein de ces instances ainsi que, le cas échéant, des partis politiques, des activités d’information et de formation devraient être organisées pour améliorer les capacités de tous les élus, sans distinction de sexe;
8.7. à promouvoir la représentation des femmes au sein du système judiciaire et des professions juridiques ainsi que des forces de police;
8.8. à impliquer les médias dans la promotion de l’égalité, à la fois par la lutte contre les stéréotypes de genre et par une représentation accrue des femmes dans les effectifs des différents organes d’information, notamment la radio et la télévision;
8.9. à garantir l’égalité d’accès à l’éducation à tous les niveaux sans discrimination fondée sur le sexe et à intensifier la lutte contre l’analphabétisme, y compris chez les adultes, notamment les femmes;
8.10. à intensifier la coopération avec le Conseil de l’Europe, notamment en adhérant aux conventions et aux accords partiels élargis pertinents dont la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), en particulier, s’ils ne l’ont pas déjà fait;
8.11. à envisager l’adhésion à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STE n° 197) et à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE n° 210, «Convention d’Istanbul»);
8.12. à renforcer la coopération interparlementaire avec le Conseil de l’Europe, par le biais d’outils disponibles tels que le statut de partenaire pour la démocratie, et la coopération dans le cadre du programme intitulé «Renforcer la réforme démocratique dans les pays du voisinage méridional» (Programme Sud);
8.13. à renforcer les liens de coopération internes à la région afin d’échanger de bonnes pratiques en matière d’amélioration du statut des femmes;
9. En outre, l’Assemblée appelle le Maroc:
9.1. à garantir la mise en œuvre du Code de la Famille de façon uniforme dans les différentes juridictions du pays, notamment par le biais d’activités d’information et de formation des magistrats et en facilitant l’accès à la justice pour les femmes défavorisées et en milieu rural;
9.2. à assurer la mise en œuvre du plan gouvernemental pour l’égalité ICRAM (Initiative concertée pour le renforcement des acquis des marocaines) adopté en juin 2013 sur la base d’une convention de partenariat avec l’Union européenne;
9.3. à lutter contre le phénomène des mariages des mineurs;
9.4. à éradiquer le phénomène du travail illégal des mineurs, notamment en milieu domestique, en appliquant la législation actuelle du travail;
9.5. à achever le processus législatif en cours afin de se doter d’une législation adéquate sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes;
10. L’Assemblée appelle la Tunisie:
10.1. à réformer la législation électorale afin de garantir l’efficacitédes dispositions promouvant la représentation des femmes;
10.2. à compléter le processus de création d’une législation sur la violence à l’égard des femmes et la traite des êtres humains et à garantir sa mise en œuvre et son évaluation;
11. L’Assemblée appelle l’Algérie:
11.1. à réformer le Code de la Famille dans un sens véritablement paritaire, en éliminant les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment en matière de capacité juridique de se marier, d’autorité parentale et de conditions pour demander le divorce;
11.2. à réformer la loi N°12-06 relative aux associations ou à l’appliquer de manière telle qu’elle n’entrave pas les libertés de réunion et d’association.
12. L’Assemblée appelle la Libye à garantir la mise en œuvre du décret de loi reconnaissant comme «victimes de guerre» les femmes victimes de viols lors de la révolution de 2014, adopté le 19 février 2014, en allouant des ressources humaines et financières suffisantes.
13. L’Assemblée appelle l’Egypte:
13.1. à promouvoir la participation des femmes à la vie publique ainsi que leur représentation politique, notamment par le biais d’une législation électorale adéquate;
13.2. à lutter contre la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, y compris le harcèlement moral et sexuel ainsi que les mutilations génitales féminines.

B. Projet de recommandation 
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			Projet
de recommandation adopté par la commission le 8 septembre 2014.

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1. Se référant à sa Résolution … (2014) sur les droits des femmes et les perspectives de coopération euro-méditerranéenne, l’Assemblée parlementaire constate que, dans les pays de la rive sud de la Méditerranée, l’égalité entre les hommes et les femmes évolue de façon inégale, parallèlement à la transition démocratique, avec des avancées significatives dans certains pays et une situation d’instabilité qui entrave le progrès dans d’autres.
2. L’Assemblée salue les efforts du Conseil de l’Europe pour renforcer la coopération avec les pays de la région et contribuer à ces dynamiques par le biais de la coopération interparlementaire, y compris à travers le statut de partenaire pour la démocratie.
3. L’Assemblée réitère l’importance qu’elle attache aux activités de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), notamment à la lumière du rôle qu’elle a joué dans l’élaboration de la Constitution tunisienne. Elle encourage le Comité des Ministres à promouvoir les démarches de la Commission de Venise dans la région, aussi bien dans ses Etats membres (Maroc, Tunisie) qu’en dehors de ceux-ci.
4. L’Assemblée encourage le Comité des Ministres à promouvoir la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE n° 210, «Convention d’Istanbul»), entrée en vigueur le 1er août 2014, auprès des pays du voisinage méridional, à la fois par le biais d’activités de formation sur le contenu de la convention et en promouvant l’adhésion de ces pays.
5. L’Assemblée estime que la coopération du Conseil de l’Europe avec les pays du Sud de la Méditerranée devrait continuer à accorder un rôle majeur à la composante «égalité homme–femme» également dans la dimension interparlementaire.

C. Exposé des motifs, par Mme Saïdi, rapporteure

(open)

1. Origine et objectif du rapport

Le 25 juin 2014, Salwa Bugaighis, avocate, activiste des droits humains et figure de pointe de la révolte contre le colonel Kadhafi, a été assassinée. Ancienne membre du Conseil National de Transition libyen, qu’elle avait quitté après quelques mois pour protester contre la quasi absence de femmes, elle était l’une des initiateurs de la Plateforme Libyenne des Femmes pour la Paix. Son opposition aux milices armées et aux islamistes radicaux était bien connue. Elle venait de rentrer en Libye pour exercer son droit de vote (contre l’avis de ses proches, à cause des menaces de mort qu’elle avait reçues). Elle a été agressée dans sa maison, au retour du bureau de vote, par un commando d’hommes cagoulés qui l’ont poignardée et tiré sur elle à douze reprises.

Salwa Bughaighis n’était pas la seule femme courageuse de cette région tourmentée, ni la seule à donner sa vie pour la cause de la démocratie. Cependant, son sacrifice est particulièrement douloureux, car elle contribuait de façon significative, par ses positions indépendantes et cohérentes, à créer un pays nouveau. Pour commémorer l’engagement de cette femme et par solidarité avec tous ceux et celles qui continuent son combat, je souhaite dédier ce rapport à la mémoire de Salwa Bugaighis.

1. La Résolution 1873 (2012) de l’Assemblée parlementaire «L’égalité entre les femmes et les hommes: une condition du succès du Printemps arabe» suggérait aux pays de la région un certain nombre de mesures et de réformes à entamer pour améliorer le statut des femmes et supprimer toute forme de discrimination à leur égard. Une partie de ces suggestions s’adressait à tous les pays de la région, l’autre partie à des pays spécifiques. Elles concernaient notamment la représentation politique des femmes et leur participation à la vie publique, le droit de la famille, la lutte contre la violence à l’égard des femmes, l’image des femmes dans les médias et les stéréotypes de genre, ainsi que la coopération avec la société civile.
2. En rédigeant un nouveau rapport deux ans plus tard, je me propose de faire l’état de la situation au lendemain d’étapes importantes dans la vie politique et institutionnelle des pays de la région. Il s’agit de vérifier dans quelle direction s’est développée la situation quant au respect des droits humains et au statut des femmes et, en même temps, identifier les mesures à adopter pour améliorer ce statut.
3. J’aimerais réitérer que formuler de telles recommandations ne signifie pas exporter ou imposer des principes et des normes observés en Europe. Le contenu de la Résolution 1873 (2012) reflétait les aspirations des femmes de la région, telles qu’elles sont revendiquées par une grande partie de leurs représentant(e)s politiques et par la société civile. Lors de la préparation de mon rapport de 2012, j’ai eu la possibilité d’échanger avec de nombreux représentants de ces sphères et j’ai pu constater que nous partagions les mêmes objectifs, fondés sur les normes internationales en matière de droits humains. L’implication importante des femmes dans les premières phases du Printemps arabe a sans doute contribué à renforcer la conscience du rôle qu’elles peuvent jouer dans la société à tous les niveaux.
4. Je souhaite à cet égard citer les propos de la sociologue et politologue algérienne Feriel Lalami: «Dès que les associations de femmes avancent une demande d’égalité, on les accuse de se faire manipuler ou d’imiter platement les mouvements féministes occidentaux. Cette critique a une visée stratégique: discréditer le mouvement. Pourtant, cette demande de changement du statut des femmes puise son origine au sein de la société arabe elle-même. Elle n’a pas été importée. Les associations de femmes vont chacune prendre des formes locales particulières en s’adaptant aux conditions sociales et politiques du pays 
			(3) 
			<a href='http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/p-24970-Le-combat-des-Algeriennes-pour-un-nouveau-code-de-la-famille-entre-feminisme-et-syndicalisme.htm'>www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/p-24970-Le-combat-des-Algeriennes-pour-un-nouveau-code-de-la-famille-entre-feminisme-et-syndicalisme.htm</a>.
5. En 2012, l’Assemblée s’adressait également au Comité des Ministres, eu égard aux activités de coopération du Conseil de l’Europe, en vue de contribuer à définir les orientations de ce programme, de renforcer les éléments liés à l’égalité de genre et à l’amélioration du statut des femmes, en s’assurant qu’elles soient en tête des priorités. Le présent rapport se propose d’être également pertinent dans cette perspective. Il vise à fournir des indications utiles au Comité des Ministres afin d’évaluer les activités de coopération dans la région et d’identifier les priorités pour la suite du programme.

2. Une situation diversifiée

6. Toute la rive sud de la Méditerranée a été, de manière plus ou moins intense, concernée par le processus souvent appelé «Printemps arabe». Il s’agit en effet d’une dénomination partiellement inexacte, compte tenu du fait que plusieurs pays dits arabes sont ethniquement diversifiés, avec notamment une importante population amazighe. Quelques années plus tard, l’image même d’un «printemps» s’est avérée trompeuse, car dans plusieurs pays cette saison pleine d’initiatives et d’espoir n’a pas abouti aux résultats espérés. Toutefois, la définition de Printemps arabe a été consacrée par les médias et restera probablement telle quelle dans la mémoire collective.
7. Malgré les éléments communs, tels que l’origine populaire des protestataires, l’engagement des jeunes et des femmes et l’utilisation des réseaux sociaux sur internet, les mouvements sont très diversifiés. L’impact a été très inégal dans les différents pays, puisque le cadre était, dès l’origine, très différent. En Egypte, Libye et Tunisie, des régimes autocratiques ont chuté. Au Maroc, les protestataires ont donné une impulsion forte à un processus de réformes démocratiques entamé depuis longtemps. En Algérie, l’impact a été bien plus limité qu’ailleurs.
8. La situation est très diversifiée même en ce qui concerne les droits des femmes. Historiquement plus avancés en Tunisie grâce aux choix faits au lendemain de l’indépendance, le cadre législatif a évolué positivement également au Maroc, au cours de la dernière décennie. En Egypte, sous le premier gouvernement post-Moubarak, le statut des femmes s’est détérioré.
9. Dans ce rapport, je traite tout d’abord de la situation du Maroc et de la Tunisie, qui étaient indiqués dans la Résolution 1873 (2012) comme des exemples à suivre. Ces deux pays ont tissé des relations étroites avec le Conseil de l’Europe: membres de la Commission de Venise, ils ont adhéré à un certain nombre de conventions établies par l’Organisation et sont partenaires des activités de coopération dans le cadre de la politique de voisinage du Conseil. Le Maroc est également membre du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) et son parlement a demandé et obtenu le statut de «partenaire pour la démocratie» auprès de l’Assemblée parlementaire. A Rabat et à Tunis, le Conseil de l’Europe a ouvert des bureaux de programmes. Tout en ayant suivi des parcours très différents, ces deux pays ont en commun le fait d’avoir adopté des normes avancées en matière de droits des femmes.
10. Par la suite, je présente la situation des femmes en Libye et en Egypte, où la transition démocratique s’avère particulièrement difficile. En Libye, les structures de l’Etat ne sont pas encore suffisamment solides et la violence entre les factions continue. En Egypte, l’après-Moubarak a été bouleversé par la chute du premier gouvernement postrévolutionnaire guidé par les Frères Musulmans, renversé par l’Armée après de fortes protestations populaires.
11. Finalement, j’analyse le statut des femmes en Algérie, un pays où le vent du changement n’a apporté que des mesures limitées, mais où l’on enregistre quelques signaux positifs, tels que l’amélioration de la représentation politique des femmes. Tout en étant consciente des questions politiques qui entravent les relations entre l’Algérie et d’autre pays de la région, j’exprime le souhait qu’elle renforce sa coopération à la fois avec ses voisins et l’Europe.

3. La Tunisie au lendemain de l’adoption de la nouvelle Constitution

12. La Tunisie se caractérise par une révolution aboutie: après la chute du régime au pouvoir, ce pays a su bâtir des institutions démocratiques. L’adoption d’une nouvelle Constitution le 26 janvier 2014 représente une étape majeure dans l’histoire récente de la Tunisie 
			(4) 
			Libertés,
droits des femmes: les avancées de la Constitution tunisienne, Le Monde, 27 janvier 2014, Hélène
Sallon:<a href='http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2014/01/27/des-avancees-majeures-dans-la-constitution-tunisienne_4354973_1466522.html'> www.lemonde.fr/tunisie/article/2014/01/27/des-avancees-majeures-dans-la-constitution-tunisienne_4354973_1466522.html</a>.. Trois ans après le début des manifestations de masse et la suspension, en mars 2011, de l’ancienne loi fondamentale, un cycle s’est conclu. La majorité écrasante lors du vote final au sein de l’Assemblée Nationale Constituante (200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions) atteste de la solidité de l’accord entre les islamistes de Ennahda, ayant la majorité relative avec 89 sièges sur 217, et les autres forces politiques.
13. L’Assemblée Nationale Constituante a demandé à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) de préparer un avis sur le projet de Constitution. La Commission de Venise a examiné les dispositions, article par article, afin de vérifier la conformité du projet avec les textes fondamentaux du droit international en matière de fonctionnement démocratique, de libertés publiques et d’Etat de droit. Son but était également de signaler d’éventuelles insuffisances et de proposer, le cas échéant, des recommandations de correction. L’avis 
			(5) 
			Observations
sur le projet final de la République tunisienne, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2013)032-f'>Avis
733/2013</a>, CDL-AD(2013)032., publié le 17 octobre 2013, a salué «le remarquable travail qui a été accompli par l’Assemblée Nationale Constituante de la Tunisie» et la nette référence aux «droits fondamentaux», se réjouissant que le projet de Constitution, d’une part, soit fondé sur «les principes universels de démocratie et de droits de l’homme» et, ait prévu «la création, pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, d’une Cour Constitutionnelle indépendante».
14. La Commission de Venise a relevé en même temps des tensions entre certains articles, par exemple en matière d’équilibre et de fonctionnement des pouvoirs ou du cadre d’exercice des cultes. Après la publication de l’avis, les travaux de l’Assemblée nationale constituante ont continué pendant plusieurs mois jusqu’à la promulgation de la Constitution. Je tiens à souligner que la demande d’avis présentée par le Président Ben Jaafar s’est traduite en une opportunité de coopération fructueuse entre la Tunisie nouvelle et le Conseil de l’Europe ainsi qu’une réponse positive aux indications contenues dans la Résolution 1873 (2012) de l’Assemblée.
15. L’adoption d’une nouvelle loi fondamentale tunisienne représente la concrétisation des aspirations démocratiques des manifestants de 2010 et 2011. En même temps, un nouveau cycle s’est ouvert. Une fois l’ancien Etat démantelé et des institutions démocratiques conçues, il s’agit de mettre en œuvre les principes démocratiques de la nouvelle Constitution.

3.1. Le principe d’égalité homme–femme dans la nouvelle Constitution: le défi de la mise en œuvre

16. Au cours des travaux de l’Assemblée Nationale Constituante tunisienne, le débat autour du principe de «complémentarité» entre les femmes et les hommes avait engendré de graves inquiétudes. Le texte approuvé par la Commission des droits et libertés de l’Assemblée en août 2012, stipulait que «l’Etat assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le développement de la patrie». Cette norme visait à la suppression du principe de l’égalité des sexes et exprimait «le rejet total des droits humains de la femme» en portant un coup à leur dignité et leur citoyenneté, comme dénoncé par la section tunisienne d’Amnesty International et par l’Association tunisienne des femmes démocrates.
17. Dans sa version finale, l’article 21 consacre le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Le texte approuvé en plénière le 6 janvier 2014, par une majorité écrasante de 159 voix sur 169 votants, proclame que «[t]ous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune (…)».
18. Lors de la visite d’information en Tunisie effectuée le 16 juin 2014, mes interlocuteurs m’ont confirmé leur sentiment de satisfaction, voire de soulagement pour le travail accompli avec l’adoption de la nouvelle Constitution. Cependant, en matière de droits humains, les acquis ne sont jamais irréversibles, que ce soit pour la Tunisie ou d’autres Etats. Le risque que l’acquis tunisien en matière de droits des femmes soit remis en discussion n’est pas éliminé et comme l’exprimait bien Mme Samira Merai, parlementaire du parti Afek Tounes, «la menace est toujours là».
19. L’article 46 établit des obligations pour l’Etat tunisien visant à concrétiser le principe d’égalité: «L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et œuvre à les améliorer. L’État garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L’Etat œuvre à réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus. L’État prend les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme.» Il s’agit d’un libellé assez complet et, à mon avis, positif. Le défi pour les années à venir réside dans la mise en œuvre effective de ces engagements.

3.2. La participation politique des femmes: le principe de parité et d’alternance sur les listes électorales

20. Le 11 avril 2011, la Haute Instance chargée de préparer l’élection de l’Assemblée constituante tunisienne du 24 juillet a décidé de consacrer la parité sur les listes électorales. La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a salué cette décision, en définissant la Tunisie comme un pays à l’avant-garde «en ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique». Ce vote, qui avait fait l’objet d’une large majorité, prévoyait que toutes les listes devaient être impérativement paritaires et faire figurer en alternance des candidats hommes et femmes.
21. Cinq mois plus tard, lors du dépôt des listes, les femmes ne représentaient que 5 % des têtes de liste. La fragmentation des forces politiques a produit une prolifération de listes, ce qui a énormément réduit l’impact du principe d’alternance. Seules 49 femmes (sur 217 membres de l’Assemblée) ont eu l’opportunité de participer à l’élaboration de la nouvelle Constitution et à la consolidation de leurs acquis. Il conviendrait de prévenir de tels effets non voulus de la législation électorale par l’élaboration de lois qui favorisent la parité aux niveaux vertical et horizontal.
22. Les femmes tunisiennes, y compris les plus jeunes, peuvent et veulent participer à la vie politique. Ce sont pourtant le manque d’occasions d’acquérir de l’expérience et l’absence d’un véritable dialogue au sein des plateformes existantes qui empêchent de nombreuses femmes de participer plus activement à la vie politique. Dans ce contexte, le cyber-militantisme a offert aux femmes une nouvelle plateforme pour s’engager dans le dialogue politique et exprimer librement leurs opinions politiques. Comme l’a constaté le Centre de recherche et de formation pour les femmes arabes (CAWTAR) qui fournit de la documentation sur la participation des femmes tunisiennes à la politique depuis 2011, il est plus facile pour une femme en Tunisie de gérer un blog ou un site web en toute autonomie que de participer aux activités d’un mouvement politique. Malgré le cyber-militantisme, la politique a tendance à reproduire les formes traditionnelles de discrimination: les femmes ont toujours un accès plus difficiles aux institutions 
			(6) 
			Centre
de recherches pour le développement international (CRDI), «Participation
des femmes à la vie politique en Tunisie, Bulletin du BREMO, <a href='http://www.idrc.ca/FR/Resources/Publications/Pages/ArticleDetails.aspx?PublicationID=1137%20'>www.idrc.ca/FR/Resources/Publications/Pages/ArticleDetails.aspx?PublicationID=1137%20</a>.. En plus, comme mes interlocuteurs en Tunisie l’ont indiqué, il y a eu jusqu’à présent un manque de formation des élu(e)s dans les questions d’égalité.

3.3. La violence à l’égard des femmes

23. Comme déjà indiqué, l’Etat tunisien s’est engagé à prendre les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre les femmes. Je ne peux que saluer la formalisation dans le texte de la Constitution de cet engagement ambitieux. La violence fondée sur le genre est répandue et sous-estimée dans la quasi-totalité des pays et la Tunisie n’est pas une exception. Un rapport très complet sur la violence à l’égard des femmes a été publié en décembre 2010, à la veille des manifestations qui ont déclenché le Printemps arabe. Selon ce rapport, 47,6 % des femmes âgées de 18 à 64 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence (physique ou psychologique) durant leur vie.
24. Pour mettre en œuvre l’article 46 de la Constitution, il sera nécessaire d’investir des ressources pour mettre à jour et compléter les connaissances sur cette question, établir un cadre législatif adéquat et adopter des politiques pertinentes.
25. Le lancement par le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille, en décembre 2013, d’une consultation élargie avec les représentants des différents ministères et la société civile, en vue d’élaborer un projet de loi-cadre contre les violences faites aux femmes, qui devrait être présentée le 25 novembre 2014, est un pas dans la bonne direction. Non seulement cela témoigne de la volonté politique de s’attaquer au problème, mais également de le faire d’une façon inclusive, en coopération avec la société civile, ce qui ne peut qu’augmenter l’efficacité de l’action.
26. Mme Neila Chaabane, Secrétaire d’Etat des Affaires de la Femme et de la Famille, que j’ai eu l’opportunité de rencontrer à Tunis, m’a informée qu’en juin 2014 ce projet de loi-cadre était toujours en cours d’élaboration et dans un état très avancé, tandis qu’un projet de loi sur la lutte contre la traite des êtres humains a été finalisé. Malheureusement il n’était pas sûr que ces deux projets soient discutés avant la fin du mandat de l’Assemblée (les élections se tiendront en octobre 2014).
27. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE n° 210, «Convention d’Istanbul»), entrée en vigueur le 1er août 2014, représente une référence importante dans cette matière, même au-delà des frontières européennes. Les autorités tunisiennes pourraient rapprocher leur législation avec les normes de la convention et s’inspirer de ce texte pour élaborer des politiques intégrées. A terme, elles devraient, à mon avis, considérer la possibilité d’accéder à la convention.
28. Cependant, Mme Chaabane m’a expliqué que l’adhésion de la Tunisie à la Convention d’Istanbul n’est pas envisagée à l’heure actuelle. La priorité des autorités du pays est celle de se doter d’un arsenal juridique adéquat en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes, sans que cela s’inscrive nécessairement dans le cadre de ses obligations internationales.
29. Cette démarche me paraît raisonnable, à la condition que la lutte contre la violence soit poursuivie de manière volontariste, proportionnée à la gravité du problème. La Tunisie est, à juste titre, fière de ses avancées démocratiques et souhaite suivre son propre parcours dans le développement d’une législation et de politiques en matière d’égalité de genre. Cela ne devrait pourtant pas exclure, à moyen terme, la possibilité d’un rapprochement progressif avec les normes internationales, qui serait utile en matière de violence à l’égard des femmes mais également d’autres violations des droits humains. En ce qui concerne la traite d’êtres humains, par exemple, l’harmonisation des normes juridiques – afin d’assurer la compatibilité des conduites incriminées – est aussi importante que la coopération entre les forces de police.

3.4. La levée des réserves à la CEDEF: relancer les réformes législatives

30. Parmi les recommandations adressées spécifiquement à la Tunisie dans la Résolution 1873 (2012), il y a l’appel à retirer la déclaration générale concernant l’interprétation de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), par laquelle le Gouvernement tunisien déclare «qu’il n’adoptera en vertu de la Convention, aucune décision administrative ou législative qui serait susceptible d’aller à l’encontre des dispositions du Chapitre 1er de la Constitution tunisienne». Au lendemain de l’adoption d’une nouvelle Constitution, les autorités tunisiennes devraient reconsidérer cette déclaration, qui affaiblit la portée des obligations assumées en vertu de la convention.
31. Cependant, malgré le maintien de la déclaration générale, les Nations Unies ont confirmé, le 24 avril 2014, la réception de la notification de la levée des réserves spécifiques formulées par le Gouvernement tunisien en 1985, lors de la ratification de la CEDEF. Le Conseil des ministres du Gouvernement de transition avait en effet adopté le projet de décret-loi relatif à la levée des réserves spécifiques le 16 août 2011. Les réserves portaient notamment sur l’égalité des époux pendant le mariage et lors de la dissolution, sur l’autorité parentale, sur le droit pour l’épouse d’octroyer son nom de famille ou de transmettre sa nationalité à ses enfants et sur le droit de choisir son domicile 
			(7) 
			<a href='https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-8&chapter=4&lang=fr#EndDec'>https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-8&chapter=4&lang=fr#EndDec</a>.. La conséquence directe de ces réserves a été la stagnation des réformes destinées à améliorer le statut juridique de la femme et à traduire le principe d’égalité en réalité. Aujourd’hui, la formalisation de la levée des réserves devrait faciliter la mise en œuvre des principes consacrés dans la Constitution: je ne peux que saluer avec enthousiasme ce développement encourageant.

3.5. Femmes et médias en Tunisie

32. Les femmes tunisiennes ne sont pas suffisamment visibles dans les médias. Cet aspect de la réalité tunisienne, présenté par différentes études 
			(8) 
			Entre
autres, Rapport UNESCO «Femmes et médias au Maghreb» guide à l’intention
de la société civile pour améliorer la situation des femmes au Maghreb. , a été évoqué, à plusieurs reprises, lors de mes entretiens en Tunisie. Les médias, notamment la télévision, continuent de diffuser une image de la femme liée aux anciens stéréotypes de genre. De plus, les femmes engagées en politique n’y sont que très peu représentées, ce qui constitue un obstacle de plus à leur activité publique.

4. Maroc: l’égalité homme–femme dans la législation et sa mise en œuvre

33. Cette année marque le dixième anniversaire de l’adoption du Code de la famille («la Moudawana») qui avait été salué, lors de son adoption, comme un progrès majeur pour les droits des femmes au Maroc. Une décennie plus tard, on constate que malgré les avancées remarquables, des efforts sont encore nécessaires pour améliorer la mise en œuvre de ce texte.
34. Il reste un écart entre les principes inspirateurs du droit marocain de la famille et la pratique, y compris celle des tribunaux. L’exemple des mariages de mineurs illustre cette situation. L’article 19 du Code de la famille actuel établit que la capacité matrimoniale s’acquiert à 18 ans pour les jeunes des deux sexes (dans l’ancien code, l’âge requis était de 16 ans pour les filles). Cependant, l’article 20 accorde aux magistrats de la famille le pouvoir d’autoriser le mariage des personnes en dessous de cet âge. Selon les données diffusées par le ministère de la Justice, le nombre de mariages de mineurs a doublé entre 2004 et 2011, en passant d’environ 18 000 à 39 000 
			(9) 
			<a href='http://www.yabiladi.com/articles/details/22991/2004-2014-apres-reforme-moudawana-mariage.html'>www.yabiladi.com/articles/details/22991/2004-2014-apres-reforme-moudawana-mariage.html</a>.. Ces mariages concernent parfois des filles comprises dans la tranche d’âge entre 13 et 15 ans. Cette pratique est conforme au libellé de la loi mais certainement pas à son esprit: il s’agit d’une forme de discrimination et d’une atteinte au développement personnel de ces jeunes filles. Les autorités marocaines devraient limiter strictement la possibilité d’autoriser le mariage des mineurs et en aucun cas ne le permettre en dessous de l’âge de 16 ans.
35. Un problème général est l’application non uniforme du code de la famille. Dans les zones rurales, notamment les plus reculées, les femmes et les enfants sont plus vulnérables à la discrimination et aux violations de leurs droits. En même temps, ils ont plus de difficultés dans l’accès à la justice. Dans les dernières années, des activités de sensibilisation des femmes afin de les informer de la protection que la loi leur offre ont été organisées. Il importerait de former en même temps les magistrats, notamment ceux qui appliquent le droit de la famille, afin d’harmoniser les pratiques dans le pays. La sensibilisation des citoyens, notamment les femmes, et l’amélioration du fonctionnement des tribunaux, ainsi que la formation des magistrats, sont des activités cruciales pour élargir l’accès des femmes à la justice.
36. Une amélioration du système judiciaire du pays pourrait se produire dans un futur proche grâce, entre autres, à la coopération avec le Conseil de l’Europe. En mai 2013, le Maroc a obtenu du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le statut d’observateur auprès de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). La CEPEJ collaborait étroitement avec les autorités marocaines depuis 2012 dans le cadre d’un programme de coopération mené par le Conseil de l’Europe avec le Maroc et la Tunisie avec le soutien de l’Union européenne. Il s’agit d’un programme de renforcement de l’indépendance et de l’efficacité des systèmes judiciaires des deux pays. L’accès des femmes à la justice et la mise en œuvre du Code de la famille pourrait bénéficier de l’impact de ces activités de coopération.
37. La Constitution marocaine de 2011 a marqué une étape importante sous le profil du principe d’égalité de genre dans le pays: selon l’article 19, «l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractères civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’État marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination».
38. Cette autorité, qui s’occupera principalement d’égalité entre les femmes et les hommes, sera cruciale dans la mise en œuvre de ce principe consacré dans la Constitution. La création de l’Autorité semblait être très proche depuis la finalisation, en octobre 2013, d’un projet de loi portant sur cela. Le texte a été élaboré par une commission multidisciplinaire qui a examiné les mémorandums présentés par la société civile et a opéré en concertation avec plusieurs départements étatiques et le Conseil de l’Europe (Commission de Venise, Secrétariat de la Division de la Dignité et l’Egalité). Il s’agit d’une réponse positive aux sollicitations de l’Assemblée parlementaire et de l’énième signal d’ouverture à la coopération avec le Conseil de l’Europe de la part des autorités marocaines 
			(10) 
			<a href='http://www.lematin.ma/journal/egalite-des-sexes_le-projet-de-loi-portant-sur-l-autorite-pour--la-parite-bientot-dans-le-circuit-legislatif/189648.html'>www.lematin.ma/journal/egalite-des-sexes_le-projet-de-loi-portant-sur-l-autorite-pour--la-parite-bientot-dans-le-circuit-legislatif/189648.html</a>.. Cependant, lors de ma visite au Maroc, j’ai constaté qu’il n’y a pas eu d’avancées depuis lors.
39. Il n’y a pas de nouvelles récentes même en ce qui concerne les réserves formulées par le Maroc lors de la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La réserve formulée relative à l’article 29.1 sur l’obligation de soumettre à l’arbitrage tout différend concernant l’interprétation ou l’application de la convention ainsi que la déclaration relative à l’article 2 sont toujours en place. Cette déclaration précise que le Gouvernement marocain est prêt à appliquer les dispositions de l’article dans la mesure où elles ne portent pas atteinte à la loi islamique.
40. L’introduction au plan gouvernemental ICRAM (Initiative Concertée pour le Renforcement des Acquis des Marocaines) que je traite plus bas, précise que «l’engagement du Maroc à mettre en œuvre les dispositions des conventions internationales, en particulier la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes “CEDAW” telle que ratifiée». Cela précise donc bien que le Maroc ne veut pas lever la réserve générale.
41. J’espère que dans le futur proche le Maroc se rapprochera encore plus des standards de la CEDEF en renonçant à toute réserve et à cette déclaration. Il serait opportun également de signer et ratifier le Protocole facultatif à la CEDEF, qui reconnaît la compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes à recevoir les plaintes de particuliers ou de groupes, ainsi que le recommande la Résolution 1873 (2012).
42. Le Plan ICRAM, que j’ai déjà cité, est un dispositif important pour la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. Adopté en juin 2013 sur la base d’une convention de partenariat entre le Maroc et l’Union européenne pour son financement, ce programme comprend huit axes. Ceux-ci comprennent la mise à niveau du système éducatif et de formation sur la base de l’équité et de l’égalité, l’autonomisation sociale et économique des femmes et la réalisation de l’égalité des chances entre les sexes sur le marché du travail.
43. En partant de prémisses réalistes (le gouvernement reconnaît que «les leçons apprises au cours de la dernière décennie confirment la persistance de disparités entre les femmes et les hommes»), ce plan se base sur une approche transversale, qui fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une thématique suivie par l’ensemble des ministères, sous la coordination du ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social.
44. Lors de ma visite au Maroc j’ai pu rencontrer Mme Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, pour faire le point sur l’évolution du statut de la femme au Maroc. Mme Hakkaoui estime qu’il y a une amélioration constante de ce statut, une évolution positive des mentalités et une visibilité accrue des thèmes de l’égalité homme–femme. Elle a exprimé sa volonté de se concerter régulièrement avec la société civile. J’estime que des avancées importantes ont été effectuées mais les inégalités qui persistent demandent un effort constant de la part des autorités. Par ailleurs, l’ouverture à l’égard des organisations représentant les droits des femmes est un aspect très positif. Il devrait concerner l’ensemble de ces organisations, dont le rôle très important dans les avancées des dernières années doit être reconnu.
45. Le plan ICRAM exprime la volonté du Gouvernement marocain d’avancer vers l’égalité de genre. Il s’agit d’un objectif qui demande un effort important et convaincu. Cependant, le 17 juin, jour de ma rencontre avec Mme Hakkaoui, le chef du gouvernement intervenant au parlement a déclaré: «aujourd’hui la femme marocaine néglige son rôle ancestral de compagne et de mère pour trouver une position dans la société», ajoutant que les femmes auraient «un rôle plus important à jouer dans un foyer que dans une entreprise ou une administration». J’estime que ces propos sont en flagrante contradiction avec le plan adopté par le gouvernement et qu’il convient de dépasser une telle contradiction pour fournir au plan tout le soutien nécessaire.
46. Ce plan démontre en même temps le rôle important que la coopération internationale peut jouer. L’appui de l’Union Européenne au programme, avec une contribution de l’ordre de 45 millions d’euros, a représenté un levier très significatif pour renforcer l’action sur ce front.

4.1. La participation des femmes à la vie publique et politique

47. Au cours des dernières années, la représentation politique des femmes au parlement s’est améliorée de façon importante. Cela est dû en premier lieu à la législation électorale en vigueur: un système de quota réserve 60 sièges aux listes réservées aux femmes, tout en laissant à d’autres candidates la possibilité de se présenter sur les listes générales. Le résultat de ce système lors des dernières élections a été de porter à 67 le nombre de femmes sur les 395 membres de la Chambre des représentants: presque le double que dans la législature précédente.
48. L’Assemblée parlementaire a toujours recommandé l’adoption de quotas électoraux réservés aux femmes. Il s’agit d’une mesure nécessaire pour débloquer des situations d’inégalité enracinées dans les différents pays. Il doit s’agir d’une mesure limitée dans le temps. Au Maroc, cette mesure a produit des résultats positifs. Dans le futur, il est souhaitable que même le nombre des femmes élues sur les listes générales augmente. Je tiens à souligner que tous les acteurs de la vie politique peuvent et devraient contribuer à ce changement: les partis politiques, en particulier, ont un rôle important à jouer. Il s’agit de refléter dans la vie politique les changements qui se sont produits depuis longtemps dans la société marocaine, où la femme occupe une place importante et de plus en plus visible.
49. Au niveau des autorités locales, la loi adoptée en 2011 prévoit également des quotas: au moins un tiers des sièges dans les conseils régionaux, qui sont élus directement, doit être réservé aux femmes. Pour les élections dans les communes et les arrondissements, la loi adopte le système des circonscriptions électorales additionnelles réservées aux femmes 
			(11) 
			<a href='http://www.quotaproject.org/fr/uid/countryview.cfm?CountryCode=MA'>www.quotaproject.org/fr/uid/countryview.cfm?CountryCode=MA</a>.. Malgré son adoption récente, cette législation sera entièrement réformée dans le futur proche 
			(12) 
			<a href='http://www.aujourdhui.ma/une/actualite/elections-communales-la-majorite-gouvernementale-devra-patienter-jusqu-en-2015-105811'>www.aujourdhui.ma/une/actualite/elections-communales-la-majorite-gouvernementale-devra-patienter-jusqu-en-2015-105811</a>.. Les prochaines élections communales se tiendront en 2015. Avant cela, «pas moins de 10 lois dont 5 lois organiques» devront être élaborées, comme l’a annoncé le ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad. J’espère que les nouvelles normes mettront en œuvre le principe de parité consacré dans la Constitution marocaine, en consolidant et renforçant l’acquis de la législation électorale précédente.
50. La participation de plus en plus importante des femmes à tous les niveaux de la vie politique marocaine devrait se refléter dans la composition du gouvernement. Deux femmes siègent actuellement dans l’exécutif en tant que ministres et quatre sont ministres déléguées. J’espère que les gouvernements futurs verront une participation plus significative des femmes, comme cela a déjà été le cas dans le passé, voire idéalement une composition paritaire. Ce serait un exemple important d’application du principe d’égalité tel qu’annoncé dans la Constitution marocaine à l’article 19.

4.2. Violence à l’égard des femmes

51. Des avancées sont à enregistrer en ce qui concerne la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Il y a quelques mois, par exemple, nous avons salué l’approbation d’un amendement à l’article 475 du Code Pénal marocain. Désormais, il ne sera plus possible pour l’auteur d’un enlèvement ou du viol d’une mineure d’échapper à une condamnation en épousant sa victime. Il s’agit encore une fois d’une mesure demandée par l’Assemblée dans la Résolution 1873 (2012) et vivement revendiquée par la société civile marocaine. En 2012, le suicide d’Amina Filali, une jeune fille qui a préféré la mort à une vie conjugale aux côtés de son violeur, avait déclenché les protestations des défenseurs des droits des femmes.
52. Cette réforme a confirmé la volonté des autorités marocaines d’agir pour améliorer le statut des femmes. Elles devraient s’affirmer davantage à cet égard, notamment en se dotant d’une législation et de politiques cohérentes et systématiques en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes, fondées sur la protection des victimes et sur la reconnaissance de leurs droits.
53. En novembre 2013, le ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, Mme Hakkaoui, a présenté un projet de loi sur la violence à l’égard des femmes. Ce texte vise à criminaliser la violation de l’intégrité physique de la femme, le harcèlement, le mariage forcé ainsi que l’utilisation abusive et de mauvaise foi des fonds de la famille. Il a été critiqué par la société civile à cause de certaines incohérences (le texte contient en même temps des normes sur les violences à l’égard des enfants) et du fait que les mouvements et associations n’ont pas été consultés. Dès lors, et sans le soutien politique espéré, l’examen de ce texte n’a pas progressé au cours des derniers mois.
54. Ce que j’ai écrit au sujet de la Tunisie vaut également pour le Maroc: j’espère que la législation de ce pays se rapprochera progressivement des normes de la Convention d’Istanbul et que les autorités prendront en considération la possibilité de demander d’y adhérer. L’Assemblée parlementaire et, plus généralement, le Conseil de l’Europe sont prêts à coopérer dans ce domaine.

4.3. La représentation de la femme dans les médias marocains

55. Au Maroc, la représentation des femmes dans les médias demeure insuffisante et s’inspire trop souvent des stéréotypes. La Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) avait, dès 2012, effectué une étude à ce sujet et recommandé d’amender la loi sur l’audiovisuel, afin de lutter contre toute atteinte à la dignité de la femme dans les médias et, en même temps, de renforcer sa présence. En juillet 2014, le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi, en réponse à une question parlementaire, a regretté la situation actuelle. L’intervention des femmes dans les programmes médiatiques durant le quatrième trimestre de 2013 n’a pas atteint 10 % du temps d’antenne.
56. Il importerait de mettre les médias en adéquation avec la réalité sociale du pays, voire de la devancer. La législation devrait être réformée, comme l’a recommandé la HACA, mais les différents acteurs du monde de la communication peuvent jouer un rôle important de leur propre initiative. La deuxième chaîne nationale marocaine, 2M, par exemple, a adopté, en mars 2014, une «Charte pour la valorisation de l’image de la femme». La chaîne s’est ainsi engagée à mettre en valeur le rôle de la femme en tant qu’acteur économique, social et politique, à lutter contre les stéréotypes et diversifier ses programmes en tenant compte de l’évolution du statut de la femme.

5. L’Algérie entre isolement et progrès

57. En 2013, l’Algérie a été classée à la 124e place sur 136 pays par le Forum Economique Mondial à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur les inégalités entre les sexes. Ce rapport fut notamment établi sur la base de critères statistiques tels que la participation dans les entreprises et les perspectives économiques des femmes, l’éducation, les responsabilités politiques, la santé et l’espérance de vie 
			(13) 
			Rapport
annuel sur l’égalité de genre, Forum économique mondial: <a href='http://www.weforum.org/issues/global-gender-gap'>www.weforum.org/issues/global-gender-gap</a>..
58. En Algérie, les protestations n’ont pas suscité des résultats aussi importants que dans d’autres pays de la région et les mesures adoptées par les autorités ont été un mélange de répression, d’ouvertures politiques limitées et d’aides sociales, comme si le seul but était celui de restaurer l’ordre plutôt que de réaliser de vraies avancées. En avril 2014, au lendemain de la réélection du Président Bouteflika avec une majorité écrasante, M. Amar Saadani, Secrétaire Général du Front de Libération National (FLN) – le parti qui domine la scène politique algérienne depuis l’indépendance – a déclaré que le FLN s’opposait à toute forme de transition et que «celui qui veut importer le printemps arabe en Algérie ne connaît pas bien l’Algérie» 
			(14) 
			<a href='http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/04/21/amar-saadani-patron-du-fln-celui-qui-veut-importer-le-printemps-arabe-ne-connait-pas-l-algerie_4404533_3212.html'>www.lemonde.fr/afrique/article/2014/04/21/amar-saadani-patron-du-fln-celui-qui-veut-importer-le-printemps-arabe-ne-connait-pas-l-algerie_4404533_3212.html</a>..
59. L’Algérie suit son parcours dans un relatif isolement, en répondant à des dynamiques internes plutôt qu’aux grands courants politiques internationaux. L’activisme politique des femmes a été laminé par les années de violence et de terrorisme qu’a traversé le pays. Cependant, la société civile a eu un regain d’activités dans les dernières années – un reflet du rôle important qu’elle a joué dans la région – et les ONG féminines ne font pas exception. Ces organisations exercent des pressions de plus en plus fortes sur les autorités algériennes afin qu’elles légifèrent, entre autres, sur la violence faite aux femmes et qu’elles réforment le Code de la Famille. De plus, elles ont tissé des liens de coopération avec leurs homologues des pays voisins, en participant, entre autres, au Forum social de Tunis en 2013. Cela constitue une rupture de la tendance à l’isolement d’une partie des forces sociales et politiques du pays, qui doivent être soutenues et encouragées.

5.1. Vie publique et politique, la participation des femmes en hausse

60. En 2008, la réforme de la Constitution algérienne a introduit un premier élément important de rupture, avec l’introduction de l’article 31bis 
			(15) 
			Constitution algérienne: <a href='http://www.joradp.dz/hfr/Consti.htm'>www.joradp.dz/hfr/Consti.htm</a>.. En vertu de cet article «l’Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues». En janvier 2012, les modalités d’exécution de cet article furent fixées par une loi organique 
			(16) 
			Loi
organique n° 12-03 du 18 Safar 1433 correspondant au 12 janvier
2012 fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme
à la représentation dans les assemblées élues: <a href='http://www.joradp.dz/JO2000/2012/001/FP39.pdf'>www.joradp.dz/JO2000/2012/001/FP39.pdf</a>. instaurant des quotas. Au cours des nombreux débats qui ont précédé son vote, elle fut amendée de sorte que son contenu fut partiellement dénaturé, mais elle a tout de même permis une augmentation considérable du nombre de femmes élues.
61. Ainsi, le taux de représentation des femmes est passé de 7,7 % à 32 % à l’Assemblée Populaire Nationale, de 6,6 % à 29,7 % dans les Assemblées Populaires des wilayas (collectivités territoriales), et de 9 % à 16,5 % dans les Assemblées Populaires des communes. Aucunes d’entre elles n’a accédé à la fonction de Présidente de son institution. S’agissant du pouvoir exécutif, le Gouvernement algérien compte 9 femmes parmi ses 33 ministres, dont 7 ayant été intégrées le 7 mai 2014. Le pouvoir judiciaire comprend 45 % de magistrats femmes – un taux élevé qui n’a pas connu d’évolution notable récemment. L’effort de l’Algérie pour s’orienter vers une situation paritaire sur le plan institutionnel ne doit pas être ignoré.

5.2. Participation des femmes à la vie économique

62. Selon un rapport de l’Office National des Statistiques publié fin 2013 
			(17) 
			Rapport
de l’Office Nationale des Statistiques, Activité, emploi et chômage
au 4e semestre 2013: <a href='http://www.ons.dz/IMG/pdf/Donnees_Stat_Emploi_2013.pdf'>www.ons.dz/IMG/pdf/Donnees_Stat_Emploi_2013.pdf</a>. , les femmes ne constituent que 17,6 % de la population active totale: un taux très faible et qui a peu progressé au cours des dernières années. Les données publiées par cet institut montre, par ailleurs, qu’il est plus difficile pour les femmes d’intégrer le secteur privé. Il est cependant intéressant de noter qu’elles sont nombreuses à poursuivre leurs études, et que, plus leur niveau d’instruction monte, plus l’écart avec le taux d’embauche des hommes se resserre.
63. Le poids des traditions demeure un frein important à la participation des femmes à la vie économique: si une grande majorité des hommes qui ne recherchent pas d’emploi le justifie par la croyance qu’ils n’en trouveront pas (39,8 %), ce sont des raisons familiales qui poussent 53,7 % des femmes (contre 1,2 % des hommes) à faire le choix de l’inactivité.
64. La législation et les politiques actuelles en matière de travail ne garantissent pas une protection adéquate aux femmes. La loi 11 de 1990 introduit certes le principe d’égalité de rémunération entre les travailleurs sans aucune discrimination. Toutefois, l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail ne se réduit pas à une simple question de rémunération: elle concerne aussi l’accès, les perspectives de carrière et bien d’autres aspects.

5.3. Violence à l’égard des femmes

65. En matière de lutte contre la violence faite aux femmes, l’Algérie a lancé en 2007 une stratégie nationale, mais les résultats ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. La législation nécessite également des améliorations importantes. La loi actuelle se base sur une approche très partielle et ne pénalise que les agressions physiques. En janvier 2012, le collectif d’ONG «Stop à la violence! Les droits aux femmes maintenant» est parvenu à obtenir les 40 signatures de députés nécessaires à une proposition de loi, mais cette dernière n’a jamais été soumise à une discussion en assemblée plénière 
			(18) 
			Algérie 360°, Violences
faites aux femmes, pour une loi plus répressive, 25 novembre 2013: 
			(18) 
			<a href='http://www.algerie360.com/algerie/violences-faites-aux-femmes-pour-une-loi-plus-repressive/'>www.algerie360.com/algerie/violences-faites-aux-femmes-pour-une-loi-plus-repressive/</a>.. Il s’agit d’un exemple démontrant le regain d’activité des ONG, qui font pression sur le parlement afin d’obtenir une loi moderne, criminalisant tous les types de violence dont sont victimes les femmes.
66. L’attitude des différents sujets concernés face au phénomène représente un problème: en 2008, une enquête de l’Office National des Statistiques a révélé que 68 % des femmes algériennes acceptent des violences de leur mari. Les magistrats se montrent également peu préparés à traiter les cas de violence, y compris de viol 
			(19) 
			Article publié dans Liberté
Algérie, Violences sexuelles faites aux femmes: Plaidoyer
pour la mise en place d'un cadre juridique adapté, 11 Juin 2014: <a href='http://www.liberte-algerie.com/actualite/plaidoyer-pour-la-mise-en-place-d-un-cadre-juridique-adapte-violences-sexuelles-faites-aux-femmes-223032'>www.liberte-algerie.com/actualite/plaidoyer-pour-la-mise-en-place-d-un-cadre-juridique-adapte-violences-sexuelles-faites-aux-femmes-223032</a>.. C’est à partir de ce constat qu’a été initié un plan de communication 
			(20) 
			Article publié dans Le
Temps d’Algérie, Lutte contre la violence à l'égard des
femmes: la stratégie médiatique se met en place, 8 Janvier 2014: <a href='http://www.aps.dz/societe/991-lutte-contre-la-violence-%C3%A0-l-%C3%A9gard-des-femmes-la-strat%C3%A9gie-m%C3%A9diatique-se-met-en-place'>www.aps.dz/societe/991-lutte-contre-la-violence-%C3%A0-l-%C3%A9gard-des-femmes-la-strat%C3%A9gie-m%C3%A9diatique-se-met-en-place</a>. qui fait partie intégrante de la stratégie nationale de lutte contre la violence faite aux femmes 
			(21) 
			Rapport national de
la république algérienne démocratique populaire Bejing +20 ONU Femmes: 
			(21) 
			<a href='http://www.unwomen.org/~/media/Headquarters/Attachments/Sections/CSW/59/National_reviews/Algeria_review_Beijing20.pdf'>www.unwomen.org/~/media/Headquarters/Attachments/Sections/CSW/59/National_reviews/Algeria_review_Beijing20.pdf</a>., et qui est devenu opérationnel en novembre 2013 avec la mise en place d’un comité national. Sa mission principale est de former les médias à sensibiliser les différents publics à la problématique.

5.4. Le Code de la Famille: la nécessité d’une réforme

67. Le Code de la Famille algérien a été réformé en 2005 
			(22) 
			Code de la famille
algérien: <a href='http://www.joradp.dz/TRV/FFam.pdf'>www.joradp.dz/TRV/FFam.pdf</a>.. De nombreux changements ont été introduits, ayant souvent une force symbolique importante: c’est le cas de l’abolition du devoir d’obéissance de la femme au mari, ainsi que la proclamation formelle d’une égalité entre les conjoints dans la famille. Cependant, les inégalités persistent dans un bon nombre de dispositions. La femme, par exemple, doit être assistée par un tuteur pour se marier. La polygamie est légale: c’est le cas dans la plupart des pays de la région, la Tunisie étant la seule à l’avoir bannie, mais il s’agit néanmoins d’une violation évidente de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’autorité parentale est reconnue aux femmes seulement en cas de divorce. Par ailleurs, les conditions pour demander le divorce sont bien plus strictes pour les femmes que pour les hommes.
68. Malgré les innovations introduites en 2005, le Code de la Famille nécessite de nouvelles réformes radicales. L’enjeu que représente ce dossier va bien au-delà des relations réglées par le droit privé. Comme l’explique la sociologue Feriel Lalami, que j’ai déjà citée, «les syndicats et les partis progressistes se sont emparés de la question du Code de la Famille. Par exemple, les associations qui se battent contre les violences faites aux femmes depuis le début des années 2000 mettent comme première source de violence ce Code» 
			(23) 
			<a href='http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/p-24970-Le-combat-des-Algeriennes-pour-un-nouveau-code-de-la-famille-entre-feminisme-et-syndicalisme.htm'>www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/p-24970-Le-combat-des-Algeriennes-pour-un-nouveau-code-de-la-famille-entre-feminisme-et-syndicalisme.htm</a>..
69. Une réforme du Code de la Famille dans un sens volontairement égalitaire est réellement nécessaire. J’estime qu’il faudrait soutenir les efforts de la société civile vers cet objectif et impliquer en même temps, notamment par le biais de la coopération interparlementaire, les autorités nationales susceptibles de réaliser une telle réforme.

6. Libye: les droits des femmes dans le contexte de la reconstruction du pays

70. «La Tunisie se bat, solitaire, pour maintenir l’espoir de la démocratie. L’Egypte est retombée dans une dictature militaire qui écrase toute velléité d’opposition. La Libye est dans la tourmente d’un chaos destructeur.» C’est ainsi qu’un éditorial du Monde du 13 janvier 2014 résumait la situation de ces pays d’Afrique du Nord, trois ans après le déclenchement des rebellions du Printemps arabe. A la conférence des 16 et 17 juin 2014 à Rabat, Shahrazad Magrabi, représentante du Forum des Femmes Libyennes, a bien décrit les difficultés que vivent les femmes de son pays. Les inégalités flagrantes, les pressions politiques et les mentalités patriarcales persistent, aggravées par le cadre d’un Etat qui s’écroule. Son appel à l’aide était explicite et doit être entendu. Je souhaite, par ce rapport, contribuer à ce qu’il soit écouté.
71. Après la chute du régime dictatorial du colonel Kadhafi, la situation en Libye ne s’est jamais entièrement apaisée. Pour décrire ce chaos, il suffit de rappeler les 260 manifestations contre le gouvernement et le parlement qui se sont succédées en 2013 ou la proclamation d’un gouvernement autonome de la Cyrénaïque par Ibrahim Jadhran, un chef de milice.
72. Les manifestations et, plus graves encore, les épisodes de violence n’ont jamais cessé: entre autres, l’enlèvement du Premier ministre dans un hôtel en plein centre de Tripoli en octobre 2013 (il a été relâché quelques jours plus tard), l’attaque d’un poste de sécurité militaire à 50 km de Benghazi par des hommes armés, l’assassinat de Fethallah Al Gaziri (nouveau chef des renseignements) fin décembre. Sans compter l’évasion de 1 200 détenus de la prison de Benghazi le 28 juillet, à la fin d’une semaine qui avait vu la ville frappée par une série d’assassinats politiques. Au cours du mois de janvier dernier, des hommes armés ont fait irruption au parlement pour demander la démission du Premier ministre, le Vice-ministre de l’industrie, Hassan Al-Droui, a été assassiné à Syrte et cinq employés de l’ambassade d’Egypte ont été enlevés.
73. Bâtir des institutions démocratiques s’avère difficile dans un pays où Mouammar Kadhafi n’avait pas construit d’État, ni entièrement démantelé le système tribal préexistant. Il s’agit d’un pays profondément divisé, où «les rivalités entre les partis, qui s’appuient sur des milices armées, sont telles que la stabilisation du pays semble une perspective lointaine» 
			(24) 
			La libre belgique: <a href='http://www.lalibre.be/actu/international/egypte-tunisie-libye-les-berceaux-du-printemps-arabe-au-bord-du-gouffre-51f734e73570ebbf8e025ebe'>www.lalibre.be/actu/international/egypte-tunisie-libye-les-berceaux-du-printemps-arabe-au-bord-du-gouffre-51f734e73570ebbf8e025ebe</a>.. La division est également géographique, car les trois régions principales, la Tripolitaine, la Cyranéïque et le Fezzan, sont bien différenciées. En outre, il existe une minorité amazighe ayant des revendications spécifiques.
74. Malgré ces difficultés, la Libye s’efforce de tourner la page et de se doter d’un nouveau cadre institutionnel fondé sur l’Etat de droit. Les premières élections démocratiques dans l’histoire du pays ont eu lieu en juillet 2012. L’Alliance des Forces Nationales, considérée d’orientation plutôt laïque, a remporté ces élections et obtenu 39 des 80 sièges, face aux 17 des Frères Musulmans. Le pays a voté de nouveau en février 2014 pour élire son Assemblée constituante. Deux mois plus tard, l’Assemblée a élu son Président, le libéral Ali Tarhouni, ancien exilé et ancien ministre du Pétrole et des Finances au sein du Conseil national de transition. Connue également sous le nom de Conseil des 60 d’après le nombre des membres qui aurait dû en faire partie, l’Assemblée constituante en compte en fait 47: dans certaines circonscriptions, le vote n’a pas eu lieu à cause des violences et des boycotts (la minorité amazighe a renoncé à participer malgré les deux sièges qui lui étaient réservés).
75. Autre signe de l’instabilité du pays, l’Assemblée siège dans la ville d’Al Bayda, à un millier de kilomètres de la capitale. Cela non seulement pour des raisons symboliques (la première Constitution libyenne avait vu le jour dans cette ville en 1951), mais surtout car il s’agit d’un endroit plus sécurisé. Le Parlement national, siégeant à Tripoli, a souvent fait l’objet d’attaques.
76. Dans un contexte si troublé, la difficulté de promouvoir les droits des femmes est évidente et le risque d’un recul toujours présent. En février 2013, par exemple, la Cour suprême libyenne a partiellement révoqué la prohibition faite aux hommes d’épouser plusieurs femmes. Une régression significative, considérant que sous Kadhafi la polygamie était strictement interdite.

6.1. Représentation politique des femmes

77. Un sondage effectué en 2013 par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux indique qu’un pourcentage élevé de femmes libyennes s’intéresse à la situation politique de leur pays (77 %). Deux tiers d’entre elles (66 %) déclarent avoir pris part aux élections de 2012, le chiffre correspondant pour les hommes étant 88 %. Il y a donc un écart remarquable entre les deux groupes, que davantage d’informations et de sensibilisation auprès des femmes aiderait à combler.
78. Parmi les 200 membres du Congrès Général National, 33 (17 %) sont des femmes. La loi électorale de 2012 a introduit un système mixte: 120 sièges sont liés à des collèges uninominaux et 80 à un système proportionnel, dont les listes doivent obligatoirement faire alterner les candidats hommes et femmes. Il s’agit d’une première pour la Libye. Ce système a eu un impact positif, permettant d’élire un certain nombre de femmes au Congrès. Toutefois, comme l’indique le rapport de la mission d’observation électorale de l’Union européenne, l’impact de l’alternance hommes–femmes dans les listes a été limité par la fragmentation, car un certain nombre de listes n’a pu élire qu’un chef de liste, généralement un homme.
79. Au niveau municipal, la loi prévoit trois types de listes, dont une réservée aux femmes. Cependant, cette loi n’introduit ni de quotas ni d’autre mesures assurant qu’un pourcentage minimum de femmes soit représenté dans les conseils municipaux. A mon avis, si la volonté de promouvoir la représentation politique des femmes à tous les niveaux apparaît clairement, il importerait maintenant de la mettre en pratique à travers une législation cohérente. Le Conseil de l’Europe, notamment au moyen de la Commission de Venise, serait un des organismes les plus pertinents pour soutenir un tel processus. J’espère qu’un lien de coopération puisse s’établir entre le Conseil de l’Europe et la Libye, comme c’est le cas avec la Tunisie voisine et d’autres pays de la région.
80. Lors de l’élection de l’Assemblée constituante, où les partis politiques n’étaient pas officiellement représentés, toutes les candidatures étant individuelles, 73 femmes seulement figuraient parmi les 692 candidats inscrits.

6.2. Participation des femmes à la vie économique

81. Traditionnellement, et même sous le régime de Kadhafi, malgré son apparente ouverture aux questions de genre, la femme libyenne exerçant une activité économique était stigmatisée et son travail était perçu comme le signe d’un état de besoin ou du manque d’un homme en mesure de subvenir aux nécessités de la famille. La révolution de 2011 a eu un impact sur les mentalités, car les femmes ont joué des rôles importants et nouveaux, y compris celui de soutenir financièrement la révolte (elles ont, entre autres, organisé des collectes de fonds et vendu leurs bijoux pour soutenir les coûts de la lutte contre le régime). La situation actuelle est très fluide, car le pays est en train de reconstruire son économie après les destructions de la guerre civile. Il est primordial que les autorités soutiennent la participation des femmes dans la vie économique de la Libye. En considération de leur taux d’instruction égal à celui des hommes (en effet, d’après les données de l’UNESCO, en Libye comme dans d’autre pays arabes, les femmes dépassent les hommes parmi les diplômés dans les matières scientifiques), elles devraient pouvoir apporter leur contribution dans tous les secteurs productifs et à tous les niveaux.

6.3. Violence à l’égard des femmes – le viol comme arme de guerre

82. La législation libyenne en matière de violence à l’égard des femmes est à présent gravement inadéquate. Les autorités du pays devraient s’attaquer à cette question sans retard car la seule réglementation disponible, contenue dans la loi sur le mariage et le divorce datant de 1984, est dépassée et inefficace. En premier lieu, la violence est considérée comme «un crime contre l’honneur et la famille de la femme» et non pas contre la femme en tant que personne. En ce qui concerne le viol, le violeur peut se disculper par une simple déclaration que la femme était consentante. Cela explique le nombre limité de victimes qui dénoncent les violences subies: au stigmate social associé au viol s’ajoute un manque total de protection pour la victime.
83. Un phénomène très grave, qui s’est manifesté en Libye notamment lors de la révolution de 2011, a fait l’objet de plus d’attention. Il s’agit des viols perpétrés systématiquement par les forces du régime de Kadhafi, utilisés comme une arme de répression de la révolte, notamment dans la ville de Misrata dans l’ouest du pays. La violence sexuelle avait été largement pratiquée par Kadhafi et son entourage tout au long de son régime, comme la presse l’a reporté après sa chute. En 2011, pourtant, cette pratique s’était étendue d’une manière sans précédents.
84. Je ne peux que saluer l’adoption par le Gouvernement libyen, le 19 février dernier, d’un décret de loi reconnaissant comme «victimes de guerre» les femmes victimes de viols lors de la révolution de 2011. En attribuant aux victimes de l’aide médicale, financière et juridique, cette mesure vise tout d’abord à protéger ces femmes et réparer le tort qu’elles ont subi. En même temps, la loi devrait permettre de recenser les cas de viols et de mieux comprendre l’entité de ce phénomène, qui n’a jamais fait l’objet d’une enquête. Il s’agit d’une loi innovante qui va dans la bonne direction: je me joins à ceux qui, comme Souhayr Belhassan, Présidente d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), estiment que d’autres pays devraient s’inspirer de cette mesure. Il est crucial que le Conseil Général National libyen s’approprie ce texte, et qu’il vote la loi et un décret d’actuation. Ce serait également l’occasion pour parfaire sa formulation car, comme l’explique Céline Bardet, juriste internationale qui a participé à son élaboration, le texte ne donne pas une définition précise de viol. Pour l’instant, en outre, il n’y a pas de projection financière pour assurer la mise en œuvre du décret.

7. Egypte

85. Au cours des dernières années, l’Egypte a été tout aussi bouleversée que la Lybie. Là aussi, la révolution de 2011 avait conduit à la chute du régime autoritaire d’Hosni Moubarak et en mai 2012, Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, était élu Président du pays. En décembre, le peuple égyptien approuvait, par référendum, avec une large majorité une nouvelle Constitution. Cependant le régime était contesté de manière virulente, les Egyptiens étant de plus en plus déçus de la situation dégradée de l’économie et inquiets pour l’islamisation progressive de l’Etat égyptien. En 2013, le Président Morsi était renversé par le pouvoir militaire, qui suspendait en juillet la nouvelle Constitution. Le chaos n’était pas terminé: un mois plus tard, les protestations des supporteurs du président déchu étaient réprimées dans le sang. Cinq cents manifestants étaient tués par les militaires le 14 août 2013, 50 trouvaient la mort deux jours plus tard 
			(25) 
			«Égypte:
une situation chaotique, une démocratisation impossible?», Le Nouvel Observateur, 16 août 2014: 
			(25) 
			<a href='http://leplus.nouvelobs.com/contribution/921814-egypte-une-situation-chaotique-une-democratisation-impossible.html'>http://leplus.nouvelobs.com/contribution/921814-egypte-une-situation-chaotique-une-democratisation-impossible.html</a>..
86. En décembre 2013, un nouveau projet de Constitution était présenté. Basé sur le texte suspendu quelques mois plus tôt, celui de 2013 était plus moderne et laïc. Certes, l’article 2 indiquant la charia comme «principale source du droit» était conservé, mais les partis politiques d’inspiration religieuse étaient bannis, comme sous le régime de Moubarak. Le projet est bien plus moderne que le précédent en matière de libertés civiles. La liberté de croyance est reconnue en tant que principe absolu. L’égalité entre hommes et femmes est réaffirmée là où la Constitution précédente ne la prévoyait pas. En outre, pour la première fois dans la législation du pays, le texte fait référence aux conventions internationales en matière de droits de l’homme 
			(26) 
			«En Egypte le projet
de constitution maintien de larges pouvoirs à l’Armée», Le Monde, 2 décembre 2013: <a href='http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/12/02/en-egypte-le-projet-de-constitution-maintient-de-larges-pouvoirs-a-l-armee_3523600_3212.html'>www.lemonde.fr/afrique/article/2013/12/02/en-egypte-le-projet-de-constitution-maintient-de-larges-pouvoirs-a-l-armee_3523600_3212.html</a>.. Le référendum de janvier 2014 a approuvé la nouvelle constitution avec 98,1 % de voix favorables. La stabilisation du pays est passée par la suite par une nouvelle élection présidentielle en mai 2014. Abdel Fattah al-Sissi, ancien chef de l’armée et ministre de la Défense, l’a remportée avec une majorité écrasante d’environ 94 % des voix.

7.1. La situation des femmes égyptiennes entre passé et futur proche

87. Au cours des années 2000, le régime de Moubarak avait introduit plusieurs réformes pour améliorer la situation des femmes. La loi sur la nationalité, permettant aux parents de transmettre la nationalité égyptienne sans discrimination entre père et mère, ainsi que l’institution du tribunal de famille pour un exercice plus rapide de la juridiction en matière de statut personnel, étaient des pas dans la bonne direction. L’institution du Conseil national de la femme (ainsi que d’un Conseil national de la maternité et de l’enfance) étaient également des signes d’une volonté politique modernisatrice, même si, comme dans d’autres régimes autoritaires de la région, la sincérité des motivations du pouvoir pouvait facilement être mise en cause.
88. Aujourd’hui, le défi pour les défenseurs des droits des femmes en Egypte est celui de défendre cet acquis, fortement menacé depuis la chute de Moubarak, et de le renforcer sur la base de dynamiques démocratiques. Il ne s’agit pas d’une tâche facile: selon un sondage effectué par Thomson Reuters auprès de 336 experts en questions de genre à l’échelle mondiale et publié en novembre 2013, l’Egypte serait le pays du monde arabe où la situation des femmes est la plus difficile. La violence et le harcèlement sexuel très répandus, les mutilations génitales féminines encore largement pratiquées dans le pays expliqueraient ce classement, ainsi que la législation discriminatoire et le fléau de la traite d’êtres humains 
			(27) 
			<a href='http://www.trust.org/spotlight/poll-womens-rights-in-the-arab-world/'>www.trust.org/spotlight/poll-womens-rights-in-the-arab-world/</a>..

7.2. Participation et représentation politique des femmes

89. En Egypte comme dans les autres pays du Printemps arabe, les femmes ont joué un rôle important dans une première phase mais ont vu leur espace de participation à la politique se restreindre progressivement. La représentation des femmes au sein des institutions égyptiennes a été jusqu’à présent extrêmement limitée. Trois femmes faisaient partie du premier gouvernement de l’après-révolution, composé de 34 ministres. Le parlement bicaméral élu en 2011-2012 et dissout en juillet 2013 était composé de 508 membres, dont 10 femmes seulement: le pourcentage correspondant, d’environ 2 %, était l’un des plus faibles au monde. La commission qui a rédigé le projet de la première Constitution post-révolution n’était composée que de 7 % de femmes. Le chiffre est passé à 10 % dans le groupe d’experts qui a réformé ce texte en 2013.
90. Si l’on veut créer une Egypte réellement démocratique, la représentation des femmes devra nécessairement être renforcée. Il serait paradoxal, après la chute d’un régime autoritaire et l’ouverture de nouveaux espaces de liberté et de participation pour les citoyens, d’accepter que seule une partie de la population puisse exercer pleinement ses droits politiques. Les développements en Egypte depuis 2011 confirment que l’égalité entre les femmes et les hommes est un préalable incontournable pour le succès du Printemps arabe: dans ce pays si inégal en termes de genre, la création d’un Etat stable et démocratique semble pour l’instant une perspective lointaine.

7.3. Participation à la vie économique

91. L’Egypte est classée 125e en termes d’indice d’égalité entre les sexes parmi les 136 pays pris en considération par le Forum économique mondial. En ce qui concerne la participation des femmes à l’économie, non seulement la situation est très difficile, mais elle se dégrade progressivement. Les statistiques les plus récentes montrent en effet une régression dans le taux de présence des femmes sur le marché du travail, qui est actuellement inférieur à 20 %, parmi les plus faibles du monde. Dans la tranche d’âge 18-29 ans, les femmes représentent 19 % des effectifs, face à 50 % des hommes. Le taux très important d’inactivité s’explique par les conditions du marché du travail mais également par des normes culturelles et en partie par les choix des femmes elles-mêmes. Cet état de fait lèse non seulement les femmes, mais l’économie en général, car il limite la possibilité d’utiliser le capital humain et réduit à terme la croissance totale. Les femmes trouvent en outre des difficultés à obtenir des crédits pour gérer des activités autonomes.

7.4. Violence à l’égard des femmes

92. La lutte contre les violences à l’égard des femmes représente une vraie urgence en Egypte. A la violence domestique, largement sous-déclarée pour des raisons socioculturelles, s’ajoute le harcèlement sexuel, très répandu même dans les espaces publics, qui affecterait 91 % des femmes selon les sources citées par Thomson-Reuters. Une étude réalisée en 2013 par le gouvernement révèle que plus de 99,3 % des filles et femmes égyptiennes interviewées affirment avoir subi quelque forme de harcèlement sexuel au cours de leur vie. 82.6 % ne se sentent pas en sécurité chez elles, chiffre qui monte jusqu’à 86,5 % en ce qui concerne la sécurité dans les moyens de transport public.
93. L’impunité des auteurs est un élément constant de ces phénomènes de violence. Selon un rapport publié en avril 2014 par un rassemblement d’organisations des droits humains coordonnées par la FIDH, 250 cas de viols ont été dénoncés entre 2011 et la fin de 2013 au Caire, souvent aux alentours de la symbolique Place Tahrir. Le rapport spécifie que, jusqu’à présent, aucun de ces cas n’a été jugé par un tribunal 
			(28) 
			<a href='http://www.dailystar.com.lb/News/Middle-East/2014/Apr-16/253537-sexual-violence-against-egypt-women-goes-unpunished-report.ashx#axzz31VQbLyZz'>www.dailystar.com.lb/News/Middle-East/2014/Apr-16/253537-sexual-violence-against-egypt-women-goes-unpunished-report.ashx#axzz31VQbLyZz</a>.. Le message est aussi clair qu’inacceptable: en Egypte, dans la plupart des cas, l’auteur d’un viol n’est pas puni.
94. Les mutilations génitales féminines représentent un autre fléau largement répandu en Egypte. Selon les données publiées par l’organisation Forward, 97 % des femmes égyptiennes seraient victimes de cette pratique 
			(29) 
			<a href='http://www.theguardian.com/news/databog/2013/jun/24/female-genital-mutilation-prevalence-uk'>www.theguardian.com/news/databog/2013/jun/24/female-genital-mutilation-prevalence-uk</a>.. Une loi de 1995 a introduit une interdiction générale et les plus hautes autorités religieuses ont expliqué plusieurs fois que ces mutilations font l’objet d’une prohibition absolue, mais cela ne suffit pas à éradiquer cette pratique dont les chiffres demeurent très élevés, même s’ils sont en baisse.
95. Le nouveau Président égyptien, Abdel-Fattah El-Sissi, montre une sensibilité accrue envers le fléau de la violence à l’égard des femmes y compris dans les lieux publics. Faisant suite aux énièmes cas de violence sexuelle de masse à la Place Tahrir lors des célébrations pour son élection, le Président El-Sissi a rendu visite à une des victimes dans un hôpital du Caire et a présenté ses excuses aux femmes égyptiennes pour l’action insuffisante de l’Etat dans ce domaine, en s’engageant à renforcer la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Cet engagement a été réitéré en juillet 2014 par le Premier ministre Mahlab, tandis que le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, a annoncé la création d’un département spécialisé dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes, en coopération avec le département des droits humains au sein du Ministère 
			(30) 
			<a href='http://english.ahram.org.eg/NewsContent/1/0/104090/Egypt/0/New-police-department-for-crimes-of-violence-again.aspx'>http://english.ahram.org.eg/NewsContent/1/0/104090/Egypt/0/New-police-department-for-crimes-of-violence-again.aspx</a>.. Je ne peux que saluer ces signaux positifs, qui indiquent une volonté politique de s’attaquer au problème.
96. La création d’un cadre législatif cohérent en matière de prévention et de répression de la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, visant à protéger les victimes et à mettre fin à l’impunité des auteurs, représente une priorité absolue à laquelle les autorités égyptiennes devraient s’attaquer sans hésitation. Les standards contenus dans la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, bien qu’ambitieux, pourraient représenter une référence importante pour les législateurs et les décideurs politiques égyptiens.

8. La coopération internationale et la politique de voisinage du Conseil de l’Europe

97. Les événements en Tunisie et dans d’autres pays de la région à partir de 2011 ont posé des questions fondamentales en matière de respect des droits humains, de l’Etat de droit et de la démocratie, qui sont au cœur du mandat du Conseil de l’Europe. En réponse à l’intérêt manifesté par plusieurs pays du voisinage méridional, une coopération plus étroite dans ces domaines s’est donc concrétisée par le lancement, en janvier 2012, du programme intitulé «Renforcer la réforme démocratique dans les pays du voisinage méridional» (Programme Sud), financé par l’Union Européenne à hauteur de 4,8 millions d’euros.
98. Comme expliqué par Mme Gabriella Battaini-Dragoni, Secrétaire Générale Adjointe du Conseil de l’Europe, lors d’un échange de vues avec notre commission le 2 juin 2014 à Paris, des plans d’action ont été élaborés pour le Maroc, la Tunisie et la Jordanie, en concertation avec les autorités de ces pays. En ce qui concerne l’égalité de genre, les plans d’action couvrent quatre grands domaines: la participation aux processus politiques, la violence à l’égard des femmes, l’image des femmes dans les médias et l’accès à la justice. La coopération sur ces questions avec toutes les parties prenantes, telles que les autorités centrales et régionales et la société civile, est permanente, en particulier grâce à la présence des bureaux du Conseil de l’Europe au Maroc et en Tunisie.
99. Non seulement le «Programme sud» mais toutes les activités que le Conseil de l’Europe mène avec les pays de son voisinage méridional, y compris la coopération interparlementaire notamment à travers le partenariat pour la démocratie, devraient s’inscrire dans cette logique. La coopération internationale, dans ses différentes formes (que ce soit la coopération au développement, par le biais d’un appui technique à l’administration publique, d’un soutien financier à la société civile, ou bien la coopération interparlementaire) est un aspect important des relations entre les Etats. Ces activités sont susceptibles de consolider dès à présent les relations d’amitié entre les deux rives de la Méditerranée. A terme, elles sont en mesure de contribuer à la réussite de la transition démocratique dans les pays du voisinage méridional, y compris sous l’angle des droits des femmes. L’objectif final étant de créer des sociétés plus justes, fondées sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

9. Conclusions

100. Trois ans après les soulèvements qui ont donné lieu au Printemps arabe et deux ans après mon rapport précédent, le bilan est contrasté: il est difficile d’identifier une tendance univoque dans la région en matière de statut des femmes et la situation varie, profondément diversifiée d’un pays à l’autre. D’une part la Tunisie et le Maroc, par des parcours différents, parviennent à améliorer et consolider progressivement leurs acquis. De l’autre, la Libye au bord de la guerre civile et l’Egypte qui peine à retrouver une stabilité n’ont pas encore dédié aux droits des femmes l’engagement qu’ils exigeraient. En Algérie, sur fond d’un cadre politique presque figé, les progrès en matière de statut de la femme sont largement insuffisants.
101. L’égalité entre les hommes et les femmes doit toujours être considérée comme une condition pour le succès des transitions démocratiques dans la région. Aucune démocratie ne peut se dire achevée si la moitié de la population est victime de discriminations et de limitations injustifiées de ses droits. Cela est d’autant plus vrai dans les pays de la région, où les femmes ont eu un rôle et des responsabilités importants dans les soulèvements qui ont entamé les processus de transition démocratique.
102. L’égalité de genre est un indicateur du degré de démocratisation, de la volonté et de la capacité d’un pays d’inclure tous ses citoyens sans discrimination. De la même manière, les atteintes aux droits des femmes constituent souvent une sonnette d’alerte qui révèle que les droits et libertés de tous sont menacés. Les gouvernements les plus conservateurs en matière de droits des femmes parmi ceux instaurés au lendemain des révolutions, tel que le premier Gouvernement égyptien de l’après-Moubarak, ont perdu le soutien des citoyens et n’ont pas tenu face aux protestations populaires.
103. L’attitude attentive et vigilante que l’Assemblée prônait il y a deux ans s’agissant de la situation des femmes dans les pays de la région demeure nécessaire, puisqu’en matière de droits humains des reculs sont toujours possibles et que le cadre politique et institutionnel est particulièrement instable dans certains de ces pays.
104. Le Maroc et la Tunisie ont représenté jusqu’à présent des interlocuteurs prioritaires du Conseil de l’Europe. Il est souhaitable que ces relations fructueuses continuent dans le futur. En ce qui concerne le Maroc, le statut de partenaire pour la démocratie s’est avéré un outil précieux pour faciliter les échanges et la connaissance réciproque, y compris en matière de droits des femmes.
105. Le Maroc et la Tunisie ont la possibilité de jouer un rôle exemplaire de modernisateur dans la région, ainsi qu’au sein de la communauté des pays à majorité musulmane. Ils démontrent qu’il est possible de progresser vers l’égalité entre les femmes et les hommes sans renoncer à ses racines culturelles et religieuses traditionnelles. Cela est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel, caractérisé par l’instabilité et par l’influence d’autres forces d’origine externe, d’orientation intégriste.
106. La société civile est susceptible de contribuer largement à l’amélioration du statut des femmes et du cadre démocratique en général. Elle l’a fait dans les différents processus de transition démocratique et peut continuer de le faire, à condition qu’elle en ait les moyens humains et financiers et que ses activités ne soient pas entravées par les pouvoirs publics. Les acteurs internationaux, y compris le Conseil de l’Europe et ses Etats membres, devraient soutenir cette dimension.
107. Les médias ont également un rôle important à jouer pour moderniser la société et soutenir l’égalité entre les sexes. Ils ont une influence puissante sur les mentalités et devraient l’exercer pour éradiquer les stéréotypes de genre, en reflétant la contribution des femmes dans toutes les sphères de la vie de leur pays.
108. Le Conseil de l’Europe et les autres acteurs internationaux, notamment européens, doivent renforcer leurs activités de coopération avec tous les pays de la rive sud de la Méditerranée. Il est crucial que l’amélioration du statut des femmes soit intégrée de façon transversale dans tous les programmes. Ces activités, y compris au niveau interparlementaire, serviront à renforcer les relations d’amitié, de connaissance et de reconnaissance mutuelles entre les deux rives de la Méditerranée et à contribuer à la réussite des réformes dans les pays du voisinage méridional, dans le but de créer une société plus juste, démocratique et respectueuse des droits humains.