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Résolution 2019 (2014) Version finale

Le respect des obligations et engagements de l’Albanie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 2 octobre 2014 (35e séance) (voir Doc. 13586, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), corapporteurs: M. Jonathan Evans et M. Grigore Petrenko). Texte adopté par l’Assemblée le 2 octobre 2014 (35e séance).

1. L’Albanie a adhéré au Conseil de l’Europe le 13 juillet 1995. Lors de son adhésion, l’Albanie s’est engagée à respecter les obligations que l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE n° 1) impose à chaque Etat membre concernant le pluralisme démocratique, la prééminence du droit et les droits de l’homme. Elle a également pris un certain nombre d’engagements spécifiques dont la liste figure dans l’Avis 189 (1995) relatif à la demande d’adhésion de l’Albanie au Conseil de l’Europe, adopté par l’Assemblée parlementaire le 29 juin 1995. Conformément à la procédure de suivi établie dans la Résolution 1115 (1997), l’Assemblée a régulièrement évalué les progrès accomplis par l’Albanie dans l’exécution de ses obligations et de ses engagements.
2. L’Assemblée se félicite des progrès substantiels que l’Albanie a réalisés récemment pour honorer ses obligations et ses engagements à l’égard du Conseil de l’Europe. Dans ce contexte, elle regrette toutefois que de nombreuses réformes importantes aient été retardées ou altérées par la profonde crise politique qui a frappé le pays au lendemain des élections législatives de 2009 et qui a amené l’opposition à boycotter de fait les travaux du parlement pendant deux ans. Reconnaissant le rôle joué par l’Albanie en tant que facteur de stabilité dans la région, l’Assemblée se félicite des conclusions adoptées par le Conseil européen le 27 juin 2014 qui accordent à l’Albanie le statut de candidat et encourage le pays à mettre en œuvre les priorités essentielles.
3. Les élections législatives de 2009 et, dans une moindre mesure, celles de 2013, ainsi que les élections locales de 2011 ont souligné les tensions et la polarisation politiques qui règnent en permanence en Albanie, en particulier entre les deux grands partis qui dominent le paysage politique. L’Assemblée salue donc les réformes électorales qui ont été mises en œuvre, de façon globalement consensuelle, pour renforcer le processus électoral et remédier aux insuffisances constatées durant les élections précédentes. En ce qui concerne la réforme électorale, l’Assemblée:
3.1. invite toutes les forces politiques à convenir de nouvelles réformes électorales consensuelles pour répondre aux préoccupations et lever les ambiguïtés restantes qui rendent le processus électoral vulnérable à d’éventuels détournements ou obstacles, conformément aux recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise);
3.2. note que la création de centres de dépouillement centralisés a engendré des retards conséquents dans le décompte des voix, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur l’opinion publique quant à la légitimité des résultats des élections. L’Assemblée recommande donc d’augmenter considérablement le nombre de ces centres pour les élections à venir;
3.3. constate que l’administration électorale reste en réalité divisée par des logiques partisanes, qui entravent le déroulement efficace et impartial des élections. Elle recommande l’application de nouvelles réformes pour garantir une véritable indépendance de l’administration électorale vis-à-vis des partis;
3.4. souligne que les changements apportés au Code électoral ne suffisent pas, à eux seuls, à corriger les dysfonctionnements récurrents dans le déroulement des élections. Cela ne sera possible que si les réformes électorales s’accompagnent d’un changement dans l’attitude et les pratiques des principaux acteurs de la scène politique.
4. L’Assemblée prend note des réformes parlementaires qui ont été adoptées par consensus entre la majorité au pouvoir et l’opposition en vue de garantir le bon fonctionnement du parlement et d’encourager le dialogue politique. L’Assemblée souligne toutefois qu’une coopération constructive entre la majorité et l’opposition, fondée sur un respect mutuel du rôle constitutionnel et de la place de chacun dans un système démocratique, ne peut pas être imposée uniquement par des règles de procédure. Elle passe également par un changement d’attitude, le développement d’une culture de la coopération et le renforcement des valeurs démocratiques par toutes les parties concernées. A cet égard, l’Assemblée regrette la rhétorique et les interactions agressives permanentes entre l’opposition et les partis au pouvoir. Elle exhorte donc l’opposition à ne plus recourir au boycott des travaux du parlement et de ses commissions, et engage le pouvoir à ne pas profiter de sa majorité constitutionnelle pour contourner l’opposition, ainsi qu’à rechercher autant que possible un consensus sur les réformes importantes.
5. L’Assemblée se réjouit de l’environnement médiatique pluraliste et diversifié qui existe en Albanie. Toutefois, elle déplore qu’il soit extrêmement politisé, y compris sur l’opérateur public de radiodiffusion En ce qui concerne les médias, l’Assemblée:
5.1. appelle toutes les forces politiques à poursuivre la réforme de l’opérateur public de radiodiffusion en vue de garantir son indépendance et son impartialité, et à trouver un consensus sur une formule pour la composition du Conseil national de la radio et de la télévision qui favorisera l’apparition d’un environnement médiatique pluraliste et indépendant;
5.2. exhorte les pouvoirs publics à veiller à ce que les campagnes de publicité du gouvernement ne soient pas attribuées aux médias en fonction de leur appartenance politique;
5.3. se félicite de la plus grande transparence de la propriété des médias en Albanie à la suite de la création du Centre national d’enregistrement des entreprises;
5.4. salue la suppression des peines d’emprisonnement pour insulte et pour diffamation ainsi que l’abolition de la protection spéciale contre la diffamation dont jouissaient certaines catégories de personnes. Elle regrette cependant que la diffamation ne soit pas complètement dépénalisée, ce qui peut encore avoir un effet dissuasif sur les journalistes et les inciter à pratiquer l’autocensure. L’Assemblée invite donc le parlement à dépénaliser complètement la diffamation, conformément aux normes du Conseil de l’Europe en la matière.
6. Du point de vue de l’Assemblée, une fonction publique impartiale et non partisane est essentielle au fonctionnement des institutions démocratiques albanaises. L’Assemblée prend note du retard pris dans l’application de la loi sur la fonction publique qui prévoit, entre autres, des règles strictes de nomination et de révocation des fonctionnaires sur la base du mérite. Ce retard controversé, associé aux changements à grande échelle de personnel à tous les niveaux de la fonction publique depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, témoigne de la politisation de la fonction publique et des tentatives visant à la placer sous le contrôle du parti. L’Assemblée déplore cette politisation à tous les niveaux de la fonction publique et invite tous les partis à s’abstenir de toute action nuisible au bon fonctionnement des institutions publiques et à la confiance du public en leur impartialité.
7. L’Assemblée se réjouit de la priorité accordée par les nouvelles autorités à la réforme administrative et territoriale, et au renforcement des collectivités locales, qui forment le pilier central de la consolidation démocratique de la société albanaise, ainsi que du soutien exprimé par l’opposition en la matière. Elle salue la création d’une commission parlementaire ad hoc, fondée sur la participation équitable de la majorité au pouvoir et de l’opposition, pour préparer cette réforme. Aux yeux de l’Assemblée, il faut y voir un signe de l’intention des autorités d’élaborer ces réformes importantes en s’appuyant sur un large consensus entre les différentes forces politiques du pays. A cet égard, l’Assemblée regrette la décision de l’opposition de boycotter les travaux de cette commission et demande instamment à ses membres de revoir leur position. En ce qui concerne la réforme administrative et territoriale envisagée, l’Assemblée:
7.1. se félicite de la proposition des pouvoirs publics de réduire le nombre de collectivités locales, en vue de créer des communes plus fortes et plus efficaces qui puissent être des unités territoriales autonomes viables, mais note les inquiétudes exprimées par l’opposition à l’égard de la réduction immédiate du nombre de collectivités locales, qui passe de 373 à 61, en plus du redécoupage des circonscriptions électorales et de l’éventuelle incidence de cette mesure sur la démocratie locale;
7.2. encourage les autorités à poursuivre le développement d’une stratégie globale pour améliorer l’efficacité du fonctionnement des collectivités locales, notamment le financement des services qu’elles sont censées fournir, en vue de réduire leur dépendance vis-à-vis du pouvoir central;
7.3. recommande que la loi sur l’organisation et le fonctionnement des collectivités locales soit modifiée pour garantir la pleine responsabilité des maires devant leur conseil municipal;
7.4. salue les initiatives des pouvoirs publics et les encourage à poursuivre leur action pour faire en sorte que la réforme administrative et territoriale soit ouverte à tous les acteurs et fasse l’objet d’un consensus, non seulement entre la majorité au pouvoir et l’opposition, mais aussi entre le gouvernement central et les collectivités locales concernées. Dans ce contexte, l’Assemblée invite l’opposition à participer pleinement à ces travaux.
8. L’Assemblée craint que, malgré de nombreuses réformes, l’indépendance et l’impartialité de la justice ne soient pas suffisamment garanties et que celle-ci continue de subir des pressions et des ingérences politiques. Il est urgent de mettre en œuvre d’autres réformes d’ensemble consensuelles, notamment des modifications de la Constitution, pour garantir l’indépendance du système judiciaire et l’administration efficace de la justice, ce qui devrait être une priorité pour les autorités. En ce qui concerne la réforme du système judiciaire et de la justice, l’Assemblée notamment:
8.1. se déclare préoccupée par la corruption systémique et généralisée à tous les niveaux du système judiciaire, qui compromet l’efficacité et l’impartialité de cette institution;
8.2. encourage les autorités à réformer la Cour suprême et le Haut Conseil de la justice conformément aux recommandations de la Commission de Venise, en particulier concernant les procédures disciplinaires et de nomination de leurs membres;
8.3. demande instamment aux pouvoirs publics de réviser les procédures disciplinaires et de nomination des juges en vue de les rendre moins vulnérables à la politisation et à l’ingérence politique qui ébranlent l’impartialité du système judiciaire;
8.4. exhorte les autorités à pleinement mettre en œuvre sans tarder toutes les décisions de la Cour constitutionnelle et autres décisions de justice;
8.5. se félicite de l’étroite coopération que les autorités cherchent à établir avec la Commission de Venise pour réformer la justice et le système judiciaire du pays, et les engage à demander son avis en temps utile sur tous les changements apportés et à mettre en œuvre rapidement ses recommandations.
9. La corruption persistante et généralisée qui règne à de nombreux niveaux de la vie albanaise entrave le développement démocratique et socio-économique du pays, et constitue un réel motif d’inquiétude pour l’Assemblée. A cet égard, l’Assemblée regrette que, malgré une récente augmentation des poursuites, la plupart des indicateurs montrent que la corruption a en fait progressé au lieu de reculer ces dernières années, ce qui révèle que les mesures et les stratégies de lutte contre la corruption n’ont obtenu pour l’instant que des résultats limités. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, l’Assemblée:
9.1. salue la révision de la Constitution et la modification du Code de procédure pénale qui limitent l’immunité des membres du gouvernement, des parlementaires, des juges et des hauts fonctionnaires, et permettent d’enquêter sur ces personnes et de les poursuivre sans autorisation préalable. Elle exhorte les pouvoirs publics à adopter rapidement les textes d’application nécessaires à l’entrée en vigueur effective des modifications de la Constitution;
9.2. appelle toutes les forces politiques d’Albanie à démontrer qu’elles ont la volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre intégralement et efficacement une stratégie cohérente et performante de lutte contre la corruption, et pour allouer des ressources suffisantes à son application;
9.3. déplore les évènements récents qui mettent en cause l’indépendance de la Haute inspection pour la déclaration et la vérification du patrimoine. Elle salue les modifications apportées à la loi sur la déclaration et la vérification du patrimoine ainsi que les mesures visant à prévenir les conflits d’intérêts dans l'exercice des fonctions publiques, qui visent à accroître la transparence des agents publics et à renforcer le rôle institutionnel de la Haute inspection pour la déclaration et la vérification du patrimoine. L’Assemblée invite les autorités à veiller à ce que cette institution bénéficie de ressources suffisantes, car il s’agit d’un instrument important dans la lutte contre la corruption. En outre, elle exhorte les pouvoirs publics à garantir que le parquet assure un suivi rapide de tous les cas d’infraction à la loi sur la déclaration et la vérification du patrimoine;
9.4. se réjouit des progrès signalés par le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) s’agissant de l’adoption d’une législation anticorruption et appelle instamment les pouvoirs publics à faire en sorte qu’elle soit désormais appliquée dans son intégralité et avec efficacité.
10. L’Assemblée prend note du grand nombre d’affaires en instance contre l’Albanie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Celles-ci révèlent un dysfonctionnement structurel persistant dans l’application des décisions prononcées par les juridictions nationales et l’absence de recours effectif. A cet égard, l’Assemblée salue l’adoption récente d’un plan d’action pour appliquer les mesures générales ordonnées dans l’arrêt pilote Manushaqe Puto et autres c. Albanie. Elle engage les autorités à examiner toutes les possibilités pour réduire autant que possible le retard dans la mise en œuvre de ce plan d’action, comme l’a également demandé le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
11. L’Assemblée se félicite des progrès significatifs accomplis dans le renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme en Albanie, ainsi que de la signature et la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210). Elle demande aux autorités compétentes de prendre toutes les mesures nécessaires pour enrayer la récente augmentation des crimes d’honneur et des vendettas, qui est une source de préoccupation.
12. L’Assemblée salue les efforts des pouvoirs publics pour améliorer les conditions de détention et réduire la surpopulation carcérale. Toutefois, elle se déclare très préoccupée par les allégations de mauvais traitements de détenus par la police au cours des interrogatoires et par les conditions de détention déplorables dans les postes de police. Elle appelle donc les autorités albanaises à remédier au plus vite à cette situation.
13. S’agissant de la protection des droits des minorités et de la lutte contre la discrimination, tout en reconnaissant les progrès globalement réalisés à cet égard, l’Assemblée:
13.1. recommande au Parlement albanais d’adopter un système de reconnaissance des minorités nationales et ethniques plus souple et plus adapté;
13.2. exhorte le parlement à adopter une législation globale sur les minorités;
13.3. salue l’adoption d’une loi globale contre les discriminations et encourage les pouvoirs publics à en appliquer les dispositions de façon systématique et cohérente;
13.4. regrette que l’Albanie n’ait ni signé ni ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148), bien que cela fasse explicitement partie des engagements d’adhésion. L’Assemblée invite les autorités à honorer cet engagement dans les plus brefs délais.
14. L’Assemblée se félicite du rôle actif et efficace joué par le médiateur national en Albanie. Elle prie en outre les autorités de s’assurer qu’il dispose de ressources suffisantes pour mener à bien sa mission et demande au Parlement albanais d’inscrire de manière systématique et cohérente à son ordre du jour les rapports statutaires et spéciaux du médiateur pour débat.
15. En dépit des progrès réalisés par l’Albanie pour honorer ses obligations de membre et les engagements pris lors de son adhésion, de graves préoccupations subsistent, en particulier concernant l’impartialité des institutions démocratiques et de la fonction publique, l’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption endémique en Albanie. Des mesures concrètes doivent être prises par toutes les parties prenantes, les autorités et l’opposition, afin de garantir que ses obligations de membre et les engagements pris lors de son adhésion sont intégralement respectés. A cet égard, l’Assemblée insiste sur le fait qu’il est capital que les nombreuses réformes et dispositions législatives adoptées soient appliquées pour apporter une réponse effective aux problèmes qu’elle n’est pas seule à avoir soulevés. En conséquence, l’Assemblée décide de continuer à suivre le respect des obligations et engagements contractés par l’Albanie.