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Rapport | Doc. 13647 | 09 décembre 2014

La protection des témoins: outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le terrorisme en Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Arcadio DÍAZ TEJERA, Espagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12841, Renvoi 3850 du 23 avril 2012. 2015 - Première partie de session

Résumé

Les personnes qui défendent la vérité et sont prêtes à risquer leur vie et leurs moyens de subsistance pour témoigner contre des actes répréhensibles méritent une protection solide, fiable et durable, aussi bien avant qu’après le procès. Lorsque des «témoins internes» décident de révéler les activités de la criminalité organisée ou des réseaux terroristes dont ils font partie, le fait d’assurer leur sécurité – et leur sentiment de sécurité – peut être particulièrement primordial pour le succès des poursuites et joue un rôle essentiel dans le démantèlement de ces réseaux, tout en donnant suffisamment confiance aux éventuels autres témoins pour qu’ils se présentent.

Les régimes en vigueur de protection des témoins varient considérablement au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, surtout pour l’exfiltration des «collaborateurs de justice» des petits pays. Cette situation peut mettre ces personnes en danger et compromettre des enquêtes essentielles menées par les services répressifs.

Il importe que les équipes de protection des témoins soient pleinement indépendantes des services chargés des enquêtes et des poursuites, qu’elles disposent de moyens suffisants et qu’elles soient plus ouvertes à la coopération internationale. Les Etats devraient par ailleurs être prêts à envisager de renforcer les mesures d’incitation pour que les «témoins internes» coopèrent avec les autorités dans les affaires de criminalité organisée ou de terrorisme, en leur offrant des réductions de peine ou en leur accordant une immunité de poursuites.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 octobre
2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution 1784 (2011) sur la protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans, réaffirme qu’une protection fiable et durable doit être garantie aux témoins qui défendent la vérité et la justice, notamment une aide juridique et psychologique et une solide protection physique avant, pendant et après le procès.
2. L’Assemblée rappelle que les témoins peuvent être particulièrement vulnérables aux menaces et à l’intimidation, réelles ou supposées, dont leurs proches ou eux-mêmes font l’objet de la part des auteurs d’actes criminels, surtout lorsqu’il s’agit de criminalité organisée ou de terrorisme.
3. Le recours aux dépositions des témoins est primordial pour le bon fonctionnement de la justice pénale dans tout Etat respectueux de l’Etat de droit. Il est essentiel à l’efficacité de l’enquête et des poursuites engagées à l’encontre de la criminalité organisée et du terrorisme, car il contribue au démantèlement de puissantes structures criminelles, y compris à caractère transnational.
4. La criminalité organisée à solide implantation transnationale a augmenté en Europe en raison de la mondialisation, de la suppression des contrôles aux frontières dans l’espace Schengen et de l’évolution des nouvelles technologies de communication. Les témoins qui demandent à être protégés ne sont plus seulement les victimes ou les témoins d’actes criminels, mais les criminels eux-mêmes. Sans la coopération des «collaborateurs de justice», qui connaissent de l’intérieur les groupes criminels, il serait difficile, voire impossible de mener efficacement des enquêtes sur les infractions graves et de démanteler les structures criminelles. C’est la raison pour laquelle des mesures de protection des témoins perfectionnées, notamment les «programmes de protection des témoins» qui impliquent l’exfiltration, voire le changement d’identité, du témoin ou du collaborateur de justice, ont été élaborées au cours de ces vingt dernières années.
5. Plusieurs instruments juridiques internationaux appellent les Etats à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger efficacement les témoins contre les actes éventuels de représailles ou d’intimidation et à renforcer la coopération internationale dans ce domaine. La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC) et la Convention des Nations Unies contre la corruption règlent cette question dans les affaires de criminalité organisée transnationale et de corruption. Au sein du Conseil de l’Europe, les dispositions relatives à la protection des témoins figurent dans la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173), la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197), le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (STE n° 182) et les Recommandations du Comité des Ministres n° R (97) 13, Rec(2001)11 et Rec(2005)9.
6. L’Assemblée observe que, dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, bien que le Conseil de l’Europe ait déjà fait une promotion active des mesures et des programmes de protection des témoins, leur mise en œuvre connaît d’importantes variations. Alors que certains Etats membres ont acquis une expérience approfondie dans ce domaine, d’autres semblent moins actifs.
7. L’Assemblée déplore l’existence de nombreuses variations dans les régimes de protection des témoins et souligne que les Etats doivent coopérer dans ce domaine, surtout dans les cas d’exfiltration des témoins/collaborateurs de justice originaires de petits pays.
8. L’Assemblée considère que, pour lutter efficacement contre la criminalité organisée et le terrorisme, des mesures supplémentaires doivent être prises en matière de protection des témoins. Elle appelle par conséquent les Etats membres:
8.1. à établir ou, si besoin est, revoir leurs mécanismes de protection des témoins; il importe que les unités de protection des témoins coopèrent avec les services répressifs et soient indépendantes de l’enquête menée et des poursuites engagées dans l’affaire concernée;
8.2. à allouer des ressources financières et humaines suffisantes aux services chargés de la protection des témoins;
8.3. à réexaminer leurs dispositions relatives à l’allégement des peines et à l’octroi d’une immunité de poursuites dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme, afin d’inciter davantage les collaborateurs de justice à coopérer avec les autorités;
8.4. à établir des statistiques sur les résultats de la coopération des témoins, collaborateurs de justice compris, avec les services d’investigation et les autorités judiciaires dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme, et notamment sur le nombre de condamnations prononcées sur la base de leur témoignage;
8.5. à renforcer la coopération internationale dans le domaine de la protection des témoins, notamment:
8.5.1. en échangeant des informations et en mettant en commun les meilleures pratiques de façon régulière;
8.5.2. en concluant, si besoin est, des accords/arrangements sur la réinstallation des témoins et d’autres mesures de protection;
8.6. à intensifier ou, si besoin est, renforcer la coopération avec les organes internationaux compétents, notamment Europol, Interpol et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
9. L’Assemblée rappelle également que les Etats membres, lorsqu’ils établissent et mettent en œuvre des mesures et des programmes de protection des témoins, doivent respecter le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Il importe que toute décision de mettre fin à une mesure ou à un programme de protection de témoins soit prise après un examen complet des menaces qui pèsent sur la vie des personnes protégées.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 30 octobre
2014.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2015) sur la protection des témoins: outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le terrorisme en Europe, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. de faire le point sur la mise en œuvre de sa Recommandation Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice;
1.2. d’entreprendre une étude complète sur l’élaboration et le fonctionnement des programmes de protection des témoins dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment à propos des mesures d’incitation à la coopération des collaborateurs de justice, en vue d’harmoniser, le cas échéant, les dispositions applicables à la mise en œuvre transnationale de ces mesures;
1.3. d’encourager les Etats membres à réunir et à partager des statistiques sur les résultats de la coopération des témoins/collaborateurs de justice avec les services d’investigation et les autorités judiciaires, et notamment sur le nombre de condamnations prononcées sur la base de leur témoignage.

C. Exposé des motifs, par M. Díaz Tejera, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. La proposition de résolution «La protection des témoins: outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le terrorisme en Europe» (Doc. 12841) a été transmise à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme le 23 avril 2012 
			(3) 
			Renvoi 3850.. Lors de sa réunion à Paris le 19 mars 2013, la commission m’a nommé rapporteur, à la suite du départ de l’Assemblée parlementaire du rapporteur précédent, M. Jean-Charles Gardetto (Monaco, PPE/DC). En mars 2014, afin de faire le point sur le statut juridique et la pratique de la protection des témoins à l’heure actuelle au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, j’ai envoyé un questionnaire par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP). Le 27 mai 2014, au cours de sa réunion à Helsinki, la commission a procédé à l’audition de trois experts:
  • M. Christian Bauer, coordinateur de projet pour la protection des témoins, Europol, La Haye;
  • M. Gábor Ihász, chef de département, Police anti-émeute, Unité de protection des témoins, Budapest;
  • M. Frank Debije, inspecteur principal, Police nationale des Pays-Bas.

1.2. Le rôle croissant des mesures de protection des témoins dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme

2. La proposition de résolution souligne à juste titre la nécessité «d’examiner attentivement la question de la protection des témoins en tant qu’outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le terrorisme en Europe». Dans certains types d’infractions (par exemple en cas de viol), le seul témoin est bien souvent la victime elle-même. L’infraction peut avoir des effets profonds et dévastateurs sur la victime et laisser d’importantes séquelles physiques et psychologiques 
			(4) 
			<a href='http://www.unodc.org/unodc/en/organized-crime/witness-protection.html'>Site
web ONUDC</a>.. Elle rend parfois les victimes très vulnérables aux menaces et à l’intimidation, réelles ou supposées, dont leurs proches ou eux-mêmes font l’objet et, par voie de conséquence, les amène à se montrer réticents à témoigner 
			(5) 
			Ibid. . Elle peut également entraîner une «victimisation secondaire»: le fait que les souffrances des victimes ne soient pas comprises génère chez ces dernières un sentiment d’isolement et d’insécurité 
			(6) 
			Rapport sur «La protection
des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation
dans les Balkans» (rapporteur: M. Jean-Charles Gardetto (Monaco,
PPE/DC)), Doc. 12440, paragraphe 19. .
3. Il est en effet de plus en plus clair que les dépositions des témoins sont primordiales pour obtenir la condamnation au pénal d’un auteur d’infraction 
			(7) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/victims/recR%2897%2913f.pdf'>Recommandation
n° R (97) 13 du Comité des Ministres sur l’intimidation des témoins
et les droits de la défense</a>, adoptée le 10 septembre 1997 lors de la 600e réunion
des Délégués des Ministres. Voir également Terrorism:
protection of witnesses and collaborators of justice (uniquement
en anglais), Editions du Conseil de l’Europe (ci-après «Rapport
du CdE sur le terrorisme»), 2006, p. 5.. Le recours aux dépositions des témoins est essentiel au bon fonctionnement de la justice répressive dans tout Etat de droit. En dehors du souci évident de protéger, pour des considérations de droits de l’homme, les victimes et les témoins de graves infractions, cette protection est indispensable pour vaincre la criminalité organisée et le terrorisme grâce à l’appareil judiciaire répressif 
			(8) 
			<a href='http://www.unodc.org/unodc/en/organized-crime/witness-protection.html'>Site
web ONUDC</a>.. Cela s’explique par le rôle crucial joué par les témoins dans l’ouverture d’enquêtes en bonne et due forme dans ces affaires et dans l’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs d’infractions, en vue de démanteler les puissantes structures criminelles qui menacent dangereusement l’Etat de droit dans de nombreux pays. A cet égard, il n’y a aucune différence entre la criminalité organisée et les organisations terroristes, car toutes deux peuvent fortement entraver la bonne marche de la justice, en intimidant les témoins, en portant atteinte à leur intégrité physique ou en les corrompant 
			(9) 
			Rapport
du CdE sur le terrorisme,
voir plus haut note 8, p. 39..
4. La mondialisation a ouvert la porte à de nouveaux défis, comme le phénomène croissant de la criminalité à solide implantation transnationale, notamment la criminalité organisée et le terrorisme. De fait, la généralisation dans le monde de la criminalité organisée, qui a fortement augmenté ces dernières années, est devenue une grande source de préoccupation internationale. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a par exemple récemment fait remarquer que, «dans une société mondialisée, les groupes et réseaux criminels organisés, mieux outillés grâce aux nouvelles technologies de l’information et des communications, sont de plus en plus diversifiés et reliés les uns aux autres dans leurs opérations illicites, ce qui, dans certains cas, peut aggraver les menaces qui pèsent sur la sécurité internationale» 
			(10) 
			Conseil de sécurité
des Nations Unies, <a href='http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/PRST/2012/16'>Déclaration
de la Présidente, S/PRST/2012/16</a>, 25 avril 2012, p. 2.. Dans ces circonstances, les témoins qui demandent à bénéficier d’une protection sont de plus en plus non pas uniquement les victimes, mais les criminels eux-mêmes (ceux que l’on appelle les «collaborateurs de justice» ou les repentis).
5. L’Assemblée a récemment examiné la question de la protection des témoins dans les Balkans. La Résolution 1784 (2011) sur la protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans, souligne qu’une protection fiable et durable doit être accordée aux témoins qui défendent la vérité et la justice. Sans elle, il ne peut y avoir ni justice ni réconciliation dans les Balkans. Cette question prend de plus en plus d’importance au vu des faits nouveaux survenus au Kosovo* 
			(11) 
			*Toute
référence au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire,
les institutions ou la population, doit se comprendre en pleine
conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo., où l’Assemblée du Kosovo a décidé fin avril 2014 de créer une juridiction spéciale chargée d’enquêter sur les crimes de guerre et les plaintes relatives au trafic d’organes prélevés sur des Serbes pendant la guerre qui a secoué la région en 1998-1999 
			(12) 
			Voir également la <a href='http://www.sitf.eu/index.php/en/news-other/44-press-release-komunikata-per-media-saopstenje-za-javnost'>déclaration
du procureur en chef de la Task force spéciale d'enquête de l’Union
européenne</a> sur les conclusions de l'enquête, 29 juillet 2014..
6. Comme le souligne l’Assemblée dans sa Résolution 1784 (2011), la protection et le soutien des témoins doivent aller de pair. L’aide aux témoins peut aller de l’assistance logistique à l’assistance psychologique pendant toute la durée de la participation du témoin au procès. La protection contre les représailles, en revanche, peut s’avérer nécessaire bien au-delà du procès, parfois pendant la vie entière des témoins et de leur famille.
7. Les défaillances des mesures de protection concrète, solide et durable des témoins ne se limitent pas à une catégorie particulière de crimes (les crimes de guerre, pourtant graves) ni à une région précise (Balkans). Malheureusement, dans plusieurs pays, dont un certain nombre d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, les mesures de protection et d’aide demeurent insuffisantes pour les témoins. Bien que plusieurs Etats disposent d’une forme de mesures de protection des témoins, bon nombre d’entre elles ne sont pas convenablement mises en œuvre dans la pratique 
			(13) 
			Voir plus haut note
7, paragraphe 14. . Le niveau de protection varie considérablement d’un pays à l’autre, mais ces différences concernent également les infractions pour lesquelles les mesures de protection sont prévues et le type de service administratif chargé de la gestion des programmes de protection des témoins (les services de police, d’autres services administratifs ou le pouvoir judiciaire) 
			(14) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/bibliotheque/briefing/2013/130408/LDM_BRI(2013)130408_REV2_EN.pdf'>Witness
Protection Programmes: EU experiences in the international context,
28 janvier 2013</a>, Bibliothèque du Parlement européen, p. 5. . Le présent rapport vise à examiner la question de la protection des témoins sous l’angle particulier et complexe de la criminalité organisée et du terrorisme et, en s’appuyant sur les instruments internationaux en vigueur, à soumettre quelques propositions pour remédier à ces défaillances.

2. Définition des paramètres

2.1. Les témoins

8. Le Comité des Ministres définit le témoin comme «toute personne détenant des informations pertinentes pour une procédure pénale et/ou en mesure de les communiquer dans le cadre de celle-ci (quel que soit son statut et quelle que soit la forme du témoignage – directe ou indirecte, orale ou écrite – selon le droit national)» 
			(15) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec%282005%299&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>Recommandation
Rec(2005)9</a> relative à la protection des témoins et des collaborateurs
de justice, adoptée le 20 avril 2005, lors de la 924e réunion
des Délégués des Ministres. . Comme le précisent les Bonnes pratiques de protection des témoins dans les procédures pénales afférentes à la criminalité organisée de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime 
			(16) 
			ONUDC, Bonnes pratiques de protection des témoins
dans les procédures pénales afférentes à la criminalité organisée,
2008 (ci-après «Bonnes pratiques de l’ONUDC»), p. 4. L'article I.F.a définit le témoin comme suit:
a) «Témoin» ou «participant»: toute personne qui, indépendamment
de son statut juridique (informateur, témoin, fonctionnaire de justice,
agent infiltré ou autre), peut, en vertu de la législation ou de
la politique du pays concerné, bénéficier d’un programme de protection
des témoins., l’auteur d’un témoignage peut être un informateur, un témoin, un fonctionnaire de la justice, un agent infiltré ou autre.
9. Les suspects et les prévenus qui ont la qualité de «collaborateurs de justice» jouent également un rôle important, grâce à leur témoignage, qui permet de mener des enquêtes sur des crimes commis et d’engager des poursuites à l’encontre de leurs auteurs. La Recommandation Rec(2005)9 du Comité des Ministres relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice définit le «collaborateur de justice» comme «toute personne qui est poursuivie ou a été condamnée pour avoir participé à une association de malfaiteurs ou à toute autre organisation criminelle ou à des infractions relevant de la criminalité organisée, mais qui accepte de coopérer avec la justice pénale, en particulier en témoignant contre une association ou une organisation criminelle ou toute infraction en relation avec la criminalité organisée ou avec d'autres infractions graves». La coopération avec ces personnes est encouragée; elles obtiennent en contrepartie une réduction de peine d’emprisonnement importante, voire parfois une immunité de poursuites.

2.2. La criminalité organisée

10. Malgré la généralisation de plus en plus rapide de la criminalité transnationale organisée et la grave menace qu’elle fait peser sur la sécurité internationale, ce domaine de l’activité criminelle reste un phénomène encore méconnu à ce jour 
			(17) 
			ONUDC, The Globalization of Crime, A Transnational
Organized Crime Threat Assessment, 2010, p. 282, <a href='http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/tocta/TOCTA_Report_2010_low_res.pdf'>www.unodc.org/documents/data-and-analysis/tocta/TOCTA_Report_2010_low_res.pdf</a>..
11. Si de nombreux instruments internationaux évoquent sous une forme ou une autre la menace croissante de la criminalité organisée, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC) 
			(18) 
			Convention
des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
et protocoles s'y rapportant<a href='http://www.unodc.org/documents/treaties/UNTOC/Publications/TOC Convention/TOCebook-f.pdf'>,
Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15 novembre 2000</a>, Annexes, et Résolution 55/255 de l’Assemblée générale
du 31 mai 2001, Annexe. et les protocoles s’y rapportant forment la seule convention internationale qui vise de manière directe et globale ces activités criminelles. Elle établit, pour la première fois, un cadre de prévention et de répression de la criminalité organisée, en présentant un modèle détaillé de coopération internationale 
			(19) 
			ONUDC, <a href='http://www.unodc.org/unodc/fr/organized-crime/index.html'>www.unodc.org/unodc/fr/organized-crime/index.html.</a>. Bien que cette convention ne donne aucune définition précise de la «criminalité transnationale organisée», elle expose de façon minutieuse les types d’activités criminelles qui relèvent de son champ d’application. La convention et ses trois protocoles incriminent les activités qui vont de la simple participation à un groupe criminel organisé (article 5) aux infractions commises par ces groupes, comme le blanchiment de capitaux (article 6), la corruption (article 8), l’entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23), la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (Protocole additionnel), le trafic illicite de migrants (Protocole additionnel) et la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions (Protocole additionnel). Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), «gardien de la convention», cette absence de définition précise est voulue; elle permet «une plus grande applicabilité de la Convention contre la criminalité transnationale organisée aux nouvelles formes de criminalité qui apparaissent constamment, au fur et à mesure de l’évolution des conditions mondiales, régionales et locales» 
			(20) 
			Ibid. . L’Evaluation de la criminalité transnationale organisée (Transnational Organized Crime Assessment) de l’ONUDC démontre fort à propos la nature toujours changeante de la criminalité transnationale organisée et évalue les nouvelles formes qu’elle prend, comme la cybercriminalité, la piraterie maritime, le trafic des ressources environnementales, la contrefaçon des marchandises, etc.
12. Malgré l’absence de définition précise des formes prises par cette criminalité, «la criminalité transnationale organisée» peut s’entendre comme une activité illicite guidée par de puissantes motivations financières et exercée de manière extrêmement systématique par des réseaux de personnes à travers les frontières étatiques. On s’interroge à l’heure actuelle sur le contenu des solutions à apporter: faut-il se soucier avant tout des groupes de personnes qui exercent des activités illicites ou de ces activités illicites elles-mêmes – et de la dynamique de marché – auxquelles participent les groupes en question 
			(21) 
			Ibid., Principales constatations. . Bien que l’analyse approfondie de cette question sorte du cadre de mon mandat, il suffit de préciser que les enquêtes menées sur la criminalité organisée et l’engagement de poursuites à l’encontre de ses membres sont extrêmement difficiles en raison de la nature de la criminalité organisée, qui est un phénomène mondial d’une grande complexité, en constante évolution et progression.

2.3. Le terrorisme

13. Le terrorisme et la criminalité organisée partagent plusieurs composantes communes et les activités des groupes qui agissent sur ces deux tableaux finissent inévitablement par se chevaucher. Les groupes terroristes financent très souvent leurs activités par le vol, le trafic de drogue ou la traite d’êtres humains. Ces activités criminelles classiques prennent parfois le pas sur les objectifs idéologiques poursuivis au départ 
			(22) 
			Voir le rapport sur
«Le traitement inhumain de personnes et le trafic illicite d’organes
humains au Kosovo» (rapporteur: M. Dick Marty (Suisse, ADLE)), Doc. 12462 de janvier 2011.. Cette transformation au fil du temps des organisations criminelles, qui abandonnent leurs motivations idéologiques au profit de considérations plus cupides, permet aussi aux enquêteurs de recruter en leur sein même des informateurs, voire des témoins désabusés par cette évolution.
14. Tout comme la criminalité organisée, certains acteurs du terrorisme moderne disposent de multiples réseaux extrêmement organisés, à forte implantation transnationale. Il est donc très difficile d’enquêter sur leurs activités terroristes ou sur les autres infractions qu’ils commettent et d’en poursuivre les auteurs.
15. Contrairement aux infractions de la criminalité organisée, les infractions terroristes sont prises en compte par un grand nombre d’instruments juridiques internationaux et régionaux 
			(23) 
			Voir, par exemple,
Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant
à bord des aéronefs, 4 décembre 1969, Convention pour la répression
d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile,
26 janvier 1973, Convention sur la prévention et la répression des
infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale,
y compris les agents diplomatiques, 20 avril 1977, Convention internationale
contre la prise d’otages, 3 juin 1983, Convention pour la répression
d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime,
1er mars 1992, Convention internationale
pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, 23 mai
2001, Convention internationale pour la répression du financement
du terrorisme, 10 avril 2002.. Le plus pertinent dans ce domaine est la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196), qui rappelle «l’obligation des Parties de prévenir de tels actes et, s’ils ne le sont pas, de les poursuivre et de s’assurer qu’ils sont punis par des peines qui tiennent compte de leur gravité» 
			(24) 
			Préambule, paragraphe
7.. Il est significatif que cette Convention prévoie un cadre global pour que les Etats membres prennent des «mesures efficaces (…) pour prévenir le terrorisme» à l’échelon national (article 3) et mettent en place une coopération internationale (article 4).
16. La convention ne définit pas expressément ce qu’est une «infraction terroriste». Elle renvoie aux définitions données par 11 grands instruments internationaux, qui énumèrent toute une série d’infractions terroristes (capture illicite d’aéronefs, actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, prise d’otages, utilisation de matières nucléaires, attentats terroristes à l’explosif, etc.) et le financement du terrorisme.
17. Le fait de comprendre que le terrorisme est, par essence, une grave infraction commise à grande échelle (qui fait souvent de nombreuses victimes), de manière systématique et par des réseaux extrêmement organisés et complexes de personnes, par-delà les frontières nationales, est cependant bien plus pertinent que la sémantique de sa définition précise. Les infractions terroristes figurent parmi les infractions pour lesquelles la prévention, les enquêtes et les poursuites s’avèrent les plus difficiles à réaliser, car elles sont insaisissables, imprévisibles et le plus souvent commises par des réseaux terroristes clandestins très structurés.

2.4. La complexité particulière de la protection des témoins dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme

2.4.1. La nature opaque des réseaux de la criminalité organisée et des réseaux terroristes

18. L’importance de la déposition des témoins dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme repose pour une bonne part sur le caractère opaque des réseaux criminels et terroristes et sur le fait que la méthodologie classique des enquêtes n’est pas adaptée à ce type d’activités criminelles. Cette question est tout particulièrement traitée par la Recommandation Rec(2005)10 du Comité des Ministres relative aux «techniques spéciales d'enquête» en relation avec des infractions graves y compris des actes de terrorisme 
			(25) 
			Adoptée par le Comité
des Ministres le 20 avril 2005, lors de la 924e réunion
des Délégués des Ministres.. En d’autres termes, le démantèlement de ces groupes impose de connaître les acteurs et leurs activités (y compris financières), ce qui s’avère difficile, puisque la plupart de ces réseaux opèrent en secret et dans l’ombre 
			(26) 
			Karen Kramer, <a href='http://www.unafei.or.jp/english/pdf/PDF_GG4_Seminar/Fourth_GGSeminar_P3-19.pdf'>«Witness
Protection as a key tool in addressing serious and organized crime»</a>, p. 4.. Comme l’a souligné le Comité des Ministres dans sa Recommandation Rec(2005)9, le risque de représailles et d’intimidation est beaucoup plus élevé pour les témoins dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme; ils sont donc particulièrement vulnérables et l’obtention d’informations et de témoignages fiables peut s’avérer extrêmement difficile. Les «collaborateurs de justice» ou les «témoins internes» (qui connaissent intimement les activités internes des groupes) sont bien souvent les mieux placés pour fournir des informations utiles, quand ils ne sont pas les seuls à pouvoir le faire. Mais dans le même temps, le nombre limité de personnes ayant accès aux informations pertinentes risque de permettre d’identifier facilement ces «traîtres».

2.4.2. L’aspect transnational

19. L’une des difficultés présentées par les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de la criminalité organisée et aux infractions terroristes réside dans leur dimension transnationale et/ou transfrontalière. Ces infractions ont souvent de vastes répercussions et leurs effets se font sentir partout dans le monde entier. Dans le cas de la criminalité organisée, par exemple, les produits illicites en provenance d’un continent peuvent faire l’objet d’un trafic sur un autre continent, pour être finalement commercialisés sur un troisième 
			(27) 
			<a href='http://www.unodc.org/unodc/en/organized-crime/witness-protection.html'>Site
web de l’ONUDC</a>.. La criminalité transnationale organisée s’insinue dans la quasi-totalité des aspects de l’existence, se répand dans les institutions étatiques, dans l’économie et dans le monde politique, entraîne des actes de corruption et entrave le développement économique et social 
			(28) 
			Ibid.. Bien qu’elles ne soient peut-être pas aussi omniprésentes que les infractions de la criminalité organisée, les infractions terroristes dépassent également les frontières nationales et sont commises, comme n’importe quelle infraction «classique» de la criminalité organisée, par des réseaux interconnectés et extrêmement structurés à l’échelon local, régional et international.
20. Il est très probable que la dimension mondiale de la criminalité organisée et du terrorisme, les liens puissants qui unissent les réseaux criminels et terroristes par-delà les frontières nationales 
			(29) 
			Ibid. et l’insuffisance de la coopération internationale sur les questions capitales de la protection des témoins puissent dissuader les témoins de faire une déposition. Il suffit de songer à des organisations criminelles aussi puissantes que certains groupes de la mafia italienne ou kosovare ou à certains mouvements terroristes liés à Al Qaïda, dont les structures multiples, diversifiées et extrêmement complexes se doublent d’une implantation transnationale, pour comprendre les réticences d’un éventuel témoin ou collaborateur de justice. Les Bonnes pratiques de l’ONUDC soulignent que si les mesures de protection des témoins existent en théorie, leur mise en œuvre est souvent insuffisante, notamment sur le plan de la coopération transfrontalière, et sur des points aussi importants que le changement d’identité et de domicile des témoins.

3. La protection des témoins et l’aide aux témoins

3.1. Champ d’application

21. Les dispositions relatives à la protection des témoins et des parties à la procédure pénale ont été établies récemment. Il est intéressant de constater que les pays qui font figure de pionnier dans l’adoption d’une législation en la matière avaient déjà élaboré des mesures de protection longtemps avant; la Belgique a par exemple procédé de la sorte en 1921 pour les infractions relatives aux stupéfiants, et l’Italie a fait ce choix dans les années 1970 
			(30) 
			Rapport du CdE sur
le terrorisme, op. cit., p.
11-12..
22. La protection des témoins peut englober un grand nombre de mesures à n’importe quel stade de la procédure judiciaire (c’est-à-dire avant, pendant et après le procès). Parmi les mesures prises au moment de l’instruction figure le placement provisoire des témoins dans des logements sécurisés ou l’injonction adressée au prévenu pour l’empêcher d’intimider les témoins; les mesures prises pendant le procès consistent à faire sortir les prévenus de la salle d’audience ou, dans des cas extrêmes, à tenir la séance à huis clos et à mettre en place des visioconférences en utilisant la technique du brouillage de la voix et/ou du visage; il arrive même que les témoins déposent de manière anonyme, sous un pseudonyme 
			(31) 
			Bonnes pratiques de
l’ONUDC, voir plus haut note 17, p. 1 et 29.. A l’issue du procès, les mesures de protection des témoins peuvent prendre la forme d’un changement d’identité ou d’une installation à une nouvelle adresse secrète, soit dans le même pays, soit à l’étranger. Compte tenu du coût financier considérable qu’elles occasionnent pour l’Etat et des bouleversements qu’elles entraînent pour le témoin et sa famille, le recours à ces mesures de protection (prises dans le cadre d’un programme secret de protection des témoins, officiellement mis en place) est cependant réservé à des situations exceptionnelles 
			(32) 
			Ibid.,
p. 1 et 29. Voir également la Recommandation Rec(2005)9 du Comité
des Ministres, paragraphe 23.. Ces circonstances exceptionnelles sont le plus souvent réunies dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, car il arrive fréquemment que la protection solide et durable des témoins soit le seul moyen de démanteler les puissants réseaux criminels transnationaux en engageant des poursuites contre les membres de son «commandement».
23. On distingue les mesures de protection procédurales et non procédurales. Les mesures de protection procédurales s’appliquent dans le cadre de la procédure pénale et ont une incidence sur ses règles (par exemple l’assistance juridique à un témoin menacé, l’admission complète ou partielle de témoins anonymes, la déformation de la voix ou des traits du visage, la conférence téléphonique ou la visioconférence, etc.) 
			(33) 
			Rapport
du CdE sur le terrorisme, op. cit.,
p. 17-18.. Elles sont habituellement décidées par le juge, appliquées d’office ou prises à la demande du procureur et/ou des fonctionnaires de police chargés de l’enquête. Les mesures de protection non procédurales peuvent se définir comme des mesures «qui n’ont aucune incidence sur les règles de la procédure pénale ni aucune influence sur les droits de la défense (gardes du corps, changement d’identité destiné à être appliqué en dehors du procès, changement ultérieur d’adresse et de profession, assistance économique et psychologique, etc.)» 
			(34) 
			Ibid., p. 23.. Selon le rapport du Conseil de l’Europe sur le terrorisme («Terrorism: Protection of Witnesses and Collaborators of Justice»), les «programmes de protection des témoins» conçus pour les témoins ou les collaborateurs de justice et leurs familles relèvent de cette catégorie. Nous examinerons plus loin ces mesures particulières.

3.2. Instruments juridiques internationaux

24. L’UNTOC comporte des dispositions relatives à la protection des témoins et des victimes (articles 24-25), ainsi que des mesures propres à renforcer la coopération des suspects et des coprévenus avec les services répressifs (article 26). L’article 24, alinéa 1, notamment, dispose que «[c]haque Etat Partie prend, dans la limite de ses moyens, des mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre des actes éventuels de représailles ou d’intimidation aux témoins qui, dans le cadre de procédures pénales, font un témoignage concernant les infractions visées par la présente Convention et, le cas échéant, à leurs parents et à d’autres personnes qui leur sont proches». Parmi ces mesures figurent, entre autres, celles qui visent à garantir la protection physique des témoins, ainsi que les dispositions applicables aux éléments de preuve qui permettent aux témoins de déposer en toute sécurité (article 24, alinéa 2). La Convention des Nations Unies contre la corruption comporte des dispositions identiques en matière de protection des témoins (voir notamment son article 32).
25. Le Conseil de l’Europe s’est employé à promouvoir la protection des témoins au sein de ses Etats membres. Des dispositions spécifiques en matière de protection des témoins ont été insérées dans la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption (STE n° 173) (article 22) et la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) (article 28). En outre, le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (STE n° 182) 
			(35) 
			Il a été ratifié par
31 Etats membres et deux Etats non membres. règle la coopération internationale en matière d'audition par vidéoconférence (article 9) et par conférence téléphonique (article 10). Pour ce qui est des mesures de protection non procédurales, son article 23 dispose que «lorsqu'une Partie fait une demande d'entraide en vertu de la Convention ou de l'un de ses Protocoles concernant un témoin qui risque d'être exposé à une intimidation ou qui a besoin de protection, les autorités compétentes de la Partie requérante et celles de la Partie requise font de leur mieux pour convenir des mesures visant la protection de la personne concernée, en conformité avec leur droit national». L’effet concret recherché de l’obligation qui découle de cet article («font de leur mieux pour convenir») reste vague 
			(36) 
			Rapport du CdE sur
le terrorisme, op. cit., p.
30..
26. Par ailleurs, le Comité des Ministres a adopté un certain nombre de recommandations: la Recommandation n° R (97)13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense, la Recommandation Rec(2001)11 concernant des principes directeurs pour la lutte contre le crime organisé 
			(37) 
			Adoptée
le 19 septembre 2001 lors de la 765e réunion
des Délégués des Ministres, paragraphes 17 et 18., qui préconise la protection des témoins à tous les niveaux de la procédure judiciaire pénale, et la Recommandation Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice, qui appelle les Etats membres à renforcer les mesures de protection des témoins, en les invitant instamment à accroître la coopération internationale dans ce domaine. Cette dernière souligne un certain nombre de mesures législatives et concrètes qu’il convient de mettre en œuvre «pour faire en sorte que les témoins et les collaborateurs de justice puissent témoigner librement et sans être soumis à aucun acte d'intimidation», comme la prise de mesures appropriées de protection des témoins, des collaborateurs de justice et de leurs proches et la sanction des actes d’intimidation, si nécessaire 
			(38) 
			Section II, paragraphes
3..
27. L’Union européenne a donné à ses Etats membres un certain nombre d’éléments d’orientation pour la protection des témoins dans les affaires de criminalité organisée 
			(39) 
			Voir plus haut la note
15, p. 5-6.. Elle a envisagé d’harmoniser le droit interne dans ce domaine, mais la Commission européenne n’a pas appuyé cette idée dans son étude d’évaluation de 2007 
			(40) 
			Document de travail
de la Commission sur la faisabilité d'un instrument législatif européen
dans le domaine de la protection des témoins et des collaborateurs
de justice, COM/2007/0693 final, 13 novembre 2007: 
			(40) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2007:0693:FIN:FR:PDF'>http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2007:0693:FIN:FR:PDF</a>.. Entre-temps, la coopération concrète entre les Etats membres a été développée grâce à l’agence européenne des services répressifs, Europol (Office européen de police), qui coordonne depuis 2000 le Réseau européen de liaison, composé des responsables des unités nationales de protection des témoins 
			(41) 
			Voir plus haut la note
15, p. 6.. En 2013, Europol a également publié son Manuel européen de la protection des témoins. Critères et principes communs 
			(42) 
			Le texte de ce manuel
est disponible auprès du Secrétariat., qui donne aux Etats des éléments d’orientation sur la manière de créer ou d’adapter leurs programmes nationaux de protection des témoins. Certaines de ces dispositions portent sur les éléments transnationaux de ces programmes.

3.3. La question envisagée sous l’angle des droits de l’homme

28. La Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention») s’attache à trouver un juste équilibre entre les droits des témoins dans la procédure pénale et les droits des accusés, garantis par l’article 6 de la Convention 
			(43) 
			Ibid.
Voir par exemple les affaires suivantes: Doorson
c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, paragraphe 70, Recueil 1996-II; Van Mechelen et autres c. Pays-Bas,
arrêt du 23 avril 1997, paragraphe 58, Recueil 1997-III; Jasper c. Royaume-Uni (Grande Chambre),
arrêt du 16 février 2000.; c’est notamment le cas de son article 6.3.d, qui prévoit que tout accusé a le droit «[d’]interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge». Le terme «témoin» a un sens autonome dans le système de la Convention, qui ne tient pas compte des catégories prévues par le droit interne 
			(44) 
			Damir Sibgatullin c. Russie, paragraphe
45; S.N. c. Suède, paragraphe
45. et englobe, entre autres, les co-accusés 
			(45) 
			Voir par exemple Trofimov c. Russie, paragraphe 37., les victimes 
			(46) 
			Vladimir Romanov c. Russie, paragraphe
97. et les experts appelés à témoigner 
			(47) 
			Doorson
c. Pays-Bas, paragraphes 81-82.. L’article 6.3.d de la Convention exige que l’accusé ait suffisamment et réellement la possibilité de contester un témoignage et d’interroger un témoin à charge, soit au moment de la déposition de ce témoin, soit à un stade ultérieur de la procédure. Toute mesure qui restreint les droits de la défense doit être absolument nécessaire; si une mesure moins restrictive suffit, il convient de l’appliquer 
			(48) 
			Van Mechelen et autres c. Pays-Bas,
paragraphe 58.. Selon la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), «la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne, et (…) il revient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles» 
			(49) 
			Doorson
c. Pays-Bas, paragraphe 67.. Le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier si les dépositions des témoins ont été jugées à bon droit comme des preuves recevables, «mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable» 
			(50) 
			Ibid.. Il importe que la situation défavorable dans laquelle se trouve l’accusé soit suffisamment contrebalancée par la procédure suivie par les autorités judiciaires 
			(51) 
			Ibid., paragraphe 72, et Jasper c. Royaume-Uni, paragraphe
52..
29. La Cour a examiné de nombreuses affaires portant sur les dépositions de témoins anonymes et elle n’écarte pas le fait qu’on puisse les juger fiables 
			(52) 
			Voir
par exemple Doorson c. Pays-Bas,
paragraphe 69.. Toutefois, il convient de ne pas empêcher le requérant (l’accusé) de vérifier la fiabilité de ces témoins. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Birutis et autres c. Lituanie 
			(53) 
			Birutis
et autres c. Lituanie, Requêtes nos 47698/99
et 48115/99, arrêt du 28 mars 2002, paragraphe 32., où elle a conclu à la violation de l’article 6, paragraphes 1 et 3.d, aucune condamnation ne saurait reposer exclusivement ou de manière décisive sur des dépositions anonymes.
30. Bien que la Cour n’exige pas expressément qu’il soit tenu compte des intérêts des témoins, victimes comprises, leur vie, leur liberté, leur sécurité ou d’autres intérêts relevant du champ d’application de l’article 8 (protection de la vie privée et familiale) peuvent entrer en jeu. Comme ces droits ou intérêts sont protégés par d’autres dispositions matérielles de la Convention que l’article 6, il importe que les Etats «organisent leur procédure pénale de manière à ce que ces intérêts ne soient pas mis en péril de façon injustifiée» 
			(54) 
			Ibid.,
paragraphe 70.. C’est la raison pour laquelle, par exemple dans l’affaire R.R. et autres c. Hongrie, qui concernait la radiation du régime de protection des témoins de cinq requérants (un homme accusé d’être membre de la mafia serbe du trafic de drogue, sa femme et leurs trois enfants), en raison du non-respect de ses conditions par le «collaborateur de justice», la Cour a conclu à la violation de l’article 2 de la Convention (droit à la vie). Elle a estimé que les quatre requérants – la femme du requérant et leurs trois enfants mineurs – couraient le risque prévisible de perdre la vie dans le cadre de représailles perpétrées par les milieux criminels et que les autorités n’avaient rien fait pour lutter contre ce risque et l’écarter; la mise en place d’un numéro téléphonique d’urgence et la visite occasionnelle de fonctionnaires de police ne constituaient pas des mesures satisfaisantes à cet égard. Il est intéressant de constater que la Cour a également considéré que, pour satisfaire à ses obligations nées de l’article 46 de la Convention en matière d’exécution des arrêts de la Cour (les «mesures individuelles»), l’Etat devait garantir aux quatre requérants une protection suffisante, y compris par l’octroi d’une identité de couverture satisfaisante, le cas échéant. L’arrêt est à présent en attente d’exécution devant le Comité des Ministres: lors de sa 1 179e réunion DH en septembre 2013 et de sa 1 208e réunion DH en septembre 2014, le Comité des Ministres a estimé que les informations communiquées jusqu’ici par les autorités hongroises étaient insuffisantes pour lui permettre de conclure qu’une protection satisfaisante avait été accordée aux requérants 
			(55) 
			Voir <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/reports/pendingcases_FR.asp?CaseTitleOrNumber=R.R.&StateCode=&SectionCode='>l'état
d'exécution</a> de l'affaire en question. .

4. Les programmes de protection des témoins

31. Les premiers programmes de protection des témoins (PPT) ont été mis en place aux Etats-Unis dans les années 70, dans le cadre de la lutte contre les groupes de la mafia italo-américaine; ils ont ensuite servi de modèle à d’autres pays. L’exfiltration secrète et permanente des témoins et de leurs familles, qui est souvent associée à un changement d’identité, en est le principal élément 
			(56) 
			Voir plus
haut note 15, p. 3.. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime définit le programme de protection des témoins comme un «programme secret officiel qui prévoit, dans le cadre de critères rigoureux, la réinstallation et le changement d’identité de témoins menacés par un groupe criminel du fait de leur coopération avec les autorités» 
			(57) 
			Bonnes pratiques de
l’ONUDC, op. cit., p. 5..
32. La Recommandation Rec(2005)9 du Comité des Ministres définit quant à elle le «programme de protection» comme un «ensemble, standard ou individualisé, de mesures de protection individuelles, définies par exemple dans un accord signé par les autorités responsables et le témoin ou collaborateur de justice protégé». Le rapport «Terrorisme: protection des témoins et des collaborateurs de justice» précise que la mise en œuvre d’un programme de protection peut être régie, soit par un contrat (cette solution est moins fréquente; la personne protégée peut, sur la base de ce contrat, faire des observations et déposer un recours auprès d’un juge ou d’une autre autorité si elle estime que ses droits n’ont pas été respectés), soit un mémorandum d’accord (un code de conduite qui ne confère aucun droit directement opposable).
33. La Recommandation Rec(2005)9 donne un certain nombre d’indications sur l’adoption et la mise en œuvre des mesures et des programmes de protection (voir ses paragraphes 10 à 28). Son paragraphe 11 indique expressément que «les infractions liées au terrorisme ne devraient jamais être exclues des infractions pour lesquelles des mesures/programmes spécifiques de protection des témoins sont prévus». Les paragraphes 12 et 13 précisent les principaux critères qu’il convient de prendre en compte pour décider de prendre de telles mesures: l’implication de la personne à protéger dans l'enquête et/ou dans l'affaire; l’importance de la contribution; l’existence d'une intimidation sérieuse; l’accord de la personne concernée et son aptitude à faire l'objet de mesures ou de programmes de protection; ainsi que l’existence d’autres éléments de preuve. La proportionnalité entre la nature des mesures de protection à adopter et la gravité des manœuvres d'intimidation auxquelles est exposé le témoin ou collaborateur de justice devrait être assurée (paragraphe 14). Bien qu’il soit souhaitable que les témoins innocents ou les collaborateurs de justice exposés au même genre d'intimidation puissent bénéficier d'une protection similaire, toute mesure de protection qui les concerne devrait tenir compte des caractéristiques spécifiques de l'affaire et des besoins individuels de la (des) personne(s) à protéger (paragraphe 15).
34. Le paragraphe 22 de la recommandation précise que «le cas échéant, des programmes de protection des témoins devraient être mis en place et à la disposition des témoins et des collaborateurs de justice qui ont besoin de protection. Le but principal de ces programmes devrait être de sauvegarder la vie et d'assurer la sécurité personnelle des témoins ou collaborateurs de justice et de leurs proches, de façon notamment à leur fournir une protection physique et un soutien psychologique, social et financier appropriés».
35. S’agissant des programmes de protection qui bouleversent la vie privée des personnes protégées (par exemple par une réinstallation et un changement d’identité), le paragraphe 23 de la recommandation indique qu’ils devraient être appliqués aux témoins et aux collaborateurs de justice qui ont besoin d'une protection s'étendant au-delà de la durée des procès au cours desquels ils doivent témoigner. Ces programmes, qui peuvent être limités dans le temps ou s'appliquer à vie, ne devraient être adoptés que si aucune autre mesure ne peut être considérée comme suffisante pour protéger le témoin ou le collaborateur de justice ainsi que ses proches. La mise en place de ces programmes exige le consentement éclairé de la personne protégée et un cadre juridique adéquat (paragraphe 24).
36. La recommandation traite également de quelques critères applicables aux agents chargés de la mise en œuvre des mesures de protection (paragraphe 28): il importe qu’ils bénéficient d'une autonomie opérationnelle et ne prennent part ni à l'enquête ni à l'instruction de l'affaire dans laquelle le témoin ou le collaborateur de justice doit déposer. D’une part, il est vivement recommandé de prévoir, dans l’organisation des services, une séparation entre ces fonctions; d’autre part, un niveau adéquat de coopération et de contact avec et entre les services répressifs devrait être assuré en vue d'adopter et de mettre en œuvre efficacement les mesures de protection.
37. Le «Livre blanc sur le crime organisé transnational», publié récemment par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) 
			(58) 
			Document
CDPC(2014)11. (ci-après «le Livre blanc»), traite en détail de la mise en œuvre des programmes de protection des témoins, de la collaboration des co-accusés et des mesures d’incitation à la coopération. De manière générale, ce document conclut que les structures judiciaires en place sont suffisantes, mais que leur mise en œuvre pose problème. Il déplore toutefois l’absence d’études et de statistiques actualisées sur les chiffres exacts du nombre de condamnations prononcées sur la base de dépositions de témoins protégés.
38. Le Livre blanc souligne la nécessité de séparer les services de protection des témoins des unités chargées de l’enquête et des poursuites; il met en avant les trois caractéristiques que devrait présenter un service de protection des témoins: coopérer avec les services répressifs; opérer indépendamment des autres composantes de la structure de manière à assurer la confidentialité du témoin; et être indépendant des services chargés de l’enquête et des poursuites. Il souligne également que la personne protégée doit consentir de son plein gré à ces mesures et observe que les contrats de protection n’ouvrent aucun droit reconnu par la loi et que parfois, pour des raisons de sécurité, les bénéficiaires ne reçoivent pas même un exemplaire du contrat. La durée minimale de la participation d’un témoin à un programme de protection est de deux ans et sa durée moyenne de trois à cinq ans. Le Livre blanc juge également indispensable de reconnaître, dans certaines situations, la qualité de preuve aux dépositions faites avant le procès, afin de protéger le témoin sans entraver le fonctionnement de la justice 
			(59) 
			Voir également le paragraphe
9 de la Recommandation n° R (1997) 13 du Comité des Ministres et
le paragraphe 17 de la Recommandation Rec(2005)9) du Comité des
Ministres..
39. Le Livre blanc se penche également sur les mesures visant à inciter les co-accusés à coopérer dans les procédures pénales. Pour cette catégorie de personnes, l’offre de protection contre les actes de représailles et d’intimidation ne présente, bien souvent, pas un caractère suffisamment incitatif. D’autres «avantages» pourraient s’avérer plus convaincants, comme l’allégement de la peine, la signature d’un accord ou l’octroi d’une immunité de poursuites. L’UNTOC encourage ses Etats parties à envisager de prévoir la possibilité d’alléger la peine dont est passible un co-accusé qui coopère à l’enquête ou aux poursuites («dans les cas appropriés») ou d’accorder une immunité de poursuites («conformément aux principes fondamentaux de son droit interne») à «une personne qui coopère de manière substantielle à l’enquête ou aux poursuites» (voir l’article 26, alinéas 2 et 3).
40. Les auteurs du Livre blanc soulignent à juste titre que le code pénal de la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe prévoit des dispositions générales en matière d’allégement de peine. En général, l’allégement d’une peine est laissé à l’appréciation du juge et dépend non seulement du niveau de coopération du co-accusé, mais également de la gravité de l’infraction et de la culpabilité de l’accusé. Toutefois, ces dispositions générales ne sont pas toujours adaptées aux affaires de criminalité organisée transnationale et seuls quelques Etats membres possèdent des dispositions particulières relatives aux transactions pénales ou aux accords de coopération préjudiciaire (par exemple l’Azerbaïdjan, l’Estonie, la Suisse et le Royaume-Uni). S’agissant de l’immunité de poursuites, le Livre blanc fait remarquer que plusieurs Etats membres ne prévoient pas cette possibilité en cas d’infraction de la criminalité organisée (par exemple la Bulgarie, la Finlande ou la Suisse), bien que les instruments internationaux pertinents préconisent cette solution.
41. Comme cela a été souligné par l’un de nos experts, M. Bauer, au cours de l’audition organisée en mai 2014 à Helsinki, les programmes de protection des témoins sont devenus un outil important de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en Europe depuis les années 1990, lorsque l’Allemagne a mis en place un tel programme. Depuis cette date, ils sont devenus un outil communément admis dans les 28 Etats membres de l’Union européenne, même s’il est encore possible de les améliorer dans certains pays. Comme l’a fait remarquer M. Debije, la première unité de protection des témoins aux Pays-Bas a été créée en 1995 et traite aujourd’hui plus de 400 programmes de protection. Au fil du temps, lorsque la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme s’est intensifiée, la nature des témoins protégés a évolué et le nombre des auteurs d’infractions protégés dans le cadre de ces programmes a augmenté. Tout en coopérant avec la police, les collaborateurs de justice ont souvent tendance à manipuler les agents, ce qui a entraîné ces dernières années une refonte des programmes de protection, qui comportent désormais une dimension psychosociale. Aussi l’unité néerlandaise de protection des témoins privilégie-t-elle la formation de ses agents aux aspects psychologiques de la protection des témoins et soutient-elle la recherche dans ce domaine. Une étude réalisée aux Pays-Bas a notamment révélé que près de 80 % des témoins (au sens large) avaient été condamnés pour avoir commis au moins une infraction; des troubles de la personnalité à caractère antisocial ont été diagnostiqués chez environ 30 % des témoins et près de 60 % de l’ensemble de la population concernée par les programmes (c’est-à-dire les témoins et leurs familles) présentent des signes de problèmes psychologiques et de troubles de la personnalité. Cette étude a également proposé un nouveau modèle psychosocial de protection des témoins, qui montre les liens qui existent entre les caractéristiques individuelles des témoins, les causes de leur stress, les stratégies qu’ils développent pour faire face à la situation et leur comportement ultérieur. Ce modèle établit une distinction entre les témoins qui sont «poussés» à agir et ceux qui sont «attirés» par les avantages que présentent les programmes de protection. Les premiers sont poussés à accepter un programme de protection car il leur faut choisir entre coopérer avec les autorités ou être assassinés ou gravement blessés; les seconds ont un choix plus large et considèrent le programme de protection des témoins comme une simple transaction avec les autorités. Ils s’adaptent rapidement à cette nouvelle situation et ont plus de difficultés à se conformer à des règles et des procédures strictes. Les programmes de protection des témoins auxquels participent des témoins «attirés» par une coopération devraient être les plus brefs possible, car ces témoins sont sources de conflits. M. Debije souligne également qu’il appartient aussi bien à l’unité de protection des témoins qu’aux autres parties prenantes de gérer les témoins «attirés» par ces programmes, car ceux-ci sont capables de manipuler leur entourage.
42. M. Ihasz met en avant le fait que la plupart des témoins concernés par les PPT «ont déjà trahi», qu’ils sont souvent au chômage, n’ont aucun revenu légal, ont des rapports imprécis avec la justice et manifestent parfois un comportement antisocial. Il arrive qu’ils aient des exigences excessives vis-à-vis des autorités, qui pourtant font d’énormes efforts pour les réinsérer dans la société. Lorsqu’un témoin ne coopère pas, les autorités sont autorisées à mettre fin au programme. Toutefois, ceci soulève une nouvelle question, comme l’a montré l’arrêt R.R. et autres c. Hongrie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme: dans quelle mesure le fait d’exclure un témoin d’un PPT parce qu’il ne coopère pas est-il conforme au droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme? Vu l’augmentation du nombre de PPT et des cas d’exclusion de ces programmes, les instances compétentes devront bientôt répondre à cette nouvelle question.

5. La pratique actuelle dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

5.1. Le questionnaire

43. Afin d’obtenir des informations supplémentaires sur les cadres de protection des témoins adoptés par les Etats membres, tout particulièrement dans les domaines de la criminalité organisée et du terrorisme, et sur les défis que représente la mise en œuvre de ces cadres, un questionnaire a été adressé en mars 2014 aux délégations parlementaires des Etats membres, par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (ECPRD). Trente-trois Etats membres ont répondu à ce questionnaire: Albanie, Allemagne, Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, République de Moldova, Roumanie, Fédération de Russie, Serbie, République Slovaque, Slovénie, Suède et République tchèque. Le Danemark a informé le Secrétariat que, pour des raisons diverses, il ne répondrait pas. En outre, deux Etats observateurs, le Canada et Israël, ont fourni des informations sur leurs mécanismes de protection des témoins. Les réponses reçues sont résumées ci-dessous.

5.2. Réponses des Etats membres

5.2.1. Le cadre juridique de votre pays prévoit-il spécifiquement la protection des témoins dans le domaine de la criminalité organisée et du terrorisme? Si tel est le cas, en quoi cette protection diffère-t-elle, le cas échéant, de celle qui est prévue pour les autres affaires pénales?

44. La majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas de dispositions particulières pour la protection des témoins en matière de terrorisme ou de criminalité organisée (Albanie, Allemagne, Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Irlande, Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Fédération de Russie, Serbie, Slovénie, Suède et République tchèque). Dans la plupart de ces pays, les mesures de protection des témoins sont régies par le Code de procédure pénale et par une législation particulière sur la protection des témoins (un projet de loi en la matière est en préparation en Finlande). Plusieurs pays affirment avoir établi ou être en mesure d’établir des programmes de protection des témoins sur le fondement d’une législation spécifique à la protection des témoins (Allemagne, Belgique, Croatie, France, Géorgie, Hongrie, République de Moldova, Monténégro, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Suède et République tchèque) ou de la pratique des services de police (Autriche, Irlande, Lituanie et Norvège). En Islande, aucune disposition légale ne règle la protection des témoins.
45. Bien que de nombreux Etats membres ne prévoient pas expressément une protection distincte des témoins dans les affaires de criminalité organisée ou de terrorisme, le fonctionnement du cadre national peut aboutir à l’octroi de cette protection. Dans certains Etats membres, des cadres spécifiques sont prévus pour les victimes et les témoins de la traite des êtres humains, qui peuvent être pertinents pour le domaine de la criminalité organisée. Mais il arrive que ces dispositions ne soient pas différentes de celles qui sont applicables aux autres témoins (Géorgie). Toutefois, en France, un titre de séjour de 30 jours, qui peut être renouvelé ou annulé, est automatiquement octroyé aux victimes de la traite des êtres humains. De plus, la protection accordée aux victimes du terrorisme, comme en République de Moldova, ou aux «témoins protégés», comme aux Pays-Bas, présente une pertinence concrète pour les témoins des activités terroristes.
46. En Italie, la Loi 82 de 1981 comporte une législation-cadre sur la protection des témoins et des collaborateurs de justice dans les affaires de criminalité organisée et de terrorisme; elle prévoit tout un éventail de mesures de protection des témoins. En Croatie, la Loi relative à la protection des témoins désigne la «criminalité organisée» comme l’une des quatre catégories d’infractions auxquelles la protection des témoins est applicable; les autres catégories sont les infractions «qui portent atteinte à la République de Croatie», celles qui «portent atteinte aux valeurs protégées par le droit international» et celles qui sont passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus; mais la loi ne fait aucune distinction entre ces quatre catégories d’infractions pour l’application des mesures de protection. En Grèce et en République Slovaque, une protection spéciale est accordée aux personnes liées au terrorisme et à la criminalité organisée. En Grèce, le système accorde aux intéressés à la fois une protection procédurale durant la procédure pénale et une protection policière particulière en dehors de la procédure. Les mesures adoptées sont proportionnelles à la menace qui pèse sur chaque témoin. Les autres témoins ne peuvent pas, en principe, bénéficier d’une protection en dehors de la procédure, mais la protection au cours de la procédure est accordée à tous les témoins, quelle que soit l’infraction commise. En République slovaque, la loi relative à la protection des témoins est applicable aux personnes en danger qui ont été témoins, soit de crimes passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, soit de crimes liés à la criminalité organisée ou au terrorisme. La protection, y compris la protection physique par les forces de police et l’éventuel changement d’identité, est identique quelle que soit la catégorie dont relève le témoin. Tout témoin en danger peut bénéficier des mesures de protections supplémentaires prévues par le Code de procédure pénale, notamment la non-divulgation de son identité et la notification des faits et gestes du prévenu, quelle que soit l’infraction commise.

5.2.2. Quels sont les principaux défis – juridiques et/ou logistiques – de la mise en œuvre des mesures de protection des témoins?

47. La question du juste équilibre entre les droits de la défense et les droits du témoin lorsque l’anonymat a été accordé à ce dernier a été soulevée par un certain nombre d’Etats (la France et la République tchèque); en Allemagne, elle se pose en particulier au regard de l’article 6.3.d de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit de l’accusé à être confronté à un témoin. Dans la majorité des Etats membres, des garanties sont prévues pour parvenir à ce juste équilibre. Parmi ces mesures figurent les dispositions qui imposent de corroborer les témoignages anonymes (France, Hongrie et Portugal), la faculté de contester l’octroi de l’anonymat (France et République tchèque) et les dispositions qui garantissent à la défense la possibilité d’interroger le témoin (France, Pologne et République tchèque).
48. L’Autriche considère la nécessité de ne pas victimiser à nouveau certains témoins comme un problème logistique. Par ailleurs, la Slovénie a mis en avant la nécessité de disposer de systèmes adéquats distincts pour les témoins et collaborateurs de justice innocents. Le Monténégro a évoqué la difficulté à définir la notion de «proches». Les Pays-Bas ont souligné que la législation devait préciser davantage la teneur des accords conclus avec les témoins et la durée de la protection.
49. De nombreux pays ont évoqué les difficultés psychologiques et socio-économiques rencontrées par les témoins, comme le fait d’être séparés de leurs familles et au chômage (Croatie, Italie, Norvège, Pays-Bas et Slovénie) ou l’absence de motivation, à laquelle s’ajoute le manque de confiance dans les autorités et leurs mesures de confidentialité (Serbie et République Slovaque). Les médias irlandais ont fait état de certains témoins qui préfèrent purger une peine d’emprisonnement au fait d’être exfiltrés vers un autre pays.
50. Parmi les problèmes logistiques soulevés figurent la mise en place d’institutions (Monténégro et Slovénie) et un manque de financement et/ou de ressources humaines (Croatie, Pologne et Serbie). Les autres problèmes logistiques sont liés à la dimension réduite du territoire des Etats membres. La Croatie, l’Estonie et la Slovénie jugent indispensable de renforcer la coopération internationale pour que le système de protection et d’exfiltration des témoins fonctionne efficacement. La réinstallation efficace des témoins est en effet difficile dans la pratique sur un territoire aussi petit.
51. Enfin, pour les Pays-Bas et la Slovénie, la place importante des médias sociaux rend plus difficile la mise en œuvre des programmes de protection des témoins lorsqu’il s’agit de donner aux intéressés une nouvelle identité.

5.2.3. Votre pays a-t-il abordé par le passé ou aborde-t-il actuellement les questions relatives à la protection des témoins à l’échelon transnational? Si tel est le cas, quels sont/ont été les principaux enjeux de la mise en œuvre des mesures de protection des témoins?

52. Il existe un certain nombre d’instruments pertinents pour la protection transnationale des témoins, qui sont applicables à diverses régions géographiques. La Convention de coopération policière pour l’Europe du sud-est (Police Cooperation Convention for South-East Europe) vise à renforcer la coopération dans le domaine de l’échange des personnes qui font l’objet de programmes de protection des témoins. Les pays concernés (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Hongrie, République de Moldova, Roumanie, Serbie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine») échangent également des informations pertinentes pour la poursuite des programmes de protection des témoins au sein des Etats contractants. Par ailleurs, les Etats contractants s’engagent à créer des unités centrales nationales qui se concentrent sur les éléments internationaux des programmes nationaux de protection des témoins. Aucune observation n’a été faite sur l’efficacité de cet instrument ni sur les éventuelles difficultés rencontrées à l’occasion de sa mise en œuvre.
53. L’accord de coopération dans le domaine de la protection des témoins de 2012 (The Agreement on the cooperation in the area of witness protection (2012)) produit des effets similaires à ceux de l’instrument susmentionné. L’Autriche, la Croatie, l’Estonie (qui y a adhéré en 2013), la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la République tchèque ont convenu de renforcer leur coopération en la matière et de fournir des informations en complément de ces programmes, tout en améliorant la formation du personnel compétent. Les Etats contractants ont décidé de mettre en place des points de contacts nationaux destinés à gérer le programme national de protection des témoins. La Pologne a souligné que tout cadre international devrait comporter des organes de ce type, qui visent à coopérer en mettant des informations en commun, une formation et les moyens de faciliter les demandes directes de protection adressées par les autres parties contractantes.
54. Le système national norvégien adhère aux orientations données par Europol sur l’établissement ou l’adaptation des programmes nationaux de protection des témoins. Par ailleurs, la Croatie fait partie du réseau de protection des témoins d’Europol, qui organise régulièrement des conférences et partage des informations, en vue d’harmoniser encore les processus et les procédures associés aux programmes transnationaux de protection des témoins. Aucune difficulté particulière n’a été signalée à propos des orientations ou du réseau d’Europol.
55. La forme de coopération transnationale la plus répandue concerne les mémorandums d’accord convenus entre les Etats pour les cas et les demandes spécifiques d’assistance en matière de protection des témoins. L’Irlande a souligné à ce propos le problème que pose l’exfiltration d’un témoin vers un Etat dont la langue est différente.
56. Dans l’ensemble, la principale difficulté liée à la protection des témoins à l’échelon transnational est celle des différences de systèmes et de normes utilisés par les Etats membres. La Croatie, le Monténégro et la Pologne ont indiqué que ces éléments devaient être davantage harmonisés et que la coopération institutionnelle et judiciaire devait être renforcée.

6. Le renforcement des mesures de protection des témoins en Europe

6.1. Renforcement de la coopération internationale concernant les mesures de protection des témoins comme élément clé dans la lutte contre le crime organisé et le terrorisme

57. Malgré une amélioration dans ce domaine au cours de ces dernières années, il est primordial, pour pouvoir améliorer la coopération internationale entre les Etats, de prendre conscience du fait que la criminalité organisée et le terrorisme ne peuvent faire l’objet d’enquêtes et de poursuites exclusivement nationales 
			(60) 
			Rapport du CdE sur
le terrorisme, op. cit., p.
10.. Sans cette coopération, l’exfiltration efficace des témoins, surtout lorsqu’ils proviennent de petits Etats, sera difficile à réaliser.
58. L’UNTOC et ses protocoles invitent les Etats à mettre en œuvre des mesures efficaces de protection des témoins et à renforcer la coopération internationale dans ce domaine. L’article 24, alinéa 1, de la convention prévoit que les Etats Parties envisagent de conclure des accords ou des arrangements avec d’autres Etats pour l’exfiltration des témoins. S’agissant des collaborateurs de justice, les Etats Parties «peuvent envisager de conclure des accords ou arrangements, conformément à leur droit interne,» sur l’allégement des peines et/ou l’octroi d’une immunité de poursuites (article 26, alinéa 5). La Convention des Nations Unies contre la corruption comporte une disposition similaire à celle de l’article 24, alinéa 1, de l’UNTOC (article 32, alinéa 3).
59. Cet élément essentiel a été souligné par la Recommandation Rec(2005)9 du Comité des Ministres, qui réaffirme la nécessité d’adopter «une approche commune des questions internationales relatives à la protection des témoins et des collaborateurs de justice», notamment pour garantir un échange d’informations suffisant entre les autorités compétentes. Le Comité des Ministres fixe à cette fin un certain nombre d’objectifs concrets, comme: la fourniture d’une assistance pour l’exfiltration à l’étranger et la protection des témoins en situation de risque, des collaborateurs de justice et de leurs proches; le fait de faciliter et d’améliorer l'utilisation de moyens modernes de télécommunication, comme la vidéoconférence; la coopération et la mise en commun des meilleures pratiques entre les réseaux existants d’experts nationaux; et la coopération avec les juridictions pénales internationales. Cette recommandation souligne également que des mesures de promotion de la coopération internationale devraient être adoptées et mises en œuvre «afin de faciliter l'audition des témoins et des collaborateurs de justice protégés, et d'assurer la mise en œuvre de programmes de protection de part et d'autre des frontières», par exemple des mesures d’assistance visant à transférer à l'étranger les témoins, les collaborateurs de justice et leurs proches, et à assurer leur protection.
60. Le Livre blanc et le rapport du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux 
			(61) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2013-0307+0+DOC+XML+V0//FR'>Rapport
du 26 septembre 2013</a>. Il promeut l'idée de la mise en place de «règles homogènes
en matière de protection des témoins, des informateurs et des collaborateurs
de justice au niveau européen» (paragraphe 125, xviii). ont récemment réaffirmé la nécessité d’une approche paneuropéenne des mesures de protection des témoins, en dépit des différences que présentent les structures organisationnelles actuelles. Les experts du Conseil de l’Europe ont fait de même, en rappelant qu’Europol travaille en ce moment à l’harmonisation des procédures et des programmes dans ce domaine et coopère avec certains Etats non membres de l’Union européenne, notamment la Fédération de Russie et la Turquie.

6.2. Vers un nouvel instrument juridique?

61. D’après le rapport «Terrorisme: la protection des témoins et des collaborateurs de justice», le cadre juridique international de la protection des témoins présente plusieurs lacunes. Ni le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, ni l’UNTOC ne règle la coopération internationale en matière de protection des collaborateurs de justice et des proches des témoins et collaborateurs de justice qui se trouvent dans une situation à risque. Aucun instrument contraignant ne prévoit expressément de coopération concernant les questions suivantes:
  • l’adoption et la mise en œuvre de mesures de protection procédurales autres que les auditions par visioconférence ou conférence téléphonique dans un autre pays;
  • l’adoption et la mise en œuvre de mesures de protection non procédurales autres que l’exfiltration dans un autre pays;
  • les frais occasionnés par la mise en œuvre des mesures de protection procédurales et non procédurales (autres que les auditions par visioconférence ou conférence téléphonique et l’exfiltration vers un autre pays) adoptées et/ou mises en œuvre dans un autre pays 
			(62) 
			Rapport du
CdE sur le terrorisme, op. cit.,
p. 31-32..
62. Comme le rappelle le rapport susmentionné, le rapport final du Comité d'experts sur la protection des témoins et des repentis en relation avec les actes de terrorisme (PC-PW) de 2003 
			(63) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dlapil/codexter/Source/PCPW_2003_19_3rd_Meeting_Report_FR.pdf'>PC-PW
(2003)17</a> proposait la création d’un fonds destiné à couvrir l’ensemble des dépenses occasionnées par l’exfiltration et les autres mesures de protection, ainsi qu’à la formation du personnel. Ce fonds pouvait être financé en partie par les produits du crime et les actifs saisis chez les auteurs d’infractions; il aiderait les pays les moins riches à faire face aux dépenses occasionnées par l’exfiltration et la protection des témoins ou des collaborateurs de justice et de leurs proches.
63. Dans sa Recommandation 1952 (2011) sur la protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans, l’Assemblée appelait le Comité des Ministres à «charger le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) d’entreprendre une étude de faisabilité pour déterminer si la protection et l’assistance aux témoins pourraient faire l’objet d’une future convention du Conseil de l’Europe». Le Comité des Ministres n’a cependant pas vu d’intérêt à réaliser une telle étude de faisabilité et a estimé que «les améliorations nécessaires concern[ai]ent l’étape de la mise en œuvre» 
			(64) 
			Réponse
adoptée par le Comité des Ministres le 28 septembre 2011 lors de
la 1 122e réunion des Délégués des Ministres, Doc. 12734, paragraphe 4. .
64. Le Livre blanc propose plusieurs mesures à prendre pour renforcer la protection des témoins dans les affaires de criminalité transnationale organisée. Il indique que le Conseil de l’Europe devrait analyser les approches différentes de la protection des témoins dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et tenter de «comprendre pourquoi les programmes de protection des témoins ne s’avèrent pas aussi efficaces qu’ils le devraient dans le domaine du crime organisé transnational». L’étude réalisée cet effet devrait comporter un certain nombre de points, comme l’évaluation de la mise en œuvre de la Recommandation Rec(2005)9, la nécessité de créer un régime juridique distinct pour la protection des témoins et la protection des collaborateurs de justice, les droits des témoins dans les programmes de protection des témoins, les questions institutionnelles, etc. Quant aux mesures d’incitation à la coopération des co-accusés avec les autorités répressives, le Livre blanc invite le Conseil de l’Europe à mener une étude plus approfondie sur la question, en se penchant sur les diverses formes de transaction pénale et sur les accords internationaux qui prévoient l’application de ces mesures, ainsi qu’à adopter une recommandation ou un instrument juridique contraignant pour promouvoir l’harmonisation des mesures dans ce domaine.

7. Conclusions

65. Compte tenu de la gravité des crimes du terrorisme et de la criminalité organisée, qui ont des conséquences profondes sur les témoins, et de la complexité des enquêtes ouvertes à leur sujet et des poursuites engagées à l’encontre de leurs auteurs, qui est due à leur opacité et à leur portée transnationale, il est indispensable de disposer de mesures de protection des témoins solides, fiables et durables. De fait, ces mesures sont un outil incontournable de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en Europe. La nature de ces infractions transnationales impose l’existence de mesures coordonnées et cohérentes entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, seul moyen d’assurer leur efficacité. Même si «[l]’expérience a montré qu’en matière de protection des témoins il n’existe pas de solution facile» 
			(65) 
			Bonnes pratiques de
l’ONUDC, op. cit., p. iii. , le fait de comprendre la dynamique de la criminalité organisée et du terrorisme, ainsi que le rôle crucial joué dans ce domaine par les dépositions des témoins, représente une première avancée solide vers la formulation d’une solution adéquate, tant à l’échelon national que dans le cadre d’une action multilatérale coordonnée des Etats membres du Conseil de l’Europe.
66. La législation nationale doit être constamment améliorée pour assurer la protection et l’aide nécessaire au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, comme le souligne la Résolution 1784 (2011) de l’Assemblée. Si la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe disposent de mesures élémentaires de protection des témoins 
			(66) 
			Rapport
du CdE sur le terrorisme, op. cit.,
p. 10., celles-ci varient considérablement d’un pays à l’autre 
			(67) 
			Résolution 1784 (2011) de l’Assemblée, paragraphe 12. et certaines d’entre elles demeurent insuffisantes, en raison de la défiance de la population (l’infiltration des organes de l’Etat par la criminalité organisée étant notoire dans certains pays) ou du caractère inadapté du cadre juridique, du financement, des capacités logistiques ou de la coordination et de la coopération entre les acteurs concernés 
			(68) 
			Ibid., paragraphe 12..
67. Les mesures de lutte contre la criminalité organisée internationale utilisées aujourd’hui diffèrent de celles qui étaient employées dans les années 1980, du fait des processus de mondialisation et d’informatisation. Pour parvenir à démanteler les organisations criminelles, y compris les organisations transnationales, l’emploi des mesures procédurales et non procédurales classiques ne suffit plus. Il est indispensable de recourir à de nouvelles méthodes pour garantir la protection des témoins et leur assurer une aide, comme les régimes de protection des témoins fondés sur les conclusions des recherches les plus récentes réalisées dans le domaine de la psychologie et de la criminologie. Ces régimes prévoiront plus souvent la participation des suspects ou des coprévenus, car sans leur connaissance «de l’intérieur» des groupes terroristes ou des autres groupes de la criminalité organisée, l’infiltration de ces derniers serait le plus souvent impossible. Afin de les encourager à se présenter et à coopérer avec les services répressifs et la justice, des mesures adéquates de protection des témoins s’avèrent indispensables à toutes les étapes de la procédure judiciaire (procédurales et non procédurales) et au-delà. Il convient néanmoins de prendre des mesures incitatives conformes au droit interne, comme l’allégement des peines ou l’octroi d’une immunité de poursuites.
68. Compte tenu du caractère transnational de nombreuses organisations criminelles, l’exfiltration des témoins/collaborateurs de justice revêt une importance capitale et devrait pouvoir intervenir à bref délai. Malgré l’existence d’un cadre juridique international général en la matière, certaines normes doivent encore être établies, surtout si l’on considère les difficultés rencontrées par les petits Etats membres.
69. Tout programme de protection des témoins devrait reposer sur une coopération entre l’unité de protection des témoins et la personne en danger/protégée, qui devrait toujours adhérer au programme volontairement. Comme ce genre de programmes a une incidence considérable sur la vie privée de la personne protégée et de ses proches, cette mesure devrait être prise en dernier ressort. Il importe cependant que les régimes de protection des témoins s’appliquent systématiquement à respecter le droit à un procès équitable et les droits de la défense, garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient également que l’unité/le service de protection des témoins coopère avec les services répressifs et soit indépendant des services chargés des enquêtes et des poursuites.
70. L’efficacité des programmes de protection des témoins dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme exige indéniablement davantage de ressources, qui peuvent être difficiles à obtenir en temps de crise financière et économique. Elle requiert également une plus grande collaboration internationale dans la gestion de ces régimes, y compris dans le cadre des accords multilatéraux en vigueur. Europol, qui a acquis une expérience approfondie dans ce domaine, pourrait être d’une grande utilité en dispensant ses conseils et en facilitant la coopération internationale à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace de l’Union européenne.
71. Comme le précise le Livre blanc, il semble que les instruments juridiques internationaux dans le domaine de la protection des témoins soient suffisants à l’heure actuelle et que le principal problème soit celui de leur mise en œuvre. Mais, si l’on considère que les régimes de protection des témoins représentent une mesure relativement récente, il serait peut-être utile de réaliser davantage d’études (sur la base des statistiques des condamnations) sur leur mise en œuvre à l’échelon européen et de réfléchir à la possibilité d’élaborer un cadre juridique international plus complet, qui traiterait tout spécialement de ces mesures. Le Conseil de l’Europe, qui a fait une promotion active de la protection des témoins et des collaborateurs de justice et de l’aide qu’il convient de leur accorder, pourrait jouer un rôle majeur en réalisant cette étude d’expertise et proposer, si besoin était, de nouveaux instruments juridiques.