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Rapport | Doc. 13764 | 21 avril 2015

La tragédie humaine en Méditerranée: une action immédiate est nécessaire

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Thierry MARIANI, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 4117 du 20 avril 2015 (débat selon la procédure d’urgence). 2015 - Deuxième partie de session

Résumé

Le nombre de migrants en situation irrégulière qui traversent la Méditerranée a enregistré une progression constante au cours des dernières années, avant d’exploser à partir du second semestre 2014. Malheureusement, le nombre de morts a affiché une augmentation proportionnelle: 500 personnes étaient portées disparues en 2012; ce chiffre est passé à 600 en 2013, avant d’atteindre le triste record de 3 500 morts en 2014. On compte déjà plus de 1 500 morts cette année, chaque jour apportant son lot de tragiques nouvelles. Le dernier épisode de la série d’incidents meurtriers a coûté la vie à 800 personnes.

La situation n’est pas près de s’arranger dans un avenir proche. Les conflits armés et l’instabilité, les persécutions fondées sur des motifs religieux ou ethniques, ainsi que la pauvreté extrême qui règne en Afrique et au Moyen-Orient continueront de générer un grand nombre de migrants et de demandeurs d’asile. Selon les estimations, 70 000 personnes attendraient un bateau sur les côtes libyennes et des dizaines de milliers d’autres sont en chemin vers la Lybie et l’Egypte.

L’Assemblée parlementaire appelle par conséquent les Etats membres de l’Union européenne à adopter une approche globale pour traiter les flux migratoires mixtes qui traversent la Méditerranée, en vue de mener d’urgence une action concertée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 21 avril 2015.

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1. L’Assemblée parlementaire exprime sa très vive préoccupation face à la situation humanitaire que connaissent actuellement les migrants en situation irrégulière en mer Méditerranée. La hausse dramatique des pertes en vies humaines ces dernières semaines est devenue un problème urgent qu’il convient de traiter sans plus attendre.
2. En 2014, plus de 210 000 migrants en situation irrégulière ont traversé la Méditerranée, parmi lesquels 170 000 sont arrivés en Italie. Dans le même temps, 3 500 personnes ont péri en mer. Au cours du premier trimestre de 2015, les chiffres s’élèvent à plus de 30 000 arrivées et 1 500 personnes ayant trouvé la mort par noyade. Malheureusement, chaque jour apporte son lot de nouvelles tragiques.
3. Une grande partie des pertes en vies humaines en Méditerranée est due aux méthodes employées par les passeurs qui organisent les transports maritimes: pour réduire les coûts au minimum et engranger un maximum de profits, les bateaux utilisés sont souvent impropres à la navigation et toujours fortement bondés; le matériel de sécurité de base est insuffisant ou fait totalement défaut; les passagers manquent d’eau et de nourriture en quantité suffisante; et, souvent, les passeurs abandonnent les navires en haute mer avec à leur bord des migrants livrés à eux-mêmes, qui ont des connaissances minimales en matière de navigation et ne peuvent qu’espérer être secourus par les autorités publiques.
4. Force est de constater que l’augmentation actuelle du nombre de victimes découle en partie de l’interruption de l’opération italienne de recherche et de secours Mare Nostrum dû au manque de solidarité des pays de l’Union européenne qui n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités, et de son remplacement par la mission européenne Triton dotée d’un mandat plus restreint et de ressources humaines, budgétaires et logistiques moindres. D’un autre côté, nul ne peut ignorer les répercussions de l’opération Mare Nostrum qui, selon de nombreux observateurs, aurait contribué à l’intensification de l’afflux de migrants quittant l’Afrique du Nord par la mer.
5. La forte augmentation du nombre d’arrivées remet une nouvelle fois en question le Règlement de Dublin selon lequel la responsabilité de l’accueil et de la prise en charge des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile incombe intégralement à un nombre restreint de pays de destination, l’Italie en particulier mais aussi Malte, l’Espagne et la Grèce. Cette forte augmentation donne également à réfléchir quant à la pertinence des procédures et de la législation en vigueur en matière d’asile.
6. La situation n’est pas prête de s’arranger dans un avenir proche. Les conflits armés et l’instabilité, les persécutions fondées sur des motifs religieux ou ethniques, ainsi que la pauvreté extrême qui règne en Afrique et au Moyen-Orient continueront de générer un nombre important de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile. Selon les estimations, 70 000 personnes attendraient un bateau sur les côtes libyennes. A elle seule, la Turquie a accueilli quelque deux millions de personnes fuyant la guerre en Syrie et en Irak.
7. Les récentes déclarations des chefs de l’organisation terroriste connue sous le nom d’«Etat islamique» annonçant leur intention de mêler aux flux de réfugiés certains de leurs membres, chargés de commettre des attentats terroristes en Europe, suscitent des questions légitimes de sécurité.
8. L’incident tragique survenu à la suite d’une bagarre sur un bateau durant laquelle neuf migrants chrétiens ont été jetés par-dessus bord par les passagers musulmans, conjugué aux récents rapports sur l’assassinat de 27 migrants chrétiens par ledit «Etat islamique» sur les côtes libyennes, font craindre au plus haut point une transposition de conflits religieux ou ethniques sur le sol européen.
9. L’Assemblée estime que le principal défi consiste à réduire le nombre de personnes qui entreprennent un périlleux voyage en mer. Il est essentiel de recenser et de mettre en œuvre des solutions pour réduire les pressions migratoires qui pèsent sur les pays d’origine et de transit.
10. L’Assemblée appelle par conséquent les Etats membres de l’Union européenne à adopter une approche globale pour traiter les flux migratoires mixtes qui traversent la Méditerranée, en vue de mener d’urgence une action concertée, et en particulier:
10.1. à intensifier de toute urgence les opérations de recherche et de sauvetage en mer grâce aux contributions accrues de tous les Etats membres;
10.2. à adopter des mesures efficaces et à coordonner une approche commune au niveau européen en matière de lutte contre les trafiquants d’êtres humains et les passeurs;
10.3. à réexaminer le Règlement de Dublin en vue d’un partage des responsabilités concernant l’accueil et la prise en charge des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile;
10.4. à renforcer les voies de migration légales alternatives dont la réinstallation, l’accès facilité au regroupement familial et d’autres mécanismes d’entrée tenant compte des besoins de protection préconisés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);
10.5. à intensifier l’aide humanitaire et les projets de développement dans les pays de transit et d’origine en vue d’y améliorer les conditions de vie et à faciliter le renforcement des institutions et des capacités dans les pays de transit et de premier asile afin d’atténuer les pressions migratoires;
10.6. à étendre la coopération, notamment la coopération administrative, judiciaire et en matière d’enquête avec les pays d’origine et de transit, en particulier ceux de la rive sud de la Méditerranée;
10.7. à garantir l’accès à l’asile aux personnes ayant besoin d’une protection internationale en introduisant la possibilité d’un traitement extérieur des demandes d’asile et, à cette fin, à réexaminer attentivement au besoin les politiques d’asile.
11. L’Assemblée se félicite des conclusions en dix points du Conseil des Ministres de l’Union européenne formulées le 20 avril 2015, qui introduisent des mesures à court terme afin de relever certains des défis liés aux migrations irrégulières en Méditerranée et de la décision de tenir aujourd’hui un sommet extraordinaire de l’Union européenne. Cependant, l’Assemblée juge totalement insuffisantes les mesures annoncées et s’attend à ce que le programme global de l’Union européenne en matière de migration, qui devrait être annoncé en mai, aborde les questions évoquées dans les paragraphes précédents.

B. Exposé des motifs, par M. Mariani, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le nombre de migrants qui se sont noyés depuis le début de l’année 2015 en tentant de traverser la mer Méditerranée atteindrait 1 500. Ce chiffre est cinquante fois supérieur à celui enregistré l’année passée sur la même période. La semaine dernière en particulier a été marquée par une hausse sans précédent du nombre de victimes. Le dernier épisode de la série d’incidents meurtriers s’est déroulé le 18 avril 2015, battant le précédent funeste record: pas moins de 700 hommes, femmes et enfants auraient péri au cours d’un seul naufrage. Jusqu’à présent, l’incident le plus tragique avait fait, selon les estimations, 500 victimes au large des côtes maltaises à l’automne dernier. Au moment même de la rédaction du présent rapport, le 20 avril 2015, il est fait état d’un nouveau naufrage qui, s’il venait à être confirmé, ferait 400 victimes supplémentaires.
2. Un phénomène particulièrement inquiétant est la cruauté grandissante des passeurs sans scrupules qui, attirés par l’appât de gains encore plus importants, n’hésitent pas à commettre les infractions les plus graves entraînant des violations sérieuses des droits de l’homme: selon les allégations, ils enfermeraient les migrants dans les cales, ouvriraient le feu sur les garde-côtes afin de récupérer leur bateau, les empêchant ainsi de porter secours aux victimes, ou encore abandonneraient à la dérive des «vaisseaux fantômes» délabrés et surchargés, mettant grandement en danger la vie des passagers.
3. La situation n’est pas près de s’arranger dans un avenir proche. Les conflits armés et l’instabilité, les persécutions fondées sur des motifs religieux ou ethniques, ainsi que la pauvreté économique qui règne en Afrique et au Moyen-Orient continueront de générer un nombre sans cesse croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Selon les estimations, 70 000 personnes attendraient un bateau sur les côtes libyennes qui constituent le point de départ vers l’Europe pour près de 90 % des migrants par voie maritime. Des dizaines de milliers d’autres sont en chemin vers les rives sud de la Méditerranée. Une fois arrivés, ils continuent de vivre dans des conditions épouvantables et seraient victimes de maltraitance de la part des passeurs avant d’embarquer. Les actes de violence extrême sont fréquents dans ces centres d’hébergement temporaires. Les passeurs agissent dans une relative impunité, particulièrement en Lybie, où les institutions étatiques sont totalement inefficaces.
4. L’arrivée massive de réfugiés sur les rivages européens, principalement italiens, fait peser des pressions extrêmes sur les pays d’accueil. Depuis le début de l’année, 31 500 migrants ont traversé la mer et sont arrivés en Italie. Cependant, rien qu’en une semaine, entre le 10 et le 17 avril 2015, quelque 13 500 migrants ont été secourus par les garde-côtes italiens.
5. Les récentes déclarations des chefs de l’organisation terroriste dénommée «Etat islamique» annonçant leur intention de mêler aux flux de réfugiés certains de leurs membres, chargés de commettre des attentats terroristes en Europe, ont suscité des questions légitimes de sécurité.
6. Par ailleurs, l’incident tragique rapporté la semaine dernière, à la suite d’une bagarre sur un bateau durant laquelle neuf migrants chrétiens ont été jetés par-dessus bord par les passagers musulmans, conjugué aux récents rapports sur l’assassinat de 27 migrants chrétiens par ledit «Etat islamique» sur les côtés libyennes, font craindre au plus haut point une transposition de conflits religieux ou ethniques sur le sol européen.
7. Tous ces problèmes interconnectés ont déjà été abordés et continuent de figurer à l’ordre du jour de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées 
			(2) 
			La commission a été
à l’origine des textes suivants adoptés par l’Assemblée: Résolution 2047 (2015) sur les conséquences humanitaires des actions menées
par le groupe terroriste connu sous le nom d’«Etat islamique»; 
 Résolution 1805 (2011) sur l’arrivée massive de migrants en situation irrégulière,
de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du sud de l’Europe,
la Résolution 1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?»,
la Résolution 2000 (2014) sur l’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur
les côtes italiennes et la Résolution
1999 (2014) «Le “bateau cercueil”: actions et réactions». J’invite
toutes les personnes intéressées à consulter ces textes. Pour l’heure,
la commission a plusieurs rapports pertinents en cours d’élaboration:
«La Méditerranée: une porte d'entrée pour les migrations irrégulières»
(rapporteure: Mme Dumery, Belgique, NI); «Le crime organisé et les
migrants» (rapporteur: M. Chikovani); «Pays de transit: relever
les nouveaux défis de la migration et de l’asile» (rapporteure:
Mme Strik); «Evaluer la nécessité d’une révision approfondie du
Règlement de Dublin et de sa mise en œuvre» (rapporteur: M. Nicoletti);
«La criminalisation des migrants en situation irrégulière» (rapporteur:
M. Stroe). Par ailleurs, la sous-commission sur la coopération avec
les pays d’origine et de transit non européens a organisé deux conférences,
à Rabat en octobre dernier et à Lagos (Portugal) en mars 2015 dans
le cadre du dialogue Sud–Nord sur les migrations, qui ont été autant
d’opportunités d’échanger des informations, des expériences et des
bonnes pratiques entre les pays d’origine, de transit et d’accueil.. Le présent rapport, établi selon la procédure d’urgence, fait suite à la hausse soudaine et extrêmement préoccupante de pertes en vies humaines et à l’amplification de la situation de crise. A mon avis, le problème des victimes en Méditerranée dépasse la question des migrations et a une dimension politique, beaucoup plus large. Elle revêt une dimension humanitaire, mais est aussi devenue un problème politique qui appelle une réaction politique urgente au niveau de l’Europe.
8. Compte tenu des délais extrêmement courts, le présent rapport ne peut offrir une analyse exhaustive de la situation et n’entend pas constituer une vue d’ensemble détaillée des migrations irrégulières à travers la Méditerranée. De même, il n’a pas pour objectif de remplacer d’autres rapports pertinents en préparation par la commission des migrations (voir note de bas de page 3). Il propose en revanche une évaluation politique qui sert de base à quelques propositions concrètes visant à identifier des solutions possibles à cette situation dramatique qui ne peut durer plus longtemps.

2. Bref aperçu des migrations irrégulières en Méditerranée

9. Le nombre de migrants en situation irrégulière qui traversent la Méditerranée a enregistré une progression constante au cours des dernières années, avant d’exploser à partir du second semestre 2014. En 2012, 12 000 migrants en situation irrégulière sont parvenus à traverser la Méditerranée; en 2013, ils étaient près de 60 000 à avoir débarqué sur les rivages de l’Europe (parmi lesquels, 43 000 en Italie). En 2014, le nombre total de migrants est passé à plus de 210 000, parmi lesquels 170 000 sont arrivés en Italie. D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur de l’Italie, au 30 avril 2014, on comptait au total 26 644 arrivées. En 2015, on en compte 5 000 de plus pour la même période. Si aucune mesure n’est prise, il faut s’attendre à des chiffres record pour toute l’année 2015.
10. Malheureusement, le nombre de morts a affiché une augmentation proportionnelle: 500 personnes étaient portées disparues en 2012; ce chiffre est passé à 600 en 2013, avant d’atteindre le triste record de 3 500 morts en 2014. On compte déjà plus de 1 500 morts cette année, chaque jour apportant son lot de tragiques nouvelles.
11. Les migrants empruntent plusieurs itinéraires, qui changent très rapidement face aux conditions extérieures, notamment aux mesures de contrôle des migrations dans certains pays. A l’heure actuelle, l’itinéraire privilégié traverse la Méditerranée en son centre et a pour principaux points de départ la Libye (90 %) et l’Egypte, et pour principaux points d’arrivée l’Italie et Malte. Les flux migratoires mixtes vers l’Europe sont composés de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants économiques, qui viennent en majorité de l’Afrique subsaharienne, de l’Erythrée (23 %), de la Somalie, de l’Afghanistan et de la Syrie (17 %), et dont la plupart ont été secourus dans les eaux internationales.
12. La traversée de la Méditerranée est facilitée par les passeurs de migrants. Ces groupes adaptent leurs itinéraires et leurs méthodes aux changements de situation, notamment aux mesures prises par les autorités européennes. Les pertes humaines en Méditerranée sont dues en grande partie aux méthodes employées par les passeurs qui organisent les transports maritimes: pour réduire les coûts au minimum, les bateaux utilisés sont souvent impropres à la navigation et, pour faire un maximum de profits, ils sont toujours excessivement bondés; la traversée s’effectue souvent dans des conditions météorologiques périlleuses; le matériel de sécurité de base est insuffisant voire totalement absent; la quantité d’eau et de nourriture disponible est insuffisante pour les passagers; et, bien souvent, les passeurs abandonnent les navires en haute mer, avec à leur bord des migrants livrés à eux-mêmes, qui ont des connaissances minimales en matière de navigation et ne peuvent qu’espérer être secourus par les autorités publiques. Comme je l’ai indiqué dans l’introduction, le mépris flagrant des passeurs pour la vie humaine semble s’être intensifié au cours des dernières semaines.
13. Lorsque 366 personnes ont péri dans un naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa en octobre 2013, les autorités italiennes, et elles seules parmi tous les pays européens, ont pris des mesures concrètes pour éviter que la mer ne fasse d’autres victimes. Elles ont lancé l’opération Mare Nostrum, qui a vu le déploiement d’une part significative des forces maritimes du pays, avec pour mission de secourir les migrants dans les eaux internationales. Cette opération humanitaire a relégué à l’arrière-plan des différends de longue date entre l’Italie et Malte au sujet de l’ampleur de leurs opérations de recherche et de sauvetage respectives, qui avaient nui à leur efficacité. Entre octobre 2013 et septembre 2014, la marine italienne a secouru plus de 100 000 personnes.
14. Durant des mois, les autorités italiennes ont fait pression auprès de l’Union européenne pour qu’elle prenne la direction de l’opération Mare Nostrum ou, au moins, pour qu’elle y contribue de manière significative. En novembre 2014, les autorités italiennes ont décidé finalement de mettre un terme à l’opération. S’il est certain que cette décision a été prise en grande partie pour des raisons financières, il y a lieu de souligner que le Règlement de Dublin de l’Union européenne, dans sa version actuelle, dissuade les pays du Sud de l’Europe de mener toute opération effective de recherche et de sauvetage. En effet, ils se trouvent tous confrontés à la responsabilité, après le sauvetage, de prendre en charge les demandeurs d’asile, de traiter les demandes d’asile et, éventuellement, de renvoyer chez eux les demandeurs d’asile déboutés. La commission des migrations prépare en ce moment un rapport portant spécifiquement sur la nécessité d’une révision du Règlement de Dublin et d’une répartition plus équitable des responsabilités entre les pays européens.
15. En août 2014, la Commission européenne a lancé sa propre opération nommée «Triton», dont la mise en œuvre est confiée à Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne). Cependant, la capacité de Frontex à répondre aux besoins en matière de recherche et de sauvetage en Méditerranée n’est pas d’un niveau comparable à celle de Mare Nostrum pour ce qui est des ressources matérielles et opérationnelles. Qui plus est, son champ d’action est beaucoup plus restreint.
16. Force est de constater que l’augmentation actuelle du nombre de victimes découle en partie de l’interruption de l’opération Mare Nostrum. D’un autre côté, nul ne peut ignorer les répercussions indirectes de cette opération de sauvetage humanitaire qui, d’après de nombreux observateurs, aurait contribué à l’intensification de l’afflux de migrants quittant l’Afrique du Nord par la mer.
17. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a fait part de sa vive inquiétude au sujet de la sécurité de dizaines de milliers de migrants actuellement pris au piège en Libye. Il en est de même en Egypte.
18. La forte augmentation du nombre d’arrivées remet à nouveau en question le Règlement de Dublin, selon lequel la responsabilité de l’accueil et de la prise en charge des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile incombe intégralement à un nombre limité de pays de destination, l’Italie en particulier. Cette forte augmentation donne également à réfléchir quant à la pertinence de la procédure et de la législation en vigueur en matière d’asile.

3. Moyens possibles de relever ces défis

19. Il est clair que cette situation humanitaire insupportable ne peut pas continuer et que l’Europe doit prendre rapidement des mesures pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines. Les opérations de sauvetage doivent être renforcées et les contributions doivent être mieux équilibrées entre les pays européens. Il conviendrait également de mettre en place un système collectif renforcé de recherche et de sauvetage au niveau de l’Union européenne. Cependant, les opérations de secours et de sauvetage ne peuvent pas être considérées comme le principal remède à un problème aux multiples facettes et doivent être accompagnées d’autres mesures. Elles ne doivent pas, en particulier, encourager les migrants en situation irrégulière à prendre la mer.
20. Des mesures adéquates devraient être prises pour combattre les activités des réseaux criminels de passeurs. Force est de reconnaître que la lutte contre le trafic de migrants est loin d’être efficace et que la coopération européenne a encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. Le succès de la Task Force 120, dont l’efficacité a permis d’éliminer la piraterie somalienne, pourrait être considéré comme un exemple à suivre pour sauver des vies et lutter contre les trafiquants. J’espère que M. Chikovani, qui prépare actuellement un rapport sur la criminalité organisée et les migrants au nom de la commission des migrations, examinera en profondeur les mesures qui pourraient être recommandées aux Etats membres du Conseil de l’Europe à cet égard.
21. Le partage des responsabilités concernant l’accueil et la prise en charge des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile est un autre problème qui nécessite une réévaluation politique. Le Règlement de Dublin devrait être revu. Je suis convaincu que M. Nicoletti, rapporteur de la commission des migrations sur cette question, examinera attentivement ce point.
22. Cependant, le principal défi à relever est de réduire le nombre de personnes qui s’embarquent pour une traversée maritime dangereuse. Il est crucial de recenser et d’utiliser les moyens de réduire les pressions migratoires dans les pays d’origine et de transit. La lutte contre les réseaux de trafiquants qui exploitent et maltraitent les migrants est nécessaire mais ne sera pas, à elle seule, une solution au problème.
23. Les autres voies d’immigration légale (réinstallation, accès facilité au regroupement familial et autres mécanismes d’entrée tenant compte des besoins de protection) préconisées par les organisations de défense des droits de l’homme et déjà en place (à une échelle limitée) sont à recommander, mais elles ne résoudront pas non plus l’ensemble du problème. Tant que les disparités et les difficultés économiques subsisteront, les populations migreront pour rechercher une vie meilleure. La seule façon de vraiment changer la réalité est de traiter la cause profonde du problème.
24. D’où l’importance des projets d’aide humanitaire et de développement dans les pays de transit et d’origine. En effet, l’amélioration des conditions de vie dans ces pays permettrait certainement d’atténuer les pressions migratoires. Il serait aussi bénéfique pour tous les acteurs concernés de contribuer au renforcement des capacités et à la mise en place d’institutions dans les pays de transit et de premier asile.
25. Les pays européens devraient renforcer leur coopération, notamment en matière judiciaire et en matière d’enquête, avec les pays d’origine et de transit.
26. Il faudrait également examiner la possibilité d’un traitement extérieur des demandes afin de garantir l’accès à l’asile de ceux qui ont besoin d’une protection internationale. Une telle solution exigerait un examen approfondi des politiques d’asile mais permettrait de relever le défi des flux migratoires mixtes.
27. Les tragédies dont nous sommes aujourd’hui témoins presque quotidiennement montrent que les mécanismes et dispositifs existants ne suffisent pas à éviter une perte dramatique de vies humaines en mer. Une approche globale est donc nécessaire pour répondre plus efficacement à cette situation. Il faut agir de toute urgence et en concertation.
28. En réaction à la récente tragédie survenue en Méditerranée le 20 avril 2015, les ministres de l’Union européenne ont tenu une réunion d’urgence à Luxembourg et proposé un plan en dix points en vue d’apporter des solutions à la crise. Ce plan sera soumis à un Sommet européen convoqué le 23 avril 2015. Les mesures proposées comprennent le renforcement des opérations de contrôle aux frontières de l’Union européenne (Triton et Poséïdon) en Méditerranée, assorti d’une augmentation de leurs moyens financiers et matériels et d’un élargissement de leur champ d’action. Le plan propose une action systématique pour confisquer et détruire les embarcations utilisées par les passeurs et la mise sur pied d’un nouveau programme en vue du retour rapide des migrants, ainsi que d’autres mesures destinées à renforcer la lutte contre les passeurs. Il envisage également la fourniture d’une aide à l’Italie et à la Grèce pour le traitement des demandes d’asile et la prise des empreintes digitales de tous les migrants. Un projet pilote de réinstallation de personnes ayant besoin de protection sera élaboré.
29. Ces mesures d’urgence à court terme sont bienvenues car elles répondent à certaines préoccupations. Elles sont cependant tout à fait insuffisantes et j’attends à ce que le programme global de l’Union européenne en matière de migration, qui devrait être annoncé en mai, traite des autres problèmes en suspens mentionnés plus haut.