Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2019 (2014) Version finale
Le respect des obligations et engagements de l’Albanie
1. L’Albanie a adhéré au Conseil de
l’Europe le 13 juillet 1995. Lors de son adhésion, l’Albanie s’est engagée
à respecter les obligations que l’article 3 du Statut du Conseil
de l’Europe (STE n° 1) impose à chaque Etat membre concernant le
pluralisme démocratique, la prééminence du droit et les droits de
l’homme. Elle a également pris un certain nombre d’engagements spécifiques
dont la liste figure dans l’Avis 189 (1995) relatif à la demande d’adhésion de l’Albanie au Conseil
de l’Europe, adopté par l’Assemblée parlementaire le 29 juin 1995.
Conformément à la procédure de suivi établie dans la Résolution 1115 (1997), l’Assemblée a régulièrement évalué les progrès accomplis
par l’Albanie dans l’exécution de ses obligations et de ses engagements.
2. L’Assemblée se félicite des progrès substantiels que l’Albanie
a réalisés récemment pour honorer ses obligations et ses engagements
à l’égard du Conseil de l’Europe. Dans ce contexte, elle regrette
toutefois que de nombreuses réformes importantes aient été retardées
ou altérées par la profonde crise politique qui a frappé le pays
au lendemain des élections législatives de 2009 et qui a amené l’opposition
à boycotter de fait les travaux du parlement pendant deux ans. Reconnaissant
le rôle joué par l’Albanie en tant que facteur de stabilité dans
la région, l’Assemblée se félicite des conclusions adoptées par
le Conseil européen le 27 juin 2014 qui accordent à l’Albanie le
statut de candidat et encourage le pays à mettre en œuvre les priorités essentielles.
3. Les élections législatives de 2009 et, dans une moindre mesure,
celles de 2013, ainsi que les élections locales de 2011 ont souligné
les tensions et la polarisation politiques qui règnent en permanence
en Albanie, en particulier entre les deux grands partis qui dominent
le paysage politique. L’Assemblée salue donc les réformes électorales
qui ont été mises en œuvre, de façon globalement consensuelle, pour
renforcer le processus électoral et remédier aux insuffisances constatées
durant les élections précédentes. En ce qui concerne la réforme
électorale, l’Assemblée:
3.1. invite
toutes les forces politiques à convenir de nouvelles réformes électorales
consensuelles pour répondre aux préoccupations et lever les ambiguïtés
restantes qui rendent le processus électoral vulnérable à d’éventuels
détournements ou obstacles, conformément aux recommandations de
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise);
3.2. note que la création de centres de dépouillement centralisés
a engendré des retards conséquents dans le décompte des voix, ce
qui peut avoir des conséquences négatives sur l’opinion publique
quant à la légitimité des résultats des élections. L’Assemblée recommande
donc d’augmenter considérablement le nombre de ces centres pour
les élections à venir;
3.3. constate que l’administration électorale reste en réalité
divisée par des logiques partisanes, qui entravent le déroulement
efficace et impartial des élections. Elle recommande l’application
de nouvelles réformes pour garantir une véritable indépendance de
l’administration électorale vis-à-vis des partis;
3.4. souligne que les changements apportés au Code électoral
ne suffisent pas, à eux seuls, à corriger les dysfonctionnements
récurrents dans le déroulement des élections. Cela ne sera possible que
si les réformes électorales s’accompagnent d’un changement dans
l’attitude et les pratiques des principaux acteurs de la scène politique.
4. L’Assemblée prend note des réformes parlementaires qui ont
été adoptées par consensus entre la majorité au pouvoir et l’opposition
en vue de garantir le bon fonctionnement du parlement et d’encourager
le dialogue politique. L’Assemblée souligne toutefois qu’une coopération
constructive entre la majorité et l’opposition, fondée sur un respect
mutuel du rôle constitutionnel et de la place de chacun dans un
système démocratique, ne peut pas être imposée uniquement par des
règles de procédure. Elle passe également par un changement d’attitude,
le développement d’une culture de la coopération et le renforcement
des valeurs démocratiques par toutes les parties concernées. A cet
égard, l’Assemblée regrette la rhétorique et les interactions agressives
permanentes entre l’opposition et les partis au pouvoir. Elle exhorte
donc l’opposition à ne plus recourir au boycott des travaux du parlement
et de ses commissions, et engage le pouvoir à ne pas profiter de
sa majorité constitutionnelle pour contourner l’opposition, ainsi
qu’à rechercher autant que possible un consensus sur les réformes
importantes.
5. L’Assemblée se réjouit de l’environnement médiatique pluraliste
et diversifié qui existe en Albanie. Toutefois, elle déplore qu’il
soit extrêmement politisé, y compris sur l’opérateur public de radiodiffusion
En ce qui concerne les médias, l’Assemblée:
5.1. appelle toutes les forces politiques à poursuivre la réforme
de l’opérateur public de radiodiffusion en vue de garantir son indépendance
et son impartialité, et à trouver un consensus sur une formule pour la
composition du Conseil national de la radio et de la télévision
qui favorisera l’apparition d’un environnement médiatique pluraliste
et indépendant;
5.2. exhorte les pouvoirs publics à veiller à ce que les campagnes
de publicité du gouvernement ne soient pas attribuées aux médias
en fonction de leur appartenance politique;
5.3. se félicite de la plus grande transparence de la propriété
des médias en Albanie à la suite de la création du Centre national
d’enregistrement des entreprises;
5.4. salue la suppression des peines d’emprisonnement pour
insulte et pour diffamation ainsi que l’abolition de la protection
spéciale contre la diffamation dont jouissaient certaines catégories
de personnes. Elle regrette cependant que la diffamation ne soit
pas complètement dépénalisée, ce qui peut encore avoir un effet
dissuasif sur les journalistes et les inciter à pratiquer l’autocensure. L’Assemblée
invite donc le parlement à dépénaliser complètement la diffamation,
conformément aux normes du Conseil de l’Europe en la matière.
6. Du point de vue de l’Assemblée, une fonction publique impartiale
et non partisane est essentielle au fonctionnement des institutions
démocratiques albanaises. L’Assemblée prend note du retard pris
dans l’application de la loi sur la fonction publique qui prévoit,
entre autres, des règles strictes de nomination et de révocation
des fonctionnaires sur la base du mérite. Ce retard controversé,
associé aux changements à grande échelle de personnel à tous les
niveaux de la fonction publique depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement,
témoigne de la politisation de la fonction publique et des tentatives
visant à la placer sous le contrôle du parti. L’Assemblée déplore
cette politisation à tous les niveaux de la fonction publique et
invite tous les partis à s’abstenir de toute action nuisible au
bon fonctionnement des institutions publiques et à la confiance du
public en leur impartialité.
7. L’Assemblée se réjouit de la priorité accordée par les nouvelles
autorités à la réforme administrative et territoriale, et au renforcement
des collectivités locales, qui forment le pilier central de la consolidation démocratique
de la société albanaise, ainsi que du soutien exprimé par l’opposition
en la matière. Elle salue la création d’une commission parlementaire
ad hoc, fondée sur la participation équitable de la majorité au pouvoir
et de l’opposition, pour préparer cette réforme. Aux yeux de l’Assemblée,
il faut y voir un signe de l’intention des autorités d’élaborer
ces réformes importantes en s’appuyant sur un large consensus entre
les différentes forces politiques du pays. A cet égard, l’Assemblée
regrette la décision de l’opposition de boycotter les travaux de
cette commission et demande instamment à ses membres de revoir leur
position. En ce qui concerne la réforme administrative et territoriale
envisagée, l’Assemblée:
7.1. se
félicite de la proposition des pouvoirs publics de réduire le nombre
de collectivités locales, en vue de créer des communes plus fortes
et plus efficaces qui puissent être des unités territoriales autonomes
viables, mais note les inquiétudes exprimées par l’opposition à
l’égard de la réduction immédiate du nombre de collectivités locales,
qui passe de 373 à 61, en plus du redécoupage des circonscriptions
électorales et de l’éventuelle incidence de cette mesure sur la
démocratie locale;
7.2. encourage les autorités à poursuivre le développement
d’une stratégie globale pour améliorer l’efficacité du fonctionnement
des collectivités locales, notamment le financement des services
qu’elles sont censées fournir, en vue de réduire leur dépendance
vis-à-vis du pouvoir central;
7.3. recommande que la loi sur l’organisation et le fonctionnement
des collectivités locales soit modifiée pour garantir la pleine
responsabilité des maires devant leur conseil municipal;
7.4. salue les initiatives des pouvoirs publics et les encourage
à poursuivre leur action pour faire en sorte que la réforme administrative
et territoriale soit ouverte à tous les acteurs et fasse l’objet
d’un consensus, non seulement entre la majorité au pouvoir et l’opposition,
mais aussi entre le gouvernement central et les collectivités locales
concernées. Dans ce contexte, l’Assemblée invite l’opposition à participer
pleinement à ces travaux.
8. L’Assemblée craint que, malgré de nombreuses réformes, l’indépendance
et l’impartialité de la justice ne soient pas suffisamment garanties
et que celle-ci continue de subir des pressions et des ingérences politiques.
Il est urgent de mettre en œuvre d’autres réformes d’ensemble consensuelles,
notamment des modifications de la Constitution, pour garantir l’indépendance
du système judiciaire et l’administration efficace de la justice,
ce qui devrait être une priorité pour les autorités. En ce qui concerne
la réforme du système judiciaire et de la justice, l’Assemblée notamment:
8.1. se déclare préoccupée par la
corruption systémique et généralisée à tous les niveaux du système judiciaire,
qui compromet l’efficacité et l’impartialité de cette institution;
8.2. encourage les autorités à réformer la Cour suprême et
le Haut Conseil de la justice conformément aux recommandations de
la Commission de Venise, en particulier concernant les procédures
disciplinaires et de nomination de leurs membres;
8.3. demande instamment aux pouvoirs publics de réviser les
procédures disciplinaires et de nomination des juges en vue de les
rendre moins vulnérables à la politisation et à l’ingérence politique qui
ébranlent l’impartialité du système judiciaire;
8.4. exhorte les autorités à pleinement mettre en œuvre sans
tarder toutes les décisions de la Cour constitutionnelle et autres
décisions de justice;
8.5. se félicite de l’étroite coopération que les autorités
cherchent à établir avec la Commission de Venise pour réformer la
justice et le système judiciaire du pays, et les engage à demander
son avis en temps utile sur tous les changements apportés et à mettre
en œuvre rapidement ses recommandations.
9. La corruption persistante et généralisée qui règne à de nombreux
niveaux de la vie albanaise entrave le développement démocratique
et socio-économique du pays, et constitue un réel motif d’inquiétude
pour l’Assemblée. A cet égard, l’Assemblée regrette que, malgré
une récente augmentation des poursuites, la plupart des indicateurs
montrent que la corruption a en fait progressé au lieu de reculer
ces dernières années, ce qui révèle que les mesures et les stratégies
de lutte contre la corruption n’ont obtenu pour l’instant que des résultats
limités. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, l’Assemblée:
9.1. salue la révision de la Constitution
et la modification du Code de procédure pénale qui limitent l’immunité
des membres du gouvernement, des parlementaires, des juges et des
hauts fonctionnaires, et permettent d’enquêter sur ces personnes
et de les poursuivre sans autorisation préalable. Elle exhorte les
pouvoirs publics à adopter rapidement les textes d’application nécessaires
à l’entrée en vigueur effective des modifications de la Constitution;
9.2. appelle toutes les forces politiques d’Albanie à démontrer
qu’elles ont la volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre
intégralement et efficacement une stratégie cohérente et performante de
lutte contre la corruption, et pour allouer des ressources suffisantes
à son application;
9.3. déplore les évènements récents qui mettent en cause l’indépendance
de la Haute inspection pour la déclaration et la vérification du
patrimoine. Elle salue les modifications apportées à la loi sur
la déclaration et la vérification du patrimoine ainsi que les mesures
visant à prévenir les conflits d’intérêts dans l'exercice des fonctions
publiques, qui visent à accroître la transparence des agents publics
et à renforcer le rôle institutionnel de la Haute inspection pour
la déclaration et la vérification du patrimoine. L’Assemblée invite
les autorités à veiller à ce que cette institution bénéficie de
ressources suffisantes, car il s’agit d’un instrument important
dans la lutte contre la corruption. En outre, elle exhorte les pouvoirs publics
à garantir que le parquet assure un suivi rapide de tous les cas
d’infraction à la loi sur la déclaration et la vérification du patrimoine;
9.4. se réjouit des progrès signalés par le Groupe d'Etats
contre la corruption (GRECO) s’agissant de l’adoption d’une législation
anticorruption et appelle instamment les pouvoirs publics à faire
en sorte qu’elle soit désormais appliquée dans son intégralité et
avec efficacité.
10. L’Assemblée prend note du grand nombre d’affaires en instance
contre l’Albanie devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Celles-ci révèlent un dysfonctionnement structurel persistant dans l’application
des décisions prononcées par les juridictions nationales et l’absence
de recours effectif. A cet égard, l’Assemblée salue l’adoption récente
d’un plan d’action pour appliquer les mesures générales ordonnées
dans l’arrêt pilote Manushaqe Puto et
autres c. Albanie. Elle engage les autorités à examiner
toutes les possibilités pour réduire autant que possible le retard
dans la mise en œuvre de ce plan d’action, comme l’a également demandé
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
11. L’Assemblée se félicite des progrès significatifs accomplis
dans le renforcement des mécanismes de protection des droits de
l’homme en Albanie, ainsi que de la signature et la ratification
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE n° 210). Elle demande aux autorités compétentes de prendre
toutes les mesures nécessaires pour enrayer la récente augmentation
des crimes d’honneur et des vendettas, qui est une source de préoccupation.
12. L’Assemblée salue les efforts des pouvoirs publics pour améliorer
les conditions de détention et réduire la surpopulation carcérale.
Toutefois, elle se déclare très préoccupée par les allégations de
mauvais traitements de détenus par la police au cours des interrogatoires
et par les conditions de détention déplorables dans les postes de
police. Elle appelle donc les autorités albanaises à remédier au
plus vite à cette situation.
13. S’agissant de la protection des droits des minorités et de
la lutte contre la discrimination, tout en reconnaissant les progrès
globalement réalisés à cet égard, l’Assemblée:
13.1. recommande au Parlement albanais
d’adopter un système de reconnaissance des minorités nationales
et ethniques plus souple et plus adapté;
13.2. exhorte le parlement à adopter une législation globale
sur les minorités;
13.3. salue l’adoption d’une loi globale contre les discriminations
et encourage les pouvoirs publics à en appliquer les dispositions
de façon systématique et cohérente;
13.4. regrette que l’Albanie n’ait ni signé ni ratifié la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148),
bien que cela fasse explicitement partie des engagements d’adhésion. L’Assemblée
invite les autorités à honorer cet engagement dans les plus brefs
délais.
14. L’Assemblée se félicite du rôle actif et efficace joué par
le médiateur national en Albanie. Elle prie en outre les autorités
de s’assurer qu’il dispose de ressources suffisantes pour mener
à bien sa mission et demande au Parlement albanais d’inscrire de
manière systématique et cohérente à son ordre du jour les rapports
statutaires et spéciaux du médiateur pour débat.
15. En dépit des progrès réalisés par l’Albanie pour honorer ses
obligations de membre et les engagements pris lors de son adhésion,
de graves préoccupations subsistent, en particulier concernant l’impartialité
des institutions démocratiques et de la fonction publique, l’indépendance
de la justice et la lutte contre la corruption endémique en Albanie.
Des mesures concrètes doivent être prises par toutes les parties
prenantes, les autorités et l’opposition, afin de garantir que ses
obligations de membre et les engagements pris lors de son adhésion
sont intégralement respectés. A cet égard, l’Assemblée insiste sur
le fait qu’il est capital que les nombreuses réformes et dispositions
législatives adoptées soient appliquées pour apporter une réponse effective
aux problèmes qu’elle n’est pas seule à avoir soulevés. En conséquence,
l’Assemblée décide de continuer à suivre le respect des obligations
et engagements contractés par l’Albanie.